Stratégies thérapeutiques dans l’allergie oculaire
B. Mortemousque, D. Brémond-Gignac, A. Muselier-Mathieu, E. Collet, C. Creuzot-Garcher, F. Chiambaretta, S. Lazreg, J.-L. Fauquert, P.-J. Pisella
Chacune des entités cliniques qui entrent dans la catégorie des allergies oculaires utilise tout ou partie de l’arsenal thérapeutique médical disponible. Cependant, le terrain, l’âge de survenue, le retentissement sur la vision ou la qualité de vie du patient, l’apparition potentielle de complications nécessitent une stratégie thérapeutique adaptée à chaque type de pathologie. Celles-ci sont décrites pour chacune d’entre elles.
La prévention de l’allergie s’exerce aux trois niveaux : primaire afin d’éviter l’apparition de l’allergie ; secondaire et tertiaire afin d’éviter le ou les allergènes en cause et l’apparition des manifestations allergiques. Pendant la grossesse et pendant les deux premières années de la vie, la prévention primaire peut s’adresser à une population à « haut risque allergique » (enfants nés de parents allergiques). Il convient cependant d’estimer la faisabilité et les résultats en termes de rapport coût/efficacité, en comparaison de celui des traitements des symptômes et de l’immunothérapie spécifique. Après plusieurs années d’engouement, aucun de ces problèmes n’a été véritablement résolu. Au stade des manifestations cliniques, que sont les conjonctivites allergiques, il n’y a plus de place pour la prévention primaire et seules les préventions secondaire et tertiaire ont encore leur place.
Fig. 23-1 Stratégie thérapeutique dans la conjonctivite IgE médiée.
Lorsqu’il a été identifié, l’élimination de l’allergène responsable des manifestations clinique est une évidence. Cependant elle n’est pas toujours possible ou facile. Lorsque l’éviction ou l’évitement ne sont pas possibles ou ont été dépassés, les moyens symptomatiques sont utilisables. Les solutions de lavage oculaire sans conservateurs prennent tout leur intérêt dans les manifestations oculaires allergiques. Leur instillation pluri-quotidienne permet un lavage des culs-de-sac conjonctivaux, éliminant allergènes et médiateurs de l’allergie. Leur limite est la nécessité d’instillations répétées pas toujours facile à réaliser dans la vie quotidienne.
Les moyens associés prennent toute leur importance de façon à diminuer les allergènes et les médiateurs inflammatoires présents sur la surface oculaire. Ils permettent de minimiser au maximum le traitement médical à prescrire. Les lavages oculaires fréquents, éventuellement sous forme de lingettes nettoyantes [1], agissent sur le plan local en éliminant ou diluant allergènes et cytokines. D’autres mesures peuvent être conseillées pour diminuer l’irritation de la surface oculaire, elles incluent les lunettes teintées, la lutte contre l’œil sec avec des agents mouillants, l’évitement des ambiances avec air conditionné, etc.
La symptomatologie étant directement liée au contact massif avec l’allergène, son élimination en est le premier temps. L’utilisation de solutions de lavage oculaire est un temps capital. Elle permet d’éliminer allergènes et médiateurs inflammatoires. On conseillera au patient de changer également de vêtements et de prendre une douche afin d’éliminer les allergènes portés. L’utilisation d’anti-histaminique 1 (anti-H1) locaux et généraux (si manifestations nasales) prend son intérêt dans cette manifestation directement liée à la libération d’histamine. Elle va rapidement calmer prurit et rougeur. L’utilisation de corticoïdes n’a comme seul intérêt de diminuer plus rapidement le chémosis. Une prise en charge préventive des récidives est souvent nécessaire.
