Visions et handicaps
Dyslexie, dyspraxies et troubles des apprentissages
Coordonné par E. Bui Quoc
E. Bui Quoc
Les troubles des apprentissages et du comportement de l’enfant sont un ensemble de pathologies complexes qui interrogent les soignants, les enfants et leurs parents.
Les premières questions sont diagnostiques, tant la nosologie peut sembler difficile, car elle est changeante, témoignant d’une meilleure connaissance et des meilleures définitions de ces pathologies. Le diagnostic précis et sÛr est indispensable tant il conditionne la prise en charge ultérieure.
Dans un second temps, se posent des questions thérapeutiques et de prise en charge, et ici le soignant doit être modeste dans ses objectifs, car il accompagnera plutôt que ne guérira.
Nous avons réuni dans ce chapitre des intervenants d’horizons et de formations diverses : médecins ophtalmologistes, neurologues, pédiatres, chercheurs, psychologues, orthoptistes, etc. Car c’est ensemble et de façon pluridisciplinaire que nous pouvons tenter d’apporter quelques réponses à nos interrogations, concernant tout particulièrement la dyslexie et les dyspraxies.
Nous précisons que l’approche de ces pathologies peut être abordée sous des angles différents. Les tests peuvent être divers mais doivent toujours être les mêmes pour un même enfant.
M. Habib
En France, on utilise de plus en plus souvent le terme de « troubles dys » pour se référer à des difficultés que rencontrent certains enfants dans leurs acquisitions scolaires, alors même que leur intelligence est strictement normale, voire supérieure, et qu’aucune autre cause neurologique, psychologique ou environnementale ne peut être décelée [1]. Une des représentations les plus répandues est celle schématisée sur la Fig. 30-1, volontiers appelée « constellation des dys » , pour signifier le point commun à toutes les entités qui y sont représentées : la présence d’un trouble d’apprentissage en dépit d’une intelligence intacte. Mais ces entités partagent également un autre trait commun, la fréquence de leurs associations chez un même individu. Cette notion de comorbidité, nous le verrons, est cruciale, non seulement du point de vue diagnostique, mais également pour en approcher les mécanismes.
Fig. 30-1 La « constellation dys » : troubles spécifiques des apprentissages.
Autour de la dyslexie, trouble spécifique de la lecture, on retrouve un ensemble d’entités nosologiques ayant en commun : un impact sur les apprentissages, la normalité du quotient intellectuel et leurs fréquentes co-occurrences [2]. SLI : specific language impairment (trouble spécifique du langage). TDAH : trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Parmi ces troubles, le plus connu, et sans conteste possible celui qui a fait l’objet du plus grand nombre de travaux scientifiques, est la dyslexie de développement, trouble spécifique de l’acquisition de la lecture. C’est en effet très généralement lors de l’apprentissage de la lecture que ces troubles sont repérés : alors que rien ne le laissait antérieurement présager, l’enfant lors de la première année de l’école primaire ne peut entrer dans la procédure requise pour apprendre à lire, à savoir la mise en relation des éléments visuels (graphèmes) et sonores (phonèmes) du langage écrit. Cette difficulté dans la conversion graphophonémique a été, depuis le milieu des années 1980, attribuée de façon consensuelle à un déficit fondamental chez ces enfants de la mise en place, avant même l’âge de la lecture, de la représentation mentale des phonèmes (voir ORIGINES DE LA DYSLEXIE). Cette vision du problème a eu un impact considérable sur les pratiques, mais aussi sur les concepts, de sorte que la grande majorité des travaux en neurosciences se sont en fait concentrés sur le trouble de la lecture, et notamment sur le trouble phonologique considéré comme à son origine.
C’est ainsi que, par analogie avec les troubles de la lecture acquis à la suite de lésions cérébrales chez l’adulte, la dyslexie de développement a été volontiers considérée par les praticiens en charge du trouble, tout particulièrement les orthophonistes, comme pouvant prendre trois aspects cliniques : dyslexie phonologique, où la lecture est émaillée d’erreurs de nature phonétique, s’accompagnant de difficultés dans la représentation phonologique de la parole (trouble de la conscience phonologique) et de la mémoire auditivoverbale immédiate; dyslexie de surface, caractérisée par une lecture lente et hésitante, par décodage systématique, mais phonétiquement exacte, les erreurs résidant plutôt sur les lettres visuellement proches et sur la présence de paralexie dérivationnelle (le sujet « invente » la fin des mots); la dyslexie mixte, ayant les caractéristiques des deux précédentes.
Cette nosographie des dyslexies, inspirée de la pathologie lésionnelle adulte, s’est avérée en fait inapplicable à la pathologie développementale de l’enfant, même si elle a permis la création d’outils diagnostiques et de schémas rééducatifs très utilisés par les orthophonistes.
Actuellement, on préfère parler de : syndrome phonologique, où la dyslexie est accompagnée de signes évoquant un retard de langage et d’un trouble des précurseurs phonologiques de la lecture; syndrome visuo-attentionnel, où les troubles de l’attention s’associent à l’incapacité d’entrer dans la lecture; syndrome dyspraxique, où le trouble de la coordination motrice et de l’écriture prennent rapidement le devant de la scène [2].
Longtemps considérée comme une entité à part entière, ayant ses propres mécanismes physiopathologiques et des bases neuroscientifiques bien établies (voir ORIGINES DE LA DYSLEXIE), la dyslexie n’apparaît plus en tant que telle dans la classification internationale des maladies (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders 5 [DSM-5], 2013), mais comme un des éléments d’un cadre nosographique plus large, celui des troubles spécifiques de l’apprentissage [3]. Le DSM propose ainsi à présent des critères diagnostiques regroupant l’ensemble des signes relevant de troubles de la lecture, du calcul ou de l’écriture (Encadré 30-1).
En outre, selon la même logique de regroupement nosographique, le DSM-5 propose un nouveau cadre général, celui des troubles du neurodéveloppement (neurodevelopmental disorders), comportant, à côté des troubles spécifiques sus-cités, les troubles du langage, les troubles des acquisitions motrices, les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, et aussi les troubles du spectre autistique et les déficits intellectuels généraux. Ainsi, au-delà de son aptitude à refléter plus fidèlement la complexité clinique du problème, le DSM-5 fournit implicitement des pistes aux chercheurs, les incitant à raisonner en termes de « trouble spécifique des apprentissages » , voire en termes de « troubles du neurodéveloppement » [4].
Critères diagnostiques des troubles spécifiques d’apprentissage, d’après le DSM-5*
Difficulté à apprendre et à utiliser les aptitudes académiques comme indiqué par la présence depuis au moins 6 mois d’au moins un des symptômes suivants :
lecture de mots inexacte, lente ou laborieuse ;
difficulté à comprendre la signification de ce qui est lu (même si lu correctement) ;
difficulté d’orthographe (spelling) ;
difficulté dans l’expression écrite (par exemple erreurs de ponctuation ou grammaticales, manque de clarté de l’expression des idées) ;
difficulté à maîtriser le sens des nombres, les faits numériques, ou le calcul ;
difficulté dans le raisonnement mathématique.
Aptitudes significativement en dessous de celles attendues pour l’âge et interférant significativement avec les performances académiques ou les occupations.
Troubles commencant durant les années d’école mais pouvant n’être manifestes que dès lors que les demandes excèdent les capacités limitées de l’individu.
Troubles pas mieux expliqués par une déficience intellectuelle, une déficience sensorielle auditive ou visuelle non corrigée, d’autres troubles neurologiques ou mentaux, une adversité psycho-sociale, etc.
* Traduction libre du texte américain, American Psychiatric Association (APA), 2013.
Ces deux changements introduits dans la classification internationale représentent en fait une évolution des idées qui correspond beaucoup mieux à la réalité clinique que le concept de dyslexie tel qu’il était auparavant utilisé. Ainsi, la question de la comorbidité est actuellement pratiquement inhérente au diagnostic de troubles dys, avec des implications majeures tant au plan diagnostique que de la compréhension du trouble.
En premier lieu, les cliniciens ont depuis longtemps remarqué que, plus souvent que l’inverse, le trouble de la lecture n’est pratiquement jamais isolé; il se trouve en général associé à d’autres troubles qui sont parfois au second plan, mais en général bien visibles si on sait et que l’on pense à les rechercher : trouble du langage, mais aussi trouble de l’écriture, trouble du calcul, trouble de la motricité oculaire, trouble de l’attention, trouble de la mémoire. L’une des implications majeures de cet état de fait est la notion, à présent bien admise, que la prise en charge de ces enfants doit, dès le début, reposer sur la pluridisciplinarité des intervenants et, par là même, passer par la constitution d’équipes de praticiens de différentes spécialités que l’on retrouve au sein des centres de référence des troubles d’apprentissage [5], mis en place dans la majorité des centres hospitalo-universitaires français depuis la publication des premières recommandations officielles en France au début des années 2000 [6], mais également des réseaux de santé spécialisés1. et des établissements médico-sociaux spécialisés (service d’éducation spéciale et de soins à domicile [SESSAD], centre médico-psycho-pédagogique [CMPP]). Chaque région peut ainsi opter pour l’un ou plusieurs de ces dispositifs ayant en commun le caractère inéluctable d’un abord largement multidisciplinaire.
1. Pour un exemple de réseau de santé spécialisé, voir www.resodys.org.
La seconde implication de la notion de comorbidité dans les troubles d’apprentissage est que la recherche sur les mécanismes ne peut plus se focaliser, comme cela a été le cas jusqu’alors, sur les seuls mécanismes du trouble de la lecture, mais se doit d’inclure également, éventuellement dans des modèles unicistes, les troubles de la lecture, de l’écriture, du calcul, et probablement aussi les troubles du langage oral, de l’attention et de la coordination motrice. Comme nous le verrons dans le ORIGINES DE LA DYSLEXIE, il existe à présent un certain nombre de pistes capables de rendre compte de l’ensemble des faits cliniques et, partant, de justifier les nouvelles conceptions nosographiques.
Comme on le voit donc, nous assistons en ce moment à une évolution considérable des idées et des concepts, convergeant vers une conception plus proche de la réalité clinique que celle sur laquelle était fondée jusqu’ici notre pratique : concevoir la dyslexie comme une partie, certes importante, mais une partie seulement d’un ensemble de troubles ( « constellation dys » ) ayant la double particularité de compromettre les apprentissages scolaires, en dépit d’une intelligence normale et d’avoir tendance à coexister chez un même individu, permet de rendre compte de manière bien plus exacte des constatations qu’ont faites de longue date les cliniciens et leur offre un cadre conceptuel précieux quant à ses retombées sur la pratique clinique comme sur la recherche.
[1] INSERM. Expertise collective. Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie. Bilan des données scientifi ques. Paris : Les Éditions Inserm ; 2007, p. 159-73.
[2] Habib M. La Constellation des Dys : bases neurologiques de l’apprentissage et de ses troubles. Paris-Bruxelles : DeBoeck ; 2014, 324 p.
[3] American Psychiatric Association. DSM-5. Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.). Washington, DC : American Psychiatric Association ; 2013.
[4] Chaix Y. Troubles spécifi ques d’apprentissage et de développement. Le nouveau regard du DSM-5. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant (A.N.A.E.)2014 ; 26 : 11-17.
[5] Rapport 2e journée des Assises nationales des centres de référence TSLA. CREAI Rhône-Alpes ; 14 juin 2013. En ligne : http://creai-ra.com
[6] Ringard JC. Rapport au ministère de l’Éducation nationale. 2000. En ligne : http://www.education.gouv.fr/cid1944/-propos-de-l-enfant-dysphasique-et-de-l-enfantdyslexique.html
J. Ziegler
La lecture est une capacité cognitive récente, les premiers systèmes d’écriture ayant été inventés il y a environ 4000 ans. La facilité avec laquelle nous reconnaissons des mots écrits nous fait souvent oublier l’extraordinaire complexité de cette tâche qui nécessite un apprentissage explicit, parfois long et laborieux. Il convient de noter que les systèmes d’écritures ne représentent pas directement la signification d’un objet ou d’une action mais ils transcrivent typiquement le langage oral, donc les sons de la parole. Contrairement au langage oral, la lecture ne s’acquiert pas « naturellement » , elle doit être apprise. Les primates non humains peuvent mémoriser l’orthographe d’une centaine de mots [1], mais cet apprentissage est sensiblement différent de celui d’un enfant. En effet, le singe a besoin de milliers d’essais, corrigés et renforcés, pour apprendre une centaine de mots. En revanche, une seule rencontre avec un mot écrit suffit souvent à l’enfant pour le mémoriser [2]. Il se pose alors la question des mécanismes qui sous-tendent une telle performance qui ne peut s’expliquer ni par une mémoire visuelle extraordinaire (les primates non humains nous égalent aisément à cet égard), ni par une prédisposition génétique pour la lecture [3].
Lorsqu’un enfant débute l’apprentissage de la lecture, il a typiquement une bonne connaissance du langage oral dont l’acquisition précède normalement celle de la lecture. On dit alors que l’enfant possède un « lexique mental » , une sorte de dictionnaire mental dans lequel sont stockées la forme phonologique des mots et leur signification (sémantique). Wilhelm Wundt (1832-1920), le fondateur de la psychologie expérimentale, l’a nommé le « trésor des mots » (Wortschatz). En effet, l’apprentissage de la lecture consiste à créer un nouvel accès vers ce « trésor » du langage oral hébergé dans les aires du langage du cerveau, comme l’aire de Broca (production des mots), dans le cortex frontal inférieur, l’aire de Wernicke (compréhension des mots) dans le cortex temporal et le gyrus angulaire. L’apprentissage de la lecture se caractérise en effet par la mise en place de connexions entre ces zones du langage et les zones visuelles dans le cortex occipital [3]. Comment l’enfant parvient-il à établir ce nouveau réseau de la lecture ?
L’enfant dispose de deux mécanismes pour apprendre la lecture. Le premier consiste à apprendre « par cœur » l’orthographe des mots. Ce mécanisme arrive rapidement à saturation car les mots sont composés d’un petit nombre d’éléments très similaires comme les lettres dans les systèmes alphabétiques. Cette similarité rend les mots visuellement peu distincts. L’apprentissage par cœur nécessiterait la mémorisation des milliers de combinaisons de ces mêmes éléments, ce qui serait comparable à la mémorisation d’un annuaire téléphonique [4]. Bien qu’il existe de rares individus capables de mémoriser des annuaires téléphoniques entiers, il est difficilement imaginable que l’enfant puisse apprendre des milliers de mots de cette façon.
Les limites du premier mécanisme expliquent l’importance du second : le décodage ou déchiffrage. Ce mécanisme, qui est au cœur de l’apprentissage de la lecture, consiste à associer à chaque symbole le son correspondant, ce qui permet de retrouver la forme phonologique du mot dans le lexique mental [4]. Son efficacité dans un système alphabétique repose sur deux principes :
les lettres (graphèmes) représentent les sons de la parole (les phonèmes) et non pas la signification du mot. Savoir qu’un mot commence avec la lettre T ne dit absolument rien sur sa signification;
avant la lecture, l’enfant connaît la forme phonologique d’un grand nombre de mots et cette forme phonologique est déjà associée à la signification.
