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Chapitre 5
Principales urgences ophtalmologiques
5.1
Urgences traumatiques1
5.1.1. PLAIES DE CORNÉE

J.-L. BOURGES

Points forts

  • Toujours suspecter un corps étranger intracornéen ou intra-oculaire.

  • Rechercher de principe une lésion extracornéenne associée, une plaie, un refend scléral.

  • Un signe de Seidel indique une plaie transfixiante, mais son absence n’élimine pas une plaie transfixiante.

  • L’usage d’une terminologie commune permet d’optimiser les transmissions sanitaires et la prise en charge d’urgence. La classification internationale Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) peut s’adapter aux plaies de cornée.

  • Éviter de placer des points de suture cornéens dans l’axe visuel.

  • L’emploi de colles biologiques peut être utile transitoirement.

  • La cicatrisation du stroma cornéen prend plusieurs mois : ne pas ôter les sutures trop tôt.

Une personne sur cinq environ subit un traumatisme oculaire significatif au cours de sa vie [1–3]. Les plaies oculaires impliquent généralement des patients masculins jeunes, âgés entre 20 et 30 ans [4]. Il est illusoire de vouloir connaître précisément l’incidence des plaies de cornée parmi ces traumatismes oculaires, toutes n’étant pas examinées et les recueils n’étant pas exhaustifs, toutefois on estime qu’elles représenteraient environ 7 à 14 % des blessures traumatiques oculaires vues en unité d’urgence ophtalmologique [5]. Elles peuvent aller jusqu’à 8/1000 personnes en population rurale [6]. Une étude réalisée aux urgences de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur un an entre 2013 et 2014, portant sur 27 562 patients, recensait 40 plaies de cornée, dont 29 sur cornée saine [7]. Selon la classification de l’Ocular Trauma Classification Group (OTC), les plaies de cornée sont des plaies de zone 1 lorsqu’elles sont isolées, et de zone 2 lorsqu’elles sont cornéosclérales (encadré 5-1-1) [8]. Les plaies cornéennes pures (zone 1) représenteraient ainsi environ 20 % des plaies du globe, de même que les plaies cornéosclérales [9].

Encadré 5-1-1
Zones de plaies du globe déterminées par l’Ocular Trauma Classification Group (OTC) [8]

  • Zone 1 : plaie cornéenne isolée à la cornée, limbe cornéoscléral inclus.

  • Zone 2 : plaie cornéosclérale allant du limbe à 5 mm du limbe au maximum en sclère antérieure.

  • Zone 3 : plaie sclérale dont l’étendue est postérieure à 5 mm de l’anneau limbique.

1. Les urgences pédiatriques sont abordées au chapitre 5.5.

Contexte
TERRAIN

Le traumatisme cornéen occasionnant une plaie est plus fréquent chez l’homme d’âge moyen entre 20 et 30 ans, l’enfant, la personne âgée. Le contexte est principalement celui :

  • ±

    d’un traumatisme facial ou oculaire, d’un polytraumatisme ;

  • ±

    de l’exposition à un projectile, une percussion, une explosion ;

  • ±

    de facteurs favorisants : absence de dispositif de protection oculaire, imprégnation psychotrope (alcool, stupéfiant, neuroleptique, hypnotique), pathologie psychomotrice ou psychiatrique, profession à risque.

ANTÉCÉDENTS PRÉDISPOSANTS

  • ±

    Œil précédemment opéré, avec une incision cornéenne.

  • ±

    Anomalie cornéenne fragilisante : chirurgie cornéenne, kératoglobe, buphtalmie, kératolyse.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

Ces circonstances sont extrêmement hétérogènes :

  • ±

    professionnelles : travailleur manuel utilisant une percussion (fig. 5-1-1), personne en milieu rural effectuant des manipulations ;

    Fig. 5-1-1
    Plaie cornéenne punctiforme centrale auto-étanche (a).
    Porte d’entrée d’un volumineux corps étranger intra-oculaire métallique (b), vu en fente lumineuse comme intracristallinien (c). Il était en réalité perforant (orifice de sortie en sclère postérieure).

  • ±

    survenant sur la voie publique : accident, auto- ou hétéro-agression, projection d’un corps étranger (CE) en moto, scooter, vélo ;

  • ±

    gériatriques : chute ou réouverture d’incision chirurgicale ;

  • ±

    pédiatriques : jeux collectifs (bâton, jet de projectile), accident scolaire (crayon, compas, stylo, etc.), griffure, piqûre ou morsure d’animal ou d’insecte ;

  • ±

    domestiques : bricolage, traumatisme végétal, chute ;

  • ±

    iatrogènes : plaie peropératoire, complication postopératoire.

Présentation clinique
SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux : aucun ou état de choc.

  • ±

    Spécifiques :

    • une plaie de cornée peut être asymptomatique ; généralement, elle n’est pas douloureuse en soi mais engendre une baisse d’acuité visuelle (BAV). Initialement, elle n’entraîne pas d’inflammation si elle est isolée ;

    • d’autres signes fonctionnels spécifiques sont possibles : sensation de corps étranger (SCE), larmoiement clair, blépharospasme.

EXAMEN CLINIQUE

Il faut procéder à un examen formel, daté et signé, afin que ces éléments soient exploitables ultérieurement sur le plan médico-judiciaire, notamment dans la rédaction d’un certificat médical initial.

BILAN LÉSIONNEL EXTRA-OCULAIRE

Le but est d’identifier une possible urgence vitale qui prime, dans un contexte de traumatisme crânien ou de polytraumatisme.

On note les réflexes photomoteur, pupillaire afférent relatif et consensuel.

BILAN LÉSIONNEL LOCORÉGIONAL PÉRI-OCULAIRE

Il faut :

  • ±

    procéder à un examen et une surveillance régulière neurologique centrale ;

  • ±

    identifier une plaie ou fracture orbitaire, du massif facial, de la base du crâne ;

  • ±

    suspecter un ou plusieurs CE orbitaires et/ou intracrâniens selon le contexte ;

  • ±

    examiner les paupières, les voies lacrymales, les muscles orbitaires et oculomoteurs.

BILAN LÉSIONNEL OCULAIRE

L’examen est binoculaire, même si le traumatisme est apparemment unilatéral.

Il faut s’attacher à évaluer l’acuité visuelle (AV) initiale, principal facteur pronostique [10–15] et évaluer la baisse d’AV (BAV).

Il faut suspecter un ou plusieurs CE orbitaires et/ou intra-oculaires (CEIO).

Les plaies cornéennes de rupture par éclatement du globe ( blast) sont souvent complexes : 20 % des plaies de globe sont cornéosclérales [16]. Il peut être nécessaire d’examiner les quadrants scléraux, particulièrement en cas d’hémorragie sous-conjonctivale dense, d’hypotonie, d’hématome choroïdien, de plaie limbique, de trouble oculomoteur. Cet examen détermine la zone OTC impliquée.

BILAN LÉSIONNEL CORNÉEN

Environ deux tiers des plaies du globe seraient purement cornéennes [16]. Le bilan lésionnel consigne l’état cornéen précédent, l’histoire du traumatisme, son horaire de survenue, sa nature, les soins entrepris avant la prise en charge spécialisée. L’examen biomicroscopique caractérise les lésions cornéennes en lumière diffuse, en fente lumineuse fine, avec une cornée totalement exposée sans appui sur le globe. Il décrit la localisation lésionnelle dans tous les quadrants horaires, la distance par rapport à l’axe visuel, les couches cornéennes impliquées, la profondeur, la transparence, les défects tissulaires, la présence et la nature de CE, le caractère pénétrant ou non, étanche, auto-étanche, pénétrant, bouché ou non étanche. Il utilise un test à la fluorescéine à la recherche d’un défect tissulaire ou d’un signe de Seidel. Il décrit les autres tissus impliqués. Il recherche un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR), de valeur pronostique [14, 17]. Il est utile de documenter la lésion cornéenne par une photographie, par exemple.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES À UNE PLAIE DE CORNÉE

Aucun examen n’est indispensable en urgence si la présence d’un corps étranger est formellement exclue.

La photographie de surface oculaire permet de documenter la lésion initiale et aide à suivre son évolution.

La tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) de cornée est utile pour évaluer précisément la profondeur de la plaie, les structures cornéennes et intra-oculaires impliquées, et rechercher un éventuel CE. Elle permet de préciser en urgence le caractère pénétrant ou non d’une plaie cornéenne ou d’un CE. Le document initial permet ensuite d’analyser la qualité de la prise en charge et l’évolution cicatricielle.

La radiographie orbitaire de face et de profil est utile pour évaluer la présence d’un CE radio-opaque, l’aspect orbitaire et sinu-sien. Elle participe au bilan d’un traumatisme crânien ou de la face.

La tomodensitométrie (TDM) orbitaire possède les mêmes indications que la radiographie dans ce contexte, toute proportion de coût et de disponibilité gardée. Elle n’est pas utile dans les plaies de cornée isolées. Ni la radiographie standard, ni la TDM ne sont assez précises pour spécifier si un CE est strictement intracornéen ou intra-oculaire.

Une suspicion de plaie de cornée, et par extension du globe, contre-indique la pratique d’exploration complémentaire « contact », comme l’échographie ou la microscopie confocale. Une suspicion de CE magnétisable contre-indique la pratique d’une imagerie par résonance magnétique (IRM).

TYPE D’URGENCE
DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE (PEC)

Ce délai est évalué selon :

  • ±

    la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) = score CIMU 3 ;

  • ±

    le type de plaie :

    • plaie transfixiante (pénétrante, perforante, rupture) = triage PEC de catégorie 3 ;

    • plaie non transfixiante = triage PEC de catégorie 4.

Il faut différencier la prise en charge du délai de réparation chirurgicale. Le délai de prise en charge influe sur le pronostic final des plaies de cornée [16].

Pour les plaies lamellaires non transfixiantes, le délai optimal de prise en charge médicale est inférieur à 24 heures. La prise en charge chirurgicale, si elle est indiquée, est au mieux inférieure à 36 heures [15].

Pour les plaies transfixiantes, le délai optimal de prise en charge médicale est immédiat, inférieur à 6 heures. Si elle est indiquée, la prise en charge chirurgicale minimise tout délai additionnel, autant que possible dans les 24 heures [18].

JUSTIFICATION DE PRISE EN CHARGE EN URGENCE

Une prise en charge urgente des plaies de cornée est justifiée en raison :

  • ±

    des risques d’aggravation : infection, incarcération tissulaire, mobilisation d’un CE [16] ;

  • ±

    de l’œdème cornéen dont l’installation complexifie la réalisation des sutures cornéennes et augmente l’astigmatisme potentiellement induit ;

  • ±

    d’inflammation du tissu cornéen, qui potentialise le processus cicatriciel opaque ;

  • ±

    de la douleur liée à la possible abrasion cornéenne associée.

Signes paracliniques spécifiques et d’intérêt particulier pour la prise en charge en urgence
RADIOGRAPHIE X

La radiographie standard peut objectiver une opacité anormale dans l’aire de la paroi du globe oculaire sans plus de précision, correspondant à un CE radio-opaque. Elle permet d’éliminer d’autres CE radio-opaques, une fracture osseuse, une effraction orbitaire (pneumorbite), sinusienne (pneumo-sinus, hémosinus).

La TDM permet aussi de localiser les éventuels CE locaux et locorégionaux. C’est un examen non-contact, avantageux s’il existe une suspicion de plaie pénétrante. Lorsque l’œil est mal accessible ou lorsque les milieux sont opacifiés (œdème cornéen, hyphéma, luxation irienne), la TDM recherche la rupture de sphéricité du globe ou une collection hématique choroïdienne faisant suspecter une plaie en zone 2 ou 3. L’observation d’une luxation du cristallin, d’une opacité vitréenne ou d’un détachement rétinien oriente la prise en charge chirurgicale.

OCT

L’OCT visualise la cornée en coupe sagittale au cours d’une acquisition non-contact. Il quantifie l’aire de la plaie, sa profondeur, et la profondeur de chambre antérieure. Il visualise et localise le cas échéant un CE intracornéen. Il aide à orienter précisément la stratégie chirurgicale. Il fournit un document initial de référence.

Diagnostic étiologique

La terminologie internationale employée pour identifier les plaies oculaires utilise la classification internationale Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) [19]. Par extrapolation à la cornée, une plaie de cornée peut être décrite selon ce système terminologique (fig. 5-1-2).

Fig. 5-1-2
Terminologie des traumatismes cornéens adaptée par extrapolation du Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) [19].
Les flèches en vert figurent le trajet de la lésion ou la surface impliquée. Un trait rouge illustre le type de lésion. CE : corps étranger ; CEIO : corps étranger intra-oculaire.

PLAIE CORNÉENNE NON TRANSFIXIANTE

Cette plaie n’intéresse pas toute l’épaisseur cornéenne. Elle n’engendre pas de pénétration intra-oculaire.

PLAIE CONTUSIVE

C’est une atteinte mécanique par un objet mousse ou une force qui transfère son énergie au tissu cornéen. Les bords de la plaie sont mal définis, mal affrontés. Le traumatisme oculaire par forceps ou l’hydrops post-traumatique correspondent à une atteinte contusive de la membrane de Descemet, qui se rompt.

LACÉRATION LAMELLAIRE

C’est une atteinte mécanique par un objet contondant ; les bords sont nets, donc potentiellement bien affrontables. Le mécanisme lésionnel est dirigé de l’extérieur vers l’intérieur.

PRÉSENCE D’UN CORPS ÉTRANGER INTRA-CORNÉEN (fig. 5-1-3)

Un CE intracornéen se caractérise par sa profondeur (superficiel, moyen, profond, pénétrant), sa nature (inerte, organique, végétal, oxydable, dégradable, toxique, vivant), sa taille, sa multiplicité et sa localisation. Un CE intracornéen peut occulter un autre CE, de localisation sous-palpébrale, cornéenne, intra-oculaire ou locorégionale. Sa visualisation peut être malaisée, surtout si la cornée est opacifiée, lorsqu’il est transparent (verre, plastique) ou linéaire fin (poil animal ; fibre végétale, organique ou minérale). On peut s’aider de l’imagerie cornéenne pour l’identifier ou le localiser.

