Chapitre 15Buts du traitement

E. Sellem, J.-P. Renard

Points clés

  • Le but du traitement du glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) est d’assurer une neuroprotection avec le maintien des capacités fonctionnelles du patient, c’est-à-dire son champ visuel et son acuité visuelle.

  • Le traitement du GPAO repose toujours sur la baisse de la pression intra-oculaire (PIO).

  • Cependant, les facteurs de risque contrôlables doivent être traités.

Le but du traitement du glaucome est d’assurer la protection des cellules ganglionnaires rétiniennes et du nerf optique vis-à-vis des agents et médiateurs lésionnels résultant des différents facteurs de risque de la neuropathie optique. La neuroprotection devrait consister à stopper in situ la perte progressive des fibres nerveuses rétiniennes (FNR), et même in fine à les restaurer lorsqu’elles ont disparu. Malheureusement, à l’heure où cet ouvrage est écrit, si nos connaissances ne cessent de progresser dans ce domaine, les agents neuro-protecteurs n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité, et les neuro-régénérateurs restent du domaine du futur. Les grandes études prospectives ont bien montré que l’abaissement de la PIO était efficace pour stopper ou ralentir la progression à tous les stades du GPAO. Il représente la pierre angulaire du traitement avec le maintien et, dans la mesure du possible, l’augmentation de la pression de perfusion oculaire de la tête du nerf optique et de la rétine, associés à la prise en charge des autres facteurs de risque éventuels. C’est la surveillance couplée des tests de la structure et de la fonction qui confirmera ou non l’efficacité de cette thérapeutique.

Abaisser la pression intra-oculaire
 Efficacité de la baisse de la pio

L’intérêt d’abaisser la PIO pour prévenir la conversion d’une hypertension intra-oculaire (HTO) en glaucome, ou stopper ou ralentir la progression d’un glaucome avéré, a fait l’objet de nombreux débats jusqu’au début du xxie siècle à la suite de plusieurs études comparant des groupes de patients traités et des groupes non traités [1, 5, 7, 10, 11]. Par ailleurs, l’existence de glaucomes à pression normale (GPN) et la grande fréquence des HTO sans conversion pouvaient exonérer la responsabilité de la PIO dans la survenue et l’aggravation du glaucome, à tel point qu’elle avait pu être écartée de la définition même du GPAO !

Toutefois, les grandes études prospectives conduites dès les années 1990 ont toutes conclu à l’efficacité statistique d’abaisser la PIO pour prévenir ou traiter le glaucome, à tous les stades, même si de nombreux patients traités continuaient malgré tout de progresser parfois jusqu’à la cécité :

  • selon l’Ocular Hypertension Treatment Study (OHTS), une réduction de 20 % de la PIO entraîne une réduction de la conversion vers le glaucome de 54 % dans le groupe traité versus le groupe non traité (4,4 versus 9,5 %) après cinq ans de suivi [8] ;

  • dans l’Early Manifest Glaucoma Trial (EMGT), une réduction de 25 % de la PIO réduit de 45 % la progression du glaucome débutant sur un suivi de cinq ans [6] ;

  • dans la Collaborative Initial Glaucoma Treatment Study (CIGTS), aucune progression n’est observée pour les glaucomes débutants si la PIO est réduite de 35 à 48 %, après quatre ans au moins de suivi [9] ;

  • pour les glaucomes évolués de l’Advanced Glaucoma Intervention Study (AGIS), une baisse moyenne de la PIO inférieure à 12,3 mmHg et une PIO jamais mesurée supérieure à 18 mmHg à tous les contrôles assurent également la stabilité du glaucome [12] ;

  • dans la Collaborative Normal Tension Glaucoma Study (CNTGS), avec un suivi de sept ans, une diminution de 30 % de la PIO (médicale ± chirurgicale) diminue par trois la progression du GPN (12 % de progression chez les patients traités versus 35 % chez les patients non traités) [13].

 Pression intra-oculaire cible

« Les statistiques sont vraies quant à la maladie et fausses quant au malade ; elles sont vraies quant aux populations et fausses quant à l’individu. »

Léon Schwartzenberg

Les études précédentes indiquent chaque fois des valeurs pressionnelles moyennes « de sécurité » dans une large population étudiée, qui sont donc des données statistiques. Le chapitre sur la progression du GPAO a cependant clairement indiqué que la progression de la maladie n’était pas univoque d’un individu à l’autre pour une même PIO de départ et pour un abaissement pressionnel identique, avec des patients considérés « progresseurs rapides » et d’autres « progresseurs lents ». Le concept de PIO cible, en deçà de laquelle le glaucome en principe n’évolue plus pour un individu donné, s’est naturellement imposé. Il est largement développé dans le chapitre 17. La Société européenne du glaucome (EGS) indique dans ses recommandations qu’elle doit être évaluée pour chaque individu [4] en tenant compte :

  • de la valeur de départ de la PIO ;

  • de l’importance des altérations glaucomateuses au moment du diagnostic ;

  • de l’âge et de l’espérance de vie ;

  • du taux de progression.

Ce dernier critère souligne ainsi que la PIO cible doit être réévaluée tout au long du suivi de la maladie en fonction de l’évolution du glaucome, mais aussi en cas d’apparition de facteurs de risque, comme une pathologie cardiovasculaire risquant de perturber la perfusion oculaire. Elle est aussi déterminée par l’expérience du clinicien, mais il existe un large consensus pour considérer que la PIO cible initialement fixée doit toujours être au minimum inférieure à 20 % à la PIO de départ [3, 8, 12]. Enfin, la notion de PIO idéale, de PIO acceptable et de PIO limite propre à chaque patient doit être considérée dans la prise en charge thérapeutique. Elle donne une certaine amplitude de manœuvre avec l’évaluation du rapport bénéfice/risque pour la détermination d’un traitement maximal raisonnable.

