CHAPITRE 21
Atrophie choriorétinienne myopique
L'atrophie choriorétinienne myopique représente souvent le stade évolutif ultime de la myopie dégénérative. Elle est souvent localisée au sein ou en bordure du staphylome, dans le lit de ruptures de la membrane de Bruch anciennes, autour de la papille et parfois autour de néovaisseaux myopiques anciens.
En termes de choroïde du myope fort, il est souvent difficile de distinguer le normal du pathologique, car il est fréquent d'observer des épaisseurs choroïdiennes largement inférieures à la normale chez des patients myopes forts qui ont une acuité visuelle conservée. Dans une étude rétrospective menée chez 59 patients myopes forts avec ou sans complication maculaire, d'un âge moyen de 59 et 57 ans respectivement, avec un équivalent sphérique de –16 et –13 D respectivement, l'épaisseur choroïdienne centrale moyenne des yeux avec complication maculaire était de 59 μm (après exclusion des cas d'atrophie choriorétinienne), tandis qu'elle était de 118 μm pour les yeux sans complication [
1
].
Définition
Deux types d'atrophie choriorétinienne sont souvent définis : l'atrophie choriorétinienne diffuse, de couleur jaunâtre, et l'atrophie choriorétinienne à l'emporte-pièce (
fig. 21-1
) [
2
,
3
]. L'atrophie à l'emporte-pièce peut apparaître à partir de l'atrophie choriorétinienne diffuse, à partir de ruptures de la membrane de
Bruch ou en bordure d'un staphylome myopique, souvent à la partie supérotemporale.
Il faut distinguer ces formes d'atrophie des autres causes d'atrophie choriorétinienne de la myopie forte survenant dans des contextes particuliers : atrophie se développant autour des néovaisseaux choroïdiens anciennement traités par photothérapie dynamique (PDT), atrophie apparaissant autour de néovaisseaux myopiques fibrosés (tache de Fuchs) (
fig. 21-2
), atrophie compliquant des pathologies inflammatoires survenant souvent dans un contexte de myopie (choroïdite ponctuée interne et choroïdite multifocale).
Signes cliniques
Le fond d'œil du patient myope fort est souvent caractérisé initialement par un aspect trop visible des gros vaisseaux choroïdiens et une dépigmentation diffuse, correspondant au tessellated fundus des Anglo-Saxons. Chez ces patients, l'acuité visuelle est généralement longtemps conservée, malgré une diminution de la densité des photorécepteurs, de l'épaisseur choroïdienne et de la circulation choroïdienne [
4
,
5
].
Tandis que l'atrophie choriorétinienne diffuse n'entraîne généralement qu'une baisse modérée de l'acuité visuelle, l'atrophie choriorétinienne à l'emporte-pièce se traduit cliniquement par un scotome en regard de la zone d'atrophie.
Les limites de l'atrophie choriorétinienne diffuse sont souvent mal définies, alors que l'atrophie à l'emporte-pièce est en général bien limitée. Cette dernière, de couleur blanchâtre, est localisée dans la région maculaire ou péripapillaire. Il n'est pas rare de voir de gros vaisseaux choroïdiens traversant ces zones d'atrophie à l'emporte-pièce.
Alors qu'il n'existe qu'un amincissement important de la choriocapillaire visible en OCT dans le cadre de l'atrophie choriorétinienne diffuse, une disparition complète de la choriocapillaire et une raréfaction importante des gros vaisseaux choroïdiens se produisent. Cela entraîne une disparition progressive des cellules de l'épithélium pigmentaire et des photorécepteurs en regard de la zone d'atrophie [
6–8
]. Dans les formes avancées, la sclère devient visible et des vaisseaux rétrobulbaires peuvent parfois être vus par transparence (
fig. 21-3
).
Une étude prospective a évalué à 10 ans la progression de la maculopathie myopique. Une progression était observée dans 20 % des yeux avec dépigmentation diffuse, 71 % des yeux ayant initialement une atrophie choriorétinienne diffuse, et dans tous les cas en présence d'une atrophie à l'emporte-pièce visible à l'examen initial [
9
]. Dans une étude rétrospective avec un suivi moyen de 12 ans, une progression de la maculopathie était rapportée dans environ 13 % des cas en présence d'une dépigmentation diffuse, 49 % des yeux ayant initialement une atrophie choriorétinienne diffuse, et dans 70 % des cas en présence d'une atrophie à l'emporte-pièce [
2
].
La même étude montre que, sur la même période, les patients avec rupture de la membrane de Bruch ont un taux de progression de la maculopathie dans 69 % des cas, tandis que les yeux avec néovaisseaux progressent dans 90 % des cas.