Fig. 5-1-3
Corps étranger intracornéen superficiel vu en lumière diffuse (a) et en OCT (b).

PLAIE CORNÉENNE TRANSFIXIANTE

Une plaie cornéenne transfixiante intéresse toute l’épaisseur cornéenne. Elle peut engendrer une fuite d’humeur aqueuse qui s’objective par le signe de Seidel, rinçant la fluorescéine (fig. 5-1-4). La fuite d’humeur aqueuse peut être spontanée. Elle peut être provoquée si la plaie est auto-étanche. Elle est parfois inexistante si l’hypotonie est marquée ou si la plaie est obturée par un tissu intra-oculaire comme l’iris (plaie « perforée-bouchée »).

Fig. 5-1-4
Signe de Seidel.
La fluorescéine est instillée à la surface oculaire (a) et observée en lumière bleue (b). Elle est rincée par l’humeur aqueuse qui fuit au travers de la plaie transfixiante non étanche de cornée.

RUPTURE

Une rupture est la conséquence de l’énergie d’un objet transmise à la cornée. Son mécanisme est dynamique, de l’intérieur vers l’extérieur de la paroi oculaire. La rupture traumatique transfixiante associe habituellement un mécanisme contusif tissulaire.

LACÉRATION TRANSFIXIANTE

  • ±

    Par pénétration : la plaie pénètre la cornée de l’extérieur vers l’intérieur, sagittalement, obliquement ou par un trajet complexe (fig. 5-1-5), parfois auto-étanche. Le point de lésion est généralement unique.

    Fig. 5-1-5
    Plaie du globe par mécanisme associant une lacération pénétrante et une contusion, de type cornéosclérale complexe (zone 2).

  • ±

    Par perforation : la plaie traverse la cornée de part en part, obliquement. Elle est générée par un objet pointu ou un projectile. Les points de lésion sont doubles, avec un point d’entrée et un point de sortie. Ce mécanisme commun pour les plaies du globe est exceptionnel au niveau de la cornée étant donné sa forme grossièrement hémi-sphérique et son diamètre restreint à 12 mm.

PRÉSENCE D’UN CORPS ÉTRANGER INTRA-OCULAIRE

Un CE intra-oculaire est suspecté en fonction du contexte de survenue et du mécanisme causal. L’examen recherche une hypotonie ainsi que des signes de balisage intra-oculaires extracornéens, correspondant aux stigmates de son trajet intra-oculaire : hyphéma, transillumination irienne, correctopie, cataracte sectorielle, hyalite, hémorragie intravitréenne, pré- ou intrarétinienne, hématome choroïdien. Les explorations complémentaires sont utiles.

À la description terminologique du BETT adaptée à la cornée, on peut ajouter les observations séméiologiques de valeur pronostique suivantes :

  • La plaie est-elle comminutive ? Dans ce cas, la plaie montre plusieurs traits de refend.

  • Y a-t-il perte de substance tissulaire ? Une partie du tissu cornéen s’est totalement désolidarisée du reste de la cornée.

  • Quels sont les facteurs de gravité présents (voir le paragraphe « Pronostic ») ?

Remarque

Diagnostics différentiels essentiels

Il s’agit :

  • ±

    d’une plaie de zone 3 : c’est alors moins spécifiquement une plaie du globe ;

  • ±

    d’un hydrops spontané de kératocône ;

  • ±

    d’une phtyse ;

  • ±

    d’une incision cornéenne chirurgicale ou d’une chirurgie cornéenne non compliquée.

Prise en charge immédiate
CADRE ADMINISTRATIF

Le transfert d’une plaie de cornée doit être médicalisé lorsqu’elle s’associe à un traumatisme crânien. L’examen initial d’urgence ophtalmologique détermine si la plaie de cornée peut être prise en charge en consultation externe, lorsqu’elle ne nécessite pas d’être suturée et qu’elle est circonscrite en zone 1, non transfixiante. Dans ce cas, un acte technique médical peut être requis, comme la pose d’une lentille pansement ou l’ablation d’un CE cornéen superficiel. Dans les autres cas, le patient est acheminé vers un établissement de soins spécialisé sans délai.

STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

La prise en charge médicale initiale d’une plaie de cornée commence par le parage de première ligne. Dans les abrasions épithéliales simples, le pansement de cornée n’a pas fait la preuve de son efficacité antalgique ou cicatrisante [20, 21], bien qu’il soit généralement proposé dans le but d’éviter une surinfection ou un sur-accident. La détersion superficielle et l’ablation de CE superficiel cornéen peuvent s’effectuer à la lampe à fente.

L’usage d’une antibioprophylaxie locale n’a pas fait l’objet d’étude contrôlée. Une étude prospective non contrôlée portant sur 1248 traumatismes oculaires, dont 551 abrasions cornéennes et 558 ulcères, a rapporté que l’administration d’un antibiotique local large spectre dans les 18 heures après l’accident engendrerait moins de complications infectieuses que son usage plus tardif ou son absence [22]. Bien qu’aucune étude prospective contrôlée ne soit disponible sur le sujet, l’utilisation d’une antibioprophylaxie systémique paraît justifiée actuellement en cas de plaie transfixiante. En effet, sur 36 cas d’endophtalmies post-traumatiques, Alfaro et al. ont dénombré pas moins de 25 % de plaies impliquant la cornée en zone 1 et 36 % en zone 2 [23]. Les germes les plus fréquents étaient le staphylocoque (1/4), suivi du streptocoque (1/5) puis des bacilles (1/7).

L’utilisation d’une lentille de contact pansement permet la contention d’une lacération lamellaire, sous couverture antibiotique dont le spectre inclut les cocci à Gram positif et les bacilles à Gram négatif [24–27].

La colle biologique permet d’étanchéifier une plaie transfixiante qui fuit. Son adhésion est transitoire. La colle cyanoacrylate et la fibrine sont les agents les plus utilisés, bien qu’il en existe d’autres [28]. La colle cyanoacrylate possède un effet fibroadhésif plus puissant que la fibrine et des propriétés bactériostatiques large spectre. Appliquée, elle nécessite d’être recouverte par une lentille pansement pour être tolérée. La fibrine est mieux tolérée [29]. Elle permet un ajustement plus précis des berges car sa polymérisation n’est pas instantanée. Elle est moins solide et moins adhésive.

Les hypotonisants sont parfois proposés en cas de signe de Seidel positif isolé. Le but est de diminuer le flux transcornéen d’humeur aqueuse et favoriser la cicatrisation épithéliale. Cette stratégie est actuellement empirique.

Une plaie cornéenne de zone 1 présente une indication chirurgicale en fonction de sa présentation (tableau 5-1-1). En plus de sa réparation, une plaie de zone 2 nécessite une exploration chirurgicale étendue. La réparation chirurgicale d’une plaie cornéenne fait appel selon le cas à une simple suture (fig. 5-1-6), une suture complexe (fig. 5-1-7) ou à l’association de sutures et d’autres techniques : lentille pansement, colle, greffe de membrane amniotique, patchs conjonctivaux, cornéens ou scléraux. Lorsqu’il existe une importante perte de tissu, une auto- ou allogreffe lamellaire, avec patchs cornéens (fig. 5-1-8) ou scléraux (fig. 5-1-9), voire une auto- ou allogreffe transfixiante peuvent s’avérer nécessaires pour obtenir l’étanchéité.

Tableau 5-1-1
Indications de prise en charge chirurgicale pour les plaies cornéennes de zone 1.
Nature de la plaie Caractéristique spécifique Exemple
Plaie transfixiante Non étanche Seidel cornéen positif
Étanchéité éphémère Hypotonie
Œdème des berges
Instabilité des berges
Plaie non transfixiante Perte de substance
Risque d'astigmatisme induit Écart ou glissement des berges
Corps étranger Autre que superficiel mobilisable en lampe à fente Clou pénétrant transcornéen
Lésion chirurgicale associée Brûlure Greffe de membrane amniotique
Implication chirurgicale d'un autre tissu Incarcération vitréenne, irienne
Plaie post-chirurgicale Réouverture d'incision Rupture de bulle de filtration
Désunion de suture
Mobilisation tissulaire Luxation de capot Lasik
Lasik: laser in situ keratomileusis.
Fig. 5-1-6
Bases techniques de sutures cornéennes simples.
La suture d’une plaie franche à bords non œdémateux (a) pénètre de part et d’autre des berges à équidistance, à une distance identique à la profondeur (al ; pointillés rouges), dans le tiers stromal postérieur, sans être transfixiant, en imprimant une tension juste suffisante à l’affrontement. Trop superficielle, la suture autorise un bâillement postérieur (a2). Non équidistante, elle engendre un débord (a3). Transfixiante, elle expose à rompre l’étanchéité (a4). La suture d’une plaie franche à bords œdémateux (b), lorsqu’elle imprime une tension juste suffisante à l’affrontement (b1), compromet l’étanchéité à la résolution de l’œdème des berges (b2). La tension de la suture doit être accentuée initialement (b3) pour être efficace dans les suites opératoires (b4).
Fig. 5-1-7
Bases techniques de sutures cornéennes complexes.
Le rapprochement des berges affronte les bords de la couche de Bowman (a). L’appui externe d’une suture cornéenne est maximal au niveau de la couche de Bowman (a1 ; flèches vertes) et non à la surface cornéenne (flèches rouges). La tension de la suture ajustée à la surface cornéenne (a2, flèche rouge) expose à la distension secondaire de la suture par plasticité épithéliale (a2, flèche verte). Le rapprochement d’un lambeau s’initie de l’extrémité de l’angle aigu (b1, point rouge) vers son point conjugué en vis-à-vis en angle obtus (b1, croix rouge). Il se poursuit par des sutures allant du lambeau (points verts) vers son point conjugué en vis-à-vis (croix vertes), de part et d’autre des sutures établies, en divisant à chaque fois de moitié la zone restant à suturer pour équilibrer les tensions (b2). Afin d’éviter une ponction dans les 3 mm centraux (b3, zone délimitée rouge), une suture d’angle aigu peut être remplacée par 2 sutures de tension égale en marge de la zone à préserver (b3, point et croix vertes). Les traits de refend en Y rapprochent les angles aigus en commençant par le plus aigu (b4, point rouge) en l’appuyant de part et d’autre du refend par 2 points séparés ou un surjet (b5).
Fig. 5-1-8
Réparation d’une plaie cornéenne pénétrante avec perte de substance cornéenne significative (a) à l’aide d’un patch de kératoplastie.
Noter l’absence de suture dans la zone des 3 mm centraux (b).
Fig. 5-1-9
Technique de patch par apposition de volet scléral.
Une plaie dont la suture n’assure pas l’étanchéité (a, exemple : brûlure incisionnelle de phacoémulsification) peut nécessiter l’apposition d’un patch en confectionnant un volet scléral pédiculé en regard (b). Le volet est inversé pour obstruer la béance tissulaire. Il est maintenu à l’aide de colle biologique (c), de sutures séparées enfouies (d) ou d’un ou de plusieurs passants à nœud enfouis (e). Il peut être inséré dans une poche cornéenne de dissection lamellaire (f).

Le choix des fils de suture cornéenne est orienté par leurs propriétés spécifiques :

  • ±

    le polypropylène est inextensible, à mémoire de forme. Il doit donc être manipulé avec délicatesse. Il ne s’hydrolyse pas. Il peut donc être laissé en place indéfiniment. Son ajustement tensionnel nécessite une grande précision mais reste stable dans le temps ;

  • ±

    le monofilament est solide, légèrement élastique. Il peut donc contraindre efficacement les tissus sans mémoire de forme, avec toutefois une certaine marge d’ajustement des tensions. À long terme, il s’hydrolyse et devient cassant. Son ablation est donc généralement nécessaire ;

  • ±

    le polyglycolide polylactide est biodégradable. Sa résorption spontanée dispense de le retirer activement. En se dégradant, il génère une inflammation locale qui nuit à la transparence du tissu cornéen.

Enfin, à distance, la prise en charge réparatrice des plaies de cornée vise à restaurer les fonctions cornéennes optiques, biomécaniques et esthétiques, en préservant autant que possible le confort de surface oculaire (voir le paragraphe « Pronostic »).

Surveillance recommandée

Les soins postopératoires comprennent une antibioprophylaxie topique à large spectre, à toxicité épithéliale limitée, plus ou moins systémique, pour les plaies transfixiantes septiques. Des cicatrisants et lubrifiants de surface oculaire sont associés au traitement anti-infectieux. Les myotiques non cycloplégiques offrent une antalgie utile. Ils préviennent les synéchies antérieures sans favoriser les synéchies postérieures. La place des corticoïdes topiques n’est pas clairement établie.

La surveillance immédiate s’assure :

  • ±

    de l’étanchéité de la plaie ;

  • ±

    de l’absence de tissu incarcéré dans les berges de la plaie ;

  • ±

    qu’aucun foyer inflammatoire ou infectieux ne se développe au niveau de la plaie ou des sutures dans la première semaine et pendant le premier mois ;

  • ±

    que les fils restent convenablement placés et enfouis.

Lorsque des sutures cornéennes ont été placées, leur ablation est guidée par la fibrose qui les engaine progressivement. Elle signifie que le processus cicatriciel est constitué. En l’absence de pathologie cornéenne sous-jacente, le délai d’ablation des sutures est d’environ 3 mois. Les fils peuvent être ôtés plus précocement en cas de néovascularisation, inflammation, infection, distension, lâchage, rupture. Il en est de même chez l’enfant ou lorsqu’une suture implique l’axe visuel.

