Chapitre 11
Stratégies de réadaptation
1 – Soutien psychologique1

Annonce du handicap

C. Bâton, N. Van Landeghem

Une inévitable violence à dire et à entendre mais aussi à accompagner

On parle souvent de l’annonce du handicap mais, dans un premier temps, il s’agit souvent de l’annonce d’un diagnostic ou du constat d’une déficience. Elle peut être associée à la fin des perspectives d’amélioration ou de soin.

Il s’agit toujours d’une rencontre difficile entre le patient et le médecin. En effet, l’annonce se fait dans une relation nécessairement asymétrique avec un contenu toujours violent car inacceptable [1]. Cela doit conduire le médecin ophtalmologiste à apporter beaucoup de soin au cadre, aux mots choisis, pour éviter d’y ajouter de la violence. En effet, ce qui est révélé, dévoilé, même si cela avait été préalablement subodoré, envisagé, redouté, fera mal et ne pourra sans doute pas être complètement entendu ce jour-là. Souvent, l’effet de sidération et l’angoisse ne permettront pas d’aller au-delà d’un mot, du nom de la pathologie ou de ses conséquences, même si d’autres mots ont tenté de protéger, d’apaiser la plaie ouverte [2].

Cependant, ce temps permet aussi de nommer la maladie, c’est-à-dire de la reconnaître, et de mieux se préparer à cheminer avec ; ou de confirmer ce qui était jusque-là attribué à autre chose (de la maladresse par exemple) ou suscitait une impression étrange, inconnue.

Il peut également libérer car mettre des mots c’est aussi être en capacité de transmettre, de dire à d’autres. Mais il peut aussi fermer le champ des possibles. Il est important de pouvoir le distinguer du pronostic. L’espace de doute permet au patient et à sa famille de maintenir l’espoir, de mobiliser les ressources nécessaires pour affronter demain et construire l’avenir.

Du côté du médecin, la tâche n’est pas plus facile – « Je deviens donc, avant l’intéressé, détenteur d’un savoir lourd de conséquences dont il va falloir annoncer les aspects les plus traumatisants » [3]. L’émotion est présente et peut rendre la parole moins fluide, embarrassée. Sont alors à l’oeuvre des mécanismes de défense de part et d’autre. Ceux-ci sont parfaitement naturels et nous viennent en aide dans les situations difficiles. Il est important de les connaître et de les repérer pour s’ajuster dans la relation et mieux comprendre ses états de pensée. Prenons par exemple la tentation de se réfugier dans un discours très technique pour éviter d’être envahi par l’émotion, ou d’abréger le rendez-vous par des phrases incisives pour éluder des questions trop embarrassantes, ou encore de banaliser la situation, qui, même si elle ne paraît pas très grave pour le médecin, peut être ressentie comme dramatique par le patient (Fig.11-12).

Le patient, quant à lui, peut être totalement sidéré, ne pouvant ni agir ni proférer un mot ou pouvant être envahi par des pleurs incoercibles, ne pas comprendre et nier tout ce que le praticien lui dit, réagir au contraire dans une hyperactivité, en voulant tout de suite mettre en place ce qui lui est proposé, sans prendre aucunement en considération ce qu’il vit dans ce moment-là.

Toutes ces situations ne sont que des exemples. La réalité est multiple, imprévisible, changeante pour chaque situation. Et c’est là que réside la difficulté. Il n’est pas aisé de trouver la distance juste, ni trop ni trop peu, entre empathie et distance. Le rôle de l’équipe ou d’un réseau de professionnels libéral est important. Certains médecins présentent l’équipe médico-psycho-sociale qui fera le suivi à l’occasion de ce rendez-vous pour s’assurer de la continuité du soin.

Pour essayer de construire au mieux ce temps de l’annonce, on peut s’appuyer sur trois temps [4].

1. Les textes de ce sous-chapitre sont le fruit d’un groupe de travail qui a réuni, outre les auteurs cités dans le texte, Fanny Carion (REMORA, Lille), Rachida Chentouf (centre Régional Basse Vision), Angers), avec la participation de Régine Castaing (Bordeaux), Patrick Colin (Institut Michel Fandre, Reims), Geneviève Helson (IRSA, Bruxelles), Claire Lebret (Centre des Hauts-Thébaudières, Vertou) et Françoise Tomeno (Tours). Tous sont membres de l’Association de langue française des psychologues spécialisés pour les personnes handicapées visuelles (ALFPHV).

2. 2 Les illustrations de ce sous-chapitre sont de Christelle Laize, dessinatrice, et les bulles inspirées des témoignages des patients sur des scénarios imaginés par Fanny Carion et Rachida Chentouf.

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Fig.11-1 Se mettre à la portée.

Avant l’annonce

L’annonce est toujours une confrontation à ses propres croyances, sa perception de la déficience visuelle et de la différence. C’est un temps délicat où le médecin endosse toujours le « mauvais rôle », qui peut le mettre dans un vécu d’impuissance ou lui donner l’impression de ne plus assumer sa fonction première de soin. Cependant, le médecin ophtalmologiste peut, comme chaque professionnel, ne pas savoir quelles réponses apporter. Ce qui compte à ce moment-là est son authenticité.

Sa réflexion doit également porter sur le contexte de l’annonce : comment, quoi, à qui et avec qui, quand ? « Pourquoi cette annonce, pourquoi maintenant ? Qu’est-ce que j’annonce quand j’annonce cette perte de vue ? Qu’est-ce que cela signifie pour moi que de perdre la vue ? Alors, si je sais répondre à ces questions j’aurai espoir d’être plus vrai, au sens de plus authentique quand je devrai annoncer un tel handicap » [3].

Des textes de référence encadrent précisément ces aspects et proposent aux praticiens, tant hospitaliers que libéraux, un soutien méthodologique à travers plusieurs outils de parcours de soins et d’amélioration des pratiques rédigés par la Haute autorité de santé (HAS) [46].

Connaître le patient et éventuellement sa famille (ou la personne de confiance), posséder quelques informations sur son histoire et son contexte de vie favorise également cet ajustement.

Le moment de l’annonce

Tout en disposant d’un lieu protégeant le secret professionnel et la discrétion, le médecin doit prévoir un temps suffisamment long et être disponible pour mettre des mots sans être troublé ni importuné. La qualité de la relation est tout aussi importante que l’information qui est transmise.

Le patient et sa famille ont besoin de construire du sens. À l’ère d’internet et de la vulgarisation, le patient et sa famille seront déjà en possession de nombreuses informations dont il faudra valider la justesse et la cohérence. Le médecin a un rôle de décodeur qui permet à la personne de mieux appréhender ce qu’elle vit et ressent dans son corps.

Ce temps permettra aussi d’éviter les malentendus, les idées reçues, les informations erronées et porteuses souvent des pires scénarios (Fig.11-2).

Il n’est pas toujours facile de sélectionner les informations prioritaires à donner. Mais apporter à ce rendez-vous, ou lors d’un autre, l’état des connaissances médicales, envisager des explications à donner (maquette, schéma), des informations (brochures, articles de vulgarisation), des perspectives (réseau de professionnels, centre de rééducation, associations, etc.) permettra au patient et à sa famille de cheminer (Fig. 11-3).

C’est aussi une façon de redonner un rôle d’acteur à quelqu’un qui a été abasourdi par cette révélation. Énoncer ce qui peut se passer ensuite (étapes, suivi, etc.) et laisser une trace dans un compte rendu ultérieur balisera le parcours et permettra de se référer, de répéter ce qui a été dit et compris.

Un rendez-vous ultérieur serait souhaitable (mais pas toujours réalisable) au moment où le patient sera en capacité de poser toutes ses questions, de mieux faire face au diagnostic et à ses conséquences.

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Fig.11-2 Attention au danger de la parole oraculaire.

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Fig.11-3 Annoncer, c’est informer, c’est orienter pour soigner.

Après le temps de l’annonce

C’est le temps du suivi, le moment où une alliance thérapeutique peut se nouer et où il va être question d’accompagnement pour les ophtalmologistes qui pourront revoir le patient.

Ce suivi peut s’organiser dans différentes modalités, avec la collaboration à des protocoles de recherche par exemple, mais aussi dans d’autres sphères que le soin au sens curatif. Selon le diagnostic, il sera peut-être temps de passer la main à d’autres types de professionnels comme issus du champ médico-social – médecine physique et de réadaptation (MPR), service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à la scolarisation (SAAVS ; ou service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et de l’intégration scolaire, SAAAIS), service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) – qui vont guider la personne déficiente visuelle dans sa réadaptation. Il sera question pour elle d’appréhender d’autres stratégies (locomotion, activités de la vie journalière [AVJ],informatique adaptée) non nécessairement visuelles, mais faisant appel à la plurisensorialité (tactilo-kinesthésique, auditif, transferts intermodaux, etc.), de la confronter avec des personnes ayant le même handicap (milieu associatif), de développer les possibles (activités sportives et culturelles adaptées, formations spécialisées, etc.). Le compte-rendu de cet entretien sera l’élément médiateur entre le patient et les différents professionnels et assurera ainsi la coordination des acteurs.

Annonce du handicap visuel d’un nourrisson

B. Depondt, Y. Delpuech

L’arrivée d’un nourrisson déficient visuel concerne toute la famille et ses proches. La mère et le père doivent être associés le plus possible aux rendez-vous. Le bébé, qui est au coeur de cette tourmente, entend, ressent les émotions, les souffrances, les inquiétudes de ses proches (fratrie, grands-parents) dont il dépend entièrement à ce moment de sa vie.

Devenir parent d’un enfant en situation de handicap est un long parcours semé d’embûches que le parent affronte avec ce qu’il est, mais aussi avec ceux qui l’entourent : famille, conjoint, amis, associations, professionnels [7]. L’écoute, l’empathie et les aides permettront un étayage qui contribuera à rétablir l’assurance du parent dans sa capacité d’être le parent de cet enfant-là. Et cela se construit dès l’annonce du handicap.

Le parent se trouvera également dans la situation très particulière d’être lui-même celui qui devra en faire l’annonce à d’autres, à ses autres enfants le cas échéant, à ses proches, parents, amis, collègues, voisins. La façon dont il l’aura vécu pour lui-même influencera fortement sa façon de faire auprès des autres.

Une attente anxieuse

Parfois, c’est un médecin qui décèle le problème visuel lors d’une consultation ou parce que l’enfant est hospitalisé. Souvent, ce sont les parents qui constatent que leur enfant a un regard différent ou bien n’a pas de regard : leur enfant ne les suit pas des yeux, ne réagit pas visuellement au face à face ; il ne sourit pas à la vue de ses parents. Ces derniers feront différentes hypothèses pour tenter de l’expliquer.

Ils s’adresseront aux professionnels et tout d’abord à un médecin qui fera un constat immédiat et/ou préconisera des examens médicaux. Le parcours médical qui amène au diagnostic et à l’annonce du handicap comporte souvent plusieurs étapes qui sont difficiles à comprendre et souvent anxiogènes pour les parents déjà très inquiets devant le comportement visuel anormal de leur enfant.

Cependant, durant ce temps d’exploration, l’inquiétude va s’amplifier devant la réserve des médecins soucieux d’être précis
– « Que nous cachent-ils ? Pourquoi ne nous disent-ils rien ? » Les médecins sont dans l’attente de poser un diagnostic précis et fiable. Les parents sont dans l’urgence de savoir – « Je vois bien qu’il ne me dit pas tout, je dois lire dans ses yeux ». Cette différence de temporalité peut générer beaucoup d’incompréhensions et de ressentis.

Souvent, l’énoncé d’un diagnostic va se superposer avec l’annonce d’un handicap visuel : « Votre enfant a telle pathologie, il va devenir aveugle ». Pour un bon nombre de ces pathologies, la possibilité d’envisager un traitement réparateur n’existe pas actuellement. Donc l’intervention médicale à proprement parler s’arrête là. Il peut rester la surveillance médicale dans le cas d’une pathologie évolutive.

Comment mettre le représentant médical en position d’ouvrir vers une suite, un futur possible ?

La difficile place du médecin

La parole porteuse de cette annonce sera forcément violente pour la famille et le patient, même tout petit. En revanche, la possibilité d’imaginer un après permet d’éviter la rupture, d’ouvrir le dialogue et d’envisager une autre perspective que la seule réparation médicale.

Il est important que le médecin soit en accord avec l’idée que le handicap ne va pas tout décider de l’avenir de l’enfant, que son développement dépend d’abord de la façon dont on s’en occupera et dont on le stimulera. Le médecin doit aussi être à l’aise avec l’idée que le handicap n’est pas acceptable, dans le sens où on ne peut pas demander aux parents de l’accepter. C’est un destin bien trop injuste que personne ne mérite. Mais il peut accompagner les parents dans l’idée que leur enfant aura besoin d’une aide et d’une attention particulière, qui ne devra pas l’enfermer dans une dépendance trop forte à eux, mais lui permettra de se saisir des opportunités de compensation, pour son autonomie.

Le médecin permettra aux parents de garder espoir en la recherche et les solutions médicales de demain, tout en les incitant à mettre en place dès aujourd’hui ce qui existe déjà en soutien et accompagnement. L’équipe médicale doit ainsi connaître les services spécialisés et proposer aux parents de prendre contact avec ceux-ci (Fig.11-4).

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Fig.11-4 Empathie et écoute, les deux alliées de l’annonce.

Permettre aux parents et à l’enfant d’être accompagnés

Chaque parent a rêvé d’être parent, dans le sens où il l’a fantasmé, imaginé, construit depuis qu’il est l’enfant de ses propres parents. Devenir parent est une satisfaction à forte valeur narcissique. Pour y parvenir, il accepte et assume la contrainte que représente la présence de l’enfant, les préoccupations, les inquiétudes et l’attention qu’il nécessite, les renonciations personnelles qu’il impose.

Si l’enfant est une contrainte, l’enfant en situation de handicap est une contrainte au carré. Il ne vient pas que bousculer, mais aussi envahir le quotidien et les pensées.

Le parent se demande s’il va être capable d’assumer et de surmonter les difficultés, d’être compétent. Il commence à comprendre qu’il ne sera jamais le parent idéal qu’il a rêvé d’être.

Car l’annonce du handicap est une atteinte brutale à cette idéalisation. Elle vient stopper la fiction que le parent avait commencée à écrire bien avant la naissance. Le temps s’arrête. Le parent peut se sentir vide, démuni, ne plus pouvoir anticiper. Les rêves, les idées du futur sont anéantis.

L’annonce du handicap est forcément un coup d’arrêt. Mais elle doit être aussi le début d’une autre histoire, vers d’autres possibles – comment construire et aménager ce futur (Fig.11-5) ?

Dans la vie familiale, le jour de cette annonce sera marqué par un avant et un après. Le parent en devenir est en perte de repères. Il y a une inévitable blessure narcissique pour chacun des parents, mais aussi pour les autres membres de la famille, notamment les grands-parents, qui pourraient se trouver en difficulté pour tenir leur rôle de soutien pour leur enfant. S’il y a d’autres enfants, ils peuvent se sentir tout à coup désinvestis [8].

Les attentes de la grossesse vont se confronter à une réalité très éloignée et provoquer une cassure de l’illusion psychique qu’est l’état de grossesse et que connaît tout nouveau parent. En effet, après la naissance, le père et la mère, par des processus différents, restent généralement dans une certaine illusion psychique qui progressivement permet l’ajustement entre l’enfant rêvé et l’enfant réel [9]. L’irruption de la réalité du handicap met fin à cette « folie normale » et vient replacer au-devant de la scène l’ambivalence des sentiments, entre amour et haine, entre accueil et rejet [10].

Si elle est traumatique, l’annonce n’est pas une sentence ni une condamnation à mort. L’enfant garde toutes ses potentialités d’évolution et de développement, sur le plan cognitif et relationnel, en fonction de la présence ou non d’autres handicaps.

L’enfant se construit avec et au milieu des siens. Certains troubles ou retards chez l’enfant, que l’on peut attribuer trop rapidement au handicap visuel, peuvent être liés à d’autres difficultés, souvent réactionnelles au handicap, comme un défaut d’ajustement, un manque d’encouragement ou de réassurance de la part de ceux qui s’occupent de lui.

Dans la communication, nous utilisons beaucoup le support visuel : échanges de regard, mimiques, attitudes corporelles, code vestimentaire. Lorsque le nourrisson déficient visuel ne peut pas répondre à cette accroche visuelle, c’est tout un mode de communication qui est à construire pour que la relation avec son entourage puisse être plus stable.

L’enfant est porté par le désir de ses parents qu’il vive et qu’il grandisse. Les parents doivent être également portés et aidés pour pouvoir assumer leur rôle et trouver les ressources à l’instauration d’interactions suffisamment pérennes, riches et stimulantes. Les services d’accompagnement et de rééducation spécialisés pour les enfants déficients visuels apportent ce soutien et proposent les aides appropriées au développement et à l’autonomisation de l’enfant.

Les mécanismes psychiques en jeu dans la déficience visuell e et le vécu de la perte visuelle

S. Jaron, N. Van Landeghem

Motricité oculaire –aspects cognitifs

Brosser à grands traits les différentes répercussions psychologiques de la déficience visuelle est nécessairement trop schématique tant celleci est multiforme et plurifactorielle. Retenons quelques variables qui nous permettront de situer quelques points essentiels de réflexion :
– l’âge de survenue de la déficience visuelle ;
– les modalités d’apparition ou d’installation de la déficience visuelle et l’étiologie ;
– les mécanismes psycho-adaptatifs de la personne en situation de handicap visuel.

Il nous faut ajouter la sévérité de l’atteinte visuelle qui sera une modalité transversale à ces différentes variables.

L’âge

Pour la cécité, l’âge de survenue est une donnée essentielle. Avant l’âge de 4 ans, la cécité occasionne de grandes perturbations dans les apprentissages précoces. Entre 4 et 12 ans, les apprentissages de base sont acquis mais il faut maintenir et poursuivre leur développement. Il est également nécessaire d’apporter un accompagnement adapté. À l’adolescence, la perte visuelle vient compliquer la problématique identitaire avec la question de l’appartenance, du regard des autres, du désir, de la quête de l’autonomie et des premiers pas dans la sexualité. À l’âge adulte, la parentalité ou encore l’insertion professionnelle sont questionnées. Chez la personne âgée, la perte d’acuité visuelle va rencontrer le processus de vieillissement – « Pourquoi m’adapter alors que je suis en fin de vie ? » Il est souvent plus difficile de sortir des routines de fonctionnement et d’accéder à de nouveaux apprentissages. La solitude et le manque d’étayage compliquent aussi une nouvelle inscription dans un projet, un devenir.

Si la cécité est congénitale, il est nécessaire d’aider l’enfant ou le bébé à se découvrir et à découvrir l’étendue des possibles, de lui apprendre à explorer et développer ses potentialités plurisensorielles et psychomotrices, de l’aider à s’adapter et à comprendre son environnement et de favoriser son indépendance fonctionnelle (grâce à la compensation, à la sensibilisation à la fois à ses limites et ses capacités). Un accompagnement familial peut être proposé pour soutenir l’enfant et ses parents dans différentes modalités (crèche, école, assistante maternelle, etc.).

Si la cécité est plus tardive, on accompagne la personne, tant sur le plan psychomoteur, cognitif que psychologique, à découvrir les moyens qui vont progressivement limiter les conséquences de sa déficience visuelle, qui a souvent grandement entravé son autonomie, qui l’a bousculée et a mis à mal son équilibre, son image, l’idée qu’elle se fait de ses compétences et potentialités. Cette découverte se fait en lien avec son âge, ses expériences antérieures, son niveau de développement tant intellectuel qu’affectif. Le suivi par des équipes spécialisées est indispensable pour maintenir les acquis quand cela est possible et permettre la mise en place de nouvelles stratégies pour que la personne puisse retrouver ses marques dans son quotidien.

Il faut également prendre en compte sa situation visuelle antérieure. Était-il déjà malvoyant ? Comme le dit très justement Claude Foucher : « Si l’aveugle de naissance n’existe, d’une certaine manière, que par le discours des voyants, l’aveugle tardif est bien celui qui a perdu quelque chose, qui éprouve un manque car il a été autrement » [11].

Si la malvoyance est congénitale, les incidences sur le développement perceptif et sur l’organisation spatiale sont moindres. Même a minima, la vision résiduelle joue un rôle de synthèse des différents canaux perceptifs [12]. Elle permet de faire le lien entre les informations et de mieux les contrôler et, ainsi, de s’ajuster en conséquence. Quand la mal-vision est congénitale, l’adaptation est souvent de meilleure qualité et plus fonctionnelle. La personne n’a pas connu d’autre état et elle a toujours composé avec ses potentialités. Il ne faut cependant pas négliger l’apport d’un accompagnement spécialisé pour professionnaliser les techniques et favoriser ainsi une adaptation optimale en confort et en sécurité. Des bilans réguliers en orthoptie, locomotion ou psychomotricité permettent d’évaluer cette adaptation.

Si la malvoyance est plus tardive, les critères sont assez proches de ceux de la cécité secondaire. Ce qui change est l’idée que cette acuité résiduelle peut baisser de façon certaine, probable ou inconnue, qu’elle peut fluctuer ou non. L’angoisse de perdre le potentiel visuel résiduel est plus aiguë.

Modalités d’apparition ou d’installation de la déficience visuelle et étiologie

Modalités d’apparition

La déficience visuelle survient brutalement

Il n’y a pas d’anticipation, ni de maîtrise possible. La personne est marquée par ce qui est perdu, avec une incapacité de faire face et un vécu d’effondrement (effet de sidération), un envahissement par l’effroi, la peur, l’inconnu, la perte des repères et des liens aux autres. Selon l’importance du traumatisme (physique et/ ou psychique), des attitudes phobiques, de repli dépressif, des cauchemars traumatiques, un désir de mort, etc. peuvent apparaître. Il faudra du temps à la personne déficiente visuelle pour identifier de nouveau son potentiel, réapprendre des stratégies efficientes, reprendre confiance en soi, mais aussi être en capacité de demander de l’aide, de faire confiance à un rééducateur, à un professionnel.

La déficience visuelle survient progressivement ou par étapes successives

Il s’agit d’une compensation au fur et à mesure, avec plus de temps pour s’adapter, mais cet état est inconfortable car en continuel mouvement. Il faut remettre sur le métier l’adaptation à chaque progression de la pathologie. La situation générée par la diminution progressive de la vue rend le handicap incertain, imprévisible, fluctuant selon la luminosité, l’état de fatigue ou le moment de la journée. La personne se trouve dans l’angoisse du lendemain. Certains n’osent pas s’endormir de peur de ne plus voir en se réveillant le jour suivant. Il leur est difficile de situer leur handicap et de s’approprier les pistes de rééducation proposées.

On retrouve souvent deux conduites : soit une minoration des troubles – la personne fait tout comme avant, avec parfois des conduites à risque –, soit une majoration avec une tendance à l’aveuglisation [13], à ne plus utiliser ou négliger le potentiel visuel à sa disposition – « Puisque je n’y verrai plus, autant m’y habituer tout de suite ».

Il s’agit également d’une situation socialement inconfortable. Le regard des autres est mal vécu, porteur d’incompréhensions ; les déficients visuels sont pris parfois pour des imposteurs ou des fabulateurs – « Je n’ose pas sortir mon livre dans le métro alors que les gens ont vu que j’avais une canne ». En effet, peu de personnes comprennent que la personne en situation de handicap visuel puisse voir à certains moments et pas à d’autres ou seulement dans certaines situations.

Étiologie

Les circonstances d’apparition de la cécité ou de la malvoyance vont également jouer un rôle important. En effet, si l’origine est génétique, cela va s’inscrire dans la généalogie avec la question de la dette, de la faute ou de la responsabilité. Cela peut susciter rancoeur, incompréhension ou encore désespoir, notamment dans le cas d’une fratrie lourdement affectée par le même gène. Le « pourquoi moi ? » intervient aussi dans le cas d’une mutation génétique isolée. Le désir d’enfant est également bousculé, avec la question de la transmission et de la responsabilité.

La maladie peut apporter son lot de colère et d’injustice. Quant à l’accident, il faut distinguer le geste auto-agressif de celui qui est causé par un tiers responsable ou un événement extérieur. Il y a aussi une comparaison avec la situation antérieure, avec souvent une idéalisation, une sensation d’âge d’or, une nostalgie, un point de fixation à la vie d’avant.

La maladie est-elle connue, dispose-t-elle de traitements, d’associations regroupant des personnes souffrant de la même pathologie ? Tout cela aide à maintenir ou construire du lien social, essentiel pour faire face.

Ces différentes raisons vont influer sur les capacités d’une personne de recomposer une image d’elle-même, d’intégrer ce manque, voire de le dépasser. Cela a également des répercussions sur l’adaptation et les capacités de compensation, d’apprentissage, de désir de dépasser la situation présente.

Les mécanismes psycho-adaptatifs de la personne en situation de handicap visuel

Le vécu de la perte visuelle se décline selon différentes variables liées à la déficience visuelle elle-même, mais celle-ci affecte aussi la personne dans ses représentations, ses compétences sociales, sa personnalité et son ressenti singulier. Schématiquement, distinguons les mécanismes psycho-adaptatifs dépendant de la personne déficiente visuelle et ceux de son environnement :
–de la personne déficiente visuelle elle-même:
    –son énergie, son appétence à la vie, sa force créatrice ;
    –ses ressources psychiques, la solidité du moi, la confiance en soi, l’estime de soi ;
    –sa capacité de nouer et de garder des relations. Ses aptitudes relationnelles, ses modalités habituelles de communication renvoient aussi à la qualité de ses attaches primordiales;
    –sa capacité de demander de l’aide et de l’accepter, tout en se distanciant d’une position d’assistanat ;
    –sa flexibilité mentale, son potentiel cognitif, sa capacité d’adaptation, sa tolérance ou son intolérance à la frustration. C’est en lien avec ses traits de caractère, mais aussi ses aptitudes cognitives qui feront le lit des ressources pour réaménager des possibilités et mobiliser d’autres modalités sensorielles. Cette capacité est aussi en lien avec la manière dont on interagit avec son environnement (toucher, odorat, goût, etc.) et dont on vit son corps (schéma corporel, latéralisation, représentation spatiale, sens de l’orientation) ;
    –son parcours de vie et les événements qui l’ont émaillé – cette nouvelle perte réactive toutes les autres : deuils, insatisfactions, déceptions, échecs, etc.

