CHAPITRE 4
Myopies syndromiques
Description clinique
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CONTEXTE
De nombreux syndromes cliniques ont une origine génétique avec clairement une transmission mendélienne et des gènes correspondants identifiés. La myopie peut être présente dans de nombreuses affections oculaires mais aussi dans le cadre de syndromes. Elle est alors le plus souvent rapidement progressive et elle représente une myopie maladie avec de potentielles complications cécitantes [
1
,
2
]. Il est important d'identifier cette myopie qui peut parfois être le premier signe clinique se manifestant comme porte d'entrée dans la reconnaissance du syndrome.
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ERREURS DE RÉFRACTION MYOPIQUE
Dans le cas d'une myopie syndromique, l'erreur réfractive est aussi le plus souvent élevée, réalisant une myopie forte avec une progression de plus de −0,5 D par an. Cette erreur réfractive doit être confirmée chez l'enfant par une réfraction sous cycloplégique. Une mesure de la longueur axiale est effectuée en échographie pour évaluer la progression [
3
]. Les examens sont répétés afin de permettre une surveillance régulière de la myopie.
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EXAMEN CLINIQUE
Un examen facial sera effectué en premier à la recherche d'une dysmorphie faciale. L'examen clinique ophtalmologique sera complet avec en particulier un examen précis du vitré. Au niveau du vitré, il faudra rechercher des anomalies structurelles, notamment des lacunes. Le fond d'œil systématique et si possible en grand champ recherchera des signes de remaniement choriorétinien orientant vers une dystrophie rétinienne héréditaire.
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EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
EXPLORATIONS FONCTIONNELLES OPHTALMOLOGIQUES
Les explorations fonctionnelles ophtalmologiques ont plusieurs objectifs. Le premier est de documenter le diagnostic de la myopie, de la quantifier et de noter son évolution. Le deuxième vise à obtenir des éléments plus précis pour le diagnostic de myopie syndromique. Dans le syndrome de Wagner, les altérations rétiniennes visualisées à l'OCT ainsi que celles de l'interface vitréorétinienne sont assez caractéristiques du syndrome et apportent des éléments diagnostiques [
4
]. Une électro-rétinographie et des potentiels évoqués visuels pourront compléter les examens réalisés et préciser les atteintes rétiniennes ou de transmission visuelle.
EXAMEN CLINIQUE GÉNÉRAL
Devant toute suspicion d'une myopie syndromique, un examen clinique général sera pratiqué à la recherche d'anomalies systémiques en rapport avec le syndrome. Concernant l'enfant, l'examen pédiatrique approfondi sera essentiel pour une meilleure orientation clinique. En plus du phénotypage clinique oculaire et général, une étude génétique orientée permettra d'affiner le diagnostic.
Processus biologiques en cause dans les myopies syndromiques et gènes associés
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PRINCIPES D'ANALYSES
Flitcroft et al. ont analysé avec une étude, à partir de la database OMIM® ( Online Mendelian Inheritance in Man ), les nouveaux gènes de myopie ainsi que leurs voies à partir des formes de myopie syndromique [
5
]. Les voies analysées ont permis d'identifier les processus biologiques impliqués dans les erreurs réfractives développementales grâce aux analyses GWAS ( Genome-Wide Association Studies ). Ces études ont pour but d'identifier les gènes associés aux risques de développement de la myopie. Deux grandes analyses géniques GWAS, essentiellement CREAM et 23andMe, ont étudié les erreurs réfractives en général et plus précisément la myopie. Le deuxième but de cette étude a été de rechercher le lien des gènes retrouvés dans les myopies avec les différents processus biologiques associés au contrôle génétique des erreurs réfractives développementales de fonction des gènes de myopie syndromique (
encadrés 4-1
,
4-2
et
tableau 4-1
). Dans le syndrome de Stickler, l'anomalie dans le gène du collagène de type II
alpha1 (COL2A1) est la plus fréquemment retrouvée et celui-ci est exprimé dans la sclère. Cette anomalie de la sclère est responsable d'altérations significatives de croissance du globe oculaire entraînant une myopie.