La progression se fait en général :
– de la dépigmentation diffuse à l'atrophie diffuse dans 10 % des cas, à l'apparition de ruptures de la membrane de Bruch dans 3 % des cas et à l'apparition de néovaisseaux myopiques dans 0,4 % des cas;
– de l'atrophie diffuse à l'élargissement de la zone d'atrophie diffuse dans 27 % des cas, à l'apparition de plages atrophiques à l'emporte-pièce dans 19,4 % des cas, à l'apparition de ruptures de la membrane de Bruch dans 2,2 % des cas ou de néovaisseaux dans 1,6 % des cas;
– de plages atrophiques à l'emporte-pièce à un élargissement de celles-ci dans 67,6 % des cas, puis à une coalescence de ces plages atrophiques et/ou à l'apparition de néovaisseaux myopiques dans 2,7 % des cas.
La coalescence de plages d'atrophie à l'emporte-pièce ou le développement d'une tache de Fuchs concourent à l'apparition d'une atrophie maculaire, stade ultime de la maculopathie myopique.
Facteurs de risque
Les facteurs de risque de progression de la maculopathie myopique sont le sexe féminin, la longueur axiale, la présence d'un staphylome (notamment de type IX selon la classification de Curtin), l'âge et la présence d'une atrophie parapapillaire [
2
,
5
,
10–15
].
Dans cette dernière étude qui porte sur 810 yeux de 432 patients suivis en moyenne près de 19 ans, le risque de progression de la maculopathie myopique est associé au sexe féminin ( odds ratio [OR] = 2,2, p = 0,01), à l'âge (OR = 1,03, p = 0,02), à la longueur axiale (OR = 1,20, p = 0,007) et au développement d'une zone d'atrophie parapapillaire (OR = 3,14, p < 0,001) [
15
]. La zone gamma de l'atrophie péripapillaire, définie par la zone de sclère parapapillaire sans choroïde, membrane de Bruch et couches rétiniennes externes en regard, semble plus particulièrement associée à l'élongation axiale progressive [
16
].
Ruptures de la membrane de Bruch
Il s'agit d'une complication souvent inaugurale de l'entrée dans la maculopathie myopique. Elle est souvent caractérisée cliniquement par une baisse visuelle d'apparition brutale, un scotome central, traduisant la présence d'une hémorragie sous-rétinienne [
17
,
18
]. En cas de rupture de la membrane de Bruch à distance de la fovéa, celle-ci peut passer complètement inaperçue. L'hémorragie sous-rétinienne se résorbe souvent de façon spontanée et le pronostic est généralement favorable. Néanmoins, pour les
hémorragies plus massives qui migrent dans les couches rétiniennes, il peut persister des altérations de la zone ellipsoïde qui peuvent laisser des séquelles visuelles définitives [
19–21
]. Une rupture de la membrane de Bruch constitue un facteur de risque majeur de néovaisseaux myopiques, mais aussi d'atrophie choriorétinienne. Cette dernière peut prendre la forme d'une atrophie à l'emporte-pièce de forme ovalaire, apparaissant sur le trajet de la rupture qui s'élargit progressivement, ou d'une atrophie diffuse. L'évolution peut aussi se faire vers l'apparition de nouvelles ruptures ou l'extension de la rupture initiale. On observe globalement 56 % de progression de la maculopathie à 6 ans après une rupture de la membrane de Bruch [
22
].
Une étude a permis de montrer que l'incidence des néovaisseaux myopiques est plus importante en cas de rupture de la membrane de Bruch (29 % des cas) qu'en cas de lésions atrophiques à l'emporte-pièce (20 %) ou qu'en cas d'atrophie diffuse (3,7 %) [
23
].
Dans l'étude longitudinale d'Hayashi, la progression en cas de rupture de la membrane de Bruch est observée dans 69 % des cas, dont 43 % environ progressent vers l'apparition de lésions atrophiques à l'emporte-pièce, 13 % développent des néovaisseaux et 13 % développent de nouvelles ruptures de la membrane de Bruch [
2
].
Conclusion
L'atrophie choriorétinienne myopique est le stade souvent ultime de la maculopathie myopique (
fig. 21-4
). S'il n'y a actuellement pas de traitement de cette complication, la prise en charge des néovaisseaux myopiques par anti-VEGF permet sans doute de limiter davantage la progression trop rapide de néovaisseaux vers l'apparition d'une tache de Fuchs.
En outre, le développement récent de systèmes de reconnaissance d'images ou de texte, possiblement intégrés dans le smartphone, et l'orientation vers un centre de basse vision permettent souvent aux patients de conserver une certaine autonomie.
Devant un jeune patient myope fort, il faut conserver à l'esprit que l'épaisseur choroïdienne et la présence d'un staphylome myopique constituent des critères de gravité.
Points clés
- L'atrophie à l'emporte-pièce et l'atrophie diffuse sont les deux principales formes d'atrophie chez le myope fort.
- Les ruptures de la membrane de Bruch évoluent souvent vers une atrophie à l'emporte-pièce.
- Les ruptures de la membrane de Bruch constituent un facteur de risque majeur de néovaisseaux myopiques.
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