–de son environnement :
    –la qualité des relations affectives, amicales, professionnelles, associatives et l’insertion sociale ;
    –la présence ou l’absence de la famille, avec un rôle protecteur ou au contraire rejetant ;
    –les croyances, les aspects culturels ou religieux, les interprétations familiales ou privées.

Les processus de deuil

Tous ces éléments ont une incidence sur la capacité de la personne de se recomposer une image de soi intégrant la perte visuelle sans s’y réduire et vont interférer sur ce que l’on a coutume d’appeler les processus de deuil.

Le travail de deuil est essentiel à la vie humaine tout en restant une expérience éprouvante. C’est sa qualité douloureuse qui le rend difficile à effectuer. Lorsqu’il s’avère nécessaire, il permet à l’individu de s’approprier la perte et, au moment voulu, de réinvestir la vie autrement. L’ophtalmologiste a son rôle à jouer dans ce processus. Face à ce défi clinique, il peut accompagner son patient en s’appuyant sur ses propres ressources ainsi que sur le réseau professionnel.

Le modèle psychanalytique du travail de deuil le conçoit comme un processus psychique favorisant le détachement progressif d’un objet perdu, commençant par un éprouvé de la douleur mentale extrême et allant jusqu’au désinvestissement affectif de l’objet perdu permettant l’investissement d’un nouvel objet [14, 15]. L’exemple le plus répandu est celui de la perte d’un être cher, par décès, ou éloignement définitif. La période de deuil peut devenir pathologiquement durable s’il y a un espoir, même faible, de retrouver l’objet perdu. De surcroît, l’éventualité d’un sentiment de culpabilité quant à l’origine de la perte peut favoriser un enlisement dans la mélancolie. Le souvenir de l’objet perdu peut rester ; il ne doit pas pour autant empêcher le sujet de se tourner vers un autre objet à un moment donné, un moment impossible à prédire et qui peut se présenter spontanément, à la surprise du sujet. Soulignons que le processus psychique recouvrant le deuil implique un mouvement et non pas un terme.

L’ophtalmologiste dans la situation d’évoquer la question du deuil

Qu’est-ce qui peut se passer sur le plan intrapsychique lorsqu’il est question du deuil dans la clinique ophtalmologique, lorsque l’ophtalmologiste se sent contraint d’évoquer la perte de la vue, de dire à son patient qu’il faut « faire le deuil » de sa vision suite à la découverte d’une pathologie grave ? Comment l’ophtalmologiste peut-il aider ses patients à faire face au deuil éventuel ?

Afin de répondre à ces questions, il est important de comprendre en amont que le modèle habituel du processus psychique décrivant le travail de deuil ne s’applique pas toujours en ophtalmologie [16]. L’oeil et sa fonction sensorielle – l’objet en question – ne sont pas nécessairement perdus, du moins pas en entier. Assez souvent, ce n’est qu’une seule partie de la vision, le champ visuel central par exemple, qui est perdue. Ou encore, lorsqu’il s’agit d’une maladie dégénérative, la vision sera altérée au fil du temps mais elle n’est pas perdue au moment de la consultation. Proposer au patient de « faire le deuil » de sa vision est, dans ce cas, un non-sens : le psychisme n’accepte pas l’injonction de faire le deuil de quelque chose qu’il possède toujours, même de façon résiduelle, et auquel il s’accroche fermement [17].

La pathologie oculaire va déterminer comment l’ophtalmologiste se positionne par rapport à la question de la perte. Est-elle congénitale avec une incidence immédiate sur le monde visuel comme l’amaurose congénitale de Leber ? Est-elle de type dégénératif, impliquant une certaine latence quant à son évolution comme la rétinopathie pigmentaire ou la DMLA ? Ou est-elle plutôt acquise, d’apparition soudaine comme suite à un accident ? Chaque cas de figure nécessite un positionnement spécifique du médecin face au traumatisme psychique du patient (ou de sa famille).

Il ne s’agit donc pas d’un travail de deuil tel qu’il est conçu par le champ psychanalytique. Selon la clinique ophtalmologique, la perte n’est pas toujours définitive, complète. La perte entraînée par la pathologie est certes irréversible, « non améliorable ». Mais le patient peut-il éventuellement bénéficier de la rééducation, par exemple, afin d’utiliser la vision restante aussi efficacement que possible ? Ainsi, ce qui est en jeu est plutôt un « travail de deuil de soi-même » [18] et, plus précisément, d’un « travail de deuil partiel de soi-même » (Fig.11-6).

L’échange avec le médecin est éminemment délicat : face au vide laissé par la perte, une douleur morale intense s’installe pour le patient. Le discours médical est ainsi semé de risques, étant porteur d’informations désagréables à entendre. En choisissant un discours trop raisonné, entendu par le malade comme « sans âme », l’ophtalmologiste peut susciter, chez le patient, un sentiment d’abandon. En écourtant la consultation, ce dernier pourra ne pas assez dire ou dire maladroitement, ne pas informer correctement, ne pas suffisamment accompagner le patient (Fig.11-7).

L’ophtalmologiste n’entre pas dans le monde interne de son patient, ou seulement jusqu’à un certain point. Quelle que soit la distance établie entre lui et son patient, ce qui importe, c’est de reconnaître que ce monde interne existe et que le patient est vulnérable, en proie à une affectivité tantôt confuse, tantôt douloureuse, ou encore les deux. Cette reconnaissance ouvre sur l’écoute du patient par le médecin, sur sa capacité d’entendre ses craintes (la peur de perdre son autonomie ou l’incapacité de s’épanouir) et ses espoirs (gagner en autonomie à travers la rééducation) par rapport à la vue restante [19]. Elle pourrait ouvrir sur un accompagnement par l’ophtalmologiste (si la reprise de l’annonce s’avère nécessaire ultérieurement) ou un travail d’élaboration avec un psychologue.

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Fig.11-5 Ouvrir les possibles, peser les mots.

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Fig.11-6 Une expérience éprouvante qui demande disponibilité et mise en mots des émotions.

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Fig.11-7 Annoncer, c’est accompagner.



Le travail psychologique et les manifestations psychopathologiques

L’un des défis peut être de pouvoir informer sur les possibles manifestations psychopathologiques (affects dépressifs réactionnels et troubles anxieux notamment).

Affects dépressifs

Les affects dépressifs sont souvent présents au moment de l’annonce du handicap. L’effroi, la peur, l’inconnu dominent. Vient ensuite la perte de repères mais aussi des êtres – « Ils me manquaient du regard » [20].

Les affects dépressifs peuvent aussi être appréhendés comme un passage ; paradoxalement, la dépression met la personne déficiente visuelle dans une situation d’inconfort et de désarroi qui, si elle ne la happe pas complètement, peut offrir des ressources pour agir et réagir [21]. L’aide spécialisée est particulièrement importante pour ne pas se laisser immobiliser et se trouver dans une position où, tout à coup, toute démarche paraît vaine. Le plus souvent, la dépression isole, exclut, là où au contraire l’étayage est précieux. L’aide d’un professionnel peut permettre d’essayer de faire la part des choses et de poser la situation de façon plus neutre, plus nuancée, plus distanciée, en reprenant par exemple point par point ce que la déficience visuelle entrave, ce qui peut être préservé ou rééduqué ou encore réalisé autrement. C’est cet « autrement » qui s’avère souvent problématique. Il peut s’agir, en effet, d’abandonner son mode de fonctionnement, ses routines pour trouver des stratégies, accepter d’en acquérir de nouvelles. Souvent, la personne déficiente visuelle éprouve de l’appréhension dans ces apprentissages qu’elle peut juger moins opérants car non entraînés et stigmatisants. Comment, en effet, ne pas se sentir autre, étranger à soi voire aux autres, hors de la norme, la frontière pouvant mener à l’exclusion ou à la sensation d’être exclu de la société dite active étant bien mince ? Pourtant, c’est souvent grâce à tout cela qu’elle pourra continuer son chemin en prenant d’autres voies, comme libérer son regard avec les techniques de locomotion, communiquer avec l’informatique adaptée, etc.

Cette différence est aussi à penser avec l’entourage proche. La famille a besoin, elle aussi, de cheminer pour retrouver une parole vraie avec la personne déficiente visuelle, qui ne soit ni infantilisante, ni trop inquiète, ni trop banalisante. Le handicap réactive souvent des scénarios anciens où l’amour, la haine, la jalousie, la honte, la culpabilité, la responsabilité, les jugements de valeur, les rôles et les statuts de chacun, etc. créent des situations compliquées et potentiellement dommageables.

Parfois, la dépression se manifeste de façon différente de ce que l’on a coutume de décrire. La tristesse peut faire place à de l’agressivité ou bien à un comportement qui peut être empreint d’une certaine agitation qui pousse les personnes à agir rapidement sans trop d’élaboration, ce que les psychologues appellent les défenses maniaques [22]. Ce sont des défenses mises en place par l’individu pour faire face aux affects dépressifs. Nous connaissons tous cette légère excitation qui nous porte à agir avec un sentiment de toute-puissance… souvent suivi d’un mouvement dépressif. Ces défenses maniaques mettent à distance l’angoisse, les affects dépressifs et tout ce qui peut se passer dans la réalité interne. Elles font privilégier l’agir, sans prendre en compte la réalité psychique interne, ni les relations avec autrui. L’agir devient alors un mode de résolution magique et évite ainsi d’envisager la perte, la dépendance à l’autre, la nostalgie, etc., avec tout ce que cela peut comporter d’ambivalence. « Je n’avais jamais osé parler de ce que j’avais » nous dit un patient en parlant de sa cécité. Il poursuit : « Je ne pouvais pas en parler sérieusement. Je faisais le pitre, je riais trop fort. Je n’aime pas les situations où je ne maîtrise pas tout. C’est un personnage que j’ai caché en moi ».

Ces défenses maniaques ne sont pas pathologiques. Elles permettent au contraire de protéger le moi contre le désespoir : « Quand la souffrance et la menace diminuent, les défenses maniaques peuvent progressivement céder le pas à la réparation » [22].

La réparation est en route quand il y a une reconnaissance de la perte et qu’il est possible d’envisager d’y faire face, tout en tenant compte de la réalité, malgré les obstacles et les inévitables découragements.

Troubles anxieux

Les troubles anxieux peuvent s’exprimer à travers la permanence d’un sentiment de menace, l’évitement de certaines situations redoutées, l’appréhension d’un malaise en public, etc. Ils sont majorés par le manque de contrôle visuel, les difficultés à appréhender l’environnement, la sensation d’être observé et stigmatisé par une canne blanche, ou une façon particulière de regarder en raison des troubles visuels.

L’anxiété peut s’exprimer de façon chronique (anxiété généralisée) ou aiguë (trouble panique), face à des objets, des situations ou des circonstances particulières (phobie), dans les suites d’une expérience douloureuse (état de stress aigu, état de stress post-traumatique).

On peut également parler de l’anticipation anxieuse de l’échec. Cela permet de ne pas être déçu en cas d’échec avec une illusion de maîtrise du futur. La peur de revivre une expérience désagréable provoque l’apparition de l’anxiété avant même que la situation anxiogène se produise. Elle suscite la fuite et l’évitement, eux-mêmes entretenant et renforçant l’anxiété.

Travail psychologique

Le travail psychologique est toujours une démarche personnelle, mais on peut le proposer, le conseiller. La personne peut adhérer, ou non, à cette proposition, tout de suite ou plus tard, le temps de la faire sienne. Le psychologue offre avant tout une écoute dans un lieu protégé par le secret professionnel, étayant, stable, qui peut résister à la violence de ce qui peut y être dit ou pensé, tout en respectant le temps psychique de chaque patient. C’est un espace hors des catégories habituelles : il n’est pas utile d’aller vite ou de faire « bonne figure » ; il n’y a pas de bonnes ou mauvaises remarques. C’est un espace autant que possible sans jugement ni projection, dans une certaine neutralité, où la parole peut circuler et se libérer. Il est alors possible de formuler ses questionnements, ses peurs réelles ou fantasmatiques. Il peut par exemple être question de se déprendre de la surprotection, de la tentation de la dépendance ou, au contraire, du repli et de l’isolement, de déjouer la répétition qui peut être à l’oeuvre, de dénouer ce qui a pu s’amalgamer lors de l’annonce du handicap notamment. Il s’agit parfois de relativiser ce qui peut l’être, de mettre des mots et des affects sur une douleur sans nom.

Ce travail d’élaboration, avec l’aide ou non d’un psychologue, est nécessaire pour que la personne construise ses propres outils pour faire face – et parfois même la dépasser – à la situation de handicap engendrée par la déficience visuelle. Ce processus psychique non linéaire passe par des temps de déni, d’abattement, de colère, de frustration, de lâcher-prise, de prise de conscience, d’espoir. Il laisse des traces, des lignes de failles potentiellement réactivables, sensibles à d’autres traumatismes éventuels ou événements de vie. Mais il modèle également la personne qui l’a traversé et lui imprime sa force créatrice et son élan de vie.

L’ophtalmologiste, à la croisée des chemins

La déficience visuelle, qu’elle soit acquise ou congénitale, partielle ou totale, brutale ou progressive, apporte son lot de vulnérabilité. Chaque personne réagit dans sa singularité avec ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il ressent. Cependant, l’ophtalmologiste, dans ses différentes interactions avec le patient, peut initier de nombreuses pistes qui vont jalonner le parcours du patient et ouvrir l’avenir.

Il peut l’aider à s’informer et informer ses proches pour mieux comprendre ce qui lui arrive. Il peut s’agir de mettre à disposition des ressources : informations sur la pathologie, les associations, les prises en charges possibles (rééducation, réadaptation, suivi psychologique, etc.). Ces informations sont précieuses car elles permettent à la personne déficiente visuelle (ou à ses proches) de comprendre (dans sa double acception étymologique de prendre avec soi et de processus intellectuel) pour mieux faire face à tous les changements que va générer la déficience visuelle. C’est également la base du dialogue avec l’entourage. C’est aussi une façon de retrouver un rôle d’acteur et d’éviter une position trop passive et porteuse de résignation.

L’ophtalmologiste peut également aider le patient à accepter de l’aide. En effet, une des étapes importantes est d’amener la personne déficiente visuelle et/ou son entourage à accepter l’aide qui peut être offerte et y trouver avantage. Il s’agit d’orienter vers des services de rééducation et de réadaptation (centre de rééducation fonctionnelle, centre basse vision, SAMSAH, SAVS, service interrégional d’appui aux adultes déficients visuels [SIADV], SAAAS, service d’accompagnement familial et d’éducation précoce [SAFEP], centre d’action médico-social précoce [CAMSP], etc.) qui permettront d’étayer le suivi. Une connaissance de la rééducation fonctionnelle et de la réadaptation permet d’ouvrir la personne déficiente visuelle à sa plurisensorialité et aux transferts intermodaux [23, 24], de l’aider ainsi à découvrir des ressources internes souvent jusqu’alors inexploitées et de se déprendre un tant soit peu de notre culture marquée par le visuel [25]. Selon l’âge d’apparition et les circonstances de la déficience visuelle, d’autres orientations peuvent être requises : accompagnement à la parentalité, éducation précoce, service de gérontologie, abord du handicap associé (pathologies neurologiques ou troubles neurovisuels,autres déficiences sensorielles, etc.), service de psychiatrie, suivi psychothérapique, etc.

Dans la réadaptation, il n’est plus question de « réparation », mais de compensation, du « comment vivre au jour le jour avec ce qui m’arrive ». Comme le dit très justement G. Ausloss « le but n’est pas de les aider à redevenir comme avant, mais de les aider à devenir comme après » [26]. Il va s’agir d’expliquer la déficience visuelle non plus seulement en des termes médicaux pour en saisir les processus, mais aussi de façon à ce qu’elle puisse être comprise de manière fonctionnelle. Il s’agit d’amener la personne déficiente visuelle à reconnaître son corps, à l’apprivoiser de nouveau, à appréhender le monde environnant, à reprendre possession de ses capacités, à réapprendre à faire chaque acte de la vie quotidienne différemment pour gagner en confort et en sécurité, à reprendre confiance en soi, repousser ses limites, habiter son regard.

La compensation n’est pas providentielle ; elle est le fruit d’un travail d’appropriation, d’identification des bruits, des formes, des signes verbaux et infraverbaux, d’utilisation de la mémoire corporelle pour éviter les heurts qui viennent sans cesse rappeler la déficience et la nécessité d’une attention de tous les instants.

C’est tout le travail avec les techniques palliatives, la rééducation (orthoptie, locomotion, ergothérapie, AVJ, etc.), mais aussi psychologique qui va permettre d’accompagner la personne déficience visuelle dans un long cheminement pour métaboliser peu à peu la violence, la rendre plus vivable, apprivoiser la peur, repousser peu à peu la souffrance, reprendre le cours de sa vie en désirant, se projetant à nouveau.

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2 – Stratégies visuelles
Bilan orthoptique basse vision

M.-F.Clenet

Présentation du bilan orthoptique basse vision

Lors de cet examen complémentaire qu’est le bilan orthoptique basse vision (BOBV), ajusté à chaque patient en fonction de son âge et du type de déficience visuelle, sont étudiés l’ancrage et l’orientation du regard, la capacité de discrimination puis la perte ou l’absence (bébé) d’efficience visuelle, en considérant les répercussions de la déficience visuelle sur la saisie de l’information, l’organisation du geste et la communication interpersonnelle. Il s’agit d’un examen fonctionnel élaboré à partir de références ophtalmologiques, optiques, neurophysiologiques, neuropsychologiques et psychosociales.

Intérêt

Cette étude du potentiel visuel et des conditions nécessaires à sa mise en oeuvre est :

  • une information essentielle pour le patient et son entourage quand l’action nécessite une adaptation de distance, d’éclairement, de contraste, de vitesse de déplacements, de durée, etc. ;

  • un préalable incontournable à l’équipement optique dont l’efficacité dépend de l’ancrage du regard, donc de la capacité de fixer ;

  • le socle du diagnostic orthoptique qui objective les dysfonctionnements déterminant le type et la gravité de la déficience visuelle. Il précise aussi les critères d’inclusion et d’exclusion à la rééducation orthoptique à partir de la situation sensorimotrice, des ressources et des attentes du patient ;

  • un recueil d’informations indispensables à l’obtention de droits.

Le BOBV est déterminant pour l’appareillage, la réadaptation et la qualité de vie du malvoyant de tout âge.

Indications et limites

Le BOBV s’adresse à toute personne, quel que soit son âge, présentant une déficience visuelle avérée ou suspectée, notamment dans les atteintes neurologiques.

Dans sa conception classique, il nécessite participation et attention. Cependant, pour les patients fatigués ou polyhandicapés, l’orthoptiste sait choisir d’autres tests ou adapter la passation des tests pour recueillir les données indispensables de façon valable, précisée. Ainsi, ce bilan peut être proposé à toute personne consciente, éveillée.

Quand prescrire un bilan orthoptique basse vision ?

Le BOBV doit être prescrit le plus tôt possible chez le bébé ou l’enfant quand la déficience visuelle est congénitale, et dès la révélation de la déficience visuelle pour tous. Faire le bilan n’implique pas nécessairement une rééducation orthoptique immédiate. Celleci peut être contre-indiquée lors d’un projet thérapeutique en cours. Mais le patient informé de son potentiel visuel peut déjà organiser ses actions du quotidien selon sa vision. Le moment et le type d’appareillage sont ainsi argumentés.

Comment se pratique le bilan orthoptique basse vision ?

Pratiqué par un orthoptiste, le BOBV peut être réalisé à l’hôpital, en cabinet privé, au domicile du patient ou en établissement médico-social. Sa durée est d’au moins une heure. Son exécution nécessite parfois plusieurs temps en cas de fatigue, de restriction attentionnelle ou de besoin de vérification de données. Pour faire face à la situation complexe de l’« irréparable », l’orthoptiste doit rester concentré sur l’observation et l’écoute du patient ; sa charge mentale est donc conséquente.

Lors de l’accueil, de l’installation et des présentations, s’instaurent confiance réciproque et sécurité, facteurs essentiels à la qualité de l’évaluation prévue. Avec émotion, les patients ou les parents des enfants déficients visuels relatent ce qu’ils savent de la maladie, de son évolution, leurs constats, leurs craintes et leurs représentations de l’avenir. Au cours de ce dialogue, émergent les attentes du patient ou de son entourage, les interrogations de l’orthoptiste fondatrices de la conduite du bilan qui doit préciser le type de déficience visuelle. Des pistes se dessinent déjà, argumentées par l’observation attentive de la morphologie, des attitudes et du comportement visuel.

La vision est sensorimotrice, mais pour structurer le recueil et l’analyse des données, distinguons le sensoriel de l’optomoteur en repérant leur fonction spécifique. En effet, la déficience visuelle ne se gomme pas ; avec elle, le patient doit construire sa vie ou la réorganiser en connaissance de cause.

Étude de l’ancrage du regard et de la capacité d’orienter le regard - bilan optomoteur

Le bilan optomoteur est la première étape du bilan car une fixation incertaine invaliderait les données sensorielles. En utilisant les mires orthoptiques calibrées, il s’agit de repérer la capacité de fixation, d’analyser sa qualité et de rechercher les éventuelles conditions nécessaires à sa mise en oeuvre. Puis, chaque type de mouvements oculaires (poursuite, saccades, vergence) est observé pour un recueil de données qualitatives et quantitatives. Enfin, la coordination oeil–tête, association et dissociation, est analysée car ses perturbations sont évocatrices et désorganisent les mouvements oculaires.

La fonction du regard est en interdépendance avec l’attention et la cognition. Le regard situe la perception visuelle et assure la cohérence spatiale des différentes modalités sensorielles, sans quoi le patient est désorienté. Le regard dirige et calibre le geste et participe au contrôle de l’équilibre. Il est essentiel dans le contrôle de l’environnement et dans la communication interpersonnelle. Les enjeux des troubles du regard sont donc énormes et souvent ignorés.

En s’appuyant sur des suppléances visuelles, perceptives, proprioceptives ou cognitives, la rééducation orthoptique ajustée aux dysfonctionnements est efficace pour restaurer une orientation du regard fiable et suffisante. Par exemple, dans les altérations de la vision centrale comme avec la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), le patient méthodiquement accompagné peut retrouver une orientation du regard efficace à partir d’une néofixation fiable déplacée et ancrée sur une zone rétinienne paracentrale saine.

Étude de la capacité de discrimination - bilan sensoriel

Ici sont rassemblées et traitées les données recueillies lors des tests d’acuité visuelle, de sensibilité aux contrastes, de vision des couleurs, de champ visuel et de vision binoculaire – si elle est présente et possible. La mesure de la réfraction et la mesure de l’accommodation sont incontournables et nécessitent souvent des manipulations spéciales quand les données des matériels automatisés sont aléatoires. Des facteurs intrinsèques et extrinsèques peuvent modifier les scores obtenus aux tests : la direction du regard sollicitée, l’attitude corporelle, l’éclairement, la distance, la surface, la présentation, l’ambiance lumineuse, sonore, etc. Évocateurs de dysfonctionnements ou de besoins spécifiques, ils sont à repérer, expliquer et consigner.

La fonction de discrimination est constitutive de la perception de la forme – formes globales, contours et détails –, selon les zones rétiniennes concernées. En étroite collaboration avec le système oculomoteur, la discrimination visuelle construit, développe et automatise le geste visuel, appelé praxie visuelle ou stratégies visuelles quand la cognition pilote le regard comme dans la lecture. La perception de la forme participe à l’organisation anticipée de la préhension, notamment au niveau de l’organisation de la griffe digitale – ouverture, orientation, pression. Ces données sont essentielles à l’observation, à la compréhension des incapacités et aux recherches de compensations. Les enjeux des déficits sensoriels sont différents selon la topologie de l’atteinte : centrale ou périphérique.

L’atteinte centrale, touchant l’acuité visuelle, concerne surtout la vision précise, la vision des détails, la reconnaissance des lettres et des signes, parfois difficiles à extraire de leur contexte quand la sensibilité aux contrastes est altérée. Le patient réclame lumière, contraste et grossissement. Le recours à un système grossissant est souvent nécessaire. L’atteinte centrale ou maculaire détruit aussi la fixation ou l’empêche de s’installer. La compensation optique, à condition qu’elle soit bien dosée et que son utilisation soit maîtrisée, n’est une aide efficace qu’après l’obtention de l’ancrage du regard référencé par rapport à l’axe corporel. Le patient doit savoir qu’il ne s’agit pas de simples lunettes, qu’il y a une utilisation et des contraintes spécifiques. Pour préparer et participer à l’apprentissage prothétique, l’orthoptiste doit connaître l’étendue et la profondeur des lésions et la concordance ou non avec les données citées ci-dessus.

L’atteinte périphérique altère le champ visuel : des portions de l’espace ne sont pas perçues, les formes globales sont modifiées, amputées. Par une exploration du regard, le patient peut compenser les manques, mais les déficits périphériques altèrent l’alerte visuelle, perturbent ou abolissent des saccades oculaires. Certains mobilisent alors la tête – « c’est la catastrophe » disent-ils. En effet, ils perdent ainsi la référence proprioceptive à l’axe corporel. Ils doivent donc comprendre qu’ils doivent bouger les yeux et non la tête. Il est possible d’apprendre à bouger les yeux même dans cette situation de déficience visuelle. La rééducation orthoptique permet d’orienter et de calibrer des saccades par compensation proprioceptive ; ensuite, exploration et stratégies cognitives sont développées.