Encadré 4-1
- Développement oculaire
- Développement cristallinien
- Organisation de la matrice extracellulaire
- Organisation des fibrilles de collagène
- Morphogenèse oculaire
- Morphogenèse du corps
- Dissociation de la matrice extracellulaire
- Protéine liée O-mannosylation
- Morphogenèse des organes sensoriels
- Détection de la lumière visible
- Processus du métabolisme des protéoglycanes
- Proteine liée O-glycosylation
- Développement rétinien
- Perception visuelle
- Processus de catabolisme du collagène
- Différenciation des cellules de Schwann
Encadré 4-2
- GNPTG
- ALDH18A1
- ADAMTSL4
- COL9A2
- FBN1
- ASXL1
- LTPB2
- POMT1
- TFAP2A
- OCA2
- AGK
- ZNF469
- GJA1
- POLR3B
- IFIH1
- PTPN11
- ADAMTS18
Gène | Locus | Syndrome clinique |
---|---|---|
PRSS56 | 2q37.1 | Microphtalmie isolée 6 |
CHRNG | 2q37.1 | Syndrome Escobar |
CACNA1D | 3p14.3 | Aldostéronisme primaire, convulsions et anomalies neurologiques |
LAMA2 | 6q22.3 | Dystrophie musculaire congénitale, déficit en mérosine |
CHD7 | 8q12.2 | Syndrome CHARGE |
BICC1 | 10q21.1 | Dysplasie rénale kystique (susceptibilité) |
RDH5 | 12q13.2 | Fundus albipunctatus |
PCCA | 13q32.3 | Acidémie propionique |
ZIC2 | 13q32.3 | Holoprosencéphalie 5 |
KCNJ2 | 17q24.3 | Syndrome d'Andersen |
TJP2 | 9q21.11 | Cholestase intrahépatique progressive familiale 4 |
SIX6 | 14q23.1 | Anomalies papillaires avec dystrophie rétinienne et/ou maculaire |
BMP2 | 20p12.3 | Brachycéphalie type A2 |
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PROCESSUS BIOLOGIQUES RETROUVÉS DANS LA MYOPIE SYNDROMIQUE
Dans l'étude de Flitcroft, plusieurs programmes d'analyses des différentes voies de processus de myopies ont été utilisés [
5
]. La recherche a été conduite grâce aux programmes PANTHER, DAVID et REACTOME. L'encadré 4-1 résume les procédés biologiques observés parmi les gènes connus pour causer des myopies syndromiques (analyse PANTHER).
Principaux syndromes avec myopie forte
Un certain nombre de syndromes présentent une myopie forte associée. Ces syndromes sont regroupés dans un tableau qui ne constitue pas une liste exhaustive des syndromes associés mais plutôt une aide au diagnostic devant une association clinique retrouvée avec la myopie (
tableau 4-2
). En outre, cela permet d'orienter le pronostic selon le diagnostic effectué. Le
tableau 4-3
résume les différents gènes retrouvés concernant les myopies syndromiques. Nous ne détaillons ci-dessous que les syndromes les plus fréquemment retrouvés associés à une myopie.
Gène | Locus | Syndrome clinique |
---|---|---|
ADAMTS18 | 16q23.1 | Microcornée, choroïdose myopique et télécanthus |
ADAMTS2 | 5q35.3 | Syndrome d'Ehlers-Danlos, type VII autosomique récessif |
ADAMTSL4 | 1q21.3 | Ectopie cristallinienne et pupillaire |
AGK | 7q34 | Syndrome de Sengers |
ALDH18A1 | 10q24.1 | Cutis laxa type IIIa autosomique récessif |
ASXL1 | 20q11.21 | Syndrome de Bohring-Opitz |
COL4A1 | 13q34 | Maladie microvasculaire cérébrale avec ou sans anomalies oculaires |
COL9A2 | 1p34.2 | Syndrome de Stickler type V |
ERBB3 | 12q13.2 | Syndrome de contractures congénitales létales type 2 |
FBN1 | 15q21.1 | Syndrome de Marfan |
FBN1 | 15q21.1 | Syndrome de Weill-Marchesani 2 |
GJA1 | 6q22.31 | Dysplasie oculodentodigitale autosomique récessif |
GNPTAB | 12q23.2 | Mucolipidose III alpha/bêta |
IFIH1 | 2q24.2 | Syndrome 1 Singleton-Merten |
KIF11 | 10q23.33 | Microcéphalie avec ou sans choriorétinopathie, lymphœdème ou retard mental |
LTBP2 | 14q24.3 | Microsphérophakie et/ou mégalocornée avec ectopie cristallinienne ou sans glaucome secondaire |
OCA2 | 15q12.13 | Albinisme oculocutané type 2 |
POLR3B | 12q23.3 | Leucodystrophie 8 hypomyélinisante avec ou sans oligodontie et/ou hypogonadisme hypogonadotrophique |
POMT1 | 9q34.13 | Dystrophie-dystroglycanopathie musculaire (congénitale avec anomalies cérébrales et oculaires) type A, 1 |
POMT1 | 9q34.13 | Dystrophie-dystroglycanopathie musculaire (congénitale avec anomalies cérébrales et oculaires) type B, 1 |
PTPN11 | 9q34.13 | Syndrome de Noonan 1 |