Le traitement de la conjonctivite allergique perannuelle (CAP) passe dans un premier temps par l’identification et l’éviction de ou des allergènes responsables. Si cela n’est pas possible, l’évitement du contact avec l’allergène sera prôné (ex. : reclassement professionnel). L’adjonction de larmes artificielles ou de solution de lavage oculaire sera fortement conseillée. Les CAP étant liées à un mécanisme d’hypersensibilité immédiate, immunoglobulines E (IgE) médiées, la symptomatologie est habituellement modérée, avec un risque de séquelles oculaires à long terme extrêmement faible. Les anti-H1 généraux ou locaux et les antidégranulants mastocytaires sont à privilégier dans la prise en charge des épisodes aigus et dans le traitement de fond de la pathologie en l’absence d’efficacité suffisante des consignes d’éviction et de lavage. Le caractère rarement isolé de la CAP, souvent associée à une rhinite et/ou un asthme allergique, conduit le plus souvent à l’utilisation des anti-H1 par voie générale. Ceci ne dispense pas de leur utilisation locale, majorant ainsi leur effet. Compte tenu de leur action complémentaire, les antidégranulants seront associés. Les premiers inhibent l’action de l’histamine, les derniers évitent sa libération. L’utilisation de molécules à effet multiple peut être proposée dans le traitement de la crise et le traitement de fond. Sur les traitements au long cours, les traitements topiques sans conservateur sont privilégiés au mieux pour éviter une toxicité surajoutée sur la surface oculaire. En cas de forme plus sévère, l’instillation de corticoïdes pourra se faire. Ils devront être utilisés en cure courte et doses importantes afin de prévenir une dépendance. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pourront être proposés dans les formes aiguës invalidantes, évitant ainsi parfois le recours aux corticoïdes. L’immunothérapie spécifique ne sera que rarement proposée dans les formes oculaires pures. Elle sera débutée en période de calme en cas de rhinoconjonctivite et/ou d’asthme.
Le traitement repose avant tout sur l’éviction de l’allergène en cause et sur un traitement symptomatique qui va essayer de limiter le plus possible le temps de contact de l’allergène avec la sphère oculaire. Le sérum physiologique sans conservateurs demeure donc une arme intéressante en association aux outils habituels en allergologie : antidégranulants mastocytaires, anti-histaminiques locaux ou collyre à polyaction. Les formes aiguës sont généralement soulagées par les anti-histaminiques locaux et justifient rarement le recours à une corticothérapie locale. En cas d’atteinte palpébrale chronique, des gels lubrifiants à appliquer sur les paupières peuvent être conseillés. Le terrain atopique et les éventuelles manifestations allergiques systémiques associées peuvent également bénéficier d’une prise en charge spécifique. Les formes chroniques nécessitent un traitement des associations pathologiques possibles comme celui du dysfonctionnement meibomien ou d’une sécheresse oculaire. L’éviction de l’allergène demeure une mesure primordiale mais pas toujours possible. Dans un contexte professionnel, certaines formes sévères, compliquées d’une kératoconjonctivite peuvent justifier un reclassement professionnel [2]. Un aménagement du poste de travail pourra être proposé au salarié atteint. Si des mesures d’éviction ne peuvent être appliquées (allergène ubiquitaire sur le lieu de travail, entreprise de petite taille n’offrant pas de possibilité de changement de poste), une procédure de mise en maladie professionnelle (MP) pourra être envisagée. La reconnaissance en MP est toutefois loin d’être systématique si l’allergène et la clinique ne répondent pas à des critères stricts. En outre, elle expose, le malade à un risque de licenciement dont il doit être informé. Dans les entreprises à risque, les actions de prévention sont essentielles. Avec l’aide du médecin du travail, les conditions de travail devront être optimisées pour essayer de limiter les risques de sensibilisation (travail sous hotte, port de gants ou de lunettes) ou les circonstances aggravantes (atmosphère tabagique, mauvaise ventilation des pièces, etc.).
La suppression du facteur causal apparaît être la solution la plus judicieuse. Celle-ci sera aisée en cas de suture proéminente mais pourra se révéler plus hasardeuse chez des patients porteurs de lentilles de contact (LC) pour une anisométropie importante ou une déformation cornéenne qui nécessitent des LC pour pouvoir réaliser les actes de la vie quotidienne ou pour des motifs professionnels. De plus, chez des porteurs de LC « classiques », il est souvent difficile de leur faire accepter un arrêt complet de ces dernières surtout sur une longue période. Le recours aux traitements médicamenteux est parfois nécessaire.