Les déficits de discrimination sèment le doute perceptif, traduit par une lenteur visuelle qui peut mettre en péril la cohérence temporelle des modalités sensorielles. Le patient est perplexe, dérouté, inquiet.

La situation sensorimotrice étant précisée, des répercussions supposées, il s’agit maintenant de les valider et de quantifier les conditions d’accessibilité avec le mètre, le luxmètre et le chronomètre. L’avis du patient est fondamental ; la valeur de ses réponses dépend de la précision de nos questions.

Étude de la perte d’efficience - bilan fonctionnel

Considérant les situations optomotrice et sensorielle, leurs fonctions spécifiques et leurs interactions, voyons les répercussions de la déficience visuelle propre à un patient sur sa communication interpersonnelle, sa saisie d’informations et son organisation gestuelle.

Communication interpersonnelle

Le regard et la vision sont émetteurs et récepteurs. Les points suivants sont étudiés.

  • Le regard du patient désigne-t-il son interlocuteur ? Avec ou sans conditions ? Sont à préciser : distance, direction du regard, assis ou debout, immobile ou en mouvement, l’éclairement nécessaire. Ici, la capacité d’orienter le regard est en cause, mais il convient de veiller aux interprétations données en cas de strabisme divergent, surtout ou en cas de plafonnement.

  • Le patient voit-il la direction du regard de son interlocuteur ? Avec ou sans conditions ? Sont à préciser : distance, direction du regard, assis ou debout, immobile ou en mouvement, l’éclairement nécessaire. Le patient peut avoir plus de difficultés pour percevoir des yeux clairs ou être gêné pour les porteurs de lunettes.

  • Voit-il les mimiques et les jeux de physionomie qui modulent l’interprétation de l’expression verbale ? Avec ou sans conditions ? Ici, la vision des contrastes est en jeu. Sont à préciser : distance, direction du regard, assis ou debout, immobile ou en mouvement, l’éclairement nécessaire.

  • Reconnaissance visuelle des personnes : impossible ; difficile ; sans problème ?

Ces points délicats et souvent douloureux sont gérés très différemment d’un patient à l’autre. Mesurer et en parler leur permet de trouver leur stratégie.

Saisie d’informations

Lors d’une mise en situation (avec observation, mesure et discussion), sont étudiés les points suivants :

  • perception visuelle : de la forme, de la couleur, du mouvement, des composantes spatiales – dimension, orientation, position relative ;

  • perception sensorielle : relations entre la perception visuelle et les autres modalités sensorielles. La vision participe-t-elle ou non ; de façon positive ou négative ? Y a-t-il dissociation perceptive ?

  • stratégies visuelles – exploration, anticipation, définition d’indices, lecture.

Organisation du geste et contrôle de l’équilibre

Sont analysés :

  • le pointage : orientation visuelle du geste ;

  • la préhension : anticipation visuelle pour localiser, organiser la vitesse variable du mouvement de projection du bras et l’ouverture orientée de la griffe digitale ;

  • le graphisme et l’écriture – à construire chez l’enfant, à retrouver chez l’adulte ;

  • le contrôle postural, géré avec ou sans recherche d’appuis compensatoires, avec ajustements :

  • ajustement proactif : installation posturale préalable spontanée en fonction des informations visuelles concernant les composantes de l’action ;

  • ajustement rétroactif : mouvements automatiques de rééquilibrage effectués sous contrôle proprioceptif.

Aides techniques optiques et non optiques : quels matériels, pour quels patients ?

D. Dupleix

Les aides techniques destinées à aider le patient malvoyant dans sa vie quotidienne se déclinent en trois grandes familles : confort, protection, grossissantes. Leurs préconisations relèvent de l’opticien spécialisé, en partenariat avec l’orthoptiste, sous l’autorité de l’ophtalmologiste.

Confort visuel – lumière artificielle et posture

Considérant les situations optomotrice et sensorielle, leurs fonctions spécifiques et leurs interactions, voyons les répercussions de la déficience visuelle propre à un patient sur sa communication interpersonnelle, sa saisie d’informations et son organisation gestuelle.

Définitions

Il existe deux grandes familles de sources lumineuses, repérables par l’oeil humain, puisque se produisant dans le domaine du spectre visible :

  • la luminescence, produite par un phénomène non thermique (par exemple éclairs pendant un orage, ver luisant des nuits d’été) ;

  • l’incandescence, due à l’excitation thermique d’un corps (par exemple le feu).

Pour produire de la lumière par électricité, trois technologies peuvent être utilisées :

  • les lampes à filament de tungstène, contenant un gaz inerte ou halogène, produisent de la lumière par effet Joule (échauffement du filament) ;

  • les lampes à décharge, comme des éclairs, exploitent la luminescence d’un arc électrique ;

  • les lampes fluorescentes : le rayonnement invisible d’une décharge électrique est transformé en lumière visible, grâce aux substances luminescentes qui tapissent les parois du tube.

Conditions d’utilisation de l’éclairage

La facilité d’exécution d’une tâche (lecture, écriture, travaux manuels, etc.) dépend :

  • de l’éblouissement (par exemple support papier brillant, lumières parasites, artificielles ou naturelles [soleil]), baies vitrées, peintures laquées, revêtements de table, vernis ou stratifiés) ;

  • du contraste (par exemple entre les lettres et le fond du papier, entre les luminaires et le plafond, entre l’objet tenu et la surface de travail). Un texte posé sur un bureau doit être trois fois plus éclairé que le plan de travail, lui-même trois fois plus que l’éclairage de la pièce ;

  • de l’aménagement de l’espace de travail (ergonomie, posture). L’utilisation d’un pupitre permet de compenser des postures vicieuses, en réduisant la fatigabilité corporelle et visuelle ;

  • de la qualité (choix du luminaire) et de la position de l’éclairage, ponctuel (du côté opposé à la main qui écrit et sous le visage, pour éviter les ombres portées) et ambiant, dirigé de préférence vers le plafond ou les murs.

Le contraste dépend de l’écart des luminances entre deux surfaces présentées simultanément. La luminance d’une surface dépend de l’éclairement qu’elle reçoit et de ses propriétés réfléchissantes. Plus le contraste est réduit, plus il est nécessaire d’augmenter le niveau d’éclairement et d’augmenter le contour des objets (Fig. 11-8).

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Fig.11-8 Contraste et vie quotidienne.

Luminaires à préconiser
Lampes halogènes basse tension (lecture, écriture, tâche fine, etc.)

Ce sont des lampes à incandescence, dont l’ampoule contient une atmosphère gazeuse halogénée. La spécificité de cet éclairage réside dans la propriété du gaz halogène de « recoller » en permanence les fines particules du filament de tungstène qui se détachent à chaque éclairement. Ainsi, les parois de l’ampoule restent claires et sa durée de vie allongée (Fig.11-9).

Cette régénération du filament est optimale lorsque la lampe fonctionne à pleine puissance. C’est la raison pour laquelle les lampes à variateur ne sont pas recommandées ; elles sont également difficiles à manipuler par une personne déficicente visuelle.

Le verre de silice (quartz), qui constitue l’enveloppe de l’ampoule, supporte les hautes températures. La protection de tête de lampe (entourant l’ampoule) doit absorber l’échauffement induit, pour une prise en main sans risque par l’enfant ou la personne âgée. Le procédé basse tension élimine les ultraviolets (UV) émis par l’ampoule. Entre celle-ci et l’utilisateur, il est, en revanche, recommandé d’insérer un verre opalescent, procurant un éclairement non éblouissant, homogène et localisé sur la tâche.

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Fig.11-9 Éclairage halogène basse tension.

Lampes fluorescentes (travaux manuels, bricolage, ménager, repas, enfants, etc.)

Dans un tube de verre, de la vapeur de mercure est excitée par un champ électrique entre des électrodes et émet un rayonnement UV invisible. Une substance fluorescente, appliquée sur la paroi du verre, transforme le rayonnement UV en lumière visible.

Alors que les lampes aux halogènes proposent un éclairement localisé, imposé par les latitudes de mises au point réduites des systèmes grossissants optiques basse vision, les lampes fluorescentes sont plus spécialement recommandées pour éclairer un plan de travail, sans éblouissement. La qualité de la lumière émise est proche de la lumière du jour, stable, avec un excellent rendu des couleurs naturelles. Sa durée de vie est 5 à 6 fois plus élevée qu’une lampe à incandescence classique.

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Fig.11-10 Éclairage fluorescent.

Lampes fluocompactes (éclairage ambiant, etc.)

Lampe à économie d’énergie, lampe fluocompacte ou lampe basse consommation (LBC) : toutes ces appellations désignent le même produit. Le principe de ces ampoules est le pliage en deux, trois voire quatre fois d’un tube fluorescent. Le culot de l’ampoule contient le ballast électronique. Les lampes fluocompactes sont plus particulièrement adaptées à un usage durable, plutôt qu’à une utilisation fractionnée. Certaines lampes à économie d’énergie mettent également plusieurs secondes avant d’atteindre leur éclairage maximal. En d’autres termes, les LBC conviennent mieux à l’éclairage du séjour et de la cuisine, où la lumière reste allumée longtemps, qu’à des toilettes ou un placard, où l’on allume et éteint la lumière fréquemment. Une telle utilisation les userait plus vite et est incompatible avec le besoin immédiat de lumière de la personne malvoyante. Une lampe fluocompacte de 15 W apporte autant de lumière qu’une ampoule incandescente de 60 W.

Éclairage LED (équipe les loupes optiques et électroniques basse vision, etc.)

Très petits et extra-plats, ces composants sont soudés en surface des circuits électroniques. Les LED (diode électroluminescente), pour un encombrement inférieur, consomment 10 fois moins qu’une ampoule à filament, possèdent une durée de vie pouvant aller jusqu’à 50 000 heures et n’émettent pas de chaleur. Trois températures de couleur sont proposées : le blanc chaud (2 700 Kelvin [K]), proche de l’incandescence ; le blanc neutre (4 500 K), un peu plus agressif, mais respectant le mieux les couleurs naturelles des objets ; et le blanc froid (6 000 K) plus bleuté, souvent trop agressif pour la personne malvoyante.

Recommandations

1. C’est toujours la personne qui choisit, lors d’essais comparatifs, le type d’éclairage, l’intensité et la température de couleur (K).
2. Les ampoules ou les tubes doivent être protégés par un déflecteur ou un cache, évitant à la personne de toucher l’ampoule.
3. L’éclairement idéal est la combinaison entre un éclairage ambiant indirect (fluocompact), réfléchi par les murs ou le plafond, et un éclairage ponctuel (halogène) ou étendu (fluo), sur la tâche à accomplir.
4. Les interrupteurs, les nez de marche, l’entourage des portes et leur poignées, la robinetterie doivent être bordés d’un cadre contrasté, plus facile à localiser.
5. L’intérieur des placards, armoires, penderies nécessite l’installation d’un éclairage (LED) par cellule photoélectrique.

Protection oculaire –filtres et supports de filtres

Définition et rôle des filtres

Ce sont des matériaux spécifiques capables d’atténuer et de modifier la distribution spectrale de la lumière. On distingue deux familles de filtres ophtalmiques. Les filtres neutres (par exemple brun, gris) atténuent globalement l’ensemble du spectre visible.

Les filtres sélectifs (dans la problématique basse vision, de couleur jaune, orangé, brun, rouge) arrêtent les longueurs d’ondes bleu violet.

Le rôle des filtres chromatiques est triple. Par ordre de priorité, ils doivent compléter la protection naturelle des milieux transparents de l’oeil à l’égard des UV et de la longueur d’onde bleue, optimiser les contrastes et limiter l’éblouissement. Dans ce sens, contraste et éblouissement revêtent pour chaque malvoyant une importance propre.

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Fig.11-11 Filtres chromatiques « basse vision ».

Pourquoi arrêter les courtes longueurs d’onde ?

La protection à la lumière bleue, frontière du spectre visible, est imposée par la forte quantité d’énergie véhiculée par ces longueurs d’ondes, leurs conférant une capacité phototraumatisante, supérieure à toutes les autres. L’intégrité du tissu rétinien, fragilisé par une pathologie, doit être préservée de cette agression, à la fois par les propriétés absorbantes des matériaux, un renforcement du traitement spécifique anti-UV des oculaires utilisés et le port de montures couvrantes.

Pourquoi favoriser la perception des contrastes ?

L’optimisation des contrastes donne du « piqué » à l’image rétinienne et facilite la perception de l’espace environnemental (trottoirs, descentes d’escalier, différences de couleurs au sol, affirmation des silhouettes, etc.). C’est la couleur du filtre, et non la spécificité du matériau, qui apporte cette amélioration, différemment ressentie selon les sujets. Seuls les essais au porté valident le choix final. Il ne semble pas encore possible aujourd’hui d’associer, arbitrairement, une couleur avec une pathologie, l’âge, le sexe ou les antécédents géographiques ou oculaires.

Pourquoi limiter l’éblouissement ?

L’éblouissement est le plus souvent synonyme de stress permanent pour la personne malvoyante, non protégée. Cette agression physique est particulièrement ressentie lors des passages ombre/ lumière, des changements de luminosité (météo, saisons) et de la réverbération sur les sols ou parois réfléchissants. Le traumatisme discontinu ainsi subit, par l’ensemble des cellules rétiniennes, entraîne une perception tronquée des informations visuelles reçues.

Comment choisir le bon filtre ?

Ce processus fait partie intégrante du bilan optique mené par l’opticien spécialisé. Il consiste à rechercher le filtre le plus clair, à port permanent, qui remplacera les lunettes blanches habituellement portées et repose sur la comparaison de la sensibilité aux contrastes avec et sans filtres. Le sujet, muni de la correction vision de loin (VL) optimisée, observe un test d’acuité, présenté sous différents niveaux de contraste. Le filtre retenu, lors de ces essais en statique, est ensuite testé en dynamique à l’extérieur (lumière naturelle) et à l’intérieur (lumière artificielle).

En cas de forte photophobie, signalée par le patient et confirmée lors de l’examen, un deuxième filtre, de classe 3 ou 4, doit venir en complément du choix précédent. Notons qu’il est parfois indispensable d’utiliser un filtre clair, jaune ou orangé, en vision proximale, lors du travail sur agrandisseur, ordinateur ou pour un ouvrage tenu en main. Cette solution permet d’atténuer, selon la sensibilité propre du sujet, les agressions lumineuses dues à l’écran, comme celles provenant de l’éclairage ambiant ou ponctuel en lecture papier.

Les différents types de filtres

Deux types d’équipements permettent de répondre avec justesse aux contraintes lumineuses supportées par la personne malvoyante:
– soit deux lunettes (par exemple jaune orangé classe 1 en port permanent et brun classe 3 ou 4 par forte luminosité);
– soit le rajout d’un face supplémentaire relevable ou de sur-lunettes foncées, posés devant les lunettes à filtres clairs.

Constantes cliniques

Malgré notre connaissance plus fine des pathologies rétiniennes, de leurs conséquences sur le confort visuel et les différents travaux sur l’utilisation des verres filtrants en basse vision, le choix de ces derniers demeure encore aujourd’hui expérimental et empirique. On peut toutefois dégager, de la pratique quotidienne dans ce domaine, les constatations suivantes :
– la couleur retenue au cours du premier essai est dans la majorité des cas la définitive ;
– le malvoyant est capable d’une discrimination extrêmement fine entre deux filtres qui se suivent spectralement ;
– la couleur choisie est invariable dans le temps et indépendante de l’évolution de la pathologie.

Supports de filtres utilisés en basse vision

Il existe plusieurs montures de lunettes destinées à supporter les filtres décrits :
– les montures standard à branches fines sont proposées en cas de faible photophobie. Elles porteront, principalement, des filtres clairs. Il est recommandé de les associer, lors des sorties à l’extérieur, avec une casquette ou une visière ;
– les montures « englobantes » à branches larges doivent stopper toute entrée de lumière incidente, latérale ou supérieure (Fig.11-12). Elles seront le support des filtres foncés mais également plus clairs, selon la gêne ressentie ;
– les faces supplémentaires ou clips, fixes ou relevables, se révèlent souvent difficiles à manipuler par la personne malvoyante.

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Fig.11-12 Lunettes coques à branches larges (Fitovers®).

Qualité de l’image rétinienne – optimiser et grossir

Le choix d’une aide visuelle dépend de la qualité de la mesure des capacités visuelles restantes, le sujet étant totalement emmétropisé, déterminées par une réfraction subjective spécifique basse vision.

C’est la dernière des trois étapes suivantes de prise en charge d’une personne malvoyante, par l’opticien spécialisé, afin de lui permettre d’optimiser son autonomie au quotidien :
– étape 1 : protéger la rétine, par le biais de filtres chromatiques sélectifs ;
– étape 2 : mettre au point sur la rétine une image de l’espace visuel la plus nette possible ;
– étape 3 : grandir cette image, au moyen des systèmes optiques et/ou électroniques.

Prérequis à l’utilisation d’une aide visuelle

Toutes les tâches exécutées en vision rapprochée doivent bénéficier d’un environnement lumineux dédié. Soit le matériel dispose d’un éclairage intégré, soit une source lumineuse additive est orientée sur le document ou l’objet tenu. L’intensité de la lumière diffusée, le bon choix de la température de couleur et la position du luminaire influent sur la qualité de l’image rétinienne, le contraste et la netteté des caractères lus, tout en stimulant la vitesse de lecture et l’endurance visuelle.

Le travail avec une aide visuelle nécessite, également, de prendre en compte le confort postural. L’utilisation d’un pupitre, que l’on peut placer sur une table ou sur les genoux, assis dans un fauteuil, permet d’y faire reposer certaines loupes, limitant la fatigabilité de préhension et les tremblements, et de conserver la mise au point, avec les systèmes grossissants sur lunettes.

L’éclairement de la pièce doit être de préférence indirect. En vision de près, les sources de reflets parasites (par exemple fenêtres, éclairages plafond) sur le texte ou les oculaires des loupes, non traitées antireflets, doivent être identifiées et évitées.

Aides visuelles et activités

On distingue plusieurs domaines d’activités, privées, scolaires ou professionnelles, pour lesquelles les aides visuelles peuvent être conseillées, à l’enfant comme à l’adulte, en vision d’observation lointaine, intermédiaire et dans le travail de près – il ne faut jamais oublier qu’un malvoyant est mal voyant du lever au coucher.

Aides en vision de loin

À l’extérieur, en vision de loin dynamique

Seules de petites longue-vues, appelées « monoculaires Kepler », permettent la prise d’informations ponctuelle, de 40 cm à l’infini (affichages des prix dans une vitrine, horaires en gare, nom des rues, direction, lecture au tableau, digicodes, etc.). Bien en place dans le poing serré, ces systèmes nécessitent un apprentissage de parfaite manipulation et d’utilisation, sous la conduite d’un instructeur en locomotion.

À l’intérieur, en vision de loin statique

Cela concerne toutes les activités d’observation pour lesquelles la personne est immobile, stabilisée, devant une cible en mouvement (télévision, cinéma, théâtre, enceinte sportive, etc.). La distance d’observation étant finie, le besoin de grossissement demeure plus faible, ce qui induit plus de champ et de luminosité. On utilise, dans ce cas, des systèmes binoculaires type jumelle de théâtre, ou fixés sur une monture de lunettes et dont le grossissement est compris entre 2,5 et 4 fois.

Aides en vision de près

À l’extérieur

Pour prendre, à l’extérieur, des informations proches et ponctuelles (lire un plan, vérifier la date de péremption d’un produit, sa composition, son prix, ou contrôler le rendu de monnaie, etc.), les petites loupes éclairantes à main (à éclairage LED), se logent très facilement dans la poche ou le sac à main (Fig.11-13).

Le grossissement d’une loupe est fonction des capacités accommodatives restantes de l’utilisateur. Dans le cas des personnes âgées malvoyantes, les réserves accommodatives ne pouvant s’ajouter à la puissance nominale de la loupe, les opticiens, par convention, définissent le grossissement nécessaire comme le rapport de la puissance intrinsèque (P) divisé par 4 et utilisent pour désigner une loupe sa puissance exprimée en dioptries.

Pour la prise en main de ces loupes, il est recommandé, en particulier pour des grossissements supérieurs à 4 fois, d’apprendre au sujet à tenir la loupe près de l’oeil, collée au verre de lunettes ou placée contre l’arcade sourcilière et de rapprocher le texte ou l’objet à observer. Le grossissement de la loupe et le champ visuel sont maximaux quand l’objet est placé au rémotum de l’oeil.

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Fig.11-13 Loupe éclairante à main.

À l’intérieur
Lunettes à sur-addition, verres loupes ou systèmes microscopiques

Dans les cas de malvoyance débutante et si les capacités visuelles le permettent, des lunettes munies de verres, associant la correction de loin à une forte addition de près « grossissante », vont permettre de retrouver des lectures devenues fatigantes, voire impossibles, avec les lunettes de vision de « près » classiques.

L’avantage de ces appareillages est de pouvoir les emmener partout, à condition de bénéficier d’une source lumineuse additive et localisée. Leurs inconvénients sont au nombre de deux :
– les distances de travail courtes obtenues nécessitent, de la part du porteur, un changement de ses habitudes de travail en vision rapprochée et une concentration accrue sur la tâche à accomplir, dépendante de l’amplitude d’accommodation restante ;
– quel que soit le système, leur montage dans une monture de lunettes exige un centrage pleine pupille des plus précis, une distance verre–oeil variable en fonction du système choisi, une adaptation et une tenue parfaite de la monture sur le visage.

Loupes éclairantes ou auto-éclairantes

Si ces « verres loupes » sur monture ne conviennent pas (champ, distance de travail, fatigabilité) pour effectuer des lectures courtes ou des prises d’informations ponctuelles, il faut passer à l’essai de loupes éclairantes « à poser ». Ces systèmes, dont le rendu lumineux est proche de la lumière du jour et la mise au point fixe, donnent un excellent confort de lecture. Selon les habitudes, il est possible soit de lire à plat sur une table, soit d’utiliser un pupitre, gage d’un bon confort postural. Les grossissements proposés sont identiques à ceux des loupes éclairantes à main.

Toute observation au travers d’une loupe éclairante, quel qu’en soit le type, doit s’effectuer avec la correction vision de près, déterminée lors de la réfraction.

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Fig.11-14 Loupe à fond clair, auto-éclairante.

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Fig.11-15 Loupe éclairante à poser.

Système télescopiques

Ces systèmes se composent d’un système de Galilée afocal, sur lequel on clipse, devant l’objectif, un verre convergent, appelé bonnette. Cet assemblage, monté sur des lunettes, doit impérativement insérer la correction VL, emmétropisante. Ils permettent, selon l’étendue du scotome central, à la fois de doubler les capacités en vision de loin et de grossir les caractères de près. Aujourd’hui, avec la concurrence des aides électroniques, ces systèmes sont principalement utilisés pour optimiser les capacités de loin, au cours de la réfraction basse vision.

Systèmes électroniques

Ces systèmes sont mis en place lorsque l’utilisation d’un appareillage optique se révèle soit trop limitatif en champ (par exemple scotome central étendu), soit difficile à manipuler (distance de travail courte, tremblements, difficultés de préhension, éclairage insuffisant). Disposant de différentes tailles d’écrans, ils bénéficient de multiples fonctionnalités (caméra couleur, contraste négatif, autofocus, grossissements modulables, mode photo). On distingue:
– les loupes électroniques portatives, utilisées pour les petits modèles (5″) comme une loupe éclairante à main, lors d’observations ponctuelles (prix, etc.). Les modèles en 7″, aussi facilement transportables qu’une tablette, peuvent servir à des lectures plus longues. Elles se rechargent sur le secteur (Fig.11-16) ;
– les agrandisseurs électroniques, posés sur un plan de travail, se composent d’un écran vertical, allant de 17 à 24″, placé au-dessus d’un plateau (XY), mobile dans toutes les directions, sur lequel l’ouvrage à lire est posé (Fig.11-17). La caméra couleur est située derrière l’écran. Il faut donc, à la fois, regarder sur l’écran le texte grossi et déplacer le plateau XY, manuellement, de gauche à droite et d’avant en arrière pour faire défiler le texte. Cette manipulation, dissociant l’oeil de la main, impose impérativement des soins rééducatifs basse vision (Fig.11-18).

Le tableau  11-1 récapitule les recommandations.

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Tableau. 11-1 Les différentes aides optiques et non optiques en fonction des activités

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Fig.11-16 Loupe électronique.

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Fig.11-17 Agrandisseur électronique.

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Fig.11-18 Bilan optique « basse vision ».

Conclusion

L’aide technique optique et non optique, destinée au patient malvoyant, reste un outil complémentaire des soins rééducatifs. Le choix d’une aide technique est l’apanage de l’opticien spécialisé. Mais son introduction dans le processus de réadaptation est gérée par l’orthoptiste. Les deux « O » oeuvrent, collégialement, chacun dans son champ, sous l’autorité de l’ophtalmologiste, pour accompagner dans sa globalité la personne malvoyante dans sa quête d’une meilleure autonomie.

