Chapitre 11Méthodes d'examen

F. Audren, D. Lassalle, M. Santallier, C. Speeg-Schatz

Avertissement

La lecture rapide de ce premier texte (« I - La première consultation ») et du suivant (« II - Examen de l'enfant strabique ») pourrait faire croire que ces deux articles sont redondants. Le lecteur attentif notera que, s'il s'agit bien du même sujet, celui-ci est traité de façon suffisamment différente pour qu'il soit apparu nécessaire de les maintenir dans le fond et dans la forme, l'un et l'autre s'enrichissant mutuellement. La tentation de les fusionner n'a pas été retenue car cela aurait fait perdre l'originalité de chaque point de vue.

I - La première consultation

D. Lassalle, M. Santallier

Interrogatoire

Moment clef de l'examen, l'interrogatoire, outre le premier contact qu'il permet de créer avec l'enfant et la famille, va permettre de préciser si les parents ont constaté ou non la présence d'une déviation, sa date d'apparition, son sens, quel est l'oil qui « tourne », sa permanence, la présence de signes fonctionnels ainsi que les antécédents familiaux et personnels.

DÉVIATION CONSTATÉE PAR LES PARENTS ? DEPUIS QUAND ?

À l'exception de l'épicanthus, les parents ne se trompent que très rarement lorsqu'ils disent avoir constaté la présence d'un strabisme. En cas de doute de l'examinateur sur la présence d'une déviation alors que les parents avaient constaté un strabisme, on veillera à revoir régulièrement l'enfant jusqu'à pouvoir définitivement confirmer l'absence de tout strabisme.

En ce qui concerne la date d'apparition, les parents datent souvent de manière très précise la découverte du strabisme. Si la réponse à cette question permet de donner des indications sur la présence ou non d'une vision binoculaire, le thérapeute devra toujours garder en tête qu'un strabisme tardif peut en fait être un microstrabisme décompensé. De même, devant tout doute sur la présence d'une microtropie, il faudra toujours traiter cette dernière comme si elle était présente jusqu'à une éventuelle affirmation du contraire.

SENS DE LA DÉVIATION ?
STRABISME CONVERGENT

Le point important sera de différencier un épicanthus d'un vrai strabisme (cf. encadré).

Différencier épicanthus et strabisme

L'épicanthus est un repli cutané au coin interne de l'oil. Il est fréquent chez le bébé puisque le relief facial n'est pas mature. Il peut laisser penser à un strabisme. Il existe deux techniques pour faire la part des choses entre strabisme et épicanthus : l'interprétation des reflets cornéens (méthode de mesure d'un strabisme) ou les lunettes de dépistage.

Méthode aux reflets de Hirschberg

Elle consiste à analyser la position des reflets cornéens donnés par une torche lumineuse placée en vision de près et à la hauteur des yeux du patient (fig. 11-1). Un reflet symétrique sur les deux yeux par rapport à l'arête nasale élimine un strabisme (sauf si l'angle lambda est différent d'un oil à l'autre). Cette méthode reste approximative et peut ne pas mettre en évidence une microtropie.

Lunettes de dépistage

Ce sont des lunettes avec des secteurs binasaux. On peut les concevoir soi-même. Il faut faire arriver les secteurs tangentiellement au limbe nasal. Plusieurs lunettes de dépistage sont nécessaires car la distance interpupillaire augmente avec l'âge des enfants. On fait fixer une lumière non éblouissante à l'enfant (fig. 11-2). Si les secteurs arrivent au limbe sur les deux yeux, il n'y a pas de strabisme. Si un secteur ampute une partie de l'iris ou si une partie de sclère est visible, il y a un strabisme.

La méthode des reflets cornéens est rapide et efficace. Toutefois, une microtropie peut passer inaperçue.

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Fig. 11-1 Méthode aux reflets de Hirschberg. Épicanthus bien visible donnant un aspect d'yeux très rapprochés laissant penser à un strabisme.

a. Les reflets cornéens sont symétriques : pas de strabisme. b. Le reflet de l'oil droit est en temporal : ésotropie oil gauche fixateur.

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Fig. 11-2 Lunettes de dépistage.

a. Les secteurs arrivent aux limbes des deux yeux : pas de strabisme. b. Le secteur de l'oil droit ampute l'iris : ésotropie oil gauche fixateur.

STRABISME DIVERGENT

À la différence du strabisme convergent, lorsque les parents disent que l'oil dévie en dehors, il s'agit le plus souvent d'un vrai strabisme divergent (exotropie).

Classiquement, il est difficile de dater l'apparition des exotropies car ces dernières passent souvent par de longues périodes d'intermittence avant de devenir permanentes, ce qui fait souvent dire aux parents qu'elles sont apparues tardivement.

Du fait de cette fréquente intermittence, la difficulté pour l'examinateur sera de mettre en évidence cette exodéviation. Bien souvent, cette dernière ne se manifestera que rarement de façon spontanée, il faudra alors utiliser des artifices d'examen pour la révéler (occlusion alternée prolongée, mesure avec des verres de + 3 ? en vision de près).

L'OIL QUI TOURNE EST-IL TOUJOURS LE MÊME ?

Ce point est essentiel !

En effet, en cas de déviation permanente, le risque d'amblyopie sera important si l'oil dévié est toujours le même. En revanche, si les parents disent voir tourner alternativement un oil puis l'autre, le risque de voir se développer une amblyopie sera moindre.

La grande difficulté pour les parents sera liée à l'importance de l'angle de déviation. En cas de déviation importante, il sera plus aisé pour les parents de constater une alternance, tandis qu'en cas de microtropie cela sera plus compliqué.

SIGNES FONCTIONNELS

Les signes fonctionnels peuvent être nombreux mais ils ne sont pas forcément toujours présents.

Chez le jeune enfant

Ils seront rares, du fait des besoins visuels limités de ces derniers et du fait de la difficulté de les verbaliser.

Chez l'enfant d'âge scolaire comme chez l'adulte

Ils pourront prendre des formes variées : asthénopies, céphalées, baisse d'acuité visuelle, diplopie (rare chez l'enfant), etc.

ANTÉCÉDENTS PERSONNELS

Des problèmes durant la vie fotale, un accouchement long et difficile, une prématurité importante, un petit poids de naissance, un mauvais état de santé général devront être recherchés de façon systématique au cours de l'interrogatoire.

ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX

Comme pour les antécédents personnels, les antécédents familiaux devront être recherchés : on veillera à insister sur la présence d'amétropies fortes, de strabisme, de pathologies organiques, de maladies génétiques, de consanguinité.

En présence d'antécédents familiaux, la prudence devra être de mise, surtout si l'examen s'avère être normal.

Bilan moteur
À L'ÂGE PRÉVERBAL
INSTALLATION DE L'ENFANT

L'enfant n'étant pas toujours habitué au contact avec les étrangers, on évitera de le toucher en début d'examen. On installera l'enfant de manière symétrique sur les genoux de l'accompagnateur, lui-même étant installé sur une chaise avec un dossier et, dans l'idéal, un repose-pieds. L'enfant répugnant à utiliser le regard vers le haut, l'examinateur prend soin de s'installer plus bas. Ainsi, l'enfant sera perché et pourra aisément être examiné.

Face à un enfant présentant des troubles moteurs, on veillera à le laisser dans une position libérant sa motricité, le plus simple étant souvent de le laisser dans sa poussette qui sera mieux adaptée à ses troubles.

STRABISME VISIBLE

Dans cette situation, le diagnostic est suspecté par les tests fondés sur le reflet (tests de Krimsky et Hirschberg) et le test à l'écran, qui reste le « gold standard ».

Méthodes aux reflets

Deux méthodes aux reflets existent. Elles servent à dépister et estimer un angle de déviation oculaire. Elles sont à utiliser dans les cas d'amblyopie unilatérale à fixation non centrée - l'examen sous écran étant impossible dans ces cas-là, puisqu'il repose sur la fixation fovéolaire bilatérale. Elles sont fondées sur l'étude de la position des reflets cornéens. Le patient fixe une petite lumière ; cette lumière se projette sur les cornées. On étudie la position des reflets cornéens d'un oil par rapport à l'autre. Sur l'oil non amblyope, qui est donc fixateur, le reflet est dit « centré », en tenant compte de l'angle lambda (fig. 11-3). Le reflet est ensuite repéré sur l'oil amblyope et sa position est analysée. Si les reflets sont symétriques par rapport à l'arête nasale, le patient est orthophorique. Si les reflets ne sont pas symétriques, il y a strabisme [6].

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Fig. 11-3 Angle lambda.

L'angle lambda est formé par : l'axe pupillaire (1), la ligne de visée principale (2), le centre de la pupille (3). Le centre de la croix rose symbolise le centre de la pupille d'entrée. Le reflet cornéen est le point lumineux blanc et se trouve en nasal par rapport à ce centre et donc à l'axe pupillaire. Dans ce cas, l'angle lambda est positif.

Méthode de Hirschberg

La méthode de Hirschberg est fondée sur la comparaison des reflets cornéens et la quantification en millimètres de la différence entre les deux reflets.

S'ils ne sont pas symétriques par rapport à l'arête nasale, l'écart entre les deux reflets est estimé en millimètres. Un écart de 1 mm correspond approximativement à 8° de déviation. En simplifiant, si le reflet est au bord de la pupille, l'angle est de 15° environ, s'il est au bord du limbe, l'angle est à peu près de 40° [2]. Si on veut pouvoir comparer en dioptries, on peut estimer la déviation en multipliant le décalage du reflet en millimètre par 15 : un déplacement de 2 mm correspond à une déviation de 30 ? [1] (fig. 11-4). C'est une méthode très approximative mais très utile en cas d'amblyopie ou de grandes impotences musculaires. Ces estimations sont données pour un diamètre pupillaire de 4 mm. Toutefois, suivant les auteurs, 1 mm peut donner une déviation de 15 ? à 22 ?.

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Fig. 11-4 Méthode aux reflets de Hirschberg.

a. Les reflets sont symétriques par rapport à l'arête nasale avec un angle lambda positif. b. Le reflet de l'oil droit est en temporal par rapport au reflet de l'oil gauche qui est fixateur : ésotropie de 20 ? oil gauche fixateur. c. Le reflet de l'oil gauche est en temporal par rapport au reflet de l'oil droit qui est fixateur et presque au bord de la pupille : ésotropie de 35 ? oil droit fixateur. d. Le reflet de l'oil gauche est en nasal et en haut par rapport au reflet de l'oil droit qui est fixateur : exotropie de 50 ? et hauteur droite de 10 ? oil droit fixateur. e. Le reflet de l'oil droit est en nasal et en bas par rapport au reflet de l'oil gauche qui est fixateur : exotropie de 35 ? et hauteur droite de 10 ? oil gauche fixateur.

Méthode de Krimsky

La méthode de Krimsky permet de mesurer la déviation grâce aux barres de prismes de Behrens. Les prismes sont mis « arête dans le sens de la déviation » et augmentés jusqu'à ce que les reflets soient symétriques d'un oil par rapport à l'autre. La barre de prismes est placée devant l'oil fixateur et augmentée jusqu'au recentrage de l'oil dévié. En cas d'amblyopie motrice, la barre de prismes est mise devant l'oil amblyope et augmentée jusqu'au centrage du reflet.

Inconvénients des méthodes aux reflets

Même un examinateur entraîné ne peut déceler une microtropie. Un angle lambda asymétrique peut induire une erreur. Les estimations de la méthode de Hirschberg suivant les auteurs sont trop imprécises. D'autre part, elles sont données pour des diamètres pupillaires de 4 mm et symétriques : ce n'est pas toujours le cas.

Ces méthodes sont indispensables pour les amblyopies à fixation non centrée, l'examen des tout-petits ou des patients non coopérants. Toutefois, elles restent très approximatives et ne détectent pas les microtropies.

Examen sous écran

L'examen sous écran est le point fort du bilan oculomoteur. Il se fait en deux temps : examen sous écran unilatéral puis alterné. Chacun a sa spécificité et son intérêt.

L'examen sous écran unilatéral est le plus important et doit être réalisé en premier. Il différencie les phories des tropies. Il détermine l'oil fixateur, préférentiel ou l'alternance dans les tropies. Associé à la barre de prismes de Behrens, il quantifie l'angle de base.

Étant très dissociant, l'examen sous écran alterné n'a d'intérêt que dans la mesure de l'angle maximum. Il est alors associé à la barre de prismes de Behrens.

Mise en évidence d'une phorie

Dans les phories, l'examen sous écran montrera le mouvement d'un seul oil, celui du côté de l'écran. À la mise en place de l'écran, cet oil part en « position de repos ». Au retrait de l'écran, il reprend la fixation. Ce phénomène est détaillé pour les ésophories sur la figure 11-5, pour les exophories sur la figure 11-6 et pour une exophorie avec hauteur droite sur la figure 11-7.

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Fig. 11-5 Ésophorie.

1. Les reflets sont centrés. 2. L'écran est mis devant l'oil droit. Il dévie vers le nez. L'oil gauche ne bouge pas. 3. L'écran est retiré. L'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe. L'oil gauche ne bouge pas. 4. L'écran est mis devant l'oil gauche. Il dévie vers le nez. L'oil droit ne bouge pas. 5. L'écran est retiré. L'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe. L'oil droit ne bouge pas.

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Fig. 11-6 Exophorie.

1. Les reflets sont centrés. 2. L'écran est mis devant l'oil droit. Il dévie vers la tempe. L'oil gauche ne bouge pas. 3. L'écran est retiré. L'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez. L'oil gauche ne bouge pas. 4. L'écran est mis devant l'oil gauche. Il dévie vers la tempe. L'oil droit ne bouge pas. 5. L'écran est retiré. L'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez. L'oil droit ne bouge pas.

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Fig. 11-7 Exophorie avec hauteur droite.

1. Les reflets sont centrés. 2. L'écran est mis devant l'oil gauche. Il dévie vers la tempe et en bas. L'oil droit ne bouge pas. 3. L'écran est retiré. L'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez et monte. L'oil droit ne bouge pas. 4. L'écran est mis devant l'oil droit. Il dévie vers la tempe et vers le haut. L'oil gauche ne bouge pas. 5. L'écran est retiré. L'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez et descend. L'oil gauche ne bouge pas.

Mise en évidence d'une tropie

Dans les tropies, l'examen sous écran montrera un mouvement alternatif des deux yeux. Ce phénomène est détaillé pour les ésotropies sur la figure 11-8, pour une ésotropie avec hauteur gauche sur la figure 11-9, pour une exotropie avec hauteur droite sur la figure 11-10 et une ésotropie avec divergence verticale dissociée sur la figure 11-11.

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Fig. 11-8 Ésotropie.

1. Les reflets ne sont pas centrés. Le reflet de l'oil gauche est en temporal. 2. L'écran est mis devant l'oil droit. L'oil gauche prend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe. L'oil droit, derrière le cache, part vers le nez. 3. L'écran est retiré. Il existe trois possibilités : 3a. L'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe. L'oil gauche repart en position de repos vers le nez. Le strabisme est oil droit fixateur. 3b. Aucun mouvement de l'oil droit ou de l'oil gauche. Le strabisme est alternant. 3c. Après quelques instants ou un clignement, l'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe. L'oil gauche repart en position de repos vers le nez. Le strabisme est oil droit préférentiel.

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Fig. 11-9 Ésotropie avec hauteur gauche.

1. Les reflets ne sont pas centrés. Le reflet de l'oil gauche est en temporal et en bas. 2. L'écran est mis devant l'oil droit. L'oil gauche prend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe et en descendant. L'oil droit, derrière le cache, part vers le nez et en bas. 3. L'écran est retiré. Il existe trois possibilités : 3a. L'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe et en montant. L'oil gauche repart vers le nez et en haut. Le strabisme est oil droit fixateur. 3b. Aucun mouvement de l'oil droit ou de l'oil gauche. Le strabisme est alternant. 3c. Après quelques instants ou un clignement, l'oil droit reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe et en montant. L'oil gauche repart en position de repos vers le nez et en haut. Le strabisme est oil droit préférentiel.

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Fig. 11-10 Exotropie avec hauteur droite.

1. Les reflets ne sont pas centrés. Le reflet de l'oil droit est en nasal et en bas. 2. L'écran est mis devant l'oil gauche. L'oil droit prend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez et en descendant. L'oil gauche, derrière le cache, part en position de repos vers la tempe et en bas. 3. L'écran est retiré. Il existe trois possibilités : 3a. L'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez et en montant. L'oil droit repart en position de repos vers la tempe et en haut. Le strabisme est oil gauche fixateur. 3b. Aucun mouvement de l'oil droit ou de l'oil gauche. Le strabisme est alternant. 3c. Après quelques instants ou un clignement, l'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement de la tempe vers le nez et en montant. L'oil droit repart en position de repos vers la tempe et en haut. Le strabisme est oil gauche préférentiel.

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Fig. 11-11 Ésotropie avec divergence verticale dissociée.

1. Les reflets ne sont pas centrés. Le reflet de l'oil droit est en temporal et en bas. 2. L'écran est mis devant l'oil gauche. L'oil droit prend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe et en descendant. L'oil gauche, derrière le cache, part en position de repos vers le nez et en haut. 3. L'écran est retiré. Il existe trois possibilités : 3a. L'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe et en descendant. L'oil droit repart en position de repos vers le nez et en haut. Le strabisme est oil gauche fixateur. 3b. Aucun mouvement de l'oil droit ou de l'oil gauche. Le strabisme est alternant. 3c. Après quelques instants ou un clignement, l'oil gauche reprend la fixation en faisant un mouvement du nez vers la tempe et en descendant. L'oil droit repart en position de repos vers le nez et en haut. Le strabisme est oil gauche préférentiel.

Particularités de la divergence verticale dissociée

La DVD est une élévation « lente et majestueuse » de l'oil qui ne fixe pas. C'est une particularité des deux yeux qui, le plus souvent, est asymétrique. En position primaire, il peut même exister une hypotropie de l'oil non fixateur laissant penser, à tort, à une hypertropie unilatérale de l'autre oil. L'utilisation d'un écran translucide mettra en évidence secondairement l'hypertropie de l'oil initialement en hypotropie. La mesure de la DVD donne des valeurs variables dans le temps. Elle se décompense (se majore) quand on la mesure.

Particularités de l'examen à l'âge préverbal

Du fait d'une coopération souvent limitée à cet âge - il n'y a pas de corrélation simple entre l'âge et la coopération -, la mesure aux prismes est souvent difficile voire impossible (cf. infra) et les variations angulaires (angles minimum et maximum) seront plus du domaine de l'appréciation que de la mesure.

Au final, on peut évaluer le sens de la déviation, étudier l'alternance, estimer la valeur de l'angle et juger de la restitution.

Arbre décisionnel

Nous proposons un petit arbre décisionnel devant un strabisme de l'enfant à l'âge préverbal (fig. 11-12).

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Fig. 11-12 Arbre décisionnel : que faire face à un strabisme visible à l'âge préverbal ?

Le but de cet arbre est de déterminer la procédure pour la détection des problèmes organiques et la prévention ou le traitement de l'amblyopie.

STRABISME NON VISIBLE

L'examen confirme l'absence de déviation permanente. Les tests fondés sur les reflets (Hirschberg et Krimsky, cf. supra) n'ont pas d'intérêt vu la petitesse de l'angle éventuel. C'est dans cette situation que le test à l'écran unilatéral et alterné (cf. supra) prend toute son importance, à la recherche d'un microstrabisme dont le diagnostic est souvent difficile à cet âge, d'une restitution si la déviation est intermittente.

Toutefois, on pourra s'aider des tests suivants :

  • le biprisme de Gracis ;

  • le test de Lang I ;

  • le test d'échappement.

