Chapitre 2
Règles générales de la prise en charge visuelle

A. Péchereau

1. Cycloplégie, réfraction et correction

L’examen de la réfraction est la pierre angulaire de tout examen ophtalmopédiatrique qu’il aboutisse ou non à une prescription. Du fait des capacités accommodatives exceptionnelles de l’enfant, d’autant plus importantes que celui-ci est jeune, la cycloplégie est systématique. Chez l’enfant, il n’y a pas d’examen de la réfraction sans cycloplégie. La prise en charge se déroule en quatre phases :

  • l’interrogatoire de l’enfant et de la famille, sur lequel nous reviendrons ultérieurement;

  • la cycloplégie;

  • la détermination de la réfraction emmétropisante;

  • la correction éventuelle du défaut réfractif.

Cycloplégie
INTRODUCTION

La question de la cycloplégie est une question des plus fréquentes dans le domaine de la prise en charge d’un patient en ophtalmopédiatrie. Elle revient comme un mauvais leitmotiv.

Il faut bien reconnaître que, malgré l’apport considérable de Donders qui a montré l’importance des facteurs réfractifs dans la prise en charge des enfants strabiques en particulier, et de la nécessité d’une correction obligatoirement totale (1856), l’usage automatique d’un cycloplégique devant une amblyopie, un strabisme, un trouble fonctionnel ou devant tout enfant se présentant à une consultation reste une pratique marginale.

Les raisons en sont multiples :

  • les protocoles d’usage des cycloplégiques : ils diffèrent suivant les experts et la littérature. L’absence de consensus entre les leaders d’opinion est un prétexte tout trouvé pour ne rien faire;

  • la faiblesse de la littérature : beaucoup de pratiques n’ont pas été et ne seront pas validées pour de nombreuses raisons (population pédiatrique, collyre peu onéreux, faible intérêt des laboratoires, complexité des protocoles, réticences des parents à faire participer leur enfant à une procédure d’évaluation, etc.). Très souvent, elles sont transmises de bouche à oreille sans aucune vérification.

  • Nous vivons sur un certain nombre d’idées plus ou moins reçues qu’il est très difficile de combattre;

  • les désagréments de ces collyres : ils sont liés à leur effet. On ne peut pas les éviter. Le thérapeute voudrait bien ne pas avoir à expliquer les effets en particulier sur la vision de près des cycloplégiques, car le patient ou ses parents seraient alors réticents à ce désagrément indispensable à une prise en charge parfaite, d’autant que ces effets peuvent durer quelques jours;

  • une aura de risques : ces collyres sont accompagnés d’une aura de risques (risques que notre époque refuse d’autant plus qu’il s’agit d’une population pédiatrique). Paradoxalement, la molécule de référence (l’atropine) derrière laquelle tout le monde se cache, et qui est en réalité peu utilisée, est la moins anodine;

Par ailleurs, l’utilisation d’un de ces produits entraîne :

  • soit un engorgement des salles d’attente par des enfants plus ou moins déchaînés. Ceci perturbe l’organisation d’une consultation que l’on veut de plus en plus fluide et respectueuse des horaires de rendez-vous. Il est incontestable que la prise en charge d’une population pédiatrique dans de bonnes conditions nécessite une salle d’attente adaptée et de grande surface dont le coÛt est important;

  • soit la nécessité de revoir les jeunes patients au bout de quelques jours, ce que les familles trouvent hautement désagréable.

Nous ne reviendrons pas en détail sur les différents protocoles. Nous renvoyons le lecteur au Rapport Strabisme de la Société française d’ophtalmologie (SFO) [1] et au livre de Guy Clergeau [2]. Nous nous limiterons à rappeler les points les plus importants.

GÉNÉRALITÉS SUR LES CYCLOPLÉGIQUES
  • Seuls les parasympathicolytiques ont une action cycloplégiante. Les sympathicomimétiques (néosynéphrine) n’ont aucune action cycloplégiante.

  • Il n’y a que deux cycloplégiques :

    • l’atropine;

    • le cyclopentolate.

  • L’efficacité de l’homatropine et du tropicamide est insuffisante. Ces deux molécules doivent être abandonnées sauf situations très exceptionnelles.

  • Les incidents et les accidents sont plus fréquents et plus graves sous atropine que sous cyclopentolate [2].

  • L’atropine est légèrement plus efficace [2] que le cyclopentolate. Dans la population générale, certains patients résistent à une molécule et d’autres à l’autre. Ce fait n’est pas prévisible.

  • Le cyclopentolate peut être plus « efficient » que l’atropine, c’est-à-dire que si les patients ne reviennent pas, autant avoir une cycloplégie sous cyclopentolate que « rien du tout » ; en effet, si on inclut les perdus de vue (dus à la nécessité de deux consultations pour l’atropine) [2], le cyclopentolate peut être préféré par certains dans certaines conditions;

  • Inactivation des produits : l’efficacité d’une molécule chez un patient dépend de sa capacité d’inactiver cette molécule. Plus cette capacité est grande, moins le produit sera efficace. Dans l’œil, la dégradation des molécules cycloplégiques est assurée par les cellules pigmentaires de l’iris. Il y a un lien bien connu par les cliniciens entre la pigmentation de l’iris, de la peau et des phanères. Cependant, il existe de nombreuses exceptions à cette règle.

  • La relation entre cycloplégie et mydriase est plus ou moins lâche. Une mydriase n’est pas une garantie d’efficacité de cycloplégie, et un certain degré de myosis n’est pas non plus une garantie d’inefficacité.

  • Le plus puissant des cycloplégiques est le port prolongé de la correction emmétropisante : « la correction emmétropisante fait dégorger l’hypermétropie » (A. Roth).

  • Une cycloplégie se contrôle. En effet, un œil cycloplégié portant sa correction emmétropisante ne doit pas lire moins de P10/P8 ou R10/R8 à 33 cm.

  • Le Vidal [3] doit être systématiquement consulté pour s’informer des précautions d’emploi. C’est ensuite à l’ophtalmologiste de prendre sa décision.

PROTOCOLE D’UTILISATION DE L’ATROPINE

Pour la cycloplégie, les deux variables dans l’utilisation de l’atropine sont l’âge et les pigmentations irienne, cutanée et des phanères. Plus le sujet sera pigmenté, plus il faudra majorer la prescription et inversement.

DONNÉES DU VIDAL

Les données ici présentées sont celles du Vidal [3]. Nous avons pris pour référence les fiches du laboratoire Alcon :

  • « L’atropine 1 % en collyre est réservée à l’adolescent et à l’adulte (plus de 12 ans). Les formes “collyre” 0,3 % et 0,5 % sont adaptées à l’enfant de moins 12 ans. »

  • « 1 à 2 gouttes, 2 à 4 fois par jour. La dose maximale pour l’enfant de 30 mois à 15 ans correspond à l’instillation de 3 fois 2 gouttes d’atropine à 0,3 % par 24 heures. »

Comme on peut le lire, tout cela est fort imprécis.

FICHE D’INFORMATION DE LA SFO

Le dernier paragraphe de la fiche d’information de la SFO : « Utilisation des collyres mydriatiques en pédiatrie pour la dilatation pupillaire : prématurés, nouveau-nés, enfants » est consacré à la cycloplégie. Il est précisé : « pour une cycloplégie plus complète ou si le cyclopentolate est insuffisant (enfants mélanodermes notamment) ou contre-indiqué : atropine 1 goutte 2 fois par jour pendant 5 à 7 jours avant la mesure (0,3 % jusqu’à 2 ans, 0,5 % au-delà) » .

À titre personnel, nous suivons un protocole très voisin de la fiche d’information de la SFO.

PROTOCOLE PERSONNEL

C’est le même protocole quel que soit l’âge : 1 goutte 2 fois par jour (matin et soir) pendant les 5 jours qui précèdent la consultation et le matin de la consultation. La principale variable d’ajustement est l’âge, une modulation est également effectuée avec la pigmentation des phanères.

  • Avant 2 ans : atropine à 0,3 % .

  • Entre 2 et 8 ans : atropine à 0,5 % .

  • Après 8 ans : atropine à 1 % .

Pour les complications sur l’utilisation de l’atropine, nous encourageons le lecteur à lire la synthèse la plus complète en langue française qu’il trouvera dans le chapitre consacré aux moyens diagnostiques du livre de G. Clergeau [2].

À noter que certains utilisent comme limites : 3 ans > 0,3 % ; 3 à 12 ans : > 0,5 % ; > 12 ans : 1 % (voir chapitre 3.2).

PROTOCOLE D’UTILISATION DU CYCLOPENTOLATE
DOSAGE

Le cyclopentolate est commercialisé en France sous le nom de Skiacol®. Son dosage est à 0,5 % . Dans la majorité des pays étrangers, il est commercialisé sous la forme d’un dosage à 1 % . Cette différence peut avoir une influence sur les protocoles utilisés et la fréquence et l’intensité des incidents.

DONNÉES DU VIDAL

Ces données sont les suivantes [3] :

  • enfant de moins de 1 an : « il est contre-indiqué » ;

  • jeune enfant (1 à 3 ans) : « 1 seule goutte dans chaque œil » ;

  • enfant (au-delà de 3 ans) et adulte : « 1 goutte, suivie d’une 2e goutte instillée 10 minutes après, si nécessaire » .

FICHE D’INFORMATION DE LA SFO

« Une goutte et une autre goutte 10 minutes après, mesure 45 à 60 minutes après la première instillation. Contre-indiqué avant 1 an et en cas d’antécédents de convulsions. »

PROTOCOLE PERSONNEL

Ce protocole suit la demande d’évaluation de la molécule qui avait été faite auprès du Pr M. Quéré pour son autorisation de mise sur le marché (AMM) [4] : « une goutte, une autre goutte 5 minutes après et une autre goutte 10 minutes après, mesure à 45 minutes après la première instillation. »

Nous respectons toujours ce protocole pour des raisons d’efficacité et de sÛreté. En effet, un des inconvénients du protocole à 2 gouttes est que si une des gouttes est mal instillée pour diverses raisons, le protocole est insuffisant.

