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CHAPITRE 10
Périphérie du myope fort
Anomalies, prévention et surveillance

J.-P. BERROD

Introduction
La périphérie vitréorétinienne du myope présente des anomalies dont la fréquence et la sévérité sont corrélées à la longueur axiale de l'œil. Il s'agit du blanc sans pression, du givre, des palissades, des migrations pigmentaires ou de la dégénérescence pavimenteuse. Certaines s'associent fréquemment à des déhiscences ou à un décollement de rétine, alors que d'autres ne présentent pas de complications spécifiques.
Malgré une incidence relativement faible de 1/10 000/an, le décollement de rétine reste une cause importante de perte de vision sévère chez les myopes forts. La prévention par le laser des lésions à risque reste néanmoins un sujet controversé, fondé davantage sur des convictions que sur des études reposant sur des preuves scientifiques [ 1 ].
Facteurs de risque de décollement de rétine
MYOPIE
La myopie est un facteur de risque de décollement proportionnel à la longueur axiale. Selon plusieurs études, l'incidence de 1/10 000/an serait multipliée par 5 pour les myopies jusqu'à −5 D et par 30 pour les myopies supérieures à −15 D [ 2 ]. Le risque de présenter un décollement de rétine au cours de la vie passe de 0,5 % pour un emmétrope à 2,5 % pour un myope inférieur à −5 D et à 10 % pour un myope fort avec longueur axiale > 30 mm. L'association avec des palissades augmenterait ce risque d'un facteur 2 à 3. Malgré ces constatations non confirmées par des études récentes, il n'est plus proposé aux patients myopes sans antécédent de décollement de rétine de réaliser un cerclage laser prophylactique.
CHIRURGIE DE LA CATARACTE
La chirurgie de la cataracte est un facteur de risque important de décollement de rétine. Une étude française portant sur 2,68 millions d'opérés entre 2009 et 2012 retrouve un facteur de risque moyen de 3,87, mais cette valeur passe à 5,22 chez les patients âgés de 40 à 54 ans et à 6,12 chez les myopes > −6 D [ 3 ]. Une autre étude portant sur l'œil adelphe non opéré de cataracte a montré que si le sexe masculin et le jeune âge étaient des facteurs de risque de décollement de rétine de l'œil phaque, l'opération de la cataracte de l'autre œil augmentait ce risque de base par un facteur 4,23 [ 4 ]. Ce risque persiste toute la vie et augmente après capsulotomie au laser Nd:YAG. Malgré ces constatations récentes, il n'est plus admis de réaliser de cerclage préventif avant opération de la cataracte, surtout en l'absence de lésion.
VITRECTOMIE
La vitrectomie est un facteur de risque de décollement de rétine estimé de 1 à 11 % selon les études et les indications. La transition vers l'instrumentation 23, 25, 27 Gauge a réduit cette complication de 1 à 3 % [ 5 ]. Le traitement prophylactique au laser a fait l'objet de plusieurs études qui n'ont pas confirmé son intérêt [ 6 , 7 ]. La vitrectomie pour chirurgie maculaire n'est plus une indication de cerclage laser préventif préopératoire ni postopératoire [ 8 ].
CHIRURGIE RÉFRACTIVE POUR MYOPIE
L'extraction du cristallin clair chez le myope fort induit un risque de décollement de rétine de 8 % sur une période de 7 ans [ 9 , 10 ]. De ce fait, l'intervention est déconseillée en l'absence de cataracte. La chirurgie additive en chambre antérieure semble également induire un risque de décollement de rétine de l'ordre de 1 %, alors que la chirurgie cornéenne ne présenterait pas de risque spécifique. La chirurgie réfractive ne constitue pas une indication de cerclage préventif du décollement de rétine.
ANTÉCÉDENTS DE DÉCOLLEMENT DE RÉTINE
Le risque de décollement de rétine de l'œil adelphe chez un patient ayant présenté un décollement est en moyenne de 12 % [ 11 ]. La prévention sur l'œil controlatéral est à considérer en cas d'échec du traitement sur le premier œil ainsi qu'en cas de déchirure géante ou d'hérédodégénérescence vitréorétinienne (Wagner, Stickler), dont le risque de bilatéralisation est de l'ordre de 50 %, même en l'absence de lésions visibles [ 12 ] et particulièrement chez les myopes forts.