Pronostic

Le pronostic des plaies de cornée est triple : fonctionnel (vision), esthétique (regard) et de confort (gêne, sensation de corps étranger, douleur) (fig. 5-1-10). Il dépend de la présence ou l’accumulation de facteurs de gravité [15] et des éléments initiaux susceptibles d’aggraver le pronostic (tableau 5-1-2).

Fig. 5-1-10
Les éléments du pronostic des plaies de cornée indiquent les options thérapeutiques possibles.
Anti-VEGF : vascular endothelial growth factor; KL : kératoplastie lamellaire ; KLAP : kératoplastie lamellaire antérieure profonde ; KLS : kératectomie lamellaire superficielle ; KT : kératoplastie transfixiante ; LSH : lentille souple hydrophile ; PKT : photokératectomie thérapeutique ; SC : infejection sous-conjonctivale.
Tableau 5-1-2
Facteurs de gravité et à risque pronostique d'une plaie de cornée [15].
Facteurs de gravité immédiats
Acuité visuelle non chiffrable
Hyphéma > 50 %
Prolapsus uvéal
Hémorragie vitréenne
Plaie > 8 mm
Implication des 3 mm centraux
Défect tissulaire
Facteurs à risque pronostique
Plaie transfixiante
  • Réparation lamellaire compromise

Enfant
  • Risque d'amblyopie/retard diagnostique

Souillure
  • Risque infectieux

Agent vulnérant organique
  • Risques infectieux/corps étranger/érosif récurrent

Lésion associée
  • Cumul des pronostics

Localisation (para)axiale
  • Transparence de l'axe visuel altérée/astigmatisme

Suture tendue/para-axiale
  • Astigmatisme irrégulier

Le pronostic des plaies de cornée est assez hétérogène. La littérature scientifique ne détaille pas ce pronostic. L’acuité visuelle moyenne finale des patients de l’étude des urgences de l’AP-HP était de 0,23 logMAR (6,3/10). Parmi eux, 40 % voyaient 5/10 ou plus à leur dernière visite de suivi (suivi médian de 138 jours), 32 % avaient une AV chiffrable < 5/10, 18 % avaient une acuité visuelle non chiffrable, tandis que 10 % avaient perdu la perception lumineuse [7]. La présence d’au moins un facteur de gravité aggrave considérablement le pronostic fonctionnel. De même, le pronostic visuel des plaies de cornée chez l’enfant est plus réservé, en raison du risque d’amblyopie, de retard diagnostique et de lésions associées fréquentes [30–32]. Les pronostics esthétiques et de confort sont mal étudiés et n’ont pas encore fait l’objet d’études quantifiées.

Une amélioration du pronostic naturel peut être rendue possible par une prise en charge secondaire de réparation. Elle s’attache à chacun des trois aspects du pronostic en fonction des doléances du patient et des solutions thérapeutiques existantes (fig. 5-1-10).

Conclusion

Environ un traumatisme oculaire sur dix est associé à une plaie de cornée. Ces plaies de cornée s’inscrivent dans le cadre des plaies du globe oculaire. On distingue les plaies lamellaires ou les contusions qui n’intéressent pas la totalité de l’épaisseur cornéenne, et les plaies pénétrantes, plaies perforantes ou ruptures avec ouverture du globe oculaire. La prise en charge immédiate fait appel aux solutions médicales telles que les lentilles pansements, les colles biologiques, les traitements topiques ou systémiques. Les solutions chirurgicales sont principalement les sutures mais peuvent utiliser des techniques de patch ou de kératoplastie. Leur pronostic est hétérogène allant de la restitution fonctionnelle totale à la perte totale de la perception lumineuse selon leur localisation et l’implication d’autres tissus oculaires.

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5.1.2. PLAIES DU GLOBE, CORPS ÉTRANGERS INTRA-OCULAIRES

N. SAIB, J.-L. BOURGES

Points forts

  • Devant toute plaie du globe, suspecter la présence d’un corps étranger.

  • Ne pas faire d’examen contact devant toute suspicion de plaie à globe ouvert.

  • L’absence de signe de Seidel n’élimine pas une plaie du globe transfixiante.

  • Mesurer et consigner l’acuité visuelle initiale de l’œil atteint et de l’œil controlatéral.

  • Le contexte peut conduire à la gestion plus générale d’un traumatisme crânien. La plaie du globe est alors une lésion associée à celui-ci.

Introduction

Bien qu’elles n’engagent pas le pronostic vital, les lésions traumatiques du globe oculaire sont une cause importante de morbidité, d’invalidité et de coût sociétal. Les traumatismes oculaires touchent essentiellement des sujets jeunes en pleine activité, préférentiellement le sujet masculin et les enfants. Les traumatismes oculaires à globe ouvert représentent toujours une cause importante de cécité monoculaire légale chez le sujet jeune. Les circonstances de l’accident et les agents traumatisants sont divers, expliquant la grande variabilité des tableaux cliniques. La présence d’un corps étranger intra-oculaire (CEIO) conditionne l’acte chirurgical et le pronostic visuel. Ce problème de santé publique persiste et rend encore nécessaire les efforts dirigés vers la prévention du risque oculaire.

Épidémiologie

II se produirait, dans le monde, chaque année plus de 55 millions de traumatismes oculaires sévères (incapacité temporaire de travail [ITT] > 24 heures). Parmi ceux-ci, 1,3 %, dont 200 000 traumatismes à globe ouvert, sont hospitalisés [1]. Ces traumatismes avec plaie du globe ont de lourdes conséquences fonctionnelles. Plus de 1,6 million de patients traumatisés oculaires consolident avec une cécité ou une altération visuelle unilatérale. Aux États-Unis, grâce aux recueils de registre national, on estime à 2,4 millions le nombre de plaies du globe chaque année [2]. D’après les bases de données américaines [3], les circonstances de l’accident ont lieu à domicile (43 %), dans les locaux industriels (20 %), à la récréation et au sport (13 %), dans la rue et sur l’autoroute (15 %), à l’école (3 %), en exploitation rurale (3 %) et dans les bâtiments publics (3 %). Les causes des traumatismes oculaires sont les objets émoussés (34 %), les objets pointus (26 %), les accidents de véhicules motorisés (10 %), les pistolets (6 %), les pistolets à billes (6 %), les chutes (5 %), les pétards et feux d’artifice (5 %), le bricolage (5 %) et les explosions (3 %) [4]. L’incidence des corps étrangers (CE) dans les plaies à globe ouvert varie de 18 à 41 % [5–8]. Les hommes constituent 92 à 100 % des patients présentant un CEIO [9–12]. Les plaies oculaires surviennent plus précocement chez les hommes, avec un mécanisme de lacération plus fréquent [13]. Les femmes semblent plus sujettes aux ruptures, plus souvent liées aux chutes, à un âge plus avancé. L’âge moyen des patients présentant un CEIO varie entre 29 et 38 ans avec une majorité des patients (66 %) entre 21 et 40 ans. Le lieu de l’accident est le travail (54 à 72 %) suivi de la maison (30 %). La majorité des causes sont le martelage (60 à 80 %), l’usage de machines-outils (18 à 25 %) et les armes à feu (19 %) [6].

Terminologie et classification

La classification internationale de Birmingham [14–16] des traumatismes oculaires a été publiée en 1996 par Kuhn afin de classer précisément les différents types de traumatismes du globe oculaire qui jusqu’alors présentait des imprécisions. Cette classification internationale appelée Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) considère la paroi du globe comme tissu de référence pour les plaies ( cornée et sclère) et a permis d’élaborer une terminologie consensuelle (fig. 5-1-11). Cette classification est la plus utilisée. Elle est pratique, même si elle n’est pas parfaite. Elle ne tient notamment pas compte des plaies extra-oculaires associées, qui peuvent modifier le pronostic des patients [17].

Fig. 5-1-11
Classification Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) [14–16].

En fonction de l’intégrité de la paroi oculaire, la classification distingue deux grands types de traumatisme : ceux à globe ouvert en cas de lésion de plaine épaisseur de la cornée ou de la sclère et ceux à globe fermé dans le cas contraire.

TRAUMATISME À GLOBE FERMÉ
CONTUSION

Une contusion correspond à un traumatisme à globe fermé induit par un objet mousse. L’augmentation transitoire de la pression intra-oculaire ou la déformation du globe oculaire peuvent entraîner des lésions au niveau du point d’impact ou à distance de celui-ci.

LACÉRATION LAMELLAIRE

Une lacération lamellaire est une plaie partielle de la paroi oculaire. La lacération causée par un objet tranchant au niveau de la paroi du globe oculaire (cornée ou sclère) ne concerne pas toute la paroi (lamellaire). La lésion se situe alors au niveau du point d’impact.

CORPS ÉTRANGER SUPERFICIEL

Ce sont des CE de la conjonctive ou de la paroi oculaire sans atteinte de pleine épaisseur.

TRAUMATISME À GLOBE OUVERT

Le traumatisme à globe ouvert est une plaie de pleine épaisseur de la paroi cornéosclérale. Deux catégories sont distinguées : la rupture du globe oculaire et la lacération.

RUPTURE DU GLOBE OCULAIRE

Une rupture du globe oculaire correspond à la constitution d’une plaie de pleine épaisseur du globe oculaire causée par un objet émoussé. L’impact induit une augmentation momentanée de la pression intra-oculaire et un mécanisme lésionnel par des contraintes mécaniques s’exerçant sur les parois du globe oculaire de l’intérieur vers l’extérieur.

LACÉRATION

Une lacération correspond à une lésion de pleine épaisseur de la paroi oculaire par un objet tranchant. Il s’agit alors d’une contrainte mécanique s’exerçant de l’extérieur vers l’intérieur du globe oculaire. On distingue :

  • ±

    la plaie pénétrante, lorsqu’il n’existe qu’une seule plaie ;

  • ±

    la plaie perforante, lorsqu’il existe deux plaies réalisées par le même objet : une porte d’entrée et une porte de sortie ;

  • ±

    le traumatisme par CEIO responsable de lacération au point d’entrée.

Physiopathologie

Les lésions oculaires sont la résultante de deux mécanismes possibles : une contusion et/ou une lacération des tissus.

Cette classification distingue trois zones de localisation. Pour les plaies du globe ouvert (fig. 5-1-12) :

  • zone 1 : plaie cornéenne isolée à la cornée ou au limbe cornéoscléral ;

  • zone 2 : plaie n’allant pas au-delà de 5 mm du limbe cornéoscléral ;

  • zone 3 : plaie s’étendant au-delà des 5 mm du limbe cornéoscléral.

Fig. 5-1-12
Localisation des plaies à globe ouvert selon la classification de l’Ocular Trauma Classification Group [18–19].

Pour les plaies du globe fermé (fig. 5-1-13) :

  • zone 1 : plaie superficielle limitée à la conjonctive bulbaire, la sclère et la cornée incluant les abrasions cornéennes, les hémorragies conjonctivales et les CE intracornéens ;

  • zone 2 : plaie touchant les structures du segment antérieur incluant le cristallin, la zonule et la pars plicata ;

  • zone 3 : plaie postérieure incluant la pars plana, la choroïde, le vitré et le nerf optique.

Fig. 5-1-13
Localisation des plaies à globe fermé selon la classification de l’Ocular Trauma Classification Group.

Lorsque plusieurs structures de plusieurs zones sont touchées, la plaie est classée par la zone touchée la plus postérieure.

Classification de l’Ocular Trauma Classification Group (OTC) [18, 19]

CONTUSION

La contusion soumet le globe oculaire à l’enchaînement brutal d’un mécanisme compressif et décompressif violent. La forme globale du globe s’étire équatorialement avec un raccourcissement antéropostérieur [18, 20]. En l’absence initiale de rupture de sa paroi, ce mécanisme s’inverse immédiatement après. Les deux déformations opposées s’enchaînent à haute fréquence. De telles forces successivement opposées subintrantes entraînent des lésions intra-oculaires par traction vitréogène, comme des déhiscences périphériques, des dialyses de la neurorétine, des hémorragies intravitréennes. En plus des tractions, des œdèmes, hématomes, ruptures et luxations directes des tissus intra-oculaires peuvent s’associer (hématome choroïdien, œdème rétinien de Berlin, rupture de la membrane de Bruch, désinsertion du corps ciliaire, déhiscences zonulaire, prolapsus vitréen, luxation cristallinienne, récession ou dialyse irienne, rupture descemétique, etc.)

La solidité de la sclère et l’élasticité de la rétine permettent de résister à des forces d’une certaine amplitude, cependant les forces transmises aux parois du globe oculaire peuvent être responsables de lésions aux points d’attache du globe (la base du vitré, la pénétration des artères ciliaires postérieures et la papille). Un traumatisme de haute énergie entraînera une rupture du globe, le plus souvent au limbe ou sous l’insertion des muscles droits.

LACÉRATION DES TISSUS

L’importance des lésions oculaires est fonction de la forme du projectile, de ses bords, de sa vitesse et de sa masse [6]. L’importance des lésions est corrélée à l’énergie cinétique du projectile qui est fonction de sa masse et plus encore de sa vitesse selon la formule E = 1/2 mv2. Ainsi plus la masse ou la vitesse du projectile sont élevées, plus le risque de lésion du segment postérieur augmente.

Présentation clinique et bilan lésionnel initial

La prise en charge chirurgicale doit être réalisée le plus tôt possible, Jonas a démontré qu’une prise en charge chirurgicale supérieure à 24 heures était un facteur de risque significatif d’endophtalmie [10].

PRÉSENTATION CLINIQUE

L’anamnèse précise le contexte traumatique. Il distingue une rupture du globe après contusion ou un traumatisme extrinsèque ouvrant le globe de l’extérieur, avec risque de CEIO. Il évalue la possibilité de lésions extra-oculaires (traumatisme crânien, polytraumatisme) et s’attache à prioriser par rapport à une plaie du globe ce qui nécessite de l’être.