SLC39A5 | 12q13.3 | Myopie 24 autosomique dominante |
TFAP2A | 6p24.3 | Syndrome branchio-oculo-facial |
ZNF469 | 16Q24.2 | Syndrome de la cornée fragile 1 |
Syndrome | Tableau clinique | Gènes |
---|---|---|
Syndrome de Stickler | Myopie forte congénitale, vitréorétinopathie, décollement de rétine, dysmorphie faciale, surdité, articulations hypermobiles | COL2A1, COL11A1, COL11A2, COL9A1, COL9A2, COL9A3 |
Syndrome de Wagner et vitréorétinopathies VCAN | Myopie, vitréorétinopathie, autosomique dominant, vitré optiquement vide, cataracte précoce, cécité nocturne avec atrophie choriorétinienne progressive, décollement de rétine, pas d'anomalies systémiques | VCAN |
Autres vitréorétinopathies | Myopie évolutive, anomalies choriorétiniennes variables selon la forme | VCAN |
Syndrome de Marfan | Ectopie cristallinienne, myopie, dilatation aortique, anomalies squelettiques, anomalies durales, hyperélasticité | FBN1 |
Syndrome de Weill-Marchesani | Ectopie cristallinienne, microsphérophakie, glaucome, petite taille, brachydactylie, raideur articulaire | FBN1 |
Syndrome d'Ehlers-Danlos | Présentations cliniques hétérogènes, six sous-types, taches sclérales bleutées, hyperlaxité articulaire, fragilité des tissus mous | ADAMTS2 |
Syndrome de la cornée fragile | Type de syndrome d'Ehlers-Danlos, cornée amincie et fragile | ZNF469 |
Syndrome de Cohen | Myopie progressive, dystrophie choriorétinienne, obésité du tronc, retard de croissance, hypotonie, retard psychomoteur, neutropénie | |
Albinisme | Hypopigmentation cutanée et des cheveux, iris transilluminable, hypoplasie maculaire | OCA2 |
Aniridie | Atteinte panoculaire, aniridie, insuffisance limbique, glaucome, cataracte, hypoplasie maculaire | PAX6 |
Cutis laxa | Myopie forte inconstante, peau ridée, luxation de hanche, hernie unguinale, retard psychomoteur sévère | ALDH18A1 |
Syndrome de Bohring-Opitz | Dysmorphie faciale et posturale, retard mental, microcéphalie, déficit de croissance | ASXL1 |
Syndrome de Knobloch | Myopie forte évolutive, décollement de rétine sévère, encéphalocèle occipitale, retard psychomoteur | COL18A1 |
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SYNDROME DE STICKLER ET APPARENTÉS
Le syndrome de Stickler regroupe des maladies hétérogènes avec des signes cliniques qui sont communs [
6
,
7
]. C'est une anomalie autosomique dominante dont la prévalence est estimée à 1/7 500-1/9 000. Ce syndrome comprend des anomalies oculaires, des anomalies orofaciales, une surdité, une ostéoarthropathie et un prolapsus de la valve mitrale. Sur le plan oculaire, il comporte d'emblée une myopie forte congénitale mais non progressive. Le syndrome de Stickler repose sur une anomalie génétique des gènes du collagène. Dans l'enfance, le risque de décollement de rétine rhegmatogène est majeur et nécessite une surveillance des lésions rétiniennes périphériques avec une prise en charge préventive du deuxième œil. Malgré les progrès de la chirurgie rétinienne, le risque de cécité reste élevé. La dysmorphie faciale peut comporter une fente labiopalatine, une hypoplasie malaire, une base de nez aplatie et une microrétrognathie (
fig. 4-1
). L'ostéoarthropathie est le plus souvent diagnostiquée avant l'âge de 40 ans.
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Les vitréorétinopathies relatives aux Versican correspondent aujourd'hui principalement au syndrome de Wagner. Le syndrome de Wagner est une anomalie autosomique dominante, principal diagnostic différentiel du syndrome de Stickler, et il comporte une myopie classiquement sans décollement de rétine [
4
,
8
,
9
]. Il peut aussi associer une cataracte précoce, une cécité nocturne relative et une uvéite [
10
]. Il est caractérisé par une absence d'anomalies systémiques. D'autres vitréorétinopathies plus rares ont été décrites
avec la même présentation clinique; cependant le génotypage n'a pas été confirmé. Les mutations identifiées concernent souvent les gènes du collagène avec des variants du syndrome de Stickler ou du syndrome de Wagner.