Le délai de 45 minutes doit être parfaitement respecté. À 30 minutes, l’efficacité est insuffisante. Aux alentours de 60 minutes, l’efficacité diminue.

QUELQUES REMARQUES

Du fait de la complexité de l’usage de l’atropine, nous utilisons le cyclopentolate ( « hors AMM » ) entre 6 mois et 1 an.

La contre-indication en cas d’antécédents de convulsions n’existe plus.

SYNTHÈSE

Le cyclopentolate est notre produit de base. Nous n’utilisons l’atropine que dans des circonstances particulières : mélanoderme, résistance d’une amblyopie au traitement, persistance d’une petite ésotropie, etc.

Détermination de la réfraction emmétropisante
QU’EST-CE QUE LA RÉFRACTION EMMÉTROPISANTE?

La réfraction emmétropisante est la réfraction qui permet d’obtenir la meilleure acuité visuelle (20/10), l’œil du patient étant au repos, c’est-à-dire cycloplégié et en mydriase. C’est donc une réfraction subjective dans des conditions particulières. La correction optique totale en est sa prescription.

QUELLES SONT LES CAUSES D’INCERTITUDE DE TOUTE RÉFRACTION SUBJECTIVE?

Toute réfraction subjective comprend différentes sources d’incertitude.

ACCOMMODATION

L’accommodation est la principale source d’incertitude de toute réfraction subjective. Si l’on veut déterminer avec précision le défaut réfractif, il est nécessaire de mettre l’accommodation au repos, c’est-à-dire de faire une cycloplégie.

Les capacités accommodatives de l’enfant sont exceptionnelles et d’autant plus importantes que l’enfant est jeune. Les méthodes de réfraction subjective aussi raffinées soient-elles ne permettent jamais d’avoir la certitude d’un relâchement accommodatif complet. La cycloplégie est donc un impératif, tant que des capacités accommodatives persistent, si l’on veut déterminer une réfraction avec précision.

PROFONDEUR DE CHAMP

La profondeur de champ (profondeur de focalisation au niveau rétinien) est une conséquence du diamètre pupillaire [5]. Elle entraîne une incertitude dioptrique dans la réponse du patient. Celle-ci est de ± 0,48 D pour un myosis de 2 mm, de ± 0,17 D pour une mydriase de 8 mm et supérieure à ± 1 D pour un trou sténopéique de 0,87 mm. La seule façon de limiter cette incertitude est de mettre la pupille en mydriase.

ACUITÉ VISUELLE

La distance entre deux cônes fovéolaires est de 3 µm. Cette distance sous-tend un arc de 30 secondes, ce qui correspond à une acuité visuelle de 20/10. Toute échelle d’acuité visuelle devrait donc aller jusqu’à cette valeur. L’acuité visuelle maximum est pratiquement toujours supérieure à 10/10 dès 7 à 8 ans et atteint assez souvent 20/10 chez le grand enfant et l’adolescent. Cet état de fait a trois conséquences :

  • toute mesure de l’acuité visuelle doit rechercher non une acuité visuelle de 10/10 mais la meilleure (maximale) acuité visuelle;

  • toute amblyopie organique ou fonctionnelle entraîne une incertitude de réponse qui est d’autant plus importante que l’amblyopie est importante. Il est inutile de raffiner la réfraction subjective pour cette population. Cela ne peut qu’être une source d’erreur. Pour cette population, la réfraction objective est sans doute la réponse la moins incertaine;

  • toute réfraction subjective qui n’est pas faite sur la meilleure acuité visuelle aura une incertitude d’environ ± 0,25 D (pour plus de précision, voir [5]) par ligne de différence entre la ligne utilisée pour faire la réfraction et la ligne maximum d’acuité visuelle et ceci en notation logarithmique.

Naturellement, cette liste n’est pas close et d’autres facteurs d’incertitude interviennent également mais ce n’est pas l’objet de cette étude [5].

POURQUOI FAIRE UNE RÉFRACTION SUBJECTIVE CYCLOPLÉGIÉE?

Parce que la comparaison systématique des mesures du réfractomètre automatique et de la réfraction subjective sous cycloplégique montre une sur-correction d’un quart à une demi-dioptrie en moyenne avec des comportements individuels imprévisibles.

ET SI ON NE PEUT PAS FAIRE DE RÉFRACTION SUBJECTIVE?

C’est le cas chez le jeune enfant et chez un certain nombre de patients. La meilleure solution est de prescrire la valeur brute du ticket du réfractomètre automatique. Cette valeur est statistiquement la plus précise.

Méthodes objectives
RÉFRACTOMÈTRES PORTABLES

À côté des réfractomètres automatiques sur table qui restent la référence (chaque génération apportant des progrès appréciables, mais aucune ne règle le problème de l’accommodation par sa nature même), des réfractomètres portables (Rétinomax®, Sure-Sight®, etc.) sont apparus. Bien maniés, ceux-ci sont d’une excellente précision. Ils sont statistiquement la méthode la plus fiable. Ils sont la référence pour la population qui est trop jeune pour être mesurée au réfractomètre sur table.

SKIASCOPIE

C’est une excellente méthode. Pour ceux qui n’ont pas de réfractomètre portable, c’est la méthode de référence. Les réfractomètres automatiques sont d’un emploi plus simple et sont statistiquement plus précis. Ils sont conseillés chez le jeune enfant.

De toute façon, l’opposition skiascopie/réfractomètre automatique est une opposition dépassée pour de nombreuses raisons : efficacité, précision, reproductibilité, délégation, etc. Pratiquement, il est impossible de former les jeunes générations et on n’en voit aucune raison. Même dans les cas difficiles, une mesure à la volée avec un réfractomètre portable est souvent plus précise que tout l’art d’un skiascopiste surentraîné et blanchi sous le harnois. D’ailleurs, en existe-t-il encore aujourd’hui?

AUTRES METHODES

D’autres méthodes sont apparues pour faire des réfractions objectives à distance (1 m) et en binoculaire. Aucun de ces appareils n’a encore une précision suffisante pour être utilisé en diagnostic.

Quant à leur utilisation dans le cadre d’un dépistage, c’est-à-dire hors du cabinet de l’ophtalmologiste, le débat n’est pas tranché. En effet, le dépistage stricto sensu est une délégation de tâche à un professionnel non spécialiste. Un enfant qui se présente au cabinet d’un ophtalmologiste ne vient pas pour un dépistage, mais un diagnostic, c’est-à-dire un examen obligatoirement, comme nous l’avons rappelé plus haut, avec une dilatation pour examen anatomique et une réfraction sous cycloplégie. Et il est bien prouvé que ces appareils à distance n’arrivent à relâcher l’accommodation que de façon relativement aléatoire. De ce fait, une réponse soi-disant normale avec ces appareils ne peut rassurer que de façon aléatoire!

Ces appareils ouvrent cependant la voie à des évolutions importantes. La réfractométrie binoculaire à 1 mètre est sÛrement une voie qui trouvera une place à l’avenir, mais ce n’est pas le présent et il faudra toujours être conscient de ses limites.

Correction du défaut réfractif

La réfraction emmétropisante est la valeur de l’anomalie réfractive sur laquelle va se fonder la prescription. À partir de cette donnée, le thérapeute la prescrira en partie ou en totalité suivant la valeur de celle-ci et suivant la pathologie du patient. Nous allons voir successivement les lignes thérapeutiques à suivre.

PATHOLOGIE ORGANIQUE, AMBLYOPIE ET STRABISME

La ligne thérapeutique est simple. Le réglage de l’accommodation est binoculaire et se fait en partie sur le net et le flou. Dans tous ces cas et du fait de la pathologie, il existe une image floue sur au moins un des deux yeux : la lésion organique elle-même, le flou lié à l’amblyopie, la neutralisation liée au strabisme, etc.

De ce fait, si la boucle de régulation de l’accommodation est déréglée sur un œil en cas d’anomalie organique, elle le sera donc sur l’autre œil aussi. C’est pourquoi la correction emmétropisante, en mettant en butée la désaccommodation, va assurer une image nette et stable.

Dans tous ces cas, la prescription de la réfraction emmétropisante, c’est-à-dire de la correction optique totale, et son port permanent est une règle sans exception.

PATHOLOGIE FONCTIONNELLE DE L’ENFANT

Cette symptomatologie est très diverse. Seule la mise en place d’une thérapeutique bien conduite pendant l’enfance pourra entraîner une guérison ou une réduction significative de celle-ci.

Elle va de l’absence de symptômes décrits spontanément par le patient mais que le thérapeute retrouvera grâce à une écoute attentive et bienveillante à des troubles divisés en deux groupes : généraux ou purement visuels.

TROUBLES GÉNÉRAUX

Ceux-ci comprennent un ensemble de troubles difficiles à classer mais bien connus : asthénopie, « fatigue » visuelle, défaut d’attention, instabilité, hyperactivité ou repli sur soi, mauvais résultats scolaires, etc. Ces signes doivent amener à se poser la question d’un dysfonctionnement visuel qui aurait un coÛt de compensation excessif pour l’enfant.

TROUBLES PUREMENT VISUELS

Là aussi, ils sont très divers. On peut les regrouper en diverses catégories.

Une amblyopie discrète

L’amblyopie est le plus souvent passée inaperçue car la mesure de l’acuité visuelle a, par habitude, été arrêtée à 10/10.

À partir de 6 à 8 ans, rappelons que 10/10 n’est pas l’acuité visuelle normale et que la plupart du temps, elle s’échelonne entre 12 et 20/10, progressant avec la maturation.

Un astigmatisme mal corrigé

Plusieurs signes peuvent l’évoquer :

  • une correction difficile ou insatisfaisante;

  • une dissociation entre les mesures objective et subjective de l’astigmatisme;

  • une amblyopie discrète (10/10 un peu difficile).

Tous ces signes laissent à penser que le facteur sous-jacent est une amblyopie méridienne passée inaperçue et négligée. Elle s’accompagnera de troubles fonctionnels durant toute la vie. Sa correction à l’âge adulte se révélera impossible. Seule sa prise en charge pendant l’enfance peut éviter l’apparition de ces troubles.