Biprisme de Gracis

Le principe du biprisme de Gracis repose sur le réflexe de version prismatique. Il peut être effectué quels que soient l'état moteur et l'état de la correspondance rétinienne. Les réponses oculaires du patient rendront compte de l'état moteur et sensoriel. Il est donc très utile dans la suspicion de microstrabisme ou de neutralisation.

Réflexe de version prismatique

La mise en place d'un prisme devant un oil provoque un mouvement de version prismatique. Il est provoqué par l'image qui arrive dans l'oil qui a le prisme (déplacement de l'espace visuel et perte de la fovéation de cet objet). C'est un mouvement involontaire (donc un réflexe) provoqué par un stimulus sensoriel monoculaire et qui donne une réponse motrice bi-oculaire sous forme de saccades. La réponse motrice se fait vers l'arête du prisme : si l'arête est vers la gauche du patient, la version se fera vers sa gauche [6].

Matériel

Le biprisme de Gracis est constitué de deux prismes de 34 mm de côté et de puissance identique. Ces deux prismes ont leur base opposée et sont placés l'un au-dessus de l'autre. Il existe différents modèles tant dans la présentation que dans la valeur (4, 6 et 8 ?). Le plus utilisé est celui de 6 ? car les mouvements voulus sont bien observables. Rappelons que la pertinence de la réponse est inversement proportionnelle à la taille du prisme.

Cet instrument de petite taille est indispensable dans la détection des microtropies (qui pourraient passer inaperçues à un examen sous écran) ou d'un scotome de neutralisation. Il étudie ainsi un versant moteur et un versant sensoriel lors d'un bilan oculomoteur.

Déroulement de l'examen

Le patient fixe attentivement un objet à 40 cm (cube de Lang) en position primaire. On place rapidement le biprisme devant un oil, arête nasale. On observe s'il existe un mouvement de cet oil et/ou de l'autre. Puis on déplace verticalement le biprisme et on observe ce qui se passe. On recommence devant l'autre oil.

Réponses
Normales

Le mouvement de version est observable à la mise en place du biprisme sur un oil et sur l'autre ainsi qu'au déplacement vertical de l'instrument (fig. 11-13) : il n'existe pas de trouble oculomoteur et la sensorialité est normale (pas de neutralisation).

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Fig. 11-13 Biprisme de Gracis.

1. Le patient fixe la cible. 2. Le biprisme est mis arête nasale devant l'oil droit. Les deux yeux font un mouvement vers la gauche du patient effectuant ainsi une version vers sa gauche. 3. Le biprisme est déplacé verticalement : l'arête devient temporale. Les deux yeux font un mouvement vers la droite du patient effectuant ainsi une version vers sa droite. 4. Le patient fixe la cible. 5. Le biprisme est mis arête nasale devant l'oil gauche. Les deux yeux font un mouvement vers la droite du patient effectuant ainsi une version vers sa droite. 6. Le biprisme est déplacé verticalement : l'arête devient temporale. Les deux yeux font un mouvement vers la gauche du patient effectuant ainsi une version vers sa gauche.

Tropie et/ou malvoyance

Deux réponses sont possibles :

  • première réponse : on n'observe aucun mouvement quand le biprisme est mis devant l'oil dévié ou malvoyant. La réponse est normale quand le biprisme est mis devant l'oil fixateur (fig. 11-14). Si on place un écran translucide devant l'oil dominant (oil gauche dans l'exemple) (fig. 11-15) :

    • la réponse se normalise : le diagnostic de microtropie simple avec neutralisation (oil droit dans l'exemple) est confirmé ;

    • la réponse reste pathologique : l'oil qui a le biprisme est non-voyant (oil droit dans l'exemple) ;

  • seconde réponse : on observe un mouvement lent en adduction de l'oil qui a le biprisme et pas de mouvement devant l'autre oil. Au déplacement vertical du biprisme, l'oil reste en adduction. La réponse est normale lorsque le biprisme est placé devant l'autre oil (fig. 11-16).

Le biprisme de Gracis permet en un seul temps d'examen d'étudier le versant moteur et le versant sensoriel d'un trouble oculomoteur. Il est très intéressant dans la détection des microtropies.

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Fig. 11-14 Biprisme de Gracis.

1. Le patient fixe la cible. 2. On interpose le biprisme devant l'oil droit. On n'observe aucun mouvement ni sur l'oil droit, ni sur l'oil gauche. 3. Au déplacement vertical du biprisme, il ne se passe rien. 4. Le patient fixe la cible. 5. Le biprisme est mis arête nasale devant l'oil gauche. Les deux yeux font un mouvement vers la droite du patient effectuant ainsi une version vers sa droite. 6. Le biprisme est déplacé verticalement : l'arête devient temporale. Les deux yeux font un mouvement vers la gauche du patient effectuant ainsi une version vers sa gauche. Il existe une tropie oil gauche fixateur.

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Fig. 11-15 Biprisme de Gracis.

1. Mise en place de l'écran translucide sur l'oil dominant. 2. Mise en place du biprisme arête nasale : normalisation de la réponse avec apparition du mouvement de version prismatique vers la gauche du patient. 3. Déplacement vertical du biprisme : version vers la droite du patient. 4, 5, 6. Réflexes normaux à la mise en place du biprisme sur l'oil gauche.

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Fig. 11-16 Biprisme de Gracis.

1. Le patient fixe la cible. 2. On interpose le biprisme devant l'oil droit. Il n'y a pas de réflexe de version prismatique. On observe un mouvement unilatéral de l'oil droit et c'est un mouvement en adduction. 3. Au déplacement vertical du biprisme, on n'observe aucun mouvement. L'oil droit reste en adduction. 4, 5, 6. Réflexes normaux à la mise en place du biprisme sur l'oil gauche.

Lang I

Nous reviendrons ultérieurement sur l'exploration de la vision stéréoscopique. Cependant, pour la période préverbale, deux remarques doivent être faites :

  • le fait de montrer une zone du Lang ne garantit pas que l'objet qui devrait être vu est vu puisqu'il n'est pas nommé, condition nécessaire à la validité du test ;

  • la valeur angulaire du test de Lang le plus difficile (550 secondes d'arc) correspond à une disparité sagittale (acuité stéréoscopique) d'environ 1/10 en disparité frontale (acuité visuelle) : il est évident que cette valeur n'est pas une garantie de l'absence de stéréoamblyopie.

Test d'échappement

Le test d'échappement aide à dépister une amblyopie en étudiant le comportement d'un très jeune enfant à l'occlusion d'un oil (vidéo 11-1).

Il se pratique pour des enfants de moins de dix-huit mois. Les réactions des enfants plus âgés sont moins instinctives et plus empruntées de la socialisation de l'enfant. Par exemple, un enfant très timide n'osera pas pousser la main de l'examinateur même s'il est amblyope [6].

Le test consiste à faire jouer le jeune patient. Une fois mis en confiance, la main de l'observateur cache l'oil et on voit le comportement de l'enfant. Puis on recommence avec l'autre oil en ayant laissé une phase de binocularité entre les deux occlusions.

Trois réponses sont possibles :

  • aucune modification du comportement de l'enfant à l'occlusion d'un oil puis de l'autre : absence d'amblyopie ;

  • refus de l'occlusion d'un oil : si, par exemple, l'examinateur cache l'oil droit et que l'enfant repousse la main ou se dégage sur le côté ou pleure, cela signe une amblyopie de l'oil gauche (l'enfant, privé de son « bon oil », réagit) ; à l'occlusion de l'autre oil, l'enfant continue de jouer ;

  • refus de l'occlusion de chaque oil : pas de conclusion.

Ce test est assez fiable. Toutefois, un enfant très timoré pourra ne pas manifester son mécontentement à l'occlusion de son bon oil par timidité.

BÉBÉ-VISION

Cf. infra.

À L'ÂGE VERBAL
STRABISME VISIBLE
Acuité visuelle

Naturellement, la mesure de l'acuité visuelle devient un temps fort de l'examen. Ce problème a été abordé dans le chapitre 3 « Évaluation de la fonction monoculaire ».

Test à l'écran unilatéral

Il permet d'évaluer l'angle minimum et la restitution si la déviation est intermittente (cf. supra).

Test à l'écran alterné

Il permet la mesure de l'angle maximum (cf. supra). Le plus souvent, il s'accompagne d'une mesure de la déviation aux prismes.

Mesure de la déviation aux prismes
Présentation

La mesure de la déviation aux prismes est le « gold standard » en strabologie. Les autres méthodes (Hirschberg et Krimsky) n'ont pas la même précision et ne sont que des mesures grossières.

L'association des prismes et des différentes techniques de tests à l'écran permet d'apprécier ou de mesurer les deux angles fondamentaux de la déviation strabique : l'angle minimum et l'angle maximum.

Une fois le sens de la déviation et l'oil fixateur établis, on mesure les angles à l'aide de prismes.

Les prismes

Ils peuvent être indépendants mais, le plus souvent, ils sont utilisés sous forme de barres : les barres de prismes de Behrens. Elles sont de deux types : horizontales et verticales.

Règle d'utilisation

Pour une bonne utilisation, la face postérieure du prisme doit être parallèle au plan frontal pour les mesures en position primaire, et adaptée pour les positions « tête tournée » de façon à ce que la face postérieure du prisme soit perpendiculaire à la direction de l'objet fixé sur l'axe visuel.

Sens du prisme

Le prisme doit être mis « arête dans le sens de la déviation ». Ainsi, si on est en présence d'une ésotropie, l'arête du prisme est mise en nasal.

Sur quel oil mettre le prisme ?

En l'absence d'amblyopie, l'oil choisi n'a pas d'importance. En cas d'amblyopie, le prisme est mis sur l'oil qui a la meilleure acuité visuelle. En cas d'incomitance suivant l'oil fixateur, le ou les prismes sont mis sur l'oil dont on veut mesurer la déviation. Lorsqu'il faut associer une barre de prismes verticale et une barre de prismes horizontale, on peut les cumuler sur le même oil si une des barres est une barre de Fresnel. Dans le cas contraire, il est préférable de mettre une barre devant chaque oil. De même lors de la déviométrie, la barre à action verticale sera mise devant l'oil dont on veut mettre en avant la verticalité. Par exemple, lors d'une élévation en adduction de l'oil droit, on corrige l'horizontalité sur l'oil gauche et la verticalité sur l'oil droit.

Mesure

L'angle est juste quand on ne voit plus de mouvement à la prise de fixation de chaque oil à l'écran alterné.

Quelques difficultés peuvent surgir :

  • il persiste un mouvement dans un sens pour un prisme et, lorsque le prisme est augmenté, on constate un mouvement dans l'autre sens : la valeur est juste pour le plus petit mouvement ;

  • l'hypermétrie de refixation (le mouvement de prise de fixation dépasse l'objet à fixer puis revient en faisant une sorte d'aller et retour) est une difficulté supplémentaire : l'angle est juste quand l'amplitude du mouvement « aller » est égale à l'amplitude du mouvement « retour ».

Fiabilité de la valeur obtenue

Compte tenu des différentes erreurs dues aux prismes, à l'appréciation de l'observateur (2 ?) et aux variations angulaires du strabisme lui-même, il est illusoire de prétendre mesurer un angle à la dioptrie près (vidéo 11-2 et vidéo 11-3).

Mesure en vision de près avec + 3 ? ODG

La mesure de la déviation de près avec une sur-correction de + 3 ? est un acte essentiel dans le bilan d'un strabique tant dans les ésotropies que dans les exotropies.

Dans les ésotropies

Il permet de préciser la part accommodative dans l'augmentation d'une déviation en vision de près (comme pour la guérison de l'amblyopie, le port de la correction optique totale est un préalable à cette technique).

Dans les exotropies

Il permet de préciser la part accommodative dans la diminution d'une déviation en vision de près (comme pour la guérison de l'amblyopie, le port de la correction optique totale est un préalable à cette technique).

Dans les deux cas, ces informations sont précieuses, car on sait que la part accommodative diminue avec le temps.

Élément vertical en position primaire ?

L'élément vertical est souvent difficile à identifier. Voici quelques principes qui permettent de nous aider.

Cet élément vertical varie-t-il suivant la direction du regard ?

Pour cela, il faut étudier les variations angulaires en faisant une déviométrie de loin (la déviométrie de près sollicite l'accommodation et induit des faux positifs ; notamment dans la mise en évidence des syndromes alphabétiques) :

  • si la verticalité augmente en adduction, cela peut signer une hyperaction de l'oblique inférieur si l'oil monte ou bien une hyperaction de l'oblique supérieur si l'oil descend ;

  • si la verticalité augmente en abduction, cela signera une hyperaction du droit supérieur et inversement pour le droit inférieur.

Cet élément augmente-t-il sous écran ?

Si c'est le cas, cela peut signer une divergence verticale dissociée (DVD) qui a la particularité, entre autres, d'augmenter à la fixation monoculaire :

  • un oil monte et l'autre descend : cela signe une hauteur de l'oil le plus haut ;

  • les deux montent alternativement sous l'écran en position primaire : c'est une DVD ;

  • les deux montent alternativement en adduction sous l'écran dans les regards latéraux : c'est probablement une élévation en adduction due à une hyperaction des obliques inférieurs.

STRABISME NON VISIBLE

L'examen avec les moyens que nous avons déjà vu (test à l'écran unilatéral et bilatéral, biprisme de Gracis, etc., cf. supra) aura pour objectif de vérifier l'exactitude de l'hypothèse de l'absence de déviation.

Dans cette situation, une vision stéréoscopique normale (cf. infra) sera un argument important mais non décisif sur l'absence d'une déviation ou, plus exactement, sur l'absence d'une déviation ayant des conséquences sensorielles.

Bilan sensoriel
DÉFINITIONS

La correspondance rétinienne désigne la correspondance cérébro-birétinienne, c'est-à-dire la relation sensorielle entre les deux rétines au niveau du cortex visuel  :

  • la correspondance rétinienne est normale si les deux fovéolas ont la même direction visuelle et sont par conséquent des points correspondants (fig. 11-17a) ;

  • la correspondance rétinienne est anormale si la fovéola d'un oil correspond à un point (ou une aire) excentrique de l'autre oil : elle est une tentative d'adapter la relation sensorielle à la situation motrice anormale (déviation strabique) (fig. 11-17b).

L'examen de la correspondance rétinienne nous apprend quelles sont les potentialités binoculaires sensorielles.

Critères cliniques autres que les tests

En dehors des tests eux-mêmes, il existe un certain nombre de signes sensorimoteurs observables : il s'agit du nystagmus manifeste latent, de la divergence verticale dissociée (DVD), de l'hypermétrie de refixation et de la compensation prismatique totale.

En présence d'un de ces signes, la vision binoculaire sera le plus souvent anormale. Elle le sera d'autant plus quand plusieurs de ces signes seront associés.

En revanche, en l'absence de ces signes, la vision binoculaire sera le plus souvent normale.

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Fig. 11-17 Correspondance rétinienne.

a. Normale (CRN). b. Anormale (CRA).

BIPRISME

Cf. supra.

TESTS DE VISION BINOCULAIRE : LES ESSENTIELS

Existe-t-il un test qui s'avère ou bien négligeable ou bien totalement significatif au point de rendre inutile l'emploi d'un ou plusieurs des autres ? La réponse étant négative, il est indispensable d'avoir recours à plusieurs tests.

Classiquement, on a pour habitude de classer les tests du moins dissociant au plus dissociant. Ainsi, plus un test sera dissociant plus il sera éloigné des conditions de vision réelle.

Les tests de vision binoculaire sont dits haploscopiques, ce qui signifie que l'image présentée à l'oil droit est différente de celle présentée à l'oil gauche.

Il existe deux types de tests :

  • les tests fovéo-fovéolaires sont indépendants de l'angle (ils peuvent être réalisés sans connaître l'angle de déviation du patient) : post-images de Bielschowsky, test maculo-maculaire, test de la diplopie provoquée ;

  • les tests fovéa-point correspondant sont dépendants de l'angle (ils doivent être réalisés en ayant connaissance de l'angle de déviation du patient) : verres striés de Bagolini et tests haploscopiques polarisés.

VERRE ROUGE

Fréquemment pratiqué, il permet de déterminer rapidement l'état sensoriel du patient.

Il se présente sous la forme d'un manche. Le patient est installé tête droite face à une lumière à 5 m ou à 33 cm. L'examinateur place le verre rouge devant un oil puis le patient doit dire s'il voit une ou deux lumières.

L'avantage de ce test est lié à sa simplicité, au fait qu'il ne nécessite que peu d'instrument et qu'il est de compréhension aisé pour le patient (ainsi que pour l'examinateur). Cependant, cela reste un test grossier dont les réponses peuvent être inconstantes. De plus, il est dit très dissociant, donc très éloigné des conditions de vision normale.

Exemple 1 - Paralysie oculomotrice du VI chez un sujet adulte (CRN) présentant une ésodéviation de 40 ?. À 0° (angle non compensé), l'interposition du verre rouge devant l'oil droit permet de mettre en évidence une diplopie homonyme. Ainsi, le patient voit un point lumineux rouge à droite et un point lumineux blanc à gauche (fig. 11-18). La compensation progressive de son angle de déviation entraîne un rapprochement progressif des images jusqu'à la fusion de ces dernières lorsque l'angle a été intégralement compensé (AO : angle objectif). En revanche, la surcorrection angulaire entraîne le passage en diplopie croisée.

Exemple 2 - Ésodéviation de 40 ? chez un patient présentant un strabisme précoce (CRA). À 0° (angle non compensé), l'interposition du verre rouge n'entraîne pas de diplopie, le sujet neutralise. La compensation totale de l'angle de déviation (AO : angle objectif) permet de mettre en évidence une diplopie croisée, cette dernière se majorant au-delà de l'angle objectif (fig. 11-19).

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Fig. 11-18 Verre rouge : évolution de la perception dans une CRN (voir le texte).

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Fig. 11-19 Verre rouge : évolution de la perception dans une CRA (voir le texte).

VERRES STRIÉS DE BAGOLINI

Les verres striés de Bagolini sont des verres plans présentant des stries microscopiques placées obliquement devant chaque oil et perpendiculairement entre elles (fig. 11-20). Ainsi, le sujet en fixant une source lumineuse punctiforme (à 5 m puis à 33 cm) voit apparaître des barres lumineuses perpendiculairement aux stries.

Le principal défaut des verres de Bagolini est son interprétation difficile. En effet, un même résultat peut décrire deux situations complètement différentes : ainsi, dans la figure 11-21 (schéma en haut à droite), il s'agit soit d'un strabisme à petit angle avec correspondance rétinienne anormale, soit d'une neutralisation fovéolaire avec correspondance rétinienne normale.

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Fig. 11-20 Verres striés de Bagolini. : face à main.

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Fig. 11-21 Différentes réponses au test des verres striés de Bagolini.

TEST DE LA DIPLOPIE PROVOQUÉE DE CÜPPERS

Ce test examine en même temps la relation sensorielle bifovéolaire et la relation sensorielle entre la fovéola de l'oil fixateur et le point correspondant moteur de l'oil non fixateur.

Il mesure l'angle objectif (angle mesuré par l'examinateur pour lequel il n'y a plus de mouvement de refixation), l'angle subjectif (angle auquel le patient superpose les deux images) et l'angle d'anomalie (différence entre l'angle objectif et l'angle subjectif). Il est habituellement effectué en vision éloignée à 5 m ; mais il peut aussi bien l'être en vision rapprochée à 30 cm.

Ce test paraît, à tort, difficile à comprendre. C'est un test précis, très utile pour nous aider à trancher entre correspondance normale et correspondance anormale.

