Chapitre 18Changement d’implant pour erreur réfractive

M. Puech, M. Streho

Les progrès techniques de la chirurgie de la cataracte se sont accélérés ces dernières années pour améliorer la reproductibilité du geste chirurgical et du résultat réfractif postopératoire.

Ces améliorations ont porté sur :

  • – une importante amélioration des techniques d’opération de la cataracte avec sa plus grande standardisation liée à l’adoption de la technique extracapsulaire par phakoémulsification ;

  • – la généralisation de la position de l’implant dans le sac cristallinien, qui a nettement amélioré la prédictibilité du résultat réfractif postopératoire ;

  • – la meilleure maîtrise de la technologie des implants intraoculaires, avec une meilleure précision dans l’usinage qui entraîne une nette réduction des marges de fluctuation entre la puissance réelle de l’implant et la puissance visée [10] ;

  • – un suivi de toute la chaîne de fabrication pour limiter le risque de mauvais étiquetage d’un implant donné ;

  • – une meilleure connaissance du calcul d’implant, avec une nette amélioration des formules de calcul et de la prise en compte de mesures plus précises et plus nombreuses sur chaque œil opéré.

Tous ces progrès ont nettement amélioré les résultats réfractifs moyens obtenus en cas d’opération de cataracte standard, avec une réduction de la dispersion des résultats par rapport à la réfraction postopératoire souhaitée.

Dans le même temps, quelques constatations s’imposent :

  • – les progrès techniques de l’intervention entraînent une récupération plus rapide d’une réfraction efficace et relativement stable, mettant rapidement l’accent sur nos imprécisions de résultats réfractifs ;

  • – l’exigence des patients s’est accrue, avec une meilleure information et une grande facilité de communication sur les résultats possibles, largement répandus par les moyens modernes de communication mais aussi par comparaison avec des personnes déjà opérées dans l’entourage du patient. Nos seniors actuels, opérés de cataracte, le sont souvent à un âge plus précoce pour des raisons d’amélioration de nos techniques et de nos solutions réfractives, révélant plus tôt le vieillissement du cristallin. Dans le même temps, opérés à âge égal par rapport à nos techniques plus anciennes, les patients sont plus dynamiques et plus mobiles avec une plus grande pratique de la conduite automobile et des moyens modernes de communication comme les ordinateurs et autres téléphones portables ;

  • – un nombre croissant de patients déjà opérés de chirurgie réfractive arrive à l’âge de l’opération de la cataracte avec un effet de sélection de ces patients sur leur exigence réfractive. Cette exigence qui les a poussé à se faire opérer pour limiter l’usage de verres correcteurs, sera la même lors du bilan réfractif après intervention de cataracte, alors que nos techniques de calculs sont moins précises qu’en cas d’intervention standard.

Tous ces éléments font de la problématique du changement d’implant après mauvais résultat réfractif un enjeu important, d’une part dans notre réflexion sur la qualité du calcul du second implant et, d’autre part, dans notre communication avec le patient.

Compte tenu de nos connaissances et de nos techniques actuelles, l’objectif d’une réfraction sans lunettes pour un patient déjà opéré de chirurgie réfractive, pour lequel un implant multifocal est envisagé, peut être présenté comme un objectif atteignable mais avec quelques risques de changement d’implant. Un trop grand optimisme et une trop grande confiance dans nos techniques actuelles associées à une absence de communication sur ce risque de changement d’implant peuvent conduire à des situations relationnelles difficiles.

La technique de changement d’implant elle-même peut être complexe au niveau chirurgical, avec une moins bonne prévision de la position du nouvel implant mais, le choix de la puissance de ce nouvel implant demande aussi une bonne analyse de la situation avant réintervention.

Analyse des causes de l’erreur réfractive

En cas de mauvaise réponse réfractive après intervention de cataracte par implant intraoculaire, plusieurs causes peuvent être incriminées avant de décider d’une réintervention pour changement d’implant [1, 6].

POSE DU MAUVAIS IMPLANT

Grâce aux procédures de contrôle lors des interventions, le risque de mise en place d’un implant non prévu est très faible, mais il ne peut être réduit à zéro : il existe un risque minime de positionner un implant prévu pour un autre patient ou pour un homonyme ou pour ce patient mais avec erreur de transcription, ou bien d’utiliser un implant prévu pour l’œil controlatéral [2, 3, 11, 15].