BIBLIOGRAPHIE

Association Française de l’Éclairage. Vision et ergonomie visuelle. Lux ; 2009.
Bonnac JP, Mur J. Correction optique des amblyopes. La Revue d’Optique Théorique et Instrumentale ; 1967.
Corbé C, Menu JP, Chaine G. Traité d’optique physiologique et clinique. Paris : Doin ; 1999.
Damelincourt JJ, Zissis G, Corbé C, Paule B. Éclairage d’intérieur et ambiances visuelles. Cachan : Lavoisier, nov.2010.
Génicot R. Déficience visuelle, aspects perceptifs. In : Rondal JA (Ed). Manuel de psychologie des handicaps : sémiologie et principes de remédiation. Bruxelles : Mardaga ; 2001.
Kovarski C. La malvoyance chez l’adulte : la comprendre, la vivre mieux. Paris : Vuibert ; 2007.
Les Cahiers d’Optique Oculaire « Basse vision Pratique ». Essilor Academy ; 2013.
Von Rohr M. Introduction à la théorie des verres correcteurs. Trad. fr. Dufour M. 1922.

3 – Stratégies de réadaptation en locomotion

F. Bonnet- Macaes, L. Desbordes, M. Sternis, G. Guillot, I . Buissard, M. Gauthier

Définitions

La locomotion (orientation and mobility) est la discipline qui se donne pour but l’acquisition, le maintien ou l’amélioration de l’autonomie de déplacement chez les personnes atteintes de déficience visuelle, et ce dans les meilleures conditions possibles de sécurité et de confort.

Elle regroupe : le travail d’intervention clinique auprès des enfants, adultes et personnes âgées ayant une déficience visuelle afin de leur permettre de développer les moyens de cette autonomie, d’en acquérir les habiletés et les outils ; le conseil technique et la promotion de l’accessibilité des lieux intérieurs et extérieurs ; les démarches de recherche et développement visant à étudier, améliorer ou encourager le déplacement des personnes en situation de handicap visuel.

Contexte

Historique

Le concept et les premiers programmes d’orientation and mobility ont été développés aux États-Unis dans les années 1950. Ils se sont ensuite répandus dans la quasi-totalité des pays industrialisés, avec la formation de spécialistes en orientation et mobilité.

Sur l’impulsion du Dr Claude Chambet, les premiers instructeurs de locomotion français ont été formés en 1967.

Les professionnels

En France, compte tenu de l’organisation sanitaire et sociale, l’option a été retenue de s’appuyer sur les compétences des professionnels du handicap et de les renforcer par les indispensables connaissances théoriques et techniques propres à la déficience visuelle et à la locomotion. La formation d’instructeur de locomotion est donc une formation complémentaire, actuellement sanctionnée par un certificat du Ministère de la santé et des affaires sociales et accessible à certains professionnels issus du domaine paramédical, du sport adapté ou de l’éducation spécialisée.

Lieux et organisation

L’accès à une évaluation, puis si nécessaire à une rééducation, une réadaptation et/ou un accompagnement en locomotion doit être possible pour toute personne éprouvant une gêne dans ses déplacements occasionnée par un problème visuel.

Cette intervention peut donc être proposée à tout âge de la vie, et dans tous les dispositifs d’éducation, d’accompagnement, de réadaptation et de réinsertion des personnes, ainsi que dans les réseaux de soins. Elle est adaptée à toutes les difficultés ou handicaps associés. Elle peut être réalisée sur prescription médicale.

Pluridisciplinarité

La locomotion est une discipline transversale ; elle s’appuie donc sur des données ou des prérequis propres à d’autres domaines d’intervention. Le travail en équipe ou en réseau est fondamental pour mener à bien la démarche d’accompagnement vers l’autonomie.

Le spécialiste cherche aussi à ce que la personne et son entourage soient les premiers partenaires dans la définition d’un projet de soin ou d’accompagnement en locomotion.

Principes et éléments de l’intervention en locomotion

Plusieurs éléments entrent en jeu de façon dynamique dans l’intervention en locomotion.

Fonctions sensorielles

L’utilisation optimale de la vision fonctionnelle sous tous ses aspects est mise en oeuvre dans les déplacements : acuité visuelle et discrimination, champ visuel et exploration visuelle, sensibilité au contraste, gestion des conditions lumineuses et de l’éblouissement, etc. L’analyse et la représentation spatiale s’appuient en outre sur le patrimoine visuel de la personne, qu’il convient de savoir développer ou potentialiser (Fig.11-19).

L’audition est le premier sens compensatoire. Elle permet la détection, la sélection, l’identification et la localisation de sources sonores, mais aussi la perception des structures environnantes via les sons réfléchis (on parle de « sens des masses » et d’« écholocation »). Son développement et son utilisation prennent une place primordiale dans la réadaptation, tant sur le plan de l’analyse que de la mobilité (alignement auditif, etc.) et de la sécurité (traversées, etc.).

Le toucher, mis en oeuvre de façon directe et/ou indirecte (toucher instrumental via la canne longue), concerne la main mais aussi le pied. Il est sollicité pour la détection, l’orientation, et permet la reconnaissance d’objets et de textures, la manipulation des plans et maquettes, etc.

Les différentes perceptions kinesthésiques et proprioceptives fournissent des informations indispensables sur la position spatiale et sur les mouvements induits par l’environnement. Elles permettent également l’orientation et la manipulation adéquate des aides et outils.

L’olfaction apporte des éléments de reconnaissance et d’identification de l’environnement. Elle est stimulée et utilisée avec toutes les réserves relatives à sa variabilité.

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Fig.11-19 Exercice de représentation mentale sur maquette.

Fonctions cognitives et psychoaffectives

La mise en oeuvre des fonctions cognitives est au coeur de la démarche de réadaptation. La tâche de déplacement, du fait de sa complexité, requiert des capacités de traitement de l’information, d’intégration multisensorielle, d’analyse, de représentation mentale, de mémoire et d’attention. Elle sollicite toutes les fonctions exécutives de la personne (Fig.11-20).

En situation de déplacement, le handicap visuel est ressenti intensément par la personne. Il est vécu à l’extérieur, aux yeux des autres. L’implication de la personne dans une réadaptation en locomotion sollicite et développe sa confiance en elle-même et en les autres, l’estimation de ses capacités et limites, ses habiletés sociales et relationnelles, etc. L’instructeur de locomotion participe donc de fait au cheminement psychologique de la personne.

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Fig.11-20 Optimisation de la vision fonctionnelle.

Techniques et stratégies de locomotion

Les techniques et stratégies spécifiques sont conçues pour gérer les situations de handicap en termes de déplacement rencontrées par les personnes aveugles et malvoyantes. Elles permettent notamment : de favoriser la sécurité physique par rapport aux obstacles et aux dénivelés, à l’intérieur comme à l’extérieur, avec ou sans aides, en fonction des situations et des besoins ; de franchir des intersections ; de prendre des repères ; de réaliser des trajets connus et/ou inconnus ; d’utiliser les transports en commun ; de gérer les espaces et situations atypiques (places, campagne, nuit, foule) ; de savoir demander de l’aide à bon escient, etc.

Outils, aides techniques et aides animalières spécialisées

Différents outils spécifiques peuvent être utiles en fonction des situations individuelles :
– les aides optiques : systèmes grossissants en vision de loin, verres filtrants, prismes, etc. (Fig.11-21) ;
– les aides auditives si nécessaire : prothèses auditives, implants, etc. ;
– les aides à la mobilité : cannes de signalement, cannes d’appui, canne longue de détection, autres aides types fauteuils ou déambulateurs. Souvent associée à la déficience visuelle et à la locomotion, la canne blanche n’est donc ni systématique ni suffisante. Son attribution correspond à des critères précis évalués en locomotion (Fig.11-22) ;
– les outils technologiques : GPS, systèmes optroniques, applications dédiées, etc. ;
– les chiens guides : ceux-ci sont remis dans le cadre de programmes définis et organisés par des écoles de chiens guides à des personnes ayant déjà une autonomie de base dans leurs déplacements quotidiens et désirant évoluer vers plus de confort et de fluidité ;
– les outils d’aide à la représentation mentale : plans, maquettes, systèmes miniatures, etc.

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Fig.11-21 Utilisation du monoculaire.

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Fig.11-22 Utilisation de la canne longue de détection.

Mise en oeuvre de la réadaptation

Évaluation

L’ensemble des besoins et des capacités en locomotion doivent donner lieu à une évaluation complète, comprenant : une collecte d’informations médicales, paramédicales et sociales concernant la personne ; un entretien approfondi permettant l’expression des besoins et motivations de la personne ; et une évaluation fonctionnelle s’appuyant sur des tests spécifiques (champ visuel au sol, évaluation de la localisation auditive, etc.) ainsi que sur une ou plusieurs mises en situation écologiques.

Éducation, rééducation-réadaptation ou accompagnement

Quel que soit son contexte, l’intervention en locomotion propose, de manière adaptée à la personne et en cohérence avec son projet global :
– la définition d’un projet, qui sera régulièrement réévalué et devra évoluer ;
– la mise en oeuvre de celui-ci : les différents éléments présentés plus haut sont travaillés avec la personne par le biais de mises en situation, en salle ou à l’extérieur, en milieu aménagé ou, le plus souvent, en milieu réel. Ces dernières sont élaborées et proposées dans un souci constant de sécurité et d’efficacité. Elles évoluent vers une complexité croissante, et vers une prise d’autonomie progressive (Fig.11-23). Le spécialiste peut être amené à augmenter sa distance physique en fonction des capacités de la personne. Elles permettent la répétition et la pratique afin de développer des habiletés fiables, transposables et d’enrichir le patrimoine de situations maîtrisées par la personne ;
– la mise en application, la transposition et la réinsertion : la mise en place des techniques et stratégies dans le quotidien de la personne, ainsi que la découverte de situations nouvelles peuvent être réalisées, selon les cas, de façon autonome ou avec accompagnement. L’intervention en locomotion a donc aussi sa place dans les situations fonctionnelles. Le cas échéant, il est primordial de pouvoir mener une sensibilisation et transmettre les bonnes pratiques à son entourage (famille, milieu professionnel, scolaire, services d’aide, etc.).

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Fig.11-23 Réalisation sur plaque aimantée de la représentation d’un trajet.

Pistes d’avenir

La réadaptation en locomotion, à partir de ses principes et éléments fondateurs, a évolué en intégrant des dimensions nouvelles : progrès technologiques, médicaux ou des neurosciences, nouvelles réglementations, etc. Elle doit continuer à s’adapter à ces mutations, aux défis et réalités de la déficience visuelle de demain : participer aux conditions de l’autonomie des personnes de grand âge, développer la réadaptation de patients porteurs d’implants rétiniens, penser la mobilité face aux évolutions environnementales ou des modes de transport, etc.

POUR EN SAVOIR PLUS

Blasch B, Welsh R, Wiener W (Eds). Foundations of orientation and mobilty. 3rd ed. Vol. 2 : Instructional Strategies and Practical Applications. NewYork : AFB Press ; 2010.
Buissard I. La locomotion : un savoir-faire, un savoir être au service des personnes déficientes visuelles. Revue Francophone d’Orthoptie 2014 ; 7(2) : 138-40.
Cierco M, Joyeau N. La locomotion permet de retrouver ou d’acquérir l’autonomie dans les déplacements. Bulletin Ariba 2002 ; 9 : 9-14.
Macaes F. Voir pour se déplacer, exemples et réflexions sur un travail pluridisciplinaire. Bulletin Ariba 2007 ; 18 : 7-10.
Masson E. Locomotion et malvoyance. In : Abc basse vision, actes du 4e congrès international Ariba, Nantes, 2002. Paris : Octopus Multimédia; 2002. Chap. 15.

4 – Éducation, rééducation, réadaptation en activités de la vie journalière

C. Morel - Méry

Conditions d’intervention

L’instructeur en autonomie de la vie journalière (AVJ) intervient, le plus souvent au sein d’une équipe pluridisciplinaire, pour aider les personnes déficientes visuelles à développer leurs compétences pratiques dans tous les actes courants, retrouver confiance en leurs capacités, gérer leur vie quotidienne, et conquérir ou reconquérir leur autonomie personnelle et, par là même, leur dignité. Il intervient auprès des personnes déficientes visuelles pour l’aider à comprendre les nouveaux repères, les nouvelles aides techniques utilisées, pour l’aider à adapter son comportement, ou de leur famille et des aidants (auxiliaires de vie, auxiliaires de vie scolaire, etc.) pour les soutenir dans leur comportement et apporter une aide efficace et adaptée.

Les instructeurs en AVJ peuvent intervenir seuls, ou au sein d’établissements spécialisés pour enfants et adolescents, de services d’accompagnement pour enfants (SAFEP3, SAAAS, etc.) de services d’accompagnement pour adultes (SAMSAH, SAVS, structure d’accompagnement des élèves déficients visuels [SAEDV], etc.), de services de soins de suite et de réadaptation, de structures pour personnes âgées, etc.

Son domaine d’intervention concerne la catégorie « activités et participation » de la Classification internationale du handicap CIH 2 [1], elle-même déclinée en 9 sous-catégories :
– apprentissage et application des connaissances ;
– tâches et exigences générales ;
– communication (téléphoner, écrire, signer, gérer ses rendez-vous, reconnaître son argent, etc.) ;
– mobilité ;
– entretien personnel (reconnaître ses vêtements, faire sa toilette – se maquiller, se raser, se coiffer, reconnaître ses médicaments, prendre ses repas – se verser à boire, se servir, couper la viande, etc.) ;
– activités domestiques (faire le lit, le ménage, ranger, entretenir ses vêtements, laver, repasser, coudre, préparer les repas, jardiner, etc. ;
– activités et relations avec autrui (jouer à des jeux de société, faire ses courses, aller au restaurant, etc.) ;
– grands domaines de la vie ;
– vie communautaire, sociale et civique.

Stratégies de réadaptation

Vision fonctionnelle et sens compensatoires

Les instructeurs en AVJ tiennent compte des possibilités visuelles conservées et aident par des exercices spécifiques au développement et à la sollicitation des sens de compensation : le toucher, l’audition, l’odorat, le goût. Ils accompagnent les personnes dans la maîtrise et l’apprentissage gestuels, les gestes quotidiens, l’appropriation de techniques gestuelles et comportementales appropriées (Fig.11-24 à 11-28 et eFig. 11-1 à 11-4). Ils apportent des conseils et aident à l’apprentissage d’aides techniques et informatiques (Fig.11-29), l’apprentissage du clavier, de raccourcis clavier et de logiciels d’agrandissement, de matériels de vie quotidienne (eFig. 11-5), d’aides optiques utilisées en AVJ (Fig.11-30).

Ils aident aussi à l’aménagement d’un environnement matériel facilitant avec des repères tactiles et/ou visuels photos (eFig. 11-6 et 11-7), un éclairage adapté, des contrastes, etc. (eFig. 11-8 à 11-10).

Il est important de connaître la vision qui est fonctionnelle, de l’optimiser et donc d’être en lien avec l’ophtalmologiste, l’orthoptiste, le rééducateur en vision fonctionnelle, l’instructeur en locomotion.

Il faut aussi tenir compte des situations d’éblouissement, des perturbations dans la vision des couleurs, des aides optiques utilisées ou en cours d’apprentissage.

3 Voir la liste des abréviations en début de livre pour les sigles utilisés non développés.

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Fig.11-24 Couper une pomme, repères tactiles.

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Fig.11-25 Éplucher.

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Fig.11-26 Maîtrise gestuelle.

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Fig.11-27 Plier des vêtements.

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Fig.11-28 Rouler de la pâte, apprentissage gestuel.

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Fig.11-29 Adaptation du contraste d’un ordinateur.

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Fig.11-30 Loupe électronique utilisée dans un magasin.

Spécificités de l’enfant

L’enfant est un être en devenir. Alors que l’adulte peut s’appuyer sur son patrimoine visuel, ses acquis gestuels, ses apprentissages, ses connaissances, l’enfant va devoir apprendre tous les gestes de la vie quotidienne en étant privé partiellement ou totalement de la vision. Il est important d’évaluer son patrimoine visuel qui peut être pauvre ou incomplet. L’enfant non voyant ou malvoyant ne pourra pas apprendre par mimétisme. Les enfants ayant des possibilités visuelles doivent apprendre à donner un sens à ce qu’ils perçoivent, avec des informations visuelles aussi faibles soient-elles (Fig.11-31 et 11-32).

La qualité de ce que l’on voit n’a pas autant d’importance que la signification de ce qui est perçu.

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Fig.11-31 Observation visuelle.

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Fig.11-32 Reconnaître des fruits, repères tactiles.

Techniques d’AVJ :éducation, rééducation

Les techniques d’AVJ poursuivent deux objectifs :
– la rééducation des gestes quotidiens pour assurer l’autonomie et la sécurité du patient ;
– le développement d’activités pour exercer les possibilités visuelles, les sens compensatoires et le développement cognitif.

Les axes de travail sont choisis selon le projet, les besoins et les désirs exprimés, en restant réaliste sur ces projets. Les techniques d’AVJ développent, en situation réelle, les différents sens, l’habileté gestuelle, les capacités organisationnelles, l’anticipation. Ces « façons de faire » ou « stratégies gestuelles » s’appuient sur les compensations sensorielles (visuelles ou non), la mémoire visuelle et gestuelle ainsi que la représentation mentale. Ces méthodes pratiques donnent des repères, augmentent l’efficacité, la sécurité et le confort. Elles permettent de redonner confiance. L’accompagnement pour ces apprentissages peut être long, demande l’adhésion complète de la personne et suppose un cheminement psychologique suffisant.

L’apprentissage utilise comme support la verbalisation (termes précis, bien compris, en faisant attention au verbalisme) et le guidage manuel de certains gestes et des mouvements (Fig.11-33 et e eFig. 11-11 et 11-12).

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Fig.11-33 Râper des légumes, gestes guidés.

Nouveaux apprentissages

La personne déficiente visuelle va apprendre des manières de faire différentes, en fonction de ses possibilités visuelles, de ses motivations, de son lieu de vie, de ses besoins en général.

Certaines activités ne modifient pas des gestes anciens, dans le cas d’adultes qui deviennent déficients visuels ; par exemple composer un numéro de téléphone, se laver, repasser des torchons sur planche, etc.

Certaines activités demandent en revanche des techniques complexes et des changements importants des habitudes ; par exemple balayer, passer l’aspirateur, reconnaître des pièces et des billets avec des prises de repères tactiles qui font appel au toucher fin et à la mémorisation, gérer un porte-monnaie dans un magasin (eFig. 11-13), prendre de nouveaux repères plus ou moins complexes pour les repas (eFig. 11-14), verser un liquide chaud, s’habiller, coudre, etc.

Mises en situation

L’instructeur en AVJ va travailler dans des situations concrètes, avec des objets réels. Ces mises en situations proposées sont indispensables pour l’enfant déficient visuel qui, grâce à elles, va pouvoir enrichir son patrimoine visuel (s’il a des possibilités visuelles) et/ou son patrimoine de représentation mentale (s’il est non voyant) (eFig. 11-15).

Le travail à domicile permet d’observer les habitudes de vie et les stratégies déjà mises en place, de favoriser les apprentissages en situation, d’échanger avec la famille et les aidants et d’intervenir si nécessaire sur l’environnement matériel (agencement, marquage, éclairage, etc.).

Pour aider un proche déficient visuel à adapter son intérieur, avant toute modification toujours déstabilisante, il faut observer la façon dont il s’est adapté à son environnement, privilégier les aménagements que la personne déficiente visuelle a trouvés, faire les choses par étape et laisser le temps à la personne de se les approprier, etc.

Aides techniques

Aides techniques de valorisation des possibilités visuelles

L’instructeur en AVJ peut s’appuyer sur des aides techniques qui donnent du contraste ou des informations contrastées : plans de travail contrastés, gommettes de couleur, horloges, montres, réveils ou téléphones à gros caractères, jeux de société, agendas, magazines, livres à caractères agrandis, contrastés ou tactiles, etc. (eFig. 11-16 à 11-19).

Il doit mettre en situation le patient équipé des aides optiques (Fig.11-34) ou électro-optiques qui lui ont été prescrites, et évaluer les aides techniques qui apportent un éclairage adapté (eFig. 11-20), luttent contre l’éblouissement (eFig. 11-21) ou permettent un rapprochement (Fig.11-35) : pupitres, porte-copie, simple boîte pour surélever.

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Fig.11-34 Monoculaire.

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Fig.11-35 Plan incliné avec une lampe.

Aides techniques de suppléance de la fonction visuelle

L’instructeur en AVJ peut également proposer des aides techniques qui utilisent les sens compensatoires (tactile, relief, braille, sons). On peut citer par exemple l’anti-monte-lait, le sépare-oeuf et le bouchon doseur (eFig. 11-22 et 11-23), les instruments parlants (montres, pèses-personne, chargeur de piles, mètres parlant), l’aiguille à chas ouvert, l’enfile-aiguille, les montres tactiles, les mètres menuisier, les guides-main à fenêtres pour écrire, remplir des chèques, le marquage par des points en relief des appareils électroménager.

Les avéjistes peuvent aussi utiliser le braille et les aides techniques qui sont propres à ce mode de communication (Fig.11-36 et eFig.11-24).

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Fig.11-36 Ordinateur avec plage Braille.

Conclusion

L’instructeur en AVJ est souvent déterminant dans la réhabilitation des déficients visuels au quotidien. Il a la charge de faire appliquer au quotidien par le patient toutes les stratégies psychologiques, optiques, de locomotion, de communication qui lui ont été proposées. Il intervient à la fois en institution et au domicile du patient.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  WHO/EIP/GPE/CAS/ICIDH-2 FI/01.1.

POUR EN SAVOIR PLUS

Holzschuch C, Allaire C, Bertholet L, et al. Quand la malvoyance s’installe. Guide pratique à l’usage des adultes et de leur entourage. INPES. http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/ pdf/1161.pdf
Holzschuch C, Mourey F, Manière D. Gériatrie et basse vision. Pratiques interdisciplinaires. Paris : Masson ; 2002.
Almendros C, Heyraud J. Accompagnement au quotidien des personnes déficientes visuelles. Paris : Trames ; 2013.

5 – Stratégies en outils de communication
La lecture : Approche oculomotrice, Importance de la vergence

Z. Kapoula, A. Morize

Motricité oculaire –aspects cognitifs

La lecture, activité multisensorielle complexe, implique à la fois la vision, l’oculomotricité, le contrôle moteur de la tête et du corps, l’audition, la phonologie et les processus supérieurs du traitement du langage. Sa compréhension nécessite une recherche intégrative, multisensorielle. La lecture est cruciale pour les apprentissages scolaires de l’enfant, son développement cognitif et professionnel, mais aussi pour le maintien des facultés cognitives au cours du vieillissement.

La lecture commence par la vision et la vision est imbriquée avec la motricité oculaire : une succession de saccades oculaires permet au lecteur de fixer presque chaque mot. La saccade oculaire est très rapide, le mouvement le plus rapide du corps humain ; le traitement visuel se fait alors que les yeux sont en fixation. L’amplitude moyenne des saccades est d’environ 7 à 9 lettres, ce qui correspond à 2 ou 3 degrés, alors que les mots courts comme les articles sont le plus souvent sautés ; ces derniers peuvent être traités en vision périphérique. Occasionnellement, pour une fréquence qui représente environ 12 % des saccades chez les normo-lecteurs, de courtes saccades vers l’arrière sont aussi produites, les saccades de régression, dont les amplitudes sont plus faibles (environ 4 lettres).

La saccade de la lecture étant faible en amplitude, elle s’exécute en moins de 50 ms, n’occupe qu’environ 10 % du temps de la lecture, 90 % du temps étant alloué à la fixation ; la durée moyenne de fixation est de 250 ms. Ce comportement oculomoteur, saccades et fixations, quasi automatique, est le produit d’un apprentissage à plusieurs niveaux, ses paramètres étant dictés à la fois par la physiologie oculomotrice et par les processus cognitifs de la lecture [1].

Contrôle 3D des mouvements des yeux – saccades et vergences

Un aspect plutôt négligé est le caractère tridimensionnel du contrôle oculomoteur requis par la lecture. D’apparence simple, la lecture exige toutefois un contrôle oculomoteur binoculaire et en 3 dimensions, à savoir horizontal, vertical et en profondeur.

En effet, pendant la lecture, les yeux doivent effectuer des saccades de gauche à droite, puis une saccade oblique (à gauche et vers le bas) pour passer à la ligne suivante et simultanément maintenir l’angle de vergence des axes optiques et l’accommodation stables. Vergence et accommodation doivent être ajustées à la profondeur à laquelle se situe le support de la lecture (livre ou écran) ; faute de quoi, une vision double ou floue peut survenir, nuisant à la lecture. De surcroît, les saccades doivent être bien accordées pour les deux yeux de façon à ce que la ligne de regard de chaque oeil atterrisse sur la même lettre, afin d’obtenir une vision unie du mot.

Ainsi, la coordination binoculaire de la saccade est capitale pour une lecture efficiente et concentrée. La coordination binoculaire repose en partie sur les connexions neuroanatomiques, à savoir la possibilité de transmettre le même influx nerveux aux deux yeux (loi de Hering [2]) ; toutefois, cette loi n’est pas absolue. Des asymétries périphériques existent au niveau des muscles extraoculaires et de leurs circuits d’innervation de sorte que, même en présence d’une unique commande centrale, l’exécution de la saccade peut physiologiquement être légèrement plus ample pour l’oeil abducteur que pour l’oeil adducteur [3].

Par conséquent, notre hypothèse est que la coordination optimale de la saccade de la lecture pour les deux yeux est le résultat d’un apprentissage complexe, la neuroplasticité, elle-même fondée sur le couplage dynamique entre saccade et vergence : afin de compenser l’asymétrie, le système nerveux central apprendrait à programmer une vergence rapide intrasaccadique pour égaliser la saccade en augmentant l’ampleur du mouvement de l’oeil abducteur et en diminuant celui de l’oeil adducteur (rappelons que, lors de la vergence, les yeux bougent dans des directions opposées).