L’apprentissage d’un petit nombre d’associations lettres-sons (le b.a.-ba) permet donc à l’enfant de décoder ou déchiffrer des mots qu’il a déjà entendus mais jamais vus auparavant. Cela nécessite d’abord un apprentissage explicite des relations entre les graphèmes et les phonèmes. Cette phase peut être plus ou moins complexe et difficile en fonction de la transparence du système orthographique [5,6 ]. Dans les systèmes transparents, dans lesquels chaque lettre correspond à un seul phonème (finlandais, italien), apprendre « le code » est une affaire de quelques semaines. Dans les systèmes plus opaques dans lesquels la même lettre peut avoir plusieurs prononciations, comme le « a » en anglais dans « cat » , « was » , « saw » , « made » et « car » [7], le processus d’apprentissage peut être long et périlleux. En plus de la transparence des relations graphophonologiques, il existe également des différences en termes de complexité orthographique. Dans certaines langues, comme en français, il existe des correspondances pour les lettres individuelles ( « o » = /o/), mais aussi pour des groupes de lettres, les graphèmes ( « ou » = /u/). La transparence et la complexité orthographique d’une langue déterminent la facilité avec laquelle le mécanisme de décodage se met en place [5,6 ].
Les processus impliqués dans l’apprentissage de la lecture peuvent être formalisés dans un modèle (Fig. 30-2).
Avant l’apprentissage de la lecture, le lexique phonologique est en place. Puis, l’enfant apprend de façon supervisée les associations entre les graphèmes et les phonèmes (apprentissage explicite avec maître). Par la suite, il appliquera ces connaissances pour retrouver leur entrée dans le lexique phonologique. Avec chaque décodage réussi, le mécanisme du décodage est renforcé (flèches rouges), et une « entrée » orthographique du mot est créée dans le lexique orthographique. L’apprentissage explicite (avec maître) devient alors un apprentissage implicite (sans maître) car c’est la pratique même de la lecture qui renforce la lecture. On parle alors d’un mécanisme d’auto-apprentissage [4]. Il a été montré grâce à des simulations sur ordinateur que l’apprentissage explicite de quelques associations graphèmes-phonèmes suffit en effet pour mettre en route ce double mécanisme de décodage/auto-apprentissage capable de récupérer la forme phonologique des mots et de créer des représentations orthographiques [8]. Ce modèle a été utilisé pour « simuler » des conséquences d’un déficit visuel ou auditif pour l’apprentissage de la lecture. Par exemple, les confusions de phonèmes ou les inversions de lettres perturbent très fortement l’apprentissage de la lecture [8]. Dans le contexte de ce modèle, il est évident que des capacités phonologiques adéquates, en particulier une bonne conscience phonémique, sont nécessaires pour comprendre et maîtriser le principe alphabétique à la base du décodage [9].
Fig. 30-2 Modèle d’apprentissage de la lecture fondé sur le décodage phonologique et l’auto-apprentissage des représentations orthographiques.
D’après : Ziegler JC, Bertrand D, Lété B, Grainger J. Orthographic and phonological contributions to reading development : tracking developmental trajectories using masked priming. Developmental Psychology 2014 ; 50 : 1026-36.
Bien que la maîtrise du décodage soit nécessaire pour le démarrage de la lecture, elle ne suffit pas, ni pour l’automatisation ni pour la compréhension de la lecture. En ce qui concerne l’automatisation, elle vient avec la pratique et se caractérise par la disparition de l’effet de longueur indiquant que les mots sont désormais lus non plus lettre par lettre (de manière dite sérielle), mais de façon parallèle, prenant en compte toutes les lettres en un coup d’œil [10]. L’automatisation permet au lecteur expert de lire environ 3 à 4 mots par seconde. Cette lecture fluide et instantanée est le résultat de plusieurs processus qui opèrent en parallèle :
un traitement orthographique de plus en plus efficace permettant un accès direct à la forme orthographique des mots [11, 12];
un processus de décodage de plus en plus performant permettant un accès rapide à la forme phonologique des mots (la petite voix que nous entendons pendant la lecture silencieuse);
un traitement morpho-orthographique rapide fondé sur des unités morphologiques porteuses de sens, comme la racine « lait » et le suffixe « ier » dans le mot « laitier » , qui facilite l’accès à la signification des mots [13].
En ce qui concerne la compréhension d’un texte, elle est le résultat d’une relation multiplicative entre les capacités d’identification de mot (décodage, fluidité) et la compréhension orale (vocabulaire, morphosyntaxe). Un enfant qui ne maîtrise pas le décodage ne comprendra pas un texte, même si sa compréhension orale est bonne. De même, un enfant avec une mauvaise compréhension orale (par exemple, manque de vocabulaire) ne comprendra pas un texte même s’il décode correctement. Pour augmenter les capacités de compréhension d’un texte, il est donc nécessaire de travailler ces deux aspects, la compréhension du langage oral et le décodage permettant une identification de mots fiable et rapide. En effet, il a été montré que les enfants qui suivent un enseignement systématique du déchiffrage obtiennent de meilleurs résultats que les autres, non seulement en lecture de mots, mais également en compréhension de texte [14].
[1] Grainger J, Dufau S, Montant M, et al. Orthographic Processing in Baboons (Papiopapio). Science 2012 ; 336 : 245-8.
[2] Share DL. Phonological recoding and orthographic learning : a direct test of the selfteaching hypothesis. Journal of Experimental Child Psychology 1999 ; 72 : 95-129.
[3] Dehaene S. Les neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob ; 2007.
[4] Share DL. Phonological recoding and self-teaching : sine qua non of reading acquisition.Cognition 1995 ; 55 : 151-218.
[5] Ziegler JC, Goswami, U. Reading acquisition, developmental dyslexia, and skilled reading across languages : a psycholinguistic grain size theory. Psychological Bulletin 2005 ; 131 : 3-29
[6] Ziegler JC, Goswami U. Becoming literate in different languages : similar problems,different solutions. Developmental Science 2006 ; 9 : 429-36.
[7] Ziegler JC, Stone GO, Jacobs AM. What is the pronunciation for -ough and the spelling for u/? A database for computing feedforward and feedback consistency in English.Behavior Research Methods, Instruments & Computers 1997 ; 29 : 600-18.
[8] Ziegler JC, Perry C, Zorzi M. Modelling reading development through phonological decoding and self-teaching : Implications for dyslexia. Philos Trans R Soc B Biol Sci 2013 ; 369 : 20120397.
[9] Ehri LC, Nunes SR, Willows DM, et al. Phonemic awareness instruction helps children learn to read : evidence from the national reading panel’s meta-analysis. Reading Research Quarterly 2001 ; 36 : 250-87.
[10] Aghababian V, Nazir TA. Developing normal reading skills : aspects of the visual processes underlying word recognition. J Exp Child Psychol 2000 ; 76 : 123-50.
[11] Grainger J, Ziegler JC. A dual-route approach to orthographic processing. Frontiers in Psychology 2011 ; 2 : 54.
[12] Ziegler JC, Bertrand D, Lété B, Grainger J. Orthographic and phonological contributions to reading development : tracking developmental trajectories using masked priming.Developmental Psychology 2014 ; 50 : 1026-36.
[13] Beyersmann E, Grainger J, Casalis S, Ziegler JC. Effects of reading proficiency on embedded stem priming in primary school children. J Exp Child Psychol 2015 ; 139 : 115-26.
[14] Ehri LC, Nunes SR, Stahl SA, Willows DM. Systematic phonics instruction helps students learn to read : evidence from the national reading panel’s meta-analysis. Review of Educational Research 2001 ; 71 : 393-447.
M. Habib
La prévalence de la dyslexie et des troubles « dys » varie de façon importante selon les études, de 5 à 15 %, de sorte qu’on avance en général des chiffres moyens tenant compte de cette variabilité, soit de 6 à 8 % des enfants d’âge scolaire. La dyslexie elle-même représente sans doute la part la plus importante, la fréquence des comorbidités impliquant un fort recouvrement avec les autres troubles « dys » . Ce taux est du reste celui retrouvé dans les quelques études françaises, dont il faut noter qu’elles sont rares, et de moindre envergure que les études anglo-saxonnes [1]. Parmi les facteurs de variations possibles, deux ont été particulièrement étudiés : le milieu socio-économique et la langue maternelle. Les études réalisées sur des jumeaux estiment à 0,5 à 0,6 la part de l’hérédité dans les troubles de l’apprentissage de la lecture, laissant ainsi une large place aux facteurs environnementaux. D’autres recherches ont montré que la qualité de l’environnement familial et les expériences de lecture précoce contribuent à l’émergence de compétences préalables à la lecture et que les compétences phonologiques sont plus faibles chez les enfants issus de milieux défavorisés. Fluss et al. [2], après une vaste étude de plus de 1000 enfants répartis dans 20 écoles de la ville de Paris, concluent que l’incidence de la dyslexie varie de 3,3 à 24,2 % selon le milieu socio-économique. L’influence de la langue maternelle, pour sa part, a été affirmée grâce à diverses études qui ont convergé vers l’idée que l’apprentissage de la lecture était fondamentalement différent dans les langues dites transparentes, où la correspondance entre les graphèmes et les phonèmes est simple et univoque (comme l’italien, par exemple), et les langues dite opaques, où la forme orale est peu ou pas prédictible à partir de la forme écrite de la langue (comme l’anglais ou à un moindre degré le français). C’est la raison pour laquelle on admet que la dyslexie est plus fréquente (sans doute en fait plus facilement reconnue) chez les derniers que chez les premiers. Des études en imagerie cérébrale ont confirmé que ces différences correspondent bien à des différences cérébrales tant du point de vue fonctionnel que structurel (voir ci-dessous).
Lorsque l’enfant apprend à parler, un certain nombre de phénomènes surviennent de façon totalement automatique et inconsciente chez lui : par exemple, l’intuition grammaticale que confèrent les régularités syntaxiques de la langue, ce que l’on appelle volontiers la conscience syntaxique, ou encore la conscience progressive que le mot est auditivement constitué de segments sub-lexicaux – la syllabe, l’attaque, la rime et finalement le phonème, plus petite unité perceptible du langage. Cette conscience phonologique est à la fois considérée comme un précurseur indispensable de l’acquisition de la lecture et un marqueur privilégié des troubles d’acquisition de la lecture que sont les dyslexies. Ultérieurement, les travaux en imagerie fonctionnelle ont montré que ce déficit phonologique chez le dyslexique était lié à un défaut d’activation d’un ensemble de régions hémisphériques gauches superposables à l’aire corticale du langage avec, fait particulièrement frappant, quelques différences significatives selon les caractéristiques écrites de la langue maternelle [3, 4]. C’est ainsi que le défaut d’activation caractéristique des dyslexies dans les langues occidentales est sensiblement différent dans sa localisation par rapport à celle des dyslexiques chinois, chez qui la zone sous-activée est plus proche des centres de l’écriture que de ceux de la vision. En tout cas, en français, en anglais, comme en chinois, l’hypothèse phonologique est, jusqu’ici, l’hypothèse de loin la plus répandue.
Entre 2000 et 2004, un nombre considérable de travaux en imagerie cérébrale fonctionnelle ont établi les bases de ce qu’on peut aujourd’hui appeler une « neuroanatomie de la dyslexie » . Ces faits ont été consignés en une méta-analyse souvent citée de nos collègues du centre hospitalo-universitaire de Toulouse [5] auxquels est empruntée la Fig. 30-3.
Sur la Fig. 30-3, on observe que ce sont trois régions qui différencient le fonctionnement du cerveau d’un dyslexique par rapport aux normo-lecteurs; les trois régions sont des aires corticales de l’hémisphère gauche, deux d’entre elles sont connues pour leur implication dans le langage : l’aire de Broca ou cortex préfrontal inférieur et le carrefour temporopariétal (aire de Geschwind). La troisième est une région dont le rôle spécifique dans la lecture a été l’une des grandes révélations de la recherche de cette dernière décennie : l’aire de la forme visuelle des mots ou visual word form area (VWFA), située dans le gyrus fusiforme gauche, soit sur le bord inférieur de l’hémisphère gauche, à mi-distance entre le pôle temporal et le pôle occipital, à proximité donc du cortex visuel. Cette zone est considérée comme la zone responsable de l’attribution d’un statut linguistique aux stimuli visuels que représentent les suites de lettres lors de la lecture. Elle se spécialise lors des tout premiers moments de l’apprentissage de la lecture [6] et semble la partie du cerveau la plus significativement sous-activée chez les enfants et adultes dyslexiques (en tout cas dans les langues dites alphabétiques). Depuis lors, plusieurs méta-analyses [7] sont venues confirmer que ces trois zones sont activées lors de la lecture et/ou lors de tâches phonologiques orales ou visuelles (dire si deux mots lus riment ou non) et qu’elles dysfonctionnent chez le dyslexique. Toutefois, dire que ces zones dysfonctionnent n’a pas nécessairement valeur de mécanisme causal, puisque cela pourrait être seulement dÛ à une sous-utilisation de ces régions, qui serait la conséquence plutôt que la cause du problème.
Fig. 30-3 Activations corticales de l’hémisphère gauche lors de la lecture de mots chez un sujet dyslexique (a) et chez un sujet témoin (b) d’après Demonet et al. [5] et Richlan et al. [7].
En jaune : aire de la forme visuelle des mots (VWFA) ; en vert : cortex frontal latéral inférieur (aire de Broca) ; en rouge : carrefour temporopariétal (aire de Geschwind). Le trait en pointillé montre le trajet sous-cortical du faisceau arqué et son développement plus faible chez le dyslexique.
Dans cette quête de la compréhension des mécanismes sous-jacents, certains travaux ont précisément tâché d’écarter ce biais en comparant des sujets d’âges différents, montrant en particulier que les anomalies constatées étaient toujours visibles lorsqu’on compare les dyslexiques à des témoins de même âge de lecture (et non plus seulement de même âge chronologique). De cette manière, on a pu affirmer que les anomalies d’activation cérébrale du dyslexique ne sont pas la conséquence d’un défaut d’exercice de la lecture [8]. Mais les travaux les plus instructifs à cet égard sont certainement ceux qui vont chercher l’anomalie éventuelle avant même l’âge d’apprentissage de la lecture. Dès lors, si une anomalie significative est décelée, elle a toutes les chances de se voir attribuer un rôle causal. C’est ce qui a pu être démontré dans une série de travaux fondés sur l’idée d’un déficit de perception auditive très précoce à l’origine des troubles phonologiques responsables de la dyslexie [9, 10].
Bien qu’elle se heurte aux mêmes problèmes de causalité que celle utilisant l’imagerie fonctionnelle, la recherche utilisant l’imagerie morphologique est a priori, encore plus que cette dernière, réputée susceptible d’apporter des informations d’ordre étiologique. Nous ne ferons que rappeler les études neuropathologiques aujourd’hui historiques ayant mis en évidence des anomalies de la maturation micro- et macroscopique des zones corticales du langage de même que les études initiales en imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau de personnes dyslexiques, ayant montré une asymétrie atypique de ces mêmes aires : voir pour revue [1] et [5]. C’est surtout la méthode plus récente d’imagerie de diffusion (diffusion tensor imaging [DTI]) qui a apporté les informations les plus pertinentes et surtout les plus concordantes entre les différentes études. Grâce à la possibilité qu’elle offre de reconstruire avec une grande précision la structure des faisceaux de substance blanche, la DTI a permis de réaliser que c’est au niveau sous-cortical, et non cortical, que se situent les anomalies les plus significatives et les plus constantes du point de vue de la morphologie cérébrale du dyslexique, plus précisément au niveau des fibres sous-jacentes au cortex temporopariétal gauche, incluant en particulier un faisceau déjà bien connu pour son rôle dans le langage, le faisceau arqué (Fig. 30-3). Il existe à présent une dizaine d’études séparées qui convergent pour montrer que le faisceau arqué est la structure cérébrale la plus significativement différente entre un cerveau de dyslexique et des témoins non dyslexiques, la différence portant sur l’organisation spatiale des fibres à l’intérieur du faisceau (anisotropie) mais aussi sur le volume même de ce faisceau. En outre, il a été démontré que l’intensité de ces anomalies est proportionnelle au degré d’altération individuelle sur des tâches cognitives impliquant la lecture et la phonologie, suggérant ainsi fortement un lien entre ces particularités anatomiques et le mécanisme sous-jacent au trouble de la lecture [11]. En outre, elles seraient préexistantes à l’âge d’apprentissage de la lecture et liées à la présence de gènes de susceptibilité impliqués dans les études de liaison génétique dans des familles de dyslexiques [12]. Finalement, toutes ces études concourent à prouver l’existence d’un défaut de connectivité entre les différentes zones cérébrales impliquées dans la lecture et démontrées comme dysfonctionnelles dans les travaux d’imagerie fonctionnelle décrits ci-dessus.