Un petit déséquilibre oculomoteur : ésophorie ou exophorie
  • Ésophorie sans trouble réfractif : c’est un symptôme très rare chez l’enfant. L’existence d’une ésophorie, quelle que soit sa valeur, impose une cycloplégie qui retrouve le plus souvent une hypermétropie.

  • Exophorie de plus de 6 à 8 D : c’est l’indication d’une cycloplégie systématique. Contrairement à ce que la « vulgate ophtalmologique » laisse croire, la correction d’une petite hypermétropie (port permanent) est le seul moyen de rétablir une oculomotricité normale. Si ce n’est pas le cas, il faudra envisager des solutions plus agressives.

Une insuffisance de convergence

Chez l’enfant, si elle existe, elle impose également une cycloplégie systématique. La plupart des insuffisances de convergence de l’enfant sont dues à des anomalies réfractives souvent discrètes mais mal corrigées.

Chalazions et orgelets

Il n’existe pas de preuve dans la littérature de l’efficacité de la prescription d’une correction chez les patients présentant cette pathologie. Cependant, la correction systématique de tout défaut réfractif est un préalable qui semble parfois se révéler efficace. Nous parlons bien entendu des petites amétropies.

Conclusion

Cet ensemble de symptômes est invalidant. Le thérapeute a toutes les raisons de le penser puisque la famille de l’enfant l’a amené pour cette raison : « le médecin a tendance à oublier que ce sont les malades qui appellent le médecin » [6]. Si l’enfant se plaint, c’est qu’il a une bonne raison.

N’oublions pas que ces troubles peuvent apparaître à tout âge. Plus la prise en charge sera tardive, plus l’insuccès thérapeutique sera grand.

TRAITEMENT

Dans ces cas, la solution est la prescription de la réfraction emmétropisante, c’est-à-dire de la correction optique totale. Son port permanent est une règle sans exception.

Les arguments et les discussions sur l’intérêt d’une sous-correction plus ou moins forte n’ont pour conséquence que l’inefficacité de la thérapeutique. La règle est simple. Elle doit être appliquée. Ceci n’est pas toujours facile. Nous y reviendrons. C’est la seule chance de succès si la symptomatologie est significative.

Il ne faut jamais oublier que le retentissement est souvent seulement mis en évidence que lorsque la réfraction emmétropisante est prescrite et portée.

CONCEPT D’AMETROPIE MALADIE

C’est un patient qui ne se plaint d’aucune symptomatologie fonctionnelle et qui ne présente aucun retentissement. Plus l’amétropie est forte, plus cela est rare. Cependant, bien des patients qui présentent ce tableau ont une symptomatologie subjective et objective. Seule une écoute attentive et patiente et un examen soigneux peuvent les mettre en évidence.

DÉFINITION

L’amétropie maladie est une valeur de la réfraction qui, en soi, entraîne ou entraînera un trouble fonctionnel. La prise en charge en sera difficile voire impossible à l’âge adulte, à l’âge de la presbytie ou pendant le troisième voire le quatrième âge. Elle se traduit par un coÛt de compensation excessif dont l’expression est très protéiforme. Celui-ci passe totalement inaperçu pendant la durée d’un examen ophtalmologique standard car parfaitement tolérable pendant un temps court. En revanche, la longue durée (jour, mois, année, etc.) va avoir des conséquences de plus en plus importantes.

À PARTIR DE QUELLES VALEURS PEUT-ON PARLER D’AMÉTROPIE MALADIE?

Poser la question sous cette forme est déjà réduire fortement la question et ramener la normalité à une question de statistiques (de moyenne, d’écart type, etc.). Malheureusement, la réalité clinique ne se laisse pas enfermer dans des normes. Il existe, dans les deux sens, de nombreux contre-exemples aux normes.

À partir de l’âge verbal, les valeurs suivantes peuvent être considérées comme des amétropies maladie :

  • pour l’hypermétropie : ≥ + 3,5 D;

  • pour l’astigmatisme : ≥ 1 D;

  • pour la myopie : < –0,5 D.

QUELLE CORRECTION PRESCRIRE DANS L’AMÉTROPIE MALADIE?

La réponse est là encore très simple : le port permanent de la réfraction emmétropisante, c’est-à-dire la correction optique totale.

Là encore, le port d’une sous-correction ou le port intermittent n’auront que, pour conséquence, une inefficacité de la thérapeutique. C’est la loi du tout ou rien. Si elle n’est pas rigoureusement appliquée, le prix à payer par le patient apparaîtra parfois après de nombreuses années. Ce délai fait qu’aucun lien de cause à effet ne sera fait quoique celui-ci soit réel.

On entend parfois (souvent!) qu’il faut dans ces cas respecter l’accommodation tonique. C’est une profonde erreur. Deux citations de Canguilhem [6] l’exprimeront bien mieux qu’une longue démonstration :

  • « Le propre de la maladie c’est d’être une réduction de la marge de tolérance des infidélités du milieu. »

  • « Une fois l’obstacle levé le pathologique redeviendrait physiologique, l’ancien physiologique. Or, c’est ce que nous ne pouvons admettre (…) La norme nouvelle n’est pas la norme ancienne. »

AMÉTROPIE « NORMALE »

La notion de normalité est un concept très souvent utilisé en médecine. Pourtant Canguilhem [6] a bien montré que ce concept était fort complexe et bien difficile à manier. La réfraction en est un excellent exemple. Nous pouvons qualifier de réfraction normale ce qui est compris entre les normes de l’amétropie maladie, c’est-à-dire :

  • pour l’hypermétropie : < + 3,5 D;

  • pour l’astigmatisme : < 1 D;

  • pour la myopie : > -0,5 D.

Ces valeurs d’amétropies sont-elles bien supportées? Oui, en général. Pour certains enfants, une petite hypermétropie sera mal supportée, pour d’autres aucun symptôme ne pourra être décelé. Il en est de même pour les autres amétropies.

QUE FAIRE?

Une proposition de réponse est dans les arbres décisionnels que nous allons voir. Attention, il s’agit d’une proposition de réponse. L’histoire clinique de chaque enfant doit amener l’ophtalmologiste à moduler sa prescription.

PROBLÈME DU JEUNE ENFANT

Trois moments peuvent se distinguer :

Naturellement, cela suppose qu’une cycloplégie ait été effectuée. Les résultats ont été synthétisés sur les Fig. 2-1 à 2-3. Nous les devons au Dr Guy Clergeau [2].

Comme le lecteur pourra le noter, les marges se rétrécissent avec l’âge. Cela est dÛ à diverses raisons : difficulté d’obtenir une cycloplégie complète, diminution de l’incertitude des résultats de la skiascopie ou de la réfractométrie automatique, etc.

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Fig. 2-1 Arbre décisionnel à l’âge de 9 mois.

Chez l’enfant, la mesure préalable de la réfraction sous cycloplégique (atropine ou cyclopentolate) est un préalable qui ne souffre pas d’exception. La réfraction emmétropisante est la réfraction subjective sous cycloplégique (atropine ou cyclopentolate) faite sur la meilleure acuité visuelle. La correction optique totale est la réfraction emmétropisante chez l’enfant d’âge verbal ou le ticket du réfractomètre automatique (ou les valeurs de la skiascopie) chez l’enfant d’âge préverbal. A : anisométropie ; C : cylindre ; H : hypermétropie ; M : myopie.

PROBLÈME DU PORT DE LA CORRECTION OPTIQUE TOTALE

Nous avons vu précédemment que la cycloplégie posait de nombreux problèmes. Le port de la correction optique totale en pose encore de plus grands à la communauté ophtalmologique (nous ne parlerons pas des problèmes de la communauté orthoptique car une prise en charge orthoptique de qualité suppose le port de la correction optique totale).

Elle est une source constante de conflits que l’on veut éviter à tout prix autant pour des raisons organisationnelles que pour des raisons personnelles. Il est vrai que la correction optique totale prend à rebrousse-poil le patient et la totalité des acteurs de la prise en charge :

  • l’ophtalmologiste pour diverses raisons :

    • il doit expliquer et il n’en a pas le temps;

    • il n’est pas « convaincu » . Or pour convaincre, il faut être convaincu;

    • elle est source de conflits et il en a horreur.

  • les collaborateurs non-médecins pour les mêmes raisons;

  • la famille dans toutes ses composantes (elle était plus belle sans lunettes; dès qu’il joue avec ses copains, il casse ses lunettes; etc.);

  • l’opticien dont l’objectif est la satisfaction de son patient (comme si l’on était content de devoir être soigné. Ah! Satisfaction que de dérives fait-on en ton nom!);

  • l’école dans toutes ses composantes. Le non-port des lunettes pendant la récréation est un grand classique. Enlève-t-il ses chaussures de peur de les abîmer?

  • les « mutuelles » qui, dans leur souci d’économie (enfin, espérons-le), pèsent sur les choix thérapeutiques (on préfère des solutions inefficaces qui, in fine, coÛtent très cher mais c’est pour plus tard);

  • la société qui a un point de vue négatif sur le port de lunettes;

  • le patient lui-même : « Miroir, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle? »

Naturellement, cette liste n’est pas close.

Ces derniers points « sociétaux » nous semblent la vraie raison de l’usage pour le moins insuffisant des cycloplégiques et de la non-prescription de la correction optique totale.

Ces faits et l’absence d’intérêt de la puissance publique pour ces problèmes (un tarif spécifique pour la prise en charge d’un enfant atteint d’un trouble visuel serait la moindre des choses) rendent dans ce domaine tout vœu « pieux » .

PROBLÈME DE LA COMPENSATION

C’est le cœur du problème. L’effort que demande la compensation de l’amétropie est-il sans conséquence aujourd’hui et demain? La réponse est non. Toute compensation à un coÛt. Le thérapeute doit le savoir. Quelle sera l’importance de ce coÛt? Quand apparaîtra-t-il? Sera-t-il réversible ou définitif? Nul ne le sait. La seule chose dont on est certain, c’est que la suppression totale de la compensation (la suppression de l’effort) est la seule prescription qui ait un sens.