Ce mécanisme de couplage saccades–vergences est physiologiquement très plausible, d’autant plus qu’en dehors de la lecture, lorsque par exemple nous explorons l’environnement 3D, saccades et vergences sont le plus souvent réalisées ensemble [4].

Développement des saccades et des vergences chez l’enfant

Des études chez l’enfant apportent des preuves en faveur de l’existence d’un apprentissage. Les saccades comme les vergences, chez l’enfant de 4 à 5 ans, s’exécutent à des vitesses aussi élevées que celles de l’adulte. Cela indique que les générateurs de commandes motrices, situés dans le tronc cérébral, sont pleinement développés dès l’âge de 4 ans et éventuellement même avant, mais il y a un manque d’études chez l’enfant plus jeune pour confirmer ces résultats. Cependant, le temps de préparation des saccades, dépendant des aires oculomotrices pariétales et frontales, a pu être observé comme étant deux fois plus long chez l’enfant, sans doute en lien avec la lenteur de la maturation corticale [5].

Apprendre à coordonner les saccades oculaires grâce à la vergence

La coordination binoculaire des saccades chez le jeune enfant est appauvrie par rapport à l’adulte : une ample disconjugaison (différence de l’amplitude de la saccade entre les deux yeux) survient presque systématiquement (voir Fig.11-37). Avec l’âge, vers 7 à 8 ans, la disconjugaison se réduit et la coordination binoculaire acquiert la qualité adulte ; néanmoins, cela n’est vrai que lorsqu’il s’agit de saccades effectuées dans un espace lointain d’environ 2 mètres. À l’opposé, pour des saccades à 40 cm, la distance typique de la lecture, la disconjugaison, persiste jusqu’à l’âge de 12 ans. Ainsi, la coordination de la saccade requise par la lecture est un phénomène appris au cours du développement et il est plus lent à apprendre pour la vision proche.

Au cours du développement, l’enfant apprendrait à tailler et à coupler la commande de vergence intrasaccadique appropriée pour éliminer les asymétries inhérentes à la saccade, mais cet apprentissage serait plus complexe en vision proche, lorsque les yeux sont déjà en convergence. Grâce à l’apprentissage de la lecture, l’enfant forge également son apprentissage physiologique de la coordination et de la motricité des deux yeux, de façon à pointer la ligne de regard des deux yeux ensemble sur la même lettre [6].

Base corticale de la coordination binoculaire de la saccade

Des études menées chez le sujet adulte sain ont permis de démontrer que l’apprentissage de la coordination binoculaire de la saccade, et d’une certaine façon la consolidation de la loi de Hering, repose sur l’implication du cortex postérieur pariétal [4]. En effet, la perturbation réversible de cette région au moment de la préparation d’une saccade (technique de stimulation transcrânienne, à impulsion unique) crée une disconjugaison importante de la saccade, similaire à celle de l’enfant ; c’est le cas pour les saccades de la lecture également [7]. Ainsi, le cortex postérieur pariétal contribue activement à la coordination binoculaire des saccades, en ajustant le couplage saccades et vergence.

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Fig.11-37 Enregistrement typique d’un mouvement binoculaire de saccade au cours du temps (a) chez l’adulte et (b) chez l’enfant. La saccade de l’enfant est mal accordée aux deux yeux, plus ample à l’oeil droit. La disconjugaison (c, différence entre les deux yeux) diminue avec l’âge : pour les saccades en vision lointaine, la disconjugaison baisse à des valeurs adultes vers l’âge de 7 à 8 ans ; en revanche, pour les saccades en vision proche, la disconjugaison persiste jusqu’à l’âge de 10 à 12 ans.

Apprentissage inefficient chez l’enfant dyslexique

Les troubles de vergence sont plus fréquents chez l’enfant dyslexique que chez l’enfant non dyslexique ; ils peuvent se manifester notamment par une difficulté de divergence [8]. Suite à ces travaux, nous avons réalisé deux études avec enregistrement des mouvements oculaires pour évaluer la qualité de la coordination binoculaire des saccades chez l’enfant dyslexique ; nous avons étudié leurs saccades lors des tâches simples, comme fixer une croix, ou explorer une image. Les saccades des enfants dyslexiques de 13 ans ou plus restent mal accordées [9, 10] (Fig.11-38). Une étude plus récente [11] met à nouveau en évidence une disconjugaison importante de leurs saccades lors de la lecture d’un texte, et ce quelle que soit la distance de la lecture, proche ou lointaine.

Le mécanisme d’apprentissage de la coordination binoculaire reste donc inefficient chez l’enfant dyslexique. La discoordination binoculaire entraîne une instabilité transitoire des lettres et des mots en profondeur, ce qui nuit à la vision, à l’attention et aux processus subséquents de la lecture. En effet, l’enfant dyslexique présente un taux de saccades de régression plus important que l’enfant non dyslexique (35 % versus 25 %), et les durées des fixations sont plus longues (351 ms versus 280 ms). La discoordination binoculaire serait donc le déclencheur d’une cascade d’interactions néfastes entre vision, attention et cognition.

Mais quelle pourrait être la cause de l’inefficience de la neuroplasticité du couplage saccade–vergence nécessaire pour bâtir une bonne coordination binoculaire ? Les causes peuvent être à la fois sensorielles et motrices : une inefficience de la voie magnocellulaire empêcherait la détection prompte des disparités binoculaires résultantes de l’asymétrie des saccades ; en plus, une inefficience au niveau de la fonction du contrôle adaptatif des commandes motrices des saccades et des vergences par le cervelet pourrait également coexister [12].

Ainsi, le croisement de deux inefficiences, même mineures, peut entraîner une discoordination binoculaire, une sorte de microdyspraxie. Par conséquent, des méthodes d’entraînement spécifiques de la dynamique des vergences et des saccades semblent nécessaires.

Nouvelle technologie pour la rééducation de la dynamique des vergences

La lecture dépend fortement de la qualité de la vergence. Il est donc important de rééduquer la dynamique de la vergence, pour rendre efficient et fonctionnel le couplage dynamique saccade– vergence.

Le dispositif visuel et acoustique appelé REMOBI®, inventé par Z. Kapoula, est une table sur laquelle sont disposées des diodes selon quatre arcs d’isovergence (à 20, 40, 70 et 150 cm des yeux), chaque diode étant adossée à une source sonore. Un microprocesseur embarqué fournit une série d’algorithmes, permettant de tester les mouvements de vergences et de les réhabiliter. Par couplage avec un vidéo-oculographe, cet instrument permet à la fois d’émettre un diagnostic fin sur les troubles de la vergence des patients et d’optimiser la dynamique de leur vergence.

Une première étude [13, 14] a été réalisée auprès d’une trentaine d’étudiants, pour la plupart des élèves de l’école d’optique de Fresnel. L’étude comportait un bilan orthoptique classique, couplé avec un questionnaire de symptomatologie, une échelle étalonnée appelée CISS [15], ainsi qu’une mesure par vidéo-oculographie des vergences, testées via le dispositif REMOBI® couplé avec un dispositif EyeSeeCam®. Sur la base des examens cliniques, à savoir le bilan orthoptique et la symptomatologie, une dizaine d’étudiants ont été diagnostiqués comme ayant un syndrome de trouble de vergence, nécessitant une prise en charge. Ils ont suivi 5 séances hebdomadaires de 35 minutes d’entraînement, avec l’algorithme d’entraînement de la dynamique de la vergence appelé vergence à double saut et mis en place sur le dispositif REMOBI® (Fig.11-39).

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Fig.11-38

Enregistrements typiques d’un mouvement binoculaire de saccade chez un adolescent non dyslexique (a) et chez un adolescent dyslexique, d’âge similaire, 13 ans (b).

Les saccades ont été enregistrées pendant une tâche simple de fixation d’une cible visuelle présentée sur un écran. Les saccades de l’adolescent dyslexique restent mal accordées et cela survient indépendamment de la lecture.

La dynamique des vergences restaurée

La figure 11-40 montre les trajectoires des convergences et des divergences, répétées de façon aléatoire au cours de notre test (durant 2 à 3 minutes). Elles sont amples, rapides et peu variables chez le sujet sain (Fig.11-40a) alors qu’elles sont extrêmement variables chez les sujets dont le bilan orthoptique est anormal (Fig.11-40b). Le véritable biomarqueur de l’insuffisance de vergence semble être l’incapacité de répéter le mouvement dans le temps et de façon reproductible durant les 3 minutes du test. Après les 5 séances de rééducation avec l’algorithme décrit préalablement, nous observons une amélioration importante, à savoir une normalisation des trajectoires de convergence et de divergence (amplitudes plus importantes, trajectoire accélérée) et surtout une forte reproductibilité (quasi-absence de variabilité), témoignant d’une restauration de la robustesse du système oculomoteur de vergence (Fig.11-40c). De surcroît, on observe une optimisation du temps de latence (l’initiation du mouvement) qui se raccourcit, et devient même inférieur au temps de latence du sujet normal. REMOBI® conduit non seulement à une normalisation, mais aussi à une optimisation des performances de vergences chez ces patients ; de façon encore plus importante, ces bénéfices sont maintenus et mesurables dans le temps, à savoir une semaine et un mois après la fin des 5 séances de réhabilitation.

Que se passe-t-il au niveau des mesures cliniques ? Les mesures orthoptiques réalisées 1 mois après la rééducation témoignent également des améliorations, notamment une diminution de la distance du point proximal de convergence (PPC), une amélioration de la stéréoacuité telle qu’elle est mesurée avec le test TNO de points aléatoires et enfin, chose importante, une disparition de la symptomatologie mesurée avec l’échelle internationale CISS, qui perdure jusqu’à 18 mois plus tard. Ces résultats sont probants et méritent d’être consolidés sur un plus grand nombre de patients.

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Fig.11-39 Illustration du matériel REMOBI® utilisé.

(a) Dispositif de stimulation multisensorielle REMOBI® utilisé pour les tests de vergence et pour la rééducation hebdomadaire. (b) Couplage avec un vidéo-oculographe pour enregistrement de la trajectoire binoculaire pendant les tests de vergence.

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Fig.11-40 Illustration des mouvements binoculaires de vergence au cours du temps.

Tous les mouvements ont été superposés pour montrer (a) l’allure reproductible d’un sujet sain, (b) la grande variabilité qui caractérise un patient diagnostiqué pour troubles de vergence, puis (c) l’allure devenue reproductible chez le patient 1 mois après l’issue de 5 séances de rééducation avec le dispositif REMOBI®.

Effets vertueux sur la lecture : saccades mieux accordées, fixations plus courtes

La robustesse retrouvée des vergences a-t-elle des conséquences sur la coordination binoculaire des saccades ? Les mouvements de saccade dans l’espace 3D naturel ou lors de la lecture [16, 17] s’améliorent après la rééducation des vergences par le dispositif REMOBI®, en particulier la coordination des saccades. Ainsi, lors de la lecture, les lignes de regard des yeux peuvent se positionner sur la même lettre, de façon à ce que le cerveau puisse obtenir une vision immédiatement unifiée du mot. Cette observation corrobore notre hypothèse d’une interaction centrale entre vergence et coordination binoculaire de la saccade : la vergence sert à égaliser la saccade pour les deux yeux.

Un autre résultat important concerne la durée de fixation, qui est le temps pendant lequel les processus cognitifs de lecture ont lieu ; ce temps est raccourci après la rééducation des vergences. Autrement dit, l’amélioration de la vergence rend la saccade mieux coordonnée aux deux yeux et raccourcit la durée de fixation, témoignant d’un traitement cognitif accéléré et optimisé.

Ces deux résultats sont sans doute interdépendants ; en effet, en ayant une vision unie après la saccade, les processus cognitifs peuvent se mettre en place immédiatement, d’où le gain de temps observé.

Conclusion

La lecture est une activité capitale dans notre société. Mais elle est physiologiquement contraignante, car elle exige un contrôle oculomoteur très complexe, à savoir un couplage continu, efficient et dynamique de chaque saccade avec une vergence appropriée, afin d’assurer une coordination binoculaire de la saccade quasi parfaite. L’apprentissage de ce couplage est fondé sur la neuroplasticité et se développe lentement chez l’enfant, jusqu’à l’âge de 12 ans. Une inefficience de l’apprentissage ou de la neuroplasticité, telle qu’elle est observée chez l’enfant dyslexique, peut conduire à une microdyspraxie qui persiste et qui impacte l’attention, la concentration et la lecture. Des méthodes adaptées pour entraîner ce couplage dynamique de la saccade et de la vergence sont nécessaires ; la méthode REMOBI® remplit ces fonctions et a des bénéfices pour la lecture. Elle a donc sa place dans la clinique orthoptique.

En perspective, nous appliquerons des protocoles spécifiques pour l’entraînement de la coordination binoculaire de la saccade chez les enfants dyslexiques, permettant de stimuler leur potentiel de neuroplasticité motrice binoculaire. Rappelons que la neuroplasticité oculomotrice est un modèle de neuroplasticité qui persiste tout au long de la vie, même en cas de pathologies neurologiques [18].

BIBLIOGRAPHIE

[1] O’Regan JK. Optimal viewing position in words and the strategy-tactics theory of eye movements in reading. In : Eye movements and visual cognition. New York : Springer ; 1992. p. 333-54.

[2] Hering E. The theory of binocular vision. New York : Plenum Press ; 1977.

[3] Kapoula ZA, Robinson DA, Hain TC. Motion of the eye immediately after asaccade. Exp Brain Res 1986 ; 61(2) : 386-94.

[4] Vernet M, Yang Q, Daunys G, et al. How the brain obeys Hering’s law : a TMS study of the posterior parietal cortex. Invest Ophthalmol Vis Sci 2008 ; 49(1) : 230-7.

[5] Yang Q, Bucci MP, Kapoula Z. The latency of saccades, vergence, and combined eye movements in children and in adults. Invest Ophthalmol Vis Sci 2002 ; 43(9) : 2939-49.

[6] Yang Q, Kapoula Z. Binocular coordination of saccades at far and at near in children and in adults. J Vis 2003 ; 3(8) : 554-61.

[7] Vernet M, Kapoula Z. Binocular motor coordination during saccades and fixations while reading : a magnitude and time analysis. J Vis 2009 ; 9(7) : 2.

[8] Kapoula Z, Bucci MP, Jurion F, et al. Evidence for frequent divergence impairment in French dyslexic children : deficit of convergence relaxation or of divergence per se ? Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2007 ; 245(7) : 931-6.

[9] Kapoula Z, Ganem R, Poncet S, et al. Free exploration of painting uncovers particularly loose yoking of saccades in dyslexics. Dyslexia 2009 ; 15(3) : 243-59.

[10] Bucci MP, Brémond-Gignac D, Kapoula Z. Poor binocular coordination of saccades in dyslexic children. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2008 ; 246(3) : 417-28.

[11] Jainta S, Kapoula Z. Dyslexic children are confronted with unstable binocular fixation while reading. PLoS One 2011 ; 6(4) : e18694.

[12] Kapoula Z, Gaertner C, Matheron E. Spherical lenses and prisms lead to postural instability in both dyslexic and non dyslexic adolescents PLoS One 2012 ; 7(11).

[13] Kapoula Z, Morize A, Daniel F, et al. A research based novel method for vergence rehabilitation. Invest Ophthalmol Vis Sci 2015 ; 56(7) : 534-34.

[14] Kapoula Z, Morize A, Daniel F, et al. Objective evaluation of vergence disorders and a research based novel method for vergence rehabilitation. Transl Vis Sci Technol 2016 ; 5(2) : 8.

[15] Rouse MW, Borsting EJ, Lynn-Mitchell G, et al. Validity and reliability of the revised convergence insufficiency symptom survey in adults. Ophthalmic Physiol Opt 2004 ; 24(5) : 384-90.

[16] Daniel F, Morize A, Kapoula Z. Vergence rehabilitation with a research based method improves reading saccades and fixations. Vision Research, soumis.

[17] Daniel F, Kapoula Z. Binocular vision and the stroop test.Optom Vis Sci 2016 ; 93(2) : 194-208.

[18] MacAskill MR, Anderson TJ, Jones RD. Saccadic adaptation in neurological disorders. Prog Brain Res 2002 ; 140 : 417-31.

Rééducation de la lecture chez l’adulte avec déficience visuelle acquise

M. Routon

Généralités

Pour la personne déficiente visuelle, ne plus pouvoir lire comme avant ou ne plus s’en donner le droit par crainte d’aggraver la pathologie est source de grand désarroi voire de dépression et favorise l’isolement social. Optimiser l’accès au langage écrit, renforcer l’efficacité visuelle en lecture, tels sont les objectifs de la rééducation orthoptique « basse vision » qui s’inscrivent dans une prise en charge globale. Il s’agit de permettre de lire autrement en utilisant une fixation de suppléance et des aides optiques en cas de perte de vision centrale, de favoriser l’accès à la lecture grâce à l’agilité motrice préservée pour le balayage et l’exploration en cas de perte de vision périphérique. Stratégies compensatoires et endurance sont recherchées [1] !

Les protocoles orthoptiques de rééducation de la lecture en basse vision s’appuient sur les connaissances en neurophysiologie et en neuropsychologie ainsi que l’expérience acquise de l’orthoptie dans l’amblyopie strabique. L’acte complexe qu’est la lecture, avec ses quatre composantes sensorielle, motrice, perceptive et cognitive, est à considérer [2]. L’oculomotricité, outil de lecture pour identifier à chaque pause de l’oeil un mot ou deux, justifie la place prépondérante de sa stimulation en orthoptie [3]. La fluidité pour la marche du regard et l’habileté perceptive vont de pair pour accéder au codage.

La conduite de la rééducation est dictée par le « diagnostic orthoptique » élaboré à partir du bilan orthoptique basse vision, préalable incontournable à toute prise en charge.

Le projet de soins prend en compte les attentes du patient, ses capacités d’adaptation, sa situation visuelle, la stabilité de l’affection, les traitements en cours. Pour l’adulte et notamment la personne âgée, l’orthoptiste garde à l’esprit qu’il s’adresse à une personne fragilisée confrontée à un handicap récent qui se retrouve en situation d’apprenant avec des expériences de lecteur compétent et ses propres habitudes de vie.

Lors de séances qui durent 1 heure, des exercices personnalisés, expliqués, commentés sont proposés dans le but d’améliorer les capacités motrices (gestion du regard), sensorielles (habileté perceptive), fonctionnelles (localisation, repérage, coordination oeil– main). Ils sont complétés par un travail régulier au domicile. Dans un premier temps, ils se révèlent plus ou moins ludiques pour ensuite s’appuyer sur des supports écrits [4].

Des préalables à la rééducation orthoptique de la lecture

Ces préalables sont les suivants :
– une bonne compréhension de la maladie et de ses répercussions fonctionnelles : trop de patients se sont arrêtés à la notion « je ne vois plus rien » ; d’autres n’ont pas idée de leur potentiel visuel résiduel ou l’ont totalement inhibé ;
– le port de la correction optique, encore trop souvent négligé voire déconseillé par certains malgré sa nécessité – faut-il ajouter du flou au flou ?
– la nécessité de privilégier un endroit accessible (bureau, table, chaise, etc.) avec un éclairage adapté non éblouissant (lampe de bureau orientable, lampe halogène basse tension) placée sur la gauche pour le droitier et dirigée sur le texte à lire ;
– l’acceptation d’une prise en charge globale : la lecture n’est jamais abordée en première intention ; prérequis moteurs et progressivité sont incontournables.

Exercices de motricité et de coordination oculomanuelle

L’incapacité de lecture est évoquée en première intention dans les atteintes maculaires. Dans les débuts, quelques conseils d’éclairage peuvent suffire, mais dès que la perte de vision de près est sensible, la rééducation orthoptique est de mise, avec pour finalité l’ancrage d’une fixation de suppléance fiable en statique et en dynamique, et la bonne utilisation de l’aide optique.

Motricité oculaire –aspects cognitifs

Après avoir objectivé la fiabilité de la réponse de la vision périphérique grâce aux saccades d’attraction visuelle et à la possibilité d’obtenir une vision de détail plus fine en « décalant les yeux » et non la tête, sont proposés des exercices de motricité et de coordination oculomanuelle [5]. Ces exercices sont exécutés dans l’espace, puis sur supports variés (papier, logiciel, jeux, etc.), pour enfin être abordés sur supports écrits. Ils mettent en évidence les relations entre les sollicitations et la physiologie de la lecture [6].
–Les exercices de fixation « en statique », dans l’espace, sont réalisés sur des mires orthoptiques, puis sur papier, comme le repérage et pointage d’un point et d’un centre de croix, ou des E de Weiss isolés (Fig.11-41 et 11-42).
–Les exercices de fixation en dynamique sont les suivants :
   –maintien de fixation en poursuite sur une mire déplacée de gauche à droite ou de droite à gauche conformément au mouvement de lecture, suivi de traits plus ou moins épais au contraste variable de lignes de textes ;
   –saccades d’attraction visuelle à l’aide d’une mire calibrée de maculaire à fovéolaire pour stimuler la coordination vision périphérique/vision centrale ;
    –saccades oculolexiques (saccades de progression, saccades de régression, saccades de retour à la ligne) dans l’espace à l’aide de deux mires orthoptiques espacées de moins de 20 cm sur supports (étoile de Thomas, E de Weiss regroupés, figures présentées de façon aléatoire ou en colonnes, etc.).
–Des sollicitations des vergences toniques et fusionnelles sont aussi réalisées sur mires orthoptiques.

Ces sollicitations sont menées au rythme maîtrisé par la personne, puis accélérées et répétées pour améliorer vitesse et endurance.

Les buts visés sont une motricité aussi fluide que possible pour une meilleure habileté perceptive, une amélioration de l’acuité visuelle morphoscopique, bien souvent inférieure à l’acuité angulaire lors du bilan, et une résistance à la répétition du geste garante de l’efficience attendue en lecture.

Travail sur supports écrits

Une fois ces résultats obtenus, le travail sur supports écrits peut alors débuter : ––identifier des lettres à confusion visuelle « o, d, p, b, q », « m, n, u », etc. ; ––biffer une lettre puis plus tard une syllabe sur une page ; ––lire des listes de mots courts puis de mots longs plus ou moins espacés en ligne puis en colonnes plus ou moins rapprochées pour travailler la fixation, le positionnement de l’oeil, le balayage pour que le mot soit perçu, identifié, déchiffré ; ––lire des phrases courtes et des textes à voix haute ; ––répéter la tâche pour ancrer les ajustements de la fixation, acquérir vitesse et endurance si nécessaires à la compréhension.

Les mots ou textes proposés sont de tailles calibrées, de calligraphies différentes et de contrastes variés. Il est de règle de partir de mots ou textes accessibles, pour ensuite augmenter les difficultés jusqu’aux limites de perception, ce qui facilite l’introduction des aides visuelles.

Organisation des séances de réadaptation

L’orthoptiste observe le comportement en situation, veille à la maîtrise et à la qualité de la motricité conjuguée, à la résistivité du geste et à la vitesse de lecture. Il suggère les ajustements, aide à structurer les posés de fixation efficaces. Il est attentif aux indices évoquant la perturbation des capacités motrices ou leur manque de résistance : difficultés sur la lecture des mots courts ou sur les milieux ou fins de mots, pertes de lignes, retours à la ligne problématiques, troubles de repérage, texte déchiffré plutôt que lu. Il tient compte des signes de fatigue (tensions au niveau du corps et du visage, fermeture d’un oeil), et peut alors adapter le rythme avec un exercice moins contraignant.

Pour favoriser les réorganisations, il est nécessaire de toujours expliquer les difficultés et les erreurs :
–la lecture des mots courts est souvent plus ardue que celle des mots longs ;
–la situation du scotome a une influence et il faut expliquer la nécessité de « fixer autrement » et de multiplier les fixations ;
–la compréhension est influencée non seulement par la vitesse de lecture, mais aussi par la qualité du traitement cognitif du lecteur compétent : lorsque la silhouette du mot est connue, et le lexique possédé, le bénéfice tiré de l’expérience permet de corriger les non-sens (la confusion entre chapeau et château est vite repérée) ;
–les capacités et les incapacités doivent toujours être exprimées avec tact et mesure.

Préparation aux aides visuelles

Les aides visuelles sont contraignantes, et elles ont leurs limites [7]. Il faut souvent que le patient renonce aux faux espoirs et aux lunettes-miracle. L’orthoptiste travaille en réseau avec les opticiens spécialisés.

La gestion des aides visuelles s’oppose souvent à la valorisation des réponses périphériques et engendre une phase de rééducation bien spécifique. L’orthoptiste, informé sur les systèmes existants, les présente – un matériel de base lui est indispensable. Il incite le patient à s’interroger sur ses besoins personnels (activité, éclairage, capacités physiques, etc.), le guide en fonction du grossissement approprié, lui explique la nécessité d’une maîtrise d’un geste adapté pour le suivi de lignes et d’un effort cognitif pour compenser la lecture syllabique. Il doit par exemple faire accepter au patient qu’une loupe ne corrige pas la vision, que lorsque le pouvoir de grossissement augmente, la loupe diminue en taille, mais que l’on voit moins de caractères à la fois (Fig.11-43 et 11-44).

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Fig.11-41

Mires orthoptiques.

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Fig.11-42

Exercices de motricité sur E de Weiss.

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Fig.11-43 La valise orthoptique de Bonnac.

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Fig.11-44 Exercices de suivi « guidé » de lignes.