Suite à ces constatations, plusieurs équipes distinctes ont développé l’idée que le trouble pourrait se situer de manière plus générale au niveau de l’incapacité du cerveau du dyslexique à faire coïncider des stimuli de nature différente, comme l’image visuelle d’une lettre (graphème) et son correspondant sonore (phonème). Plusieurs travaux récents [13] ont ainsi insisté sur le caractère multisensoriel du déficit, mettant l’accent sur le fait que c’est l’intégration entre les stimuli auditifs (phonétiques) et visuels (graphémiques) qui serait la base du déficit chez les dyslexiques, par exemple en empêchant la distribution des ressources attentionnelles entre les deux modalités [14].
Ainsi, la dyslexie peut se concevoir comme un défaut de mise en relation des engrammes sensori-moteurs de la parole avec la représentation auditive des phonèmes de la langue. Qu’en est-il des autres entités, par exemple la dyscalculie ou la dysgraphie? L’enfant dyscalculique, pour sa part, est dans l’impossibilité d’entrer dans l’apprentissage du calcul pour une raison actuellement bien acceptée : l’incapacité à se représenter mentalement les quantités signifiées par les nombres. En d’autres termes, un enfant, ou un adulte, dyscalculique est capable de connaître les mots afférents au langage numérique, les noms des chiffres, la syntaxe des nombres, la signification des opérations, mais ne peut transformer ces symboles en des concepts ayant une réalité numérique, c’est-à-dire représentant une quantité. Un enfant dysgraphique, pour sa part, n’est pas capable d’automatiser convenablement le geste distal de la main requis pour former des lettres, ce qui se fait de manière également assez rapide et instinctive chez la majorité des enfants, sans doute parce que la composante sonore et linguistique des lettres ne peut entrer en relation avec la représentation du geste nécessaire à leur transcription écrite. Dans ces deux cas, on peut donc concevoir le trouble comme une dysconnectivité entre un module linguistique et un autre module, celui de la représentation abstraite des quantités pour la dyscalculie, et celui de la représentation des gestes moteurs d’écriture pour la dysgraphie.
Il existe donc, à travers la littérature la plus récente, un large éventail de données suggérant d’orienter les remédiations et rééducations des enfants dyslexiques, non plus seulement sur la nature auditive ou visuelle du trouble mais sur son aspect intermodalitaire, en favorisant autant que possible l’activation simultanée de canaux sensoriels différents. Par exemple, plusieurs équipes ont retrouvé une amélioration de la lecture chez des dyslexiques après 5 semaines d’un entraînement quotidien sur des jeux de type game-boy où l’enfant devait associer systématiquement des sons non verbaux avec des traits représentant la hauteur, la durée et l’intensité de ces sons [15].
Une application thérapeutique inédite de ces nouvelles conceptions propose d’utiliser l’apprentissage musical, et tout particulièrement l’apprentissage d’un instrument de musique, dans le but, en quelque sorte, de « remodeler » le cerveau dyslexique [16].
[1] Habib M, Giraud K. Dyslexia. In : Dulac O, Lassonde M, et al. Eds. Handbook of clinical neurology. Vol. 111 : pediatric neurology. Amsterdam : Elsevier ; 2013, p. 229-36.
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[16] Habib M, Lardy C, Desiles T, et al. Music and dyslexia: a new musical training method to improve reading and related disorders. Front Psychol 2016 ; 7 : 26.
L. Vaivre-Douret
Copier un dessin, s’habiller, nouer un lacet peut être « mission impossible » pour un enfant atteint de dyspraxie, demandant chaque fois une concentration soutenue et des stratégies gestuelles considérables, d’où une lenteur souvent exaspérante. Pour les autres, c’est un geste presque automatique. Pour lui, chaque mouvement nécessite des efforts et donc une plus grande fatigue.
Dès lors, tout est prétexte à brimer l’enfant dyspraxique et à le tenir à l’écart : un cahier mal tenu, une écriture peu lisible ou irrégulière, un dessin qui ressemble à un gribouillis, des maladresses en sport ou dans les jeux, une difficulté à se repérer dans une page ou à poser les opérations. Il est cependant perçu comme intelligent et souvent pertinent à l’oral. Il masquera ainsi son handicap derrière un désintérêt pour le sport, les activités manuelles, au risque d’être repéré tardivement.
La dyspraxie développementale, ou trouble de l’acquisition de la coordination (TAC), est encore trop méconnue ou peu reconnue, alors que ses conséquences sont non négligeables. Elle apparaît souvent comme un « fourre-tout » englobant instinctivement maladresse et troubles de la coordination globale, et est souvent mise sur le compte de l’immaturité ou d’un retard de développement. Elle peut être à l’origine de difficultés d’apprentissage scolaire (graphomotricité, mathématiques, etc.) chez des enfants, par ailleurs, intelligents, et de trouble du comportement, d’inadaptation sociale et émotionnelle. Elle peut être par ailleurs confondue avec des troubles de la perception visuelle. De façon générale, l’acuité visuelle ne pose pas de problème.
Le TAC perturbe l’action motrice d’un geste intentionnel, sans atteinte lésionnelle neurologique avérée, et ne peut être expliqué par un retard mental, un déficit sensoriel ni par un trouble du développement psycho-affectif. Il touche spécifiquement la réalisation gestuelle et/ou l’organisation visuospatiale mais, au regard de la littérature, il n’existe toujours pas de consensus sur sa définition et ses dysfonctionnements d’un point de vue étiologique.
Plusieurs termes ont été employés pour décrire cette perturbation motrice depuis 1900 qui évoquait la « maladresse congénitale » [1].
L’essor de la neuropsychologie adulte a eu des répercussions sur la neuropsychologie infantile, en tentant de calquer des termes comme celui de l’apraxie utilisé chez l’adulte porteur d’une lésion cérébrale acquise. Cependant, la dyspraxie ou TAC est un trouble spécifique neurodéveloppemental impliquant des difficultés d’apprentissage de tâches motrices ou de gestes non habituels (nouvelle habileté), et est définie comme une difficulté de n’avoir jamais acquis l’habileté à l’âge approprié, avec des troubles pour automatiser les gestes. Un consensus international tenu à Londres en 1994 a statué pour recommander l’utilisation de l’expression trouble de l’acquisition de la coordination (TAC) ou developmental coordination disorder (DCD) dans les recherches et la pratique pour identifier des enfants avec des déficits mineurs de la coordination motrice d’origine développementale. Depuis 1994, il est spécifié dans le DSM (actualisé dans la dernière version DSM-5), dans le cadre des « troubles des habiletés motrices » avec quatre critères :
l’acquisition ou l’exécution de la coordination motrice est nettement au-dessous du niveau escompté compte tenu de l’âge chronologique et des opportunités pour l’apprentissage et la mise en pratique de nouvelles habiletés. Les difficultés se manifestent par de la maladresse, une vitesse d’exécution lente ou de mauvaises performances dans les habiletés motrices (attraper un objet, utiliser des ciseaux, écrire, faire du vélo ou participer à une activité sportive);
la perturbation de l’habileté motrice selon le critère A interfère de façon significative et persistante avec la performance dans les activités de la vie courante appropriées à l’âge chronologique (c’est-à-dire, hygiène personnelle, etc.) et a un impact sur la réussite scolaire, sur les loisirs et les jeux;
les premiers symptômes apparaissent tôt dans la vie de l’enfant;
les difficultés d’habiletés motrices ne sont pas mieux expliquées par un déficit intellectuel (ou trouble du développement intellectuel) ou un problème visuel et ne sont pas attribuables à une condition neurologique (paralysie cérébrale, dystrophie musculaire, maladie dégénérative, etc.).
La prévalence serait de 6 % entre 5 et 11 ans et l’incidence des TAC serait plus importante chez les garçons que chez les filles. Selon la classification internationale des maladies ou CIM-10 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il existe une classification de « troubles spécifiques du développement moteur » . Il apparaît donc que le TAC reste peu précis, sans typologie définie, rendant difficilement compréhensible la nature des troubles et des mécanismes en jeu.
Différents types de travaux cliniques et de recherche, surtout anglo-saxons, ont tenté de réaliser des classifications des troubles de la coordination [1].
De façon générale, les évaluations visuoperceptive et/ou visuospatiale sont très peu investiguées dans les études internationales, ce qui ne permet pas de mettre en évidence la spécificité de la dyspraxie visuospatiale; seules quelques études ont associé des tests visuo-perceptivo-moteurs. En outre, la limitation dans le choix des tests utilisés dans la majorité des études, souvent des tests de performance motrice globale (c’est-à-dire batterie M-ABC2. , test de Lincoln-Oseretsky, test de Rogé), ne permet pas de mettre en évidence une sémiologie fine et spécifique de sous-types, ni de souligner les comorbidités et les troubles neurologiques mineurs associés. Il ressort de ces études un seul groupe commun porteur de toutes les difficultés motrices, globales et fines. Ainsi, des études récentes, évaluant d’une part la maturation des fonctions neuropsychomotrices avec des outils standardisés développementaux [2, 3], et d’autre part les fonctions cérébrales d’un point de vue neuropsychologique (perception visuelle, perception visuomotrice, attention, mémoire, etc.), ont permis une avancée pour définir les dysfonctionnements spécifiques d’un point de vue diagnostique en fonction des typologies [4, 5, 6] et de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques en jeu.
2. Batterie M-ABC : batterie d’évaluation des mouvements chez l’enfant (adaptation française du « Movement ABC » (2004), R. Soppelsa et J.-M. Albaret – ECPA). Il s’agit d’un outil simple d’utilisation dont la passation est d’environ 30 minutes. C’est la référence pour l’évaluation du développement psychomoteur et des capacités psychomotrices. Dextérité manuelle, maîtrise de balles, équilibre statique et dynamique sont complétés par un questionnaire sur les activités motrices quotidiennes.
L’apport d’évaluations standardisées permet de faire un diagnostic différentiel indispensable. De plus, il est important d’écarter un retard psychomoteur lié au milieu, à un déficit mental global, à des difficultés psycho-socio-affectives, à des troubles du comportement d’origine psychopathologique ou à un trouble ou maladie neurologique avéré. Les éléments recueillis au cours de l’anamnèse, ainsi que ceux issus des données médicales sur la période périnatale et le développement psychomoteur permettent de rendre compte d’un trouble de l’acquisition de la coordination motrice survenu tôt (critères A et C du DSM-5).
Les observations comportementales de l’enfant (selon le critère B du DSM-5) sont précieuses; elles sont recueillies éventuellement à partir de questionnaires et en interrogeant les parents sur les activités quotidiennes de l’enfant au niveau des repas (maladresse), en matière d’autonomie pour l’habillement (gauche/droite, boutonnage, etc.), sur les activités ludiques (jeu de construction, puzzles, etc.), de loisirs, sportives (natation, vélo, etc.) et scolaires.
La confirmation du diagnostic de TAC (ou dyspraxie développementale) est étayée par l’ensemble de ces données ci-dessus et les résultats des différents examens cliniques (psychologique, neuropsychologique et neuropsychomoteur) qui peuvent être menés par le neuropsychologue et complétés plus particulièrement par le psychomotricien et l’ergothérapeute sur la partie des fonctions psychomotrices.
Au regard de l’examen psychologique psychométrique [5], la majorité des enfants porteurs d’un TAC se situe dans la moyenne normale des quotients d’intelligence au Wechsler (QI 100 + 15), voire parfois au-dessus de la moyenne, et porteur d’un haut potentiel (> 130).
Le QI verbal diffère souvent du QI de performance avec une différence d’au moins 15 points en faveur du QI verbal (moyenne de 18 points). Certains « subtests » sont significativement en échec (p < 0,05). À noter que, suivant les versions du Wechsler, des subtests sont en option ou supprimés dans les récentes versions WPPSI-III et WISC IV : Assemblage d’objets, Figures géométriques, Arithmétique, Carrés, Complément d’images pour le WPPSI-R et III et Assemblage d’objets, Cubes, Codes et Arithmétique pour le WISC II et IV (à partir de 6 ans) et abaissent considérablement le QI global.
Ainsi, la différence significative touchant particulièrement ces subtests est une indication importante à prendre en compte (par exemple le subtest Cube qui serait autour de la moyenne, alors que tous les autres sont entre 16 et 19). Les récentes versions du Wechsler ont sensiblement peu de subtests mettant en évidence les difficultés praxiques et en jeu les rapports spatiaux, ainsi il est essentiel de compléter l’examen psychologique par des épreuves neuropsychomotrices.
Les épreuves motrices et psychomotrices sont souvent évaluées par des épreuves de performances issues de la batterie du M-ABC (différentes suivant l’âge), du test de Lincoln- Oseretsky ou des épreuves motrices de la NEPSY (A Developmental NEuroPSYchological Assessment; gestes séquentiels, imitations de positions des mains, taping, etc.) avec un score global peu informatif pour comprendre la nature des troubles.
Il est préférable d’évaluer la maturation des fonctions neuropsychomotrices (tonus, latéralité, coordination dynamique et statique, praxies, gnosies, dextérité manuelle, attention sélective et soutenue, adaptation aux rythmes, intégration spatiale du corps) par des épreuves simples, étalonnées et développementales (identiques quel que soit l’âge) et prenant en compte des mesures qualitatives et quantitatives dans le score afin de mettre en évidence la sémiologie selon la fonction qu’elles explorent [2]. Le tonus (par l’examen du tonus passif, au niveau des membres et axe du corps, et d’action par les syncinésies) met souvent en évidence de discrètes anomalies neuromotrices (hypotonie, hypertonie spastique, dysdiadococinésies) passées inaperçues [7].
Si l’examen du tonus n’est pas réalisé par le psychologue ou le psychomotricien, un examen médical neurologique doit être systématiquement demandé.
D’un point de vue neuropsychologique, les fonctions perceptivomotrices doivent être particulièrement évaluées :
structuration visuospatiale (figure de Rey);
intégration :
visuomotrice : copies de figures, visual motor integration (VMI), NEPSY;
visuoconstructive : cubes de Khos ou subtest Cube du Wechsler, cubes de la NEPSY, praxies tridimensionnelles de Benton, construction en 2D avec le test des bâtonnets, etc.;
visuospatiale attentionnelle avec une épreuve de barrage : OdéDys (Outil de DÉpistage des DYSlexies), NEPSY, Cloches, O, etc.; flèches de la NEPSY.
Les épreuves perceptives visuelles (tests Frostig, DTVP2, batterie Vaivre-Douret en cours d’élaboration), attentionnelles (TEA-ch, NEPSY, NP-MOT, Stroop, appariement d’images, etc.), mnésiques (Wechsler, NEPSY, OdéDys, etc.) et des fonctions exécutives (NEPSY, labyrinthes, tour de Londres, etc.) doivent être investiguées afin de mettre en exergue une comorbidité éventuelle. L’écriture est souvent évaluée avec le test BHK [8] qui note essentiellement la performance de l’écriture (vitesse et qualité en score de dégradation) classant souvent l’enfant comme dysgraphique alors qu’il apparaît nécessaire de prendre en compte la maturation du geste comme dans l’échelle d’Ajuriaguerra. Au niveau de l’examen oculomoteur, l’enregistrement oculographique des mouvements des yeux peut retrouver des anomalies (le simple examen clinique des poursuites et des saccades n’est pas pertinent car imprécis et subjectif) : il existe souvent des anomalies de poursuite horizontale et verticale sous une forme souvent saccadique avec décrochage [4, 5, 9, 10], alors que celles-ci doivent être chez le sujet normal respectivement matures à 7 ans pour la poursuite horizontale et seulement entre 10 et 12 ans pour la verticale [11]. Ainsi les stratégies de regard et l’automatisation gauche-droite sont défaillantes, pénalisant l’accès aux informations présentées visuellement (saut de mot ou de ligne en lecture, à l’écrit, erreur de dénombrement, etc.). L’absence d’automatisation des stratégies du regard rend donc la prise d’informations visuelles très coÛteuse et, de plus, il peut coexister un défaut de fixation du regard.