SIGNES FONCTIONNELS

Le patient peut présenter une panoplie inconstante de signes fonctionnels :

  • ±

    extra-oculaires : état de choc, trouble de la conscience, céphalées, douleurs de fracture, rhinorrhée limpide évocatrice d’une brèche céphalorachidienne ;

  • ±

    ophtalmologiques : trouble permanent de la vision, douleur (inconstante), photophobie, myodésopsie, diplopie, amputation du champ visuel.

CONTEXTE

On note les éléments contextuels qui permettent d’orienter le diagnostic, la prise en charge immédiate et ont une valeur pronostique :

  • ±

    terrain : intoxication (éthylique, par stupéfiants, médicamenteuse) ; perte de connaissance ; âges extrêmes (enfant, personne âgée) ;

  • ±

    contextes professionnel et socio-judiciaire : accident du travail ; responsabilité civile, pénale ; patient non émancipé, sous tutelle, etc. ;

  • ±

    antécédents ophtalmologiques et généraux : phaque ou pseudo-phaque ; amblyopie ; trouble du rythme cardiaque dans le cadre d’un bilan de chute ; troubles neurologiques, endocriniens, psychiatriques, etc. ;

  • ±

    circonstance de survenue : contusion et/ou traumatisme perforant ou pénétrant avec risque de CEIO ; accident du travail ; bilan de chute ; maltraitance potentielle ;

  • ±

    heure du traumatisme, statut vaccinal et dernière prise alimentaire en cas d’intervention chirurgicale.

EXAMEN CLINIQUE

L’examen ophtalmologique évite absolument les situations d’hyperpression oculaire qui aggravent les lésions.

Il enchaîne les étapes successives habituelles avec les spécificités suivantes :

  • ±

    mesure de l’acuité visuelle corrigée pour chaque œil : elle a une valeur pronostique et médico-légale. C’est un élément capital parmi les signes de gravité potentiels ;

  • ±

    exploration des paupières et voies lacrymales : un signe de balisage discret comme une plaie palpébrale punctiforme oriente vers une plaie du globe potentielle. L’emphysème sous-cutané fait rechercher l’effraction d’une paroi osseuse sinusale. L’hypoesthésie dans le territoire du nerf V2, avec effacement du relief malaire, oriente vers une fracture du plancher orbitaire. Une énophtalmie traduit un affaissement du globe ouvert ou une fracture de paroi orbitaire volumineuse ;

  • ±

    examen de la motilité oculaire : à la recherche d’une fracture du cadre orbitaire, d’une incarcération musculaire (limitation d’élévation) ;

  • ±

    analyse du réflexe photomoteur : il évalue l’atteinte sphincté-rienne de l’iris et la fonction des afférences végétatives ;

  • ±

    prise du tonus oculaire : l’hypotonie est un signe majeur de plaie du globe ou de cyclodialyse. La réciproque n’élimine pas la plaie. Une hypertonie oculaire peut être présente en cas d’hyphéma, de récession angulaire importante ou de blocage angulaire par luxation cristallinienne antépositionnelle ;

  • ±

    examen des conjonctives bulbaire et tarsale : il recherche une plaie associée, une hémorragie sous-conjonctivale ou un CE superficiel sans et après test à la fluorescéine à la recherche d’un signe de Seidel (éversion palpébrale systématique seulement si pas de Seidel). Les hémorragies sous-conjonctivales étendues peuvent masquer une plaie de sclère sous-jacente et doivent donc être explorées au bloc opératoire (fig. 5-1-14). Toute plaie transfixiante de conjonctive masquant la sclère doit pousser à examiner la sclère, sous microscope opératoire le cas échéant, à la recherche d’une plaie sclérale sous-jacente ou de CE sous-conjonctivaux ;

    Fig. 5-1-14
    Plaie conjonctivale temporale masquant la sclère.
    Il existe une forte suspicion de plaie pénétrante sous-jacente qu’il faut explorer au bloc opératoire au moindre doute (hypotonie, absence de visibilité, mécanisme évocateur, etc.).

  • ±

    examen de la cornée couche par couche : on réalise un test à la fluorescéine à la recherche de signe de Seidel spontanée ou provoqué. En cas d’ulcère cornéen associé, on note ses dimensions et sa situation. Les plaies cornéennes sont développées dans le chapitre 5.1.1 ;

  • ±

    examen de la chambre antérieure : une diminution de profondeur de la chambre antérieure en comparaison avec l’œil adelphe doit faire suspecter une plaie cornéenne ou une luxation antérieure du cristallin. Une augmentation de la chambre antérieure doit faire suspecter une récession oculaire ou une plaie sclérale postérieure. On recherche un signe de Tyndall de chambre antérieure en précisant sa densité et sa nature (hématique, pigmentée ou inflammatoire). En cas d’hyphéma, on précise sa hauteur en millimètres et sa densité ;

  • ±

    examen du cristallin : on recherche une luxation du cristallin, un phacodonésis, une cataracte traumatique (fig 5-1-15), l’intégrité ou non du sac capsulaire ;

    Fig. 5-1-15
    Iridodialyse traumatique nécessitant une iridopexie chirurgicale. Noter la cataracte traumatique associée.

  • ±

    examen de l’iris : on recherche une récession angulaire, une anomalie du jeu pupillaire, témoin d’une rupture du sphincter irien ou d’une iridodialyse (fig. 5-1-15) ;

  • ±

    examen du fond d’œil pupille dilatée : il est exhaustif afin de rechercher des lésions vitréorétiniennes ou choroïdiennes associées, un CE intravitréen, un œdème rétinien du pôle postérieur, des déchirures rétiniennes.

EXAMENS PARACLINIQUES

La réalisation des examens complémentaires à la recherche de CEIO doit être rapide et ne doit pas retarder la prise en charge chirurgicale des plaies oculaires à globe ouvert.

La radiologie conventionnelle (clichés de face et de profil) permet de détecter les CEIO radio-opaques. Elle est utile en l’absence d’imagerie plus évoluée de type tomodensitométrie (TDM) par exemple. Aujourd’hui, il est parfois plus facile, plus rapide et plus utile d’obtenir une TDM qu’une radiographie conventionnelle en première intention.

Le scanner (TDM) est l’examen de choix dans le bilan d’une plaie oculaire. Il est au centre du bilan, à la recherche des CEIO. Il détermine avec précision leur localisation, il détecte aussi des CE rétro-orbitaires, sous-cutanés et complète le bilan des fractures éventuelles. Par ailleurs, il permet de suspecter des plaies oculaires par la modification de la rotondité pariétale oculaire, la présence de bulles d’air intravitréennes ou d’un aspect irrégulier du mur postérieur scléral.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est formellement contre-indiquée en cas de CEIO magnétisable, elle permet de mieux détecter les CE en bois ou en plastique et ceux radio-transparents (tableau 5-1-3).

Tableau 5-1-3
Nature des corps étrangers intra-oculaires [34].
Nature Caractère électromagnétique Toxicité
Métalliques (radio-opaque)
À base de fer:fer, acier (fer + carbone), acier inoxydable (fer + carbone + chrome + nickel) ++ dépend de la teneur en fer +++
À base de cuivre:cuivre pur, laiton (cuivre + zinc), bronze (cuivre + étain) 0++
À base de plomb 0 +
À base d'or, d'argent 0 0
À base de platine 0 0
À base d'aluminium, de mercure, de nickel, de zinc 0 +
Non métalliques (radio-transparents)
Plastique 0 0
Verre, porcelaine, quartz, pierre, sable 0 0
Organiques:végétaux, bois, cils 0 +++
Poudre d'arme à feu, talc 0 +

Le recours à l’échographie oculaire en mode B permet de compléter le bilan lésionnel en cas de trouble des milieux, après s’être assuré de l’absence de plaie du globe oculaire à globe ouvert. Une suspicion de globe ouvert contre-indique la réalisation de toute échographie qui devrait exercer une pression sur le globe.

La tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) de cornée est un examen non-contact qui peut aider à évaluer la localisation et la profondeur des CE dans un milieu transparent (fig. 5-1-16).

Fig. 5-1-16
OCT de cornée (a) et vue de face (b) d’un corps étranger intracornéen stromal radio-transparent (morceau de verre).

Diagnostic positif
DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Deux tiers des plaies à globe ouvert seraient générées par un mécanisme mécanique en rapport avec un objet/outil contondant [21]. Les étiologies de plaies du globe traumatiques sont innombrables. Il serait impossible de les citer toutes.

Cependant, les étiologies des plaies du globe pourraient se répartir selon quelques grandes catégories d’état ou d’environnement (voir le paragraphe « Épidémiologie »).

ENVIRONNEMENT PROFESSIONNEL, DOMESTIQUE, SUR LA VOIE PUBLIQUE OU RÉCRÉATIF

L’incidence des plaies du globe augmente dans les régions géographiques et/ou les populations où le port de lunettes de protection est faible [22, 23]. Les plaies du globe sont plus volontiers : professionnelles, liées à des accidents de véhicule ou récréatives chez les hommes ; domestiques ou liées aux accidents de voie publique chez les femmes ; domestiques ou scolaires chez les enfants [2, 13, 21–24].

CADRE PÉDIATRIQUE PRÉSCOLAIRE OU SCOLAIRE

Les enfants de sexe masculin sont plus impactés [25]. En âge préscolaire, les accidents à domicile sont plus fréquents, sauf dans la plupart des pays émergents. Les plaies résultent majoritairement de mécanismes contondants, particulièrement avec des lames comme celles des couteaux [26]. Les projectiles et explosifs festifs sont aussi souvent en cause [25, 26]. Les plaies pénétrantes, les ruptures et les CEIO représentent respectivement entre 50 et 80 %, 4 et 16 % et 1 et 4 % des plaies pédiatriques à globe ouvert.

ŒIL FRAGILISÉ

Alors que la moyenne d’âge des plaies perforantes ou pénétrantes, comme celle des CE, varie entre 35 et 40 ans respectivement, celle des ruptures avoisine les 60 ans. À cet âge moyen, la probabilité d’avoir un œil fragilisé par une chirurgie et de chuter de manière traumatique est plus importante (respectivement 62 % et 48 %) [21].

SITUATION GÉOGRAPHIQUE : MILIEUX URBAIN OU RURAL, RÉGION DU MONDE

La population considérée modifie les caractéristiques étiologiques générales des plaies du globe recensées. Par exemple, les accidents de la voie publique ou les plaies par agression sont plus fréquents en milieu urbain. Les accidents professionnels et l’association d’une plaie à un CEIO, notamment par projectile minéral ou métallique, sont plus fréquents en milieu rural [27, 28].

CADRE MILITAIRE

Les blessures militaires traumatisant l’œil sont majoritairement liées à l’explosion de munitions ou de dispositifs explosifs improvisés. Elles entraînent donc généralement une contusion, associée à une plaie à globe ouvert dans plus de la moitié des cas et un CEIO dans 95 % de ces dernières [29].

TRAUMATISME À GLOBE FERMÉ
LACÉRATION LAMELLAIRE
Plaie conjonctivale

Lors d’une plaie de conjonctive, il est important de préciser son étendue et sa localisation. Une plaie de sclère associée doit toujours être recherchée, ainsi que la présence de CE sous conjonctivaux. Au besoin, on peut mobiliser la conjonctive à l’aide de fléchettes stériles, après instillation de collyre anesthésiant, pour examiner les tissus sous-jacents. Une exploration de plaie de conjonctive sous microscope peut s’avérer nécessaire en cas de mauvaise visibilité : l’exploration doit être large, étendue à l’ensemble du quadrant concerné. Une hémorragie sous-conjonctivale étendue doit être explorée au bloc opératoire à la recherche d’une plaie de sclère associée. L’examen du fond d’œil doit être systématique à la recherche de lésions associées du segment postérieur. Après l’exploration, la conjonctive est réappositionnée (suturée par points séparés de Vicryl ® 8/0 ou colle biologique) et une antibiothérapie locale est habituellement prescrite. En cas de plaie de petite taille (< 10 mm), un traitement antibiotique local à large spectre peu toxique, de type rifamycine, suffit.

CONTUSION ET PLAIE CORNÉENNE LAMELLAIRE

Voir chapitres 5.1.1 et 5.1.3.

CORPS ÉTRANGER SUPERFICIEL

On observe un CE à la surface de la surface oculaire, le plus souvent de la cornée. Il s’agit en général de particules de métal, de bois, de plastique ou de sable. Les CE végétaux ou animaux entraînent des réactions inflammatoires marquées et sont plus pourvoyeurs d’infections.

L’acuité visuelle est en général respectée, sauf si le CE est dans l’axe optique. Si un infiltrat blanchâtre accompagne le CE, il faut redouter une surinfection. Parfois le tableau peut se compliquer d’une réaction inflammatoire ou infectieuse de la cornée avec des-ceméto-endothélite, hypopion.

En cas de CE profond, l’OCT de cornée permet de déterminer la profondeur et l’intégrité ou non de la membrane de Descemet (fig. 5-1-16).

Toute suspicion d’infection conduit à la réalisation de prélèvements bactériologiques.

Les CE cornéens superficiels sont retirés après instillation de collyres anesthésiant à l’aide d’une aiguille ou de fraises à embouts amovibles. Il faut retirer la rouille éventuelle. La prescription consiste en des collyres antibiotiques associés à des larmes artificielles et des cycloplégiques antalgiques. En cas de CE stromal profond, l’ablation est réalisée au bloc opératoire afin de pouvoir suturer la cornée en cas de perforation cornéenne.

Certains CE sans toxicité, de petite dimension et de localisation profonde difficilement accessible par voie épithéliale, peuvent être laissés en place. Les tentatives d’extraction risqueraient d’être plus délabrantes pour le stroma que le CE lui-même et sa pérennité.

