Chapitre 6
Évaluation de la qualité de vie

D. Brémond – Gignac

Introduction

La fonction visuelle est une notion essentielle de la vie quotidienne. Elle est directement en lien avec la qualité de vie et son évaluation permet de mieux appréhender le confort visuel ressenti par les patients. De nombreux paramètres entrent en jeu pour l’évaluation visuelle bien au-delà de la mesure isolée de l’acuité visuelle standard. La vision des couleurs, le champ visuel comprenant la vision périphérique, la vision des contrastes, la vision en basse luminance et la résistance à l’éblouissement sont autant de points qui doivent être pris en compte pour l’évaluation de la qualité de vie, mais sont souvent difficilement mesurables de façon métrique. Par ailleurs, les mesures comme l’acuité visuelle ou le champ visuel ne reflètent souvent pas le degré de handicap visuel que le patient expérimente dans ses activités et sa vie quotidienne. La mesure de la qualité de vie par le biais de questionnaires permet ainsi d’apprécier ces facteurs difficilement mesurables lors d’un examen ophtalmologique de routine. Dans le cadre de la déficience visuelle, les évaluations chiffrées de l’acuité visuelle sont souvent encore plus difficiles à obtenir et les questionnaires de qualité de vie fournissent ainsi des indicateurs concrets utilisables. Différents questionnaires de qualité de vie non spécifiques ont été initialement développés, mais n’étaient pas adaptés à l’évaluation de la fonction visuelle. Depuis les années 1980, un nombre important de questionnaires auto-administrés sur la fonction visuelle ont été élaborés [1]. Secondairement, les premiers questionnaires de qualité de vie adaptés à l’ophtalmologie ont été développés, dont le premier le fut en 1992 par Mangione [2].

Qualité de vie en ophtalmologie
INDICATEURS UTILISABLES DANS LA QUALITÉ DE VIE EN OPHTALMOLOGIE

L’élaboration et la validation de questionnaires spécialisés permettent de mesurer l’état de santé perçu par le patient. Ils font appel à des indicateurs de qualité de vie liés à la santé développés soit dans une population générale, appelés mesures génériques, soit dans une population présentant une pathologie spécifique, appelés mesures spécifiques. Les outils génériques non spécifiques sont peu adéquats pour la pathologie oculaire, ce qui a conduit au développement des questionnaires de qualité de vie en ophtalmologie. Les échelles SF36 et SF20, instruments génériques très utilisés dans de nombreux domaines, explorent de façon très peu sensible les problèmes liés à la fonction visuelle.

DIFFÉRENTES ÉCHELLES E QUALITÉ DE VIE EN OPHTALMOLOGIE

Le VF-14 est le premier questionnaire développé par Steinberg de façon spécifique aux pathologies ophtalmologiques [3]. Ce premier questionnaire spécifique suffisamment sensible est auto-administré. Il explore cinq dimensions (acuité visuelle de loin, acuité visuelle de près, flou visuel, conduite automobile de jour et conduite automobile de jour de nuit), permettant de calculer un score de 0 à 100. Il explore la fonction visuelle au travers de 14 activités et 18 questions. En 1997, il a été traduit et validé en français par Gresset [4].

Un deuxième questionnaire spécifique, le NEI-VQF, a été conçu en 1995 pour évaluer la fonction visuelle et les répercussions des problèmes visuels sur la qualité de vie des patients indépendamment de la pathologie ophtalmologique.

Les échelles spécifiques sont de fait nettement plus sensibles et spécifiques que les échelles génériques sur les problèmes visuels, mais apportent moins d’informations sur l’état général, sauf pour le NEI-VQF [5]. De nombreuses études ont aussi été réalisées sur des pathologies générales comportant une atteinte visuelle comme le diabète ou l’hypertension artérielle. Selon l’étude de Knauer, les patients avec une acuité visuelle basse attachent une importance majeure à la vision. Ainsi, ils donneraient de 19 % à 60 % (en cas de cécité) de leur temps de vie pour retrouver une bonne acuité visuelle [6].

En outre, pour plus de sensibilité, certains questionnaires ont été développés pour des pathologies spécifiques à retentissement visuel.

Évaluer le handicap lié aux pathologies ophtalmologiques et évaluer la déficience visuelle

La mesure de la qualité de vie en ophtalmologie a été appliquée à différentes pathologies oculaires entraînant un handicap visuel variable.

DÉFICIENCE VISUELLE DE L’ADULTE

Le National Eye Institute rapporte que près de 3,3 millions d’Américains de plus de 40 ans présentent une cécité ou une basse vision. Ce chiffre atteindrait 5,5 millions en 2020, ce qui fait prendre conscience de l’impact des pathologies oculaires sur la population [7]. Le handicap visuel apparaît en troisième position sur les altérations des fonctions de santé des personnes de plus de 70 ans, derrière les arthropathies et les maladies cardiovasculaires. Dans les pays développés, les quatre étiologies les plus fréquentes de basse vision des plus de 40 ans sont la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), la cataracte, le glaucome et la rétinopathie diabétique.