Lorsque le port de LC ne peut être stoppé, la modification des paramètres des LC, quand elle est possible (type de LC, matériau, type de port, renouvellement), permet de résoudre le problème dans la plupart des cas. La prescription de LC jetables journalières doit être encouragée. L’intérêt supplémentaire des LC jetables journalières est la suppression de l’utilisation de solutions d’entretien dont on connaît la participation éventuelle à la majoration des phénomènes allergiques sur des terrains prédisposés. En cas d’impossibilité (paramètres non disponibles, nécessité de LC rigides, coût, etc.), une fréquence de renouvellement la plus grande possible est préconisée. En effet, il a été démontré que la fréquence de la conjonctivite gigantopapillaire (CGP) était nettement moindre si le remplacement des LC souples était inférieur à 3 semaines comparativement à un remplacement à 1 mois ou plus [3]. Ainsi, en ce qui concerne les porteurs de LC souples traditionnelles (renouvellement annuel), le changement est impératif pour un renouvellement au minimum trimestriel, voire mensuel d’autant plus que de nombreuses LC présentant des gammes de plus en plus étendues sont proposées de nos jours par les laboratoires. En cas d’utilisation de LC en port permanent, le changement vers un port journalier doit être recommandé. La durée de port dans la journée sera limitée aux activités qui nécessitent des LC (port des lunettes encouragé au domicile) et petit à petit augmentée selon la réponse au traitement. Pour les porteurs de LC rigides, il apparaît qu’une modification du matériau et qu’un changement de diamètre de la lentille peuvent améliorer plus rapidement les problèmes de dépôts. Le choix d’un matériau à moyen Dk diminue l’importance des dépôts protidiques. Dans la plupart des cas, les modifications apportées aux LC permettent au patient de poursuivre le port avec une amélioration franche de la symptomatologie. La disparition des troubles est assez rapide et survient en quelques jours : de l’ordre de 2 jours pour les symptômes ressentis par le patient et de 5 jours pour les principaux signes cliniques observés [4]. La diminution de la taille des papilles reste quant à elle beaucoup plus longue à observer (plusieurs semaines à plusieurs mois).
L’entretien des LC est le deuxième volet important de la prise en charge de la CGP. Un entretien méticuleux est nécessaire pour diminuer les dépôts même si ceux-ci ne peuvent pas être complètement éliminés [5]. Cet entretien doit être modifié et le changement de famille chimique de la solution d’entretien s’impose souvent. Une solution d’entretien sans conservateurs est prescrite et les consignes de massage des LC sont rappelées. L’orientation vers les systèmes oxydants supprimant tout risque allergique en raison de l’obtention d’une solution neutralisée est tout à fait adaptée et encouragée. Chez les porteurs de LC rigides, ce type de solution oxydante peut être parfaitement utilisé sans aucun risque pour le matériau. Une déprotéinisation hebdomadaire doit être associée. Certaines recommandations comme le rinçage abondant au sérum physiologique, notamment lors de l’ablation de la LC, permettent d’éliminer l’ensemble des médiateurs de l’inflammation des culs-de-sac. Cette instillation peut d’ailleurs être répétée dans la journée.
Il est classiquement reconnu que chez les patients atopiques, le risque de CGP est augmenté et que l’on y observe les formes les plus sévères. Des LC jetables journalières sont préconisées sur ce terrain permettant de s’affranchir de système d’entretien. Le traitement d’une sécheresse oculaire ou d’un dysfonctionnement meibomien lorsqu’ils sont présents permet de mieux contrôler la pathologie.
Dans le cas de CGP survenant chez des patients porteurs d’une prothèse oculaire, cette dernière doit être nettoyée chaque jour avec un savon doux puis rincée avec de l’eau stérile (encadré 23.1).