LACÉRATION SCLÉRALE LAMELLAIRE

Le contexte et le mécanisme recueillis à l’anamnèse sont cruciaux pour l’orientation étiologique. Il convient de s’assurer du caractère non pénétrant et de l’absence de CE résiduel ou de CEIO par tous les moyens disponibles (tonus oculaire, fond d’œil, test palpatoire de mobilisation à l’éponge, OCT, imagerie). L’exploration chirurgicale est organisée en condition de bloc opératoire au moindre doute.

Les causes sont identiques à celles des lacérations pénétrantes.

TRAUMATISME À GLOBE OUVERT

Les traumatismes oculaires à globe ouvert représentent toujours une cause importante de cécité monoculaire légale chez le sujet jeune. La prise en charge chirurgicale des plaies oculaires à globe ouvert se conçoit sans délai. Le pronostic fonctionnel est plus défavorable en cas de : plaie postérieure ou de grande dimension, CEIO, décollement de la rétine ou signes d’endophtalmie (douleur, inflammation importante, hypopion).

RUPTURE

La rupture du globe se produit sous l’augmentation brutale de la pression intra-oculaire. Elle est occasionnée par un agent non contondant, un processus de blast externe (explosion et onde de choc) ou interne (gaz expansif). La rupture du globe oculaire se produit aux zones de faiblesse de la paroi (encadré 5-1-2 ), qui ne se situent pas nécessairement au point de l’impact éventuel.

Encadré 5-1-2
Zones de rupture privilégiées de la sclère lors d’un mécanisme contusif

Les zones de faiblesse de la paroi oculaire sont :

  • les cicatrices anciennes (incision de cataracte, kératoplastie transfixiante, incision stromale cornéenne réfractive, chirurgie filtrante, etc.) ;

  • le limbe cornéoscléral ;

  • en arrière de l’insertion des muscles droits, où l’épaisseur sclérale est la plus faible.

Si la plaie est étendue, la rupture du globe s’associe à un prolapsus des tissus intra-oculaires extériorisant une partie du contenu du globe (implant, cristallin, iris, vitré, rétine ; fig. 5-1-17 ). Si la plaie est de petite taille, le risque d’extériorisation est moindre.

Fig. 5-1-17
Prolapsus expulsif subtotal des tissus intra-orbitaires compliquant une rupture périlimbique étendue du globe oculaire gauche, initiée au niveau d’une cicatrice incisionnelle de phacoexérèse ancienne.

LACÉRATION

La lacération correspond à une lésion de pleine épaisseur de la paroi oculaire par un objet tranchant. Il s’agit alors d’une contrainte mécanique s’exerçant de l’extérieur vers l’intérieur du globe oculaire.

Lacération pénétrante

Il s’agit d’une plaie, avec un seul point d’entrée et pas de point de sortie, occasionnée soit par un objet, soit par un CE. Toute lacération pénétrante impose la recherche de CEIO justifiant la réalisation d’un scanner orbitaire en urgence.

Lacération perforante

Il s’agit d’une plaie avec un point d’entrée et un point de sortie (ou plusieurs, s’il s’agit d’une explosion). La perforation est plus fréquemment associée à un CE intra-oculaire ou intra-orbitaire à haute vélocité ou de volume important. Le pronostic fonctionnel est très mauvais lié aux dégâts créés tout le long du trajet orbitaire par le CE et à la difficulté de fermer le point de sortie souvent très postérieur. De même, le pronostic anatomique est péjoratif avec un risque important de phtyse et d’endophtalmie.

CORPS ÉTRANGER INTRA-OCULAIRE

La présence d’un CE nécessite de consigner autant que possible toutes ses caractéristiques de manière systématique (encadré 5-1-3).

Encadré 5-1-3
Liste des éléments caractéristiques à préciser en présence d’un corps étranger intra-oculaire

  • Balistique : trajectoire, énergie cinétique, température.

  • Aspect : nombre, forme, volume, transparence (visuelle, radiologique).

  • Composition : matériau (minéral, métallique, organique).

  • Consistance : solide malléable, liquide, cohésive/dispersive.

  • Risque septique : tellurique, végétal, animal, souillure spécifique.

Les CE peuvent être multiples [30]. Ils sont magnétiques dans 57 à 90 % des cas [6, 22, 31]. La porte d’entrée du CEIO est cornéenne dans plus de 60 % des cas [6, 30]. La porte d’entrée est parfois limbique ou sclérale antérieure, rarement directement sclé-rale postérieure. Une cataracte traumatique est présente initialement dans 40 à 50 % des cas [30, 32] (fig. 5-1-15). Elle témoigne d’un contact avec un CE qui peut ne plus être présent (objet tranchant, estoquade), ou qui peut être intracristallinien (fig. 5-1-18), transcristallinien, ou avoir perforé le cristallin et être localisé plus postérieurement. Les CEIO sont retrouvés dans le segment postérieur dans 58 à 80 % des cas et 39 à 65 % des cas sont enchâssés dans la rétine [6, 30, 33].

Fig. 5-1-18
Corps étranger intra-oculaire métallique intracristallininen ( a , flèche, noter la cataracte traumatique associée), mieux visible en rétro-illumination d’une pupille dilatée ( b , flèche).
Le signe balisant la trajectoire du corps étranger intra-oculaire est une plaie cornéenne punctifome paracentrale auto-étanche ( c, flèche).

Il est important de déterminer la nature du CE car le choix thérapeutique en dépend [34].

Corps étranger métallique (radio-opaque)

À base de fer ou d’acier, ils sont les plus fréquents (85 %). Plus le taux de fer contenu dans l’alliage est important, plus le CE sera magnétique et radio-opaque. Le fer (donc les hématies) est extrêmement toxique pour les tissus oculaires. Le plus souvent, il s’agit d’un morceau de métal projeté (martelage, jardinage, explosion, etc.) ou d’un projectile d’un pistolet à air comprimé ou à gaz carbonique.

À base de plomb, ils ne sont pas magnétisables. Le plomb est un métal relativement stable, bien supporté par les tissus oculaires. Il s’agit le plus souvent de plombs de chasse, de carabines et de pistolets à grenaille.

À base de cuivre (cuivre, bronze, laiton), ils ne sont pas magnétisables non plus. Plus le CE contient du cuivre pur, plus il est toxique. Si le cuivre pur dépasse 85 %, le CE entraîne une chalcose aiguë. Il s’agit le plus souvent d’armes à feu et d’engins de guerre (balles, douilles).

Les autres CE en or, aluminium ne sont pas magnétisables et sont peu toxiques pour l’œil.

Corps étranger non métallique (radio-transparent)

Les CE organiques (bois, cils, végétaux) sont à haut risque d’infection oculaire.

Le verre provient le plus souvent d’un accident avec bris de pare-brise. Le verre intra-oculaire est bien toléré par l’œil.

Le plastique et les minéraux intra-oculaires sont aussi bien tolérés par l’œil.

Les CE iatrogènes introduits lors d’une intervention ophtalmologique (fils de compresse, coton, synthétique, etc.) sont de tolérance variable, généralement bonne, mais pouvant aussi entretenir une inflammation.

Diagnostic différentiel essentiel

La phtyse est à la fois un diagnostic différentiel et une conséquence terminale possible.

Prise en charge immédiate

La prise en charge est effectuée à partir de la :

  • ±

    classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) = score CIMU 3 ;

  • ±

    prise en charge (PEC) ophtalmologique initiale = triage PEC de catégorie 3 ;

  • ±

    PEC d’aval chirurgicale = triage PEC de catégorie 4.

Aux urgences, une fois le diagnostic de plaie du globe oculaire évoqué, la PEC immédiate est stéréotypée (encadré 5-1-4 ). Elle circonscrit le risque d’aggravation, précise le bilan, organise la PEC d’aval chirurgicale. Elle documente les éléments utiles pour l’aval.

Encadré 5-1-4
Étapes générales de la prise en charge immédiate d’un traumatisme à globe ouvert

  • Recherche d’un item associé :

    • autre urgence prioritaire, traumatisme crânien ;

    • corps étranger ; intra-oculaire ou intra-orbitaire ;

    • autre plaie.

  • Prévention des complications et geste d’urgence immédiat :

    • rinçage en cas de contact avec un agent vulnérant chimique toxique ;

    • détersion de CE accessibles et/ou toxiques (substances chimiques, température, oxydation, inoculation).

  • Examen :

    • de la fonction visuelle ;

    • examen physique.

  • Parage de la plaie :

    • pansement occlusif rigide non compressif ;

    • consignes au patient et aux soignants pour éviter toute pression oculaire.

  • Vérifications systématiques :

    • allergie aux traitements envisagés ;

    • antécédents impactant un geste chirurgical, temps de jeûne, état de coagulation.

  • Orchestration du bilan initial :

    • photographies, imagerie radiologique ;

    • bilan pré-anesthésique.

  • Prophylaxie anti-infectieuse :

    • vérification du statut vaccinal antitétanique (complément au besoin) ;

    • pose d’une voie veineuse périphérique, administration parentérale d’antibiotique.

  • Organisation de l’aval :

    • communication avec l’équipe paramédicale des urgences ;

    • communication avec l’équipe chirurgicale (chirurgien, aide chirurgicale, infirmerie de bloc et d’anesthésie, anesthésiste).

  • Consignation des éléments spécifiques au dossier médical :

    • contexte (++ professionnel, médico-judiciaire) ;

    • mécanisme, date et heure de survenue du traumatisme, délai de prise en charge ;

    • acuité visuelle initiale ;

    • autres éléments d’observation médicale en relation avec la plaie.

Après un examen clinique et radiologique permettant de déterminer l’étendue des lésions et d’éliminer un CEIO, la mise en place d’une coque oculaire rigide protectrice est obligatoire afin d’éviter toute pression sur le globe. Une double antibioprophylaxie utilisant des antibiotiques à large spectre est débutée en urgence par voie parentérale pendant 48 heures au minimum. Elle peut associer de la vancomycine et généralement une céphalosporine de 3e génération [35, 36]. L’association de céfazoline par voie intraveineuse et ciprofloxacine orale, voire de ciprofloxacine et céfuroxime orales, semble ne pas être inférieure pour prévenir l’endophtalmie [37]. L’antibioprophylaxie orale ou topique peut ensuite être poursuivie. La pharmacodynamie intra-oculaire plaiderait pour la prolongation de l’antibioprophylaxie au-delà de la 48e heure, consensuellement 21 jours, cependant sans preuve scientifique formelle à ce jour. On vérifie et complète au besoin la prophylaxie antitétanique.

Aval immédiat des urgences

L’aval consiste à rétablir chirurgicalement la continuité pariétale du globe oculaire. Dans le même temps ou dans un second temps, il s’attache à restaurer l’intégrité des tissus oculaires et à enlever le(s) corps étranger(s). Son défaut expose aux complications décrites au paragraphe « Complications ».

TRAITEMENT DES PLAIES CORNÉOSCLÉRALES

C’est une urgence chirurgicale prioritaire en ophtalmologie, à opérer dans un délai maximal de 24 heures, sauf priorité plus élevée, généralement extra-ophtalmologique. Jonas a montré dans une étude portant sur 130 patients ayant une plaie orbitaire avec CEIO qu’une prise en charge chirurgicale au-delà des 24 heures était un facteur de risque significatif d’endophtalmie.

La chirurgie a pour objectif primaire de colmater la porte d’entrée dès que possible, pour limiter les risques d’infection voire d’enlever un CEIO. Elle se fait sous anesthésie générale. L’anesthésie péribulbaire est contre-indiquée. Elle pourrait générer ou aggraver un prolapsus tissulaire. Le but initial de la chirurgie est d’obtenir un globe étanche avec une intégrité structurale. La prise en charge de la cataracte traumatique ou d’un décollement de la rétine est réalisée au besoin secondairement. De même, une reconstruction palpébrale ne s’envisage qu’après obtention d’une étanchéité stable du globe oculaire, pour ne pas potentialiser une pression délétère sur le globe. Il est parfois nécessaire de différer la chirurgie palpébrale pour ne pas compromettre la chirurgie réparatrice du globe oculaire. Les plaies de cornée qui se prolongent en sclère doivent être explorées afin de déterminer précisément l’étendue des refends scléraux (fig. 5-1-19). On commence d’abord par suturer la portion limbique de la plaie par du fil non résorbable, puis la portion cornéenne par des points séparés de Nylon 10/0 enfouis. Ensuite, on commence l’exploration de la plaie sclérale. Pour cela, on désinsère la conjonctive sur 360° (péritomie) afin d’explorer les quatre quadrants. L’exposition de la sclère doit être douce pour ne pas aggraver le prolapsus des tissus intra-oculaires. La plaie doit être nettoyée de tout vitré luxé. Le vitré extériorisé est sectionné avec des ciseaux de Vannas au ras de la sclère, sans introduction d’instrument dans le globe, sans traction. La suture de la sclère utilise un fil non résorbable de type monofilament 8/0 ou 9/0. La sclère est suturée de proche en proche par des points séparés après réintégration de l’uvée prolabée. Il est possible de s’aider de points de bâti éphémères pour affronter au mieux les berges de la plaie. Il faut éviter l’excision de l’uvée car elle est très hémorragique. En cas d’extériorisation de la rétine, il faut la réintégrer avec la choroïde en évitant au maximum toute excision et toute incarcération. Si la plaie s’étend sous un muscle droit, celui-ci doit être chargé puis récliné par l’aide pour permettre la suture de la plaie. Si cette manœuvre ne suffit pas pour exposer suffisamment la plaie sans risque de luxation/extériorisation de structure intra-oculaire, le muscle sera désinséré après l’avoir chargé par du fil de polypropylène 6/0, doublement serti, qui servira à la réinsertion du muscle. Les plaies très postérieures et difficilement accessibles à la suture seront laissées, elles sont souvent colmatées par la graisse orbitaire. Les plaies cornéosclérales avec perte de substance sont difficiles à réparer et nécessitent des sutures très serrées entraînant une déformation tissulaire avec astigmatisme important. La réalisation de volets scléraux retournés peut s’envisager (voir chapitre 5.1.1). L’utilisation d’un biomatériau tel que le polytétrafluoroéthylène (PTFE ; plaque de téflon) peut aider.