 Moyens thérapeutiques

Ils sont médicaux, physiques et/ou chirurgicaux. Le choix du traitement initial dépend de très nombreux paramètres qui sont d’abord ceux permettant d’évaluer le niveau de PIO cible, et celui-ci sera régulièrement adapté tout au long du suivi du patient comme nous l’avons vu, en fonction de l’évolution de la maladie. Deux autres considérations, d’ailleurs indirectement liées, doivent guider le choix thérapeutique :

  • assurer la meilleure qualité de vie possible au patient traité, en prenant simultanément en compte le retentissement fonctionnel du GPAO, les contraintes et les éventuels effets latéraux du traitement ;

  • maintenir la compliance au traitement, son adhérence et sa persistance, souvent difficiles à évaluer.

Les considérations économiques individuelles n’ont pas (encore) en France l’importance qu’elles ont dans d’autres pays. Toutefois, le niveau socioculturel, l’activité professionnelle, la psychologie du patient et sa compréhension de la maladie sont des facteurs également importants à considérer au moment des choix et des modifications thérapeutiques.

Traiter les facteurs de risque

Ils ont été clairement identifiés ces dernières années, en particulier à la faveur des grandes études prospectives américaines et européennes. Certains sont naturellement inaccessibles à une action thérapeutique : l’hérédité, l’âge, l’ethnie ou la myopie forte. Cependant, d’autres peuvent être traités ou minimisés, éventuellement en collaboration avec le généraliste ou le spécialiste : l’artérioclérose (tabac, obésité, hypertension artérielle, sédentarité), le diabète, le terrain vasospastique, l’apnée du sommeil, l’exposition aux pesticides, etc.

Contrôler la progression du glaucome

Le but du traitement du GPAO, s’il passe avant tout par la réduction de la PIO, est de contrôler sa progression, au mieux de la stopper. « On ne traite pas un chiffre », disait R. Étienne. En d’autres termes, traiter le glaucome, c’est faire en sorte que l’espérance de vue soit supérieure à l’espérance de vie, et cette approche est là encore individuelle.

 Contrôler la fonction

Pour le patient, l’impact de sa maladie s’exprime uniquement par la qualité du champ visuel et de l’acuité visuelle, et le retentissement de leurs altérations éventuelles dans sa vie quotidienne. Le relevé régulier du champ visuel est donc primordial dans l’évaluation de ce retentissement car les examens les plus sophistiqués de la structure ne peuvent pas l’assurer. La fréquence avec laquelle cet examen doit être réalisé a été abordée dans les chapitres 11-II et 17-II. Le clinicien doit impérativement savoir dès l’initialisation du traitement si son patient est un « progresseur rapide » ou un « progresseur lent », afin d’adapter la fréquence ultérieure des relevés et l’intensité de l’abaissement pressionnel [2]. Aux stades très évolués de la maladie, alors que les résultats des tests de la structure semblent figés, ce sont encore le relevé périmétrique et la mesure de l’acuité visuelle qui seront les tests les plus précieux pour surveiller l’évolution du glaucome.

 Contrôler la structure

L’atteinte de la structure, dans la majorité des cas de GPAO, précède l’atteinte de la fonction. Le stade « pré-périmétrique » du GPAO est dépisté sur les rétinophotographies et/ou sur les résultats des analyseurs par l’atteinte de la papille et par l’apparition des premiers déficits de la couche des FNR. À ce stade initial, puis lorsque le glaucome s’exprime fonctionnellement, ces examens de la structure apportent des données objectives, quantitatives et comparatives. Elles permettent d’évaluer, avec une précision qui devient de plus en plus fine avec les progrès des technologies d’enregistrement, la stabilité ou la progression du glaucome. Toutefois, elles doivent toujours être confrontées, à l’heure où cet ouvrage est écrit, aux résultats de l’examen périmétrique. L’analyse du complexe des cellules ganglionnaires maculaires, aux stades évolués, permettra dans certains cas une surveillance de la progression du glaucome alors qu’il ne subsiste qu’un îlot central de vision, voire un champ visuel résiduel temporal.

Retenir

  • Les grandes études prospectives ont démontré le rôle essentiel de l’abaissement pressionnel dans le traitement du glaucome, associé à la correction des éventuels facteurs de risque à tous les stades de la maladie.

  • Si le but du traitement est la préservation de la fonction visuelle, à l’heure actuelle seul l’abaissement de la PIO s’impose dans tous les cas.

  • L’efficacité du traitement doit être évaluée à la fois sur les résultats du relevé du champ visuel et sur ceux de l’analyse de la structure.

Bibliographie

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[4]  European Glaucoma Society. Terminology and guidelines for glaucoma. Dogma Savona Italy, 2014 (sous presse).

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[8]  Kass MA, Heuer DK, Higginbotham EJ, et al. The Ocular Hypertension Treatment Study : a randomized trial determines that topical ocular hypotensive medication delays or prevents the onset of primary open-angle glaucoma. Arch Ophthalmol. 2002 ; 120 : 701-13.

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[12]  The Advanced Glaucoma Intervention Study (AGIS ) : 7. The Relationship between control of intraocular pressure and visual field deterioration. The AGIS investigators. Am J Ophthalmol. 2000 ; 130 : 429-40.

[13]  The Collaborative Normal-Tension Glaucoma Study (CNTGS). Comparison of glaucomatous progression between untreated patients with normal-tension glaucoma and patients with therapeutically reduced intraocular pressures. Collaborative Normal-Tension Glaucoma Study Group. Am J Ophthalmol. 1998 ; 126 : 487-97.