Par conséquent, des examens ophtalmologique et orthoptique doivent être systématiques. L’examen ophtalmologique dans la plupart des cas est normal. Il peut exister une anomalie du système visuel sensoriel (troubles réfractifs; parfois on retrouve des potentiels évoqués visuels [PEV] anormaux lorsqu’ils sont pratiqués chez certains patients) et du système visuel moteur. L’examen ophtalmologique avec réfraction sous cycloplégie est bien sÛr indispensable; l’examen oculomoteur avec enregistrement des mouvements des yeux (vidéo-oculographie) peut être utile en complément.
Il est important d’écarter du diagnostic de TAC tout trouble sensoriel et perceptif visuel (examen neuropsychologique ou ergothérapique, orthoptique). Au niveau du bilan orthoptique, il peut apparaître des difficultés de convergence et de divergence, de fixation ainsi que des poursuites oculaires défaillantes, même si cela ne signifie aucunement qu’il y a une imputabilité de ces anomalies dans la genèse de la dyspraxie, pas plus que cela n’implique qu’une rééducation ou un traitement de celles-ci soit utile en la matière. De l’ensemble de ces évaluations dépendront les priorités du projet thérapeutique, en fonction des types de TAC associés et de la comorbidité.
À partir de l’inférence clinique et de la confirmation par l’analyse statistique en clusters [4, 5], deux sous-types purs de TAC ont été isolés sur la base d’une évaluation exhaustive neuropsychomotrice, neuropsychologique et neurovisuelle – idéomoteur pur (IM) et visuospatial et/ou constructif pur (VSC) – et un troisième groupe mixte, associant les deux types purs (IM et VSC) avec une comorbidité d’autres anomalies.
Le groupe idéomoteur pur est déficitaire (p < .05) sur : les gnosies digitales et les praxies digitales avec une lenteur d’exécution; les gnosopraxies [3]; le plan du contrôle postural, de l’intégration spatiale du corps, l’absence de quatre pattes (65 %) et de l’oculomotricité au niveau des poursuites visuelles (horizontale et verticale) et de l’écriture. Les variables diagnostiques les plus discriminatives étant les gnosies digitales, les praxies digitales et les gnosopraxies [6]. Les difficultés sont sur des mouvements non habituels ou séquentiels, évoquant d’un point de vue sémiologique un déficit de planification motrice lié en partie à des anomalies somatosensorielles et de régulation du contrôle du tonus troublant la proprioception, ainsi qu’au niveau de la programmation motrice. Cela implique des structures sous-corticales dont le thalamus [4], les noyaux de la base et du cervelet en accord avec Lundy-Ekman [12].
Le groupe visuospatial/constructif pur (qui peut éventuellement se distinguer en deux groupes) est associé à un trouble de l’habillage et est caractérisé significativement par un déficit (p < 0,05) de l’intégration visuomotrice, de la structuration visuospatiale motrice et visuoconstructive (qui sont les variables diagnostiques les plus discriminatives [6]), des difficultés pour les jeux de construction Lego® et puzzles, l’arithmétique et la dysgraphie, les poursuites visuelles verticales, mais aucun trouble perceptif visuel n’est significatif. Il apparaît donc significativement dans le groupe VSC des troubles spécifiques perceptivomoteurs, associés à des troubles de la poursuite oculaire, et non visuoperceptifs ou neurovisuels perceptifs sensoriels avérés. Les PEV et l’électrorétinogramme (ERG) étant aussi quasi normaux dans ce groupe, cela confirme l’absence de troubles neurovisuels sensori-perceptifs. Il est à noter que dans ce groupe VSC pur, il n’existe pas de troubles de la coordination motrice globale mais des difficultés visuomotrices. De plus, il est observé dans ce groupe un taux de troubles de la réfraction visuelle (myopie, astigmatisme, hypermétropie) plus important (53 %) [4] qui peut avoir éventuellement un impact sur l’attention visuelle et visuospatiale, mais cela n’explique pas le trouble VSC.
Ces résultats [4, 5] sont en accord avec ceux de Lundy-Ekman [12] mettant plutôt en évidence, dans le groupe VSC, une sémiologie de dysfonctionnements développementaux des mécanismes sous-corticaux et du cervelet influençant secondairement les fonctionnements des régions corticales.
Les seuls troubles neurovisuels identifiés concernent des troubles oculomoteurs de la poursuite oculaire [4, 5,10] et peuvent concerner des troubles de la partie ventrolatérale du thalamus comme le suggère Tanaka [13] et une étude d’Ingster-Moati [9].
Le groupe mixte associe les dysfonctionnements IM et VSC significativement caractérisés par des troubles neuromoteurs et moteurs : syncinésies, dysdiadococinésie, dextérité manuelle, praxies bimanuelles et coordination dynamique globale, entre membres supérieurs et inférieurs (variables diagnostiques les plus discriminatives [6]), praxies bucco-linguo-faciales ainsi qu’une comorbidité d’anomalies cognitives (fonctions exécutives, mnésiques, attentionnelles, etc.).
Il a été mis en évidence (35 % selon Vaivre-Douret [4]) dans les groupes VSC et mixte, une comorbidité de troubles discrets (spasticité distale au niveau du triceps sural et troubles neuromoteurs ou soft signs) de la commande motrice d’origine pyramidale; ils sont souvent non identifiés et peuvent prêter à confusion avec un trouble global de la coordination, d’où l’importance de l’examen du tonus. Ainsi, dans le groupe VSC, un trouble de la motricité globale, d’origine neurologique et non spécifique au TAC, peut être associé. Cela touche essentiellement l’hémicorps gauche [7]. De façon générale, la détection de ces troubles mineurs de dysfonctionnement neurologique discret de la commande motrice est le marqueur d’une augmentation significative de la perturbation motrice qui n’est pas attribuable au TAC (critère D du DSM-5) d’un point de vue étiologique, mais qui peut être associé au TAC en tant que comorbidité.
La prise en charge de l’enfant porteur d’un TAC ou de plusieurs dyspraxies développementales s’organise au cas par cas en fonction du ou des types de TAC dépistés et des troubles associés éventuels.
Les principes généraux de conduites thérapeutiques sont essentiellement des mesures de : rééducation sensori-motrice et psychomotrice; rééducation de la cognition, de la structuration, de l’organisation et de l’adaptation spatiale et de l’abord des difficultés affectives.
La prise en charge en rééducation psychomotrice est essentielle, surtout si l’enfant est jeune, et vise à combler l’intégration proprioceptive du schéma corporel. Cette véritable expérience du corps propre permettra peu à peu à l’enfant de l’établir comme repère spatial fondamental. L’enfant pourra s’appuyer sur ses connaissances topographiques, corporelles pour les appliquer peu à peu à la topographie des objets et de l’espace de la feuille par exemple.
La coordination fine peut être spécifiquement travaillée [14] ainsi que la préparation de l’organisation du geste graphique, selon les méthodes d’Ajuriaguerra.
Des approches thérapeutiques différentes peuvent être proposées, essentiellement de type sensori-moteur ou cognitivomoteur. Cette dernière approche consiste plutôt dans l’emploi de stratégies cognitives permettant l’acquisition d’habiletés [15].
De façon générale, il est nécessaire d’encourager, dans toutes les remédiations, une prise d’information sous un mode auditivoverbal plutôt que visuel, en verbalisant les actions pour en étayer l’apprentissage chez ces enfants dont le canal visuomoteur dysfonctionne et en sollicitant l’imagerie mentale.
La prise en charge ergothérapique peut venir compléter la prise en charge psychomotrice à un moment donné, ou la suppléer afin d’aider l’enfant dans la planification de ses gestes quotidiens, dans l’organisation et l’adaptation visuospatiale et l’organisation du regard, la réalisation du geste praxique et pour travailler éventuellement la pratique du clavier d’un ordinateur et mettre en place les adaptations matérielles à la maison comme à l’école.
La prise en charge orthoptique se conçoit au plan du diagnostic lors de l’évaluation des capacités visuelles sensorielles et motrices, en complément de l’examen ophtalmologique; l’orthoptiste peut réaliser un bilan neurovisuel approprié aux TAC. Il n’y a pas en revanche encore d’intérêt démontré d’une rééducation orthoptique neurovisuelle spécifique dans ce cadre, même si l’évaluation des prises en charge donnera certainement des réponses pertinentes à l’avenir.
Les troubles cognitifs et neurovisuels spécifiques pourront être pris aussi en charge par un neuropsychologue.
Si l’enfant ne présente pas de troubles associés importants freinant ses acquisitions scolaires, dont des troubles moteurs, il pourra bénéficier plus efficacement d’une prise en charge sollicitant la gestion mentale pratiquée par thérapeute formé. Cette prise en charge spécifique lui permettra de découvrir ses processus mentaux à partir d’évocations d’images mentales visuelles, auditives et verbales lui offrant une meilleure prise d’information pour résoudre sa tâche, le but étant d’utiliser des moyens de compensation par des stratégies mentales afin de combler ses difficultés.
Des conseils de conduite générale peuvent être donnés aux parents et aux enseignants pour faciliter les apprentissages [16].
L’orthophonie est mise en route en cas de dyscalculie ou de troubles du langage écrit.
Une prise en charge psychothérapique est proposée en cas de perturbation psycho-affective avérée, d’état dépressif présent ou bien à un moment donné de la prise en charge rééducative afin d’aider l’enfant dyspraxique à préserver son estime de soi.
La présence d’une spasticité distale au niveau du triceps sural peut engendrer la nécessité d’une prise en charge en kinésithérapie afin d’ajuster les synergies musculaires et de corriger les ajustements posturaux.
D’un point de vue scolaire, des recommandations d’apprentissage peuvent être proposées [16] et un tiers temps supplémentaire peut être demandé pour les contrôles et examens académiques.
Dans le cas d’une typologie de TAC mixte, une aide individuelle scolaire (AVS) peut être utile ainsi que l’usage d’un ordinateur portable en cas d’incapacité graphique. L’intégration dans une classe pour l’inclusion scolaire (CLIS) spécifique accueillant des enfants dyspraxiques peut être nécessaire en fonction des comorbidités associées au TAC.
Le TAC ou dyspraxie développementale est un trouble du geste intentionnel qui vise un but à atteindre dont la planification et/ou la programmation du mouvement est perturbée en amont de l’exécution du geste, essentiellement au niveau de l’intégration sensorimotrice et/ou visuospatiale. Les récents travaux de Vaivre-Douret [4, 5] ont permis d’une part, d’identifier une typologie de TAC et d’autre part, de mettre en évidence les marqueurs diagnostiques de ces typologies permettant de sélectionner les tests standardisés correspondant à ces marqueurs pour un diagnostic rapide.
Par ailleurs, le diagnostic a souvent un effet thérapeutique immédiat, car il soulage l’enfant et les parents d’une incompréhension d’un dysfonctionnement existant.
L’évolution de la prise en charge de l’enfant porteur d’un TAC dépend des capacités de compensation de l’enfant sur le plan cognitif (fonctions exécutives, d’attention et mnésiques) et langagier, et de son état psycho-affectif.
Le TAC justifie un travail en réseau pluridisciplinaire de praticiens en concertation avec l’école de l’enfant. Il est de plus indispensable que parmi l’équipe pluridisciplinaire, il y ait un référent professionnel de santé, médecin neuropédiatre ou neuropsychologue clinicien, qui puisse guider les différentes investigations, indiquer les orientations thérapeutiques prioritaires et suivre l’évolution de la prise en charge et de l’accompagnement.
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D. Gras, E. Maes, O. Boespflug-Tanguy, C. Bulteau
La dyspraxie est un trouble neurodéveloppemental impliquant une difficulté majeure à acquérir les praxies, qui sont des gestes volontaires dont certains sont acquis à la suite d’un apprentissage spécifique et dépendent de l’environnement culturel. Elle est définie sous le terme « trouble d’acquisition de la coordination » (TAC) pour la première fois dans le DSM-4 en 1994) et actualisée dans le DSM-5 en 2013 (Encadré 30-2). Les praxies impliquent l’enchaînement d’unités de séquences motrices permettant un geste harmonieux qui s’automatise après apprentissage. Ce processus est anormalement long et l’imitation semble peu efficiente [1]. Ces enfants offrent un contraste saisissant entre leurs difficultés gestuelles (habiletés motrices disharmonieuses, non automatisées) et leur aisance à l’oral témoignant de leur vivacité intellectuelle. Sensibles, plein d’imagination et d’humour, ils rendent la consultation du neuropédiatre très vivante et passionnante! La reconnaissance de ce trouble est un enjeu de santé publique compte tenu de sa forte prévalence (6 % avec prédominance de garçons) et des nombreuses comorbidités associées [2].
L’étiologie de ce trouble est encore largement méconnue. Les premières descriptions concernaient des enfants avec infirmité cérébrale motrice dont certains avaient une dyspraxie suggérant un continuum entre ces deux troubles moteurs [3]. Les récentes hypothèses évoquent un déficit spécifique du contrôle moteur et des réseaux neuronaux impliqués dans la programmation du geste [1].
Critères DSM-5 du trouble d’acquisition de la coordination (TAC)
L’acquisition ou l’exécution de la coordination motrice est nettement au-dessous du niveau escompté compte tenu de l’âge chronologique et des opportunités pour l’apprentissage et la mise en pratique de nouvelles habiletés. Les difficultés se manifestent par de la maladresse, une vitesse d’exécution lente, ou de mauvaises performances dans les habiletés motrices (attraper un objet, utiliser des ciseaux, écrire, faire du vélo, ou participer à une activité sportive).
La perturbation de l’habileté motrice selon le critère A interfère de façon significative et persistante avec la performance dans les activités de la vie courante appropriées à l’âge chronologique (c’est-à-dire hygiène personnelle, etc.) et a un impact sur la réussite scolaire, sur les loisirs et les jeux.
Les premiers symptômes apparaissent tôt dans la vie de l’enfant.
Les difficultés d’habiletés motrices ne sont pas mieux expliquées par un déficit intellectuel (ou trouble du développement intellectuel), ou un problème visuel et ne sont pas attribuables à une condition neurologique.
L’interrogatoire s’attache à l’histoire familiale et périnatale et la recherche de prématurité comme facteur de risque [4]. Ces enfants acquièrent le plus souvent la marche à un âge normal, parfois précédée d’un déplacement atypique. Les étapes d’acquisition des gestes quotidiens sont étudiées : habillage, manipulation des couverts, gestion de l’hygiène. L’énurésie, plus fréquente, doit être dépistée. La préparation matinale est un défi quotidien pour éviter une arrivée tardive à l’école avec une tenue partielle enfilée à l’envers. L’enfant dyspraxique est volontiers paré d’un survêtement et de baskets à scratch! La lenteur gestuelle (enfants considérés « à la traîne » , etc.) et la fatigabilité importante liée à la pénibilité de l’exécution de gestes sont fréquentes. Les jeux peuvent être révélateurs : manque d’attrait pour les jeux de construction, assemblages créés sans regarder les plans. La scolarisation va révéler la dyspraxie avec un refus ou un échec des tâches graphomotrices en grande section de maternelle puis une dysgraphie sévère en cours préparatoire (CP) qui entrave l’apprentissage de l’écriture : celle-ci ne s’automatise pas, reste coÛteuse et lente. La manipulation fastidieuse des outils scolaires aggrave le quotidien à l’école.