Les lésions visibles et leurs risques spécifiques
BLANC SANS PRESSION
Il s'agit d'une lésion plane ou légèrement surélevée qui s'étend en larges bandes ou en plaques à la périphérie du fond d'œil de l'ora serrata à l'équateur, le plus souvent au niveau des quadrants temporaux et inférieurs, et dont la limite postérieure est plus ou moins festonnée. Ces lésions sont souvent recouvertes de points blancs comparables à du givre ( fig. 10-1
Fig. 10-1
Aspect au verre à trois miroirs du givre et du blanc sans pression.
). Cette anomalie décrite par Schepens en 1952 semble correspondre à une forme évoluée du blanc avec pression, visible uniquement lors de l'indentation sclérale [ 13 ]. Le blanc sans pression se retrouve également dans les zones de palissades, autour des déchirures ainsi que sur les périphéries rétiniennes des yeux atteints de décollement. Il semblerait que les yeux avec plages de blanc sans pression aient un vitré postérieur décollé de la rétine, sauf au niveau de la zone de blanc [ 14 ]. En plus de l'adhérence vitréorétinienne, le blanc sans pression s'associe fréquemment à la dégénérescence microkystique, au rétinoschisis, au givre diffus et au décollement de rétine plan. La plupart des auteurs pensent que les plages de blanc sont l'expression d'une traction vitréorétinienne liée à l'augmentation de la longueur axiale du globe. Elles sont constantes chez les patients de moins de 20 ans avec longueur axiale supérieure à 33 mm, alors qu'elles n'affectent que 35 % des myopes de plus de 40 ans [ 15 ]. Cette diminution de la fréquence avec l'âge est liée à l'évolution progressive des plages de blanc vers une pigmentation. Celles-ci peuvent varier dans leur localisation au cours du temps [ 14 ]. Les plages de blanc sont des lésions plutôt bénignes, sauf lorsqu'elles sont soulevées ou associées à un rétinoschisis. Dans ce cas, elles peuvent être le siège de trous ronds atrophiques ou de déchirures, et peuvent se compliquer d'un décollement de rétine ( fig. 10-2
Fig. 10-2
Présence d'une déchirure périphérique dans une zone de blanc sans pression.
).
Néanmoins, en l'absence de complication, elles ne constituent plus une indication de prévention laser. (Voir aussi texte en ligne et e- fig. 10-1 .)
DÉGÉNÉRESCENCE GIVRÉE
Cette dégénérescence est la plus spécifique de la myopie et la plus fréquemment rencontrée, affectant près de 40 % des yeux myopes. Elle se présente sous la forme d'un semis de petites taches ponctiformes blanches et brillantes qui saupoudre la périphérie entre l'équateur et l'ora. La forme localisée et focale est la moins fréquente, alors que la forme généralisée et diffuse est la plus souvent rencontrée, avec une prédominance pour le secteur temporal. La bilatéralité est retrouvée dans 15 % des cas et l'association aux palissades dans 8 % [ 16 ]. Dans certaines études anglo-saxonnes, la dégénérescence givrée est assimilée au blanc sans pression alors qu'il semble bien que les deux entités n'aient pas la même origine. Le givre s'associe fréquemment à la dégénérescence microkystique liée à une vacuolisation intrarétinienne siégeant dans la couche plexiforme externe ( fig. 10-3
Fig. 10-3
Lésion rétinienne périphérique.Aspect de givre en bande pigmenté.(Remerciements : D. Baron.)
).
DÉGÉNÉRESCENCE PALISSADIQUE
Bien qu'il s'agisse de la moins fréquente des lésions périphériques chez le myope, la palissade décrite en 1904 par Gonin est la lésion le plus souvent associée à des déchirures ou à un décollement de rétine [ 17 ]. L'aspect classique est une plage jaunâtre, d'orientation circonférentielle, qui semble posée à la surface de la rétine. Cette lésion est composée essentiellement d'un réseau de lignes blanches entrecroisées, d'orientation radiaire ou circonférentielle, de petits dépôts blancs granuleux et d'amas pigmentaires ( fig. 10-4
Fig. 10-4
Présence d'une palissade avec amas pigmentaire.
