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CHAPITRE 25
Cavitations choroïdiennes

P. HEITZ,

D. GAUCHER

Introduction
Freund décrit pour la première fois en 2003 une lésion jaune orangé juxtapapillaire, située habituellement en inféropapillaire, au bord inférieur du conus myopique, et associée à un aspect particulier de l'OCT ( fig. 25-1
Fig. 25-1
Cavitation intrachoroïdienne péripapillaire.Au fond d'œil, l'aspect jaunâtre en inférieur est parfois peu visible (a, flèche). L'OCT montre bien l'espace étiré choroïdien inféropapillaire, avec des espaces optiquement vides correspondant aux cavitations (b).
). Il la nomme décollement péripapillaire de l'épithélium pigmentaire (EP) dans la myopie forte [ 1 ].
Par la suite, de nouveaux travaux ont permis de remettre en cause l'hypothèse d'un décollement de l'EP, et de visualiser autour du nerf optique un véritable épaississement de la choroïde et des cavités dans l'espace intrachoroïdien. Le terme de cavitation intrachoroïdienne a alors été proposé [ 2 ]. En effet, le profil de l'EP était normal, alors qu'une hyporéflectivité profonde de la choroïde sous-jacente formait un espace bien limité en inféropapillaire, de taille variable, oblongue, qui séparait l'EP de la sclère. Spaide décrit ces cavités comme étant hypovasculaires, la réflectivité OCT ne correspondant pas à l'hyperflectivité vasculaire de la choroïde normale [ 3 ].
Classification
Shimada et al. utilisent la visualisation « en face » de l'OCT pour visualiser l'extension latérale des cavitations et en tirent une classification. Le grade 1 est une cavitation mesurant moins d'un demi-diamètre papillaire, le grade 2 est intermédiaire et le grade 3 est une cavitation mesurant plus de trois quarts de diamètre papillaire [ 4 ].
Épidémiologie
La cavitation intrachoroïdienne péripapillaire est clairement une lésion associée à la myopie forte. Selon Shimada et al., 4,9 % des myopes forts présentaient une telle cavitation [ 4 ]. You et al. ont fait des statistiques sur une grande population chinoise et ont retrouvé des cavitations intrachoroïdiennes chez 16,9 ± 4 % des patients. Ils notent que seulement la moitié des cavitations vues en OCT étaient visibles au fond d'œil [ 5 ]. Ces mêmes auteurs retrouvent une association significative avec un haut degré de tilt de la papille optique et la présence d'un staphylome postérieur. La présence de cavitations choroïdiennes péripapillaires était indépendante de l'âge, du sexe, de la longueur axiale, de la pression intraoculaire et de l'épaisseur choroïdienne fovéolaire.
Dai et al. ont montré que les papilles optiques de patients ayant une cavitation péripapillaire avaient un diamètre vertical plus court et un angle de dysversion plus grand que dans l'œil controlatéral sans cavitation [ 6 ].
Même s'il est certain que la plupart des cavitations péripapillaires sont vues chez les myopes forts, Yeh et al. ont trouvé, dans leur série de cavitations, que 20 % des yeux avaient une myopie faible, 4 % une emmétropie et 3 % une hypermétropie [ 7 ]. Les patients non myopes forts étaient plus âgés. L'âge est en effet un facteur de risque souvent décrit. Dans cette série, seuls 4 % des patients avaient moins de 30 ans [ 7 ].
Diagnostic différentiel
Une cavitation choroïdienne n'est pas un épaississement de la choroïde.
Un hémangiome choroïdien péripapillaire n'a pas cet aspect hyporéflectif. De plus, il va bomber en avant et provoquer un bombement de l'EP. La cavitation s'étend en arrière de l'EP normal; la sclère est éloignée en arrière de l'EP.
Dans la macula bombée, 60 % des patients ont la choroïde autour de la zone de protrusion antérieure de la sclère qui est plus épaisse. Cela est appelé peridome choroidal deepening. Ce n'est pas une cavitation à proprement parler; elle est associée à une convexité antérieure de la sclère postérieure [ 8 ].
Hypothèses physiopathologiques
De nombreux auteurs discutent du mécanisme d'apparition de la cavitation intrachoroïdienne péripapillaire.
HYPOTHÈSE MÉCANIQUE
Toranzo et al. considèrent que la progression du staphylome péripapillaire entraîne la séparation de la sclère et de l'EP, créant une cavitation [ 2 ]. En effet, les recherches anatomiques réalisées dans les années 1960 par Anderson et al. ont permis de découvrir un tissu collagénique reliant la sclère au nerf optique, appelé tissu d'Elschnig, en continuité avec le tissu marginal de Jacoby (cellules astrocytaires) reliant choroïde et nerf optique [ 9 ]. L'extension postérieure du staphylome interromprait cette connexion et il en résulterait la rétraction de la choroïde, plus loin du bord de la papille. Autrement dit, la cavitation péripapillaire serait attribuée à la profonde excavation du conus myopique et à l'impossibilité du complexe rétine-EP de suivre cette extension postérieure sclérale, entraînant un étirement de la choroïde entre l'EP et la sclère et l'apparition des espaces de cavitation.