L’examen clinique doit être rigoureux et complet, à la recherche d’une pathologie pouvant rendre compte des troubles moteurs. La croissance est étudiée car ces enfants sont plus à risque de surpoids [5]. L’analyse de la motricité globale peut révéler une maladresse (saut unipodal, course, etc.). La latéralisation manuelle est peu marquée avec une surreprésentation de gauchers [6]. L’exécution de tâches motrices requérant précision et coordination (mouvements alternés des mains en pronosupination, mouvements séquentiels d’opposition doigts-pouce) est difficile. On observe alors la lenteur gestuelle et des syncinésies déclenchées sur la main controlatérale ou sur la sphère buccolinguale. Ces syncinésies qui disparaissent normalement après l’âge de 6 ans sont non spécifiques du TAC mais presque toujours présentes. D’autres mouvements anormaux peuvent être présents : tics, stéréotypies, etc. Une dictée permet d’apprécier la préhension de l’outil scripteur, la qualité et la vitesse d’écriture, la douleur liée à la crispation sur le stylo. Les troubles visuospatiaux ne sont pas systématiques mais fréquents : trouble de « coordination œil-main » , mauvais repérage dans l’espace, le regard est un « geste » que ces enfants utilisent mal. La poursuite oculomotrice est souvent non lisse, saccadique (seul l’enregistrement électroou vidéo-oculographique est capable de montrer de telles anomalies, l’examen clinique seul étant incapable subjectivement de mettre en évidence des poursuites saccadiques ou des saccades hypo-/hypermétriques, c’est-à-dire mal calibrées). Ces enfants ont des difficultés à se repérer sur les pages et interlignes, sont en échec en géométrie, peuvent présenter une dyscalculie, un trouble d’acquisition de la lecture secondaire aux troubles spatiaux. Certains enfants semblent « parasités » par les indices visuels qui ne les aident pas pour améliorer leur précision.
Les cahiers d’école apportés en consultation sont très parlants (Fig. 30-4).
Les comorbidités sont nombreuses. Plus de 50 % de ces enfants présentent un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) qu’il faut dépister [7]. La conversation avec l’enfant permet d’apprécier son niveau de compréhension, d’attention, la qualité de ses interactions. Les productions décevantes, la restriction de participation aux activités sociales, parfois l’échec scolaire ont un impact psychologique important : faible estime de soi, prévalence élevée de troubles anxieux, altération de la qualité de vie [8]. Parfois des difficultés relationnelles à part entière sont présentes (autodépréciation, hétérogénéité du profil cognitif, haut potentiel verbal) voire des troubles plus marqués s’intégrant dans un trouble du spectre autistique.
Les troubles logicomathématiques sont fréquents [9]. Une dyslexie peut être présente. La présence de troubles du sommeil est notable, surtout en cas de TDAH associé (syndrome des jambes sans repos, etc.). Les praxies buccofaciales peuvent être affectées : bavage, difficultés à la diversification, retard de parole. Certains enfants ont une véritable dyspraxie verbale rendant leur discours inintelligible, alourdissant considérablement leur trouble.
L’évaluation neuropsychologique permet de conforter le diagnostic de TAC. Ce bilan comprend une évaluation psychométrique, des épreuves ciblées sur la dextérité manuelle, les aspects gnosiques et visuospatiaux et les praxies constructives(Fig.30-5.).
Une consultation d’ophtalmologie est systématique au vu de la prévalence importante de troubles de réfraction [10], ainsi qu’un bilan neurovisuel étudiant les aspects gnosiques, visuospatiaux et la stratégie visuelle exploratoire.
Fig. 30-4 Cahier, CM1 : dysgraphisme, dyscalculie spatiale.
La psychomotricité (intégration du schéma corporel, usage du canal auditivoverbal avec description orale des enchaînements moteurs, etc.) puis l’ergothérapie (apprentissage de l’outil informatique, stratégies de réalisation des gestes au quotidien, etc.) sont les pierres angulaires des prises en charge rééducatives. Les aménagements pédagogiques sont indispensables (qualité visuelle des cours, tableau vertical facilitant l’exploration du regard, etc.), avec une large place pour l’outil informatique à l’école : prise de notes au clavier réduisant le coÛt cognitif induit par l’écriture manuelle, logiciels adaptés (pour la géométrie par exemple), scanner à main. Une « rééducation » orthoptique est fréquemment proposée (utilisation du regard, coordination dite « oculomanuelle » ), mais ses indications et son intérêt éventuel restent à préciser, sachant d’ailleurs que l’entrée visuelle est défaillante dans les dyspraxies visuospatiales, ce qui fait préférer l’entrée auditive et/ou verbale dans la prise en charge [11]. L’orthophonie est utile en cas de trouble du langage écrit. Un accompagnement psychologique peut être indiqué, en sachant que l’explication du trouble est bien souvent en elle-même thérapeutique en donnant du sens aux difficultés rencontrées. Le lien avec l’école est majeur, pour éviter des attitudes pouvant aggraver les difficultés chez ces élèves déconcertants, guider les aménagements pédagogiques, aider à l’orientation scolaire selon le profil de l’enfant.
Fig. 30-5 Extrait de cahier et résultats du bilan neuropsychologique d’un enfant de 9 ans et 8 mois.
Développement psychomoteur normal. Strabisme précoce convergent alternant. Suivi ophtalmologique et orthoptique précoce. Hypermétropie forte et astigmatisme. Difficultés de motricité fine dès la maternelle. Apprentissage aisé de la lecture. Cliniquement : lenteur gestuelle, syncinésies et strabisme persistant. a. Échelle du WISC-IV : profil cognitif très hétérogène : 34 points d’écart entre l’indice de compréhension verbale (ICV) et l’indice de raisonnement perceptif (IRP) au détriment de l’IRP. Indice de vitesse de traitement (IVT) très déficitaire soulignant la lenteur d’exécution. Indice de mémoire de travail (IMT) bas expliqué par la fluctuation attentionnelle. QIT : quotient intellectuel total. b1. Figure de Rey. b2. Copie imparfaite de la Figure de Rey. Grande pauvreté de la reproduction (–3 ET) avec un type de construction inadaptée pour son âge (type V) majorés par l’impulsivité. c. BHK : épreuve de copie illustrant la dysgraphie. Vitesse de copie : 112 caractère (moyenne [M] –1,5 ET) ; qualité de l’écriture (M –2 ET).
Les critères diagnostiques actuels du DSM-5 manquent de précision et les hypothèses physiopathologiques sont à étayer par des approches méthodologiques rigoureuses englobant examen clinique précis et bilan neuropsychologique standardisé [12]. Certaines hypothèses sont prometteuses, notamment celle d’un défaut de modélisation interne (comparaison entre le mouvement prédit et le mouvement en cours) impliquant le lobe pariétal [13]. La prévalence très élevée d’un TDAH associé questionne aussi sur le rôle des fonctions exécutives dans l’émergence de la dyspraxie, notamment par défaut de contrôle inhibiteur impliquant le réseau frontopariétal, et participe potentiellement aux stratégies d’exploration visuelle peu efficientes de ces enfants [14]. Une meilleure compréhension de la dyspraxie ou TAC est un enjeu majeur pour améliorer sa prise en charge, compte tenu de sa forte prévalence, des retentissements multiples qu’il engendre, de ses fortes comorbidités, et de la durée du trouble qui persiste au cours de la vie [15].
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A. De Saint-Martin
Au-delà de la simple détection d’un stimulus visuel, la vision permet de reconnaître son environnement, d’interagir afin de pouvoir imiter, d’ajuster ses gestes, de se repérer dans l’espace, mais également de reconnaître le langage écrit ou tout autre symbole écrit. On conçoit donc qu’une altération précoce de ces fonctions, qu’elle soit lésionnelle ou développementale, puisse retentir à un degré variable sur le développement de la posture et la régulation des gestes fins, mais également sur les apprentissages de la vie quotidienne et scolaires, et parfois sur les interactions sociales de l’enfant [1].
Les déficits cognitifs visuels (aussi appelés troubles neurovisuels ou troubles visuels centraux) se définissent par un déficit du traitement de l’information visuelle consécutif à un dysfonctionnement des voies rétrochiasmatiques et/ou des aires corticales primaires et associatives dédiées. Ces déficits peuvent affecter, à des degrés divers, le champ visuel (scotome, vision tubulaire, hémianopsie), l’attention visuelle (négligence spatiale), le repérage spatial, les capacités constructives, la reconnaissance des objets, des visages, des émotions (agnosie visuelle, prosopagnosie), la coordination visuomotrice. Ils sont souvent associés à des troubles oculaires sensori-moteurs chez l’enfant [2].
Ces troubles sont mieux diagnostiqués chez l’enfant depuis le développement de la neuropsychologie de l’enfant, et ont été bien décrits en cas de lésions cérébrales précoces (leucomalacie périventriculaire du grand prématuré, lésions occipitales néonatales anoxiques ou séquellaires d’hypoglycémie, syndrome de Silverman) : 60 à 70 % de ces enfants présentent des troubles neuro-ophtalmologiques associant, à des degrés divers, des troubles oculomoteurs, une altération de l’acuité visuelle, des troubles visuoperceptifs, constructifs, gnosiques, ou de la coordination oculomanuelle [3]. Par ailleurs le suivi neuropsychologique systématique de cohortes d’enfants prématurés de moins de 32 semaines d’aménorrhée (SA) a révélé une forte prévalence de troubles cognitifs visuels, avec ou sans lésion cérébrale identifiée [3, 4]. Enfin, ces déficits peuvent également être révélés chez des enfants nés à terme, sans lésion cérébrale identifiée, lors d’un bilan à la recherche d’un trouble d’acquisition de la coordination, d’une dyspraxie, d’une dyslexie; et parfois ces déficits sont retrouvés ou suspectés de manière isolée et fortuite, par le médecin, l’orthoptiste ou un autre professionnel soignant, amenant alors à élargir le bilan.
Les répercussions de déficits visuels centraux sont variées et touchent les activités de la vie quotidienne, avec un enfant décrit comme maladroit, qui a tendance à se cogner, tomber ou renverser facilement les objets. Ils peuvent perturber le développement des interactions sociales de l’enfant et être associés à des traits autistiques [5]. Enfin, ces déficits retentissent sur les apprentissages scolaires, la qualité du graphisme, la lecture et le calcul ou la géométrie (difficultés d’identification des lettres, du traitement de leur position spatiale dans les mots, ainsi que de la représentation mentale de leurs caractéristiques visuelles) [6, 7].
À l’inverse des troubles visuels centraux lésionnels acquis de l’adulte, ils ne sont pas identifiés par l’enfant qui s’est développé avec ces troubles. Le diagnostic est complexe et nécessite un bilan neuropsychologique adapté à l’âge de l’enfant, un examen ophtalmologique, et un bilan orthoptique sensori-moteur et fonctionnel. Il peut également nécessiter un bilan ergothérapique et/ou orthophonique en fonction des répercussions fonctionnelles observées. Il se fonde sur des appréciations cliniques, avec utilisation d’épreuves étalonnées (par exemple graphisme, gnosies visuelles, exploration visuelle, attention visuelle, discrimination, orientation spatiale, etc.).
Une batterie de dépistage des troubles visuo-attentionnels (échelle visuelle analogique [EVA]) a récemment été développée, à la demande du ministère de la Santé, à l’attention des médecins de santé scolaire, compte tenu de l’importance reconnue d’un dépistage précoce pour l’insertion scolaire de ces enfants [8, 9].
À l’heure actuelle, les modalités de prise en charge de ces troubles restent controversées et les approches rééducatives variées, dépendant bien sÛr du type de pathologie mise en évidence et diagnostiquée par le neuropédiatre. Habituellement, ces enfants sont plutôt rééduqués pour les conséquences fonctionnelles de ces déficits, par un(e) orthophoniste (difficultés du langage écrit, voire du calcul) ou par un(e) ergothérapeute dans certains cas, avec apprentissage de l’outil informatique (compensation). Dans certains cas, une remédiation neuropsychologique est proposée; elle est difficile d’accès, chez des professionnels non conventionnés et ne prenant pas en compte les troubles oculaires sensori-moteurs associés [10].
La rééducation orthoptique neurovisuelle (rééducation sensorimotrice complétée par une approche fonctionnelle neurovisuelle) apparaît être une réponse possible en pratique clinique. Cette rééducation a été développée initialement chez les enfants cérébrolésés, en réponse aux troubles visuels cognitifs variés, toujours associés à des troubles sensori-moteurs. Il ne s’agit en aucun cas d’une rééducation oculomotrice, mais la prise en charge orthoptique s’attache à remédier aux déficits identifiés, par des exercices ciblés sur différentes fonctions visuelles. Ainsi, un entraînement ciblé des déficits identifiés peut permettre une amélioration fonctionnelle [11]. Ces techniques de prise en charge complémentaire en cas de troubles neurovisuels sont encore peu connues des orthoptistes et requièrent cependant une évaluation plus large de leurs éventuels effets.
Outre les rééducations, il est prioritaire de reconnaître l’existence de ces déficits, d’informer la famille et l’école, afin d’aménager l’environnement et les supports visuels présentés à l’enfant. Selon Mazeau, « le dépistage, le diagnostic puis la prise en charge des enfants souffrants de troubles neurovisuels sont un objectif important, facilement atteignable dans de nombreux cas, et finalement très gratifiant dans la mesure où les aides et les ajustements scolaires sont souvent très efficaces chez ces enfants intelligents et motivés, améliorant notablement leur vie d’écoliers et leur pronostic social d’adultes. On éviterait ainsi une perte de temps, des échecs à des tâches mal adaptées et le découragement de l’enfant. L’importance de la vision dans l’épanouissement psychomoteur puis dans les apprentissages incite à détecter, soigner ou compenser les déficits le plus tôt possible » [12].
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H. Dalens
Depuis les années 1980-1990, les pathologies neurovisuelles (cérébral visual impairment des Anglo-Saxons) sont mieux connues et mises en évidence chez les enfants cérébrolésés [1].
Les progrès de la neuropsychologie infantile ont permis une meilleure compréhension des difficultés cognitives chez l’enfant et de leurs conséquences en milieu scolaire : les troubles des apprentissages. Dans les années 2000, les pathologies neurovisuelles sont retrouvées à des degrés variables chez des enfants présentant des troubles d’apprentissage. La normalité de l’examen ophtalmologique standard en général, les difficultés nosologiques en lien avec ces pathologies peu connues ont souvent donné un caractère ésotérique aux examens réalisés et aux prises en charge qui en découlent.
Le bilan neurovisuel doit réaliser une étude des différents éléments de la fonction visuelle, sur le versant sensoriel et sur le versant moteur, assimilant la vision à une voie practognosique.
Ce bilan s’effectue dans une pièce calme avec un environnement visuel peu chargé. L’interrogatoire fera préciser les conditions de la grossesse et de l’accouchement, les étapes du développement psychomoteur en s’attardant sur l’attrait de l’enfant pour les puzzles et les constructions type Duplo® ou Lego® et l’âge auquel il a regardé la télévision. On fait remplir aux parents le questionnaire de Dutton [2] qui permet de dépister les troubles neurovisuels dans le comportement quotidien.
Les examens détaillés ci-dessous seront étudiés.