Méthode

L'oil fixateur fixe la lumière de la croix de Maddox à travers un verre rouge sombre. Du fait de la densité du verre, il ne voit que ce point lumineux rouge. Le sujet fixe ce point et le perçoit droit devant lui ; il construit son espace visuel par référence à ce point.

La fovéola de l'oil non fixateur est repérée par une post-image verticale appliquée sur cet oil. Celui-ci voit en outre la croix de Maddox et, en particulier, son point de fixation en blanc (fig. 11-22).

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Fig. 11-22 Test de la diplopie provoquée de Cüppers : principe.

Résultats
Première possibilité

La post-image est alignée avec le point lumineux rouge. Cela signifie que les deux fovéolas ont la même valeur spatiale et sont binoculairement correspondantes, autrement dit que la correspondance rétinienne est normale (CRN). L'angle d'anomalie est égal à 0 (distance entre la post-image et le point rouge). Si le sujet est strabique, la lumière de Maddox (vue blanche) se projettera sur le point excentrique correspondant moteur (selon l'angle strabique) de la rétine de l'oil non fixateur et sera par conséquent vue en diplopie. La distance entre le point lumineux blanc et la post-image (fovéolaire) correspond de ce fait à l'angle objectif et dans ce cas aussi à l'angle subjectif (distance entre les points lumineux rouge et blanc) (fig. 11-23).

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Fig. 11-23 Test de la diplopie provoquée de Cüppers : réponse en cas de correspondance rétinienne.

Deuxième possibilité

Le point lumineux blanc est superposé au point lumineux rouge : cela signifie que la fovéola de l'oil fixateur et le point excentrique correspondant moteur (selon l'angle strabique) de l'oil non fixateur ont la même valeur spatiale et sont binoculaires correspondants, autrement dit que la correspondance rétinienne est anormale (CRA harmonieuse). La distance entre le point lumineux blanc et la post-image correspond comme précédemment à l'angle objectif. La distance entre la post-image et le point lumineux rouge correspond à l'angle d'anomalie. L'angle subjectif est égal à 0 (distance entre les points lumineux blanc et rouge) (fig. 11-24).

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Fig. 11-24 Test de la diplopie provoquée de Cüppers : réponse en cas de correspondance rétinienne anormale harmonieuse.

Troisième possibilité

Le point lumineux rouge se trouve entre le point lumineux blanc et la post-image ; cela signifie que l'angle objectif a augmenté du fait de l'effet dissociant du test (CRA dysharmonieuse). L'angle objectif et l'angle d'anomalie restent inchangés par rapport à la deuxième possibilité (fig. 11-25).

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Fig. 11-25 Test de la diplopie provoquée de Cüppers : réponse en cas de correspondance rétinienne anormale dysharmonieuse.

TESTS DE VISION STÉRÉOSCOPIQUE

La vision stéréoscopique est un des critères de réussite du traitement du strabisme. Les tests seront faits avec la correction optique du patient. Rien ne sert de les multiplier, il suffit de bien les choisir.

TEST DES DEUX CRAYONS DE LANG

Ce test n'utilise aucun artifice et nécessite peu de matériel [6] : deux crayons et un écran. Toutefois, ce test n'est pas quantifiable (fig. 11-26). Avec un oil occlus, les deux crayons ne sont pas alignés. Avec les deux yeux ouverts, l'alignement vertical des deux crayons témoigne d'une coopération binoculaire.

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Fig. 11-26 Test des deux crayons de Lang en monoculaire puis en binoculaire. Les deux crayons seront tenus verticalement. Le patient doit placer le bout du crayon qu'il tient dans sa main sur celui de l'examinateur.

a. Dans un premier temps, un oil du patient est occlus. b. L'examen est refait avec les deux yeux ouverts.

TEST DE LANG I

Il se présente sous la forme d'un carton de la grandeur d'une carte postale (fig. 11-27) [6]. C'est plutôt un test de dépistage.

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Fig. 11-27 Test de Lang I.

Il est fondé sur une technique de points aléatoires qui sont vus sans lunettes polarisées. Le Lang I comporte trois dessins : un chat (1 200 secondes d'arc), une étoile (600 secondes d'arc) et une voiture (550 secondes d'arc) - le Lang II existe mais n'est pas performant. Le test est placé à 0,40 m et tenu par l'examinateur, bien parallèlement au plan frontal du patient. Il ne doit pas être bougé, ni pivoté et fait à la lumière du jour. De même, le patient ne doit pas bouger sa tête. Celui-ci doit nommer les dessins. Si l'enfant est très jeune, il peut les toucher ou tenter de les attraper avec ses doigts mais ce geste ne certifie pas la présence d'une vision stéréoscopique. Il doit être utilisé avec soin. Une simple perception de l'image ne suffit pas pour affirmer une vision binoculaire normale. Une perception floue se retrouve dans certaines microtropies.

TEST TNO
Présentation du test

Le TNO est un test duochrome fondé sur le principe des nappes de points aléatoires [6]. Il nécessite des lunettes rouge/vert. Il s'agit d'un classeur qui comporte sept planches de structures géométriques qui apparaissent en relief (fig. 11-28 et 11-29). La stéréoscopie va de 480 secondes d'arc à 15 secondes d'arc. Il comprend :

  • quatre planches de dépistages : deux papillons, quatre disques, quatre figures (et une vue sans relief), un test de recherche de neutralisation ;

  • trois planches de mesure de l'acuité stéréoscopique (480 à 15 secondes d'arc).

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Fig. 11-28 Test TNO.

a. Le papillon. b. Les cercles. c. Les cinq formes géométriques. d. La recherche d'une neutralisation.

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Fig. 11-29 Test TNO avec mesure de l'acuité stéréoscopique.

a. Modèle pour expliquer au patient. b. Une des trois pages de test. c. Réponses avec équivalence en acuité stéréoscopique.

Conditions de l'examen

Le test est placé à 0,40 m et tenu par l'examinateur, bien parallèlement au plan frontal du patient. Il ne doit pas être bougé ni pivoté, et fait à la lumière du jour. De même, le patient ne doit pas bouger sa tête. Celui-ci décrit ce qu'il voit, compte le nombre de papillons, indique où se trouvent le petit rond et le grand rond, l'emplacement des formes géométriques et donne l'orientation pour les parts manquantes. Le test de recherche de neutralisation est fait au début s'il y a un doute sur la perception simultanée. Le patient indiquera alors le nombre de ronds vus : la présence des trois ronds signale une participation binoculaire ; si seulement deux ronds sont vus, il y a neutralisation. La couleur des ronds vus donne l'oil qui perçoit et, dans ce cas, il y a une neutralisation de l'autre oil.

Astuces

Pour les planches de mesures fondées sur l'orientation droite/gauche et haut/bas, on peut s'aider d'un carton découpé comme le modèle. L'enfant n'aura plus qu'à présenter son carton dans le même sens que celui du classeur, selon le même procédé que le test d'acuité visuelle des « E ». Pour les enfants plus grands, on peut parler d'un gâteau ou d'un fromage dont il manque une part. Pour les adultes en âge de connaître les jeux vidéo, on peut parler des « pacmans ».

C'est le test le plus fiable et le plus précis pour la mesure de la stéréoscopie.

Il ne peut pas être perçu en monoculaire. Un patient présentant une microtropie arrive rarement à une acuité inférieure à 100 secondes d'arc [2]. Étant très dissociant, il peut mettre en échec les tropies intermittentes. Il est réalisable chez les dichromates.

Le test TNO est le « gold standard » de la vision stéréoscopique.

TEST RANDOT

Il repose sur le principe d'une nappe de points aléatoires (Randot étant la contraction de random dots) [6]. Le relief est perçu avec des lunettes polarisées. C'est un livret constitué de trois parties (fig. 11-30) :

  • tests géométriques (500 à 250 secondes d'arc) ;

  • trois rangées d'animaux (400 à 100 secondes d'arc) ;

  • dix séries de cercles (400 à 20 secondes d'arc).

Il mesure des acuités plus fines que le Wirt.

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Fig. 11-30 Test Randot.

Le test est présenté à 0,40 m. Le patient doit reconnaître les formes géométriques, l'animal en relief dans chaque rangée, ainsi que les ronds en relief.

TESTS DE VISION STÉRÉOSCOPIQUE DES PROJECTEURS DE TESTS

Ils sont fondés sur le principe de deux images légèrement décalées, réalisant ainsi une parallaxe oculaire [6]. Ils sont inclus dans certains projecteurs de tests de différentes marques. Ils nécessitent l'emploi des lunettes polarisées pour certains ou rouge/vert pour d'autres. Certains permettent de mettre en évidence une stéréoscopie et d'autres de la mesurer (fig. 11-31).

Pour les tests de contrôle, l'extériorisation vers l'avant doit se faire entre 1 m et 1,5 m en avant du plan de projection. Pour s'assurer que le relief est bien perçu, l'examinateur place un objet en avant de l'écran. Le patient indique s'il voit le trait entre lui et l'objet ou entre l'écran et l'objet.

Pour les tests de mesure, les traits du haut correspondent à 390 secondes d'arc, ceux de droite à 440 secondes d'arc, ceux du bas à 460 secondes d'arc et ceux de gauche à 550 secondes d'arc (société Topcon). Le matériel est inclus dans le projecteur de tests et peut être présenté à 5 m.

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Fig. 11-31 Tests de vision stéréoscopique des projecteurs de tests.

a, b. Tests de contrôle. c, d. Tests de mesure. Le patient indique s'il voit les traits décalés les uns par rapport aux autres et sur des plans différents.

CAS PARTICULIERS

Il est possible de mesurer la vision stéréoscopique d'un patient en correspondance rétinienne normale et qui voit double dans certaines directions du regard. Il suffit de lui présenter le test dans sa zone d'haploscopie.

En cas de torticolis préservant la vision binoculaire, le test doit être présenté dans cette position.

AUTRES TESTS

Le test de Wirt (Titmus), le Random-Dot E, le chat de Weiss, le Frisby, le pendule de Pulfrich, le test de Krats et Laroudou sont autant de tests de vision stéréoscopique qui doivent être abandonnés soit par leur manque d'acuité stéréoscopique fine, soit par leur manque de quantification, soit pour leur rareté.

  • La vision stéréoscopique doit être mesurée lors de tout bilan oculomoteur.

  • Le test TNO est le plus fiable et permet une mesure fine de la stéréoscopie.

  • Une bonne vision stéréoscopique est un des critères de réussite du traitement des troubles oculomoteurs.

CE QU'IL FAUT RETENIR

L'isoacuité et un test TNO normal (le Lang I peut être utilisé chez les jeunes enfants) sont le signe d'une coopération bifovéolaire de qualité signant l'absence d'une tropie permanente.

Examens complémentaires
DÉVIOMÉTRIE

La déviométrie consiste à mesurer la déviation oculomotrice dans les neuf positions du regard. Elle peut être réalisée soit dans l'espace de loin (pour limiter la sollicitation de l'accommodation) via l'examen sous écran alterné, soit au synoptophore, soit au coordimètre (Lancaster, Hess-Weiss.), soit à l'écran tangentiel.

L'avantage de la déviométrie dans l'espace est qu'elle ne nécessite aucun matériel particulier en dehors du cache opaque et des barres de prismes. De plus, elle peut être réalisée quel que soit l'état de la correspondance rétinienne, à la différence des techniques coordimétriques ou de l'écran tangentiel qui nécessitent une correspondance rétinienne normale (CRN).

MANOUVRE DE BIELSCHOWSKY

La manouvre de Bielschowsky consiste en une inclinaison alternée sur chaque épaule. Cette inclinaison va entraîner des mouvements compensateurs torsionnels au niveau des deux yeux.

Ainsi, lors de l'inclinaison de la tête sur l'épaule droite, l'oil droit fera un mouvement d'incyclotorsion compensateur par activation de l'oblique supérieur et du droit supérieur, alors que l'oil gauche fera un mouvement d'excyclotorsion par activation du droit inférieur et de l'oblique inférieur.

Lors de l'inclinaison de la tête sur l'épaule gauche, on constatera un mouvement d'excyclotorsion sur l'oil droit par activation de l'oblique inférieur et du droit inférieur, alors que sur l'oil gauche, on constatera un mouvement d'incyclotorsion par activation de l'oblique supérieur et du droit supérieur.

La réalisation de cette manouvre est intéressante dans les déviations verticales.

Elle sera typique en cas de paralysie de l'oblique supérieur puisque, dans cette dernière, l'oil atteint ne pouvant effectuer une intorsion, le droit supérieur tentera de compenser l'absence de cette dernière mais, du fait d'un rôle intorseur minime, on constatera une majoration plus ou moins importante de la déviation verticale lors de l'inclinaison de la tête du côté de l'oil paralysé (fig. 11-32).

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Fig. 11-32 Manouvre positive de Bielschowsky sur l'épaule dans le cadre d'une paralysie de l'oblique supérieur gauche. Tête penchée sur l'épaule droite : hypertropie droite ; tête penchée sur l'épaule gauche : absence d'hypertropie.

ÉCRAN TANGENTIEL (PAROI DE HARMS)

L'écran tangentiel est un grand écran carré de 2,33 m de côté permettant de mesurer simultanément dans l'espace (de 0 à 30° d'excursion) et à la même distance de fixation (2,33 m), la déviation horizontale, verticale et torsionnelle ; en position primaire (regard de face), secondaire (regard en haut, regard en bas, regard à droite, regard à gauche) et tertiaire (regard en haut et à droite, regard en haut et à gauche, regard en bas et à droite, regard en bas et à gauche) (fig. 11-33a). Cette méthode fonctionnant selon le principe de la confusion, elle nécessite la présence d'une correspondance rétinienne normale (CRN). L'haploscopie est réalisée par l'interposition devant l'oil fixateur d'un verre rouge sombre qui ne laisse filtrer que les sources lumineuses.

La grande originalité de cet appareil consiste dans le fait que les différentes positions du regard sont obtenues non pas en déplaçant la lumière fixée mais en modifiant la position tridimensionnelle de la tête de manière quantitativement contrôlée, le regard restant fixé sur la lumière centrale (fig. 11-33b).

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Fig. 11-33 Écran tangentiel : principe.

a. L'écran. b. Les yeux regardent toujours le centre de l'écran et c'est la tête qui tourne. Le regard est toujours perpendiculaire à l'écran. La déviation (sauf les déviations torsionnelles) est toujours représentée par une droite tangente (l'écran) au centre de l'écran (d'où son nom).

(Schéma : d'après le Pr. Klainguti.)

INSTALLATION DU PATIENT

En plus de l'écran, le matériel comprend un verre rouge, un casque qui permet de préciser l'orientation de la tête et une torche (fig. 11-34a). Le sujet examiné porte le casque, met le verre rouge devant un de ses deux yeux et tient la torche dans l'autre main. L'examinateur tient la commande d'orientation de la fente.

Au début de l'examen, le patient tient la torche avec sa main droite et l'oriente sur l'écran de la paroi de manière à percevoir le cercle vert. Avec sa main gauche, il tient le verre rouge qu'il positionne devant son oil gauche. Le patient voit ainsi le rond vert avec son oil droit, le point blanc et le trait blanc (qui sont devenus rouges grâce au verre rouge tenu par le patient) avec son oil gauche.

L'oil gauche est donc l'oil fixateur tandis que l'oil droit est localisateur. La déviation étudiée est donc celle de l'oil gauche. La torsion quant à elle est représentée avec le trait rouge. C'est donc la torsion de l'oil gauche qui est étudiée.

Dans une seconde partie, le verre rouge et la torche sont inversés (fig. 11-34b), l'oil droit devenant fixateur et l'oil gauche localisateur.

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Fig. 11-34 Écran tangentiel.

a. De gauche à droite : la torche lumineuse, le casque, la commande de la torsion et le verre rouge. b. Installation du patient.

RÉALISATION DE L'EXAMEN

La tête du patient est ensuite alignée de façon à ce que les yeux du patient soient en position primaire.

Le patient va venir encercler le point rouge avec le cercle vert, puis il suffit à l'examinateur de compter les degrés de décalage en abscisse par rapport au centre pour obtenir la déviation horizontale puis les degrés de décalage en ordonnée par rapport au centre pour obtenir la déviation verticale (fig. 11-35a).

Enfin, on demande au sujet si le trait rouge est horizontal. S'il l'est, il n'y a pas de torsion. Dans le cas contraire, il faut utiliser la télécommande pour incliner le trait blanc dans le sens voulu pour que le trait rouge vu par le patient soit horizontal (fig. 11-35b).

On répète ensuite cette manouvre dans les positions cardinales du regard.

Les données sont ensuite recueillies dans un tableau où, pour chaque position cardinale, il y a une case pour la déviation horizontale, une pour la déviation verticale et une pour la déviation torsionnelle (fig. 11-36).

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Fig. 11-35 Écran tangentiel.

a. De gauche à droite : la fente lumineuse rouge vue par le patient, le cercle vert projeté par la torche et la croix lumineuse projetée par le casque permettant l'alignement de la tête et des yeux. b. Réalisation de l'examen : réglage de l'inclinaison de la fente.

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Fig. 11-36 Écran tangentiel. Feuille de recueil des données.

LANCASTER ET HESS-WEISS

Le Lancaster et ses dérivés, tels que le Hess-Weiss, sont des coordimètres. Ils sont fondés sur le principe de la confusion et nécessitent de ce fait la présence d'une correspondance rétinienne normale (CRN).

TEST DE LANCASTER
Présentation de l'appareil

Il est constitué d'un écran d'environ 1,50 m de côté de couleur grise. Il est marqué par des coutures formant des carrés de 5 cm de côté. Il porte des rivets qui indiquent les positions diagnostiques du regard. Une mentonnière située à 1 m permet d'installer le patient de façon stable. Le sujet porte une paire de lunettes rouge-vert (fig. 11-37a).

Dans une pièce sombre, l'examinateur donne la torche projetant la fente lumineuse verte au sujet dont l'oil droit porte le filtre rouge et l'oil gauche le filtre vert et lui prend la torche rouge. Il va ensuite projeter la fente rouge dans les différentes positions diagnostiques du regard et demande au sujet de venir placer la fente verte sur la rouge. Ainsi, on étudie à ce moment précis la déviation de l'oil gauche puisque l'oil droit fixe la fente rouge immobile, tandis que l'oil gauche fixant la fente verte peut se déplacer à volonté en commandant les mouvements de celle-ci jusqu'à obtenir la superposition (fig. 11-37b).

Les résultats sont ensuite notés sur une feuille reproduisant l'écran. Ils permettent de mettre en évidence l'oil atteint (le plus petit des deux carrés), le ou les muscles atteints ainsi que les hyperactions (fig. 11-38).

Puis, la même manouvre est effectuée en inversant les torches (torche rouge pour le patient et torche verte pour l'examinateur).

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Fig. 11-37 Test de Lancaster.

a. Installation du patient. b. Réalisation d'un test.

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Fig. 11-38 Lancaster d'une paralysie du VI avec la limitation du droit latéral de l'oil gauche, l'hyperaction du droit médial gauche et l'hyperaction du droit médial droit.

Limites et défauts du Lancaster

L'utilisation d'un écran carré a pour conséquence de faire que les positions en diagonale ne sont pas à la même distance que les points latéraux. Ainsi, la distance point central-point latéral correspond à 40 ?, alors que la distance point central-point diagonal correspond à 56 ? (fig. 11-39).

De même, ne réaliser que le petit carré central fera méconnaître une paralysie légère.

De plus, la présence d'un daltonisme important ainsi que celle d'une amblyopie profonde entraînera l'impossibilité de réaliser l'examen.