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Fig. 2-2 Arbre décisionnel à l’âge de 24 mois.

Chez l’enfant, la mesure préalable de la réfraction sous cycloplégique (atropine ou cyclopentolate) est un préalable qui ne souffre pas d’exception. La réfraction emmétropisante est la réfraction subjective sous cycloplégique (atropine ou cyclopentolate) faite sur la meilleure acuité visuelle. La correction optique totale est la réfraction emmétropisante chez l’enfant d’âge verbal ou le ticket du réfractomètre automatique (ou les valeurs de la skiascopie) chez l’enfant d’âge préverbal. A : anisométropie ; C : cylindre ; H : hypermétropie ; M : myopie.

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Fig. 2-3 Arbre décisionnel à l’âge verbal.

Chez l’enfant, la mesure préalable de la réfraction sous cycloplégique (atropine ou cyclopentolate) est un préalable qui ne souffre pas d’exception. La réfraction emmétropisante est la réfraction subjective sous cycloplégique (atropine ou cyclopentolate) faite sur la meilleure acuité visuelle. La correction optique totale est la réfraction emmétropisante chez l’enfant d’âge verbal ou le ticket du réfractomètre automatique (ou les valeurs de la skiascopie) chez l’enfant d’âge préverbal. H : hypermétropie.

Conclusion

La réfraction et la correction des défauts réfractifs chez l’enfant restent un problème d’actualité. Malgré des avancées considérables dans le domaine des connaissances et des techniques, les prises en charge quotidiennes ont peu évolué. Ce sera un obstacle difficile à franchir car il interroge la société dans son ensemble. Ceci est d’autant plus dommageable que les conséquences sur l’avenir visuel (être en bonne santé visuelle) de nos patients sont importantes. Seule une prise en charge rigoureuse des troubles réfractifs chez l’enfant permettrait d’atteindre cet objectif.

Pour terminer ce sous-chapitre, cette citation de G. Westheimer [7] paraît le mieux résumer la situation dans laquelle le sujet et l’examinateur se trouvent : « C’est seulement une hypothèse que de supposer qu’un œil donné à un moment donné est au point optimal de la fonction de diffusion. »

Enfin, le lecteur pourra se référer aux recommandations de l’ANSM [8] et au chapitre « Cycloplégie » du Rapport 2013 de la SFO [9], ainsi qu’au chapitre 3.2 de ce présent Rapport.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Péchereau A, Denis D, Speeg-Schatz C Strabisme. Rapport de la Société française d’ophtalmologie Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson (2013). 544

[2]  Clergeau G La réfraction de l’enfant. ED A & J. Péchereau, Nantes, 2008 Ref-Enfant.html

[4]  Quéré MA La correction optique de l’amétropie. In : Le traitement médical des strabismes. Ed À & J Péchereau pour FNRO Éditions, p. 11–18TT Medical.pdf 2006

[5]  Péchereau A Mesure de l’acuité visuelle ou de la réfraction? La réfraction de l’œil Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson (2007). 175-177

[6]  Canguilhem G Le normal et le pathologique Paris: PUF (2013). 290

[7]  Westheimer G Visual Acuity Adler’s Physiology of the Eye St Louis: Mosby (1992). 533

[8]  Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé. Utilisation des collyres mydriatiques en pédiatrie pour l’obtention d’une mydriase ou d’une cycloplégie à visée diagnostique.Novembre 2012. Utilisation-des-collyres-mydriatiques-en-pediatrie-pourl-obtention-d-une-mydriase-ou-d-une-cycloplegie-a-visee-diagnostique-Point-d-information

[9]  Clergeau G Cycloplégie Strabisme. Rapport de la Société française d’ophtalmologie Issy-les-Moulineaux: Elsevier (2013). 44-46

2. Traitement de l’amblyopie
Préambule

Le rapport de la Société française d’ophtalmologie de 2013 [1] consacre un chapitre entier de grande qualité à l’amblyopie et à son traitement. Depuis, les connaissances n’ont pas évolué significativement. Dans ce domaine et comme Audren [2] l’a bien montré, les études du Pediatric Eye Disease Investigator Group (PEDIG) ont plus apporté de confusion que de clarté.

Dans les lignes qui vont suivre, nous nous contenterons de proposer une stratégie efficace pour obtenir l’objectif de tout traitement de l’amblyopie : l’isoacuité. Rappelons que ce n’est pas l’objet des études du PEDIG.

Bases théoriques du traitement
QU’EST-CE QUE L’AMBLYOPIE FONCTIONNELLE?

C’est le témoin d’un conflit entre l’information visuelle provenant de l’œil droit et celle provenant de l’œil gauche. Il provient d’une différence qualitative ou quantitative des informations provenant de chaque œil, ce qui entraîne un défaut de synchronisation entre les images de l’œil droit et de l’œil gauche. Il est résolu par l’oubli de l’image d’un œil ou amblyopie.

D’une certaine façon, l’amblyopie est donc une thérapeutique : elle résout le conflit en abaissant fortement le niveau d’information de l’œil dominé.

QUELLES SONT LES SOURCES DE CE CONFLIT?

Pour une présentation plus complète, voir [1] et [3].

Les sources du conflit sont dans l’asymétrie de l’information visuelle entre les deux yeux. Sur le plan concret, il existe trois sources essentielles :

  • les amblyopies organiques;

  • l’anisométropie;

  • la diplopie liée à la maladie strabique.

Deux ou trois de ces pathologies peuvent être intriquées.

LA PÉRIODE CRITIQUE

Pour une présentation plus complète, voir [1] et [3].

Ce conflit ne peut modifier l’organisation neuronale que pendant la mise en place de cette organisation (le cerveau du nouveau-né est immature, il présente un processus de maturation pendant les premières années de vie). Cette période de maturation va de 6 mois à 10 ans (12 ans dans certains cas). C’est une expression de la plasticité cérébrale. Elle se divise en trois périodes :

  • la première période allant de 6 mois à 2 ans. La plasticité est maximum. Les dégâts sont très rapides, leurs guérisons aussi. Mais de cela, un principe doit être tiré : il est nécessaire d’agir le plus tôt possible;

  • la deuxième période allant de 2 à 10 ans. La plasticité cérébrale diminue progressivement et, à 10 ans (12 chez certains), on peut considérer que les réseaux neuronaux sont fixés. De cela, un deuxième principe peut être tiré : un traitement actif doit être mis en place jusqu’à la fin de la période de plasticité cérébrale;

  • la troisième période : c’est l’âge adulte où la plasticité cérébrale est à son minimum.

RÈGLES DE PRISE EN CHARGE

À partir de ce cadre général, des nuances doivent être faites. L’âge limite de la prise en charge suit les règles suivantes :

  • jusqu’à 6 ans, la plasticité des neurones visuels est excellente. Les chances de guérison par un traitement bien conduit sont très élevées;

  • à partir de 8 ans, les réseaux neuronaux sont peu plastiques et les chances de succès sont faibles. Il existe de nombreux contre-exemples à cette affirmation mais, statistiquement, cette affirmation est vraie;

  • la plasticité cérébrale dure partiellement toute la vie. On peut toujours rencontrer des cas exceptionnels;

  • en cas de perte du bon œil à l’âge adulte, il y a 40 % de chance d’amélioration de la vision de l’œil amblyope.

Conséquences pratiques
ÉGALISATION DES STIMULATIONS

Pour une présentation plus complète, voir [1] et [3].

L’égalisation des stimulations est à la base de la prise en charge. Elle porte un nom bien connu : la correction optique totale. Elle est déterminée par la réfraction emmétropisante dont nous avons vu les principes. En effet, l’œil amblyope du fait même de l’amblyopie (et ceci est vrai pour tous les types d’amblyopie) ne peut pas régler sa mise au point (l’atteinte du pouvoir de discrimination l’en empêche). De ce fait, la réfraction subjective n’a pas de sens chez l’amblyope. La correction optique totale est le seul point à partir duquel l’accommodation peut se régler. Cette règle ne souffre d’aucune exception.

RUPTURE DU CONFLIT

Le conflit n’existe que pendant les périodes de binocularité. Pour le rompre, il suffit (et il faut) supprimer les informations visuelles d’un œil (toutes les informations visuelles). Ce traitement est donc simple : l’occlusion totale.

Quel est le rythme de cette occlusion? La réponse est simple : dès que les deux yeux sont ouverts, le conflit, source de l’amblyopie, recommence. Donc l’occlusion devra être permanente. Quand la profondeur de l’amblyopie aura régressé de façon importante, d’autres stratégies seront mises en place.

DURÉE DU TRAITEMENT

Le traitement est défini par l’emploi d’un artifice permettant au thérapeute de gérer le temps d’utilisation de chaque œil.

RÈGLE DE BASE

En toute logique, le traitement devrait être poursuivi jusqu’à l’âge de 10 ans. Dans la réalité pratique, un traitement de 5 ans est toujours nécessaire et souvent suffisant.

Cette durée n’est-elle pas trop longue?

Cette durée est longue. Elle peut paraître excessive. Certains patients n’ont probablement pas besoin d’une thérapeutique aussi prolongée. Mais cette durée offre le meilleur rapport efficacité/sécurité pour le patient et le thérapeute.

Cette durée n’est-elle pas trop courte?

Cette durée est trop courte pour certains patients. Il n’est pas rare de rencontrer des patients pour lesquels la durée du traitement a été de 10 ans. Cette population de patients résistants n’est pas identifiable. On peut simplement préciser les facteurs de risque :

  • prise en charge tardive;

  • difficulté de la récupération initiale;

  • existence d’un facteur organique;

  • présence d’une anisométropie.

Ce sont tous des facteurs de risque. Dans tous ces cas, mais aussi pour tous les autres patients, le thérapeute devra renforcer sa surveillance à la fin du traitement car une rechute de l’amblyopie est toujours possible.

Quel objectif?

La réponse est simple : l’isoacuité.

QUEST-CE QUE L’ISOACUITÉ?