Le modèle de Wang sur la biomécanique de la tête du nerf optique est intéressant [ 10 ]. Il montre, grâce à l'imagerie par résonance magnétique (IRM), qu'un mouvement latéral de l'œil de 13° entraîne au moins autant un étirement de la tête du nerf optique qu'une pression intraoculaire à 50 mmHg. La traction de la dure-mère du nerf optique péripapillaire s'exerce sur la sclère en temporal inférieur de la papille. Cela est dû au fait que l'origine de la traction est située dans la région supéronasale de l'orbite. Wang montre qu'en adduction, cet étirement est plus marqué chez les patients aux grandes longueurs axiales. Ainsi, on peut supposer que, chez le myope fort, la traction dans la région péripapillaire temporale inférieure est en cause dans l'aggravation du conus myopique et la formation d'une cavitation choroïdienne.
HYPOTHÈSE FLUIDIQUE
Une autre hypothèse est le passage de liquide d'origine vitréenne sous l'EP. En angiographie à la fluorescéine, un décollement de l'EP sera visible par une intense hyperfluorescence tardive, alors que la cavitation apparaîtra comme une hypofluorescence et une isofluorescence tardives. Cela indique qu'il n'y a pas de changement de perméabilité vasculaire à l'origine d'une accumulation de liquide dans la cavitation [ 11 ].
Par ailleurs, certains auteurs ont trouvé une apparente communication en OCT entre la cavitation et l'espace vitréen, faisant suspecter une accumulation liquidienne d'origine vitréenne ( fig. 25-2
Fig. 25-2
Cavitation intrachoroïdienne péripapillaire.L'aspect jaunâtre typique est mieux vu dans ce cas (a, flèche). Sur l'OCT, la cavitation est aussi bien vue (flèche), on note même une démarcation en nasal avec la choroïde normale. Une communication entre la cavité vitréenne et la cavitation est notée (b, tête de flèche), et on peut imaginer le passage de liquide de la cavité vitréenne vers la choroïde.
). La plongée du tissu rétinien péripapillaire dans la cavité sclérochoroïdienne avec trou rétinien et prolapsus vitréen postérieur est appelé myopic peripapillary sinkhole ou pseudofossette colobomateuse. Le liquide vitréen a alors accès au tissu choroïdien et pourrait créer un schisis puis une poche [ 3 , 6 , 12 ].
Une fossette dans la zone gamma péripapillaire (zone d'atrophie péripapillaire, dénudée de la membrane de Bruch et de l'EP) peut être retrouvée, et elle semble être à l'origine d'une déhiscence entre le tissu d'Elschnig et la membrane de Bruch, associée à une hernie et un défect de la couche des fibres optiques et à une cavitation suprachoroïdienne [ 13 ].
Le fait que l'âge ait été retrouvé comme facteur associé aux cavitations peut être expliqué par la diminution de la capacité des tissus de réabsorber des liquides avec l'âge, et l'accumulation en inférieur du conus serait liée à la gravité [ 7 ].
Les deux hypothèses mécanique et fluidique ne sont cependant pas contradictoires. En effet, on pourrait envisager la séquence suivante : traction postérieure via le nerf optique, entraînant une courbure postérieure de la sclère en péripapillaire, entraînant l'étirement de la choroïde à la jonction avec le nerf optique, entraînant un étirement du tissu de Jacoby jusqu'à la rupture, entraînant la communication entre cavitation et vitré.
HYPOTHÈSE DE L'ADHÉSION CELLULAIRE
Le parallélisme entre les colobomes de la papille et ses modifications OCT du bord du colobome avec les cavitations péripapillaires a amené des auteurs à émettre une hypothèse plus moléculaire liée à l'adhésion des cellules [ 14 ]. En effet, les colobomes papillaires sont de plusieurs origines. Il existe une cause génétique, avec plus de 27 gènes impliqués dans des mutations, tels que PAX2. Il existe aussi l'hypothèse d'une toxicité in utero, d'une infection maternelle, de radiations ionisantes, d'un déficit en vitamine A maternel, etc. La fermeture de la fissure optique in utero est très dépendante des molécules d'adhésion CAM ( cell adhesion molecules ), dont la cadhérine. La question de la formation d'une cavitation péripapillaire secondaire à une anomalie de ces molécules d'adhésion reste posée.
Autres formes cliniques
CAVITATIONS INTERPAPILLOMACULAIRES
Si la plupart des cavitations sont inféropapillaires, il existe aussi des cavitations péripapillaires en temporal de la papille. Elles se différencient par une très grande taille. Cela semble s'expliquer par l'idée que la zone interpapillomaculaire serait la zone où les tensions mécaniques sont les plus fortes dans un œil myope fort.
Des défects de la rétine interne ont été observés dans ces yeux entre le bord temporal du conus myopique et la cavitation, sans qu'on puisse à ce jour dire s'il s'agit d'une cause ou d'une conséquence de la cavitation interpapillomaculaire [ 15 ].