Fig. 5-1-19
Plaie à globe ouvert avec lacération pénétrante (a) .
La réclinaison conjonctivale par péritomie au limbe met en évidence un trait de refend scléral en zone 2, à midi (b, flèche), qui est suturé avant de suturer la plaie cornéenne (c).

Dès la prise en charge et dans les suites immédiates, le patient est placé sous antibioprophylaxie parentérale. L’injection intracamérulaire ou intravitréenne peropératoire d’antibiotique est une pratique existante [38], bien qu’empirique et que la toxicité rétinienne des antibiotiques intra-oculaires ne soit pas nulle. Dans ce cas, on injecte dans le vitré 0,1 ml de vancomycine (1 mg/ml) et de ceftazidime (2,25 mg/ml). L’adjonction d’un traitement anti-inflammatoire, simultané ou à distance, et son profil de prescription sont à l’étude [39].

TRAITEMENT DES PLAIES DE CORNÉE ISOLÉES

Voir chapitre 5.1.1.

TRAITEMENT DES CORPS ÉTRANGERS INTRA-OCULAIRES

La prise en charge initiale de première ligne aux urgences permet de procéder à une détersion de tous les CE accessibles sans délabrement ni voie d’abord sophistiquée.

La persistance d’un CEIO oblige à une procédure chirurgicale d’aval des urgences lorsqu’une toxicité est prévisible (mécanique par mobilisation, chimique par relargage). Son délai dépend de l’évolution pronostique éventuelle qui est liée aux caractéristiques du CE (encadré 5-1-3). Si le CEIO est difficilement accessible, il est retiré dans un second temps lors d’une intervention ultérieure programmée. Le délai opératoire de la seconde intervention est fonction du risque infectieux et de la stabilité du matériau composant le CEIO (voir le paragraphe « Corps étranger intra-oculaire »). En cas de risque infectieux majeur (CEIO tellurique), infection déclarée ou CEIO en cuivre pur (risque de chalcose aiguë), l’ablation du CEIO est au mieux combinée au geste chirurgical initial. Dans la plupart des autres cas, l’intervention d’ablation peut être différée de quelques jours et programmée pour améliorer la visibilité chirurgicale et tirer avantage de l’étanchéité de la plaie. Certains CE inertes sans risque de mobilisation peuvent faire l’objet d’une simple surveillance.

CORPS ÉTRANGER CORNÉEN AVEC PERFORATION CORNÉENNE

Le CE peut être enlevé à la pince et la plaie doit être suturée si l’humeur aqueuse fuit. Une lentille thérapeutique associée à un hypotonisant per os (acétazolamide) peut suffire si la plaie est petite et régulière. Il faut tenir compte de l’œdème des berges de la plaie. Il peut colmater transitoirement une brèche tissulaire qui fuira secondairement.

CORPS ÉTRANGER INTRA-OCULAIRE SITUÉ DANS LA CHAMBRE ANTÉRIEURE

Le CE est enlevé à travers une paracentèse, après injection de visco-élastique dispersif en chambre antérieure pour protéger l’endothélium et le cristallin. Le viscoélastique permet aussi de mobiliser le CE parfois délicat à saisir. Si le CEIO est magnétisable, il peut être retiré à l’aide d’une canule magnétique. Dans ce cas, il faut éviter de magnétiser les autres instruments.

CORPS ÉTRANGER ANGULAIRE OU IRIEN

Le CEIO peut être visible dans le stroma irien ou être libre dans la partie inférieure de l’angle iridocornéen. Le CEIO irien est abordé à travers une paracentèse sous couvert de viscoélastique à l’aide de micropinces de chirurgie vitréorétinienne.

CORPS ÉTRANGER INTRACRISTALLINIEN

Il existe une effraction du sac capsulaire cristallinien. La position du CE au niveau du cristallin et par rapport à la capsule postérieure peut être précisée par l’imagerie du segment antérieure : optical coherence tomography (OCT) ou ultrasound biomicroscopy (UBM). Dans la plupart des cas, le CE est enlevé au cours de la chirurgie de la cataracte traumatique, rarement aidée de pince à électroaimant. Si la capsule postérieure est rompue, l’abord chirurgical est médian en pars plana. La phacoexerèse est complétée à l’aide du vitréotome par la pars plana.

CORPS ÉTRANGER INTRA-OCULAIRE SITUÉ DANS LE SEGMENT POSTÉRIEUR

La décision d’ablation se fait s’il existe un risque de toxicité rétinienne ou de lésion mécanique. Elle se fait au mieux dans les 24 heures, mais peut être reportée si l’utilité de compléter le bilan prime (localisation du CEIO, lésions associées). L’abord chirurgical préféré est celui d’une vitrectomie 20 G, sauf en cas de CEIO de très petit volume (< 0,5 mm). Le premier temps opératoire consiste à éclaircir les milieux au besoin (rinçage d’hyphéma, vitrectomie traitant une hémorragie intravitréenne, phacoexérèse d’une cataracte). Les adhérences et brides vitréennes en contact avec le CEIO sont coupées pour permettre sa mobilisation sans traction. Le décollement postérieur du vitré est vérifié et complété le cas échéant pour prévenir les tractions vitréogènes ultérieures. Le CEIO est généralement retiré avec une pince à compression (type de Juan), une pince réceptacle ou une pince magnétique (aimantée par éléments rares), au travers d’une des incisions de pars plana élargie au besoin par une sclérotomie en T. Le cas échéant, on pratique une rétinopexie par endophotocoagulation des zones d’impact à risque de soulèvement secondaire. Il peut être nécessaire de traiter un décollement de rétine associé (voir chapitre 5.1.4 ).

Surveillance recommandée

La surveillance postopératoire immédiate consiste à vérifier l’étanchéité de la plaie, l’absence de foyer infectieux, de douleurs ou d’inflammation (un CEIO est-il passé inaperçu ?), ainsi que la normalité du tonus oculaire. Les échéances de surveillance usuelles sont à 1 jour, 7 jours et 1 mois.

Pronostic

Pour chaque type de traumatisme, à globe ouvert ou fermé, quatre paramètres doivent être précisés pour mieux apprécier le pronostic visuel [16, 19, 40] :

  • ±

    l’acuité visuelle initiale ;

  • ±

    le type de traumatisme ;

  • ±

    la présence ou non d’un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) ;

  • ±

    la localisation du traumatisme.

Une lésion ouvrant le globe et localisée postérieurement a 5 fois plus de risque de provoquer une acuité visuelle finale plus basse qu’une lésion antérieure [41]. La localisation par rapport à l’insertion des muscles droits semble une frontière pronostique [42].

Les autres facteurs de mauvais pronostic des plaies à globe ouvert sont [43–45] :

  • ±

    trait de refend (> 10 mm) ;

  • ±

    anomalie du réflexe pupillaire afférent relatif ;

  • ±

    acuité visuelle préopératoire non chiffrable ;

  • ±

    traumatisme contusif associé ;

  • ±

    lésion associée de type cataracte, hyphéma, prolapsus vitréen, atteinte rétinienne (décollement de rétine [DR]) ;

  • ±

    présence d’une hémorragie intra-oculaire à l’exploration tomodensitométrique (TDM) [46] ;

  • ±

    emphysème orbitaire ;

  • ±

    fracture complexe de l’orbite.

Les facteurs de meilleur pronostic sont [35, 45] :

  • ±

    acuité visuelle préopératoire chiffrable ;

  • ±

    refend(s) de plaie(s) limités en zone 1 ou 2 ;

  • ±

    antibioprophylaxie double initiée sans délai et poursuivie dans les 48 heures initiales.

Le score semi-quantitatif Ocular Trauma Score (OTS) a montré sa valeur pronostique sur l’acuité visuelle finale pour les plaies du globe [19, 43, 44]. Il se décline pour les plaies à globe ouvert (tableau 5-1-4) et à globe fermé (tableau 5-1-5).

Tableau 5-1-4
Score semi-quantitatif Ocular Trauma Score (OTS) pour les plaies à globe ouvert.
Type
  • A.

    Rupture

  • B.

    Lacération pénétrante

  • C.

    Corps étranger intra-oculaire

  • D.

    Lacération perforante

  • E.

    Lacération mixte

Grade et acuité visuelle correspondante selon le tableau de Snellen à une distance de 6 m
  • 1.

    ≥ 20/40

  • 2.

    20/50 à 20/100

  • 3.

    19/100 à 5/200

  • 4.

    4/200 à perception lumineuse

  • 5.

    Absence de perception lumineuse

Pupille
  • Positif:réflexe pupillaire relatif afférent présent

  • Négatif:réflexe pupillaire relatif afférent négatif

Zone
  • I

    : cornée ou limbe cornéoscléral

  • II

    : du limbe cornéoscléral à 5 mm postérieur au niveau de la sclère

  • III

    : en arrière des 5 mm à partir du limbe cornéoscléral

Tableau 5-1-5
Score semi-quantitatif Ocular Trauma Score (OTS) pour les plaies à globe fermé.
Type
  • A.

    Contusion

  • B.

    Lacération lamellaire

  • C.

    Corps étranger intracornéen

  • D.

    Lacération mixte

Grade et acuité visuelle correspondante selon le tableau de Snellen à une distance de 6 m
  • 1.

    ≥ 20/40

  • 2.

    20/50 à 20/100

  • 3.

    19/100 à 5/200

  • 4.

    4/200 à perception lumineuse

  • 5.

    Absence de perception lumineuse

Pupille
  • Positif:réflexe pupillaire relatif afférent présent

  • Négatif:réflexe pupillaire relatif afférent négatif

Zone
  • I

    : externe

  • (limité à la conjonctive bulbaire, la sclère et la cornée)

  • II

    : segment antérieur

  • (cornée, cristallin pars plicata mais pas pars plana)

  • III

    : segment postérieur

  • (toutes les structures postérieures au-delà de la capsule postérieure du cristallin)

Complications
SIDÉROSE

Un CE contenant du fer peut provoquer une sidérose dès le 18e jour après une plaie du globe [47]. L’oxydation du fer peut entraîner une atteinte cornéenne avec un anneau périphérique paralimbique de couleur rouille, une hétérochromie irienne, une mydriase, une cataracte avec des opacifications capsulaires couleur rouille, un remaniement du vitré avec des particules en suspension, une dégénérescence pigmentaire de la rétine progressant de la périphérie vers le pôle postérieur. L’électrorétinogramme met en évidence un profil pathologique avant l’apparition des signes cliniques avec une augmentation de l’onde a suivie d’une réduction de l’onde b [7].

CHALCOSE

II provient de la présence de cuivre ionisé. Les signes cliniques retrouvés sont l’anneau de Kayser-Fleischer (anneau cornéen bleu-vert périphérique), une cataracte en « fleur de tournesol », une hétérochromie irienne et des dépôts prérétiniens. La toxicité rétinienne serait due à la production de radicaux libres générant un stress oxydatif délétère [3].

DÉCOLLEMENT DE RÉTINE

Le DR est la complication postopératoire la plus fréquente pour cet item (voir chapitres 5.1.4 et 5.2.4).

ENDOPHTALMIE

L’incidence des endophtalmies post-traumatiques varie entre 0 et 48,1 % des patients ayant une plaie du globe avec un CEIO [35, 48–52]. Le risque d’endophtalmie post-traumatique serait 100 fois celui d’une endophtalmie post-cataracte [53]. La présence d’un CE augmenterait de 5 à 7,5 fois le risque de développer une endophtalmie post-traumatique [35, 54]. Les facteurs de risque d’endophtalmie à globe ouvert sont : la présence d’un CEIO, une atteinte de la capsule du cristallin, l’implantation d’un implant intra-oculaire en phase aiguë, des traumatismes survenant en milieu rural, un âge supérieur à 50 ans, le sexe féminin, une ouverture large du globe, un prolapsus tissulaire externe, une rupture capsulaire cristallinienne et un délai de prise en charge de la plaie supérieur à 24 heures [35, 49, 50, 55, 56]. Les signes cliniques sont identiques à ceux d’une endophtalmie postopératoire. Les germes les plus fréquemment retrouvés sont ceux à Gram positif, puis ceux à Gram négatif et les champignons. Parmi les germes à Gram positif, les staphylocoques à coagulase négatif, Bacillus et Staphylococcus aureus sont les plus fréquents [57]. Les bacilles aggravent spécifiquement le pronostic de l’endophtalmie post-traumatique [56, 58]. L’instauration d’un protocole antibioprophylactique systématique réduirait l’incidence de cette complication autour de 1 % [35].

OPHTALMIE SYMPATHIQUE

L’incidence de l’ophtalmie sympathique varie de 0,3 à 1,9 % [59]. Il s’agit d’une réaction auto-immune dirigée contre des antigènes oculaires exposés lors du traumatisme oculaire. Les symptômes retrouvés peuvent être une douleur, un larmoiement, une vision floue ou une paralysie de l’accommodation [60]. Les signes cliniques sont le plus souvent une uvéite granulomateuse, une hyalite, des décollements séreux rétiniens, un œdème maculaire et des nodules de Dalen-Fuchs (lésions choroïdiennes blanc jaunâtre). Le traitement repose sur une corticothérapie générale, le plus souvent par des bolus intraveineux, suivie d’un relais per os. D’autres traitements immunosuppresseurs peuvent être associés.

Conclusion

Les traumatismes oculaires à globe ouvert, avec ou sans CE, représentent encore une cause importante de cécité monoculaire légale chez le sujet jeune. La prise en charge immédiate aux urgences se fait sans délai, suivant une succession formelle d’étapes stéréotypées. Le bilan lésionnel est standardisé. En aval des urgences, le protocole chirurgical dépend du bilan lésionnel et de l’existence éventuelle d’un CEIO. Les principales complications sont la phtyse et l’endophtalmie. Il s’agit d’un item qui engage le pronostic oculaire, pourvoyeur de handicap. Les messages itératifs ciblant sa prévention restent encore utiles voire indispensables.