Le recueil de l’acuité visuelle se fait en fonction de l’âge et du niveau cognitif en se méfiant des dissociations selon les optotypes. En effet, un enfant ne reconnaissant pas les images mais répondant à la localisation d’un optotype isolé type « E » est suspect d’une dysgnosie des images et celui qui lit des lettres et ne répond pas à la localisation dans l’espace de « E » est suspect de troubles visuospatiaux. Une vision des couleurs correcte est nécessaire pour les apprentissages premiers; on l’étudie avec le baby Dalton, dérivé du test d’Ishihara, pour lequel on fabrique, avec des jeux du commerce, un test d’appariement des couleurs primaires permettant de faire le diagnostic avec une anomie. La vision des contrastes doit être systématiquement étudiée, car de ses performances dépend la qualité de la vision. Elle peut être testée chez l’enfant avec les tests de Lea Hyvarinen, tests papier très performants, ou avec le logiciel AFTER (pour apport des filtres test d’évaluation rapide) d’Essilor®, très ludique mais qui n’est pas normé.
Le champ visuel est relevé à la coupole de Goldmann si l’âge et la coopération de l’enfant le permettent. Si ce relevé n’est pas réalisable, on utilise à partir de 4 ans un champ visuel attentionnel aux marionnettes où l’enfant doit dire dans les différents quadrants de l’espace quelle est la main qui bouge, les deux mains étant présentées de part et d’autre du visage (Fig. 30-6). Les champs visuels par confrontation nécessitent une meilleure coopération; on demande la localisation dans chaque quadrant du champ visuel d’une boule déplacée par un examinateur situé derrière l’enfant, alors qu’un second examinateur vérifie la fixation de l’enfant. Les épreuves utilisées doivent être normées. Dans le cadre des difficultés d’apprentissage, cet examen est particulièrement intéressant dans les séquelles de grande prématurité (atteintes du champ visuel inférieur témoignant d’une atteinte des radiations optiques) et dans les formes mineures d’hémiplégie cérébrale infantile (hémi- ou quadranopsie latérale homonyme).
La reconnaissance visuelle étudie la voie occipitotemporale ou voie ventrale d’analyse du message visuel dont l’atteinte conduit aux dysgnosies [3]. Les anomalies de reconnaissance portent en général sur des territoires variés (images, visages, objets, topographie) correspondant aux zones qui dysfonctionnent dans le lobe temporal. Les formes légères sont mises en évidence lors du bilan mais les formes graves sont à l’origine de troubles du comportement et les symptômes interprétés souvent dans le cadre de pathologies psychiatriques. Les symptômes sont étranges et les interprétations erronées qui s’ensuivent sont pathogènes pour l’enfant. Les fonctions gnosiques constituent un élément indispensable à la réalisation des expériences sensori-motrices qui à leur tour alimentent les réseaux sémantiques, la mémoire, le langage. Elles permettent le décodage des perceptions, la mise en place de liens entre les sens et donc le développement de relations harmonieuses avec l’environnement. L’enfant porteur de troubles gnosiques visuels se construit « autrement » faisant apparaître des bizarreries comportementales, des troubles relationnels. Un enfant de 3 ans reconnaît la majorité des images, et ses capacités gnosiques visuelles sont supérieures à ses capacités langagières. Sans nier la symptomatologie, il faut faire la part entre des troubles langagiers (par le bilan orthophonique) et un déficit intellectuel (par les épreuves neuropsychologiques). On suspecte une dysgnosie devant un enfant qui ne regarde pas la télévision, une dissociation entre un langage oral correct et des épreuves sur images échouées, une dissociation entre le comportement sur images et en situation auditivoverbale [4]. L’étude de la reconnaissance visuelle doit être systématique dans tout bilan neurovisuel.
La dysgnosie des images est la plus fréquente. Devant des images, l’enfant peut les décrire, les copier, faire un appariement mais ne les reconnaît pas. Un panel d’images normées est présenté à l’enfant [5]; les erreurs sont variables : erreur morphologique (respect de la forme globale et de la catégorie), un détail sert à l’interprétation (une poignée évoque autant une valise qu’une voiture). L’enfant reconnaît la forme prototypique et pas les représentations insolites mais respecte la catégorie. La reconnaissance est variable dans le temps mais une fois l’image interprétée à l’enfant il la reconnaîtra; une représentation différente du même objet ou animal ne sera en revanche pas reconnue. On doit s’assurer de la reconnaissance dans les autres modalités sensorielles. Ni la désignation d’images qui demande à l’enfant sur stimulation auditivoverbale de montrer une image à partir d’un concept donné, ni l’appariement ne permettent le diagnostic d’une dysgnosie des images. On recherchera la reconnaissance de petits objets dont on a les images. Ce n’est pas parce qu’un objet n’existe pas au domicile familial que l’enfant ne le connaît pas.
La prosopagnosie est l’incapacité élective à décoder les visages qu’il s’agisse de la signification des mimiques ou de la reconnaissance des personnes. La prosopagnosie développementale toucherait 2 % de la population [2]. La reconnaissance des familiers ne pose pas de problème grâce à des stratégies de compensation (voix, gestuelle, démarche, odeur) mais apparaît dans les situations nouvelles où identifier un visage permet de se repérer (baby-sitter, crèche, école) avec des manifestations d’angoisse. Les parents décrivent la non-reconnaissance des familiers en dehors des contextes habituels et les difficultés de reconnaissance sur les photos. Le diagnostic se fait sur la reconnaissance photographique de proches et d’étrangers dont on demande nom, prénom, métier et/ou sur la dénomination de personnes (des familiers et des étrangers se mettent autour d’une table sans signe distinctif et sans parler; l’enfant rentre et doit dénommer les personnes).
Fig. 30-6 Champ visuel attentionnel dit « aux marionnettes » fiable dès 4 ans.
L’étude de la voie occipitopariétale, ou voie dorsale d’analyse du message visuel, comprend plusieurs épreuves :
stratégie visuelle exploratoire;
épreuves visuospatiales;
épreuves praxiques.
Cette voie répond aux questions du « comment » et du « où » [6]; elle se divise en une voie dorsodorsale qui gère l’action en temps réel et une voie dorsoventrale qui gère l’organisation de l’action. La voie dorsoventrale fait le lien avec la voie ventrale, temporale. En effet, les deux voies d’analyse dorsale et ventrale coopèrent [7]; on peut penser que pour des actions basiques comme le grasping (préhension d’un objet), la voie dorsale agit seule mais pour une action avec un objet fonctionnel donné, requérant la sélection d’une action particulière, la perception doit identifier l’objet pour une posture de main appropriée.
L’exploration visuelle, ou stratégie visuelle exploratoire, est organisée en séquences de saccades; elle dépend de la tâche visuelle et des intentions du sujet. On ne regarde pas de la même façon quand on admire un paysage ou quand on cherche quelqu’un dans une foule. Un apprentissage procédural est nécessaire pour automatiser la stratégie visuelle en particulier dans certaines tâches (lecture); une fois automatisée, la séquence de saccades devient une praxie oculomotrice comparable aux autres praxies. Dans le cadre des difficultés d’apprentissage, on utilise les épreuves de barrage sur feuille pour étudier la stratégie visuelle exploratoire : barrage de H, de cloches, pointage de lettres, de signes chinois, de pastilles de couleur (Fig. 30-7). On note le nombre d’oublis, de répétitions, le type de stratégie, le retour à la ligne. Les épreuves sont valables si elles sont normées chez l’enfant sans difficulté, elles n’ont aucune valeur dans le cas contraire. La rééducation est efficace et améliore en particulier le retour à la ligne dans la lecture.
Les épreuves visuospatiales testent l’espace en deux dimensions (2D). On propose l’étude des distances relatives : reproduction par l’enfant d’une séquence de cubes disposée devant lui en horizontal et en vertical. On étudie la topologie avec des épreuves de localisation de points et de lignes obliques dans l’espace feuille; l’enfant doit reconnaître la localisation demandée par pointage sur un modèle disposé devant lui. Une épreuve de bissection de lignes permet de rechercher une éventuelle héminégligence.
Les capacités de construction ou praxies constructives sont étudiées en 2D par la réalisation graphique de figures géométriques sur consigne orale et sur copie; cette épreuve permet d’apprécier la qualité de la réalisation et une éventuelle « toxicité » de l’afférence visuelle. En 3D, on propose la reproduction d’une figure comportant des traits verticaux puis des traits obliques, construites avec quatre puis six cubes.
Des épreuves plus globales étudiant la stratégie, la perception spatiale, et/ou le geste graphique sont intéressantes : réalisation de labyrinthes, de suivi de lignes, tableau à double entrée.
La mesure de l’empan visuo-attentionnel (quantité de lettres perçues en une seule fixation) se fera dans les difficultés de lecture à l’aide du logiciel Evadys®3 . La rapidité de présentation quantifiée en millisecondes prévient les mouvements oculaires et assure une mesure fiable [8].
3. Réalisé par Sylviane Valdois, Éric Guimet, Jean-Louis Embs.
Fig. 30-7 Épreuve normée de recherche de signes parmi des distracteurs dans l’étude de la stratégie visuelle exploratoire.
L’oculomotricité est étudiée par la recherche classique de strabisme, nystagmus. L’amplitude de fusion, la stéréoscopie et la convergence sont mesurées. Le temps de fixation est mesuré à l’aide d’un petit objet de type cube de Lang. On réalise trois mesures. Les déficits sont fréquents dans les difficultés d’apprentissage témoignant d’une atteinte de l’attention visuelle.
On étudie les saccades volontaires visuo-guidées, la poursuite qui peut être lisse ou émaillée de saccades. À partir d’un protocole précis (taille des objets fixés, distance entre eux, tête tenue ou pas), une norme est à réaliser.
L’enregistrement vidéo-oculographique, quand il est possible, permet un recueil objectif des anomalies de fixation, saccades, poursuite. Les enregistrements de la lecture objectivent les temps de prise d’information visuelle, le nombre de fixations, les saccades de régression et le retour à la ligne. Le suivi des enregistrements montrera la diminution du nombre des fixations, des saccades de régression et des prises d’information visuelle plus rapides, témoignant d’une amélioration de la lecture.
Lors de la réalisation de ce bilan neurovisuel, il est important de tester tous les éléments de la fonction visuelle et d’utiliser des tests normés, étudiant une seule fonction.
Dans les troubles d’apprentissage, les atteintes de la voie occipitopariétale sont fréquentes : stratégie visuelle exploratoire surtout, troubles visuospatiaux, troubles visuoconstructifs [4]. Les tableaux cliniques sont très variés. Les conséquences scolaires sont multiples : lecture qui reste lente sans automatisation de la voie d’adressage conduisant à une dysorthographie d’usage; dyscalculie spatiale avec des problèmes en géométrie; dysgraphie pouvant nécessiter le passage à l’ordinateur. Les atteintes de la voie occipitoventrale sont moins fréquentes et se retrouvent dans les formes graves des troubles d’apprentissage associées aux atteintes de la voie occipitopariétale et souvent à d’autres pathologies de la cognition.
[1] Brodsky MC. Pediatric neuroophtalmology. New York : Springer ; 2010.
[2] Dutton GN, Bax M. Visual impairment in children due to damage to the brain. London : MacKeith Press ; 2010.
[3] Dalens H. Les pathologies neurovisuelles chez les enfants cérébrolésés. J Motcer 2014 ; 35 : 25-40.
[4] Mazeau M. Défi cits visuospatiaux et dyspraxies de l’enfant. Du trouble à la rééducation. Paris : Masson ; 1995.
[5] Dalens H, Solé M, Neyrial M, et al. La reconnaissance d’images chez l’enfant normal de 3 à 8 ans : étude de 100 cas. Rev Neuropsychol 2003 ; 4 : 411-25.
[6] Rizzolatti G, Matelli M. Two different streams form the dorsal visual system: anatomy and function. Exp Brain Res 2003 ; 153 : 146-57.
[7] Mazeau M, Pouhet A. Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l’enfant. Paris : Elsevier Masson ; 2014.
[8] Bosse ML, Tainturier MJ, Valdois S. Developmental dyslexia : the visual attention span defi cit hypothesis. Cognition 2007 ; 104 : 198-230.
A. Bolufer
Les troubles spécifiques des apprentissages (TSA ou specific learning disorder [SLD]) correspondent à des dysfonctionnements cognitifs qui affectent l’acquisition, l’organisation, la mémorisation, la compréhension ou l’utilisation de l’information. Ils seraient liés à des troubles du neurodéveloppement. Dyslexie et dyspraxies font partie des TSA.
La vision participe de façon prépondérante à la communication, la saisie de l’information et l’organisation du geste, à partir des éléments sensoriels et moteurs de la vision. L’évaluation visuelle est nécessaire dans les troubles des apprentissages afin de déceler son rôle positif ou négatif dans le trouble de l’apprentissage, pour éventuellement définir des stratégies d’aide ou de compensation pour l’enfant.
L’examen orthoptique neurovisuel d’un enfant se déroule en trois phases (Encadré 30-3) : bilan sensoriel pour étudier la capacité de discrimination; bilan moteur pour étudier la capacité à utiliser et orienter le regard; bilan fonctionnel pour étudier l’interaction vision-action. C’est le bilan fonctionnel que nous allons aborder dans cet article (le bilan sensoriel et le bilan moteur étant bien connus de tout orthoptiste). En effet, le bilan fonctionnel revêt une importance particulière, car il permet non seulement la mise en évidence des déterminants visuels qui soutiennent ou compliquent l’action, mais encore, il permet d’évaluer les répercussions positives ou délétères de l’action sur la vision grâce à l’analyse de la tâche.
Exemple de bilan orthoptique et neurovisuel
Les tests seront choisis en fonction de l’âge et du trouble.
Bilan sensoriel = capacité à discriminer :
- acuité visuelle avec correction optique éventuelle, déterminée par l’ophtalmologiste après réfraction objective sous cycloplégie;
- capacités accommodatives (punctum proximum d’accommodation[PPA]) ;
- capacités fusionnelles ;
- vision stéréoscopique ;
- vision des contrastes ;
- vision des couleurs ;
- champ visuel.
Bilan moteur = capacité à utiliser et orienter le regard :
- « oeil directeur » , « main graphique » ;
- réflexe de convergence (punctum proximum de convergence[PPC]) ;
- mesure de la déviation des axes visuels (phorie ou tropie);
- motilité ;
- motricité conjuguée (ou orientation du regard, ou dynamique oculaire) : fixation, poursuite, saccades, vergence loin/près, coordination oeil/tête (motricité oculocéphalique et vestibulo-oculaire).
Bilan fonctionnel = interaction vision-action :
- vision et communication (émission/réception) ;
- vision et saisie de l’information : analyse perceptive(orientation, dimension, position relative discrimination figure-fond et structuration spatiale) et cohérence intermodale(unité perceptive et sélectivité) ;
- vision et organisation du geste, avec contrôle de l’équilibre.
Conclusion des différents axes du bilan : proposition d’éventuelle prise en charge et lettre au médecin référent.
Le bilan fonctionnel de la vision est réalisé en tenant compte des difficultés rencontrées par l’enfant et en suivant un protocole précis standardisé destiné à recueillir des données, analysées par la suite. Il faut tenir compte de la plainte exprimée par le patient, de ses besoins visuels et de ses potentialités. Il sera proposé des exercices, ou situations tests, choisis en fonction de son âge et de ses compétences.
Ce bilan se déroule dans les conditions optimales de vision, l’enfant ayant sa correction optique, obtenue sous cycloplégie.
Le bilan fonctionnel permet de constater l’existence éventuelle de troubles visuels d’ordre perceptif et/ou moteur, qui peuvent avoir une incidence néfaste sur son quotidien et sa scolarité, alors même que l’acuité visuelle peut être normale. Mais l’acuité visuelle peut être perturbée aussi par un trouble de localisation visuelle dynamique. La mesure de l’acuité visuelle doit être la plus rigoureuse possible, avec une échelle adaptée, en notant si elle a été mesurée de façon spontanée, guidée ou assistée. Elle doit être évaluée en monoculaire et en binoculaire, en changeant chaque fois de planche d’acuité, pour éviter la mémorisation.