L’isoacuité est définie comme une différence d’acuité visuelle entre les deux yeux inférieure ou égale à une ligne d’acuité visuelle en notation logarithmique (l’échelle de mesure utilisant des optotypes groupés et allant jusqu’à 20/10 d’acuité visuelle). Cette règle s’impose à tous.

CET OBJECTIF EST-IL UTOPIQUE?

II n’en est rien. Dans une étude rétrospective faite dans le service d’ophtalmologie du CHU de Nantes sur 50 patients tirés au sort qui avaient suivi le traitement pendant la durée exigée, les résultats sont les suivants :

  • 80 % des patients ont une isoacuité vraie;

  • 84 % des patients n’ont plus d’amblyopie, définie comme on vient de l’indiquer par une différence d’une ligne logarithmique.

Cet objectif est parfaitement réalisable.

CET OBJECTIF EST-IL A CONTRE-COURANT?

La réponse est clairement oui. Dans la littérature de ces dix dernières années (étude PEDIG en particulier, mais bien d’autres également), d’autres objectifs apparaissent. Il est clair que nous sommes en train de changer de paradigme dans le domaine de la prise en charge de l’amblyopie (ce n’est pas le seul changement de paradigme en ophtalmologie et sans doute en médecine). De façon insidieuse, la définition d’un succès thérapeutique a été changée. Nous sommes passés de l’isoacuité à l’amélioration de l’acuité visuelle [2].

POURQUOI UNE TELLE EXIGENCE (L’ISOACUITÉ)?

Pour une présentation plus complète, voir [1] et [3].

Les exigences de l’isoacuité sont multiples :

  • amélioration de la vision stéréoscopique;

  • risque de perte du bon œil dont le risque augmente avec la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA);

  • qualité de vie;

  • performance binoculaire.

Tous ces arguments, et ils sont forts, font que l’isoacuité est notre seul objectif. Ne pas l’atteindre doit être considéré comme un échec.

Commutation

Pour une présentation plus complète, voir [4].

Ce point est essentiel à comprendre : « Dans tous les cas où il y a une compétition entre l’information visuelle des deux yeux et qu’il n’y a pas de diplopie (strabisme, anisométropie forte, etc.), un phénomène de commutation se met en place en binoculaire. L’information fovéolaire de l’œil dévié, spontanément ou par un artifice (quel qu’il soit), est oubliée. S’il n’y a pas de diplopie, la situation est binaire : la fovéola de l’œil dévié est soit “on” soit “off “. Il n’y a pas d’autres possibilités. Cela a une importance thérapeutique capitale. Dans la réalité, le thérapeute n’a à sa disposition qu’une seule solution pour gérer la stimulation de chaque œil : la gestion du temps. » [4]

Outils du traitement
CORRECTION OPTIQUE TOTALE

La correction optique totale est à la base de tout. Nous en avons déjà parlé longuement (voir chapitre 2.1). Nous n’y reviendrons pas. Aucune sous-correction n’est effectuée. Pendant toute la prise en charge, cette correction doit être prescrite et portée par l’enfant. Il n’y a aucune exception à la règle.

OCCLUSION TOTALE ET PERMANENTE

Pour une présentation plus complète, voir [5].

C’est l’occlusion d’un œil par un pansement. Elle doit être portée en permanence jour et nuit (le port de l’occlusion la nuit est justifié pour des raisons pratiques et des raisons psychologiques. Ce port montre à l’enfant et à la famille que ce traitement ne doit être interrompu sous aucun prétexte). À l’occlusion totale et permanente correspond l’aphorisme du Pr M. Quéré : « Cinq minutes sans traitement, c’est huit jours en arrière. »

Les échecs de l’occlusion sont dus au non-respect des consignes pour leur immense majorité. Un interrogatoire précis et sans complaisance pour déterminer les manquements à la règle, associé à un rappel du respect strict des règles suffit très souvent à transformer un échec en un succès thérapeutique à la grande satisfaction des parents.

TECHNIQUES DE « HANDICAP » DU BON ŒIL
SECTEURS

Dans l’amblyopie, les secteurs n’ont pas d’indication.

SURCORRECTIONS OPTIQUES UNILATÉRALES

Pour une présentation plus complète, voir [6] et [7].

Description

C’est la méthode de choix pour prendre le relais de l’occlusion. Pour la description des différents types de surcorrection optique unilatérale, nous conseillons au lecteur de consulter l’article de Clergeau [7]. La surcorrection optique unilatérale reste de loin la référence. La surcorrection optique alternante est souvent utilisée pour des raisons de commodité bien qu’elle ait un coÛt plus important.

Point faible de la méthode

Le point faible se fonde sur le fait que l’enfant doit porter sa correction optique totale. Or, la pratique quotidienne montre que cette règle n’est pas toujours (rarement) respectée par les ophtalmologistes, rendant la méthode inefficace et compliquant fortement le travail de l’orthoptiste. Avec une surcorrection de + 3 D, l’acuité visuelle en vision de loin est de 0,1 à 0,12 tout au plus. Au-dessus, c’est le signe que la correction optique totale n’est pas à la base de la prescription.

Surcorrection optique ou pénalisation

À notre époque, il faut préférer l’expression « surcorrection optique unilatérale » ou « alternante » au vocable « pénalisation » . Ce dernier est d’ailleurs un mot mal choisi et a porté préjudice à la méthode. Dans les faits, il ne s’agit pas d’une pénalisation (d’un handicap) mais d’une division de l’espace en deux : loin et près. Un œil regarde au loin, celui qui ne porte pas la surcorrection, l’autre regarde au près, celui qui porte la surcorrection.

Balance spatiale

Cette division de l’espace en deux – le loin pour un œil, le près pour l’autre – est le point clé de la méthode. Le thérapeute devra toujours essayer de l’obtenir. C’est la garantie du bon fonctionnement de la méthode.

ATROPINE

Pour une présentation plus complète, voir [7].

L’atropine peut être employée dans deux situations :

  • lorsque l’on veut spécialiser un œil en vision de loin, ce sera l’œil atropiné. L’autre œil ayant encore son accommodation sera utilisé en vision de près. Comme pour les surcorrections optiques unilatérales, c’est aussi une division de l’espace;

  • lorsque l’on veut forcer un enfant à utiliser une surcorrection unilatérale et obtenir une balance spatiale. Dans ce cas, plusieurs solutions sont possibles :

    • soit dans l’œil fixateur surcorrigé : cette prescription est faite pour éviter que l’enfant regarde par-dessus ses lunettes. Elle n’est utilisée que dans les amétropies significatives;

    • soit dans l’œil non surcorrigé : dans ce cas, l’œil non surcorrigé est fixateur exclusif (de loin et de près). La prescription de l’atropine en paralysant l’accommodation empêche l’usage de près de l’œil non surcorrigé.

L’atropine est d’une très grande souplesse d’utilisation de 1 goutte par semaine à 3 gouttes par jour. Son efficacité est redoutable. Elle a un effet permanent. Elle peut diminuer les conflits entre parents et enfant quant au port d’un pansement. C’est une aide précieuse.

Rappelons qu’un œil complètement cycloplégié ne voit que :

  • en vision de près : P10 ou R10 avec sa correction optique totale;

  • en vision de loin : 0,1 à 0,12 avec une surcorrection de + 3 D sur la correction optique totale.

Ces tests permettent de juger de la qualité de la cycloplégie, de la réalité de l’instillation des gouttes et de l’exactitude de la correction portée.

OCCLUSION INTERMITTENTE

L’occlusion intermittente consiste à mettre une occlusion de quelques heures par jour (variable suivant les cas), tous les jours. Cette thérapeutique est efficace et a des qualités. Cependant, elle a l’inconvénient de réveiller journellement le conflit parents-enfant. L’expérience montre qu’elle ne dure pas. Plus ou moins rapidement, le conflit devient trop difficile à gérer par la cellule familiale et la thérapeutique doit être abandonnée. Les surcorrections optiques unilatérales sont d’un emploi plus simple et sont plus efficaces.

FILTRES RYSER/BANGERTER

Pour une présentation plus complète, voir [4] et [8].

Ces filtres connaissent un regain de faveur. Celui-ci est immérité. Il faut leur préférer les surcorrections unilatérales plus souples, plus élégantes et plus efficaces, mais « nul n’est prophète dans son pays » .

VISUAL TRAINING

Pour une présentation plus complète, voir [9].

En 2006, Laroche en a fait une présentation complète de la situation [9]. Depuis, malgré de nombreuses publications, rien n’a changé sur le fond : cette technique optométrique est inefficace.

Séquence thérapeutique
PREMIÈRE CONSULTATION
PRISE DE RENDEZ-VOUS

Rappelons que le traitement de l’amblyopie, s’il n’est pas une urgence immédiate, est une urgence différée. De plus, l’apparition d’un strabisme peut être le signe d’une amblyopie organique dont l’origine peut nécessiter un acte thérapeutique majeur rapide.

On peut parfaitement comparer l’apparition d’un élément pouvant faire craindre une baisse d’acuité visuelle chez un jeune enfant à l’apparition de métamorphopsies chez un adulte. De ce fait, l’apparition d’une telle symptomatologie doit amener à une proposition d’un rendez-vous rapide (quelques semaines tout au plus).

Lors d’une demande de rendez-vous, on ne devrait plus avoir la réponse suivante que certains parents entendent pour leur enfant de 6 mois : « On ne peut rien faire avant 2 ans. » On a parfaitement le droit de ne pas s’intéresser à la pathologie pédiatrique. Dans ce cas-là, on la confie à un collègue qui a une telle appétence.

PREMIÈRE CONSULTATION EN ELLE-MÊME

Elle doit répondre à trois questions.

Y a-t-il une amblyopie?

Dans tous les cas, l’acuité visuelle de chaque œil doit être soit mesurée soit estimée. Le diagnostic de la présence ou non d’une amblyopie doit être fait.

Quelle est la réfraction de chaque œil?

Pour répondre à cette question, une cycloplégie par un cycloplégique fort doit être faite dès et pendant la première consultation de tout enfant.