Travail sur le suivi des lignes

Pour atteindre le stade d’adaptation et d’appropriation, des exercices échelonnés facilitent le repérage et le suivi de lignes (eFig. 11-25 à 11-35). Sont proposés, toujours commentés :
– des stratégies de repérage préalable de la silhouette du texte à lire, et des conseils pour la prise en main de l’aide et son positionnement;
– des exercices de suivi de lignes en aller-retour avant d’attaquer la suivante pour mentaliser le geste et son automatisme ; dans l’espace, puis sur des supports papier avec un crayon, puis à l’aide d’un outil matérialisant le champ restreint ou l’aide choisie, on demande au patient de tracer des lignes de contrastes variables plus ou moins rapprochées, de repérer des alignements de E de Weiss, ou des textes à intervalles de lignes variables (Fig.11-45) ;
– des exercices de lecture au travers d’une matérialisation de champ restreint, pour systématiser la lecture analytique en adaptant la taille des caractères au grossissement de l’aide visuelle ;
– des exercices de retour à la ligne, que l’on effectue avec l’aide optique sur supports écrits avec guidage, puis sans aide de guidage, pour s’opposer aux automatismes bien ancrés mais résistants malgré la plasticité cérébrale (par exemple, on peut présenter des mots en 2 ou 3 colonnes plus ou moins espacées, ou des textes divers avec des pointillés puis sans) ;
– exercices sur supports de taille de caractères « dégressifs », pour favoriser l’intégration de l’aide ;
– et enfin, un entraînement en situation sur des documents personnels (factures, journaux, etc.).

L’apport précieux du système grossissant, s’il est acquis, devient une évidence, mais la frustration demeure : jamais on ne pourra lire comme avant [8] ! En cas de traitement ou d’évolution de la maladie, des ajustements sont de mise.

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Fig.11-45 La saccade de retour à la ligne est à occulter.

Rééducation de la lecture et déficit de vision périphérique

Les médecins l’ignorent souvent, mais dans les réductions du champ visuel telles que les pertes de vision concentriques ou altitudinales ou les hémianopsies, l’aptitude à lire peut être perturbée, et de nombreux patients rapportent un abandon progressif de la lecture sans avoir conscience de l’origine du trouble. Malgré une acuité visuelle centrale souvent préservée, le suivi de lignes et le repérage dans le texte sont une véritable gageure. L’absence d’anticipation, les difficultés de déchiffrage des mots longs, parfois une diplopie décrite comme invalidante compliquent inexorablement la tâche :
– dans l’hémianopsie bitemporale, un oeil ne voit pas la dernière partie de la ligne, et l’autre ne voit pas le début ;
– pour l’hémianopsie latérale gauche, le retour à la ligne est difficile ;
– pour l’hémianopsie latérale droite, c’est le suivi de lignes qui l’est [9].

En règle générale, si la fixation d’une cible est stable dans le champ actif, la poursuite n’est possible que si le mouvement est lent. Les saccades, initiées par la rétine périphérique, sont très perturbées. Le nombre de lettres vues en une seule fixation est réduit, d’où un empan restreint et une vitesse de lecture compromise. La qualité du balayage est indispensable à l’anticipation, essentielle à la vitesse de lecture et à la compréhension.

Parmi les techniques de réadaptation de la lecture chez ces patients, les stimulations des mouvements oculocéphaliques et des capacités motrices telles que décrites précédemment associées à la maîtrise de la localisation visuelle sont privilégiées.

Le travail sur le « champ visuel utile », défini selon la technique décrite par M.-F. Clenet [10] avec objectivation des variations selon les conditions environnementales grâce au luxmètre, facilite les explications.

Des adaptations spécifiques peuvent être proposées (intérêt des présentations en colonnes, des formats réduits à privilégier, besoin d’éclairage, etc.).

La qualité du geste visuel et la capacité de fixation soutenue peuvent être encouragées et préservées grâce à des techniques orthoptiques spécifiques, comme « solliciter les saccades oculolexiques mémorisées » après repérage des cibles en s’appuyant sur la compensation proprioceptive, et « développer les capacités fusionnelles ». L’approche fonctionnelle, est abordée selon un protocole superposable à l’utilisation d’une aide optique [10] (Fig.11-46 et 11-47).

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Fig.11-46 Technique de champ visuel utile.

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Fig.11-47 Champ visuel utile et approche fonctionnelle.

Évaluation des résultats

Dans la pratique, l’augmentation du nombre de mouvements oculaires enchaînés, le gain d’acuité de lecture et de vitesse de lecture, la majoration du nombre de lignes lues, l’accès à la compréhension sont les critères retenus, mais la satisfaction du patient à partir de ses constats, bien que subjective, reste le principal ! L’objectif majeur de la prise charge orthoptique basse vision est de permettre une adaptation à une fonction visuelle déficiente et de préserver ainsi la meilleure autonomie possible. Favoriser l’accès à la lecture y contribue.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Clenet MF, Hervault C. Guide de l’orthoptie. Paris : Elsevier Masson ; 2013.

[2] Dehaene S. Les neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob ; 2007.

[3] Kapoula Z, Vitu-Thibault F. La lecture et la mobilité du regard. La Tribune Internationale des Langues Vivantes 28 novembre 2000 :10-7.

[4] Revue francophone d’Orthoptie 2008 ; 1 (1).

[5] Cohen SY, Delhoste B, Beaunoir MP, et al. Guide de rééducation pratique des basses visions. Paris : Elsevier ; 2000.

[6] Pataut-Renard MO. Prise en charge orthoptique « basse vision » : l’oculomotricité « pilier fonctionnel ». Revue Francophone d’Orthoptie 2008 ; 7(2) : 122-9.

[7] Bonnac JP, Le Faucheur P. Guide d’utilisation des aides visuelles. Essilor.

[8] Malthieu D, Milazzo S, Gomez A, et al. Étude de satisfaction à propos de 93 patients porteurs d’une DMLA équipées en aides visuelles. Ophtalmologie 1997 ; 11 : 144.

[9] Routon M. Rééducation orthoptique et déficit de vision périphérique acquis. Bulletin ARIBa 2012 ; 29.

[10] Clenet MF. Apport de l’orthoptie dans l’activité de lecture. Revue Francophone d’Orthoptie 2008 ; 1(1) : 20-3.

Rééducation de l’écriture (adultes)

A. Rondet, C. Morel-Méry

Contexte et objectifs

« L’écriture, apparue il y a très longtemps dans l’histoire des hommes, a permis à ceux-ci d’exprimer leur pensée, de renforcer leur mémoire, d’échanger leurs idées. On comprend la dimension particulière que prend l’écriture pour les personnes malvoyantes qui rencontrent maints obstacles pour recevoir un message visuel ou pour en envoyer. L’apprentissage de l’écriture manuscrite est une nécessité pour tous quel que soit leur degré de vision. Les conséquences du handicap visuel dans le domaine de l’écriture sont différentes selon : le moment de l’apparition (brutale ou progressive), l’importance du déficit, l’âge de survenue, et conditionneront le mode d’accompagnement » (Claude Chambet).

L’intérêt pour une personne déficiente visuelle d’accéder à l’écriture est multiple. Certaines personnes souhaitent apprendre à écrire « en noir » (écrire un courrier, une carte, un message à un proche) et pour signer. D’autres souhaitent reprendre l’écriture pour noter leurs rendez-vous, les listes de courses, remplir leurs papiers, écrire leurs mémoires, etc.

Outre les services rendus, l’écriture permet de retrouver un sentiment de liberté, de solliciter l’imagination, la création. Avec l’écriture, on va solliciter les images des mots, entretenir le stock mnésique du vocabulaire et l’orthographe. La personne va compenser sur le plan cognitif la baisse de l’activité de lecture.

Il faut différencier l’écriture de l’adulte aveugle congénital, de l’adulte aveugle récent, des personnes âgées et des personnes ayant des possibilités visuelles.

Adulte aveugle congénital

Si la personne aveugle congénitale a appris les lettres en noir quand elle était jeune, elle peut avoir besoin d’entretenir ses connaissances et ses savoir-faire.

Si le patient est « brailliste » (pratique couramment le Braille), il est possible de fabriquer des guides à fenêtre individuelle (dans un carton rigide) et la personne va s’appuyer sur sa connaissance de la position des 6 points braille pour écrire des lettres en majuscules d’imprimerie – par exemple pour la lettre C : poser le crayon en point 4 aller ver la gauche vers le point 1, descendre vers le point 3, aller ver la droite au point 6. Cela forme une lettre « carrée ». Cela demande une bonne représentation dans l’espace et un bon contrôle gestuel.

L’informatique et le traitement de texte ont considérablement suppléé ce mode d’écriture.

Adultes et personnes âgées déficientes visuelles

Les adultes et personnes âgées font partie d’une génération qui a beaucoup écrit et bien écrit. L’écriture peut être abordée avec beaucoup de personnes car elle repose sur le sens kinesthésique, sur des capacités conservées mais souvent ignorées et abandonnées. Souvent, les personnes ont peur de ne plus bien écrire. Il faut tenir compte des problèmes de tremblements, de tenue du stylo et de l’épuisement, avec micrographie, etc. Il est important d’aider à retrouver des occasions d’écrire, le plaisir d’écrire, de valoriser la personne et de lui faire prendre conscience qu’il existe des activités qu’elle peut refaire, que la mémoire gestuelle est toujours présente.

Techniques de rééducation de l’écriture
Écriture du courrier

Objectif : l’écriture est destinée à transmettre des informations écrites à des tiers voyants. Elle doit être lisible avec une bonne mise en page et une présentation claire.

Dans les situations quotidiennes, l’écriture sert entre autres à inscrire une adresse sur une enveloppe, faire une carte, un petit mot pour des consignes de ménage, une liste de courses, signer et parfois mettre sur papier ses mémoires.

Conditions matérielles : elles sont différentes selon que la personne est non voyante ou qu’elle a des possibilités visuelles. L’écriture peut être réentraînée en utilisant un petit bloc papier posé sur un sous-main. On peut proposer du papier blanc et mat, sans contrainte d’écrire droit, juste pour les gestes, en utilisant un stylo ou un feutre noir pour le contraste, avec éclairage si besoin. La personne peut être aidée par le port de lunettes. Elle peut apprendre à utiliser un guide-main. Les guides peuvent être contrastés ou tactiles, à fenêtres, à élastiques, ondulés, en relief, etc. Il existe des guides carte postale, des guides enveloppe, des guides chèques, etc.) (Fig.11-48 à 11-51).

Quand il y a un contrôle visuel, il est possible d’utiliser du papier ligné ou des feuilles lignées sous vidéo ou un guide-main sous vidéo (Fig.11-52a-d).

Tâches/stratégies : c’est une tâche qui ne nécessite pas de vision fine ; la vision de la trace écrite et la reprise de fin de phrase sont suffisantes. La relecture n’est pas indispensable. Il faut favoriser l’espace entre les mots, la formulation mentale de la phrase au préalable, la représentation mentale du mot pendant l’écriture, la mise des attributs en cours d’écriture. Cela demande une grande concentration, car c’est une façon d’écrire éloignée des habitudes antérieures !

Apprentissage par étape : pour rechercher la meilleure installation et éventuellement les meilleures aides techniques, il faut travailler la coordination entre doigt et stylo, apprendre à gérer les espaces entre les mots, gérer la fin de lignes, le retour à la ligne. Au début, le rééducateur peut dicter des mots courts, sans attributs et jambages, en introduisant progressivement ces derniers, puis avec rédaction du contenu. Au fur et à mesure, il faudra introduire le travail de mise en page, avec notamment le retrait de première ligne, l’alignement du texte, etc.

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Fig.11-48 Guide à fenêtre gris.

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Fig.11-49 Guide à fenêtre, plan incliné.

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Fig.11-50 Guide chèque.

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Fig.11-51 Écriture avec loupe électronique.

Écriture pour relecture

Objectif : il s’agit de prendre en note des informations écrites et de pouvoir les relire. L’écriture doit être relue facilement et rapidement, si possible sans aide optique lourde, au moins sans allumer une aide électro-optique vocale ou braille.

Situations quotidiennes : l’écriture est utile pour noter les rendez-vous, les coordonnées de données par téléphone, écrire un pense-bête, une liste de courses, un répertoire, une liste de numéros importants, ou des touches mémoire (Fig.11-53).

Conditions matérielles : on peut utiliser des feutres ou des marqueurs noirs, un bloc ou des feuilles grand format, des lunettes, un éclairage. Le matériel doit être à proximité pour prendre les notes téléphoniques.

Tâches/stratégies : la personne apprend à maîtriser la taille d’écriture suffisamment grossie, souvent en lettres bâton, « appliquée », et souvent en utilisant des abréviations pour gagner du temps et éviter la fatigue.

Apprentissage : c’est une prise de conscience de ses besoins pour une relecture préalable, en tenant compte du besoin de grossissements. Il faut faire des choix entre une grande écriture liée, ou une écriture bâton. Il faut souvent revoir les lettres majuscules, les abréviations qui parlent dans le contexte. L’entraînement consiste à conserver une taille adaptée, avec modèle si besoin, à travailler la rapidité et la qualité d’écriture. La qualité de l’éclairage est importante pour la relecture.

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Fig.11-52 a. Double lignage avec écriture. b. Feuille à grands carreaux. c. Feuille lignée. d. Lignages des feuilles.

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Fig.11-53 Agenda agrandi.

Écriture administrative

Objectif : cette écriture sert aux autres, et il faut écrire sur des documents préremplis, dans des endroits précis. Cela suppose de lire d’abord, puis d’écrire lisiblement en contrôlant l’emplacement et la taille de l’écriture. C’est la situation la plus exigeante, car elle suppose une lecture fine et un graphisme fin (écriture petite, maîtrisée, croix dans des cases, etc.).

Situations quotidiennes : cette situation se rencontre lorsqu’il s’agit de remplir des formulaires, des dossiers, des bons de commande, les feuilles de maladie, une déclaration d’impôts, les TIP ou titres interbancaire de paiement, les chèques, les grilles de lotos, les jeux de mots croisés ou de mots fléchés, ou encore de signer (voir plus loin).

Conditions matérielles : en cas de cécité, ce sont des situations qui nécessitent un guide adapté au document (rare) ; on trouve des guides chèques (voir Fig.11-50), guides TIP, et des gabarits sur mesure.

Selon le niveau de malvoyance, on reprend les mêmes conditions appliquées à la lecture : il faut travailler sur l’éclairage, les lunettes loupes, le pupitre, le stylo ou le feutre noir fin ou très fin. On peut s’aider d’aides plus avancées telles qu’un guide chèque contrasté ou une loupe type Scribolux®, une loupe électronique de poche, ou un portable type Maxlupe V5® pour l’écriture d’appoint (Fig.11-54) ou sous vidéo agrandisseur, ce qui est plus confortable pour tout type de papier.

Tâches/stratégies :
– en cas de cécité, la rééducation nécessite le repérage tactile des différentes fenêtres du guide, et une coordination entre main et stylo pour l’écriture dans les fenêtres, avec la tenue du stylo vertical si la fenêtre est étroite ;
– en cas de capacité visuelle résiduelle, l’utilisation d’une lunette loupe demande une coordination entre oeil et main, une très bonne installation ergonomique, une grande concentration et de la patience. Avec une loupe électronique ou une vidéoloupe, il faut un repérage de la cible avec l’index gauche, atteindre les cases, suivre une ligne et aligner sa taille d’écriture.

Apprentissage : il se fait par étape en recherchant la meilleure installation avec et sans les aides techniques. L’entraînement à l’écriture consiste à utiliser un guide à fenêtres étroites, ou des exercices de coordination oeil–stylo. Pour l’utilisation de la vidéo, il faut un travail préalable de graphisme sous vidéo pour maîtriser cette nouvelle coordination. Cela suppose une bonne manipulation préalable du plateau, et un entraînement à la lecture sur un document pour rechercher les informations à reporter sur le formulaire.

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Fig.11-54 Loupe électronique et exercice d’écriture.

Cas particulier de l’écriture administrative sur support adapté

Il existe des documents agrandis comme des agendas, des calendriers, des répertoires, des jeux de mots fléchés, des dictionnaires, etc. (Fig.11-55).

Objectif : prendre en note des informations écrites et pouvoir les relire soi-même à distance facilement et rapidement sur un document présentant des informations écrites en gros caractères.

Situations quotidiennes : noter des rendez-vous sur un agenda, un calendrier, des coordonnées de téléphone, des adresses sur répertoire, faire des jeux de lettres et chiffres sur magazines à gros caractères.

Conditions matérielles : on peut utiliser des feutres noirs, un éclairage adapté, une aide optique et des documents en gros caractères.

Tâches/stratégies : pour lire les informations, la personne a besoin de repérer la zone d’écriture et de maîtriser la taille d’écriture suffisamment grossie, souvent en lettres bâton, « appliquée », et l’espace disponible sur le document.

Apprentissage : il faut faire un choix entre une grande écriture liée ou une écriture bâton, pouvoir revoir les lettres majuscules, les abréviations pour la notation des rendez-vous, apprendre la relecture avec éclairage.

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Fig.11-55 Dictionnaire agrandi.

Signature

La signature ne se perd pas si la personne retrouve confiance en elle et s’il n’y a pas de difficultés gestuelles. Elle peut se modifier légèrement avec le vieillissement. Elle doit être rapide, stable et difficilement imitable. Elle rejaillit de la mémoire gestuelle après plusieurs essais à la suite.

La personne doit apprendre à demander où signer, à repérer la zone de signature sur un chèque, au bas d’une lettre. Certaines personnes veulent alors utiliser le guide-signature.

Principes d’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez les enfants déficients visuels

A. Berger-Martinet

Si les mécanismes d’apprentissage font appel aux fonctions exécutives et aux capacités cognitives de l’enfant, les perceptions sensorielles jouent également un rôle primordial. Qu’elles soient visuelles, auditives, proprioceptives ou kinesthésiques, ces perceptions permettent la prise d’informations.

Apprentissage de la lecture
Généralités sur l’acquisition du langage écrit

Apprendre à lire est un processus qui commence dès la maternelle. Le développement du langage écrit se fait selon trois phases, lesquelles demandent à la fois des capacités visuelles et auditives :
– la phase logographique : c’est l’étape où l’enfant va reconnaître toute trace écrite comme une image. Pour lui, un mot est un dessin que l’on peut dénommer. Pour accéder à la reconnaissance, l’enfant s’aide d’indices visuels tels que la couleur ou la forme. À ce stade, on ne parle pas de lecture car il s’agit simplement d’une reconnaissance globale ;
– la phase alphabétique : l’enfant prend conscience que les mots qu’il est capable de reconnaître globalement sont en fait des suites de lettres et qu’à ces lettres correspondent des sons, les phonèmes. Lors de la mise en place de la conversion graphème/phonème, puis de l’association des syllabes entre elles pour former les mots et, enfin, de l’ordre des mots dans une phrase, la prise d’informations visuelles de qualité est primordiale ;
– la phase orthographique : l’enfant apprend qu’un mot est une unité stable. Il apprend également les règles orthographiques. Il existe deux voies concernant le traitement cognitif du langage écrit :
– la voie d’assemblage, qui est une voie indirecte, séquentielle et traditionnellement associée à la méthode d’apprentissage dite « syllabique » ;
– la voie d’adressage où l’« image » du mot est recherchée dans le lexique interne. Elle est traditionnellement associée à la méthode d’apprentissage dite « globale ».

La période d’apprentissage permet l’utilisation simultanée de ces deux voies.

Stratégies visuelles de la lecture

Lors d’une activité de lecture, l’enfant traite certaines lettres qu’il associe à des mots candidats du lexique. Il s’agit donc de mettre en place des stratégies visuelles efficientes en parallèle aux stratégies phonologiques.

Ces stratégies visuelles de lecture sont soutenues par les capacités visuo-attentionnelles. La fenêtre visuo-attentionnelle, zone parafovéale, permet de déterminer l’emplacement de la prochaine fixation, tandis que l’empan visuel, zone fovéale, permet d’identifier les mots.

Cette exploration oculomotrice, avec enchaînement de saccades et de fixations, permet de déplacer l’empan visuel de façon adéquate. Elle doit respecter le sens de la lecture et être suffisamment bien calibrée pour ne pas sauter de mots ou de lignes.

Spécificité de l’acquisition du langage écrit chez l’enfant malvoyant

Pour l’enfant malvoyant, toutes les étapes d’apprentissage de la lecture ne généreront pas les mêmes difficultés. La première étape de la phase alphabétique, au cours de laquelle l’enfant développe sa conscience phonologique, ainsi que l’étape orthographique, consistant en l’apprentissage de règles, présentent peu de difficultés. En revanche, la phase logographique et l’apprentissage alphabétique proprement dit nécessitent une prise d’informations visuelles de bonne qualité ou l’utilisation de compensations faisant intervenir d’autres modalités sensorielles.

En cas de déficience visuelle, des soins précoces et adaptés en psychomotricité, orthophonie et orthoptie permettent d’optimiser les capacités perceptives, mnésiques et cognitives aidant à l’acquisition de la lecture. On veillera tout particulièrement à la fonction symbolique, aux fonctions spatiotemporelles, à l’invariance perceptive, à la mémoire. Les capacités de discrimination (acuité visuelle, accommodation et fonction de sensibilité aux contrastes) permettent l’accès au traitement des détails fins. L’ergonomie de l’environnement et les aides optiques proposées pourront les améliorer au maximum. La qualité de la vision binoculaire, lorsque cette dernière est encore présente, permet d’obtenir un confort ainsi qu’une meilleure endurance de lecture. Les stratégies oculomotrices faisant de l’acte visuel de lecture une praxie à part entière nécessitent un apprentissage répétitif afin d’être pleinement intégrées.

Sur le plan pédagogique, la stratégie syllabique est primordiale dans le processus d’apprentissage. En effet, au début, l’enfant ne peut mémoriser qu’un nombre limité d’« images » de mots. De plus, l’enfant malvoyant n’ayant qu’une vision parcellaire et variable de ces « images », l’accès au code de lecture lui permet alors de déchiffrer les traces écrites.

Parallèlement, des adaptations techniques simples permettant une comodalité perceptive aideront l’enfant malvoyant à développer ses aptitudes de lecteur. Nous pouvons évoquer les lettres rugueuses ou en relief pour la reconnaissance du système alphabétique, mais aussi la légère augmentation calibrée de l’espacement entre les lettres ou les mots afin de soutenir les capacités visuo-attentionnelles. De même, le grossissement, le choix des polices d’écriture, le passage en gras ou les augmentations de contraste adaptés à chaque enfant viendront soutenir les capacités visuelles perceptives et donc la création d’un stock orthographique stable.

Apprentissage de l’écriture

Comme la lecture, l’écriture est une combinaison codée d’un système de signes dont le code est arbitraire et nécessite un apprentissage pour lequel l’enfant déficient visuel va potentiellement être en difficulté. D’un point de vue graphique, apprendre à écrire, c’est apprendre un geste contrôlé visuellement sur un espace maîtrisé.

Généralités sur l’acquisition de l’écriture

Avant 2 ans, l’enfant réalise des gribouillages de grande amplitude. Puis, petit à petit, le rythme ralentit, le contrôle oculomanuel se précise et les tracés changent de direction jusqu’à produire des formes qui vont se clore et s’individualiser les unes des autres. Les traces deviennent des dessins de plus en plus figuratifs. Le geste graphique prend alors toute sa dimension communicative, relationnelle et symbolique.

On distingue trois phases dans le développement de l’écriture :
– le stade précalligraphique (3–7 ans) : c’est la période de prégraphisme. L’enfant apprend à maîtriser de nouvelles contraintes de trajectoire qui lui serviront dans l’acquisition du sens conventionnel d’écriture. Durant cette phase, les difficultés d’organisation du geste graphique restent prédominantes. L’enfant doit mettre en place des automatismes qui libèrent la pensée. Il apprend à assembler des éléments insignifiants pour créer un tout signifiant. Il s’agit donc d’une praxie constructive complexe nécessitant un entraînement quotidien ;
– le stade calligraphique (jusque 10–12 ans) : cette période marque une transition dans les stratégies d’exécution. On voit l’avènement d’une écriture très « scolaire » ;
– le stade postcalligraphique (après 12 ans) : il correspond à la personnification de l’écriture en lien avec l’augmentation de la vitesse requise sur le plan scolaire. On observe alors une modification des lettres en vue de simplifier l’écriture.

Stratégies visuelles de l’écriture

La vision est un élément majeur dans la phase précalligraphique pour contrôler la trajectoire de la pointe de l’outil, le déroulement de la séquence de traits et pour réguler l’écriture. Pendant la phase calligraphique, la stratégie évolue vers une représentation interne et kinesthésique du mouvement. C’est l’acquisition de la praxie, geste automatisé. Enfin, au stade postcalligraphique, un nouveau feedback visuel est instauré afin de contrôler l’agencement spatial. Une fois l’écriture parfaitement intégrée, le contrôle kinesthésique permet de répondre favorablement aux contraintes de rapidité.

Spécificité de l’acquisition de l’écriture chez l’enfant malvoyant

Lors de la période précalligraphique, les rapports oeil/main sont modifiés. Le tracé se faisant sous contrôle visuel, l’oeil devient le guide du geste. L’enfant déficient visuel peut rencontrer des difficultés dès cette étape du fait d’une mauvaise appréhension des repères visuels. Il existe parallèlement une mauvaise posture : un rapprochement excessif ou une attitude compensatrice de tête entraînant des contractures pouvant être douloureuses et empêchant l’enfant d’avoir une bonne régulation tonique de la main graphique. Le mauvais contrôle visuomoteur rend difficile le suivi de ligne. La praxie graphique a du mal à s’installer, empêchant l’acquisition d’une rapidité et d’une qualité d’écriture suffisantes pour être lisible et efficace à l’école.

Approche thérapeutique

La prise en charge visuelle, assurée par l’orthoptiste, s’adaptera au type de déficience visuelle rencontré.