). La dégénérescence palissadique est associée à une anomalie de développement de l'interface vitréorétinienne [ 18 ]. Le vitré en regard de la palissade est liquéfié, mais reste très adhérent aux bords de la lésion. La rétine est amincie, essentiellement au niveau des couches internes, et la membrane limitante interne est inexistante. Les trous atrophiques ou les déchirures surviennent probablement du fait de l'amincissement extrême de la rétine interne. Les palissades ont tendance à s'étendre en surface, en particulier chez les jeunes ( fig. 10-5
Fig. 10-5
Présence d'une palissade étendue en périphérie rétinienne.
). En revanche, leur fréquence n'augmente pas avec l'âge ou le sexe. L'atteinte est habituellement bilatérale et les plages sont multiples, avec une prédominance dans le quadrant temporal supérieur. Les palissades sont retrouvées et dans 10 % des yeux myopes de plus de 26 mm et dans 20 % des yeux de plus de 30 mm [ 19 ]. On peut également noter des lésions non pigmentées brillantes en bave d'escargot, ou schnecken spurren selon la dénomination de Gonin, ou snail tracks en anglais. Ces lésions sont assimilées à des palissades par leur localisation ainsi que par la liquéfaction du vitré et les déchirures rétiniennes fréquentes associées. Toutefois, elles ne sont ni associées aux palissades, ni pigmentées, alors que le risque de décollement est plus élevé que celui lié à une palissade. Il pourrait donc s'agir d'une entité clinique particulière, mais souvent assimilée à la palissade [ 20 ].
La dégénérescence palissadique est souvent associée aux autres formes de dégénérescence, comme le blanc sans pression chez les jeunes, les plages pigmentées entre 20 et 40 ans et la dégénérescence pavimenteuse après 40 ans.
Les déhiscences rétiniennes et les décollements de rétine ne surviennent que chez de 1 % des patients ayant une dégénérescence palissadique. En revanche, 30 à 40 % des décollements de rétine sont associés à des palissades. Les patients ayant présenté un décollement de rétine associé à une dégénérescence palissadique ont un risque de 10 % de présenter un décollement de rétine de l'œil adelphe [ 21 ]. Les déhiscences peuvent survenir à distance des palissades, dans des zones de rétine apparemment saine, ou parfois au bord des cicatrices du traitement préventif [ 22 ], ce qui explique l'intérêt limité de la prévention laser, même en présence de lésions étendues de la périphérie. En pratique, celle-ci ne sera envisagée que dans les yeux phaques adelphes d'un décollement de rétine, ou chez les patients présentant une hérédodégénerescence de type Wagner ou Stickler [ 1 ]. (Voir aussi texte en ligne et e- fig. 10-2 .)
DÉGÉNÉRESCENCE PIGMENTAIRE
La dégénérescence pigmentaire est la moins étudiée des dégénérescences périphériques du myope. Sa présence est liée à la longueur axiale, passant de moins de 1 % à 21 mm à plus de 75 % à 33 mm, ainsi qu'à l'âge du patient et à ses antécédents inflammatoires et vasculaires [ 23 ]. La pigmentation varie d'une forme diffuse et fine à une forme en larges plaques ( fig. 10-6
Fig. 10-6
Pigmentation autour d'une lésion pavimenteuse.
). Elle est bilatérale, affectant plutôt les hommes et s'associant aux plages de blanc sans pression. Elle prédomine dans la périphérie temporale et dans le quadrant supérieur, en étant souvent contiguë à des plages dépigmentées. Elle serait secondaire à des tractions vitréomaculaires et souvent associée à des trous ronds ou des déchirures rétiniennes [ 24 ].