■
SYNDROME DE MARFAN
Le syndrome de Marfan est une affection autosomique dominante avec atteinte du tissu conjonctif, due à un variant pathogène du gène de la fibrilline FBN1 localisé en 15q21.1. Ce syndrome est à l'origine d'une maladie multisystémique comprenant une large variabilité et un large spectre phénotypique [
11
,
12
]. Les atteintes touchent essentiellement l'œil, le système squelettique et le système cardiovasculaire (essentiellement une dilatation de l'aorte). L'atteinte oculaire comporte une myopie (le plus fréquent), une ectopie cristallinienne avec un risque accru de décollement de la rétine, de glaucome et de cataracte précoce, et une cornée plate. Sur le plan squelettique, il existe une hyperlaxité articulaire, une arachnodactylie, un pectus excavatum ou un pectus carinatum et une scoliose. Dans le syndrome de Marfan, le risque de mortalité précoce est lié aux anomalies cardiovasculaires.
Principaux gènes impliqués dans les myopies syndromiques
Le phénotypage précis permet d'orienter le diagnostic et une analyse génétique par NGS ( next generation sequencing ) avec un panel multigénique permet de rechercher les mutations responsables des syndromes associés à la myopie. L'association entre le phénotypage complet et le génotypage permet de poser un diagnostic précis. L'étude génétique des vitréorétinopathies recherche des mutations dans les gènes du collagène. Le collagène est une macromolécule hélicoïdale du tissu conjonctif dont 19 types ont déjà été identifiés [
13
]. Les variants pathogènes du collagène correspondent à différents phénotypes associés à différents syndromes [
14
]. Une fois le gène identifié, les membres atteints de la famille doivent bénéficier d'un conseil génétique et doivent être avertis des mesures préventives du décollement de rétine. Les dégénérescences rétiniennes héréditaires entraînent souvent, elles aussi, des myopies mais s'accompagnent d'altérations rétiniennes [
15
].
Les myopies syndromiques sont souvent rapidement progressives et nécessitent d'être reconnues et diagnostiquées dans le cadre d'un éventuel syndrome. Le plus souvent, elles présentent des caractères de gravité et d'évolutivité, mais le pronostic est essentiellement lié au diagnostic du syndrome associé. Les complications des myopies syndromiques sont fréquemment sévères avec des complications souvent cécitantes. Dans ce cadre, la prévention des complications est essentielle pour réduire un pronostic souvent sombre. Il faut rechercher les anomalies systémiques qui permettent de conduire au diagnostic clinique. L'examen pédiatrique de l'enfant ou par un médecin interniste de l'adulte apporte souvent une des clés diagnostiques. Une étude génétique accompagnée d'un phénotypage oculaire précis permettra une optimisation du diagnostic, une connaissance du pronostic et d'adapter la prise en charge thérapeutique ainsi que le traitement préventif.
Points clés
- La myopie forte ou rapidement progressive représente un problème de santé publique. La compréhension de son étiologie est un enjeu majeur. Elle nécessite une stratégie de prise en charge préventive et thérapeutique qui est en accord avec la cause retrouvée.
- Devant une myopie forte de l'enfant ou rapidement progressive, un bilan pédiatrique et systémique est à pratiquer pour définir la pathologie associée et le diagnostic du syndrome.
- Récemment, le GWAS ( Genome-Wide Association Studies ), a tenté d'identifier l'association de certains gènes et du risque myopique. Près de 200 gènes semblent associés à la myopie, seuls ou conjointement. De plus, un certain nombre de ces gènes sont associés à des syndromes qui combinent ainsi une myopie avec les autres manifestations oculaires ou systémiques. Selon le phénotype retrouvé, une étude génétique permet d'en préciser le diagnostic.
- Les vitréorétinopathies héréditaires constituent la cause génétique la plus classique à rechercher pour les myopies syndromiques. Il est nécessaire d'examiner cliniquement le vitré avec précision. Il est aussi essentiel de pratiquer un bilan pédiatrique ou un bilan interniste à la recherche d'anomalies systémiques. Les dégénérescences rétiniennes héréditaires entraînent souvent, elles aussi, des myopies mais s'accompagnent d'altérations rétiniennes.
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