L’écriture nécessite une bonne perception des lignages et des graphies. Les contrastes des lignes d’écriture doivent être optimisés en améliorant l’éclairage, les couleurs des lignes ou en proposant des filtres colorés. Pour faciliter la discrimination, il est possible de proposer des lignages agrandis permettant une écriture plus grosse ou encore une aide optique adaptée. Cette tâche sollicitant grandement la vision de près, afin que celle-ci soit confortable et endurante, il sera nécessaire de compenser les déséquilibres oculomoteurs et d’améliorer les amplitudes fusionnelles lorsque c’est possible. La prise de repères et la coordination oculomanuelle, l’oculomotricité, l’anticipation visuelle et les notions visuospatiales sont travaillées autant que de besoin.

L’approche corporelle, assurée en psychomotricité, est d’autant plus importante que les enfants déficients visuels sont susceptibles de présenter un retard dans l’acquisition des grandes fonctions psychomotrices. Le suivi permet de guider la mise en place des coordinations, de la planification et de la programmation du geste, mais aussi de la latéralité, du schéma corporel et de l’organisation temporospatiale. Le travail de la régulation tonique permet une acquisition plus aisée de la praxie d’écriture.

L’approche ergothérapique s’attarde sur l’ergonomie de l’installation ; elle permet l’acquisition d’une meilleure posture en proposant une table adaptée ou un pupitre. L’ergothérapeute aide à la recherche de l’outil scripteur adéquat ainsi que de sa bonne tenue, mais aussi du positionnement de feuille en rapport avec la déficience visuelle afin de faciliter le geste. Enfin, il réalise un travail sur les prérequis graphiques.

Approche pédagogique

Pour préparer le prégraphisme, des situations permettant à l’enfant de travailler le geste visuo-guidé et la construction, commedes contournements de forme, le suivi tactile de lettres en relief ou la copie de lettres en pâte à modeler lui seront proposées.

Afin de faciliter l’acquisition praxique, il est possible de commencer par l’apprentissage des lettres en majuscules d’imprimerie, les formes géométriques simples étant facilement identifiables et les praxies plus simples à intégrer.

Pour aider l’enfant à s’approprier les lettres, la comodalité sensorielle permet d’enrichir l’information visuelle. La kinesthésie, si l’on guide le geste de l’enfant par sa propre main, peut être envisagée ; le toucher, en passant sur des lettres en relief ou en écrivant dans le sable ; l’audition, si la tâche à accomplir est séquencée verbalement ; la proprioception, en travaillant sur de grands formats avec différents outils permettant de varier la pression exercée. Enfin, l’utilisation des capacités de représentation fondées sur la théorie des neurones miroirs est à exploiter en faisant la démonstration devant l’enfant de ce que l’on attend de lui.

Enfin, si l’apprentissage de l’écriture reste fastidieux ou si celle-ci n’est pas suffisamment lisible ou rapide pour le cursus scolaire, un passage par l’ordinateur devra être envisagé.

Le braille : outil de connaissance et de savoir au service de l’autonomie dans la vie quotidienne

B. Deguil

Le braille est une innovation qui porte le nom de son inventeur, Louis Braille (1809-1852), devenu aveugle à la suite d’un accident à l’âge de 3 ans. Cette technique révolutionna l’enseignement aux aveugles. Elle permettait l’édition puis la lecture d’ouvrages scolaires et la prise de notes personnelles grâce à la tablette avec laquelle les élèves pouvaient embosser les points braille. Rapidement, le braille a évolué et essaimé dans le monde entier, permettant depuis près de deux siècles un enseignement de qualité et l’accès à la connaissance aux élèves aveugles ou très malvoyants.

Motricité oculaire –aspects cognitifs

Les personnes qui ont pratiqué le braille durant leur scolarité connaissent tous les caractères, même si leur connaissance de l’orthographe est parfois aléatoire. Lorsqu’elles sont en cours de réadaptation, ces personnes s’étonnent parfois de voir apparaître l’activité braille à leur emploi du temps. Ce n’est pas un apprentissage plus poussé de leur technique qui est proposé à ces braillistes confirmés, un enseignement, mais bien un accompagnement dans l’application de leur savoir à leur vie quotidienne.

Lorsque le handicap visuel survient tardivement, après l’âge traditionnel d’une scolarité, le braille revêt un intérêt pratique plus immédiat. C’est rarement dans un objectif de lecture que cet apprentissage du braille est réalisé.

Le succès de cet apprentissage par une personne adulte dépend de nombreux facteurs qui sont discutés avec elle dès les premiers rendez-vous téléphoniques, puis lors de la visite d’admission et durant tout le séjour dans un service de soins de suites et de réadaptation pour déficients visuels (SSR-DV). Son adhésion est le préalable à un apprentissage efficace.

Pour obtenir cette adhésion, il faut entrouvrir quelques verrous. Il est honnête de dire que l’apprentissage du braille n’est pas obligatoire, que la personne garde toute liberté de cesser l’activité si elle le souhaite. Cette seule information a le don de lever de nombreuses réticences.

Démarrer l’apprentissage du braille, c’est admettre implicitement la gravité et l’installation du handicap visuel, et ce d’autant que le braille est souvent proposé parallèlement à l’utilisation de la canne blanche.

Le braille n’est pas uniquement proposé aux aveugles, mais aussi aux malvoyants dont la vision est instable, fluctuante dans les journées, selon la luminosité, etc. Cette technique est alors utilisée en complémentarité, leur vision étant travaillée parallèlement en séances d’orthoptie. Ces personnes utilisent alors un double marquage noir/braille, permettant indifféremment la lecture tactile ou visuelle.

L’usage du braille est de fait historiquement associé à la scolarité, la connaissance, la lecture ; c’est un braille « académique ». Les patients qui envisagent d’emblée la lecture braille étaient déjà de bons lecteurs ayant une bonne base scolaire ; ils sont assez peu nombreux. La majorité des patients lisaient peu avant la survenue de leur handicap visuel et ils n’envisagent pas de lire en braille. Ils sont plutôt effrayés à l’idée de se remettre en situation d’apprentissage étant donné leur scolarité ancienne, parfois difficile. Il est alors important de sécuriser la personne : « la bonne vitesse c’est la vôtre » ; « ici pas de concours d’orthographe », etc. En inscrivant la proposition d’apprentissage du braille dans une démarche personnelle d’autonomie et d’indépendance, le patient se retrouve adulte, mis au centre de ses désirs, de ses besoins, de ses objectifs. La confiance en soi se restaure petit à petit avec les situations de réussite.

Certaines personnes, dépistées comme ayant un déficit intellectuel, montrent un sens pratique très efficace qui permet un apprentissage de l’alphabet de base du braille tout à fait exploitable pour les applications au quotidien.

L’âge, même avancé, n’est pas non plus un frein à l’apprentissage du braille. J’ai ainsi accompagné dans cette technique des personnes de plus de 90 ans qui ont montré une appétence et une réussite exemplaires.

Certaines personnes disposent d’une discrimination tactile assez faible qui n’autorise pas la reconnaissance des lettres braille dans son format classique (7,5 mm de haut et 4 mm de large), même en espaçant les lettres. Elles trouvent une solution avec le format agrandi Jumbo. Il existe à la vente une tablette qui permet l’embossage à ce format.

Quand le braille devient un outil au service du quotidien

Voici quelques exemples d’usages au quotidien :
– la première application proposée est la lecture de l’emploi du temps hebdomadaire. Il est très abrégé mais facile d’utilisation. Souvent, les patients apprécient la discrétion de cette lecture par rapport à un enregistrement audio que tous les autres entendent. Notons que les personnes atteintes de surdicécité trouvent là une autonomie nouvelle très appréciée ;
– dans certaines familles, on affectionne particulièrement l’activité jeux de société et en particulier les jeux de cartes. Le marquage en braille des cartes et quelques séances d’entraînement permettent de retrouver une place sociale au sein du groupe ;
– le marquage des papiers personnels redonne une intimité depuis longtemps livrée au regard de tous les aidants qui interviennent ;
– la reconnaissance des produits alimentaires est très appréciée (Fig.11-56 et 11-57). L’entourage aidant peut bénéficier de ce marquage en noir pour poser sur les emballages l’étiquette adaptée;
– le marquage des médicaments : nom, posologie et éventuellement date de péremption sont indiqués.

La posologie est notée sous forme d’un code établi avec le patient. Il doit être rapide à lire et à comprendre pour être adopté (Fig.11-58).

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Fig.11-56 a, b. Les étiquettes sur les produits alimentaires prévoient l’écriture « en noir » au format qui est accessible à la personne malvoyante.

Le braille devient alors une sorte de roue de secours quand la vision n’est pas exploitable à ce moment (fatigue visuelle, luminosité inadaptée, éblouissement, etc.). Des abréviations simples suffisent à la compréhension du produit ; ici, « BOR R » pour « bordeau rouge », « TOM » pour « tomates », « PRINT » pour printanière de légumes.

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Fig.11-57 Les pots à épices sont annotés en braille.

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Fig.11-58 Marquage des médicaments.

Conclusion

Le braille est parfaitement complémentaire de toutes les aides techniques vocales ou informatiques développées depuis de nombreuses années. Il appartient au rééducateur de mettre en valeur la pratique de cet outil qui représente un intérêt puissant d’autonomie et d’indépendance. L’aide que le braille apporte au quotidien convainc aisément les personnes réticentes. Peu d’entre elles liront des ouvrages, mais elles sont nombreuses à l’utiliser au quotidien. Toutes font partie de cette belle famille des « braillistes ».

Adaptations de l’outil informatique

L. Tissier, L. B erthet-Signoret

Bilan informatique
Recueil des éléments médicaux

Avant l’accueil d’un patient, il est nécessaire de recueillir l’ensemble des éléments médicaux. Les capacités visuelles sont livrées par le médecin ophtalmologue et l’orthoptiste : l’acuité visuelle du patient, le champ visuel, la perception des couleurs et des contrastes, la sensibilité à la lumière et les évolutions possibles de la pathologie. En parallèle, une attention particulière est portée aux éléments pouvant impacter la pratique de l’informatique : un déficit auditif ou une surdité, des troubles de sensibilité au niveau des doigts, des troubles des capacités d’apprentissage, etc. Cela permet aux rééducateurs (rééducateur informatique ou ergothérapeute) d’ajuster le contenu du bilan.

Entretien sur la situation actuelle

Le bilan se déroule en deux parties d’une heure chacune. L’évaluation est faite sur les ordinateurs du plateau technique (PC ou Macintosh) ou sur le propre ordinateur du patient, selon les cas.

  Le premier point consiste à connaître l’équipement du patient à son domicile : ordinateur portable ou de bureau, taille de l’écran, système d’exploitation. Il est intéressant de connaître également les périphériques utilisés (clavier classique ou gros caractères, imprimante, scanner), ainsi que les aides optiques qu’il possède (télé-agrandisseur, loupe électronique, machine à lire) afin d’éviter un double emploi dans le matériel. Puis, l’évaluateur amène le patient à décrire ses connaissances en informatique, ce qu’il faisait avant la survenue du handicap, ce qu’il souhaite faire désormais et la gêne rencontrée à ce jour.

Mises en situation

Face à l’écran, le patient décrit ce qu’il voit sur une configuration standard. Le rééducateur propose ensuite des axes d’amélioration : modification des couleurs, ajout d’un grossissement, mise en évidence du pointeur de la souris et du curseur texte et enfin ajout d’une synthèse vocale si nécessaire. Il est important de toujours débuter par des adaptations simples, parfois gratuites et incluses dans l’ordinateur4, pour glisser vers des logiciels plus spécifiques5 (eTableaux 11-1 à 11-3). Ces essais sont intégrés aux mises en situation. Par exemple, la présentation de la synthèse vocale passe par l’écoute d’un texte, le réglage de la voix, la tonalité, le débit d’élocution. Cela permet de confirmer la bonne compréhension du texte et les capacités du patient d’être attentif à l’écoute d’une synthèse vocale.

  Selon les connaissances et les capacités du patient, le professionnel propose une mise en pratique ; par exemple : rechercher à l’écran une icône sur le bureau ou une commande ; exécuter une consigne comme démarrer et quitter un programme ; reproduire un raccourci clavier à deux ou trois touches ; répondre à une boîte de dialogue, etc. L’observation de l’attitude face à ces mises en situation permet de valider les prérequis pour l’apprentissage de l’informatique.

4 Les paramètres d’accessibilité se trouvent dans le panneau de configuration ou dans « Préférence système ». Un curseur de souris en couleur peut être téléchargé gratuitement en ligne.

5 Liste non exhaustive des logiciels : ZoomText®, Dolphin Guide®, Jaws®, NVDA®, Omnipage®, Openbook®.

Préconisations

Un compte-rendu est rédigé à la fin du bilan avec le détail des préconisations vis-à- vis des paramétrages, des logiciels et du contenu de la rééducation en informatique (objectifs et nombre de séances).

  Pour une rééducation optimale, il est préférable que le patient soit intégralement équipé avant de débuter la prise en main de l’outil informatique.

Prise en charge en rééducation informatique
Prérequis

L’apprentissage de l’outil informatique chez une personne déficiente visuelle nécessite des prérequis en termes de capacités visuelles, cognitives et d’apprentissage. Par ailleurs, l’environnement et le contexte psychomoteur sont des facteurs pris en compte lors du bilan.

  De ce fait, l’équipe pluridisciplinaire a une importance majeure dans l’élaboration du projet de compensation en informatique. Le bilan et la rééducation orthoptique, en ergothérapie et en psychomotricité vont orienter la préconisation et le projet thérapeutique en informatique. Le travail de gestion des capacités visuelles, l’aménagement informatique au domicile du patient ainsi que son bien-être et sa confiance sont autant d’aspects qui conditionnent le bon déroulement de l’apprentissage de l’informatique adaptée.

Apprentissage du clavier

La connaissance du clavier informatique est indispensable pour suivre une rééducation par l’informatique. En effet, les moyens de compensations mis en place pour pallier la déficience visuelle vont dans une très grande majorité des situations faire abstraction de l’usage de la souris et mettre en oeuvre des méthodes pour accéder à l’interface du système sans dispositif de pointage. Ces méthodes consistent en principe en l’apprentissage de raccourcis claviers qui vont permettre d’accomplir des tâches courantes comme ouvrir un fichier ou une application, sauvegarder son travail ou mettre en forme un document. Les utilisateurs d’un lecteur d’écran vont, en outre, utiliser des touches ou raccourcis spécifiques pour accéder à la lecture des pages ou aux applications internet.

  Une bonne connaissance du clavier et de la technique de dactylographie6 améliore la posture et limite les mouvements de la tête et la fatigue visuelle (aller-retour entre l’écran et le clavier).

  Dans certaines situations, si l’apprentissage du clavier s’avère impossible, des dispositifs de reconnaissance et de dictée vocales7 pourront être proposés au patient.

6 À l’aide du logiciel Apprenti clavier® sous Windows (www.apprenticlavier.com), ou à l’aide du clavier sous Macintosh.

7 À l’aide de la reconnaissance vocale incluse dans l’ordinateur ou du logiciel Dragon®, par exemple.

Installation et paramétrage des aides techniques

Suivant les conclusions du bilan informatique, le rééducateur en informatique ou l’ergothérapeute va effectuer avec le patient l’installation des aides techniques et le paramétrage de l’ordinateur.

  La configuration du système va consister d’abord à créer une session personnalisée dans le cas où l’ordinateur est utilisé par le reste du foyer et ainsi ne pas perturber les habitudes des autres utilisateurs. Cette session permettra ainsi l’usage de couleurs et d’options personnalisées. L’usage d’une image d’arrière-plan est par exemple à proscrire car elle limite le repérage et la lecture des icônes du bureau. On s’attachera à utiliser des arrière-plans unis et évitant la photophobie en cas d’usage de la fonction d’inversion de brillance du logiciel de grossissement (fonds et couleurs claires permettent un confort visuel optimal en inversion) (Fig.11-59 et 11-60).

  Les thèmes à contrastes élevés permettent de définir ces réglages de manière automatique. Il sera toutefois utile de personnaliser ceux-ci avec le patient pour un confort optimal.

  Suivant les types de configurations et d’ordinateurs, les options d’affichage et de personnalisation varient, notamment entre les systèmes Windows et Macintosh.

  Lors de l’installation de l’aide technique, des réglages par défaut sont définis avec le patient : le facteur moyen de rossissement, l’activation ou non par défaut de l’inversion de brillance, la définition d’un pointeur de souris, de curseurs texte améliorés. Pour les utilisateurs d’une synthèse vocale, les réglages définis lors du bilan sont mis en oeuvre.

  D’autres réglages sont effectués comme la simplification de l’affichage de certains programmes tels que les messageries électroniques qui peuvent interférer avec le bon fonctionnement des logiciels de compensation.

  Les logiciels de grossissement du marché permettent une large gamme de personnalisation comme une mise en évidence des objets graphiques ou le lissage des polices.

  Le rééducateur procède également à l’installation d’utilitaires propices à la facilitation des usages ou pour l’assistance à distance du patient durant la rééducation. Certains logiciels vont en effet rendre l’utilisation de l’ordinateur plus simple ou plus intuitive en guidant le patient dans ses choix.

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Fig.11-59 Interface graphique avant (a) et après (b) application de l’inversion de brillance.

Un arrière-plan uni facilite la localisation et la lecture des icônes.

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Fig.11-60 Exemple de configuration du logiciel ZoomText® combinant un facteur grossissant de 5× (500 %), un pointeur et un curseur texte amélioré.

Prise en main de l’outil informatique

La prise en main de l’outil informatique s’effectue suivant le nombre des séances et le programme définis lors du bilan initial.

  L’apprentissage répond au projet du patient et à ses capacités. Il peut viser d’une part à lui redonner l’usage perdu de son outil informatique dans le cas où il était équipé avant l’apparition de sa déficience visuelle ou de l’aggravation de celle-ci ; il pourra d’autre part lui permettre de retrouver de l’autonomie dans sa vie quotidienne pour la lecture ou la communication.

  S’il est personnalisé, cet apprentissage répond à certaines règles générales qui sont ajustées suivant le profil et le projet de rééducation :

  –la mise en route et l’extinction du matériel ;

  -la mise en route et l’arrêt des aides techniques le cas échéant ;

  –une prise en main de base des aides techniques ;

  –pour les logiciels de grossissement, la gestion du grossissement, de la navigation « panoramique », des couleurs. Pour les lecteurs d’écrans, l’accès à la lecture rapide des documents numériques. Plus généralement, le paramétrage de base des aides techniques tels que les réglages et la sauvegarde des préférences utilisateurs est abordé ;

  –un travail de représentation mentale et de navigation. Il consiste à repérer et dénommer les différents éléments du système, comprendre le vocabulaire utilisé par les aides techniques vocales ou braille. Le patient apprend également à se déplacer au sein de son système et des documents à l’aide du clavier, à manipuler du texte pour en faire une mise en forme simple. Un travail d’« éducation à la mise en forme » pourra être fourni aux patients aveugles congénitaux ;

  –la lecture et la navigation dans le texte à l’aide d’un dispositif Braille. Un apprentissage du Braille informatique est dispensé si nécessaire. Le système Braille à 6 points tel qu’il a été conçu par Louis Braille [1] ne permet pas l’usage de l’ensemble des caractères informatiques des normes ASCII et UTF8. Il a donc été mis en place un Braille informatique [2] à 8 points qui permet d’étendre le système Braille au-delà des 64 caractères initiaux ;

  –la lecture de documents papiers à l’aide d’un logiciel de reconnaissance de caractères, un scanner et une synthèse vocale. L’apprentissage s’oriente vers la lecture de documents simples comme du courrier ou des revues. Une orientation vers d’autres dispositifs de compensation tels que les lecteurs audionumériques et leur prise en main seront faites pour la lecture des livres ;

  –l’accès à la communication par la prise en main d’un logiciel de messagerie électronique8. Ce dernier est privilégié par rapport aux messageries « Webmail » des opérateurs car ils sont paramétrables et manipulables au clavier ;

  –la recherche d’informations et l’accès à internet. Suivant les capacités du patient, cette partie de la rééducation est réalisée à l’aide de différentes applications qui vont plus ou moins assister l’utilisateur9, que ce soit par un logiciel qui effectuera et guidera le patient à travers sa recherche, ou par l’usage des fonctions internes au lecteur d’écran ou du logiciel de grossissement pour rechercher des informations sur une page internet à l’aide du navigateur (eFig. 11-35 et 11-36).

  Certaines rééducations en informatique sont réalisées à l’aide de dispositifs particuliers qui guident le patient dans ses choix et ses activités informatiques. Citons notamment le logiciel Guide® de la société Dolphin qui assiste l’usager à la manière d’un automate téléphonique.

  Des périphériques et matériels de compensation spécifiques existent également (eFig. 11-37 et 11-38).

Limites

Malgré l’informatisation du monde actuel [3], l’accès à l’outil informatique n’est pas aisé pour tous. En effet, une personne novice, n’ayant jamais utilisé cet outil avant la survenue de son handicap, devra effectuer un travail important de représentation mentale. Ce profil de patient se heurte à des paradoxes comme devoir ouvrir le menu « Démarrer » pour arrêter son ordinateur. Une personne qui se représente mentalement les éléments n’a, pour sa part, qu’à intégrer les techniques de compensation.

  Par ailleurs, la prise en main des aides techniques informatiques requiert de bonnes capacités d’apprentissage – attention et mémoire. Malgré la simplification des logiciels ou des méthodes de navigation, les troubles cognitifs sont un frein majeur pour la rééducation. Le professionnel préconise des moyens pour contourner les difficultés visuelles et utiliser différemment l’outil, par exemple ne plus utiliser la souris. La flexibilité mentale est indispensable et souvent plus difficile à mobiliser chez le sujet âgé.

  En parallèle, selon les situations, le traitement d’une information par le canal visuel et auditif n’est pas toujours évident. Cela nécessite une double attention par deux canaux sensoriels distincts et doit faire l’objet d’un apprentissage rigoureux. Ensuite, l’ajout d’un retour vocal peut être ressenti comme stigmatisant, et révèle parfois des difficultés dans l’acceptation du handicap. De nombreux patients ont de plus la crainte de « ne pas faire travailler leurs yeux ».

  Pour conclure, les limites de la rééducation en informatique peuvent également être intrinsèques à l’outil. On notera par exemple l’inaccessibilité de certains sites internet, où la navigation à l’aide d’un lecteur d’écran sera, par conséquent, hasardeuse et parfois impossible.

8 Nous pouvons citer par exemple Outlook®, Windows Live Mail®, Mozilla Thunderbird ® ou Mail®.

9 Exemple du localisateur de Sonobraille, de Philippe Léon.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Mellor CM. Louis Braille : Le génie au bout des doigts. Éditions du Patrimoine ; 2008.

[2]  www.accessibilite-numerique.wikibis.com/braille.php.

[3]  Refuveille P. Les nouvelles technologies à l’usage des malvoyants et non-voyants. Revue Francophone d’Orthoptie 2012 ; 5 : 29-39.

6 – Réinsertion sociale et professionnelle

Les droits des personnes déficientes visuelles et des aidants

S. Siquier, L. Attia

Les politiques du handicap ont évolué lentement depuis le Moyen Âge. Si les premiers Hôtels-Dieu étaient destinés à accueillir les infirmes et les miséreux de la société au Moyen Âge, c’est au XXe siècle que l’assistanat a laissé place à une reconnaissance d’un droit à réparation. Plusieurs lois ont été votées allant vers l’autonomisation de la personne handicapée dans le secteur public et privé. Ainsi, l’intégration des personnes handicapées est devenue une obligation nationale. C’est la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 qui fixe le cadre juridique de l’action des pouvoirs publics et confie la reconnaissance du handicap à des commissions départementales. La loi du 11 février 2005 fait ensuite son apparition pour améliorer la prise en charge des personnes handicapées. Elle pose le principe du droit à la compensation pour permettre à la personne de faire face à son handicap dans tous les domaines de son existence.

La loi du 11 février 2015

La loi du 11 février 2005 (n° 2005-102, Journal Officiel du 12 février 2005) pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté est l’une des principales lois sur les droits des personnes handicapées. Elle donne comme définition du handicap : « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

  La loi crée une Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) dans chaque département sous la direction du Conseil général. La MDPH a pour rôle d’être un guichet unique aux aides et prestations, un centre de ressources. Ce réseau départemental a pour missions : l’accueil, l’information auprès des familles de leurs droits, la sensibilisation de tous les citoyens face au handicap, la mise en place du projet de vie personnalisé des personnes handicapées, la mise en place des décisions prises par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). La CDAPH est composée de membres des autorités publiques ainsi que des représentants associatifs du secteur du handicap. La prestation de compensation du handicap (PCH) est attribuée par la CDAPH après évaluation et élaboration d’un plan de compensation qui varie en fonction du handicap et des besoins exprimés. Elle concerne sous certaines conditions (dont la reconnaissance du handicap avant 60 ans) la personne confrontée à une difficulté absolue ou grave pour une ou plusieurs activités classées en quatre domaines : la mobilité, l’entretien personnel, la communication, les tâches et exigences générales.

La vie quotidienne de la personne handicapée

La personne en situation de handicap doit avoir la possibilité de se déplacer, à l’extérieur ou dans son logement, de se rendre au travail, de participer aux activités sociales, politiques, citoyennes et associatives. Avec le droit à compensation, le principe d’accessibilité devient essentiel.