Le bilan fonctionnel évalue trois fonctions qui ont chacune leur rôle :
la communication interpersonnelle : en effet, la vision a un rôle social car elle soutient la communication et agit comme un décodeur dans la communication non verbale, le regard est alors à la fois émetteur et récepteur;
la saisie de l’information, car la vision a un rôle cognitif et permet l’organisation et la compréhension de l’objectif à atteindre dans la réalisation d’une activité;
l’organisation du geste, car la vision a un rôle moteur qui contribue à l’élaboration, à la planification et au contrôle du geste.
L’analyse du bilan sensoriel, du bilan moteur et du bilan fonctionnel permet de mettre en évidence d’éventuelles difficultés de l’enfant, et oriente l’éventuelle prise en charge.
Le bilan orthoptique neurovisuel peut permettre de répondre aux questions suivantes :
La vision soutient-elle ou perturbe-t-elle l’activité?
Quelles sont les répercussions de la vision sur les difficultés d’apprentissage?
Le bilan orthoptique neurovisuel en cas de troubles spécifiques des apprentissages peut mettre en évidence une altération de la gestion de l’orientation du regard, de la localisation visuelle, et de la perception de la dimension, entraînant lenteur, restriction attentionnelle et peur de l’échec.
La prise en charge de ces troubles, qui peut être faite par l’orthoptiste, doit consister dans la mesure du possible à :
obtenir l’ancrage du regard par une fixation performante de l’objet d’attention, qui doit être stable, ajustée, adaptée et précise;
calibrer la dynamique oculaire :
la dynamique oculaire (également appelée orientation du regard ou motricité conjuguée) peut s’étudier en monoculaire et en binoculaire. On compte alors chez l’enfant 7 cycles (soit 14 aller-retour et 10 cycles chez l’adulte), pour une poursuite et des saccades maîtrisées, à l’aide des mires orthoptiques qui nous donnent un outil commun de référence;
rappelons que la lecture est une praxie à construire et que lors de la lecture, il se produit trois types de saccades : progressives, régressives (de vérification) et celles du retour à la ligne;
rappelons encore que les mouvements bruts de saccades sont normaux et que la grande régularité stratégique du guidage du regard dans les mots identifiés est acquise par les enfants présentant une dyslexie, mais que les durées de fixation sont plus longues et plus variables, les saccades régressives plus fréquentes, donc plus coÛteuses en temps. Une mauvaise motricité conjuguée est donc à mettre en lien avec des difficultés de lecture de type : « saute des mots, des lignes, a des difficultés de copie tableau/feuille, se perd, etc. » . Elle est en relation directe avec la perception de la dimension, que l’on retrouve fréquemment altérée dans le bilan fonctionnel.
utiliser le relais entre la vision centrale et la vision périphérique ainsi que le relais de fixation entre les deux yeux au cours de l’exploration de l’environnement par le regard, qui s’accompagne des mouvements de la tête;
mieux contrôler les capacités fusionnelles statiques, dans le regard en haut, mais surtout en bas (ceci pouvant se faire par un travail sur mires toniques et accommodatives), ainsi que la maîtrise des capacités fusionnelles dynamiques, lors du passage de la vision de près au loin ou à l’intermédiaire, lors du passage de la position assise à la position debout;
adopter pour chaque enfant des stratégies de compensation par des exercices et des jeux permettant de se mettre en situation en comprenant ses difficultés pour les corriger ou mieux les contourner, afin d’améliorer les compétences sensorielles, motrices, perceptives aboutissant à une meilleure efficacité visuelle.
L’objectif de la prise en charge n’est pas une guérison, mais plutôt une compensation et une adaptation par la verbalisation, la cognition ou l’organisation. Il faut expliquer à l’enfant les buts de sa prise en charge, ce qui lui permet de cibler ses difficultés qu’il repère plus précisément. L’énergie mise en œuvre dans le but d’apprendre à les contourner devient alors plus opérante dans la réorganisation de l’action.
Il en découle une plus grande rapidité d’exécution, une meilleure sélectivité perceptive (grâce à une hiérarchisation des données, donc une plus grande facilité pour inhiber tout ce qui n’est pas pertinent et qui pouvait si facilement parasiter l’attention auparavant).
L’orthoptiste s’efforce donc de limiter les dysfonctionnements de la vision qui peuvent aggraver la situation des enfants ayant un trouble d’apprentissage, beaucoup plus qu’il ne les « rééduque » .
Rappelons que les TSA peuvent survenir chez un enfant présentant un strabisme ou une amblyopie, sans qu’il y ait de lien de cause à effet entre strabismes et TSA. Le traitement du strabisme et de l’amblyopie demeure habituel, reposant sur les principes de l’occlusion totale indispensable jusqu’à iso-acuité, de correction optique totale, de chirurgie le cas échéant.
Le bilan et la prise en charge des enfants présentant des TSA se situent dans un contexte pluridisciplinaire, avec l’orthophoniste, le(la) psychomotricien(ne), l’ergothérapeute. Il faut savoir limiter le nombre de prises en charge afin de ne pas surcharger l’enfant, en évaluant les priorités, en agissant de façon harmonieuse avec lui ainsi qu’entre les différents intervenants, les parents et l’école. La prise en charge orthophonique est souvent centrale dans la dyslexie. La prise en charge des dyspraxies peut se faire en psychomotricité ou en ergothérapie mais aussi en orthoptie, souvent avec les mêmes techniques.
Il est donc essentiel de bâtir un projet de prise en charge avec l’enfant (nous fixons les objectifs à atteindre, ainsi que nos limites) pour qu’il entende que le but recherché est son autonomie, qu’elle ne peut se concevoir sans motivation préalable. Le soutien et l’accompagnement de l’enfant contribuent à la construction de la personnalité et débouchent sur une meilleure qualité de vie.
A. Barjol
Les troubles des apprentissages, parfois surnommés les « dys » , sont une entité hétérogène. Pour les profanes, auxquels les ophtalmologistes appartiennent bien souvent, il s’agit de troubles spécifiques incluant la dyspraxie, la dysgraphie, la dyscalculie, la dysorthographie, voire la dyslexie. La stadification anglo-saxonne du DSM-5 les classe dans les troubles neurodéveloppementaux qui recouvrent diverses entités, notamment :
les troubles de la lecture = dyslexie;
les troubles des habiletés motrices = troubles de l’acquisition de la coordination (TAC) = dyspraxies.
Les « dys » sont donc multiples, et l’ophtalmologiste peut être perplexe face à ces pathologies qu’il rencontre fréquemment, car un examen ophtalmologique est souvent demandé en cas de « dyslexie » ou « dyspraxie » . En effet, l’ophtalmologiste est régulièrement sollicité devant des difficultés scolaires, afin d’éliminer une mauvaise vision (trouble sensoriel). Les demandes sont parfois pressantes, avec de grandes attentes de la part des parents, enseignants ou rééducateurs comme les orthophonistes ou les psychomotricien(ne)s. Parfois même, une prescription immédiate d’un bilan neurovisuel, voire d’une rééducation orthoptique, est attendue à titre systématique. Par ailleurs, l’ophtalmologiste peut être interrogé sur l’imputabilité d’un strabisme sur des difficultés d’attention en classe. La prévalence des troubles des apprentissages et l’adressage quasi systématique à l’ophtalmologiste nous amènent ici à définir le rôle de celui-ci dans la prise en charge de ces enfants, ainsi que la place de l’orthoptiste. Nous nous intéresserons donc à plusieurs questions :
Quels troubles visuels peuvent être associés à la dyslexie et aux dyspraxies?
Quel bilan ophtalmologique pratiquer chez un enfant suspect de dyslexie/dyspraxie?
Quelle orientation et quels conseils proposer aux parents?
Parmi les principaux troubles spécifiques des apprentissages, on retrouve :
les troubles de l’acquisition de la coordination (TAC) = ce sont les dyspraxies;
la dyslexie.
Il faut également noter qu’un trouble attentionnel, avec ou sans hyperactivité, est très fréquemment associé aux TAC. C’est le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Fréquemment associés entre eux, les tableaux sont souvent complexes et hétérogènes, ce qui rend difficile la standardisation du diagnostic et des prises en charge. Le diagnostic doit être précis et réalisé par un neuropédiatre ou un pédopsychiatre compétent dans le domaine.
Les caractères des dyspraxies sont détaillés dans les chapitres 30.5 et 30.6. Elles se caractérisent par un défaut d’automatisation du geste fin. Il existe différentes formes parmi lesquelles des troubles visuoperceptifs peuvent être associés. On distingue :
la dyspraxie visuospatiale/constructive, qui peut être pure ou associée à une dyspraxie « gestuelle » , et dans laquelle on retrouve :
échec à la figure de Rey;
échec aux lignes de Benton;
échec aux cubes.
le syndrome de dysfonction non verbale (SDNV) ou non verbal learning disorder [1], chez qui le déficit visuospatial est associé à :
une mauvaise mémoire visuelle;
des difficultés de raisonnement et de conceptualisation, surtout face à du matériel nouveau;
des difficultés en mathématiques;
un trouble du geste fin;
un trouble des compétences sociales.
Dans les troubles « neurovisuels » , l’œil est sain et l’acuité visuelle le plus souvent normale, mais c’est le traitement cérébral de l’information visuelle qui est déficient (visual processing ou cognition visuelle). Le visuel devient donc « toxique » et parasite les apprentissages. Les fonctions de mémoire visuelle, la perception visuospatiale ou encore l’attention visuelle sont déficitaires. Les enfants atteints ont une intelligence normale voire haute, mais réussissent moins bien les tests avec afférence visuelle et leurs résultats s’effondrent à l’écrit. En revanche, ils sont à l’aise lors de la prise de parole (voir chapitre 30.8).
Ces difficultés ont un retentissement direct sur les apprentissages académiques, comme le montre cette grande étude de cohorte britannique sur 4512 enfants de 13 ans : elle retrouve une association significative entre de mauvaises compétences visuoperceptives et des difficultés scolaires. Ainsi, les enfants ayant du mal à retrouver des objets parmi une scène visuellement chargée avaient un plus mauvais niveau de lecture que les autres, tandis que la réussite lors de mouvements visuellement guidés (comme attraper un objet ou repérer une marche) était associée à la réussite en mathématiques [2]. Les troubles neurovisuels des TAC (ou troubles de la cognition visuelle) sont une forme légère à modérée de déficit visuel d’origine cérébrale, appelé cerebral visual impairment (CVI) par les Anglo-Saxons, décrit initialement chez les enfants cérébrolésés, voire anciens grands prématurés [3, 4], et première cause de déficience visuelle sévère de l’enfant dans les sociétés occidentales [5]. Ils retentissent davantage que la perception sensorielle pure (liée à l’acuité visuelle), comme le montrent les études menées chez des enfants malvoyants atteints d’albinisme, mais avec de bonnes compétences en lecture [6].
Indépendamment des troubles de la cognition visuelle, il peut coexister des troubles visuels « classiques » , comme les troubles oculomoteurs ou réfractifs. Ils sont fréquents dans les TAC (90 % ont des troubles oculomoteurs retrouvés) [7]. Une large étude de cohorte anglaise de 7 154 enfants de 7 à 8 ans retrouve une association significative des TAC sévères avec une mauvaise stéréoscopie, une hypermétropie ainsi qu’une fusion anormale, tandis qu’un lien avec le strabisme ne semble pas clairement établi [8]. De même, l’insuffisance de convergence ou l’amblyopie ne semblent pas statistiquement associées aux TAC sévères.
Il est important de mettre en évidence ces différentes difficultés afin d’une part, de corriger un éventuel trouble réfractif ou une insuffisance de convergence et d’autre part, de guider les aménagements scolaires et d’informer les psychomotricien(ne)s et/ou orthophonistes qui prennent en charge ces enfants.
La dyslexie se caractérise par des difficultés de lecture, liées à une mauvaise conversion graphème-phonème [9] par déficit de conscience phonologique. Cependant, certains travaux ont évoqué une éventuelle forme « visuelle » , car certains patients dyslexiques avaient des lésions de la voie magnocellulaire à l’autopsie cérébrale, ou encore d’autres pouvaient avoir une sensibilité au contraste altérée ou encore une fixation et une poursuite oculaire altérée [10]. À ce jour, il ne s’agit que d’une minorité des patients et l’étiologie visuelle de la dyslexie n’est pas retenue.
Différentes anomalies oculomotrices ont été décrites chez des patients dyslexiques et les enfants et adultes avec amblyopie strabique semblent avoir une lecture plus lente, avec un nombre augmenté de saccades régressives et de temps de fixation [11]. Cependant, ces anomalies semblent secondaires à la dyslexie, plutôt que causales.
Par ailleurs, il a été retrouvé dans certaines études anciennes une insuffisance de convergence [12], voire de divergence [13], ou encore des troubles de la poursuite oculaire, surtout de gauche à droite. Cependant ces anomalies n’ont pas été confirmées lors d’une grande étude de cohorte récente de 172 enfants dyslexiques sévères, où 4 enfants sur 5 testés avaient une fonction ophtalmologique normale (pas de strabisme, pas de trouble réfractif, pas d’amblyopie, pas de troubles accommodatifs). Des anomalies de fusion sensorielle de près, ainsi qu’une stéréoacuité moins bonne que 60 minutes d’arc semblent cependant plus fréquentes, ce qui ne démontre pas pour autant de lien de causalité [14].
Non directement classé parmi les TSA, il retentit pourtant fortement sur les acquisitions académiques. Il peut être initial, mais également secondaire aux efforts de double tâche permanente des enfants atteints de TAC. Il est défini par les critères du DSM-5 [15] qui réunissent inattention, impulsivité et hyperactivité (qui peut être absente). Il peut donner des compétences fluctuantes lors des bilans réalisés, notamment de nombreux décrochés lors de la fixation, poursuite et saccades.
Si des anomalies de la motricité fine et une mauvaise « coordination œil-main » ont été retrouvées chez certains enfants amblyopes, le lien avec l’acuité visuelle ou la présence de vision stéréoscopique est encore discuté [16, 17]. Pourtant, ils réussissent le developmental eye movement test (DEM test) aussi bien qu’un groupe contrôle apparenté [18]. L’absence de vision stéréoscopique est corrélée à une moindre précision et rapidité dans certaines tâches motrices, surtout lorsqu’elles sont temps-dépendant et/ou nouvelles, mais il semblerait que la mise en place de stratégies compensatoires permette d’atteindre un niveau d’efficacité du geste comparable aux témoins [19].
Outre la recherche d’une amétropie ou d’une amblyopie, respectant les principes habituels de l’ophtalmologie pédiatrique (cycloplégie obligatoire), l’examen ophtalmologique en cas de suspicion ou de trouble avéré des apprentissages ou « dys » doit s’appliquer à rechercher des signes évocateurs de déficit visuel d’origine cérébrale, particulièrement en cas d’antécédents spécifiques (prématurité, souffrance néonatale). L’usage de questionnaire aux parents (comme celui de Dutton) n’est pas recommandé en raison de nombreux faux positifs [20]. L’inspection recherchera une agitation psychomotrice, évoquant un éventuel TDAH. Les détails de cet examen spécifique sont abordés dans le chapitre 30.8.