Enfin, on se souviendra qu'en dehors d'une utilisation avec la torche de Kratz (pointeur laser projetant une ligne rouge et non un point), le Lancaster ne permet pas l'étude des déviations torsionnelles et qu'une déviation oblique à ce test correspondra à une déviation mixte à la fois verticale et horizontale et non à une déviation torsionnelle (inclinaison du test linéaire projeté par le sujet) comme c'est typiquement le cas pour la paralysie bilatérale de l'oblique supérieur (fig. 11-40).

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Fig. 11-39 Défaut technique du Lancaster lié à l'utilisation d'un carré.

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Fig. 11-40 Paralysie bilatérale de l'oblique supérieur avec pseudo-torsion.

COORDIMÈTRE DE HESS-WEISS

Dérivé du Lancaster, il est semblable à ce dernier sur de nombreux points.

Il présente la particularité d'être plus petit (carré de 70 cm de côté, quadrillé en rouge par des carrés de 2,5 cm de côté) ; il est donc moins encombrant que le Lancaster. À la différence du Lancaster, il se fait en éclairage normal. Pour le Hess-Weiss, on utilise uniquement une torche rouge mais on inverse la position des lunettes rouge-vert. Du fait de sa taille réduite, l'examen est réalisé non à 1 m mais à 50 cm.

Enfin, la Hess-Weiss présente la particularité d'avoir un second écran au verso qui propose une forme à « choix multiple » qui, de par la présence de petits carrés noirs perçus par les deux yeux, va favoriser la fusion (fig. 11-41).

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Fig. 11-41 Test de Hess-Weiss. À gauche, forme libre et, à droite, forme à choix multiple.

(Document M. Santallier.)

RÉTINOGRAPHES
PRÉSENTATION

Apparus au milieu des années 2000, les rétinographes non mydriatiques se sont progressivement implantés dans les cabinets et services d'ophtalmologie. En effet, outre le fait qu'ils permettent un gain de temps, la réalisation non dilatée entraîne un net gain au niveau du confort pour le patient. Enfin, couplés à un appareillage photographique de grande qualité (appareil photographique reflex) ainsi qu'à un système informatique, l'archivage et le suivi sont grandement simplifiés (fig. 11-42).

Si initialement ils n'étaient pas destinés aux strabologues, ils ont progressivement trouvé leur place chez ces derniers. Grâce à une très bonne reproductibilité, on est en mesure de suivre l'évolution de la torsion objective propre à certaines pathologies oculomotrices, telles que l'élévation en adduction, la divergence verticale dissociée (DVD), la paralysie du IV.

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Fig. 11-42 Rétinographe de la marque Topcon.

MESURE DE LA TORSION À L'AIDE DE LA PHOTOGRAPHIE DU FOND D'OIL

La mesure de la torsion du fond d'oil consiste à déterminer l'angle en degrés entre l'horizontale passant par la fovéola et le pôle supérieur et inférieur. Ainsi, il est possible de déterminer le rapport entre la papille et la fovéola (fig. 11-43). Ce dernier est considéré comme normal quand :

  • le centre de la papille est au-dessus de l'horizontale ;

  • le pôle inférieur de la papille est au-dessous de l'horizontale.

La torsion sera considérée comme significative quand :

  • le pôle inférieur de la papille est au-dessus de l'horizontale (extorsion) ;

  • le centre de la papille est au-dessous de l'horizontale (intorsion).

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Fig. 11-43 Mesure de la torsion à l'aide de la photographie du fond d'oil.

a. Sujet normal. b. Photographie du fond d'oil d'un patient présentant une paralysie de l'oblique supérieur droit (extorsion).

ÉCRANS TRANSLUCIDES

Les écrans translucides laissent passer les afférences lumineuses mais ne permettent pas la vision des formes quand ils sont interposés devant les yeux. En revanche, l'observateur voit bien les yeux du patient et leurs mouvements [3]. L'examinateur a tout intérêt à les utiliser dès le commencement de sa pratique car ils permettent une meilleure visualisation des déviations associées aux phénomènes horizontaux. Toutefois, la position de l'oil derrière l'écran reste indéfinie car nous ne savons pas ce qu'il « fixe » [6].

UTILISATION EN MONOCULAIRE
Mise en évidence de la DVD

À l'interposition d'un écran translucide unilatéral, l'oil derrière l'écran monte. Puis l'écran est mis devant l'autre oil. Alors il monte. Le mouvement d'élévation est assez lent et est exacerbé par la fixation monoculaire de l'autre oil. Au retrait de l'écran, l'oil redescend de façon plus ou moins incomplète. Cet écran met donc bien en évidence la « montée lente et majestueuse » de l'oil derrière l'écran et ceci pour les deux yeux.

Motilité

Lors de la motilité, il peut être utile d'utiliser cet écran pour s'assurer de la fixation d'un oil. Par exemple, pour mettre en évidence une élévation d'un oil en adduction, il peut être utile d'utiliser un écran translucide devant cet oil pour être certain qu'il ne fixe pas.

UTILISATION EN BINOCULAIRE

L'examen à l'écran translucide bilatéral se pratique en position primaire en vision de loin (5 m) en faisant regarder un point lumineux. Il fait partie des tests de détente. La position des yeux sans fixation est alors observable mais non mesurable. Il s'agit de la position de repos physiologique de Maddox ou l'angle statique de Lancaster [34]. C'est une des façons de déterminer l'angle minimum du strabisme sans toutefois pouvoir le mesurer et donc sans pouvoir le comparer à l'angle mesuré sous écran classique. Il est particulièrement intéressant dans l'examen de la DVD puisque celle-ci disparaît ou presque sous écrans translucides bilatéraux (fig. 11-44).

L'écran translucide est un outil précieux pour aider à différencier l'origine des phénomènes verticaux. En outre, en tant que test de détente, il permet d'appréhender l'angle minimum.

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Fig. 11-44 Écran translucide bilatéral.

a. Ésotropie avec DVD oil gauche fixant. b. Oil droit fixant. c. Disparition des facteurs verticaux sous écrans translucides bilatéraux.

BAGUETTE DE FILTRES ROUGES DE BAGOLINI

La baguette de filtres rouges de Bagolini [6] est constituée d'une succession de verres rouges du plus clair au plus foncé. Le verre le plus clair permet d'être très proche des conditions naturelles de vision, tandis que le plus foncé ne permet que de voir une lumière au travers et neutralise tout le reste du champ visuel. Autrefois, elle était très utilisée pour lever la neutralisation et rééduquer la correspondance rétinienne anormale. Depuis, nous savons que celle-ci ne se rééduque pas car elle reste anormale. De plus, cette rééducation était nocive puisqu'elle pouvait créer une diplopie.

La baguette de filtres rouges de Bagolini a deux utilités :

  • elle permet de lever la neutralisation temporairement (et brièvement) pour connaître l'état sensoriel sous-jacent ; toutefois, il est fortement recommandé de déterminer cet état sensoriel par d'autres moyens (hypermétrie de refixation, DVD. qui sont des signes de CRA ; une vision stéréoscopique à 60 secondes d'arc au TNO assure pratiquement une CRN) ;

  • elle peut aider pour différencier une DVD d'une hypertropie simple : en effet, lorsqu'on a déclenché une DVD sur un oil ou si elle est patente, la mise en place de la baguette de filtres rouges devant l'oil fixateur fait diminuer, voire disparaître la verticalité de l'oil non fixateur (fig. 11-45). Parfois même, une discrète hypotropie transitoire apparaît [1].

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Fig. 11-45 Phénomène de Bielschowsky.

a. DVD déclenchée sur l'oil gauche. b, c. La verticalité gauche est toujours présente. d. Elle disparaît avec le verre rouge sombre.

TEST BÉBÉ-VISION

Pour les recommandations concernant son utilisation, voir le chapitre 3 « Évaluation de la fonction monoculaire ».

Le test Bébé-Vision est fondé sur la technique du regard préférentiel, c'est-à-dire la propension qu'ont les enfants à porter leur regard sur un motif situé sur un fond uniforme. Malgré une équivalence en dixièmes d'acuité visuelle, il ne peut être assimilé à une réelle mesure de celle-ci. C'est un test comportemental qui cherche avant tout une différence interoculaire. Il existe deux tests : les cartes de Teller [6] et le test Bébé-Vision tropique [7].

MATÉRIEL

La salle accueillant le dispositif doit avoir un éclairage (10 candelas/m2) permettant la visualisation des cartes sans zone d'ombre. Elle ne doit pas avoir d'éléments trop saillants qui pourraient distraire l'enfant. Dès quatre mois, il faut utiliser un paravent (vendu avec les cartes ou séparément) ; dès six mois, il faut utiliser un « petit théâtre ». Les cartes ont en leur milieu un petit trou qui permet à l'examinateur d'observer le comportement visuel de l'enfant (fig. 11-46).

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Fig. 11-46 Cartes de Teller et cartes Bébé-Vision tropique.

Installation d'une carte sur le paravent mis sur le théâtre avec l'examinateur qui regarde à travers le petit trou au milieu de la carte. Le bébé est installé confortablement sur les genoux de la maman.

DÉROULEMENT DU TEST

Les cartes sont présentées à certaines distances en fonction de l'âge de l'enfant. Le test est d'abord fait en binoculaire pour l'initiation puis en monoculaire pour déterminer l'acuité visuelle de chaque oil. Il faudra faire très attention à l'occlusion qui ne devra permettre aucune tricherie.

Un tableau d'équivalence (tableau 11-I) donnant le numéro de la carte et la distance d'examen permet de connaître le niveau d'acuité visuelle en dixièmes ou en Snellen.

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Tableau 11-I -  Correspondances des valeurs de résolution (chiffres arrondis). Les valeurs dans les cases en gris correspondent aux valeurs les plus utilisées [7]

RÉSULTATS

Ils figurent sur le tableau 11-II. On peut trouver une carte de moins pour le second oil fait, par lassitude de l'enfant. Il existe une différence interoculaire significative à partir de deux planches d'écart entre les deux yeux.

Ce test Bébé-Vision est seulement une mesure de seuil. Il ne correspond pas à une véritable mesure de l'acuité visuelle. Il peut présenter un intérêt dans le suivi des amblyopies organiques chez les enfants préverbaux mais c'est un mauvais test de dépistage de l'amblyopie. En aucun cas il ne peut être pratiqué isolément. Il doit toujours être intégré dans un bilan orthoptique pour rechercher un strabisme et une consultation ophtalmologique avec un examen à la lampe à fente, un fond d'oil et une réfraction sous cycloplégie [6].

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Tableau 11-II -  Tableau récapitulatif des normes au Bébé-Vision tropique [6].

Quelques remarques sur la motricité
INCOMITANCES
DÉFINITION

Les incomitances sont les variations angulaires des troubles oculomoteurs. Autrefois, le strabisme de l'enfant était dit concomitant par opposition au strabisme de l'adulte d'origine paralytique. Depuis, nous savons que le strabisme de l'enfant est très souvent incomitant.

Ces incomitances sont nombreuses :

  • incomitance loin-près ;

  • incomitance en fonction de l'oil fixateur ;

  • syndromes alphabétiques ;

  • hyperactions des obliques ;

  • divergence verticale dissociée (DVD) ;

  • paralysies oculomotrices récentes : la déviation primaire (quand l'oil sain fixe) est inférieure à la déviation secondaire (quand l'oil pathologique fixe).

Principales notations en orthoptique

E : ésophorie de loin ; E' : ésophorie de près.

Et : ésotropie de loin ; E't : ésotropie de près.

X : exophorie de loin ; X' : exophorie de près.

Xt : exotropie de loin ; X't : exotropie de près.

XXt : exophorie-tropie ; EEt : ésophorie-tropie.

HG : hyperphorie gauche ; HD : hyperphorie droite.

HGt : hypertropie gauche ; HDt : hypertropie droite.

INCOMITANCE LOIN-PRÈS

Elle peut être présente dans les exotropies comme dans les ésotropies, dès que la différence d'angle atteint au moins 10 ?.

Dans l'ésotropie
Angle de près supérieur à l'angle de loin

On peut réaliser un test de + 3 ? de près.

Si l'angle de près diminue et s'égalise avec l'angle de loin, cette incomitance est due à une suraccommodation.

Exemple 3 - Et 20 ? et E't 35 ?. Avec + 3 ? de près, on obtient E't 20 ?.

Si on obtient alors une microtropie de loin et de près, une indication de verres progressifs (ou à double foyer) peut être posée.

Exemple 4 - Et 4 ? et E't 20 ?. Avec + 3 ? de près, on obtient E't 6 ?.

Si le test de + 3 ? est négatif, cela signe un facteur innervationnel important et peut être l'indication d'un fil de Cüppers.

Angle de près inférieur à l'angle de loin

On peut suspecter une paralysie du VI.

Exemple 5 - Et 20 ? et E't 8 ?.

Dans l'exotropie
Angle de près inférieur à l'angle de loin

Il faut faire le test des + 3 ? en vision de près. Très souvent, l'angle de près augmente et s'égalise avec l'angle de loin.

Exemple 6 - XT 30 ? et X'0 à X'T 14 ?. Avec + 3 ? de près, on obtient X'0 à X'T 30 ?.

Angle de près supérieur à l'angle de loin

On est face à la forme classique de l'exotropie intermittente de l'adulte.

Exemple 7 - XT 30 ? et X'0 à X'T 40 ?.

EN FONCTION DE L'OIL FIXATEUR, OU INCOMITANCE DE LATÉRALISATION

La différence d'angle atteint au moins 10 ? entre la fixation droite et la fixation gauche.

DANS LES PARALYSIES OCULOMOTRICES

La déviation primaire est inférieure à la déviation secondaire.

Exemple 8 - Paralysie du muscle droit latéral droit. OG fixant : Et 14 ?. OD fixant : Et 30 ?.

DANS LES HYPERACTIONS DES OBLIQUES INFÉRIEURS ET LA DVD

En position primaire, on notera une hauteur de l'oil gauche quand l'oil droit fixe puis une hauteur de l'oil droit quand l'oil gauche fixe.

Exemple 9 - OG fixateur : Et 10 ? HDt 6 ?. OD fixateur : Et 8 ? HGt 14 ?. Pour savoir s'il s'agit d'une hyperaction des obliques inférieurs ou d'une DVD, il faudra réaliser une déviométrie de loin et mesurer la verticalité en adduction et en abduction.

SYNDROMES ALPHABÉTIQUES, OU INCOMITANCE ALPHABÉTIQUE

Il s'agit d'une différence entre l'angle de loin dans le regard en haut et en bas.

Syndrome « A »

Au moins 10 ? d'écart entre le haut et le bas :

  • une ésotropie plus important dans le regard en haut que dans le regard en bas ;

Exemple 10 - Dans le regard en haut : Et 30 ?. Dans le regard en bas : Et 10 ?.

  • une exotropie plus important dans le regard en bas que dans le regard en haut.

Exemple 11 - Dans le regard en bas : Xt 30 ?. Dans le regard en haut : Xt 10 ?.

Syndrome « V »

Le plus fréquent ; au moins 15 ? d'écart entre le haut et le bas :

  • une ésotropie plus important dans le regard en bas que dans le regard en haut ;

Exemple 12 - Dans le regard en bas : Et 30 ?. Dans le regard en haut : Et 10 ?.

  • une exotropie plus important dans le regard en haut que dans le regard en bas.

Exemple 13 - Dans le regard en haut : Xt 30 ?. Dans le regard en bas : Xt 10 ?.

HYPERACTIONS DES OBLIQUES

La verticalité est plus importante en adduction qu'en abduction. S'il s'agit d'une hypertropie, c'est une hyperaction des obliques inférieurs. S'il s'agit d'une hypotropie, c'est une hyperaction des obliques supérieurs.

Exemple 14 - La hauteur droite est plus importante dans le regard gauche, donc en adduction droite. Cela signe une hyperaction de l'oblique inférieur droit. Si l'hyperaction est unilatérale, on peut penser à une paralysie oculomotrice de l'oblique supérieur du même côté (droit dans l'exemple).

L'hyperaction peut être bilatérale. On trouvera alors une hypertropie droite dans le regard à gauche puis une hypertropie gauche dans le regard à droite. Cela peut signer une paralysie bilatérale des obliques supérieurs ou une hyperaction bilatérale des obliques inférieurs classiques du strabisme de l'enfant.

Exemple 15 - L'hypertropie droite est plus importante que l'hypertropie gauche. L'hyperaction de l'oblique inférieur droit est plus importante que celle de l'oblique inférieur gauche.

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DIVERGENCE VERTICALE DISSOCIÉE (DVD)

L'hypertropie est plus importante en abduction qu'en adduction. Elle peut être symétrique mais, le plus souvent, elle est plus marquée d'un côté. Il peut même exister une hypotropie au premier coup d'écran.

Exemple 16 - L'hypertropie gauche est plus importante dans le regard à gauche. L'hypertropie droite est plus importante dans le regard à droite. Il s'agit donc d'une DVD. D'autre part, l'hypertropie droite est plus importante que l'hypertropie gauche. La DVD est asymétrique.

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PARALYSIES OCULOMOTRICES RÉCENTES

La déviation primaire est inférieure à la déviation secondaire.

Exemple 17 - L'ésotropie est plus importante quand l'oil gauche fixe. Il s'agit d'une paralysie du VI gauche. D'autre part, on note l'incomitance loin-près avec un angle plus petit de près que de loin.

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Les incomitances sont des éléments primordiaux à révéler lors du bilan oculomoteur. Bien les identifier est indispensable car certaines auront des indications médico-chirurgicales, d'autres médicales (verres progressifs, double foyer). Différencier la DVD de l'hyperaction des obliques inférieurs est essentiel.

 

POINTS IMPORTANTS

Les angles

L'angle strabique étant la somme de plusieurs facteurs (angle anatomique, déviation de fixation, innervation.), il ne peut y avoir d'angle unique. Pour cela, on ne doit pas parler de l'angle mais des angles des strabismes.

Ces angles seront systématiquement mesurés avec la correction optique totale, permettant de neutraliser au maximum la part accommodative du strabisme.

COMMENT FAUT-IL MESURER LES ANGLES ?

En vision de loin puis en vision de près avec et sans correction optique pour connaître la part accommodative de la déviation.

QUELS ANGLES RECHERCHER ?
Angle minimum

Angle mesurable le plus petit, il est très difficile à mesurer. En effet, le simple fait d'interposer un écran devant un oil entraîne très souvent une majoration plus ou moins importante de l'angle minimum. Pour cette raison, nous ne pouvons fréquemment qu'estimer l'angle minimum.

Angle maximum

Angle mesuré le plus grand, il est lui beaucoup plus facile à appréhender puisqu'il s'agit de l'angle qu'on obtient après décompensation prolongée.

Variabilité angulaire

De la différence entre ces deux angles on déduit la variabilité.

POURQUOI MESURER L'ANGLE DE PRÈS AVEC UN VERRE DE + 3 ? DEVANT LES DEUX YEUX ?

L'addition d'un verre de + 3 ? devant les deux yeux permet :

  • dans une ésotropie, d'obtenir une détente de l'angle en vision de près ;

  • dans une exotropie, de savoir si l'angle de près se majore et égale celui de loin.

Ce petit test très simple, en révélant l'importance d'un élément accommodatif dans une augmentation ou un contrôle de la déviation, permet d'apporter des informations précieuses pour la prise en charge des patients.

POURQUOI FAIRE UNE OCCLUSION MONOCULAIRE DANS LES EXOTROPIES ?

Pour confirmer le rôle de la vergence fusionnelle si l'occlusion permet d'égaliser la déviation de près avec celle de loin.

Conclusion

L'examen d'un patient atteint de troubles sensorimoteurs est d'une grande richesse tant sur le plan séméiologique que sur le plan de la nature des examens. De ce fait, ce chapitre est volontairement incomplet. Seules quelques orientations ont été abordées. Pour ceux qui voudraient progresser dans le raffinement de l'examen clinique, le rapporteur leur conseille de lire l'ouvrage de M. Santallier qui a rédigé une partie de ce chapitre et qui est cité en bibliographie [6].