• La KCV est une pathologie chronique, avec des poussées inflammatoires ; elle dure classiquement 4 à 5 ans et disparaît à la puberté.
• Éviter les facteurs irritants non spécifiques qui favorisent les poussées comme le soleil, le vent, l’eau de mer. Le port de lunettes de soleil, de casquette avec visière et de lunettes de piscine est recommandé.
• Éviter de se frotter les yeux car cela aggrave la maladie.
• Éviter tout contact avec un allergène connu.
• L’utilisation de compresses froides et de larmes artificielles (sans conservateur si possible) aide à calmer la symptomatologie.
• Le nettoyage fréquent des mains, du visage et des cheveux permet de réduire l’exposition allergénique.
• Pour les vacances, le choix d’un climat approprié (altitude) est recommandé.
Le port d’une prothèse oculaire est difficile à limiter mais l’ablation de celle-ci peut être éventuellement envisagée la nuit, même si cela peut éventuellement entraîner une petite diminution de l’élasticité des tissus de la cavité de la prothèse. En revanche, la prise en charge d’une CGP secondaire à une irrégularité de surface n’est pas évidente : il est difficile d’envisager la révision d’une bulle de trabeculectomie chez un patient bien équilibré sur le plan tensionnel. L’ablation du matériel d’indentation pour un décollement de rétine peut se solder parfois par une récidive du décollement. En revanche, l’ablation d’un fil de suture cornéen s’accompagne d’une disparition rapide des symptômes.
Le traitement médicamenteux de la CGP vise à diminuer le relargage de l’histamine par les cellules mastocytaires et à inhiber la réaction inflammatoire.
Les antidégranulants mastocytaires trouvent une indication en raison de la part immunitaire de la CGP même si l’allergie n’est qu’un des facteurs favorisant de celle-ci. Leur principe est de limiter la sécrétion de médiateurs préformés (histamine, sérotonine, etc.). Leur intérêt est beaucoup plus discuté une fois que l’histamine est déjà libérée. L’utilisation de ces traitements suppose qu’ils soient employés à distance du port des LC, c’est-à-dire que le patient doit retirer ses LC pour administrer le traitement et attendre quelques minutes avant de les remettre. Ils permettent également d’améliorer les troubles rencontrés lors du port de prothèse oculaire [6]. L’effet collatéral des antidégranulants (actif sur le complément ou sur les molécules de l’inflammation par exemple) peut avoir de l’intérêt dans cette pathologie multifactorielle. Les auteurs ont rapporté initialement l’effet du cromoglycate disodique mais le nédocromil puis le lodoxamide ou l’olopatadine ont montré une supériorité clinique [7].
Les corticoïdes locaux ont été évalués dans ce type d’affection et ont permis une diminution de la taille des papilles, mais une corticothérapie au long cours ne peut être envisagée en raison de ses effets secondaires. L’utilisation d’une cure de corticoïdes pour faire disparaître les papilles géantes a même été proposée mais reste d’utilisation discutée.
D’autres molécules, d’usage encore très limité, ont été décrites comme efficaces pour la prise en charge de la CGP. Un cas de CGP résistant à l’ensemble des traitements conventionnels, résolutif grâce à un traitement par du tacrolimus en pommade (traitement prescrit en cas de kératoconjonctivite atopique) a été rapporté dans la littérature [8]. L’efficacité des inhibiteurs de la calcineurine topique a été décrite dans plusieurs formes d’allergies sévères dont la CGP [9].
