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CHAPITRE 12
Vitréoschisis

Y. LE MER

Introduction
Le vitréoschisis est une conséquence d'une séparation anormale dans l'épaisseur du cortex vitréen postérieur. Ce cortex a une structure multilamellaire, composée de fibrilles de collagène compactes qui s'étendent parallèlement à la surface rétinienne. Il est composé principalement de collagène de type II, mais les types V/XI et IX sont également présents. Les molécules d'adhésion telles que la fibronectine, la laminine et l'héparane sulfate maintiennent ces fibres de collagène attachées à la surface de la rétine et interagissent avec l'opticine présente dans le gel du vitré. Les fibrilles de collagène compactées du cortex vitréen postérieur sont insérées superficiellement dans la membrane limitante interne (MLI) de la rétine.
Le cortex vitréen postérieur a une épaisseur de 100 à 300 μm; il est plus mince à la fovéa, où les fibrilles de collagène sont plus denses. Il s'y associe des cellules, les hyalocytes et phagocytes mononucléés, qui sont situées en une seule couche dans le cortex à environ 50 μm de la MLI.
Au cours d'un décollement postérieur du vitré (DPV) normal, deux phénomènes s'associent : une liquéfaction progressive du gel vitréen, le synchisis, et une diminution de force de l'adhérence du cortex à la rétine. Ces deux phénomènes s'associent et provoquent le DPV avec une séparation complète du cortex de la rétine (synérèse). Le plus souvent, le DPV est précédé par l'apparition d'une lacune dans le cortex postérieur vitréen, favorisant son décollement. Si la liquéfaction est brutale avec une adhérence forte du cortex postérieur ou l'absence d'apparition de déhiscence postérieure, le cortex peut se cliver en laissant une couche postérieure sur la MLI, formant le vitréoschisis.
Le vitréoschisis serait à l'origine de diverses pathologies vitréomaculaires. Kakehashi et al. ont les premiers décrit un vitréoschisis grâce à un examen du fond d'œil à la lampe à fente chez des patients présentant différentes pathologies rétiniennes [ 1 ]. Par la suite, plusieurs études utilisant l'échographie et l'histopathologie ont également permis de diagnostiquer le vitréoschisis dans la rétinopathie diabétique proliférante. Plus récemment, la tomographie par cohérence optique combinée avec l'ophtalmoscopie laser à balayage (OCT/SLO) a permis le diagnostic clinique de vitréoschisis. Dans le vitréoschisis, on voit deux membranes vitréennes qui semblent se rejoindre en une seule couche, formant la lettre Y ou lambda (λ); dans d'autres cas, lorsqu'on ne voit pas la jonction des deux couches, on voit seulement une membrane attachée à la rétine, et une seconde membrane séparée et distincte sur le côté postérieur du vitré détaché.
Des études menées par Sebag utilisant l'imagerie combinée OCT/SLO ont permis d'identifier le vitréoschisis chez 53 % des patients ayant des trous maculaires idiopathiques (TMI) et chez 43 % des patients présentant une membrane épirétinienne maculaire (MER) [ 2–4 ]. Ces études ont suggéré qu'il est important de savoir si la scission se produit en avant ou en arrière du niveau des hyalocytes. Si la scission se produit en arrière de la couche des hyalocytes, une fine membrane hypocellulaire reste attachée à la macula. Si cette membrane reste également attachée à la papille optique, elle peut provoquer une contraction tangentielle centrifuge, induisant un TMI. Si la scission se produit en avant de la couche des cellules, la couche restante du vitré attachée à la macula comprendra les hyalocytes et sera relativement épaisse, hypercellulaire et contractile. Venant des phagocytes mononucléaires du système cellulaire réticulo-endothélial, les hyalocytes « sentinelles » pourraient stimuler la migration de cellules gliales et de monocytes provenant de la circulation sanguine vers la rétine. La contraction de ce tissu induit une traction tangentielle interne (centripète) sur la rétine sous-jacente, provoquant une MER. Des études récentes ont montré que les cytokines peuvent influencer le métabolisme des hyalocytes et peuvent également induire une prolifération cellulaire supplémentaire; d'autres études ont démontré que les hyalocytes peuvent provoquer une contraction du gel de collagène en réponse au facteur de croissance dérivé des plaquettes ( platelet-derived growth factor [PDGF]) et d'autres cytokines. Par conséquent, les hyalocytes sont susceptibles de jouer un rôle important dans la stimulation de la prolifération cellulaire et dans l'induction de la contraction vitréorétinienne tangentielle.
La division du cortex peut également se produire pendant la chirurgie du vitré. Yamashita et al. ont été les premiers à présenter des preuves peropératoires in vivo de l'apparition de vitréoschisis [ 5 ]. Ils ont noté que 80 % des yeux atteints de MER développent un vitréoschisis au cours d'une chirurgie de vitrectomie. Parmi les yeux atteints de vitréoschisis en peropératoire, 58 % avaient un « trou » visible dans le cortex vitréen postérieur, tandis que les 42 % restants n'avaient pas de trou visible. Cette découverte suggère que le vitréoschisis peut se produire à différents niveaux dans le cortex, ce qui est cohérent avec son anatomie multilamellaire. Ces résultats pourraient influencer l'efficacité de la chirurgie vitréorétinienne. L'agressivité avec laquelle le chirurgien recherche des membranes peut être influencée par le fait que le vitréoschisis peut survenir avant ou pendant la chirurgie. Un indice de suspicion plus élevé peut également être décisif dans le choix d'utiliser ou non des aides chirurgicales comme des suspensions de particules, telles que la triamcinolone, ou des colorants comme le bleu brillant. Nous le verrons chez le myope : cette utilisation doit être pratiquement systématique.