Bibliographie

[1]  Espinasse M-A. Strabisme : approches diagnostique et thérapeutique, Atlas en Ophtalmologie. Paris, Elsevier, 2004.

[2]  Hugonnier R., Hugonnier S. Strabismes, hétérophories, paralysies oculomotrices. Paris, Masson, 1976.

[3]  Jeanrot N, Jeanrot F. Manuel de strabologie pratique. Paris, Masson, 1994.

[4]  Lancaster WB. Terminology with extended comments on the position of rest and on fixation. Strabismus ophthalmic symposium II. Allen JH (ed). St Louis, CV Mosby, 1958 : 503-522.

[5]  Oger-Lavenant F. La divergence verticale dissociée. In : La verticalité. XXIXe Colloque de Nantes (2004). A & J Péchereau éditeurs, pour FNRO Éditions, Nantes, 2004 : 71-78.

[6]  Santallier M, Péchereau A, Arsène S. Motricité et sensorialité oculaire : l'examen. Éditions SETES, 2012. Vidéos en ligne : http://www.editions-setes.com/Video_orthoptie_1.php

[7]  Vital-Durand F. Cartes d'acuité Bébé Vision Tropique. Guide de l'utilisateur, 1995.

II - Examen de l'enfant strabique

C. Speeg-Schatz

L'examen de l'enfant strabique, une fois une organicité associée éliminée, a pour but d'étudier la déviation des axes oculaires l'un par rapport à l'autre, ses variations, ses répercussions (amblyopie, signes sensoriels), voire sa cause afin de pouvoir, en fonction de la classification du strabisme, adapter au mieux la thérapeutique et d'en connaître le pronostic.

Bilan ophtalmologique complet

Avant d'entreprendre l'examen du strabisme proprement dit, il convient de pratiquer un examen ophtalmologique complet comprenant un interrogatoire, une étude des milieux transparents et un examen du fond d'oil afin d'éliminer une pathologie organique.

Interrogatoire

L'interrogatoire est établi dès la première consultation. Les informations sont d'autant plus faciles à obtenir que le délai entre le début du strabisme et la première consultation est plus court. Il convient ainsi d'interroger les parents sur divers signes.

ANTÉCÉDENTS

Lorsqu'il s'agit d'un premier examen, l'interrogatoire s'intéresse aux antécédents de l'enfant lui-même (naissance à terme, poids de naissance, prématurité, oxygénothérapie, pathologie néonatale, réanimation, etc.), mais également aux antécédents familiaux à la recherche d'une amétropie, d'une amblyopie ou de strabisme dans la fratrie.

Lorsqu'il ne s'agit pas du premier examen, il convient bien sûr d'interroger les parents sur les traitements précédents effectués : correction optique, correction prismatique éventuelle, traitements orthoptiques d'amblyopie, voire traitements chirurgicaux déjà subis.

VARIABILITÉ DU STRABISME

L'angle de déviation est-il constant ou variable, intermittent, dépendant de la fatigue ou de l'émotion ? Le patient est-il parfois orthotropique ? La déviation subit-elle des variations journalières ou des variations selon que le patient regarde de près ou de loin ?

OIL LE PLUS SOUVENT DÉVIÉ

S'agit-il systématiquement du même oil ou y a-t-il alternance de la déviation au niveau des deux yeux ? Selon l'âge d'apparition du strabisme, on peut rechercher une tendance à une fermeture palpébrale unilatérale qui pourrait faire craindre une diplopie dans un strabisme normosensoriel tardif, ou encore une occlusion palpébrale intermittente lors d'une exposition lumineuse pouvant faire craindre un strabisme divergent intermittent.

EXISTENCE D'UNE ATTITUDE COMPENSATRICE DE LA TÊTE

Dans ce cas ou lorsqu'il persiste un doute, les parents peuvent être invités à apporter des photographies de l'enfant.

Inspection
ATTITUDE COMPENSATRICE

Lors de l'inspection, on a déjà pu s'orienter vers une attitude compensatrice de la tête encore appelée torticolis ou attitude vicieuse de la tête. Celle-ci peut s'effectuer autour de trois axes : l'axe vertical où le visage est tourné vers la droite ou la gauche, l'axe frontal où le menton est relevé ou abaissé, et l'axe sagittal où la tête est inclinée sur une épaule.

D'emblée il importe de distinguer l'attitude compensatrice d'origine oculaire du torticolis congénital proprement musculaire, lié à une rétraction fibreuse d'un sternocléidomastoïdien. Dans ce cas, la tête est toujours inclinée du côté atteint et le torticolis s'accompagne en règle d'une asymétrie du visage.

Une attitude compensatrice de la tête doit faire rechercher un strabisme congénital précoce, un strabisme paralytique ou un nystagmus oculaire.

CONFIGURATION DES FENTES PALPÉBRALES

Il convient d'étudier l'obliquité des fentes palpébrales, pouvant signifier la torsion des orbites. Elle dirige d'emblée vers la recherche d'un syndrome alphabétique avec des fentes palpébrales mongoloïdes dans le syndrome « A » et antimongoloïdes dans le syndrome « V ».

Il importe d'éliminer un épicanthus (cf. fig. 11-1, section « I - La première consultation ») simulant une ésotropie, en réduisant le triangle scléral nasal par rapport au triangle temporal. L'épicanthus est un repli semi-lunaire que forme la peau au niveau de l'angle interne de la fente palpébrale, réalisant un pseudo-strabisme majoré dans les regards latéraux. Il est souvent associé à une majoration de la largeur de la base du nez. Il suffit alors de pincer la peau de la racine du nez entre deux doigts pour faire disparaître l'aspect convergent des deux yeux. L'épicanthus régresse en règle au cours de la croissance nasale.

Un blépharophimosis, ou insuffisance d'ouverture des fentes palpébrales, peut être concomitant d'un épicanthus et majorer le pseudo-strabisme [17].

MORPHOLOGIE ORBITO-FACIALE

L'inspection permet de rechercher une anomalie du massif orbito-facial, telle qu'un écart anormal entre les deux yeux (hypotélorisme ou hypertélorisme), une dissymétrie orbitaire ou l'existence d'une plagiocéphalie. L'existence de l'un de ces tableaux cliniques doit orienter vers une craniosténose.

GLOBES OCULAIRES

L'inspection des globes oculaires permet de préciser l'existence d'une inégalité pupillaire (anisocorie), d'une anomalie irienne (colobome, hypopigmentation), d'une microphtalmie ou toute autre sorte d'asymétrie des globes oculaires, enfin, d'un nystagmus.

Étude de la fonction visuelle

Le nouveau-né voit, mais le premier stade de l'émergence de la fonction visuelle, c'est-à-dire la prise de fixation, devient net entre la deuxième et la quatrième semaine de vie. Le nouveau-né peut suivre un objet mobile et le réflexe de fusion apparaît avec le développement de la coordination binoculaire. C'est à partir de ce stade que l'ophtalmologiste peut suivre le développement visuel du nourrisson grâce à certains tests, tels que celui du « regard préférentiel », dont les cartons de Teller représentent une technique simplifiée. Le Bébé-Vision tropique en est une méthode plus élaborée.

MESURE DE L'ACUITÉ VISUELLE AUX CARTONS DE TELLER CHEZ LES ENFANTS DE TROIS À DIX-HUIT MOIS

Les cartes de Teller (cf. fig. 11-46, section « I - La première consultation »), numérotées de 16 à 1, sont des cartons de 25,5 cm sur 58 cm, gris et mats, du fond desquels se détache latéralement une plage carrée de 12,5 cm de côté faite d'une alternance de raies noires et blanches appelées réseaux [1, 5, 9-16, 2122, 24, 28, 30, 32, 3539, 49, 5051]. Chaque sous-ensemble constitué d'une raie noire et d'une raie blanche forme un cycle, chaque carton étant caractérisé par le nombre de cycles par centimètre de son réseau. La progression de la planche XVI à la planche I se fait par demi-octave d'une planche à l'autre, l'octave étant le double de la fréquence spatiale ou nombre de cycles/cm.

Pour une présentation des cartes à 57 cm, les résultats varient de 0,32 cycle/cm ou cycles/degré soit 20/1 600 de vision à 38 cycles/cm, soit 20/15.

Le principe du test repose sur le fait qu'un petit enfant placé devant une surface uniforme va diriger son regard préférentiellement sur une forme structurée présentée sur ce fond.

Si la méthode du regard préférentiel est intéressante pour suivre l'évolution du comportement visuel d'un oil par rapport à l'autre (recherche d'une différence interoculaire d'une octave), ce test doit être considéré comme un test complémentaire à l'examen clinique et non comme un test fiable d'évaluation d'acuité visuelle. Il ne peut en aucun cas suffire à lui-même et surseoir au reste de l'examen clinique, notamment la recherche d'une amétropie et l'examen détaillé du fond d'oil [37, 3840].

CHEZ L'ENFANT PLUS GRAND

À partir de l'âge de vingt-quatre à trente mois, on peut utiliser une échelle d'acuité constituée de dessins (Pigassou, Rossano-Weiss). Les échelles faisant appel à l'acuité visuelle angulaire, telles que les « E » de Raskin ou les anneaux de Landolt, peuvent être utilisées dès l'âge de quatre ans [633].

À partir de cinq à six ans selon les enfants, les échelles utilisées sont celles de l'adulte. Quelle que soit l'échelle utilisée, l'acuité visuelle est systématiquement étudiée de façon subjective en monoculaire et binoculaire de loin et de près, et systématiquement complétée par une étude objective après paralysie de l'accommodation par un cycloplégique : collyre au sulfate d'atropine à 0,3 %, une à deux gouttes deux fois par jour chez l'enfant de moins de deux ans et à 0,5 % après deux ans, à prescrire de façon prolongée pendant quatre jours en respectant l'arrêt des instillations en cas d'intolérance (vasodilatation, sueurs, palpitations), ou cyclopentolate en sachant que ce collyre n'aboutit pas à une cycloplégie aussi complète que l'atropine, mais qu'il peut être utilisé aisément en pratique quotidienne avec fiabilité, en respectant l'instillation de deux à trois gouttes à cinq minutes d'intervalle dans chaque oil une heure avant l'examen. La skiascopie est aisément complétée par une étude au réfractomètre automatique, permettant une correction aussi parfaite que possible de l'astigmatisme. La skiascopie aboutit bien sûr à une correction optique prescrite en totalité et à porter en permanence. Elle doit être vérifiée régulièrement afin de suivre l'amétropie et d'adapter la correction optique. Le type de monture doit être adapté à la morphologie de l'enfant, si possible en plastique monobloc avec pont surbaissé, incluant les sourcils et le haut des pommettes de l'enfant.

Ce n'est qu'après correction optique optimale qu'on peut déterminer avec précision la mesure de l'acuité visuelle oil par oil de loin et de près chez le strabique.

Plus que la valeur elle-même du chiffre de l'acuité visuelle, c'est la comparaison des acuités des deux yeux qui prédomine et permet d'affirmer l'existence d'une amblyopie et sa profondeur [36].

Pour chaque enfant, il importe de préciser quelle échelle est utilisée pour la mesure de l'acuité visuelle et à quelle distance.

Examen du déséquilibre oculomoteur proprement dit
ÉTUDE DU REFLET CORNÉEN

Elle consiste en une estimation de l'angle du strabisme par l'étude du reflet cornéen, ou méthode de Hirschberg (fig. 11-47) : cette méthode est très approximative. Éclairant les pupilles, elle étudie la localisation du reflet cornéen d'un oil par rapport à l'autre. Chaque millimètre de décalage correspond à une déviation de 7° à 8°. En pratique, si le reflet est au rebord pupillaire, l'angle du strabisme est estimé à une quinzaine de degrés ; s'il est à mi-distance entre la pupille et le limbe, il est estimé à une vingtaine de degrés et s'il est au limbe, à environ 45°. Cette méthode nécessite évidemment la prise en compte de l'angle kappa, qui joue un rôle esthétique selon qu'il est nasal (positif) ou temporal (négatif) : un angle kappa nasal, ou positif, donne une apparence de strabisme divergent, un angle kappa temporal, ou négatif, de strabisme convergent.

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Fig. 11-47 Méthode de Hirschberg.

TEST DE TRANSILLUMINATION DE BRÜCKNER

Ce test complète l'évaluation de la position du reflet cornéen chez les petits enfants. Lorsqu'on éclaire la pupille, la macula renvoie un reflet brillant, plus gris que la périphérie rétinienne qui est rouge. Lorsqu'un oil est dévié, la pupille laisse percevoir la coloration rougeâtre de la périphérie rétinienne. Lors de la projection de la lumière, si les deux pupilles sont grises, il y a présomption d'orthotropie. Si une pupille est grise et l'autre rouge, il faut suspecter un strabisme.

MISE EN ÉVIDENCE DE LA DÉVIATION

La déviation peut être évidente à l'examen de la position relative des globes oculaires. Elle reste parfois discrète et est alors confirmée par la manouvre de l'écran unilatéral, ou cover-uncover test des Anglo-Saxons (fig. 11-48).

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Fig. 11-48 Manouvre de l'écran unilatéral, ou cover-uncover test.

MANOUVRE DE L'ÉCRAN UNILATÉRAL

Cet examen n'est réalisable que si le patient est capable de fixer un objet pendant un court instant [26]. Chez le grand enfant, ce test est pratiqué de loin et de près. Pour l'étude à distance, on fait fixer au sujet la lumière de la croix de Maddox placée à 5 m (point de fixation), complétée d'une fixation à 50 m si nécessaire et si possible. Pour l'examen de près, la fixation est obtenue à la réglette ou au cube de Lang ou à l'aide d'un autre objet de fixation. On interpose alors un écran devant l'un des deux yeux du patient (main, palette) et on observe tout mouvement éventuel de l'oil découvert. Lorsque celui-ci ne bouge plus, l'écran est retiré, ce qui permet l'observation de tout mouvement de l'oil antérieurement caché. Puis ce test à l'écran unilatéral est pratiqué sur l'autre oil. Ainsi, l'examinateur couvre l'oil droit en observant le comportement de l'oil gauche : si celui-ci fait un mouvement de fixation, c'est qu'il n'était pas dirigé sur l'objet et on peut conclure à un strabisme manifeste de l'oil gauche. Si au contraire l'oil gauche reste immobile, on découvre à nouveau l'oil droit puis on cache l'oil gauche en observant le comportement de l'oil droit. Si celui-ci fait un mouvement de refixation, il y a strabisme manifeste de l'oil droit. Soit il n'y a pas de déviation, ce qu'on vérifiera en passant le cache sur l'oil gauche, soit il y a une hétérophorie, objectivée par le mouvement unilatéral de l'oil droit à la levée du cache.

L'écran translucide de Spielmann apporte à ces résultats l'observation possible de la position de l'oil occlus (fig. 11-49) [4446].

Chez le bébé, il est plus aisé d'utiliser la main, voire le pouce, afin de ne pas effrayer l'enfant par l'interposition d'un appareillage qu'il chercherait à fixer.

Cette manouvre, effectuée systématiquement de loin et de près, avec et sans correction, permet d'objectiver l'oil dominant, le type de déviation phorique ou tropique et le sens de la déviation oculaire, c'est pourquoi elle est particulièrement intéressante dans le pseudo-strabisme et le microstrabisme. Un examen soigneux peut déceler de petits mouvements de fixation de l'ordre de 1° à 2° à condition que la fixation soit centrale et qu'il n'y ait pas de nystagmus.

Ce test permet également de préciser le type de strabisme : selon que l'oil dévié, lorsqu'il se redresse, fait un mouvement du dedans en dehors (ésotropie) ou du dehors en dedans (exotropie), du haut en bas (hypertropie) ou du bas en haut (hypotropie).

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Fig. 11-49 Écran translucide de Spielmann.

MANOUVRE DE L'ÉCRAN ALTERNÉ

La manouvre de l'écran alterné [2643] consiste à couvrir alternativement un oil puis l'autre afin qu'ils ne soient jamais simultanément découverts, interrompant ainsi la fusion. Ce test permet d'objectiver la déviation, d'en préciser le type et d'apprécier le caractère alternant ou unilatéral du strabisme. En effet, lorsque l'écran est placé devant l'oil fixateur, l'oil primitivement dévié prend la fixation. Puis au retrait de l'écran :

  • soit l'oil qui était occlus réalise un petit mouvement de restitution sans que l'autre oil ne bouge : il s'agit alors d'une hétérophorie (et non d'un strabisme) mise en évidence par la rupture de la fusion due à l'interposition de l'écran ;

  • soit l'oil primitivement dévié qui a pris la fixation la garde, l'autre oil qui était dévié derrière l'écran reste dévié : il s'agit alors d'un strabisme alternant, le sujet ayant changé d'oil fixateur ;

  • soit l'oil primitivement fixateur reprend la fixation à la levée de l'écran tandis que l'autre se dévie : il s'agit alors d'un strabisme unilatéral.

RECHERCHE DE L'OIL DOMINANT

Le test à l'écran nous donne déjà une notion de la dominance oculaire (oil préférentiel), par visualisation de l'oil systématiquement fixateur. Cette notion est essentielle en strabologie car l'oil dominant détermine la direction dans un torticolis, le degré de la déviation et les indications opératoires. On peut encore déterminer l'oil dominant par le procédé du « trou », qui consiste à faire tenir par le patient, à deux mains, une plaque en carton percée d'un trou, et à lui demander de regarder à travers ce trou ; celui-ci le place devant l'oil dominant.

ÉTUDE DE LA POSITION DES YEUX EN L'ABSENCE DE FIXATION

La position des yeux sans fixation correspond à la vergence tonique de Maddox ou à la position statique de Lancaster [2547] ; son étude permet d'éliminer la part de la déviation liée à la fixation et elle a des implications thérapeutiques. La déviation résiduelle est celle causée par les perturbations anatomiques ou toniques persistant en l'absence de toute fixation. En effet, qu'il soit convergent ou divergent, le strabisme concomitant résulte d'un déséquilibre du tonus de vergence, mettant en jeu une part active, qui est la vergence tonique de nature innervationnelle, et une part passive représentée par la vergence viscoélastique des muscles et de leur enveloppe fibroélastique, ce tonus étant perturbé par inadéquation de la vergence tonique.

La part de la déviation non liée à la fixation peut être objectivée à l'obscurité et sous écrans translucides bilatéraux simultanés de Spielmann [43] (fig. 11-50), manouvre au cours de laquelle :

  • soit la déviation persiste en l'absence de fixation, prouvant son origine anatomique si la déviation persiste sous anesthésie ou tonique si elle disparaît sous anesthésie ;

  • soit la déviation disparaît et on peut en déduire qu'elle était déclenchée par la fixation, situation observée dans les strabismes accommodatifs et dans les ésotropies congénitales où l'oil occlus se place en ésodéviation avec élévation ;

  • soit la déviation diminue, impliquant une part liée à la fixation et une part liée aux perturbations anatomiques ou toniques.

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Fig. 11-50 Mesure de la part de la déviation non liée à la fixation avec les écrans translucides bilatéraux de Spielmann.

ÉTUDE DE LA POSITION DES YEUX LORS DE LA FIXATION

On étudie le passage de la position sans fixation à la position de fixation [47].

MANOUVRE DU « CLOSE-OPEN »

La manouvre du close-open, ou fermeture-ouverture des paupières, a été décrite par Weiss. Lors de cette manouvre, on peut observer le redressement des yeux par la fixation dans une exophorie où on avait, à la position sans fixation, une exoposition. Par ailleurs, dans les ésotropies congénitales, on peut observer, lors du passage à la fixation, une déviation en fixation monoculaire.