Les patients, souvent jeunes, et donc leurs parents doivent être informés sur la nature et la durée de la maladie, son évolution, les caractéristiques cliniques et les complications possibles. Cette première étape est indispensable pour une prise en charge optimale, et des notions d’éducation thérapeutique sont à donner aux patients et aux parents. Un soutien psychologique peut être nécessaire dans les cas graves. La première ligne de front de la kératoconjonctivite vernale (KCV), lorsque cela est possible, est l’identification des allergènes et l’évitement des facteurs environnementaux qui peuvent aggraver la maladie. Le bilan allergologique est donc systématique, il permet d’identifier des afférences allergologiques qui peuvent être responsables de poussées inflammatoires oculaires. La collaboration avec un allergologue rend efficace ce bilan qui peut retrouver jusqu’à 75 % de sensibilisation allergénique et 40 % d’allergies oculaires réelles (prouvées par la réalisation d’un test de provocation conjonctivale) impliquées dans les poussées inflammatoires. Il doit être recommandé d’éviter l’exposition à des facteurs déclenchants non spécifiques, tels que le soleil, le vent et l’eau salée, par l’utilisation de lunettes de soleil, casquettes à visière et lunettes de natation. Le lavage fréquent des mains et du visage doit également être proposé. Des compresses d’eau froide peuvent aider comme décongestionnant naturel. Les substituts lacrymaux (sans conservateur de préférence) sont utiles à la stabilisation du film lacrymal et vont diluer la concentration des allergènes et des médiateurs pro-inflammatoires dans les larmes.
Fig. 23-2 Stratégie thérapeutique dans la kératoconjonctivite vernale.
Une fois le diagnostic de KCV posé, une prise en charge multidisciplinaire est obligatoire, un bilan allergologique doit être réalisé pour identifier une implication possible de certains allergènes dans les poussées inflammatoires (voir chapitre 5-VI). L’implication des parents est indispensable pour mener le traitement dans les meilleures conditions et éviter toutes les complications liées aussi bien à la maladie qu’aux traitements.
La surveillance ophtalmologique classique est de deux visites, une en début d’année civile et l’autre à la fin de l’été pour évaluer l’ensemble des thérapeutiques. Bien sûr les crises inflammatoires seront source de consultations en urgence pour d’éventuelles escalades thérapeutiques.
En période calme, le traitement préventif de fond s’ajuste au degré d’inflammation de base. De simples instillations fréquentes au sérum physiologique non conservé peuvent être suffisantes. Dans les formes un peu plus sévères, l’ajout d’un antidégranulant mastocytaire local (sans conservateur si possible) sera efficace. Si la symptomatologie résiste, un collyre anti-histaminique ou double action peut être rajouté. Un antihistaminique oral peut être nécessaire et intéressant pour calmer le prurit.
En période de crise, les mesures non médicamenteuses constituent un socle incontournable. Le port des lunettes de soleil, de casquette et la lubrification oculaire au sérum physiologique froid, voire l’application d’un cataplasme glacé, s’imposent. Un anti-histaminique local associé à un antidégranulant mastocytaire ou une molécule à double action sont indiqués, et pour certains un anti-histaminique oral [10]. Les AINS en collyres peuvent être prescrits mais sont souvent mal tolérés [11].
En cas d’intolérance fonctionnelle majeure, la corticothérapie locale peut être discutée, en utilisant plutôt les corticoïdes de faible puissance sur une courte période. En cas de kératite ponctuée sévère confluente, des corticoïdes locaux doivent alors être prescrits. La cure sera courte (5 à 10 jours) et les doses dégressives [12]. La surveillance du tonus oculaire et de l’état cristallinien est nécessaire chez les enfants traités par corticoïdes locaux [13].
Un ulcère vernal doit être diagnostiqué et traité rapidement pour éviter les séquelles. Chez le jeune enfant dont l’examen clinique est parfois impossible, un examen sous anesthésie générale peut être indispensable pour établir le diagnostic. Il nécessite une corticothérapie locale utilisant un corticoïde puissant de type dexaméthasone ou bêtaméthasone, à forte dose (une goutte 8 à 12 fois/jour), sur une période courte et avec un suivi ophtalmologique étroit. Une couverture par un antibiotique local est souvent associée en raison du risque de surinfection. La surveillance de la fermeture de l’ulcère doit être rapprochée, à la recherche d’une surinfection ou d’un amincissement cornéen. Les doses de corticoïdes seront diminuées progressivement dès la cicatrisation de l’ulcère.