La vérification de l’implant utilisé pourra se faire par la carte de porteur d’implant du patient. L’analyse de l’erreur réfractive, dans cette situation, permettra de retrouver la puissance du bon implant à utiliser en seconde intention.

BON IMPLANT POSÉ EN MAUVAISE POSITION

Le risque d’inversion du sens de l’optique de l’implant est un risque très réduit avec les implants actuels [5].

En revanche, un mauvais positionnement de l’implant peut survenir par un mauvais positionnement des pieds de l’implant : par exemple, un implant prévu pour un positionnement dans le sac peut être positionné avec un pied dans le sulcus ou bien, en cas de rupture partielle du sac cristallinien ou de la zonule, un pied peut parfois être positionné en arrière du corps ciliaire. Ce décalage de position retentit sur la réfraction finale [12].

MAUVAISE MESURE DE KÉRATOMÉTRIE OU DE LONGUEUR AXIALE

Cet élément fait partie du risque du calcul d’implant avec une nette réduction des erreurs de mesures avec les appareils actuels [7, 16, 18].

CONSTANTE A INADAPTÉE

L’évolution de la constante A se fait vers une notion de « variable A » dépendant des mesures prises pour le bilan d’implant, de la formule utilisée et du recrutement de patients de tel ou tel chirurgien. L’utilisation d’une constante A adaptée et personnalisée devient une réalité mise en évidence par le site ULIB1, qui répertorie les résultats réfractifs de nombreux chirurgiens équipés de l’appareil IOLMaster® (Zeiss). Un changement d’implant par rapport à l’implant prévu devra faire l’objet de la plus grande attention pour ne pas risquer, en cas par exemple d’indisponibilité de l’implant programmé, d’utiliser un implant de substitution dont la puissance serait identique à l’implant prévu alors que sa constante A est différente [17].

MAUVAIS ÉTIQUETAGE PAR LE FABRICANT

Le résultat du calcul d’implant est une chaîne dépendant de tous les maillons avec la nécessité, notamment pour les implants premium, d’obtenir un résultat réfractif de haute précision [4, 8, 13, 14].

En cas d’erreur réfractive constatée après une opération de la cataracte, la correction optique peut être appréciée de différentes façons en cas de décision de changement de l’implant. Ce choix peut se faire soit par une règle mathématique de conversion de la puissance de l’implant par rapport à l’erreur réfractive, soit par adaptation des formules de calcul.

Techniques de calcul du second implant
CALCUL PAR CONVERSION MATHÉMATIQUE

La règle de conversion en cas d’erreur réfractive repose souvent sur la conversion entre la puissance de la réfraction additionnelle et la variation de la puissance de l’implant nécessaire pour obtenir l’emmétropie [9]. Ce calcul nécessite la détermination de deux valeurs de différence :

  • – la première est la différence entre puissances réfractives au plan lunettes nécessaire pour obtenir une acuité visuelle maximale de loin (si possible accédant à l’emmétropie) ;

  • – la seconde est la différence entre la puissance de l’implant actuel et la puissance de l’implant nécessaire pour obtenir l’emmétropie.

La relation entre ces deux valeurs a fait l’objet de projections souvent linéaires déduites de constatations cliniques ou de calculs par formules de régression. Pour les formules actuelles comme la formule SRK/T, cet indice est estimé à 1,33 pour un globe dit standard en longueur axiale (23,5 mm) et en kératométrie (43 D). La relation est écrite :

Variation en Puissance d’implant = Variation en Puissance lunette × 1,33.

Par exemple, pour un implant de 24 D utilisé en visant l’emmétropie, si la réfraction postopératoire est de – 1,25 D, la différence de puissance d’implant sera calculée par la multiplication de 1,25 par 1,33, soit 1,66 D qu’on va retrancher des 24 D : l’implant emmétropisant sera donc de 22,34 D à utiliser à la place du premier implant, en gardant strictement le même modèle d’implant pour limiter les erreurs liées à une constante A différente entre deux modèles d’implants.