Quel est le bilan objectif?

Une appréciation du segment antérieur et un fond d’œil doivent être toujours réalisés.

Ces trois éléments doivent être systématiquement évalués dès la première consultation. Cela fait partie des règles de bonne pratique. Ce bilan ne souffre d’aucun retard et doit être systématique.

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

La prise en charge thérapeutique s’effectue dès la première consultation. Elle comprend en général deux volets.

PRESCRIPTION DE LA CORRECTION OPTIQUE TOTALE

Si l’enfant présente une amblyopie, la correction optique corrigeant la totalité du défaut amétropique aux deux yeux est prescrite.

PRESCRIPTION D’UNE OCCLUSION TOTALE

S’il s’agit d’une amblyopie active (strabisme et/ou anisométropie), la prescription d’une cure d’occlusion totale et permanente est prescrite immédiatement. Il n’existe qu’une seule exception : c’est quand l’amétropie est susceptible d’expliquer l’amblyopie. Dans ce cas, on prescrit la correction emmétropisante et l’on revoit l’enfant rapidement (6 semaines à 2 mois). Si l’amblyopie n’a pas disparu, l’occlusion est alors systématiquement prescrite.

RYTHME DE L’OCCLUSION TOTALE

Les règles suivies sont les suivantes.

Avant 1 an

Du fait de la forte réactivité thérapeutique du jeune enfant, le traitement suit des règles spécifiques.

Pendant la période d’éveil, il est demandé aux parents de faire une occlusion totale de 1 heure/mois de vie de l’œil non amblyope (6 mois = 6 heures, 10 mois = 10 heures). Le reste du temps, les deux yeux sont laissés libres.

Dans l’amblyopie organique, ces chiffres sont un minimum.

Le contrôle est effectué 15 jours plus tard et, en général, le rythme suivant est mis en place :

  • un tiers du temps d’éveil : occlusion de l’œil droit;

  • un tiers du temps d’éveil : occlusion de l’œil gauche;

  • un tiers du temps d’éveil : absence d’occlusion.

Naturellement, ceci est modulé en fonction de la récupération de l’amblyopie et de la pathologie associée.

Entre 1 et 2 ans

Une occlusion alternante, totale et permanente est mise en place. Le rythme va de 2 jours sur l’œil sain/1 jour sur l’œil amblyope à 6 jours sur l’œil sain/1 jour sur l’œil amblyope en fonction de l’âge de l’enfant. Si l’enfant se rapproche de 12 mois, la première solution est préférée. Si l’enfant se rapproche de 24 mois, la seconde solution est préférée. Le contrôle se fait entre 2 et 4 semaines.

Après 2 ans et jusqu’à 8 ans

La règle est simple. Une occlusion totale et permanente de 1 semaine par année d’âge (2 ans = 2 semaines, 4 ans = 4 semaines, etc.) est prescrite. Pendant cette période, le bon œil ne doit pas voir la lumière. Les parents doivent changer le pansement dans l’obscurité.

À mi-parcours, une consultation intermédiaire auprès de l’orthoptiste peut être intéressante pour évaluer l’évolution de l’œil amblyope et vérifier si le traitement est bien fait. L’occlusion sur le bon œil est laissée pendant toute la durée de l’examen. L’acuité visuelle du bon œil n’est pas mesurée. Un soutien psychologique des parents sous la forme d’encouragements est un adjuvant intéressant.

Beaucoup s’interrogent sur la prise en charge de l’enfant d’âge scolaire. Dans ces cas-là, le début de l’occlusion est retardé à un début de vacances scolaires (il suffit d’attendre 7 semaines au plus). Cette procédure est établie après une discussion avec les parents sur le risque d’échec scolaire. Ce sont eux qui prennent la décision de traiter ou non.

AUTRES RECOMMANDATIONS
CONSULTATION SUIVANTE

Il est demandé aux parents de venir avec l’enfant portant l’occlusion. C’est le thérapeute qui enlève le pansement lui-même après avoir mesuré l’acuité visuelle de l’œil amblyope.

INFORMATION DES PARENTS

Trois points sont essentiels. Les parents doivent en être systématiquement prévenus.

Risque d’amblyopie à bascule

L’amblyopie à bascule est le signe d’une sensibilité des réseaux neuronaux à la thérapeutique. Quand celle-ci apparaît, ce n’est plus qu’une question d’équilibre de la thérapeutique. L’analyse des dossiers après l’arrêt de tout traitement montre que, systématiquement, l’ancien œil dominant (devenu dominé après bascule) demeure l’œil dominant à terme. Il a parfaitement résisté à la thérapeutique. Même si ce fait peut rendre très optimiste quant à l’avenir d’une amblyopie à bascule, les parents doivent être prévenus de ce risque.

Majoration de l’angle strabique

C’est un risque incontestable. La déviation peut être multipliée par 5. Là encore et paradoxalement, c’est le signe de la guérison de l’œil amblyope qui, en retrouvant son pouvoir de discrimination, retrouve ses capacités accommodatives. Son réveil déclenche la déviation. Là encore, les parents doivent être prévenus de ce risque dès la première consultation.

Faible évolution des amétropies

Comme nous le verrons ailleurs, plus l’amétropie est forte, plus les chances d’une diminution significative sont faibles. Les parents doivent en être prévenus.

NYSTAGMUS

Ni le nystagmus patent, ni le nystagmus latent ne sont une contre-indication à l’occlusion. Au contraire, l’occlusion est souvent la seule thérapeutique efficace.

OCCLUSION ET BASSE VISION

La basse vision des deux yeux n’est en aucune façon une contre-indication à l’occlusion pour les raisons suivantes :

Amblyopie organique

La basse vision est le signe d’une amblyopie organique dont le pronostic est réservé tant sur le bon œil que sur le mauvais. De ce fait, les deux yeux doivent être amenés à leur meilleur niveau d’acuité visuelle possible. Le nombre de patients où le mauvais œil est devenu le bon, ne se compte plus. Il faut obtenir la meilleure acuité visuelle possible pour les deux yeux. Il n’y a que des mauvaises raisons (parfois étayées par une mauvaise compréhension de la littérature scientifique) pour ne pas le faire.

Nystagmus

Les travaux récents montrent une modification de nos paradigmes. Pour beaucoup de thérapeutes, le nystagmus était responsable de la basse vision. Ce fait semble erroné. Le nystagmus semble être la meilleure adaptation motrice des réseaux neuronaux pour extraire la meilleure acuité visible possible en fonction des capacités organiques. Ce fait est d’ailleurs corroboré par la clinique :

  • minoration du nystagmus dans les cataractes congénitales quand l’acuité visuelle s’améliore;

  • minoration du nystagmus sur l’œil sain quand l’acuité visuelle et le nystagmus de l’œil le plus amblyope s’améliorent;

  • dans nombre de cas, l’acuité visuelle de l’œil dominant sous occlusion totale et permanente s’est améliorée du fait de l’amélioration de l’acuité visuelle de l’œil dominé entraînant une minoration du nystagmus.

APRÈS LA PREMIÈRE PHASE
Échec thérapeutique

Une occlusion bien faite entraîne généralement une amélioration très rapide de l’acuité visuelle. Toutefois, dans quelques cas, la thérapeutique n’entraîne pas le succès escompté. Dans ces cas-là, trois cycles consécutifs dans les conditions définies précédemment sont faits. Au bout de ces trois cycles, le traitement est interrompu sauf demande expresse des patients ou de leurs parents.

Cependant, l’expérience montre que la plupart des échecs (hors amblyopie organique) sont liés à un traitement mal fait. Il semble de plus en plus évident qu’un échec avant 4 ans est toujours un traitement mal fait ou insuffisant. On est en droit de penser que c’est la même chose jusqu’à 6 ans.

L’occlusion : jusqu’à quand?

L’occlusion est le traitement le plus rapide et le plus efficace. Il doit être poursuivi le plus longtemps possible tant que l’enfant et sa famille le supportent et ceci jusqu’à consolidation de l’isoacuité. Tout ce qui sera gagné par l’occlusion ne sera plus à gagner. Le relais de l’occlusion s’en déroulera d’autant plus facilement.

Quel rythme d’occlusion?

Le rythme de la période d’entretien est 1 jour/1 jour. Il faut aller progressivement de l’un à l’autre en fonction de la vitesse de récupération de l’œil amblyope et de l’évolution de l’acuité visuelle de l’œil sain.

TRAITEMENT D’ENTRETIEN
RELAIS DE L’OCCLUSION

Ce relais se fait par la surcorrection optique unilatérale de loin de l’œil initialement sain, associée ou non à de l’atropine. S’il existe une forte réactivité thérapeutique ou si la surveillance est difficile, la surcorrection optique alternante est préférée. Cette dernière a l’avantage d’éviter les contrôles trop fréquents. Un rythme d’un contrôle tous les 6 mois est souvent très suffisant.

Le traitement est poursuivi de cette façon jusqu’à une durée de traitement de 5 ans environ.

TRAITEMENT D’ENTRETIEN ET ACTE CHIRURGICAL

Pendant cette phase, il se pose parfois le besoin d’une intervention chirurgicale. Celle-ci ne doit être faite que lorsque l’isoacuité a été obtenue. L’intervention n’entraîne aucune modification dans la prise en charge.

PHASE DE TRANSITION

Entre la phase de traitement (surcorrection optique unilatérale de loin de + 3 D) et l’arrêt de traitement, il n’y a plus de phase de transition. La surcorrection optique unilatérale est arrêtée du jour au lendemain. L’enfant est contrôlé au bout de 6 semaines de port de la correction optique totale, puis 3 mois après. Une petite période de contrôle tous les 6 mois est alors mise en place.

Cette phase de transition a été arrêtée parce qu’elle est peu efficace et compliquée à gérer. En somme, c’est son inutilité qui a provoqué son arrêt.