DÉGÉNÉRESCENCE PAVIMENTEUSE
La dégénérescence pavimenteuse, ou atrophie choriorétinienne, a été décrite par Donders en 1855. Elle correspond à des plages périphériques d'atrophie de l'épithélium pigmentaire rétinien et des couches externes de la rétine, secondaire à une dégénérescence de la choroïde sous-jacente. Il se crée alors une cicatrice adhérente entre la rétine interne et la membrane de Bruch. Cliniquement, ce sont de petites zones de dépression, circulaires, jaunes, situées à 1 ou 2 diamètres papillaires de l'ora. Elles ont une taille de 0,1 à 1 diamètre papillaire et sont uniques ou en groupe. Avec le temps, elles deviennent confluentes, pouvant former une bande. Elles sont plus ou moins pigmentées, avec de gros vaisseaux choroïdiens passant au centre. Les quadrants inférieurs et temporaux sont les plus fréquemment atteints, avec une bilatéralisation chez 50 % des patients. La fréquence de l'atteinte augmente avec l'âge, 40 % des myopes de plus de 40 ans en étant porteurs. De petites déhiscences peuvent se produire sur les bords de ces plages d'atrophie du fait de la répartition inégale des forces d'adhérences entre la zone pavimenteuse et la rétine normale [ 25 ]. Ces petites déhiscences peuvent être difficiles à identifier. En revanche, la zone de dégénérescence pavimenteuse est caractérisée par une adhésion forte de la rétine à la choriocapillaire et l'épithélium pigmentaire, et donc avec un faible risque d'évoluer spontanément vers un décollement rétinien. (Voir aussi texte en ligne et e- fig. 10-3 .)
TROUS RONDS ATROPHIQUES
Les trous rétiniens sont d'origine trophique et ne font pas appel à un mécanisme de traction vitréenne; de ce fait, ils ne se compliquent que rarement de décollement de rétine et ne nécessitent pas de traitement préventif systématique [ 21 ]. Les trous rétiniens s'observent souvent au sein d'une dégénérescence givrée ou palissadique avec atrophie des couches internes de la rétine. Ils sont ronds, à bords nets et parfois soulevés ( fig. 10-7
Fig. 10-7
Décollement de rétine.Deux trous de pleine épaisseur son visibles au sein du décollement.
). Des trous rétiniens ne sont pas toujours à l'origine d'un décollement de rétine, même chez le myope. Ils sont retrouvés chez 8 à 12 % des yeux myopes, leur fréquence augmentant avec la myopie. Ces trous asymptomatiques ne nécessitent aucun traitement si la longueur axiale du globe est inférieure à 26 mm [ 26 ]. En revanche, un traitement peut être proposé en présence d'un trou de plus de 1,5 diamètre papillaire, sans remaniements pigmentaires associés, même si le patient est asymptomatique. Les trous rétiniens sont rarement symptomatiques, mais en cas de photopsies ou de myodésopsies, un traitement doit être envisagé [ 27 ]. (Voir aussi texte en ligne et e- fig. 10-4 et e- fig. 10-5 .)
DIALYSES À L'ORA
On désigne sous ce terme des déchirures de forme allongée, parallèles à l'ora. Elles siègent fréquemment dans le secteur temporal inférieur chez des sujets jeunes. En l'absence de pigmentation spontanée, elles peuvent bénéficier d'une photocoagulation laser préventive ou d'une cryo-indentation afin de prévenir la constitution d'un décollement de rétine lentement évolutif, caractérisé par la présence de plusieurs lignes de démarcation [ 28 ] ( fig. 10-8
Fig. 10-8
Décollement de rétine périphérique par dialyse à l'ora.Noter la présence de nombreuses lignes de démarcation périphériques, dont la dernière intéresse la fovéa.
). Elles sont volontiers bilatérales et symétriques, le vitré n'est pas décollé et le pronostic chirurgical habituellement favorable [ 29 ].
DÉCHIRURES RÉTINIENNES
DÉCHIRURES SYMPTOMATIQUES
Les déchirures symptomatiques se produisent lors du décollement postérieur du vitré. Elles prédominent dans le quadrant temporal supérieur. La traction vitréenne sur un vaisseau peut être responsable d'une hémorragie [ 30 ] ( fig. 10-9
Fig. 10-9
Décollement de rétine par déchirure sur palissade avec vaisseau passant en pont sur la déchirure.