Une plaque vernale nécessite un grattage chirurgical systématique, sous anesthésie générale si l’enfant n’est pas coopérant, ou parfois à la lampe à fente sous anesthésie topique chez les plus grands. Ensuite, le traitement instauré est celui de l’ulcère vernal. Une membrane amniotique peut être utilisée et permet d’accélérer la cicatrisation [14].
Dans les formes sévères cortico-dépendantes avec complication cornéenne, plusieurs traitements d’épargne thérapeutique des corticoïdes sont proposés, seuls ou en association :
l’utilisation de la ciclosporine de 1 à 2 % s’impose : elle est initiée dès le début des poussées au printemps, puis poursuivie jusqu’au début de l’hiver où elle peut être arrêtée jusqu’au printemps suivant [15, 16]. En cas de résistance à la ciclosporine, le FK506 en collyre a également été testé avec succès dans de petites séries [17]. Le collyre n’est pas disponible, mais la forme pommade dermatologique (tacrolimus à 0,03 %), seule commercialisée (sans AMM en ophtalmologie), constitue une alternative utile pour les allergies palpébrales, en évitant un contact direct avec les yeux ;
seulement en cas d’asthme associé, les antileukotriènes oraux comme le montélukast (Singulair®) peuvent être efficaces ;
l’omalizumab semble dans les cas les plus sévères une solution thérapeutique à évaluer [18] ;
les corticoïdes par voie orale peuvent être nécessaires dans les très rares formes rebelles à tout autre traitement avec menace visuelle. La durée du traitement devra être la plus courte possible en raison des risques de cortico-dépendance et de complications iatrogènes systémiques chez l’enfant.
Comme pour la KCV, le bilan allergologique est systématique dans la kératoconjonctivite atopique (KCA) pour identifier les afférences allergologiques impliquées dans l’atteinte oculaire des patients. Dans cette pathologie, la collaboration avec un allergologue est une fois encore indispensable pour l’optimisation de la prise en charge.
L’utilisation de substituts lacrymaux, de préférence sans conservateur, permet un nettoyage de la surface oculaire, une dilution des allergènes. De plus, l’effet mouillant sera bénéfique sur une surface oculaire présentant une sécheresse manifeste et un break-up time (BUT) bas.
Fig. 23-3 Stratégie thérapeutique dans la kératoconjonctivite atopique.
* En cours d’évaluation.
En période calme, les substituts lacrymaux quotidiens sont nécessaires. L’ajout d’un collyre anti-allergique, sans conservateur de préférence, est souvent nécessaire pour améliorer la symptomatologie. Un complément par un anti-histaminique par voie générale est apaisant sur le prurit [22].
En période de crise, l’utilisation d’une corticothérapie locale viendra pallier une éventuelle insuffisance du traitement précédent. Comme dans la KCV, la corticothérapie sera de faible puissance sur une courte période, rendue nécessaire par une gêne fonctionnelle invalidante ou une kératite dense.
La KCA partage avec la KCV les complications cornéennes inflammatoires à type d’ulcère et de plaque vernale. Son schéma thérapeutique est identique à celui établi pour ces atteintes dans la KCV.
Cependant, contrairement à la KCV, la KCA dans ses formes très sévères corticorésistantes peut justifier d’un traitement systémique par ciclosporine orale, sous surveillance étroite de la fonction rénale [23].
[1] Ueata M, Sotozono C, Koga A, et al. Usefulness of a new therapy using Rebamipide eyedrops in patients with VKC/AKC refractory to conventional anti allergic treatment. Allergology International 2014 ; 63 : 75-81.
[2] INRS. Les maladies professionnelles. Guide d’accès au tableau du régime général et du régime agricole de la sécurité sociale. En ligne : www.inrs.fr
[3] Porazinski AD, Donshik PC. Giant papillary conjunctivitis in frequent replacement contact lens wearers : a retrospective study. Clao J 1999 ; 25 : 142-7.