  Différentes aides peuvent être attribuées :

  –la carte d’invalidité : c’est une reconnaissance officielle qui atteste que son détenteur a un taux d’incapacité permanente de 80 % au moins. Elle donne des droits et des avantages. La mention « besoin d’accompagnement » et la mention « cécité » (lorsque la vision centrale est inférieure à 1/20 de la normale) peuvent y figurer ;

  –la carte européenne de stationnement : elle permet de faire bénéficier son titulaire des facilités de circulation et de stationnement (de l’aidant pour les déficients visuels). Elle est nominative ;

  –la carte de priorité : elle permet d’obtenir une priorité d’accès aux places assises et dans les files d’attentes, ainsi que l’autorisation d’accès aux chiens guides d’aveugles, chiens d’assistance dans les transports et lieux publics ;

  –l’allocation adulte handicapée (AAH) : elle garantit un revenu minimal sous certaines conditions (807,65 euros/mois selon plafond) ;

  –le complément de ressources : il peut compléter l’AAH, sous certaines conditions (179,31 euros) ;

  –la majoration pour la vie autonome : elle permet de couvrir des dépenses supplémentaires pour des adaptations nécessaires au sein du domicile de la personne handicapée (104,77 euros) [1].

  La prestation de compensation du handicap (PCH) se compose pour sa part de cinq éléments :

  –l’aide humaine : c’est une aide financière, qui évolue en fonction de l’évaluation des besoins. Les personnes atteintes de cécité bénéficient d’un forfait de 50 heures (624,50 euros) ;

  –l’aide technique matériel ou équipement : les aides optiques sont prises en compte par la PCH ;

  –l’aménagement du logement, du véhicule ou surcoûts liés au transport : ces aménagements sont destinés à maintenir ou améliorer l’autonomie de la personne handicapée, en permettant de circuler, d’utiliser les équipements indispensables à la vie courante, de se repérer et de communiquer sans difficulté et en toute sécurité. Ces aménagements visent aussi à faciliter l’intervention des aidants qui accompagnent ;

  –les charges spécifiques et exceptionnelles : service de téléassistance, frais d’installation, etc. ;

  –l’aide animalière : elle permet d’assurer l’entretien d’un chien guide ou d’assistance.

  Il existe par ailleurs un réseau associatif adapté à tout type de handicap oeuvrant en proposant diverses activités, en informant, en participant à certaines commissions.

  Les loisirs et vacances sont aussi encadrés par la loi de 2005.

  Pour toutes les personnes handicapées ne relevant pas du dispositif de la PCH, âgées de plus de 60 ans, d’autres caisses peuvent participer à l’amélioration des conditions de vie (CARSAT ou Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, Action sociale mutuelle, caisses de retraite, etc.). L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) propose également un plan d’aide sous conditions.

Intégration et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap visuel

L’accès et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap est l’un des enjeux de la loi du 11 février 2005. Elle s’appuie sur de nombreux acteurs :

  –les MDPH via les CDAPH ;

  –le service public à l’emploi : Pôle Emploi et Cap Emploi ;

  –les instances départementales et régionales : Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), services d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), prestataires de services spécialisés dans la déficience visuelle.

  Chaque cas est particulier du fait de l’interaction de nombreux paramètres, tels que l’atteinte visuelle en elle-même, l’approche psychosociale de la personne avec les motivations qui lui sont propres, l’état de ses ressources, son âge, le milieu de travail dans lequel elle évolue, son milieu familial et son entourage proche.

  La CDAPH est au centre du dispositif d’insertion professionnelle. Elle doit :

  –se prononcer sur l’orientation de la personne handicapée et sur les mesures propres à assurer son insertion professionnelle et sociale ;

  –désigner les établissements ou les services concourant à la rééducation, au reclassement de l’adulte handicapé ;

  –apprécier si l’état ou le taux d’incapacité de la personne justifie l’octroi d’aides ;

  –apprécier les besoins de compensation (notamment les besoins d’aides humaines et techniques qui peuvent aider la personne dans ses déplacements) ;

  –reconnaître le statut de travailleur handicapé.

  Avec la loi du 11 février 2005, la priorité doit être donnée à l’intégration dans le milieu ordinaire. Cette loi revoit la distinction qui était faite auparavant entre milieu ordinaire et milieu protégé en intégrant les entreprises dites adaptées dans le milieu ordinaire et crée des passerelles entre les différentes entreprises.

Milieu ordinaire

Les entreprises de plus de 20 salariés doivent employer 6 % de personnes handicapées. De plus, il est important de maintenir cette personne en activité au regard des difficultés de retrouver rapidement un autre travail.

  Les acteurs principaux pour ce maintien dans l’emploi sont :

  –le médecin du travail qui statue sur l’aptitude du travailleur. Il déclenche la procédure de demande d’aménagement du poste de travail. En cas d’inaptitude au poste occupé, il propose, avec l’employeur, un reclassement professionnel. En cas d’impossibilité de reclassement, il peut déclencher une procédure de licenciement pour inaptitude ;

  –l’AGEFIPH et le FIPHFP accompagnent les personnes handicapées dans toutes leurs démarches pour se former, accéder et conserver leur emploi via Cap Emploi et le SAMETH ;

  -des structures locales spécialisées dans la déficience visuelle qui proposent un ensemble de prestations visant à compenser le handicap.

  Dans le cas où le maintien dans l’emploi devient difficile malgré l’aménagement du poste, le travailleur peut demander à réduire son temps de travail ou à arrêter son activité. Il doit alors s’adresser au médecin conseil qui statuera sur une éventuelle mise en invalidité.

Milieu protégé

Les personnes handicapées dont l’intégration dans le marché du travail n’est pas possible sont orientées vers des établissements et services d’aide par le travail (ESAT). La décision d’orientation relève de la CDAPH. Les ESAT sont des établissements qui accueillent les personnes qui ont une capacité de travail inférieure à un tiers de celle des personnes valides. Les personnes admises en ESAT ont la qualité de travailleur handicapé. Le montant de cette rémunération est compris entre 55 et 110 % du Smic. Cette rémunération peut être complétée par l’AAH.

Solutions pour les aidants

L’aidant familial est « la personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne » [2]. Pour accompagner et soutenir les aidants, la possibilité de prendre des congés particuliers est ouverte. Il s’agit du congé de soutien familial, un congé non indemnisé. Cependant, l’aidant peut être employé par la personne aidée au titre de l’APA ou de la PCH aide humaine.

Conclusion

Les changements des politiques du handicap ont permis de concrétiser quelques ambitions de la réadaptation de la personne handicapée et de son accessibilité. Au fil du temps, la personne handicapée est devenue une personne citoyenne à qui il faut faire une place. Le combat est devenu politique ; la situation s’est donc favorablement améliorée. Cependant, alors que la loi de 2005 a plus de 10 ans, de nombreux progrès restent à faire pour valoriser cette singularité, qui amènerait à l’inclusion totale dans la société de la personne handicapée (accessibilité de l’ensemble des structures, accès à l’emploi, au logement, etc.). Attendons encore plus des politiques à venir, en gardant à l’esprit qu’améliorer l’existence d’une personne handicapée est accessible à chacun.

  « C’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble » écrivait Montaigne.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Guide Néret 2015.

[2]  Charte européenne de l’aidant familial. 2009. Coface Bruxelles.

www.coface-eu.org.

Réinsertion professionnelle

P. Dublineau, B. Tessier, N. C habin, G. Leroux

Législation

La loi du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés oblige les entreprises de plus de 20 salariés à employer au moins 6 % de personnes handicapées.

  Dans une conception environnementale du handicap, la personne handicapée est une personne comme les autres avec ses différences. L’adaptation du poste de travail tient compte de ces différences par une adaptation écologique liée à l’environnement professionnel, physique, humain et social de la personne. Il s’agit de concilier le poste proposé avec les capacités et les limites de la personne handicapée.

  Les procédures d’adaptation du poste de travail sont identiques pour l’accès et le maintien à l’emploi. Cependant, la grande majorité des interventions pour adaptation du poste de travail concernent le seul maintien dans l’emploi. En effet, la déficience visuelle ne concerne que 3 % de l’ensemble des dossiers des personnes handicapées en recherche d’emploi examinés par Cap Emploi, ce qui aboutit à n’ouvrir que quelques emplois chaque année pour les personnes déficientes visuelles, compte tenu des difficultés de réalisation spécifiques à ce type de déficience.

  Les démarches à effectuer pour le maintien dans l’emploi sont réalisées par le service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), quel que soit le statut public ou privé de l’entreprise, mais aussi par des organismes experts en déficience sensorielle tels les services interrégionaux d’appui aux déficients visuels (SIADV). Ils sont appelés à intervenir via le médecin du travail, l’employeur ou le salarié de l’entreprise si celui-ci a la reconnaissance du statut handicapé. Leur rôle est de trouver une solution de maintien dans l’emploi, afin d’éviter le licenciement du salarié que l’évolution de son handicap aurait rendu inapte à son poste. Ces services d’appui permettent d’obtenir les financements des réalisations et des aides techniques éventuelles.

  Les financements pour l’ensemble des mesures favorisant l’emploi des personnes handicapées (aides techniques, aides humaines, formations, transport, environnement de travail et sensibilisation) sont attribués par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) pour le secteur privé ; par le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées de la fonction publique (FIPHFP) pour les entreprises publiques ; ou l’Obligation d’emploi pour travailleurs handicapés (OETH) pour les établissements médico-sociaux. Pour solliciter une demande d’aide, c’est le conseiller à l’emploi ou le conseiller SAMETH, selon qu’il s’agit de recrutement ou de maintien dans l’emploi, qui constitue, avec l’employé, un dossier qu’il adresse à la délégation régionale de l’AGEFIPH. Les aides ne sont pas automatiques mais sont fournies en fonction des critères d’éligibilité, des priorités fixées et des ressources disponibles. Les montants sont calculés en fonction des accords de branche ou des conventions que l’entreprise a établies avec ces organismes, dans le cadre de la loi de février 2005. L’acquisition de matériel spécialisé pour compenser les situations de handicap ne constituant pas un gain pour l’entreprise est prise en charge à 100 %. D’autres types de subventions peuvent être accordés ; ainsi en est-il par exemple des transports, parfois pris en charge pour des périodes limitées.

Aménagement de l’environnement professionnel
Accessibilité

Accès domicile–travail

Le maintien dans l’emploi implique d’adopter une stratégie pour l’accessibilité au travail sans aide humaine : transport en commun, covoiturage, taxi, marche. Il faut savoir que les normes d’accessibilité exigées pour les entrées du public du même bâtiment ne s’appliquent pas pour les entrées du personnel.

Dans l’entreprise

Il faut veiller aux difficultés liées à la situation de handicap dans les cheminements entre les différents départements de l’entreprise, particulièrement au restaurant du personnel et aux toilettes pour une entière autonomie (éclairage, contrastes, mains courantes, marquages au sol, repères podotactiles, messages vocaux, etc.).

Environnement humain

À domicile, la personne déficiente visuelle peut parfois s’appuyer sur ses proches, dont le statut d’aidants peut être reconnu (voir le paragraphe précédent « Les droits des personnes déficientes visuelles et des aidants »). Dans l’entreprise, en revanche, l’employé déficient visuel ne doit dépendre qu’exceptionnellement de ses collègues par sa partie d’autonomie retrouvée. L’ensemble du personnel et la hiérarchie doivent être sensibilisés aux conséquences fonctionnelles individuelles de la déficience visuelle et au degré d’autonomie de leur collègue. Un membre du personnel pourra cependant être délégué auprès de la personne pendant une courte période de formation aux tâches demandées.

Adaptation personnalisée du poste de travail

Sur l’appel du référent du handicap, l’organisme financier peut décider du financement sur le rapport d’expertise d’un ergonome spécialisé qui a dressé le bilan global de la situation, qui a conçu les adaptations à prévoir et qui a établi le devis. Le référent du handicap peut être une personne spécifique dans une grande entreprise, ou dans des entreprises plus petites le médecin du travail, ou encore le correspondant du SAMETH ou de Cap Emploi.

  L’analyse des besoins se fait par l’intervention d’un ergonome spécialisé, en trois temps.

Bilan fonctionnel

Le premier temps consiste à évaluer ce qui permet d’effectuer le travail donné dans l’environnement adapté, en se servant de la vision restante, et en s’aidant des moyens de compensations sensorielles, cognitives et éventuellement matérielles.

Analyse globale du poste de travail

Quel que soit le secteur d’activité, les postes de travail à adapter ont un rapport plus ou moins proche avec la bureautique adaptée. L’analyse concerne les multiples activités du poste :

  –les tâches à accomplir, celles qui ne sont plus réalisées et pourquoi, et celles qu’il y a lieu de reprendre ;

  –les applications informatiques (supports, messageries, intranet, logiciels d’entreprise, documents informatiques) ;

  –les documents papiers.

Propositions d’amélioration

Les propositions sont faites après consultation des différents intervenants auprès de l’opérateur déficient visuel. Elles peuvent être de plusieurs ordres :

  –nouvelles procédures ;

  –nouveaux outils de compensation du déficit ;

  –aménagement du temps de travail ;

  –aides techniques, qui nécessitent parfois une formation du salarié : télé-agrandisseurs, logiciels de grossissement et de contraste, synthèse vocale ;

  –adaptations de l’éclairage naturel et artificiel d’ambiance et d’appoint ;

  –aménagement du travail sur écran : positionnement de l’écran et du clavier en fonction de la lumière, postures de travail, réglages du siège, axe de vision de l’écran, etc. ;

  –étude hygrométrique en cas de sécheresse oculaire ou de pathologie de surface.

Conclusion

Trois facteurs ont fait évoluer les idées sur la réinsertion professionnelle des personnes handicapées :

  –l’environnement qui apparaît dans la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF 2001) et qui devient un facteur essentiel du processus de production du handicap bien au-delà de la seule lésion organique ;

  –les modifications environnementales ouvrant le champ à de nombreux emplois ;

  –l’informatique donnant à présent aux personnes aveugles ou malvoyantes le même accès à l’information qu’aux bien-voyants.

  Le quota à 6 % d’employés handicapés est obligatoire et contraignant dans les entreprises de plus de 20 employés. Mais ces trois facteurs ont transformé le recrutement et le maintien dans l’emploi des métiers accessibles aux personnes handicapées.

Sport et déficience visuelle

G. Challe, P.-Y . Robert

La pratique sportive est une source d’entretien physique et psychologique pour chacun, mais elle peut aussi représenter pour la personne handicapée un moyen de résilience, un challenge personnel, un moyen de réinsertion, et un moyen d’exploration des capacités visuelles résiduelles ainsi que des sens compensatoires.

  Un très grand nombre de sports peuvent être accessibles aux déficients visuels. Des performances étonnantes ont été homologuées, par exemple l’exploit de Jim Dickson, premier déficient visuel à avoir traversé l’Atlantique en solitaire à la voile en 1987.

  La Fédération française handisport (FFH) recense les sports accessibles aux personnes déficiences visuelles, y compris des sports qui reposent habituellement sur l’adresse visuelle ou l’autonomie [1] :

  –sports d’adresse : escrime, golf, bowling, pétanque, showdown (dérivé du tennis de table), tir sportif ;

  –sports individuels : patinage artistique, judo, haltérophilie, natation ;

  –sports collectifs : avec ballon sonore et buts sonores, qui se jouent en équipe réduite, comme le cecifoot (équipes de 5 joueurs), le torball (équipes de 3 joueurs), le goalball (équipes de 3 joueurs) ;

  –sports de vitesse avec guide : cyclisme, ski, athlétisme ;

  –sports animaux : agility, équitation :

  –sports de pleine nature : voile, aéronautique, aviron, canoë, escalade.

  Les patients qui souhaitent accéder à une pratique sportive adaptée peuvent contacter la FFH10, et demander les coordonnées du Comité régional handisport dont ils dépendent.

  En revanche, la pratique du sport en compétition pour les personnes déficientes visuelles implique des exigences en termes de « sélection ».

10 Fédération française handisport, 42, rue Louis Lumière, 75020 Paris, tél. : 0140 31 45 00.

Organisation des compétitions
Au niveau national

Les sportifs déficients visuels désirant concourir avec d’autres athlètes déficients visuels doivent d’abord prendre une licence nationale auprès de la FFH.

À cette fin, ils devraient tous être classifiés ne serait-ce que pour être éligibles aux compétitions. Il convient d’en informer le sportif déficient visuel le plus tôt possible dans son entraînement. Il arrive malheureusement encore que des athlètes (et accessoirement leur entraîneur) découvrent après plusieurs années d’entraînement à la FFH qu’ils ne sont pas exigibles, ce qui représente toujours un sentiment d’échec pour le sportif handicapé.

Au niveau international

Sélectionnés par la FFH, les sportifs français déficients visuels sélectionnés pour des compétitions internationales devront s’aligner dans des compétitions organisées par l’une des deux fédérations internationales : l’International Paralympic Committee (IPC) et l’International Blind Sport Federation (IBSA).

  À cette fin, et selon leur statut (nous y reviendrons), ils devront se soumettre à une classification, qui ne peut s’effectuer que lors d’une compétition. Aucune classification internationale n’est en effet organisée en dehors de compétitions.

Les classifications

Il s’agit d’attribuer à chaque sportif une catégorie de déficience visuelle dans laquelle il pourra concourir à égalité de déficiences avec les autres concurrents, et ainsi de rendre les compétitions les plus équitables possible.

  La classification est un acte parfois difficile psychologiquement car cela confronte l’athlète à sa déficience et fait naître la question de l’avenir : « Reverrai-je un jour ? » Mais c’est aussi l’occasion d’un dépistage ou d’une éducation thérapeutique, dans le cas de jeunes sportifs déficients visuels venant de pays sous-médicalisés, et dont la pathologie a été incomplètement explorée ou traitée.

Conditions de l’examen

Pour être éligible, un athlète doit présenter une déficience qui entraîne une permanente et mesurable limitation d’activité. Sont pris en considération :

  - l’acuité visuelle monoculaire avec la meilleure correction optique possible ;

  - et/ou le champ visuel monoculaire.

  L’examen se déroule dans la ville où auront lieu les compétitions (ou dans le village paralympique), selon des critères définis : dans un espace d’au moins 6 mètres de longueur, avec un éclairage modulable (le même que dans la salle d’attente). Une durée de 30 minutes est prévue pour chaque classification.

  Le matériel nécessaire fait l’objet d’une liste consultable sur le site de l’IBSA ou de l’IPC. Hormis un matériel ophtalmologique classique, il doit comporter un appareil de champ visuel, Humphrey ou Goldmann.

  L’examen est conduit par deux panels, chacun composé de deux classificateurs : un ophtalmologiste (théoriquement spécialisé en basse vision) et un optométriste ou orthoptiste.

  Il y a actuellement 49 classificateurs (visual impairment [VI] classifiers) dans le monde, agréés et formés par les deux fédérations IPC et IBSA au terme d’une formation de 3 jours sanctionnée par un examen. L’anglais est la langue officielle.

Déroulement de l’examen

Après vérification de son identité, l’athlète signe un document indiquant qu’il consent à la classification et qu’un manque de coopération de sa part entraînerait l’arrêt de la classification.

  Les classificateurs prennent connaissance des documents nécessaires, qui précisent :

  - l’absence de contre-indication ophtalmologique ;

  - les résultats d’examens demandés si nécessaire (électrorétinogramme [ERG], potentiels évoqués visuels [PEV], champ visuel, angiographies, etc.) et effectués dans le pays d’origine, qui peuvent poser des problèmes de validité ;

  - le diagnostic ophtalmologique, qui peut se révéler erroné.

Matériel utilisé

Le processus de classification utilise le Berkley rudimentory test (BRT). Ce test, qui a l’avantage d’être très simple d’utilisation, reproductible dans des toutes les conditions d’installation, permet en outre de qualifier les très basses acuités.

  Il est constitué de trois cartes recto-verso:

  - la carte E-Tumblings qui permet de qualifier les acuités de 1/25 à 1/400 ;

  - la carte Grating acuity qui permet de qualifier les acuités de 1/50 à 1/800 ;

  - les cartes WFP et BWD qui permettent de qualifier les acuités non chiffrables (tableau 11-2 et voir Fig.11-61).

Un champ visuel peut être réalisé en plus selon les cas.

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Fig.11-61 Berkley rudimentory test, permettant des mesures d’acuité jusqu’à 1/400.

(Reproduction autorisée.)

Classes

Au terme de cette classification, les athlètes sont classés dans l’une des quatre catégories : B1, B2, B3 ou NOE (not eligible) :

  - B1 : acuité visuelle inférieure à LogMAR 2,6 inclus – cette catégorie est sujette à critique, puisqu’elle regroupe des patients avec et sans perception lumineuse ;

  - B2 : AV entre LogMAR 1,5 et 2,6 inclus, ou champ visuel < 10° de diamètre ;

  - B3 : AV entre LogMAR 1 et 1,4 inclus ou champ visuel < 20° de diamètre.

  La durée de validité de la classification est précisée par le panel : elle est en général de quatre années (une olympiade) ; dans les cas douteux, jusqu’à la prochaine compétition ; elle est exceptionnellement permanente en cas de prothèse bilatérale.

  Les athlètes peuvent contester le résultat de la classification. Ils sont alors réexaminés par un deuxième panel.

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Tableau. 11-2 Berkley rudimentory test

Conclusion

La classification des athlètes déficients visuels selon leur déficience est régie par des règles rigoureuses, imposant un examen ophtalmologique bien codifié, dont les enjeux sont très spécifiques. L’évaluation utilise des moyens simples et reproductibles partout, et permettent de classer les sportifs. De nouvelles classifications fonctionnelles sont en cours de réflexion, selon les besoins visuels spécifiques de chaque activité sportive.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  www.handisport.org/documents/pedagogie/Sports-DV.pdf.

Pour en savoir plus

Bailey IL, Jackson AJ, Minto H, et al. The Berkeley Rudimentory Test. Optom Vis Sci 2012 ; 89(9) : 1257-64.

Miwa M, Iwanami M, Oba MS, et al. Comparison of Log MAR eye charts with angular vision for visually impaired : The Berkeley Rudimentory vision test vs Log MAR One target Landolt ring Eye chart. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2013 ; 251(12) : 2761-7.

Le certificat ophtalmologique

F. Gérin-Roig, B. Le Bail

Un certificat ophtalmologique correctement renseigné et accessible est nécessaire pour communiquer avec des professionnels non formés à l’ophtalmologie, pour attester d’une atteinte visuelle sévère, faciliter la possibilité d’orientation vers tous les acteurs et/ou structures du médical, médico-social, social et associatif nécessaires à la prise en charge des conséquences de l’atteinte visuelle, et permettre l’ouverture des droits aux dispositifs de compensation. Ces dispositifs ont pour objectif de pallier les désavantages liés à la déficience visuelle (situation de handicap visuel) :

  – acter d’une atteinte visuelle sévère ;

  – permettre l’ouverture des droits aux dispositifs de compensation ayant pour objectif de pallier les désavantages liés à la déficience visuelle (situation de handicap visuel) :

   – dans l’autonomie financière : prestations financières compensant l’impossibilité de se procurer des revenus du fait du handicap (allocation adulte handicapée [AAH], pension d’invalidité, etc.) ;

   – dans le domaine professionnel : orientation professionnelle, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé [RQTH], accès aux dispositifs d’accompagnement dans l’emploi, etc. ;

   – dans le domaine personnel :

    • restation de compensation du handicap (PCH) : prestation destinée à financer tout type d’aide compensant la perte d’autonomie liée au handicap (humaine, technique, animalière, etc.), donc sur le principe avant 60 ans ;

    • APA (allocation personnalisée d’autonomie) : prestation financière destinée à financer les aides nécessaires pour l’autonomie des personnes âgées (après 60 ans, champ de la dépendance) ;

    • aide-ménagère et autres dispositifs (portage des repas, etc.) ;

    • dispositifs pratiques locaux présents dans l’environnement du patient dans différents champs (transports, loisirs, etc.) ;

   – carte d’invalidité, carte de stationnement.

  Le certificat CERFA ophtalmologique des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) (eFig. 11-39) possède de nombreux avantages :

  – il a été élaboré sur un consensus ;

  – il présente des questions binaires à compléter : oui ou non ;

  – il présente une présentation synthétique sur un recto et un champ visuel binoculaire au verso ;

  – il est en théorie rapide à renseigner pour l’ophtalmologiste. Des modifications ont été récemment apportées à sa rédaction (eFig. 11-40) :

  – l’acuité visuelle de loin doit désormais être mesurée avec la meilleure correction optique tolérée (en dehors de tout système optique grossissant, afin de ne pas pénaliser le patient dans son accès aux droits) ; transposée en système décimal afin d’en faciliter la lecture par tous les acteurs.

  – l’acuité visuelle de lecture doit être mesurée avec l’addition liée à l’âge et en lecture fluide afin de ne pas pénaliser le patient dans son accès aux droits ;

  – les données concernant l’acuité visuelle sans correction ont été supprimées car elles ne présentent pas d’intérêt ;

  – la mention : « hallucinose » a été ajoutée car elle est rarement indiquée spontanément par le patient et demeure importante à renseigner pour le médecin généraliste ;

  – la phrase suivante « Remarque : les éléments suivants sont particulièrement importants à renseigner dans la mesure où ils apportent des éléments complémentaires sur l’importance de l’atteinte visuelle » a été ajoutée suite aux données concernant l’acuité visuelle ;

  – les questions concernant le retentissement fonctionnel ont été complètement remaniées, avec des formulations très concises permettant d’appréhender les conséquences de l’atteinte visuelle dans tous les domaines concernés. La précision « besoin de tierce personne » est particulièrement importante à renseigner car elle conditionne fortement l’accès aux droits.

  Devant toute atteinte visuelle sévère, ce nouveau certificat devrait être renseigné par l’ophtalmologiste traitant permettant ainsi :

  – au patient de rendre conscience que son ophtalmologiste connaît les conséquences de son atteinte visuelle ;

  – à son médecin généraliste d’intégrer les conséquences de cette atteinte visuelle dans sa prise en charge globale ;

  – de faciliter l’accès aux droits, professionnels et dispositifs permettant ainsi au patient d’améliorer son autonomie et sa qualité de vie ;

  – à tous les professionnels impliqués dans la déficience visuelle d’avoir un support commun d’information.