).
Elles se manifestent par des photopsies ou des corps flottants et doivent être traitées au laser en raison du risque d'évolution spontanée vers un décollement de rétine de 35 à 45 % [ 31 ].
DÉCHIRURES RÉTINIENNES ASYMPTOMATIQUES
Ces déchirures, présentes chez 3 % de la population, sont associées à des modifications pigmentées qui correspondent à un mécanisme de guérison spontanée après décollement du vitré. Les déchirures asymptomatiques entourées de remaniement pigmenté ne nécessitent pas de traitement préventif [ 32 ].
RÉTINOSCHISIS PÉRIPHÉRIQUE DÉGÉNÉRATIF
C'est un clivage entre la rétine interne et externe au niveau de la plexiforme externe de siège habituel temporal inférieur (74 %). Il se présente sous la forme d'une surélévation plane ou bulleuse de la rétine périphérique. Sa paroi interne est kystique immobile. Il est souvent recouvert de points blancs ou de givre ( fig. 10-10
Fig. 10-10
Rétinoschisis périphérique.Absence de pigmentation visible malgré le caractère chronique de la lésion.
). Le feuillet interne du rétinoschisis est mince, microkystisque et immobile, ce qui le différencie du décollement de rétine. Il n'y a pas de migration pigmentaire, ni de lignes de prolifération de l'épithélium pigmentaire, ce qui le différencie du décollement de rétine (voir fig. 10-8 ). L'examen du champ visuel peut montrer un déficit absolu en cas de rétinoschisis. Le rétinoschisis s'étend rarement à la région maculaire. En cas d'extension postérieure, il convient de remettre en cause le diagnostic et d'évoquer un décollement de rétine chronique. Dans certains cas, le rétinoschisis peut se compliquer de déhiscences des feuillets internes et externes, et évoluer vers le décollement de rétine dans 6 % des cas. Le traitement ne s'impose que lorsqu'un décollement de rétine évolutif est associé, ou dans les rares cas d'extension à la macula. Le barrage par photocoagulation laser est déconseillé, car il est inefficace pour stopper la progression compte tenu de son action limitée aux couches externes de la rétine [ 33 ].
Hérédodégénérescences vitréorétiniennes
Une dégénérescence rétinienne périphérique associée à un vitré central optiquement vide et à des condensations périphériques doit faire rechercher les signes de maladie de Stickler. Cette maladie décrite en 1965 est une arthro-ophtalmopathie progressive associant des anomalies vitréorétiniennes, une cataracte précoce et des modifications dégénératives des articulations. Ce syndrome, qui affecte 1 patient sur 10 000, est pourvoyeur de nombreux décollements de rétine chez l'enfant. L'atteinte oculaire est caractérisée par une myopie forte, des opacités du cristallin, des anomalies vitréennes à type de liquéfaction centrale et de voiles denses périphériques ( fig. 10-11
Fig. 10-11
Voiles vitréens visibles dans le cadre d'un syndrome de Stickler.
). La périphérie de la rétine est le siège de migrations pigmentaires de déhiscences de givre et de palissades ( fig. 10-12
Fig. 10-12
Trous ronds atrophiques et pigments périphériques dans le cadre d'un syndrome de Stickler.
). Le décollement de rétine qui survient chez 50 % des patients fait toute la gravité de l'affection. Il s'agit soit d'un décollement à progression lente lié à de multiples trous atrophiques équatoriaux en rétine périphérique, soit d'un décollement à progression rapide par déchirures multiples postérieures ou par déchirure géante. Le diagnostic sera confirmé par la présence de manifestations systémiques sous la forme d'un aplatissement médiofacial avec aplatissement de la base du nez, d'une hypoplasie maxillaire, d'une petite lèvre supérieure et d'un recul du menton. On note également une arthropathie au niveau des genoux, chevilles, hanches et des mains. Le diagnostic doit être évoqué car le traitement du décollement nécessite habituellement une chirurgie endoculaire ainsi qu'un traitement préventif de l'œil adelphe [ 34 ].
