La difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre.
Beaumarchais
En 2001, la Société Française d’Ophtalmologie consacrait son Rapport à la chirurgie réfractive. Ceci déjà bouleversait les idées préconçues, brisait les tabous.
Dix ans plus tard, elle nous offre ce travail sur la chirurgie de la presbytie.
Ces dix années ont été une prodigieuse époque de réflexion, soutenue par une fièvre innovatrice et qui a grandement apporté à la compréhension des fonctions optiques globales de l’œil humain.
Grande était l’ambition de vouloir corriger myopie, hypermétropie et astigmatisme. Immense et utopique est la prétention de vouloir traiter la presbytie, anomalie dynamique d’une accommodation dont les théories n’ont cessé de se renouveler et de s’opposer. On peut qualifier de « révolutionnaire » la théorie accommodative grâce au muscle ciliaire, la plus habituellement admise, puisqu’elle fut énoncée en 1776 par Jean-Paul Marat dans son ouvrage An inquiry into the nature, cause and cure of a singular disease of the eye. Il y évoque un concept d’accommodation « grâce aux fibres circulaires entourant le cristallin » qui rejette la théorie accommodative des muscles droits et obliques soutenue par Kepler et Descartes.
Que de chemin parcouru dans la prise en charge de la presbytie depuis Suétone qui énonçait que quand la vue des vieillards s’affaiblissait, ils n’avaient d’autre ressource que de se faire faire la lecture par un esclave. Le moine anglais Roger Bacon, lors d’un des nombreux séjours qu’il fit en prison pour sorcellerie, semble avoir le premier, vers 1280, placé des verres plans-convexes sur une monture.
Réparer l’injustice de son année de naissance est une demande essentielle d’un public qui inscrit l’esthétique en premier rang de ses préoccupations.
Dans le Rapport de 2001, un chapitre était consacré à la chirurgie de la presbytie. Les grandes orientations qui seront développées dans les dix années suivantes étaient déjà ébauchées : les tentatives ambitieuses de restauration d’une accommodation vraie, visant à augmenter l’efficacité du muscle ciliaire par expansion du diamètre scléral supraciliaire grâce à des sclérotomies ou à l’insertion de bandelettes étaient les plus récentes — l’enthousiasme initial très médiatisé était rapidement douché par l’absence d’efficacité à court terme.
Les approches faisant appel à une pseudo-accommodation bi-oculaire ou monoculaire se pérenniseront et ont triomphé : chirurgies cornéennes par lasers ou implants intrastromaux, chirurgie cristallinienne et, si les implants phaques ont été abandonnés dans cette indication, le perfectionnement des implants multifocaux et accommodatifs a transformé les indications de l’extraction du cristallin, devenue un vrai geste de chirurgie réfractive, et a accru les exigences de nos patients cataractés.
Le traitement chirurgical de la presbytie fait appel pour l’essentiel à une chirurgie de compensation et non de correction. C’est l’acceptation d’un compromis où le candidat doit composer avec les inconvénients éventuels, les aléas qui peuvent altérer les normes de son confort. Longtemps, tout se jouait entre vision de loin et de près. Le développement de l’informatique rend nécessaire une bonne vision intermédiaire.
L’évaluation objective des résultats obtenue par ces chirurgies est difficile et pourtant essentielle pour juger des nouvelles innovations régulièrement proposées. On ne peut se satisfaire du seul enthousiasme de leur promoteur. Les chartes de mesure de la vision de près sont multiples, difficilement comparables et les résultats fonctions des conditions de recueil, d’éclairage et même de l’état psychologique de l’opéré.
L’offre médiatique est quotidienne. Le chirurgien devra parfois savoir modérer l’enthousiasme du candidat et, surtout, s’assurer qu’il a bien compris les termes du compromis réfractif et ses conséquences.
La réalisation d’un ouvrage sur un sujet aussi brûlant d’actualité imposait de la part des auteurs non seulement une parfaite compétence technique mais aussi une grande pondération.
Béatrice Cochener était toute désignée pour mener à bien cette entreprise. Son enthousiasme, sa fièvre innovatrice sont modérés par une rigueur permanente qui ne lui fait accepter que ce qui a été complètement étudié, validé.
On sait sa puissance de travail ; on connaît aussi ses qualités de meneur, son aptitude à rassembler qu’elle a montrées lors de ses années de présidence de la Société Française d’Ophtalmologie.
Pour cet ouvrage, elle a su réunir, amener des synthèses et, en s’impliquant elle-même, elle a pu assurer la nécessaire homogénéité d’une équipe de collaborateurs, tous de forte personnalité.
Son intelligence et sa volonté indomptable, adoucie par son charme et sa gaieté quotidienne, ont permis que ce travail soit un succès. Grâce à ce Rapport, la chirurgie de la presbytie devient une vraie part de la science médicale.
Pr Jean-Louis Arné