Les conséquences de la basse vision vont au-delà des conséquences visuelles. Les patients peuvent faire des erreurs sur leur prescription médicale, présenter une dépression ou être en situation d’isolement social ce qui impacte largement leur qualité de vie quotidienne.

Il apparaît important d’évaluer les capacités quotidiennes du patient, sa vision fonctionnelle et sa qualité de vie. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a développé une International Classification of Functioning, Disability and Health (ICF). Cette classification décrit des catégories sur le type de fonctionnement, mais elle reste assez rudimentaire, limitée à trois sortes de dysfonctionnement : léger, modéré ou sévère [8]. La classification peut servir de base pour l’évaluation de la vision fonctionnelle et son évolution. La perte de vision peut être observée de différents points de vue, révélant chacun un aspect différent. Les questionnaires NEI-VQF, ADVS (Activities of daily vision scale) et VF-14 ont été utilisés dans la DMLA et ont montré des variations significatives des scores en fonction de la sévérité de l’atteinte. Le DLTV (Daily living tasks dependent on vision) est un questionnaire récemment développé pour évaluer l’impact dans la DMLA. Il doit encore être évalué plus précisément par des études plus larges.

DÉFICIENCE VISUELLE DE L’ENFANT

Les déficiences visuelles de l’enfant peuvent être congénitales ou acquises. Les questionnaires pour adultes sont souvent inadaptés, avec par exemple des items comme la conduite de nuit [5]. L’enfant présente des pathologies spécifiques comme l’amblyopie et le strabisme. Dans les déficiences visuelles congénitales sévères, il présente le plus souvent une adaptabilité remarquable dans la vie quotidienne.

Deux questionnaires spécifiques du strabisme et de l’amblyopie ont été développés. Ce sont l’AS-20, comportant 20 items (Adult strabismus QOL questionnaire) et l’A&SQ, comportant 26 questions (Amblyopia and strabismus questionnaire) qui présentent des similitudes [9]. Ils ont démontré une fiabilité acceptable et satisfaisante. Ces questionnaires ont permis de démontrer le bénéfice de la chirurgie du strabisme pour la qualité de vie des patients. Cependant, ils ont été développés essentiellement pour les adultes. Les questionnaires adaptés aux plus jeunes sont peu nombreux et il y a une réelle nécessité à leur développement.

Conclusion

Les instruments de mesure de qualité de vie spécifiques à l’ophtalmologie permettent d’apporter des informations complémentaires aux instruments de mesure conventionnels comme l’acuité visuelle. Ils permettent d’apporter, pour l’évaluation de la fonction visuelle, une information plus centrée sur le patient, dans le cadre de son handicap sensoriel et de son adaptation dans la vie quotidienne. En plus des mesures de prévention et de traitement du handicap visuel, cette évaluation permet de proposer des solutions d’aides visuelles spécifiques adaptées aux besoins du patient et correspondant au type de pathologie oculaire cécitante ou entraînant un handicap visuel. À l’heure de l’evidence-based medicine, il est important de pouvoir documenter, aux travers d’outils adaptés, l’efficience de la réhabilitation visuelle dans la vie quotidienne.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Hatwell Y Psychologie cognitive de la cécité précoce Paris: Dunod (2003)

[2]  Cyrulnik B, Bustany P, Oughourlian JM, et al. Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner Paris: Librairie Générale Française (2014).

[3]  Bullinger A Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars Toulouse: Érès (2004).

[4]  De Ajuriaguerra J, Marcelli D Psychopathologie de l’enfant Paris: Masson (1984)

[5]  Pry R Trouble du spectre autistique et cécité congénitale: Un casuiste pour la psychopathologie développementale Enfance 2014 ; 1 : 107-116

[6]  Baron-Cohen S Autism: the Empathizing-Systemizing (E-S) theory Annals of the New York Academy of Sciences 2009 ; 1156 : 68-80

[7]  Simonnot AL, Mazet P Les tout premiers troubles susceptibles de précéder l’apparition d’un syndrome d’autisme infantile: perspectives nouvelles Perspectives Psy 1996 ; 35(1) : 23-27.

[8]  Hobson P, Lee A Reversible autism among congenitally blind children? a controlled follow-up study J Child Psychol Psychiatry 2010 ; 51(11) : 1235-1241

[9]  Bonmartin A. Dédicience visuelle et troubles du spectre autistique: Qui de l’Œuf ou de la poule? Mémoire diplôme universitaire de techniques de compensation du handicap visuel, Université René Descartes-Paris V, 2015.

[10]  Dammeyer J Symptoms of autism among children with congenital deafblindness J Autism Dev Disord 2014 ; 44 : 1095-1102