TEST D'ÉBLOUISSEMENT DE JEANROT

Ce test s'effectue en vision rapprochée et consiste à faire fixer à l'enfant une lumière et non plus un objet. Ce test permet parfois de voir disparaître l'excès de convergence chez les sujets présentant un rapport de la convergence accommodative sur l'accommodation (AC/A) anormal, vraisemblablement par neutralisation de la fonction fovéolaire et fixation par la rétine périphérique.

ÉTUDE DE LA MOTILITÉ OCULAIRE
ÉTUDE DES DUCTIONS (MOUVEMENTS MONOCULAIRES)

C'est l'étude des mouvements de chaque oil, l'oil controlatéral étant caché [2, 4752]. L'oil étudié va donc fixer un test, objet le plus souvent, dans les neuf positions du regard, permettant d'objectiver les impotences musculaires unilatérales (paralysie oculomotrice, syndrome de rétraction, etc.). Parmi ces mouvements monoculaires, ou ductions, on distingue l'abduction, l'adduction, la supraduction et l'infraduction, avec huit combinaisons possibles selon que le mouvement se fait vers la droite ou vers la gauche.

ÉTUDE DES VERSIONS ET VERGENCES (MOUVEMENTS BINOCULAIRES)

Ces mouvements s'étudient les deux yeux ouverts et sont représentés par les mouvements de version lorsque les deux yeux restent parallèles (ce qui n'est pas le cas dans un strabisme) et de vergence lorsque les deux yeux ne sont pas parallèles [52].

Nous rappelons que Fick a défini trois axes de rotation principaux (fig. 11-51) passant par le centre de rotation du globe : un axe horizontal X autour duquel se font les mouvements verticaux, un axe vertical Z autour duquel se font les mouvements horizontaux, un axe antéropostérieur Y perpendiculaire aux deux précédents et au plan frontal X,Y (plan de Listing), autour duquel se font les mouvements de torsion ou cyclorotation. Ainsi, par une rotation autour de l'axe vertical Z, on obtient la dextrorotation et la lévorotation, par une rotation autour de l'axe horizontal X, on obtient l'élévation et l'abaissement, et par une rotation autour de l'axe sagittal Y, l'incyclorotation et l'excyclorotation.

En pratique clinique, nous faisons effectuer un mouvement vers ce qu'il est convenu d'appeler le champ d'action de chacun des muscles, en plaçant le globe oculaire dans une position à partir de laquelle l'action du muscle testé est simple et prépondérante, c'est-à-dire (fig. 11-52) :

  • une duction horizontale d'abduction et d'adduction (1 et 2) en partant de la position primaire (0) pour les droits horizontaux ;

  • une duction verticale d'élévation (3) et d'abaissement (4) en partant d'une position d'abduction de 23° pour les droits verticaux ;

  • une duction verticale d'élévation et d'abaissement en partant d'une position d'adduction de 30° à 40° pour les obliques (5, 6, 7 et 8).

Cet examen nous renseigne ainsi sur le comportement des paires de muscles synergiques dans les deux yeux. Ainsi, l'élévation ou l'abaissement du globe sont-ils étudiés par la synergie des deux élévateurs, droit supérieur et oblique inférieur, ou des deux abaisseurs, droit inférieur et oblique supérieur.

À l'issue de cette étude, on est orienté sur la notion de concomitance ou d'incomitance de la déviation : on dit que la déviation est concomitante lorsqu'elle est la même dans toutes les directions du regard et incomitante dans le cas contraire. Une incomitance horizontale est observée dans une impotence musculaire, une paralysie, un spasme ou une restriction ; une incomitance de version peut s'observer dans le regard latéral selon l'oil fixateur, de même qu'une incomitance verticale dans les strabismes congénitaux.

En cas de strabisme horizontal, l'angle horizontal peut varier selon que le regard s'élève ou s'abaisse, ce qui réalise les syndromes alphabétiques (« V », « X », « Y »). Ainsi, on parle de syndrome « V » lorsque le sujet converge vers le bas et diverge vers le haut par rapport à la déviation notée en position primaire ; lorsque la variation se fait dans le sens contraire, il s'agit d'un syndrome « A ».

Enfin, un élément vertical peut s'associer à la déviation horizontale. L'élévation en adduction est la plus couramment rencontrée.

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Fig. 11-51 Axes de rotation : (X) axe horizontal ; (Z) axe vertical ; (Y) axe antéropostérieur. Plan de Listing (plan équatorial) et centre de rotation.

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Fig. 11-52 Étude des versions et vergences.

0. Position primaire. 1. Abduction oil droit et adduction oil gauche. 2. Adduction oil droit et abduction oil gauche. 3. Test de la motilité des droits supérieurs. 4. Test de la motilité des droits inférieurs. 5. Test de la motilité des muscles : droit supérieur droit, oblique inférieur gauche. 6. Test de la motilité des muscles droit inférieur droit, oblique supérieur gauche. 7. Test de la motilité des muscles oblique inférieur droit, droit supérieur gauche. 8. Test de la motilité des muscles oblique supérieur droit, droit inférieur gauche.

MESURE OBJECTIVE DE LA DÉVIATION OCULAIRE

La mesure de la déviation oculaire par la méthode des reflets a déjà été abordée [2647]. Nous ne parlons ici que des mesures de l'angle objectif. Cette mesure peut être faite dans l'espace ou au synoptophore.

MESURE DANS L'ESPACE

On prend les mesures de l'angle avec la règle de Behrens composée de prismes de puissance croissante. Nous rappelons que l'image d'un objet vu à travers un prisme est déplacée vers le sommet du prisme. Il s'ensuit que, pour mesurer une déviation, on place le prisme, sommet dans le sens de la déviation, devant l'oil choisi - ainsi, pour mesurer un strabisme convergent, on place le prisme sommet nasal ou base temporale. Dans le cas d'un strabisme convergent, il y a rotation de l'oil en dedans et déviation maculaire vers l'extérieur. Il s'agit, avec le prisme, de ramener l'image sur la macula de l'oil dévié, en interposant le prisme entre l'objet fixé et l'oil dévié. Nous disposons de deux méthodes pour mesurer une déviation aux prismes : la méthode de Krimsky et la méthode objective.

Méthode de Krimsky

Elle est réalisée lorsqu'il est impossible de se baser sur la fixation d'un des deux yeux (amblyopie profonde, amblyopie avec fixation non centrale, cécité d'un oil).

Dans un strabisme concomitant, on fait dévier l'oil fixateur au moyen du prisme (sommet dans le sens de la déviation) de façon à redresser l'oil dévié.

Exemple - Dans une ésotropie de l'oil gauche, on déplace en convergence l'oil droit qui demeure fixateur, jusqu'à ce que l'oil gauche soit redressé, en se basant sur les reflets cornéens de près. La mesure de la déviation est donnée par la puissance du prisme ayant permis ce redressement. Cette méthode ne peut cependant s'appliquer aux angles supérieurs à 40 ? ni aux paralysies oculomotrices du fait de l'incomitance.

Méthode objective

Les mesures objectives ne sont possibles qu'en cas de fixation fovéale et d'acuité suffisante à chaque oil ; elles sont de ce fait impossibles en cas d'amblyopie profonde d'un oil. Il convient de se placer dans les conditions les moins dissociantes, c'est-à-dire celles de la vie quotidienne. La mesure se fait de loin et de près avec différents tests de fixation (point lumineux de la croix de Maddox de loin, cube de Lang ou autre objet de fixation de près). L'examen de loin se fait au minimum à 5 m, voire à 50 m par une étude de la déviation « à travers la fenêtre ».

Exemple - Prenons l'exemple d'une ésotropie de l'oil droit : la barre de prismes est placée sommet interne. À l'aide d'un écran ou louchette, voire le pouce de la main, on fait fixer alternativement chaque oil et on observe le mouvement fait par chaque oil pour reprendre la fixation. Celui-ci est inverse de la déviation à mesurer. On augmente progressivement la puissance du prisme et on constate que le mouvement de chaque oil diminue (fig. 11-53) (cf. vidéos 11-2 et 11-3, section « I - La première consultation »). Lorsque, passant de la fixation de l'oil droit à celle de l'oil gauche, on ne voit plus de mouvement pour reprendre la fixation, c'est que, à l'aide du prisme, l'image du point de fixation a été placée sur les deux axes visuels : on est alors à l'angle objectif.

Il n'est pas rare qu'au cours de cet examen apparaisse un élément vertical associé qu'il faut éliminer pour avoir la mesure exacte de la déviation. On place alors, sur l'autre oil de préférence, la barre de prismes d'action verticale, le sommet étant orienté dans le sens de la déviation. Nous rappelons que les résultats sont notés en dioptries avec la notation Et pour l'ésotropie de loin, E't pour l'ésotropie de près, Xt pour l'exotropie de loin et X't pour l'exotropie de près. De nombreux auteurs utilisent, pour les déviations verticales, le rapport D/G pour une hauteur droite et le rapport G/D pour une hauteur gauche.

Si on découvre une incomitance, il convient de pratiquer la mesure de l'angle dans les neuf positions du regard, les deux yeux étant successivement fixateurs. Ceci peut être également pratiqué à l'aide du déviomètre (cf. infra) [47].

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Fig. 11-53 Méthode objective de mesure de la déviation avec la barre de prismes.

MESURE À L'AIDE DU SYNOPTOPHORE

Le synoptophore est utilisé principalement pour étudier l'état sensoriel du sujet. Il peut également mesurer l'angle de la déviation. Cet appareil comporte deux bras commandant chacun un tube comportant un oculaire. Chaque oculaire permet de présenter isolément une image à chaque oil. Les mires sont mobilisables dans le sens vertical, horizontal et en torsion et peuvent être éclairées simultanément ou séparément. Au départ, les bras de l'appareil sont disposés de telle sorte que le reflet de chaque mire soit centré respectivement au centre de chaque cornée. Puis, on éteint alternativement chaque mire et on s'assure qu'il n'y a pas de mouvement de restitution. Les mires sont alors placées à l'angle objectif. La mesure de la déviation se fait avec la correction optique. En cas d'incomitance, l'angle de la déviation varie selon l'oil fixateur. Le synoptophore permet en outre de mesurer la cyclotorsion lorsque le patient est capable de préciser qu'une des images est inclinée. On peut alors modifier la position de l'image par rotation de l'appareil et donner en degrés la valeur de cette rotation. Il en est de même pour la verticalité [45].

DÉVIOMÈTRE

C'est un appareil qui comporte une mentonnière fixe et un bras mobile, à 33 cm de la mentonnière, porteur du point de fixation central, et d'un autre situé sur le bras mobile à 20° du centre. La correction optique totale doit être portée (par les sujets hypermétropes). La mesure de l'angle se fait en position primaire, puis en plaçant le point de fixation dans les huit directions diagnostiques et en mesurant l'angle dans chaque cas à l'aide des prismes et de l'écran. Lorsqu'il y a incomitance selon l'oil fixateur, il faut faire un examen par oil. Lorsqu'il y a une amblyopie profonde ou une fixation excentrique, cet examen ne peut être pratiqué [447].

TEST DE LANCASTER

C'est un examen pratiqué à l'aide de lunettes rouge-vert. Le principe est de superposer subjectivement la barre rouge d'une torche vue par un oil à travers un verre rouge, sur une barre verte vue par l'autre oil à travers un verre vert. Les deux barres sont superposées lorsqu'elles tombent sur les deux fovéolas, en cas de correspondance rétinienne normale. Cet examen permet d'isoler la part phorique de la part difficilement compensée d'une déviation, il reste l'examen de choix dans les paralysies oculomotrices. On peut également utiliser le coordimètre à choix multiples de Weiss stimulant davantage la fusion [53].

Cet examen ne peut être réalisé que chez les strabiques à correspondance rétinienne normale ou dans les strabismes paralytiques ; il nécessite en outre une vision correcte à chaque oil.

PAROI DE HARMS

Dénommée aussi examen coordimétrique à la paroi tangentielle, ce test est fondé sur la confusion. La paroi permet la mesure simultanée des trois composantes d'une déviation des axes visuels, horizontale, verticale et la cyclotropie. Elle permet aussi de mesurer l'excursion monoculaire et le champ du regard binoculaire, intéressant dans la cyclo-diplopie, en particulier la pathologie du muscle oblique supérieur.

Résultats de la mesure de la déviation strabique

En raison de la variabilité de la déviation strabique, il convient d'avoir une notion sur l'angle minimal et l'angle maximal [37, 38] du sujet portant sa correction optique totale [24, 47].

Angle minimum

Il représente l'angle le plus petit qu'on puisse évaluer ou mesurer en vision de loin ou en vision de près.

Angle maximum

C'est l'angle le plus grand qu'on puisse mesurer en vision de loin ou en vision de près et/ou l'angle le plus grand atteint au cours des mouvements de version sans ou avec écran translucide devant l'oil non fixateur.

Angle de base

C'est l'angle sans fusion. Remarquons que l'angle sans fusion n'est pas égal à l'angle de base au sens physiopathologique strict du terme, les deux angles ne pouvant être égaux qu'en l'absence d'hypercinésie ajoutée.

Variabilité

Les mesures de l'angle minimal et de l'angle maximal nous donnent une indication quant à la variabilité de l'angle, égale à la différence entre ces deux angles. Il importe de connaître la variabilité des différents angles mesurés dans les mêmes conditions d'examen, mais à des périodes différentes. Dès lors, l'examen nous aura donné les variations de l'angle selon les conditions de fixation, selon la distance, l'oil fixateur, l'absence de fusion ou de fixation, et les variations ou incomitances cinétiques horizontales (déviation horizontale dissociée), verticales (DVD) ou torsionnelles (déviation torsionnelle dissociée) ; enfin, il détermine la présence éventuelle d'une incomitance temporelle [45].

C'est la synthèse de toutes les données de l'examen clinique qui conduit au diagnostic du strabisme, de son type (concomitant, convergent ou divergent, normosensoriel tardif), accompagné ou non d'une composante verticale et/ou oblique, d'une limitation de la motilité, (strabisme paralytique d'origine supranucléaire, strabisme paralytique d'origine périphérique, strabisme d'origine orbitaire, nystagmus).

L'étude de l'angle résiduel après le port de la correction optique totale, nous permet :

  • d'éliminer un strabisme uniquement accommodatif sur correspondance rétinienne normale, l'angle de loin et de près disparaissant avec le port de la correction optique totale ;

  • de différencier parmi les strabismes (ceux-ci comportent tous une composante accommodative, quelle que soit la correspondance rétinienne) entre :

    • ceux qui gardent une déviation de loin et de près ;

    • ceux qui ne présentent qu'une déviation de près. Ces derniers peuvent dès lors être pris en charge sur le plan optique par la prescription de verres double foyer ou progressifs avant une éventuelle prise en charge chirurgicale.

Détermination de l'état sensoriel du sujet
ÉTAT SENSORIEL

L'état sensoriel est étudié [3, 34, 48, 52] :

  • en monoculaire, en évaluant l'acuité visuelle corrigée de chaque oil à la recherche d'une amblyopie strabique fonctionnelle ;

  • en binoculaire, en évaluant la profondeur et l'étendue de la neutralisation ou au contraire la diplopie, voire les résultats d'un traitement antérieur de déneutralisation ;

  • en étudiant dans tous les cas l'état de la correspondance rétinienne.

Celle-ci peut être testée de deux manières différentes au moins :

  • le premier test doit rechercher la correspondance existant entre la fovéola d'un oil et le point excentrique correspondant de l'autre oil (test de Bagolini, tests polarisés, etc.) ;

  • le second doit évaluer la correspondance entre les deux fovéolas en dehors des conditions habituelles de vision (test des post-images de Bielschowsky, test maculo-maculaire de Cüppers, test de la diplopie provoquée de Cüppers, perception simultanée à l'angle objectif au synoptophore ou aux prismes, etc.) (cf. infra).

RAPPELS SUR LA VISION BINOCULAIRE NORMALE

Nous rappelons simplement que les images semblables données par chacun des deux yeux sont fusionnées en une image unique, la fusion étant le point clé de la vision binoculaire.

CONSÉQUENCES DE LA PERTURBATION DE LA VISION BINOCULAIRE « BI-OCULAIRE »

Lorsque survient une déviation d'un axe visuel, les deux points rétiniens stimulés en même temps n'ont plus la même localisation spatiale en binoculaire. Ils ne sont plus correspondants et n'ont plus la même direction visuelle. Il s'ensuit soit une diplopie, soit une confusion (fig. 11-54) selon l'âge d'apparition du strabisme. Les conséquences sont : l'amblyopie strabique, la neutralisation et les anomalies de la correspondance rétinienne. Nous n'en étudions que l'exploration clinique.

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Fig. 11-54 Mécanisme de la correspondance rétinienne anormale (CRA).

CRN : correspondance rétinienne normale.

Trois situations binoculaires sont décrites. F est la fovéola de l'oil gauche.

Condition 1 (bleu foncé) : absence de déviation et fonctionnement binoculaire normal (CRN). Z est F1, fovéola de l'oil droit ; Y est R1, zone extrafovéolaire. Les deux directions visuelles principales (OF et OF1) regardent le même objet. La fovéola de l'oil gauche (fixateur) est orientée vers O (FO), celle de l'oil droit (non dévié et fixateur) vers O (F1O) également. Les deux fovéolas F et F1 envoient deux images identiques O et O à deux zones juxtaposées du cortex visuel (superposition de deux images identiques : O sur O). Il n'y a pas de confusion. Par ailleurs, l'objet O se projette sur la fovéola F de l'oil gauche et sur la fovéola F1 de l'oil droit. L'objet O est vu en O par l'oil gauche et en O par l'oil droit. Il n'y a pas de diplopie. De même, l'objet X se projette en R sur la rétine de l'oil gauche et en R1 (Y) sur la rétine de l'oil droit. Les valeurs spatiales de FR et F1R1 étant identiques, il n'y a pas de diplopie. Le lien binoculaire se fait entre F et F1. C'est la correspondance rétinienne normale.

Condition 2 (bleu cyan) : déviation et fonctionnement binoculaire normal (CRN). Y est F2, fovéola de l'oil droit ; Z est R2, zone extrafovéolaire. Les deux directions visuelles principales ne regardent pas le même objet. L'oil gauche (fixateur) est orienté vers O (FO), l'oil droit (dévié et non fixateur) vers X (F2X). Les deux fovéolas F et F2 envoient deux images différentes O et X à deux zones juxtaposées du cortex visuel (superposition de deux images différentes : X sur O) : c'est la confusion. Par ailleurs, l'objet O fixé par la fovéola de l'oil non dévié F se projette sur l'oil dévié en R2, zone non fovéolaire de l'oil dévié, qui a une autre valeur spatiale que celle de la fovéola de l'oil fixateur. L'objet O est donc vu en O par l'oil gauche et en O' par l'oil droit : c'est la diplopie. Cependant, le lien binoculaire se fait toujours entre F et F2 : la correspondance rétinienne normale est conservée.

Condition 3 (rouge) : déviation et fonctionnement binoculaire anormal (CRA). Y est F3, fovéola de l'oil droit ; Z est R3, zone extrafovéolaire. Les deux directions visuelles principales ne regardent pas le même objet. L'oil gauche (fixateur) est orienté vers O (FO), l'oil droit (dévié et non fixateur) vers X (F3X). Les deux fovéolas F et F3 envoient deux images différentes O et X à deux zones juxtaposées du cortex visuel (superposition de deux images différentes : X sur O) : c'est la confusion. Par ailleurs, l'objet O fixé par la fovéola de l'oil non dévié F, se projette sur l'oil dévié en R3, zone non fovéolaire de l'oil dévié, qui a une autre valeur spatiale que celle de la fovéola de l'oil fixateur. L'objet O est donc vu en O par l'oil gauche et en O' par l'oil droit. C'est la diplopie. Le lien binoculaire se fait ici entre F et R3, le nombre de colonnes de dominance traversées correspondant à la déviation : la correspondance rétinienne anormale est le lien entre ces deux zones. (A.P.)