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5.1.3. CONTUSIONS

P.-R. ROTHSCHILD

Points forts

  • Les contusions du globe oculaire sont par définition à globe fermé contrairement à la rupture du globe oculaire, entité à part. En cas de doute, une exploration au bloc opératoire sous anesthésie générale est nécessaire.

  • Les lésions surviennent par un mécanisme direct d’écrasement des tissus au point d’impact mais surtout par un mécanisme indirect d’étirement des tissus qui aboutit à leur rupture ou désinsertion de leur site d’attache physiologique.

  • Les lésions touchent de multiples structures oculaires simultanément nécessitant un examen clinique complet voire une échographie en mode B. Le pronostic visuel dépend essentiellement de l’atteinte de la rétine.

  • Des complications à très long terme sont possibles nécessitant une information et une surveillance prolongée.

Présentation clinique

Les contusions du globe oculaire ont été précisément définies par la classification internationale Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) [1]. Les contusions du globe oculaire résultent d’un traumatisme mécanique, en général par un objet contondant, aboutissant à des lésions oculaires le plus souvent multiples mais par définition à globe fermé. La physiopathologie des lésions oculaires résulte principalement de deux mécanismes distincts :

  • ±

    des lésions directes par écrasement au site d’impact (hémorragie sous-conjonctivale, hyphéma, nécrose rétinienne) ;

  • ±

    des lésions indirectes par la déformation du globe oculaire secondaire à l’impact. Les modifications de forme du globe oculaire peuvent entraîner, lorsque la contrainte mécanique est supérieure à la résistance élastique du tissu, sa rupture (rupture de la Descemet, du sphincter de l’iris, de la cristalloïde, de la membrane de Bruch, déchirure de rétine) ou son arrachement/séparation (dialyse) de son site d’insertion physiologique (iridodialyse, récession de l’angle, cyclodialyse, luxation du cristallin, avulsion de la base du vitré, dialyse à l’ora de la rétine). En cas de rupture de la sclère elle-même, il ne s’agit plus d’une contusion à proprement parler mais d’une entité à part dans la classification BETT (voir chapitre 5.1.2).

Dans le prolongement de la classification BETT, un score pronostique, l ’Ocular Trauma Score (OTS), est également disponible pour les traumatismes à globe fermé dont les contusions font partie [2]. Ce score est fondé sur quatre paramètres :

  • ±

    le type de traumatisme (ici une contusion) ;

  • ±

    l’acuité visuelle initiale ;

  • ±

    le réflexe pupillaire ;

  • ±

    la zone du globe oculaire atteinte (voir fig. 5-1-13). La zone 1 concerne les parties superficielles du globe oculaire (conjonctive, sclère, cornée) ; la zone 2 concerne le segment antérieur et le cristallin ; la zone 3 concerne la rétine, le vitré, la choroïde (y compris le corps ciliaire) ainsi que le nerf optique. L’atteinte du nerf optique n’est pas explicitée dans ce sous-chapitre qui traite exclusivement des contusions du globe oculaire.
    L’objectif du sous-chapitre 5.1.3 est de décrire les différentes lésions oculaires survenant après une contusion qui bien souvent coexiste chez un même patient et qu’il faut donc rechercher de façon exhaustive pour pouvoir établir un pronostic et adapter la thérapeutique. Les grandes lignes de la physiopathologie, du diagnostic, et de la prise en charge sont abordées pour chacune d’entre elles. Bien que les données de la médecine fondée sur des preuves (evidence-based medicine) soient très faibles dans ce domaine, des références actualisées permettent aux lecteurs d’approfondir certains points dont la discussion dépasse le cadre de ce sous-chapitre.

SIGNES FONCTIONNELS

Les traumatismes contusifs se présentent de façon non spécifique par une altération visuelle permanente et brutale avec œil rouge et douloureux.

CONTEXTE

Le contexte est évident avec la notion d’un traumatisme par un objet contondant (mousse). Les contusions sont les traumatismes oculaires les plus fréquents, représentant plus 30 % des cas de traumatisme oculaire dans plusieurs études épidémiologiques récentes [3, 4]. Les accidents de travail dominent, suivis des violences volontaires (agressions), puis des accidents de la route et des activités sportives [5]. Il existe une nette prédominance masculine [5].

EXAMEN CLINIQUE

L’examen clinique est souvent délicat à cause de la tuméfaction de l’ensemble des tissus post-contusion. L’œdème palpébral majeur, le chémosis et l’hémorragie sous-conjonctivale rendent notamment l’examen du globe oculaire difficile (fig. 5-1-20). De même, l’examen des structures intra-oculaires à la lampe à fente est souvent gêné par les hémorragies intra-oculaires (hyphéma, hémorragies intravitréennes, hémorragies pré-, intra- et sous-rétiniennes). La possibilité d’une rupture du globe oculaire doit faire éviter au maximum les pressions inutiles sur le globe lors de l’examen. Une fois cette éventualité écartée, une gonioscopie, un examen de la périphérie rétinienne avec indentation permettront de réaliser un bilan lésionnel le plus complet possible (voir le paragraphe « Diagnostic étiologique »). Il a été montré une bonne corrélation entre le score OTS et l’acuité visuelle finale dans les contusions [5].

Fig. 5-1-20
Photographie du segment antérieur mettant en évidence une hémorragie sous-conjonctivale massive pouvant masquer une rupture du globe sous-jacente.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Les contusions du globe oculaire nécessitent souvent, pour réaliser un bilan lésionnel complet, le recours à une imagerie (en général, une échographie en mode B) en raison de l’altération de la visibilité des structures intra-oculaires en rapport avec des hémorragies intra-oculaires sévères (hyphéma ou hémorragies intravitréennes) ou aux opacités du cristallin (cataracte traumatique).

Deux examens peuvent être utiles en cas de contusions du globe oculaire : le scanner orbitaire et l’échographie en mode B.

Le scanner orbitaire est utile en cas de suspicion de plaie ou de rupture du globe associée [6, 7].

L’échographie en mode B est d’un apport essentiel en cas d’hémorragies intra-oculaires masquant les structures intra-oculaires. Elle permet de bien décrire les lésions du cristallin ainsi que les lésions vitréorétiniennes ou choroïdiennes (voir le paragraphe « Diagnostic étiologique ») [8].

TYPE D’URGENCE

La prise en charge (PEC) des patients atteints de contusions oculaires doit être rapide : triage PEC de catégorie 3 (< 6 heures). Le score de la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) est estimé à 3. Les phénomènes tels que l’inflammation, l’infection ou l’hypertonie oculaire peuvent en quelques heures aggraver les lésions initiales et méritent donc une prise en charge rapide. De même, une rupture du globe urgente à prendre en charge ne peut pas être exclue lors du triage d’un patient atteint de contusions oculaires.

Signes paracliniques spécifiques et d’intérêt particulier pour la prise en charge en urgence
SIGNES BIOLOGIQUES

Certaines maladies générales peuvent modifier la prise en charge thérapeutique en cas de contusions du globe oculaire, c’est notamment le cas de la drépanocytose au cours de l’hyphéma (voir le paragraphe « Diagnostic étiologique ») [9, 10]. Un sujet suspect de drépanocytose peut bénéficier d’une électrophorèse de l’hémoglobine pour confirmer le diagnostic et adapter la thérapeutique.

IMAGERIE

Le scanner orbitaire lors de la prise en charge initiale dans les premières heures est utile dans le bilan lésionnel, notamment pour rechercher une rupture ou encore un corps étranger intra-oculaire [6, 7].

L’échographie en mode B permet de :

  • ±

    déterminer : l’état du cristallin et sa localisation en cas de luxation ; la présence d’une hémorragie intravitréenne et sa densité ;

  • ±

    rechercher des hémorragies rétiniennes et préciser leur localisation (pré-, intra- ou sous-rétinienne).

L’échographie en mode B permet également de détecter un décollement de rétine, ou décollement choroïdien, ou un hématome choroïdien, de le quantifier et de préciser l’état de liquéfaction du sang pour guider son éventuel drainage (voir le paragraphe « Lésions en zone 3 ») [8].

Diagnostic étiologique
LÉSIONS EN ZONE 1
LÉSIONS DE CONJONCTIVE
Hémorragie sous-conjonctivale

L’hémorragie sous-conjonctivale post-traumatique est le plus souvent bénigne et de guérison spontanée en 7 à 10 jours (fig. 5-1-20). Sa présence doit néanmoins faire éliminer la possibilité d’un traumatisme à globe ouvert par rupture sclérale ou d’une plaie du globe masquée par l’hémorragie. La présence de signes évocateurs d’une rupture du globe oculaire, comme des signes d’hypotonie oculaire majeure ou la présence de pigments sous la conjonctive, conduira à une exploration au bloc opératoire sous anesthésie générale (voir chapitre 5.1.2).

Chémosis

Un chémosis est fréquemment présent dans les heures suivant le traumatisme initial, il est probablement d’origine inflammatoire ou mécanique. Il ne constitue pas un facteur pronostique péjoratif.

Emphysème

L’emphysème sous-conjonctivale est défini par la présence d’air sous la conjonctive qui peut avoir deux origines :

  • ±

    une origine exogène dans le cadre des mécanismes d’explosion. Il ne nécessite aucune prise en charge spécifique.

  • ±

    une origine endogène classiquement sinusienne lors des traumatismes du plancher de l’orbite ;

LÉSIONS CORNÉOSCLÉRALES

Des lésions de la cornée sont fréquentes lors des traumatismes contusifs et se présentent le plus souvent sous la forme d’une abrasion superficielle de l’épithélium cornéen. Des lacérations lamellaires sont rares en cas de traumatisme de mécanisme contusif et les ruptures de la cornée sont exceptionnelles. En effet, les ruptures se produisent le plus souvent aux sites physiologiquement vulnérables que sont le limbe sclérocornéen ou en arrière du site d’insertion des muscles oculomoteurs, voire au niveau du nerf optique (avulsion du nerf optique). Les lésions de la cornée résultent le plus souvent de traumatismes mécaniques pénétrants plutôt que contusifs (voir chapitre 5.1.1). Les traumatismes contusifs de la sclère sont quasi exclusivement représentés par les ruptures sclérales (voir chapitre 5.1.2).

LÉSIONS EN ZONE 2
LÉSIONS DE CHAMBRE ANTÉRIEURE : HYPHÉMA

L’hyphéma est défini par la présence de sang dans la chambre antérieure, son incidence est relativement élevée, estimée à 20/100 000 habitants de moins de 20 ans [9]. C’est une complication classique des traumatismes contusifs à globe fermé [11, 12]. Sa présence entraîne une double conséquence :

  • ±

    l’hyphéma témoigne de la sévérité du traumatisme oculaire et nécessite donc de rechercher les autres lésions contusives fréquemment voire systématiquement associées ;

  • ±

    l’hyphéma est per se source de complications secondaires à court, moyen et long terme potentiellement graves : à court terme, l’hypertonie oculaire sévère aiguë dans près de 30 % des cas, à moyen terme le tatouage de la cornée (hématocornée) par l’infiltration hématique [13] et à long terme le glaucome secondaire [14].

Malgré sa fréquence et sa sévérité potentielle, sa prise en charge thérapeutique reste mal codifiée [9]. Il existe néanmoins une classification de sévérité et pronostique en cinq stades en fonction de la hauteur du niveau du caillot sanguin (tableau 5-1-6) [15]. Certains auteurs ont corrélé cette sévérité au risque de survenue d’un glaucome secondaire [14]. La sévérité consensuelle de l’hyphéma isolé a été cotée 3 (quartiles 2-3) sur une échelle de 0 à 6 [16].

Tableau 5-1-6
Score de sévérité de l'hyphéma.
Grade de l'hyphéma Taille de l'hyphéma Risque de glaucome secondaire
1 < 1/3 10 %
2 Entre 1/3 et 1/2
3 Entre 1/2 et quasi total 25 %
4 Total 50 %
Microkystique Tyndall hématique Faible

De très nombreuses lésions peuvent être associées, mais la principale semble être la récession de l’angle qui surviendrait chez 85 % des patients présentant un hyphéma traumatique [15]. Le bilan lésionnel initial sera utilement complété par la réalisation d’une gonioscopie et d’une échographie en mode B. Les deux principaux risques évolutifs sont l’hypertonie oculaire aiguë (30 % des cas) puis chronique (10 à 50 % des cas), ainsi que le tatouage de la cornée définitif par la collection hématique qui infiltre la cornée (2 à 11 % des cas) [13, 14]. Les patients présentant une drépanocytose sont particulièrement susceptibles de présenter ces complications et leur prise en charge sera donc plus agressive tout en évitant les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique per os qui pourraient favoriser la falciformation des hématies et aggraver le tableau clinique [10].

La stratégie thérapeutique est médicale initialement grâce aux hypotonisants locaux et systémiques. Une chirurgie de lavage de la chambre antérieure n’est entreprise qu’en cas d’échec du traitement médical (pression intra-oculaire élevée) ou en cas de tatouage de cornée débutant [9]. Celui-ci apparaît comme une infiltration jaunâtre de la partie postérieure de la cornée observée à la lampe à fente à fort grossissement et fente lumineuse fine. Le suivi à moyen terme est dominé par la recherche et la prise en charge des lésions associées, le suivi à long terme concerne le dépistage du glaucome secondaire à l’hyphéma lui-même ou aux lésions qui lui sont invariablement associées (voir ci-dessous le paragraphe « Glaucome traumatique »).