[4] Allansmith MR, Korb DR, Greiner JV, et al. Giant papillary conjunctivitis in contact lens wearers. Am J Ophthalmol 1977 ; 83 : 697-708.
[5] Fowler SA, Allansmith MR. Removal of soft contact lens deposits with surfactant-polymeric bead cleaner. CLAO J 1984 ; 10 : 229-31.
[6] Meisler DM, Krachmer JH, Goeken JA. An immunopathologic study of giant papillary conjunctivitis associated with an ocular prosthesis. Am J Ophthalmol 1981 ; 92 : 368-71.
[7] Bailey CS, Buckley RJ. Nedocromil sodium in contact-lens-associated papillary conjunctivitis. Eye (Lond) 1993 : 7 : 29-33.
[8] Allansmith MR. Giant papillary conjunctivitis. J Am Optom Assoc 1990 ; 61 : S42-6.
[9] Wan XC, Dimov V. Pharmacokinetic evaluation of topical calcineurin inhibitors for treatment of allergic conjunctivitis. Expert Opin Drug Metab Toxicol 2014 ; 10 : 543-9.
[10] Hida WT, Nogueira DC, Schaefer A, et al. Comparative study between 0.025 % ketotifen fumarate and 0.1 % olopatadine hydrochloride in the treatment of vernal keratoconjunctivitis. Arq Bras Oftalmol 2006 ; 69 : 851-6.
[11] D’Angelo G, Lambiase A, Cortes M, et al. Preservative-free diclofenac sodium 0.1 % for vernal keratoconjunctivitis. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2003 ; 241 : 192-5.
[12] Bonini S, Bonini S, Lambiase A, et al. Vernal keratoconjunctivitis revisited : a case series of 195 patients with long-term followup. Ophthalmology 2000 ; 107 : 1157-63.
[13] Tabbara KF. Ocular complications of vernal keratoconjunctivitis. Can J Ophthalmol 1999 ; 34 : 88-92.
[14] Rouher N, Pilon F, Dalens H, et al. Greffe de membrane amniotique et traitement des ulcères de cornée lors des kératoconjonctivites chroniques allergiques. J Fr Ophtalmol 2004 ; 27 : 1091-7.
[15] Pucci N, Novembre E, Cianferoni A, et al. Efficacy and safety of cyclosporine eyedrops in vernal keratoconjunctivitis. Ann Allergy Asthma Immunol 2002 ; 89 : 298-303.
[16] Cetinkaya A, Akova YA, Dursun D, Pelit A. Topical cyclosporine in the management of shield ulcers. Cornea 2004 ; 23 : 194-200.
[17] Kheirkhah A, Zavareh M, Farzbod F, et al. Topical 0.005 % tacrolimus eye drop for refractory vernal keratoconjunctivitis. Eye 2011 ; 25 : 872-80.
[18] Sánchez J, Cardona R. Omalizumab. An option in vernal keratoconjunctivitis Allergol Immunopathol (Madr). 2012 ; 40 : 319-20.
[19] Leonardi A, Borghesan F, Faggian D, et al. Tear and serum soluble leukocyte activation markers in conjunctival allergic diseases. Am J Ophthalmol 2000 ; 129 : 151-8.
[20] Leonardi A, Curnoww SJ, Zhanz H, Calderz VL. Multiple cytokines in human tear specimens in seasonal and chronic allergic eye disease and in conjunctival fibroblast cultures. Clinical and Experimental Allergy 2006 ; 36 : 777-84.
[21] Mortemousque B, Fauquert JL, Chiambaretta F, et al. Le test de provocation conjonctival : recommandations pratiques pour le diagnostic des conjonctivites allergiques. J Fr Ophtalmol 2006 ; 29 : 837-46.
[22] Foster CS, Calonge M. Atopic keratoconjunctivitis. Ophthalmology 1990 ; 97 : 992-1000.
[23] Hoang-Xuan T, Prisant O, Hannouche D, Robin H. Systemic cyclosporine A in severe atopic keratoconjunctivitis. Ophthalmology 1997 ; 104 : 1300-5.