Il faut distinguer deux situations :
soit l’enfant est déjà suivi pour un TSA avec un suivi en psychomotricité ou autre prise en charge; en ce cas les buts de l’examen sont :
rechercher un trouble ophtalmologique associé (amétropie, strabisme, insuffisance de convergence);
demander un bilan neurovisuel si l’ophtalmologiste ne le pratique pas lui-même;
remplir (éventuellement) le certificat ophtalmologique spécifique de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et faire un courrier pour les parents, les rééducateurs et le médecin scolaire.
soit l’enfant n’est pas suivi et il y a des difficultés scolaires non caractérisées. Il faut alors :
rechercher un trouble ophtalmologique associé (amétropie, strabisme, insuffisance de convergence);
rechercher des éléments évocateurs de déficit visuel cérébral (prématurité, anoxie néonatale, compétences visuomotrices déficientes par rapport aux compétences orales);
évaluer le retentissement et les troubles associés. Est-ce une inquiétude des parents? L’enfant est-il en échec scolaire? Y a-t-il des troubles de la lecture et/ou une impulsivité? Dans ce contexte, le bilan orthoptique et neurovisuel sera quasi systématiquement perturbé. Or, les anomalies constatées ne sont pas la cause du TSA. Il serait regrettable qu’un enfant dyslexique perde son temps en « rééducation » orthoptique au lieu d’être suivi en orthophonie, ou qu’un enfant avec TDAH s’épuise dans une « rééducation » inutile des saccades au lieu d’être suivi en psychomotricité ou bien traité par méthylphénidate. Un avis neuropédiatrique ou pédopsychiatrique sera requis pour rechercher une dyspraxie et/ou un TDAH. En fonction du contexte, il sera plus pertinent d’adresser l’enfant à un orthophoniste plutôt qu’à un orthoptiste.
Le tableau 30-1 résume les différents avis selon les points d’appel.
L’examen orthoptique est utile, car il approfondit l’examen en vision de près et peut évaluer la fonction de convergence (excès ou insuffisance), l’amplitude d’accommodation et sa rapidité, à la recherche d’un éventuel retard d’accommodation (en testant en condition loin/près par exemple). La vision stéréoscopique est testée de manière simple par le test de Lang I en vision de près. Le TNO apporte des éléments quantitatifs plus précis.
L’orthoptiste teste également la fixation, les saccades et la poursuite, au mieux avec un enregistrement oculographique. Différents tests normés existent et sont à la disposition de l’orthoptiste. Ils ont comme avantage de quantifier les difficultés de saccades et poursuites, et donc de mesurer l’évolution dans le temps. Une évaluation qualifiant la poursuite de « non lisse » ou les saccades de « peu endurantes » est trop subjective dans tous les cas.
Le Northeastern State University College of optometry oculomotor test (NSUCO oculomotor test) teste l’aptitude, la précision ainsi que le degré de mouvement céphalique et corporel de l’enfant lors des tâches de poursuite et saccades [21].
Le DEM test est normé chez les enfants de 4 à 16 ans. Il permet de juger la performance de lecture et la vitesse de traitement visuel [22].
Des tests de lecture quantifiable, comme l’évaluation de la lecture en fluence (ELFE) mis au point par Cogni-sciences de l’Université de Grenoble, permettent de noter la fluence en lecture des enfants et les éventuels progrès après traitement [23].
Le bilan orthoptique est utile, mais cela ne signifie pas qu’un traitement orthoptique spécifique existe dans les dyspraxies ou dans la dyslexie. La reconnaissance du trouble, l’accompagnement des enfants et des parents, les explications renouvelées sur la pathologie sont nécessaires, sans se focaliser sur des thérapeutiques inutiles.
Différents petits tests préliminaires peuvent être proposés en consultation d’ophtalmologie comme la copie de figures simples (rond, carré, triangle pour les plus jeunes), d’une séquence de formes (Fig. 30-8) ou la copie d’une phrase (comparée à l’écriture en dictée simple) pour les plus grands. L’idée est de déterminer si la prise d’information visuelle aide ou parasite l’écriture et les apprentissages.
Différentes batteries de tests sont proposées [24, 25] et évaluent :
la fixation et la poursuite;
le champ visuel aux marionnettes;
les compétences visuoperceptives : figures emmêlées, reconnaissance de formes, de visages;
les compétences visuo-attentionnelles : tests de barrages;
la mémoire visuelle;
la coordination dite « oculomanuelle » (ce qui ne signifie pas une coordination œil-main erronée au plan neurophysiologique) : labyrinthes.
Il est primordial d’utiliser des épreuves normées. L’intérêt principal du bilan neurovisuel est de décrire et d’objectiver les difficultés de l’enfant, afin d’étayer le dossier MDPH, si besoin, et de guider les aménagements scolaires, sans trancher sur le caractère causal ou secondaire des troubles observés. Il permet de préciser également les points forts de l’enfant, sur lesquels il pourra s’appuyer pour contourner ses difficultés.
Tableau 30-1 - Signes d’appels et prise en charge.
TAC : trouble de l’acquisition de la coordination ; TDAH : troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Fig. 30-8 Épreuve de copie de figure (figure simplifiée inspirée de la Figure de Rey).
Consigne. L’enfant doit dessiner la figure qui lui est présentée (a) en copie simple d’abord (b) : ici très échouée, sans analyse globale des formes. Les éléments sont juxtaposés les uns à côtés des autres ; avec aide verbale qui décompose les étapes (c) : ici non aidante pour l’enfant ; avec aide de repères visuo-spatiaux (d) : amélioration du tracé. On conclut qu’il existe un trouble visuoconstructif qui est amélioré par la mise en place de repères visuospatiaux.
La correction optique sera prescrite si nécessaire, après cycloplégie systématique. La correction d’une hypermétropie même minime est utile, afin d’aider le travail écrit en soulageant l’accommodation, même si aucune étude randomisée n’a été menée sur le sujet. Il n’y a pas d’argument actuellement en faveur de la prescription de filtres colorés ou de prismes intégrés. Toute amblyopie sera traitée.
Les aménagements scolaires sont primordiaux. Si le visuel parasite les apprentissages, il conviendra d’éviter la copie, de favoriser les exercices à trous photocopiés, d’aérer les énoncés et de placer l’enfant au premier rang. La restitution orale des connaissances sera à privilégier, et un tiers-temps devra être mis en place. Il faudra préciser également si l’enfant est plus à l’aise sur une feuille avec quadrillage (l’apport de repères favorise son tracé) ou plutôt sur une feuille blanche. Ces recommandations devront être transmises aux parents, à l’enseignant, à l’AVS (auxiliaire de vie scolaire), aux différents professionnels prenant en charge l’enfant – orthophoniste, psychomotricien(ne) – et bien sÛr à l’enfant lui-même. La reconnaissance de ses troubles lui permettra de surmonter ses difficultés en développant des stratégies compensatoires et en reprenant confiance en lui.
Il convient de rester prudent. La mise en évidence de difficultés neurovisuelles n’implique pas forcément une rééducation orthoptique. D’une part, aucune étude n’a prouvé l’efficacité d’une quelconque « thérapie visuelle » dans les troubles des apprentissages. D’autre part, il n’y a aucun argument démontrant que les anomalies constatées soient la cause des difficultés scolaires de l’enfant. Enfin, l’enfant présentant un TAC ou une dyslexie est déjà bien souvent surchargé de prises en charge diverses (orthophonie, psychomotricité, psychothérapie, etc.) qui s’intègrent dans des semaines chargées avec des journées d’école très contraignantes pour lui. L’enfant est déjà plus fatigable, car un apprentissage constitue une double tâche pour lui. Or, la demande est souvent très pressante de la part des parents, enseignants et soignants, peu informés sur la réelle (in)efficacité d’un traitement orthoptique dans les troubles des apprentissages, et surestimant bien souvent le rôle d’un éventuel strabisme ou d’une amblyopie dans les difficultés de l’enfant.
À défaut de retrouver un lien de causalité entre troubles ophtalmologiques et TAC, la forte association retrouvée entre ces pathologies justifie donc un dépistage systématique de ces enfants par l’ophtalmologiste et l’orthoptiste, ce qui encore une fois ne signifie pas qu’un traitement ophtalmologique ou orthoptique des dyspraxies soit indiqué. À ce jour, il n’existe aucune preuve validant l’origine « oculaire » de ces troubles et les anomalies observées ne semblent être que les conséquences des troubles initiaux.
L’association entre troubles ophtalmologiques et dyslexie est bien plus douteuse. À ce jour, la prise en charge de la dyslexie repose sur l’orthophonie seule [26]. Le Royal College of Ophthalmologists en Grande-Bretagne [27] ainsi qu’aux États-Unis le Council on Children with Disabilities, l’American Academy of Ophthalmology, l’American Association for Pediatric Ophthalmology and Strabismus et l’American Association of Certified Orthoptists estiment que la rééducation de type thérapie visuelle (vision therapy) ou autres (exercice musculaire, poursuite oculaire, behavioral/perceptual vision therapy, lunettes d’entraînement, prismes et filtres colorés) n’est d’aucun intérêt dans les troubles des apprentissages [28]. La rééducation orthoptique n’a démontré une certaine efficacité qu’en cas d’insuffisance de convergence associée [29].
Les orthoptistes sont d’autant plus sollicités que leurs actes bénéficient d’un remboursement par la Sécurité sociale, contrairement à la psychomotricité et l’ergothérapie. Quant aux orthophonistes, les listes d’attente sont souvent très longues. Pour toutes ces raisons, les parents se tournent plus volontiers vers l’orthoptiste, qui peut être un « relais » dans l’attente des autres bilans. De plus, la méconnaissance des troubles des apprentissages par le principal prescripteur, à savoir l’ophtalmologiste, et la « non-lisibilité » des comptes rendus orthoptiques par les « non-initiés » (pédiatres, psychomotriciennes, orthophonistes) peuvent aboutir à des rééducations orthoptiques trop longues et parfois injustifiées.
La rééducation « neurovisuelle » par l’orthoptiste n’est pas encore standardisée et aucune étude n’a montré son intérêt à ce jour. Les troubles des apprentissages sont souvent associés entre eux, rendant chaque enfant quasiment unique. Les rééducations s’intéressent à mettre en place des stratégies de contournement du handicap, de compensation, à défaut de restaurer ou d’améliorer la fonction déficitaire. Ce champ de la rééducation est bien souvent mal connu des médecins, des ophtalmologistes notamment, qui ont été formés sur l’evidence-based medicine, fondée sur de larges études randomisées. La question de l’intérêt de la rééducation orthoptique neurovisuelle relance le débat entre la « médecine fondée sur des preuves » (evidence-based medicine) et la « preuve fondée sur la pratique » (practice-based evidence). La première exige de larges effectifs et des groupes « purs » en termes de symptomatologie, ce qui semble difficile dans les TSA. La seconde semble plus adaptée à l’évaluation des approches thérapeutiques non médicamenteuses centrées sur le patient [30]. Mais dès lors, si une rééducation orthoptique est envisagée, elle doit s’inclure dans un processus de recherche rigoureux, avec une évaluation standardisée, un diagnostic, la construction d’un projet, une réévaluation du travail effectué et une restitution aux différents intervenants. Il convient de se souvenir que ces pathologies complexes demandent une prise en charge pluridisciplinaire, avec des intervenants ayant une bonne connaissance des pathologies abordées.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que les outils thérapeutiques utilisés par les orthoptistes lors des prises en charge « neurovisuelles » sont issus de la pratique des psychomotricien(ne)s ou des neuropsychologues (labyrinthes, puzzles, exercices de mémoire, barrages, etc.). Il ne doit en aucun cas s’agir d’un travail musculaire.
Une réflexion prudente sur ce transfert/partage de compétences s’impose (entre paramédicaux, entre médecins et paramédicaux), et devra avoir des répercussions sur la formation des orthoptistes en France, ceci étant nécessaire non pas dans l’intérêt d’une profession ou d’une autre, mais dans l’intérêt des enfants.
L’ophtalmologiste doit connaître les principaux troubles des apprentissages et des comportements que sont les TAC, la dyslexie et le TDAH. Il doit savoir éliminer une cause ophtalmologique pure aux difficultés rencontrées par l’enfant, ce qui reste assez rare. Mais il devra également expliquer que les difficultés d’apprentissage peuvent être en rapport non pas avec l’œil mais avec le traitement cérébral de l’information visuelle (ou visual Processing), tout comme la dyslexie n’est pas un problème d’oreille mais un problème de conscience phonémique en rapport avec le traitement cérébral de l’information auditive. Une bonne acuité visuelle n’exclut pas un trouble dit « neurovisuel » . Les signes d’alerte faisant suspecter un tel trouble doivent être connus et recherchés.
Si l’ophtalmologiste suspecte un trouble « neurovisuel » , un bilan orthoptique plus approfondi devra être demandé, afin de poser le diagnostic et faire reconnaître le handicap. L’intérêt principal du bilan neurovisuel reste la reconnaissance du trouble et la justification des aménagements scolaires. Il permet également d’étayer le dossier MDPH lorsqu’une AVS est nécessaire. Le traitement orthoptique conventionnel en cas de dyslexie ou de dyspraxies n’a aucun intérêt.
Dans la dyslexie, le traitement est orthophonique.
Dans les TDAH, la prise en charge est neuropédiatrique ou pédopsychiatrique avec éventuellement traitement pharmacologique (méthylphénidate).
Dans les dyspraxies, l’efficacité du traitement neurovisuel que peut pratiquer l’orthoptiste, l’ergothérapeute, le psychomotricien reste à évaluer. L’ophtalmologiste reste le prescripteur du bilan orthoptique ainsi que du traitement des troubles neurovisuels. Il doit connaître les limites de celui-ci, afin de ne pas fatiguer inutilement un enfant déjà surchargé par les autres prises en charge spécifiques dont il bénéficie (psychomotricité, orthophonie, psychothérapie).
- ➤ Quels que soient les troubles spécifiques des apprentissages ou des comportements que sont les TAC/dyspraxies,dyslexie et TDAH, le bilan ophtalmologique élimine une atteinte sensorielle, une amétropie, une amblyopie, un strabisme, et recherche des causes de déficit central du traitement cérébral de l’information visuelle.
- ➤ La fréquence du strabisme est plus élevée en cas de dyspraxie ; le dépistage et le traitement sont requis systématiquement.
- ➤ La fonction visuelle est le plus souvent normale en cas
- ➤ Le bilan neurovisuel permet d’étayer les aménagements scolaires et participe à la reconnaissance du trouble en cas de dyspraxie.
- ➤ Aucune étude n’a prouvé l’intérêt de la rééducation orthoptique dans les troubles spécifiques des apprentissages ou des comportements que sont les TAC/dyspraxies/ dyslexie et TDAH.
- ➤ Le traitement de la dyslexie est orthophonique.
- ➤ La prise en charge des dyspraxies est pluridisciplinaire : psychomotricité, ergothérapie ; les exercices neurovisuels, mis en oeuvre par l’orthoptiste, l’ergothérapeute ou le(la) psychomotricien(ne) peuvent être utiles en cas de dyspraxie visuelle, même si les preuves de l’efficacité sont difficiles à mettre en évidence.
- ➤ Le traitement des TDAH est neuropédiatrique ou pédopsychiatrique,éventuellement pharmacologique.
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- Partie VI
Visions et handicaps - Chapitre 30
Dyslexie, dyspraxies et troubles des apprentissages- 1 – Introduction
- 2 – Nosologie des « troubles dys » et des troubles des apprentissages de l’enfant
- 3 – Apprentissage de la lecture
- 4 – Origines de la dyslexie
- 5 – Dyspraxie développementale ou trouble de l’acquisition de la coordination (TAC ) : point de vue du neuropsychologue diagnostic et indications thérapeutiques
- 6 – Dyspraxie : Diagnostic et prise en charge du neuropédiatre
- 7 – Troubles neurovisuels de l’enfant : comment les diagnostiquer ? Comment les prendre en charge ? Point de vue neuropédiatrique
- 8 – Quels sont les examens neurovisuels et quel est leur intérêt chez l’enfant ?
- 9 – l’enfant et les troubles spécifiques des apprentissages : que faire en orthoptie ?
- 10 – Troubles des apprentissages et du comportement : place de l’ophtalmologiste et rôle de l’orthoptiste