(Cf. « Correspondance rétinienne normale » et « Correspondance rétinienne anormale » au chapitre 21.)

MISE EN ÉVIDENCE DE LA DIPLOPIE ET/OU DE LA NEUTRALISATION

La notion de diplopie est rarement observée chez l'enfant strabique, sauf en cas de strabisme aigu où elle peut être spontanément exprimée par le grand enfant. Chez l'enfant plus petit, elle n'est soit pas exprimée mais évoquée ou suspectée devant la fermeture spontanée d'un oil, soit ressentie comme une « vision trouble » [18].

La neutralisation peut être mise en évidence par le test de Worth à quatre lumières (la lumière du haut est rouge, les deux lumières latérales vertes et l'inférieure blanche) : si le patient ne voit que deux lumières rouges (en haut et en bas) ou trois lumières vertes (des deux côtés et en bas), il y a neutralisation d'un oil. S'il voit cinq lumières, il y a soit un strabisme manifeste avec correspondance rétinienne normale, soit un strabisme manifeste avec correspondance rétinienne anormale dysharmonieuse.

Le test de Worth permet également d'établir le risque de survenue d'une diplopie postopératoire en recherchant le scotome de neutralisation à l'angle objectif du strabisme.

Il est rarissime de trouver une diplopie à l'angle objectif chez l'enfant, contrairement à l'adulte, mais cette diplopie peut s'observer après une rééducation intempestive ayant levé un scotome maculaire de neutralisation sans normalisation de la correspondance. La recherche du scotome de neutralisation à l'angle objectif du strabisme peut se faire également à l'aide de prismes de la valeur de l'angle objectif du strabisme. Cet appareillage ne provoque aucune diplopie lorsqu'il existe un scotome.

MISE EN ÉVIDENCE D'UNE ANOMALIE DE CORRESPONDANCE RÉTINIENNE
VERRES STRIÉS DE BAGOLINI

Cette mise en évidence peut se faire par les verres striés de Bagolini [726], constitués de verres plans transparents incolores finement striés qui, placés devant les yeux, altèrent à peine la vision mais créent un fin rayon lumineux d'une lumière ponctuelle.

Les verres de Bagolini placés devant les yeux du patient, les stries de l'un perpendiculaires à celles de l'autre et le sujet fixant un point lumineux et décrivant le trajet des rayons lumineux qu'il voit, différentes situations sont observées.

Les deux rayons lumineux se croisent sur la lumière et forment un « X ». Il y a alors deux possibilités :

  • si les yeux sont parallèles, la correspondance rétinienne est normale ;

  • si les yeux sont déviés, la correspondance rétinienne est anormale, harmonieuse car le point 0 de l'oil dévié et la fovéa de l'oil fixateur sont devenus des points correspondants.

Le patient ne voit qu'un rayon lumineux, par exemple celui qui correspond à l'oil droit : l'oil gauche neutralise.

Il y a deux rayons mais l'un d'eux est interrompu de part et d'autre de la lumière. Il y a alors une petite zone circonscrite de suppression ou un scotome. Le point 0 de l'oil dévié n'est pas le point correspondant de la fovéa de l'autre oil. Il s'agit :

  • soit d'un strabisme manifeste, avec un scotome du point 0 et une correspondance rétinienne anormale harmonieuse ;

  • soit d'une orthotropie avec scotome central de l'oil le plus faible, comme dans une anisométropie par exemple.

Le patient voit deux rayons mais l'un traverse la lumière tandis que l'autre est décentré. Ce déplacement traduit la présence d'un angle subjectif. Il y a alors deux possibilités :

  • soit il s'agit d'un strabisme manifeste avec correspondance rétinienne normale et l'angle subjectif vaut l'angle objectif. Lorsque le patient signale un déplacement des rayons, on peut ramener ce rayon dévié par des prismes jusqu'à ce qu'il traverse l'autre rayon au niveau de la lumière. C'est la grandeur de ce prisme qui nous renseigne alors sur le dosage opératoire à effectuer ;

  • soit il y a strabisme avec correspondance rétinienne anormale dysharmonieuse.

TEST MACULO-MACULAIRE DE CÜPPERS

L'anomalie de correspondance rétinienne peut être objectivée par le test ophtalmoscopique de correspondance selon Cüppers (ou test maculo-maculaire). Ce test est le plus démonstratif de la correspondance rétinienne anormale et représente la meilleure façon de visualiser cette perversion sensorielle. Le patient fixe de son oil directeur la lumière de la croix de Maddox pendant que l'examinateur observe à l'ophtalmoscope le fond de l'autre oil et y projette une image dont le patient doit indiquer la localisation sur la croix de Maddox :

  • soit on pratique un examen fovéo-fovéal pour mesurer l'angle d'anomalie : lorsque le patient fixe la lumière de la croix de Maddox, l'examinateur projette l'étoile de l'ophtalmoscope sur la fovéola de l'autre oil ; le patient doit indiquer s'il voit cette étoile sur la lumière de fixation ou à côté. Si l'étoile et la lumière sont confondues, il y a correspondance rétinienne normale. Si l'étoile est localisée ailleurs que sur la lumière, les deux fovéas n'ont pas la même localisation spatiale et il y a correspondance rétinienne anormale ;

  • soit on détermine le centre de localisation de la correspondance rétinienne anormale : on déplace l'étoile de l'ophtalmoscope sur la rétine du pôle postérieur jusqu'à ce que le patient voie celle-ci confondue avec la lumière de fixation. C'est là que se trouve le centre de localisation de la correspondance rétinienne anormale ou centre d'anomalie.

Le test maculo-maculaire de Cüppers est particulièrement intéressant en cas de microstrabisme ou de fixation excentrique d'un oil.

EXAMEN AUX POST-IMAGES DE BIELSCHOWSKY

L'anomalie de correspondance rétinienne peut être objectivée à l'examen aux post-images de Bielschowsky.

On demande au patient de se couvrir l'oil gauche et de regarder le milieu d'un trait lumineux vertical de l'oil droit puis de se couvrir l'oil droit et de regarder le milieu d'un trait lumineux horizontal de l'oil gauche. Le patient ferme les yeux un court instant puis il regarde une surface de couleur vive de préférence sous un éclairage intermittent. Le patient voit alors les post-images laissées par les deux traits lumineux. Les post-images apparaissent d'abord positives (en clair sur fond sombre), puis négatives (sombres sur fond clair). Si les deux post-images forment une croix, il y a correspondance rétinienne normale. En cas de correspondance rétinienne anormale, un des traits est déplacé et le patient décrit par exemple un « T » couché.

VERRE ROUGE SOMBRE

Enfin, il est intéressant de compléter l'étude des anomalies sensorielles par l'examen au verre rouge sombre.

On fait fixer un point lumineux et on place devant un oil le verre rouge sombre avec lequel le sujet ne voit que la lumière de fixation. Si la lumière rouge est vue sur la blanche, il n'y a pas de déviation strabique subjective. C'est le cas du parallélisme oculaire avec correspondance rétinienne normale ou d'un strabisme manifeste avec correspondance rétinienne anormale harmonieuse. On peut aussi interposer devant l'oil dévié un prisme à base inférieure, ce qui entraîne un décalage en hauteur de la lumière blanche :

  • si elle se trouve alignée verticalement avec la lumière rouge et qu'il y a un strabisme manifeste, la correspondance est anormale harmonieuse ;

  • si les deux images ne sont pas alignées verticalement, il y a diplopie.

L'analyse de la diplopie fournit des éléments sur l'état de la correspondance rétinienne :

  • lorsque la correspondance est normale, la diplopie est conforme à la règle, c'est-à-dire homonyme en cas de strabisme convergent et croisée en cas de strabisme divergent ;

  • si la correspondance rétinienne est anormale non harmonieuse, la diplopie est peut-être conforme à la règle et on ne peut, par ce moyen, trancher avec une correspondance rétinienne normale, le point 0 stimulé étant nasal par rapport au point correspondant sur la rétine de l'oil dévié de la fovéa de l'oil fixateur.

SYNOPTOPHORE

De tous ces tests, le synoptophore est l'appareil le plus complet. Il permet d'étudier la correspondance rétinienne en excitant simultanément les deux fovéas, puis en stimulant d'un côté la fovéa de l'oil fixateur et de l'autre successivement tous les points situés entre la fovéa et le point 0 et même au-delà. Ainsi, lorsqu'on place les deux mires de perception simultanée (lion-cage) à l'angle objectif les deux fovéas sont stimulées :

  • si le lion est dans la cage, la correspondance rétinienne est normale ;

  • si le lion n'est pas dans la cage, il y a soit correspondance rétinienne anormale, soit exclusion. On déplace alors un bras de l'appareil jusqu'à superposition des deux images. Si cela est réalisé à 0°, la correspondance est anormale harmonieuse, sinon il y a correspondance rétinienne anormale dysharmonieuse.

Le synoptophore permet en outre d'étudier la fusion en sachant qu'il ne peut y avoir de fusion sensorielle lorsqu'il y a une déviation oculaire et/ou un scotome maculaire (sauf dans les paralysies oculomotrices et les strabismes normosensoriels tardifs). C'est pourquoi certains sujets sont extrêmement gênés par l'horror fusionis caractérisé par une diplopie constante dans les suites d'une intervention et d'une rééducation orthoptique intempestive dans l'enfance sur une correspondance anormale.

EXAMEN DE LA VISION STÉRÉOSCOPIQUE

La vision stéréoscopique représente le degré le plus achevé de la vision binoculaire.

Test de coïncidence ou des deux crayons

Il renseigne rapidement sur la perception pratique du relief. Le patient tient un crayon verticalement, l'extrémité plate en bas, l'examinateur un autre, l'extrémité plate en haut. Le patient essaye de placer la base du sien sur celle de l'examinateur. On pratique ce test d'abord en vision binoculaire, puis en monoculaire.

La comparaison des deux tests renseigne sur l'apport de la bi-ocularité dans l'appréciation des distances.

Autres tests
Tests polarisés

Il s'agit du stéréoprojecteur de Pigassou, et du Titmus Stereotest® (test de la mouche, test de neuf séries de cercles concentriques). Ces tests voient la disparité s'échelonner de 3 000 secondes d'arc pour la mouche à 40 secondes pour les cercles concentriques.

Random-Dot tests

Ils sont les plus utilisés actuellement : le test de Lang dont les disparités vont de 1 200 à 200 secondes d'arc est un excellent moyen de dépistage, le « Random-Dot E » (RDE de Reinecke), le test TNO dont la stéréoscopie testée s'échelonne de 480 à 15 secondes d'arc, le test de Frisby dont la disparité s'échelonne entre 875 et 20 secondes d'arc [19].

Synoptophore

Il comporte des mires de vision stéréoscopique dont l'intérêt est de tester le sens stéréoscopique à l'angle objectif, comme le stéréoprojecteur de Pigassou, mais sans le quantifier.

AUTRES EXAMENS CLINIQUES D'EXPLORATION DU STRABISME
Test de Jampolsky

Le test du prisme 4 ? base temporale, ou test de Jampolsky, est intéressant dans les microtropies. Ce test consiste à placer ce prisme devant un oil qui, s'il ne présente pas de scotome de neutralisation, se déplace en adduction de 4 ? pour maintenir la fixation. On observe également le comportement de l'autre oil :

  • s'il fait un mouvement concomitant d'abduction de 4 ? et s'il y a un scotome de neutralisation, il se maintient dans cette nouvelle position ;

  • en revanche, si la fusion est possible, il exécute aussitôt un lent mouvement de convergence.

Cette épreuve est répétée devant un oil puis l'autre et doit donner des réponses symétriques, sinon il y a microstrabisme inférieur à 4 ? avec scotome maculaire en vision binoculaire [31].

Test biprismatique de Gracis

Ce test étudie le réflexe de version prismatique induit par un biprisme formé par deux prismes de 6 ? superposés et opposés [20, 29]. Ce test permet d'aborder l'étude des réponses motrices dans différentes formes de strabisme, d'amblyopie et de paralysie oculaire. Devant un objet à fixer, on fait la même manouvre que pour le test précédent, dans le sens horizontal avec le prisme à base temporale puis, toujours en un mouvement rapide, on bouge le prisme dans le sens vertical. C'est alors le prisme à base nasale qui est présenté devant l'oil de l'enfant.

Chez le sujet normal, lorsque le prisme est à base temporale, on observe une petite saccade rapide motrice de l'oil derrière le prisme et lorsque le prisme est à base nasale, une petite saccade rapide motrice de l'oil controlatéral :

  • lorsqu'il n'y a pas de réponse motrice avec le prisme à base temporale et/ou nasale, il n'y a pas de vision binoculaire ou celle-ci est pathologique ;

  • lorsqu'il n'y a pas de réponse motrice du prisme à base temporale, mais une réponse motrice à la manouvre à prisme à base nasale, il y a un blocage mécanique ;

  • lorsqu'il y a une réponse motrice à la manouvre à prisme à base temporale mais non à la manouvre à prisme à base nasale, il y a microstrabisme.

Coordimètre de Hess-Weiss et cyclomètre de Weiss

Ils permettent d'effectuer une campimétrie rapide et de déterminer la place des taches aveugles et, ainsi, de mesurer objectivement la torsion [4753] (cf. supra, « Coordimètre de Lancaster »).

Examens paracliniques
ENREGISTREMENT DES MOUVEMENTS OCULAIRES

Deux méthodes d'enregistrement sont utilisées en pratique clinique : l'électro-oculographie motrice ou cinétique, la photo-oculographie.

ÉLECTRO-OCULOGRAPHIE MOTRICE OU CINÉTIQUE

Le globe oculaire est un dipôle au pôle antérieur positif et au pôle postérieur négatif. Le potentiel de repos entre ces deux pôles est stable ; à éclairage constant, lorsque le globe se déplace, il produit une modification du champ électrique péri-oculaire. L'examen consiste à recueillir les variations de potentiel péri-oculaire induites par les mouvements des yeux au moyen d'électrodes placées au niveau des deux canthus interne et externe pour enregistrer les mouvements horizontaux, et au-dessus du sourcil et en dessous de la paupière inférieure pour les mouvements verticaux.

PHOTO-OCULOGRAPHIE

La photo-oculographie est fondée sur l'étude, par une caméra de télévision, de la distance du reflet d'un point lumineux sur la cornée par rapport à la pupille. Un ordinateur inclus dans l'appareil donne la position des globes mais aussi la vitesse des mouvements et éventuellement l'accélération au cours des mouvements. L'intérêt de cette méthode est l'analyse des vergences et l'étude de la vitesse de la phase lente du nystagmus.

INTÉRÊT

Il est intéressant d'enregistrer les mouvements spontanés anormaux, notamment le nystagmus, mais également de détailler au cours d'un enregistrement d'un trouble oculomoteur les saccades d'attraction visuelle, les mouvements de poursuite lents, le nystagmus optocinétique et le réflexe vestibulo-oculaire ainsi que les mouvements de vergence.

TOMODENSITOMÉTRIE

Les indications de la TDM pour l'analyse d'un déséquilibre oculomoteur sont rares aujourd'hui et limitées au cas où le squelette orbitaire est impliqué ou dans les contre-indications de l'IRM (corps étranger ferromagnétique intraoculaire).

IMAGERIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE

Outre l'imagerie statique, nous citons l'imagerie dynamique qui permet une analyse non invasive et non irradiante de la motilité oculaire [8]. Les images sont réalisées dans le plan neuro-oculaire horizontal passant par les apex orbitaires et les cristallins, dans le plan neuro-oculaire vertical oblique et le plan coronal, dans les différentes positions du regard. À l'heure actuelle, cette exploration n'est que le résultat d'une succession d'images statiques dont le défilement reproduit l'illusion du mouvement. Cette imagerie dynamique est intéressante car, en dehors de l'anatomie fonctionnelle normale, elle permet d'évaluer la motilité oculaire dans des conditions pathologiques avant et après une intervention par exemple, et représente dès lors une aide au diagnostic dans les limitations postopératoires de la motilité, les paralysies oculomotrices, les syndromes de rétraction et les traumatismes orbitaires.

Les coupes coronales ont également l'intérêt d'objectiver l'atrophie ou l'agénésie d'un muscle oculomoteur, notamment dans les syndromes paralytiques [4142] (cf. chapitre 15). Elles permettent également de localiser les insertions musculaires par rapport au plan du nerf optique, de suivre le trajet des muscles, de localiser les poulies. Elles trouvent leur intérêt dans les myopies fortes ou dans l'étude des variations de volume dans les myosites, quelle qu'en soit l'origine.

Conclusion

L'évaluation clinique d'un strabisme réalisée par l'anamnèse, le comportement spontané, l'évaluation de l'état sensoriel des potentialités binoculaires et la caractérisation de l'instabilité oculomotrice va permettre, après synthèse, de conduire à un diagnostic qualitatif dont le but est d'orienter la stratégie opératoire, complétée par les données peropératoires (position des yeux sous anesthésie, test d'élongation musculaire).

Ainsi, il peut s'agir de strabisme concomitant et, dans ce cas, le strabisme peut être convergent (ésotropie) ou divergent (exotropie), normosensoriel ou non, variable ou non, accompagné d'une composante verticale et/ou oblique, d'une limitation de la motilité : nous en connaîtrons la valeur de l'angle minimal, de l'angle maximal, la notion d'une hypercinésie des droits médiaux, d'incomitance verticale et/ou alphabétique associée, la notion d'oil préférentiel et la notion d'anomalie anatomique associée (inégalité des fentes palpébrales, asymétrie des orbites, hypotélorisme ou hypertélorisme, exophtalmie ou énophtalmie) ; il peut s'agir aussi de strabisme paralytique d'origine supranucléaire ou de strabisme paralytique d'origine périphérique, de strabisme d'origine orbitaire ou, enfin, de nystagmus.

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[45]  Spielmann A. A translucent screen. Proceedings of the XVth meeting of the European strabismological association. Paris, CERES, 1985 : 55-64.

[46]  Spielmann A. A translucent occluder for studying eye position under unilateral or bilateral cover-test. Am Orthopt J, 1986 ; 36 : 65-74.

[47]  Spielmann A. Écran translucide et DVD. J Fr Orthopt, 1986 ; 18 : 214-221.

[48]  Spielmann A. Les strabismes : de l'analyse clinique à la synthèse chirurgicale. Paris, Masson, 1991.

[49]  Teller DY. The forced-choice preferential looking procedure: a psychophysical technique for use with human infants. Infant Behav Dev, 1979 ; 2 : 135-153.

[50]  Teller DY, Movshon JA. Visual development. Vis Res, 1986 ; 26 : 1483-1506.

[51]  Vital-Durand F, Hullo A. La mesure de l'acuité visuelle du nourrisson en 6 minutes : les cartes d'acuité de Teller. J Fr Ophtalmol, 1989 ; 12 : 221-225.

[52]  Von Noorden GK. Burian-von Noorden's binocular vision and ocular motility: theory and management of strabismus. St Louis, CV Mosby, 1985.

[53]  Weiss JB. Déséquilibres oculomoteurs et coordimètre. Paris, Doin, 1983.

III - Comment expliquer aux parents le strabisme : questions-réponses

F. Audren

Préalable

La pathologie strabique concerne environ 4 % de la population (enfants et adultes). La prise en charge des strabismes et de l'amblyopie repose essentiellement sur la correction optique, l'occlusion et la chirurgie.