RÉCIDIVE DE L’AMBLYOPIE

Malgré la mise en place d’un schéma thérapeutique long et contraignant, il n’est pas rare d’avoir des récidives d’amblyopie à l’arrêt du traitement (au bout de 5 ans). Cela illustre la nécessité de la surveillance. Il est très désagréable de devoir reprendre une occlusion. En effet, on peut avoir des récidives d’amblyopie profonde survenant en moins de 6 semaines à l’âge de 8 ans. Mais le plus souvent, une surcorrection optique unilatérale de loin est suffisante pour retrouver une très bonne acuité visuelle aux deux yeux.

La surcorrection optique unilatérale est poursuivie pendant 2 ans. Une nouvelle tentative d’arrêt est alors effectuée. Naturellement, la difficulté de la récupération et l’âge tardif de prise en charge sont des éléments qui imposent une surveillance clinique plus fréquente et plus prolongée [10].

PARENTS

Ce sont les véritables thérapeutes de l’enfant. Les professionnels de la vision leur doivent les explications les plus claires qu’ils puissent comprendre pour pouvoir adhérer au projet thérapeutique et le mettre en œuvre. Ce sont eux qui réalisent le traitement. Le succès thérapeutique dépend de leur sens des responsabilités et de leur motivation. À titre personnel, j’ai une profonde admiration pour leur abnégation d’autant plus qu’elle va à contre-courant des valeurs hédonistes de notre société.

Conclusion

Nous sommes arrivés au terme de notre parcours thérapeutique. II est exigeant mais il est efficace. Redonner la vue à l’œil d’un enfant, n’est-ce pas l’objectif le plus noble de l’ophtalmologie? Nous avons les moyens de le faire dans l’immense majorité des cas. C’est un des grands (le plus grand) succès de l’ophtalmologie contemporaine. Cependant, l’analyse de la situation montre que globalement elle n’est pas si rose. On a des éléments pour penser que la situation a tendance à s’aggraver ces dernières années. Pourquoi? La réponse est venue d’un de nos collègues ivoiriens [11], observateur dans le service, qui l’a formulé dans un aphorisme remarquable : « Le traitement de l’amblyopie est trop structuré pour une famille déstructurée. »

Avertissement : ce texte est une version réactualisée d’un texte publié en 2009 [12].

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Péchereau A, Denis D, Speeg-Schatz C. Strabisme. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2013, 544 p.

[2]  Audren F. Études du PEDIG. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 85-89. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[3]  Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, 202 p. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[4]  Péchereau A. Principes du traitement de l’amblyopie. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 87-96. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[5]  Arsène S. L’occlusion dans le traitement d’attaque. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 105-10. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[6]  Arsène S. Traitement d’entretien. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 78-81. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[7]  Azar N. La pénalisation à l’atropine. L’amblyopie – Cahiers de sensorio-motricité XXIIIe colloque, 2007, p. 121-4.

[8]  Espinasse-Berrod MA. Traitement d’entretien de l’amblyopie (hors pénalisations). In :Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009,p. 125-28. En ligne : En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[9]   Laroche RG. Traitements alternatifs de l’amblyopie. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 133-40. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[10]   Clergeau G. Pénalisations optiques et amblyopie. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 115-20. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

[11]   Ouattara A. Communication personnelle, 2006.

[12]  Péchereau A. Le traitement de l’amblyopie au CHU de Nantes. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition ; 2009, p. 185-95. En ligne : http://www.amblyopie.net/Telechargement/Telechargement.html

3. Amblyopie organique et fonctionnelle

Dans le rapport de la SFO sur le strabisme de 2013 [1], E. Bui Quoc [2], C. Benso et D. Denis [3] ont abordé cette question. C’est pourquoi nous encourageons le lecteur à lire ces deux chapitres.

Le présent ouvrage passe en revue toutes les étiologies des amblyopies organiques. Ici, nous n’aborderons que la partie classification des amblyopies et les grandes lignes du traitement en insistant sur les spécificités de cette prise en charge et uniquement chez le très jeune enfant.

Physiopathologie des amblyopies

Il n’est pas question de revenir sur la physiopathologie des amblyopies. Elle a déjà été traitée récemment [1]. Notre objectif est de rappeler quelques points essentiels pour la prise en charge thérapeutique.

DEUX GROUPES D’AMBLYOPIES
AMBLYOPIES PASSIVES

Ce sont les amblyopies où le signal qui arrive sur la rétine est dégradé mais de façon symétrique. La forme clinique de ce groupe est l’amblyopie par amétropie forte identique sur les deux yeux et non corrigée. Ce groupe a tendance à disparaître dans les pays développés. Il réagit vite et bien au port permanent de la correction optique totale si la prise en charge a été précoce. Au-delà de 8 à 10 ans, les séquelles sont définitives et une correction adaptée n’entraîne qu’une amélioration de discrète à modérée. Les réseaux neuronaux du cortex visuel traitant le signal visuel ne se sont pas mis en place pendant la période critique/sensible du développement visuel.

AMBLYOPIES ACTIVES

Ce sont des amblyopies où le signal visuel arrivant sur la rétine est différent de façon significative au niveau des deux yeux. L’asymétrie du signal visuel crée un conflit insurmontable pour le cerveau. La solution pour ce dernier est d’oublier l’image d’un œil, d’où l’amblyopie. Deux formes cliniques caractérisent ce groupe :

  • l’anisométropie : l’image d’un œil est différente de l’autre d’où le conflit;

  • le strabisme : la diplopie est la source le conflit.

IMPORTANCE DE LA SYMETRIE

Pour que le système visuel s’équilibre comme chez le sujet normal, il est nécessaire que chaque œil fournisse une information non seulement identique au niveau des deux yeux mais d’une qualité suffisante. Une mauvaise vision bilatérale déclenche un strabisme. Ceci est bien montré dans la boucle de Tychsen : tout est cause, tout est conséquence (Fig. 2-4) [4].

LENTEUR DE LA MATURATION CORTICALE

Du fait du traumatisme lié à ces pathologies, la stimulation du cortex visuel se fait de façon moins performante et/ou de façon retardée. Le processus de maturation du cortex visuel va être retardé. Il est plus lent par rapport à l’enfant normal. De ce fait, les gains vont être également plus lents à se mettre en place. Cela a des conséquences pratiques sur lesquelles nous reviendrons.

Classer les amblyopies

Tout exercice de classification est un exercice hiérarchique et donc, de ce fait, un exercice contestable. Nous traiterons d’abord la division classique pour terminer par la proposition d’une autre classification plus physiopathologique.

DIVISION CLASSIQUE
AMBLYOPIES ORGANIQUES

La définition est simple. Il y a une cause organique à l’amblyopie. Tout cela serait bien et beau si le problème se réduisait au traitement de la cause. Le traitement parfait de la cause (s’il existait) devrait suffire à résoudre le problème. Malheureusement, il n’en est rien. Et c’est là où le bât blesse. Il y a très souvent une cause fonctionnelle associée. Elle est tout aussi importante voire plus.

C’est la voie qu’ont suivi les tenants de l’implant multifocal chez le très jeune enfant présentant une cataracte congénitale. C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas été suivis par la communauté ophtalmopédiatrique.

AMBLYOPIES FONCTIONNELLES

Les amblyopies fonctionnelles sont dues au strabisme et à l’anisométropie. Là encore, le bât blesse car la composante fonctionnelle est souvent associée dans les amblyopies organiques.

AMBLYOPIES MIXTES

Les amblyopies mixtes regroupent les deux précédentes.

CONCLUSION

Ces définitions ont une certaine pertinence. Malheureusement, elles peuvent empêcher de mettre en place une stratégie efficace dans les amblyopies organiques (voir plus loin).

image

Fig. 2-4 Boucle de Tychsen [5].

Tout est cause, tout est conséquence. Pendant la période de vulnérabilité maximale du système visuel (période critique de la première année), toute agression majeure du système visuel (quelle qu’elle soit) va entraîner une cascade de conséquences qui seront toutes les mêmes et que l’on retrouvera quelle que soit l’étiologie.

(D’après Tychsen L. Binocular vision. In : Adler’s Physiology of the eye. 9th ed. Elsevier Saunders ; 1992, p. 773-853. Figure traduite par A. Péchereau.)

AUTRE CLASSIFICATION

Nous l’abordons par l’aspect pratique, c’est-à-dire de la physiopathologie.

La classification classique n’étant pas satisfaisante, nous proposons d’utiliser une autre classification à partir de celle de Von Noorden [5] qu’Audren [6] a très bien expliqué en littérature française. Elle permet de mieux comprendre la prise en charge de ces patients, et distingue : amblyopies monoculaires ou passives, amblyopies binoculaires ou actives et amblyopies mixtes.

AMBLYOPIES MONOCULAIRES OU PASSIVES
Amblyopies par déficit du signal visuel arrivant sur la rétine

Ces amblyopies sont caractérisées par un élément : une intégrité anatomique allant de la rétine (fovéola) au cortex visuel. Cet œil ne voit pas, mais il pourrait voir. L’amblyopie et les conséquences qui en découlent sont dues au fait que le signal visuel qui arrive sur la rétine est altéré du fait d’une défaillance optique et/ou de transparence des milieux de l’œil. Ce groupe va de l’amétropie forte à la cataracte congénitale, en passant par toutes les pathologies du segment antérieur et du vitré retentissant sur la transmission du signal visuel dans l’œil. La variété des étiologies montre le continuum de la pathologie allant du plus simple au plus agressif.

Amblyopies par déficit du traitement ou du transport du signal visuel

Une ou plusieurs structures – rétine (fovéola), nerf optique et voies visuelles – traitant ou transmettant l’information visuelle sont atteintes. Le signal visuel qui arrive sur la rétine peut être de qualité normale. L’analyse, l’intégration, la transmission ou deux ou trois de ces éléments peuvent être atteints. Nous sommes là devant une amblyopie dont le terme d’organique est bien adapté.

Amblyopies monoculaires mixtes

Naturellement, il existe des cas intriqués qui rendront la prise en charge encore plus difficile.

AMBLYOPIES BINOCULAIRES OU ACTIVES

Chaque œil envoie une information différente au cortex visuel, d’où le conflit. L’ensemble de ces conséquences ne peut apparaître que pendant la période de plasticité cérébrale, en particulier quand elle est maximale, c’est-à-dire avant 1 an.