CAVITATIONS INTRACHOROÏDIENNES MACULAIRES
Ohno-Matsui a été la première à décrire des cavitations intrachoroïdiennes maculaires. Cet auteur note, grâce à l'OCT swept source, que certains patients ayant un patch d'atrophie géographique avaient une sclère courbée postérieurement dans le patch atrophique et autour de celui-ci. Le patch est décrit comme une lésion du fond d'œil gris blanc, avec des bords bien limités. Dans cette zone, il y a une disparition complète de la choriocapillaire, et donc des photorécepteurs et de l'EP, entraînant un scotome absolu [ 16 ].
La courbure postérieure localisée de la sclère était associée à une image de cavitation intrachoroïdienne maculaire autour de l'EP rétracté en arrière, tout à fait comparable à la cavitation péripapillaire.
La présence de cavitation maculaire est indépendante de son équivalent péripapillaire chez un même patient. Les cavitations maculaires étaient retrouvées chez des patients plus âgés, avec une longueur axiale supérieure, suggérant que le patch d'atrophie évolue en cavitation maculaire avec le temps et la progression de la myopie.
L'hypothèse physiopathologique mécanique permet d'expliquer la survenue de ces cavitations, en faisant le parallèle avec le conus myopique. L'EP et la choriocapillaire sont absents, avec une dégénérescence de la membrane de Bruch et des photorécepteurs; le patch constitue une zone de moindre résistance à la pression intraoculaire et donc est plus sensible à l'étirement, repoussant la sclère en arrière et laissant une cavitation. L'atrophie et l'étirement postérieur de l'EP et de la sclère, qui entraînent la cavitation, pourraient également venir de l'attraction chronique postérieure des vaisseaux scléraux perforants ( fig. 25-3
Fig. 25-3
Cavitation choroïdienne maculaire.Les cavitations maculaires sont liées à une atrophie de l'épithélium pigmentaire (EP) et de la rétine souvent visible au fond d'œil par une tache atrophique plus ou moins jaunâtre centrale (a). L'OCT montre les cavitations de la choroïde autour de l'EP rétracté vers l'arrière (b, flèches). L'origine de ces cavitations reste discutée. L'attraction des vaisseaux scléraux perforants maculaires pourrait provoquer la rétraction de l'EP en arrière, l'étirement de la choroïde adjacente et l'apparition des cavitations (c, flèche).
).
Conséquences cliniques
DÉFICITS DU CHAMP VISUEL
Shimada a montré en premier que la présence de cavitations choroïdiennes péripapillaires était associée à un déficit du champ visuel de type glaucomateux [ 4 ]. Le déficit du champ visuel semble être en rapport avec la localisation de la cavitation et des fibres optiques sus-jacentes ( fig. 25-4
Fig. 25-4
Atteinte des fibres optiques et cavitations péripapillaires.Sur la coupe circulaire (a), on distingue bien la fossette en temporal inférieur (b, flèche). La localisation de la fossette (b, trait vert, flèche) correspond bien à une atteinte des fibres optiques dans le territoire correspondant (c, trait vert, flèche).
) [ 4 ].
Okuma a montré à la fois la présence de ces scotomes et l'amincissement de la couche des cellules ganglionnaires comme dans un glaucome débutant dans 70 % des yeux ayant une cavitation péripapillaire. Cependant, ce scotome, à la différence du glaucome, est stable dans le temps.
DÉCOLLEMENTS MACULAIRES ASSOCIÉS
Des cas de décollements maculaires ou rétinoschisis maculaires ont été retrouvés associés à des cavitations [ 17 ]. Il s'agissait de myopes non forts mais qui avaient des caractéristiques de la myopie forte, comme un conus myopique, une dysversion papillaire, un amincissement choroïdien. Il ne s'agissait pas de réelles fossettes colobomateuses à proprement parler.
Ces décollements maculaires sont supposés être des extensions de la cavitation péripapillaire, via une sorte de fossette près des vaisseaux rétiniens permettant le passage de liquide vitréen dans l'espace sous-rétinien.
Ces cas ont été opérés par vitrectomie avec pelage de la membrane limitante interne, afin de lever les tractions autour du conus. La réapplication maculaire a été rapidement obtenue en postopératoire. D'autres auteurs ont traité ces décollements de rétine maculaire avec cavitation par une injection de gaz dans le vitré seule ou par dorzolamide topique [ 18 ].
Conclusion
Les cavitations choroïdiennes sont souvent de découverte fortuite sur une rétinographie ou un OCT papillaire d'un myope fort. Elles sont caractéristiques des contraintes biomécaniques de l'œil myope fort, qui engendrent un étirement pathologique de tous les tissus oculaires. Cet étirement est probablement à l'origine des cavitations dans la choroïde à proximité des zones d'étirement. La fragilisation des barrières entre la choroïde et la cavité vitréenne pourrait aussi provoquer l'accumulation liquidienne dans ces espaces intrachoroïdiens. Sauf dans leur localisation maculaire où la vision est atteinte, les répercussions cliniques sont limitées à des atteintes du champ visuel de type glaucomateux.
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