Ces traitements a priori simples et consacrés par l'usage sont en réalité contraignants, souvent mal compris par les patients strabiques ou les parents des enfants strabiques [2]. Il est démontré que la compréhension des patients et des parents est un facteur essentiel d'observance du traitement de l'amblyopie [1, 4]. Il existe de multiples sources d'informations (Internet, fiches SFO). Même si rien ne peut remplacer le contact interactif d'une consultation pour faire passer des informations, la complexité de la pathologie strabique incite à formuler les informations sous une forme écrite, afin que les patients et les parents des enfants strabiques puissent les consulter avec le temps qui leur est nécessaire pour bien les comprendre. Nous présentons ci-dessous les principaux aspects qui nous semblent essentiels à la bonne compréhension des patients ou des parents des patients. Nous insistons particulièrement sur la question de la chirurgie, non pas qu'elle doive avoir une place prééminente par rapport aux traitements médicaux, mais la chirurgie est l'élément de la prise en charge qui semble être le moins bien compris par les parents et le plus les inquiéter [2, 3].

LES MUSCLES OCULOMOTEURS

Les mouvements de chaque oil sont contrôlés par six muscles oculomoteurs (eux-mêmes commandés par des nerfs) (fig. 11-55). En se contractant, le muscle droit latéral tire l'oil qui tourne vers l'extérieur. Le muscle droit médial fait tourner l'oil vers le dedans. Le muscle droit supérieur fait tourner l'oil vers le haut. Le muscle droit inférieur fait tourner l'oil vers le bas. Les muscles obliques (supérieur et inférieur) ont des actions verticales plus complexes.

image

Fig. 11-55 Schéma des six muscles oculomoteurs.

QU'EST-CE QU'UN STRABISME ?

Les sujets normaux ont « les yeux droits », c'est-à-dire que les axes visuels des deux yeux sont parallèles, ce qui permet une vision simple et une bonne perception du relief, les yeux peuvent bouger normalement et l'alignement est présent dans toutes les directions du regard. Quand un sujet a un strabisme, les axes visuels ne sont plus parallèles, il y a une déviation des axes oculaires, on dit qu'il louche.

QUELS SONT LES DIFFÉRENTS TYPES DE STRABISME ?

Il existe de nombreuses formes de strabismes et de multiples façons de les classer (en fonction du sens de la déviation, de l'âge d'apparition, etc.). Les plus fréquemment rencontrés sont des déviations des axes oculaires avec une mobilité des yeux normale. Plus rarement, il existe une déviation due à un dysfonctionnement d'un muscle ou d'un nerf oculomoteur (c'est le cas des paralysies oculomotrices).

En fonction du sens de la déviation, on parle de :

  • strabisme convergent (ou ésotropie) ;

  • strabisme divergent (ou exotropie) ;

  • strabisme vertical avec déviation vers le haut (hypertropie) ou vers le bas (hypotropie).

La déviation des axes des deux yeux peut être plus ou moins prononcée, mais un strabisme n'est pas plus grave si la déviation est plus importante car, quel que soit l'angle, hormis le problème esthétique, les conséquences sur la binocularité sont les mêmes (vision du relief, diplopie ou vision double, amblyopie).

Un strabisme peut être permanent ou intermittent (la déviation des axes visuels n'est pas toujours présente).

QUAND ET POURQUOI UN STRABISME APPARAÎT-IL ?

Lors des premiers jours ou mois de vie, les yeux des petits enfants peuvent ne pas toujours être droits, le temps que leur vision commence à se développer. Passé l'âge de six mois, si les yeux ne sont pas droits cela n'est pas normal.

Les déviations des axes des yeux peuvent être présentes dès l'enfance ou apparaître plus tard au cours de la vie. La plupart des strabismes de l'enfant n'ont pas de cause retrouvée et sont isolés, mais on en rencontre plus fréquemment chez les enfants prématurés et présentant une pathologie neurologique. Il existe souvent un facteur héréditaire.

Ils peuvent aussi être liés à un problème de lunettes, en particulier l'hypermétropie : un sujet hypermétrope doit faire des efforts inadaptés pour voir net et ces efforts peuvent être responsables d'un strabisme (strabismes accommodatifs).

Certains strabismes particuliers sont liés au dysfonctionnement d'un muscle avec une mobilité des yeux anormale :

  • certaines formes sont congénitales et classiques, bien que rares (comme le syndrome de Stilling-Duane, par exemple) ;

  • ce sont les cas des strabismes acquis de l'adulte, dont les plus fréquents sont les paralysies oculomotrices : ils peuvent être dus à des maladies neurologiques, vasculaires, tumorales ; ils occasionnent alors une diplopie et sont souvent associés à d'autres signes non ophtalmologiques.

L'apparition du strabisme peut être due à la baisse de vision d'un oil (impossibilité de superposer les images des deux yeux). Pour cette raison, la constatation d'un strabisme, quel que soit l'âge, justifie un examen ophtalmologique complet pour éliminer une anomalie au niveau d'un oil (chez l'enfant notamment une cataracte congénitale ou une autre malformation oculaire).

LES CONSÉQUENCES DU STRABISME

Les strabismes apparaissant chez un patient qui avait les yeux droits auparavant occasionnent une diplopie car le cerveau ne peut plus unifier les images des deux yeux dont les axes ne sont plus alignés. Chez l'enfant en général, il n'y a pas de vision double, car le cerveau de l'enfant a la capacité de s'adapter et de neutraliser la double image : dans ce cas, il y a un oil qui fixe et l'oil qui est dévié n'est plus utilisé pour la vision quand les deux yeux sont ouverts. Le plus souvent on constate, si on cache l'oil qui fixe, que la vision de l'oil dévié est normale. Parfois, quand on cache l'oil qui fixe, on s'aperçoit que la vision de l'oil dévié est mauvaise, ce qui est dû non pas à une anomalie de l'oil lui-même, mais au fait que le cerveau visuel de cet oil s'est mis au repos et ne se développe pas bien (on parle alors d'amblyopie).

Les conséquences du strabisme sont au nombre de quatre :

  • altération de la vision du relief ;

  • amblyopie ;

  • diplopie ;

  • préjudice esthétique.

VISION DU RELIEF

L'alignement des axes visuels est la condition nécessaire pour avoir une vision fine du relief (vision stéréoscopique). S'il existe une déviation strabique, cette vision du relief n'est pas possible. Si la déviation apparaît chez un petit enfant, elle empêche le développement des capacités de vision stéréoscopique, ce qui est généralement irréversible. Notons que cette vision fine du relief ne signifie pas que les patients n'aient aucune vision du relief, mais elle sera plus grossière. Par exemple certains patients peuvent même voir le relief des films en 3D alors qu'ils échouent aux tests utilisés en consultation d'ophtalmologie.

AMBLYOPIE

L'amblyopie (mauvais développement de la vision d'un oil ou, plus exactement, du cerveau fonctionnant pour la vision de cet oil) est la première cause de mal-vision chez l'enfant. Avoir une amblyopie non traitée, c'est-à-dire une vision basse d'un oil depuis la naissance, expose à un risque de handicap visuel et de dépendance chez l'adulte s'il survient une baisse de vision du bon oil quelle qu'en soit la cause. Le diagnostic d'une amblyopie doit être fait le plus tôt possible, et le traitement doit être commencé le plus tôt possible pour garantir le meilleur résultat visuel : une amblyopie est incurable à l'âge adulte, alors que l'objectif du traitement d'une amblyopie avant l'âge de six ans (voire un peu plus tard) doit être de 10/10 d'acuité visuelle ou plus.

DIPLOPIE

Quand il existe une diplopie en cas de déviation oculaire apparue chez un grand enfant ou un adulte, celle-ci peut être extrêmement invalidante (cause de chute, impossibilité de conduire, etc.).

PRÉJUDICE ESTHÉTIQUE

La déviation oculaire peut être inesthétique et avoir des conséquences sur l'image de soi, l'image auprès des autres, et avoir des conséquences sociales reconnues (moqueries à l'école, difficultés à trouver un emploi, etc.).

COMMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC DE STRABISME ?

Chez l'adulte, le diagnostic est facilement suspecté s'il existe une vision double, ce qui est exceptionnel chez l'enfant. Le diagnostic est également facile pour tout patient qui présente une déviation oculaire visible.

L'examen ophtalmologique et orthoptique précise la vision du patient par la mesure de l'acuité des deux yeux, la vision du relief, ainsi que l'angle de déviation. L'examen élimine une pathologie oculaire qui pourrait être responsable de la mauvaise vision d'un oil et du strabisme.

Le diagnostic n'est pas toujours évident et il existe des strabismes où l'angle de déviation est très petit, qui ne se voient pas du tout esthétiquement (microstrabismes). Inversement certains patients ont une forme de leurs paupières ou de leur visage qui peut donner l'impression qu'ils louchent alors que leurs yeux sont droits, on parle alors de faux strabisme ; chez le bébé, il s'agit souvent d'un épicanthus.

L'examen ophtalmologique recherche le dysfonctionnement d'un muscle oculomoteur (anomalie de motilité d'un ou des deux yeux) qui existe dans certains strabismes (comme les paralysies), pour lesquels l'ophtalmologiste peut éventuellement demander des examens complémentaires ciblés (imagerie cérébrale, bilan neurologique, etc.).

COMMENT TRAITER UN STRABISME ?

Les traitements du strabisme ont plusieurs objectifs :

  • chez l'enfant, la priorité est de traiter une amblyopie s'il y en a une, puis de réaligner les axes visuels ;

  • chez l'adulte avec un strabisme acquis et une diplopie, la priorité est de la supprimer ;

  • en l'absence de diplopie, la problématique est centrée sur le préjudice esthétique.

Les traitements sont à la fois médicaux et chirurgicaux.

LES TRAITEMENTS MÉDICAUX

Le traitement médical du strabisme est un temps indispensable, suffisant dans certains cas ou préalable au traitement chirurgical.

Les lunettes

Dans de nombreux cas, le port de lunettes est nécessaire :

  • pour assurer la meilleure vision possible des deux yeux, particulièrement s'il y a une amblyopie associée ;

  • pour diminuer les efforts fournis par les patients pour voir net au prix d'une déviation (certains patients hypermétropes sont guéris de leur strabisme simplement par le port des lunettes). Dans un certain nombre de cas, le port des lunettes diminue l'angle du strabisme sans aligner parfaitement les yeux. C'est sur l'angle qui persiste malgré les lunettes que la chirurgie sera alors indiquée.

Pour empêcher le patient de faire des efforts accommodatifs pour voir net, on utilise des collyres tels que l'Atropine, instillé pendant plusieurs jours avant la mesure, ou le Skiacol, instillé une heure avant la mesure (usage réservé avant l'âge d'un an). Les mesures ainsi évaluées permettent dès lors de déterminer la correction optique dont le patient a besoin pour bien voir, tout en relâchant ses efforts, ces derniers étant responsables d'une partie du strabisme.

Traitement de l'amblyopie

Chez l'enfant, la priorité absolue est d'assurer que les deux yeux aient la meilleure acuité visuelle possible. Le traitement de l'amblyopie repose sur le port des lunettes et la pose d'un cache sur l'oil fixateur, ce qui permet à l'oil dévié de prendre la fixation et au cerveau qui fonctionne avec l'oil habituellement dévié de fonctionner. Le traitement par cache est adapté en fonction des résultats (nombre d'heures de cache par jour, alternance de cache sur un oil ou l'autre) et doit souvent être prolongé pendant des années (traitement d'entretien). C'est un traitement contraignant, mais qui fonctionnera d'autant mieux qu'il est entrepris tôt et qu'il est bien suivi. En effet, on peut estimer que passé l'âge de six ans, il est plus difficile d'initier ce traitement en raison des contraintes scolaires.

Traitement d'une diplopie

Quand il existe une diplopie, les principes du traitement reposent sur l'occlusion d'un oil (supprimer la double image), décaler optiquement les images des deux yeux (prismes sur les lunettes), réaligner les axes des deux yeux (chirurgie). Chaque traitement a des avantages et des inconvénients et est différent et adapté pour chaque patient.

LES TRAITEMENTS CHIRURGICAUX

La chirurgie du strabisme est une chirurgie fréquente que ce soit chez l'adulte ou l'enfant (plus de 10 000 interventions par an en France).

Quels sont les objectifs de la chirurgie ?

Dans certains cas de déviation oculaire associée à une diplopie, la chirurgie sera nécessaire pour supprimer la vision double (paralysies oculomotrices) au moins dans les conditions où la vision est la plus sollicitée, c'est-à-dire de face et dans le regard en bas (lecture).

En l'absence de diplopie, les objectifs de la chirurgie sont de redresser les axes visuels afin de :

  • supprimer d'éventuels symptômes (fatigue visuelle et maux de tête chez les patients présentant un strabisme intermittent et qui font des efforts pour redresser leurs yeux) ;

  • rendre un certain niveau de vision du relief, ce qui n'est possible que si les yeux sont droits (condition nécessaire mais non suffisante si le strabisme est apparu tôt dans l'enfance et que les capacités de vision stéréoscopique ne se sont pas développées) ;

  • normaliser l'aspect esthétique.

Quand opérer ?

Même s'il n'existe pas de vision double invalidante, à partir du moment où le strabisme se voit, quel que soit l'âge, et même s'il a déjà été opéré, un traitement chirurgical peut être indiqué. En effet, il ne s'agit alors pas que d'un simple problème esthétique, mais d'une déviation oculaire visible pouvant être un vrai handicap pour la vie courante. Il n'y a donc pas d'âge pour opérer un strabisme.

Pour les enfants

La chirurgie est réalisée entre deux et six ans en Europe, le plus souvent avant l'âge de six ans (entrée au CP) : amélioration des capacités de lecture et d'orientation dans l'espace et amélioration de l'image de soi.

Un certain nombre de strabismes vont se redresser sans intervention avant l'âge de six ans.

Dans le cas particulier du petit enfant (avant deux ans) qui présente un strabisme convergent et chez qui la chirurgie ne sera pas réalisée tout de suite, on peut proposer un traitement par injection de toxine botulique, qui diminue le strabisme et peut permettre d'éviter une intervention chirurgicale ultérieure. Cette injection se réalise lors d'une courte anesthésie générale.

Pour les adultes

Le retentissement esthétique du strabisme est le plus souvent la motivation pour une chirurgie : il n'y a pas de limite d'âge tant qu'il n'y a pas de contre-indication anesthésique (en dehors d'éventuelles pathologies non stabilisées comme l'hyperthyroïdie.).

La chirurgie
Principes de la chirurgie

La chirurgie de strabisme porte sur les muscles oculomoteurs et consiste généralement en un affaiblissement ou un renforcement d'un ou plusieurs muscles oculomoteurs (en les reculant ou les raccourcissant) sur un ou les deux yeux. Le protocole de la chirurgie est fixé par le chirurgien et adapté à chaque cas. L'action sur les muscles oculomoteurs permet de modifier l'axe de l'oil.

Comment se déroule l'intervention chirurgicale ?

L'intervention a lieu sous anesthésie générale dans l'immense majorité des cas. Le patient est allongé sur le dos, sous un champ stérile. Avant l'intervention proprement dite, l'oil ou les yeux opérés sont désinfectés par un produit antiseptique, et l'oil est maintenu ouvert par un écarteur à paupière (blépharostat). Pendant l'intervention, le chirurgien utilise un microscope opératoire (microchirurgie) et des instruments de chirurgie classique, mais pas de laser ou d'ultrasons contrairement à d'autres chirurgies réalisées en ophtalmologie.

Un pansement peut être mis sur l'oil opéré en fin d'intervention mais ce n'est pas obligatoire.

Contrairement à ce que certains patients ou parents peuvent croire ou craindre parfois, à aucun moment l'oil n'est enlevé de la tête pendant une intervention de strabisme.

L'hospitalisation

Le plus souvent l'intervention a aujourd'hui lieu pendant une hospitalisation ambulatoire, c'est-à-dire sur une journée, le patient ne passant pas de nuit à l'hôpital. Il s'agit cependant d'une intervention sous anesthésie générale et, pour des raisons pratiques ou médicales, il peut cependant être demandé de passer une nuit à deux nuits à l'hôpital (distance du domicile, problème anesthésique).

Quelles sont les suites immédiates de la chirurgie ?
Les fils de suture

Les fils utilisés pendant la chirurgie de strabisme sont des fils résorbables et il n'y a donc pas de fils de suture à enlever après l'intervention.

La douleur

Un traitement contre la douleur est prescrit par l'anesthésiste dans les premiers jours suivant l'intervention, à prendre si nécessaire (anti-inflammatoires non stéroïdiens). Le traitement postopératoire consiste à instiller un collyre dans l'oil opéré pendant plusieurs semaines.

L'aspect de l'oil opéré

L'oil peut être très rouge les premiers jours suivant l'intervention. Une rougeur plus modérée pourra persister plusieurs semaines voire plusieurs mois après l'intervention, en moyenne pendant deux mois, tant que la cicatrisation n'est pas terminée.

L'axe de l'oil constaté dans les jours suivant l'intervention ne doit pas inquiéter : parfois il ne semble pas immédiatement satisfaisant, et il peut même y avoir une inversion immédiate du strabisme (l'oil part dans l'autre sens), car il est fréquent que l'oil mette plusieurs jours ou semaines avant de retrouver une motilité normale et sa place définitive. On ne juge donc pas le résultat le lendemain d'une intervention mais plusieurs semaines après.

Précautions après l'intervention

Souvent quelques jours de repos sont préconisés (après anesthésie générale). Il est déconseillé de se baigner à la piscine ou dans la mer pendant environ un mois après l'intervention. On peut en revanche se laver les cheveux, se doucher mais en veillant à ne pas mettre de savon dans l'oil.

Quels sont les résultats de la chirurgie ?

Les résultats de la chirurgie sont dans la majorité des cas très satisfaisants. Cependant, chaque cas est particulier, et la précision de la chirurgie n'est pas exacte. Il ne faut pas oublier que l'on traite un angle de strabisme et que le dosage de la chirurgie est soumis à une marge de précision variable en fonction des cas. D'autre part, l'angle d'un strabisme est susceptible d'évoluer au cours du temps, ce qui veut dire qu'un excellent résultat chirurgical immédiat peut ne pas se maintenir toute une vie.

Un patient strabique opéré peut toujours être amené à être réopéré à plus ou moins long terme si son cas le justifie. Dans certains cas, le chirurgien pourra même envisager d'emblée plusieurs interventions chirurgicales.

Chirurgie et lunettes

Une intervention de strabisme vise à corriger l'angle du strabisme qui persiste malgré le port des lunettes. Il est rare que la chirurgie permette de ne plus mettre les lunettes (et ce n'est pas son objectif) et certains patients opérés qui ont les yeux parfaitement droits avec leurs lunettes peuvent avoir un strabisme visible quand ils les ôtent.

Quelles sont les complications de la chirurgie ?

Les problèmes liés à la cicatrisation, comme une irritation de surface ou une rougeur oculaire persistante, sont fréquents mais ne sont pas graves.

Les principales complications sont les résultats insuffisants ou les inversions du strabisme (problème du dosage).

Le risque de vision double après chirurgie (alors qu'il n'y a pas de vision double avant) est faible et n'est pas une contre-indication à une intervention.

Les complications peropératoires à type de perforation du globe oculaire sont très rares et les complications graves faisant courir un risque de perte de vision irréversible de l'oil opéré (infection intraoculaire, décollement de rétine) sont rarissimes.

Prise en charge

La chirurgie de strabisme est prise en charge par l'assurance maladie.

LE SUIVI DES PATIENTS STRABIQUES

La prescription régulière de la correction optique adaptée est essentielle, car le strabisme peut se modifier avec le temps, nécessitant parfois un complément chirurgical.

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