Caractéristiques du conflit
  • Le conflit n’apparaît qu’en binoculaire.

  • Il concerne essentiellement la zone fovéolaire. Il a pour conséquence le phénomène de commutation qui intéresse principalement l’information fovéolaire puisque le sujet ne voit pas double.

Étiologies

Les étiologies peuvent être regroupées en deux grands groupes :

  • une altération unilatérale du signal visuel : cela va de l’anisométropie à la cataracte congénitale unilatérale en passant par bien d’autres étiologies;

  • la vision double : nous retrouvons là l’origine strabique des amblyopies.

Problème du strabisme

Ce n’est pas le lieu de disserter sur les strabismes et leurs étiologies. Nous renvoyons le lecteur au rapport du même nom [1]. Pour bien comprendre la problématique de ce sous-chapitre, nous allons nous aider de la boucle de Tychsen [4] sur l’apparition du strabisme précoce.

Comme nous l’avons déjà dit, pour que le système visuel aboutisse au fonctionnement équilibré du sujet normal, il est nécessaire qu’une information visuelle de qualité suffisante et identique provienne aux deux yeux. Si ce n’est pas le cas, un strabisme précoce va s’instaurer. Autrement dit, pendant la période critique du développement visuel, une baisse significative de la qualité du signal visuel des deux yeux entraînera l’apparition d’une déviation.

Cette particularité du système visuel fait que le groupe des amblyopies bilatérales profondes quelle que soit son origine mais en fonction de son acuité visuelle intègre également le groupe des amblyopies par conflit entre l’information visuelle d’un œil par rapport à l’autre, même si le primum movens est tout autre.

AMBLYOPIES MIXTES

Classer, c’est diviser donc hiérarchiser. Ici, nous sommes aux limites de l’exercice. Nous avons vu que les entrées sont multiples et que très rapidement tout est intriqué. Le thérapeute devra donc dénouer tous les fils et prendre en charge de front tous les aspects du problème.

La très grande majorité des amblyopies dites « organiques » aura une composante « fonctionnelle » qui devra être prise en charge avec la même énergie. De même, tout gain dans une partie du spectre thérapeutique aura un retentissement bénéfique sur l’ensemble de la symptomatologie, comme le montre la prise en charge des nystagmus. La thérapeutique proposée devra être globale et traiter de la façon la plus performante possible tous les aspects pathologiques.

Le thérapeute ne devra jamais oublier que la nature de la période critique fait que la fenêtre thérapeutique n’est ouverte que pendant un temps très court. Si son action ne permet pas des gains décisifs, il sera alors trop tard pour toute la vie de son patient.

Bilan

Cet ouvrage étant consacré aux diverses pathologies, nous ne reviendrons pas sur les éléments du bilan, sauf pour rappeler que le fond d’œil fait partie de l’examen systématique de toute première consultation.

Prise en charge
Première étape : la chirurgie

Après l’évaluation des éléments organiques défaillants, une solution chirurgicale doit être proposée si nécessaire. Celle-ci doit permettre que chaque œil retrouve la transparence de la meilleure qualité possible avec une asymétrie du signal visuel la plus faible possible. Ce challenge est difficile. De plus chez l’enfant, et d’autant plus que l’enfant est jeune, les réactions peuvent être violentes et les évolutions rapides.

DEUXIÈME ÉTAPE : LA CORRECTION OPTIQUE TOTALE

C’est la prescription de la réfraction emmétropisante aux deux yeux. Si ces enfants sont presbytes, l’équipement doit être adapté en conséquence. Nous reverrons les problèmes de la cataracte congénitale dans le chapitre 13.

Dans tous les cas d’amblyopie liée à une atteinte des structures anatomiques de l’œil, la prescription de la correction optique totale aux deux yeux est obligatoire et systématique quelle que soit l’amétropie.

TROISIÈME ÉTAPE : LE TRAITEMENT DE L’AMBLYOPIE

Nous avons vu précédemment le traitement de l’amblyopie fonctionnelle. Celui-ci va nous servir de base. Dans tous les cas, les défauts de transparence auront été traités chirurgicalement et la correction optique totale prescrite.

AMBLYOPIES PAR DÉFICIT DU SIGNAL VISUEL

À la moindre asymétrie du signal visuel entre les deux yeux ou du fait de l’existence d’un strabisme, l’occlusion est la première étape du traitement. Les chiffres qui ont été donnés dans le traitement de l’amblyopie fonctionnelle sont le minimum. En cas d’atteinte unilatérale importante (forte anisométropie, cataracte congénitale unilatérale, etc.), les risques d’amblyopie à bascule peuvent être considérés comme négligeables. De ce fait, la durée de l’occlusion totale et permanente est fixée par la récupération de l’œil amblyope. Il faut occlure le bon œil le temps nécessaire à cette récupération.

Naturellement, le thérapeute doit juger les conséquences du traitement sur le développement de l’enfant, sur la cellule familiale, sur l’œil occlus, etc. Si un de ces indicateurs montre que les conséquences du traitement entraînent un retentissement excessif, il faut savoir arrêter le traitement tout en informant les parents que la chance de récupérer la vision de cet œil ne se présentera pas une nouvelle fois.

Après l’occlusion du bon œil qui peut durer plusieurs mois, le relais est pris par une occlusion alternante asymétrique puis une surcorrection optique unilatérale. Ce traitement durera au moins 6 à 7 ans, si l’on ne veut pas avoir de rechute à son arrêt.

AMBLYOPIES PAR DÉFICIT DU TRAITEMENT DU SIGNAL VISUEL

La plupart du temps, il n’y a pas de solution thérapeutique à l’étiologie de l’amblyopie. Par ailleurs, il est très souvent difficile de savoir s’il existe un strabisme du fait des anomalies de la fixation liées à l’amblyopie. C’est pourquoi au moindre doute d’un strabisme, d’une amblyopie, il est nécessaire de mettre une occlusion totale, permanente mais alternée avec pour objectif de guérir ou de prévenir une éventuelle composante d’amblyopie fonctionnelle.

Dès que l’acuité visuelle pourra être chiffrée, on pourra envisager de prendre le relais de l’occlusion par une surcorrection optique alternée. Cependant, il ne faut jamais oublier que plus l’acuité visuelle est basse, moins les surcorrections optiques sont efficaces. C’est pourquoi ces patients restent pendant de longues années avec une occlusion alternée qui est souvent sur verre à la fin du traitement.

CONSÉQUENCES PRATIQUES DE LA LENTEUR DE MATURATION DU CORTEX VISUEL

Comme nous l’avons vu, le cortex visuel se mature plus lentement chez ces enfants. Cela a un certain nombre de conséquences.

NÉCESSITÉ DE LA PRUDENCE DU PRONOSTIC

Bien que les parents le demandent, il faut éviter tout pronostic. À moins d’un diagnostic évident qui sera d’autant plus incertain que l’enfant sera jeune, il faut éviter de faire tout pronostic visuel.

DÉLAI POUR CONNAÎTRE LA PERFORMANCE VISUELLE À L’ÂGE ADULTE

Conséquence de tout ce que nous venons de dire, c’est souvent vers l’âge de 10 ans que l’on connaît enfin les bienfaits ou les méfaits de la prise en charge.

RIGUEUR DU PORT DE LA CORRECTION OPTIQUE

La correction optique totale, est-il nécessaire de le rappeler, est le seul moyen de proposer au cortex visuel une image de la meilleure qualité possible. Le cortex visuel doit être stimulé en permanence par une image de la meilleure qualité possible sinon les progrès n’apparaîtront pas. Le port de la correction optique de la totalité du défaut optique doit être permanent. L’ensemble de l’entourage de l’enfant doit en être convaincu.

Le rejet du port de la correction est d’ailleurs un excellent signe de ce besoin. L’enfant montre que sa perception est modifiée par la correction. Il ne comprend pas son besoin. L’entourage doit utiliser tous les moyens pour le persuader de garder sa correction jusqu’au moment où, au contraire, le fait de les enlever lui créera un préjudice insupportable.

Naturellement, elle doit être vérifiée en permanence et réadaptée autant que faire se peu.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, la division amblyopie organique et amblyopie fonctionnelle est une division qui est peu efficace, les amblyopies fonctionnelle et organique étant fortement intriquées. Nous avons proposé une autre classification. Toute pathologie organique précoce devra être considérée comme également à l’origine d’une pathologie fonctionnelle et traitée en conséquence.

Dans tous les cas, la transparence des milieux devra être restaurée. Le moindre défaut optique sera systématiquement recherché.II sera traité par le port permanent de la correction optique totale. L’asymétrie du signal visuel entre les deux yeux, conséquence de la pathologie ou d’un strabisme associé, devra être traitée avec la plus grande énergie.

Le thérapeute devra faire preuve de constance et expliquer lui-même sans relâche l’importance d’un traitement bien suivi dont l’effet n’apparaîtra parfois qu’au bout de longues années et créera un lien indéfectible entre lui, l’enfant et sa famille.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Péchereau A, Denis D, Speeg-Schatz C. Strabisme. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2013, 544 p.

[2]  Bui Quoc E. Pourquoi un oeil devient-il amblyope ? In : Péchereau A, Denis D, Speeg-Schatz C. Strabisme. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2013, p. 67-72.

[3]  Benso-Layoun C, Sekfali R, Denis D. Amblyopie organique. In : Péchereau A, Denis D, Speeg-Schatz C. Strabisme. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2013.

[4]  Tychsen L. Binocular vision. In : Adler’s Physiology of the eye. 9th ed. Elsevier Saunders ; 1992, p. 773-853.

[5]  Von Noorden G. Binocular vision and ocular motility, 6th ed. St Louis : Mosby ; 2002.

[6]  Audren F Physiopathologie de l’amblyopie fonctionnelle et de l’amblyopie organique. In : Péchereau A. L’amblyopie. Éd. A & J Péchereau pour Lissac opticien/FNRO édition, p. 71–82 Telechargement.html 2009