Vitréoschisis et myopie forte
La myopie est associée à une liquéfaction excessive du gel vitréen par rapport au degré d'adhésion vitréorétinienne, aboutissant à un DPV anormal et à une traction à l'interface vitréorétinienne. En cas de myopie élevée, l'axe antéropostérieur est le plus long et la cavité vitréenne peut être allongée. Meskauskas et al. suggèrent que l'allongement et l'élargissement de la cavité vitréenne pourraient augmenter la contrainte de cisaillement vitréenne et rétinienne exercée par les mouvements de l'œil, jouant un rôle important dans la pathogénie du DPV et du décollement de la rétine [ 6 ]. Cette contrainte de cisaillement pourrait être à l'origine de la désintégration du réseau de collagène et de la liquéfaction du gel qui en résulte et donc du DPV. Ce processus conduit à une réduction significative du volume de gel et à une augmentation conséquente du volume liquide, ce qui entraîne soit un DPV précoce, soit, plus souvent, un vitréoschisis postérieur. La rigidité accrue du vitré prérétinien résiduel pourrait être la cause d'une traction tangentielle excessive sur l'interface vitréorétinienne, le pôle postérieur ou même en moyenne périphérie.
En outre, dans les yeux fortement myopes, même lorsqu'un DPV se produit, des plaques de vitré cortical résiduel restent souvent attachées à la surface interne de la rétine. Ces plaques peuvent contribuer à un certain nombre de pathologies rétinovitréennes en raison de leur contraction ultérieure. De plus, dans les yeux anormalement longs, une flexibilité insuffisante après allongement axial pourrait provoquer une rigidité anormale des artérioles rétiniennes, source de rigidité de la MLI. La rigidité de la MLI, associée à la persistance de couches de vitré postérieur, semble être le principal composant qui générerait une traction tangentielle sur la rétine interne le long des artérioles, et pourrait être à l'origine des modifications vitréorétiniennes du myope, telles que le fovéoschisis, la formation de trous maculaires et la formation de déchirures rétiniennes paravasculaires. Sayanagi et al. ont émis l'hypothèse que l'inflexibilité des vaisseaux rétiniens et la force de traction conséquente dans les yeux fortement myopes peuvent conduire au développement de microfilms vasculaires [ 7 , 8 ]. Bando et al. ont identifié des débris de cellules fibrogliales et des fibres de collagène sur la surface interne de la MLI décollée des yeux opérés de fovéoschisis myopique dans 70 % des cas [ 9 ]. L'origine de ces cellules n'a pas été déterminée exactement; cependant, certaines cellules comme les astrocytes, abondants autour des vaisseaux rétiniens, pourraient migrer de la rétine à travers de petits pores rétiniens dans les yeux avec des trous lamellaires paravasculaires, produire des fibres de collagène et initier une réponse proliférative sur la MLI. Celle-ci, rigide, étroitement attachée au vitré cortical postérieur, peut être particulièrement difficile à mettre en évidence en OCT, mais est souvent plus facile à retrouver lors de la chirurgie.
Conséquences chirurgicales
S'il est bien sûr nécessaire de retirer le vitré adhérent lors d'une intervention chirurgicale pour pathologie maculaire de l'interface vitréorétinienne du myope fort, seule l'ablation complète de la MLI peut donner la certitude absolue qu'on ne laisse pas une couche de cortex à la surface de la rétine. En utilisant un marquage par grains de triamcinolone, on peut avoir une bonne idée de l'épaisseur de cette couche résiduelle après vitrectomie centrale. On s'aperçoit ainsi que, dans la très grande majorité des cas chez le myope fort, il reste fréquemment une couche de cortex vitréen, parfois étendue, mais parfois seulement limitée à l'aire maculaire. Dans ce cas, même si on peut parfois parvenir à enlever mécaniquement à la pince cette couche de cortex résiduel, il est plus simple et probablement plus efficace de retirer la MLI en s'aidant de coloration spécifique comme celle obtenue avec le bleu Brilliant (vidéo 12-1).
Conclusion
Le vitréoschisis est un phénomène fréquent dû à un clivage anormal au sein du cortex vitréen postérieur lors du décollement postérieur de vitré. Il est favorisé par une liquéfaction importante du gel vitréen, associée à une adhérence anormale du vitré postérieur à la membrane limitante interne; ces deux conditions se retrouvent fréquemment réunies dans la myopie forte du fait du volume de la cavité vitréenne et des anomalies de la membrane limitante interne tendue entre les vaisseaux rétiniens. Cela explique les nombreuses pathologies de l'interface vitréorétinienne du myope fort. La conséquence chirurgicale est de toujours traquer la persistance de cortex résiduel à la surface de la rétine après vitrectomie postérieure et, si on veut être sûr d'avoir tout retiré, de peler la membrane limitante interne.
Points clés
  • La myopie forte entraîne un décollement postérieur de vitré plus précoce et, plus souvent, un vitréoschisis postérieur.
  • Des plaques de vitré cortical résiduel restent souvent attachées à la surface interne de la rétine.
  • La rigidité de la membrane limitante interne, la persistance de couches de vitré postérieur et l'inflexibilité des vaisseaux rétiniens malgré l'allongement progressif de la longueur axiale pourraient contribuer au développement de pathologies vitréorétiniennes telles que le fovéoschisis et le trou maculaire.
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