Pour un implant de 24 D ayant donné une erreur hypermétropique en postopératoire de, par exemple, + 1,50 D, cette règle peut être utilisée avec 1,50 × 1,33 = 1,99 D, qui se rajoutera aux 24 D, soit un implant de 25,99 D pour l’implant emmétropisant.

Cette règle des 1,33 est dérivée des calculs d’implant avec les différentes formules mais reste une estimation sur des globes restant proches de la normale. Lorsque la kératométrie ou la longueur axiale s’écartent des valeurs normales, ce rapport entre la puissance des verres de lunettes au vertex et la puissance de l’implant peut varier (tableau 18-I). Cette schématisation représente donc une facilité d’usage mais doit être utilisée avec précautions en cas de globes sortant des caractéristiques réfractives standards.

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Tableau 18-I Indice de conversion d’une variation de puissance de 1 D de lunettes au vertex en variation de puissance d’un implant de chambre postérieure.

Variation en Puissance d’implant = Variation en Puissance lunette × Indice.

Cet indice varie en fonction des kératométries et des longueurs axiales (en utilisant la formule SRK/T).

DÉTERMINATION PAR RÉFÉRENCE AUX AMÉTROPIES CALCULÉES

Une façon plus adaptée aux différents équilibres réfractifs est d’avoir recours aux résultats obtenus pour le calcul d’implant de ce patient en se référant à la variation de la puissance de l’implant constatée par le calcul pour obtenir les différentes amétropies.

Par exemple, imaginons un calcul d’implant effectué avant la chirurgie de la cataracte, dont la puissance pour être emmétropisant était de 21,21 D de constante A 118,5. L’intervention s’est déroulée sans problème chirurgical, avec mise en place d’un implant de 21,0 D. La réfraction postopératoire était de + 1,0 D sans mauvais positionnement de l’implant.

Après vérification de la carte d’implant du patient, le bon implant a été utilisé.

En cas de forte demande du patient pour changer l’implant, l’échange se fera avec le même modèle d’implant. Le fait d’obtenir une hypermétropie postopératoire montre que la puissance de l’implant est insuffisante. La puissance du nouvel implant pourra être déterminée en comparant la colonne des amétropies et celle des puissances d’implants correspondantes.

Pour compenser 1 D d’amétropie, soit un passage de + 0,14 D à – 0,93 D (soit 1,07 D), la puissance de l’implant est passée de 21,00 D à 22,5 D, soit une variation de puissance d’implant de 1,5 D pour cette kératométrie et cette longueur axiale données en appliquant la formule SRK/T (tableau 18-II).

En cas de changement de modèle d’implant entre les deux interventions, un calcul de la puissance de l’implant devra être réalisé avec les mêmes valeurs de kératométrie et de longueur axiale que pour le premier calcul mais en utilisant la constante A du nouvel implant. Le choix de la puissance de l’implant se fera de façon à compenser 1,07 D d’erreur de puissance et en ajoutant ou en retranchant la variation de constante A. Cette méthode est plus aléatoire car le comportement du nouvel implant sera plus difficilement comparable au premier, ce qui peut entraîner une variation de la réfraction dans un sens imprévisible.

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Tableau 18-II Calcul du second implant fondé sur les amétropies calculées.

En se fondant sur le calcul d’implant effectué avant l’intervention, il est possible de comparer la colonne des amétropies et des puissances d’implant correspondantes.

Conformément à l’exemple donné dans le texte, l’implant utilisé devait donner une amétropie de + 0,14 D pour une puissance de 21 D (constante A 118,5). Le résultat réfractif étant de + 1 D, il sera nécessaire de majorer la puissance du nouvel implant. Pour adapter la puissance du nouvel implant, il est possible de regarder ce que donne une variation de 1 D en amétropie et de comparer la variation de la puissance correspondante dans la deuxième colonne. Pour compenser 1 D d’amétropie, c’est-à-dire un passage de + 0,14 D à – 0,93 D (soit 1,07 D), la puissance de l’implant passe de 21,00 D à 22,50 D, soit une variation de puissance d’implant de 1,5 D pour cette kératométrie et cette longueur axiale données, en appliquant la formule SRK/T.

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