Le rétinoschisis lié à l'X a été décrit en 1898 par Haas. Cette affection rare et bilatérale touche uniquement les garçons et associe une maculopathie stellaire ( fig. 10-13
Fig. 10-13
Kystes maculaires dans le cadre d'un rétinoschisis lié à l'X.
) à des déhiscences rétiniennes périphériques au niveau de la couche des fibres optiques. Le rétinoschisis périphérique n'est présent que dans la moitié des cas et plus fréquent dans le quadrant temporal inférieur ( fig. 10-14
Fig. 10-14
Lésion périphérique dans le cadre d'un rétinoschisis lié à l'X.
). Il est à l'origine de complications (hémorragies et décollement de rétine). Des déhiscences multiples se développent dans la fine couche interne du rétinoschisis périphérique, certaines devenant très larges et ne laissant persister que de petits lambeaux de ce mur interne et des vaisseaux rétiniens sans support tissulaire. Le diagnostic peut être facilement confirmé par l'OCT maculaire qui permet de visualiser l'œdème kystique typique de l'affection ( fig. 10-15
Fig. 10-15
Logettes maculaires visibles en OCT dans un rétinoschisis lié à l'X.
).
En présence d'une myopie forte associée à des migrations pigmentaires et des étirements vasculaires, il convient de rechercher des antécédents de prématurité. Les déchirures rétiniennes sont le plus souvent dans les quadrants temporaux, et les décollements de rétine surviennent en général durant la deuxième décennie des patients.
Quelles lésions faut-il traiter ?
DÉHISCENCES SYMPTOMATIQUES
L'existence d'une déchirure à lambeau avec traction vitréorétinienne dans les suites d'un décollement postérieur du vitré symptomatique avec photopsies et myodésopsies est un facteur de risque établi de décollement de rétine de l'ordre de 35 à 45 %. Le traitement des déchirures symptomatiques est recommandé [ 1 ], car il diminue significativement le risque de décollement de rétine. La surveillance rapprochée permet de vérifier la formation d'une cicatrice choriorétinienne solide et de dépister, a contrario, l'apparition ou l'extension d'un soulèvement rétinien qui dépasse le barrage laser [ 35 ].
Le traitement laser est réalisable lorsque les bords de la déchirure sont peu ou pas soulevés et lorsqu'il est possible d'entourer la déchirure ou de l'exclure par un retour à l'ora. Si le soulèvement excède 2 diamètres papillaires, il sera préférable de pratiquer une cryo-indentation [ 28 ].
DÉCHIRURES GÉANTES ET DIALYSES À L'ORA
Une déchirure géante ou une dialyse à l'ora sans décollement de rétine sont des situations rares. Un traitement par barrage laser simple peut être efficace. Dans la physiopathologie des déchirures géantes, la traction vitréenne est maximale lors de la constitution du décollement postérieur aigu du vitré. Une surveillance tous les 3 à 6 mois est conseillée la première année.
En présence d'une déchirure géante idiopathique, plusieurs études recommandent la prophylaxie sur les yeux adelphes, le risque de décollement de rétine étant estimé à 50 à 60 %, surtout en cas de myopie supérieure à 10 D [ 36 ].
Certains préfèrent la cryoapplication périphérique circonférentielle prophylactique sur l'œil adelphe [ 12 ]. La photocoagulation périphérique sur 360° est aujourd'hui la plus pratiquée, car nettement mieux acceptée. Le barrage doit être confluant, assez large et placé en arrière de la partie postérieure de la base du vitré. Une méta-analyse n'a cependant pas permis de conclure quant à l'efficacité ou la supériorité d'une de ces trois mesures préventives (laser, cryothérapie, cerclage) [ 37 ].
Quelle information pour le patient ?
En l'absence de preuve scientifique irréfutable de l'efficacité du traitement prophylactique, la prise en charge, le suivi et l'information seront adaptés à chaque patient.
La surveillance du fond d'œil du myope fort asymptomatique sans antécédents se limite au fond d'œil en ophtalmoscopie indirecte ou en rétinographie grand champ à chaque consultation, après recherche d'une symptomatologie évocatrice d'un décollement du vitré.
La découverte d'une lésion de la périphérie rétinienne en l'absence de décollement postérieur du vitré permet d'informer le patient sur la notion de risque rhegmatogène et sur les symptômes qui doivent l'inciter à consulter. Cette information est la première démarche vers un diagnostic et une prise en charge rapides d'un éventuel décollement de rétine constitué.
Dans les autres situations, il n'y a pas d'attitude univoque pour toutes les lésions à potentiel rhegmatogène. Le traitement d'une déchirure symptomatique à lambeau est la seule situation dans laquelle le bénéfice du traitement laser est indiscutable, mais les autres situations se discutent au cas par cas.
Conclusion
La prophylaxie du décollement de rétine du myope fort fait appel au laser et, dans certaines situations, à la cryo-indentation. Ce sujet reste controversé en l'absence de preuves scientifiques [ 28 ]. Les indications les plus consensuelles de photocoagulation laser restent les déchirures en fer à cheval symptomatiques et les lésions survenant sur un œil adelphe de décollement de rétine, ou dans le cadre d'une maladie génétique favorisant le décollement de rétine, en particulier la maladie de Stickler.
Points clés
  • La myopie est un facteur de risque de décollement de rétine; plus la myopie est grande, plus le risque est important.
  • La vitrectomie et la chirurgie de la cataracte (ou du cristallin clair) augmentent le risque de décollement de rétine, pas la chirurgie réfractive cornéenne.
  • Il existe de nombreuses atteintes dégénératives de la rétine périphérique; le risque de décollement n'est pas le même pour tous les types d'atteinte ( tableau 10-1
    Tableau 10-1
    Les différentes lésions périphériques et leur traitement chez le myope.
    Type de lésionAspectRisque de décollement de rétine (DR)Traitement
    Déchirure rétinienneArrondi, ouverture rétinienne en fer à cheval40 % de DR si symptomatiqueBarrage laser autour de la déchirure en cas de symptômes
    PalissadesRéseau de lignes blanches entrecroisées et amas de pigments1 % de DR sur palissade, mais palissades souvent présentes en cas de DRSi trou symptomatique associé (barrage autour du trou) ou dans le cadre d'une maladie de Stickler
    Trous rondsRond rouge bien délimité, avec parfois un décollement blanchâtre des bords rétiniens; parfois, un opercule est visible en avant du trouPeu de risque de DR car pas de traction directe du vitré en avant du trouBarrer le trou seulement si symptomatique ou si DR sur trou sur l'œil adelphe
    Dégénérescence pavimenteuseLésion blanche à bords nets de forme un peu carrée. Les vaisseaux choroïdiens sont vus à travers la lésionPas de risque de DRPas de traitement
    Blanc avec et sans pressionColoration blanchâtre de la périphérie rétinienne en larges plaques en arrière de l'ora jusqu'à l'équateur, souvent recouvert de points brillants jaune blancPas de risque de DRPas de traitement
    GivrePetites taches ponctiformes blanches et brillantes entre l'équateur et l'oraPas de risque de DRPas de traitement
    Dégénérescence pigmentéeTache pigmentéePas de risque de DR, sauf si associée à une déchirure ou un trouPas de traitement
    ).
  • Les palissades, surtout trouées, sont plus associées au décollement de rétine, le blanc avec ou sans pression, et les dégénérescences pavimenteuses présentent peu de risque.
  • On doit traiter les déchirures à lambeau (clapet) survenant lors d'un décollement postérieur du vitré symptomatique caractérisé par des photopsies et des myodésopsies.
  • On peut traiter les trous sur palissade ou les déchirures à lambeau (clapet) asymptomatiques survenant sur l'œil adelphe d'un décollement de rétine.
  • Il faut proposer le traitement prophylactique controlatéral en cas de décollement par déchirure géante ou survenant sur un terrain de maladie de Stickler.
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