GLAUCOME TRAUMATIQUE

Selon certaines études, le glaucome traumatique serait responsable de 36 % des causes de glaucome chez les patients âgés de moins de 30 ans, alors que cette étiologie ne représenterait que 1,3 % des causes de glaucome pour les patients âgés de plus de 30 ans [17]. Tout glaucome unilatéral doit faire évoquer la possibilité d’un traumatisme contusif ancien, qui sera confirmé par l’interrogatoire et la recherche de signes cliniques séquellaires évocateurs d’un traumatisme ancien que nous détaillons ici. Les mécanismes aboutissant à un glaucome traumatique post-contusif sont complexes et font intervenir divers facteurs souvent associés :

  • ±

    les multiples lésions structurales, notamment de l’angle irido-cornéen dont le trabéculum lui-même ;

  • ±

    une composante inflammatoire initialement ;

  • ±

    une composante liée à la toxicité aiguë et chronique des hémorragies intra-oculaires ;

  • ±

    une toxicité aiguë et chronique des lésions associées du cristallin.

Concernant les lésions structurales de l’angle iridocornéen, la récession de l’angle semble être le plus fréquemment mis en évidence, cliniquement elle toucherait entre 70 et 100 % des patients ayant présenté un hyphéma traumatique [18–20]. Anatomiquement, il s’agit d’une séparation survenant entre les fibres circulaires et longitudinales du muscle ciliaire. Près de 7 à 9 % de ces patients développeraient un glaucome au long cours [17, 18, 21]. Pour certains auteurs, l’étendue de la récession de l’angle supérieure à 180° ou 240° serait un facteur pronostic péjoratif [17, 22].

Un glaucome dans les suites d’une hémorragie oculaire peut être favorisé par divers mécanismes souvent intriqués, qui aboutissent à l’obstruction du trabéculum par des cellules telles que les hématies ( ghost cell glaucoma) [23] ou des macrophages chargés d’hémoglobine ( hemolytic glaucoma) [24] ou encore par les cellules endothéliales trabéculaires elles-mêmes ayant phagocyté l’hémoglobine (hemosiderotic glaucoma) [25].

Le glaucome post-contusif lié aux lésions du cristallin peut se rencontrer lors des cinq circonstances favorisantes suivantes :

  • ±

    subluxation du cristallin et gonflement du cristallin (glaucome phacomorphique). Tous deux sont responsables d’un glaucome secondaire à angle fermé par blocage pupillaire [26] ;

  • ±

    relargage de particules cristalliniennes au travers de la rupture de la capsule du cristallin ( lens particule glaucoma) ;

  • ±

    relargage de protéines au travers d’une capsule intègre (glaucome phacolytique). Il est responsable de glaucomes secondaires à angle ouvert par obstruction du trabéculum ;

  • ±

    libération des protéines cristalliniennes pouvant être responsables d’une véritable uvéite phacoantigénique, elle-même source de glaucome secondaire à angle ouvert ( phacoanaphylactic ou phacoantigenic glaucoma) [27].

La prise en charge thérapeutique des glaucomes post-traumatiques repose donc sur une analyse sémiologique précise afin de cibler le mécanisme physiopathologique en cause dans l’hypertonie oculaire. La prise en charge médicale non spécifique de l’hypertonie est toujours mise en place en première intention. Il est classique dans ce contexte d’éviter l’utilisation de la pilocarpine et des prostaglandines. En cas d’échec ou d’emblée selon les cas, une prise en charge chirurgicale peut être envisagée. En cas de lésions structurales prédominantes, la chirurgie filtrante est préférée ; en cas d’hémorragies intra-oculaires, un lavage est réalisé en première intention ; en cas de participation de lésions cristalliniennes, une chirurgie de phacoexérèse est réalisée en première intention.

En résumé, une élévation de la pression intra-oculaire est souvent présente dans les traumatismes contusifs, elle est souvent transitoire et contrôlable par des hypotonisant locaux, mais nécessite parfois une prise en charge chirurgicale qui sera adaptée à chaque situation.

Même en cas d’absence d’élévation de la pression intra-oculaire initialement, les patients ayant présenté un traumatisme contusif risquent de développer un glaucome secondaire pour le restant de leur vie. Ils nécessitent donc une information et une surveillance prolongée.

LÉSIONS DE L’IRIS

L’iris est une structure anatomique ayant un rôle non seulement fonctionnel mais également esthétique [28]. Sa reconstruction devra prendre en compte ces deux aspects. Les principales lésions de l’iris sont la mydriase post-traumatique par rupture du sphincter, la lacération de l’iris responsable d’aniridie sectorielle ou totale et l’iridodialyse (fig. 5-1-21). La prise en charge thérapeutique de ces différentes lésions est essentiellement chirurgicale et à distance du traumatisme initial.

Fig. 5-1-21
Traumatisme contusif de l’iris.
a. Iridodialyse post-contusive étendue sur un œil pseudophaque. b. Iridodialyse par récession angulaire sectorielle post-traumatique vue en gonioscopie indirecte (entre les têtes de flèche) associée à une hyphéma (flèches blanches) et une contusion du sphincter pupillaire (noter l’irrégularité du bord pupillaire).

Mydriase post-traumatique

La mydriase post-traumatique persistante après plusieurs mois en l’absence de perte de substance peut bénéficier d’une pupilloplastie par la réalisation d’un surjet le long du bord pupillaire de type cerclage (vidéo 5-1-1). Les résultats de cette technique sont bons, le diamètre pupillaire doit être suffisamment petit pour permettre de lutter contre la photophobie et l’anisocorie inesthétique, et suffisamment large pour permettre l’examen du fond d’œil, car il n’existe plus de jeu pupillaire, le diamètre étant définitivement fixé par le surjet.

Aniridie sectorielle ou totale

Une aniridie sectorielle peut bénéficier d’une simple suture par la mise en place de points séparés au niveau de la lacération radiaire de l’iris (vidéo 5-1-2). En cas d’aniridie totale, différentes thérapeutiques sont possibles. Dans ce contexte, il existe quasiment systématiquement une absence de cristallin et de zonule également traumatisés. La mise en place d’un implant rigide en polyméthacrylate de méthyle (PMMA) avec un iris imprimé qui est suturé à la sclère constitue une solution satisfaisante à la fois sur le plan fonctionnel et sur le plan esthétique. Elle corrige non seulement l’aniridie mais également l’aphaquie [28]. Ces implants sont disponibles en de très nombreuses tailles, formes et il est également possible de choisir la couleur de l’iris artificiel en fonction de l’iris de l’œil controlatéral du patient. D’autres stratégies sont possibles comme l’utilisation de lentilles colorées ou le tatouage cornéen.

Iridodialyse

L’iridodialyse est définie par une séparation entre l’iris et le corps ciliaire au niveau de la racine de l’iris (fig. 5-1-21). Elle peut être à l’origine de symptômes invalidants comme une polyplopie monoculaire ou une photophobie. Son traitement a été bien codifié par McCannel et consiste à suturer la racine de l’iris à la sclère en regard au niveau d’un volet scléral pour enfouir le fil de suture [29].

En résumé, les lésions de l’iris sont inesthétiques et à l’origine de symptômes visuels invalidants. De nombreuses techniques chirurgicales reconstructrices secondaires à distance du traumatisme initial permettent d’y remédier.

LÉSIONS DU CRISTALLIN

Les lésions du cristallin au stade aigu sont essentiellement représentées par la cataracte traumatique et la luxation du cristallin. L’enjeu de la prise en charge est de déterminer la nécessité ou non de recourir à une extraction du cristallin, dans quel délai et par quelle méthode. La luxation de tout ou partie du cristallin en préopératoire ou en peropératoire, voire la présence de lésions fréquemment associées du segment postérieur qui peuvent être découvertes en peropératoire nécessitent d’avoir à disposition, en accès immédiat dans le bloc opératoire, des techniques chirurgicales du segment postérieur [30–32].

Cataracte traumatique

Les cataractes traumatiques nécessitant une chirurgie d’extraction primaire en urgence concernent les cas de douleurs, d’hypertonies ou d’inflammations non contrôlables liées au cristallin par blocage pupillaire, résistant au traitement conservateur par le laser (iridotomie périphérique) ou au traitement médical, ou par fragmentation du cristallin. Un bilan lésionnel exhaustif est rarement possible en préopératoire, notamment concernant le statut de la capsule postérieure ou de la zonule cristallinienne. L’éventualité d’une luxation postérieure de fragments cristalliniens nécessite de disposer du matériel pour réaliser une chirurgie du segment postérieur au cours de la même intervention. La décision de réaliser une implantation primaire dépendra des conditions locales (état de la capsule postérieure et antérieure, état de la zonule) et des lésions associées. En cas de lésions vitréorétiniennes associées, il est préférable de ne pas implanter en première intention. En cas de désinsertion zonulaire associée, la mise en place d’anneau de tension dans le sac permet de conserver celui-ci et d’implanter dans le sac (voir vidéo 5-1-2).

Luxation du cristallin

La subluxation du cristallin est définie par un déplacement de celui-ci dans le plan frontal, en général inférieur (fig. 5-1-22). La luxation correspond à un déplacement antéropostérieur du cristallin, en général dans le segment postérieur. La prise en charge chirurgicale nécessite de réaliser une vitrectomie, le plus souvent en plus de l’extraction du cristallin. L’implantation secondaire en l’absence de sac et de zonule se fera par la mise en place au choix d’implants de chambre antérieure, d’implants suturés ou clippés à la face postérieure de l’iris ou d’implants suturés à la sclère. Actuellement, la préférence va aux implants clippés à la face postérieure de l’iris. Il est possible dans le même temps chirurgical de réaliser la pupilloplastie en cas de mydriase séquellaire (voir vidéo 5-1-1).

Fig. 5-1-22
Subluxation inférieure du cristallin (flèche rouge) avec étirement de la zonule (flèche bleue).

En résumé, les lésions traumatiques du cristallin sont de bon pronostic en l’absence d’atteinte du segment postérieur [30–32]. En cas de lésions du segment postérieur, l’implantation secondaire à distance du traumatisme initial sera préférée.

Luxation d’une lentille intra-oculaire

Une contusion peut aussi mobiliser un matériel intra-oculaire implanté [33]. La (sub)luxation d’une lentille intra-oculaire est l’entité la plus fréquente (fig. 5-1-23). La prise en charge immédiate vise à limiter les mouvements brusques oculaires qui mobiliseraient davantage la lentille. L’urgence de prise en charge chirurgicale qui suit dépend de l’instabilité et de la position de l’implant (sub)luxé. Un implant instable, menaçant l’intégrité de l’endothélium cornéen, du nerf optique ou de la rétine, de même qu’un implant subluxé en voie de luxation sont des triages chirurgicaux de catégorie 3. Un implant stabilisé ou totalement luxé non menaçant est un triage chirurgical de catégorie 5.

Fig. 5-1-23
Subluxations post-traumatiques d’une lentille intra-oculaire clippée de chambre antérieure ( a , têtes de flèche : bord supérieur de la lentille) et de chambre postérieure (b, noter les séquelles cornéennes et iriennes d’une plaie de globe antécédente).

LÉSIONS EN ZONE 3
LÉSIONS DU CORPS CILIAIRE
Cyclodialyse

La cyclodialyse est définie par une séparation du corps ciliaire au niveau de l’éperon scléral. Il en résulte une communication entre la chambre antérieure et l’espace suprachoroïdien, conduisant à une hypotonie par augmentation de la voie de drainage accessoire uvéosclérale. Le traitement consiste à réinsérer le corps ciliaire à son support scléral. Des cycloplégiques comme l’atropine peuvent favorisent cet accolement ; en cas d’échec, différentes techniques ont été décrites mais la plus couramment utilisée est la suture du corps ciliaire à la sclère par une technique analogue à celle de l’iridodialyse décrite par McCannel [34].

Décollement choroïdien

Anatomiquement, la choroïde est fermement attachée à la sclère au niveau de l’éperon scléral antérieur, du nerf optique en postérieur et au niveau de l’ampoule des vortiqueuses au niveau équatorial. La physiopathologie du décollement choroïdien est mal connue [35]. En effet, toute cause d’hypotonie sévère peut être à l’origine d’un décollement choroïdien. Ensuite, le décollement choroïdien est lui-même source d’hypotonie. L’inflammation secondaire du corps ciliaire diminue à son tour la production d’humeur aqueuse et favorise ainsi l’hypotonie. L’objectif du traitement médical est donc de limiter ce cercle vicieux en utilisant des corticoïdes topiques, des inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (par un mécanisme mal connu) et des cycloplégiques. Parfois le recours aux corticoïdes systémiques est nécessaire. En cas d’échec, il est possible de drainer chirurgicalement le décollement choroïdien [36]. Dans un contexte traumatique, le décollement choroïdien peut également être secondaire à : une plaie du globe occulte, une cyclodialyse, un décollement de rétine, une inflammation, une prolifération vitréorétinienne (PVR) notamment antérieure.

LÉSIONS DE LA CHOROÏDE
Rupture de la membrane de Bruch

La rupture de la membrane de Bruch est une lésion relativement fréquente au cours des traumatismes contusifs. Comme tout mécanisme contusif, la rupture peut survenir par un mécanisme direct au site d’impact, avec des lignes de rupture équatoriales parallèles à l’ora serrata, ou le plus souvent par un mécanisme indirect avec des lignes de rupture à grand axe vertical concentriques par rapport au nerf optique et localisées au pôle postérieur (fig. 5-1-24). Cliniquement, les lésions sont en général non identifiées à cause des hémorragies intra-oculaires ou rétiniennes associées. Dans ce contexte, l’angiographie au vert d’indocyanine pourrait apporter une meilleure détection [37–39]. Le pronostic à court terme dépend essentiellement de la localisation de la rupture : il est mauvais en cas de localisation sous-fovéale et bon en cas de localisation extra-fovéale [40, 41]. La complication principale à long terme est représentée par le risque de néovascularisation choroïdienne secondaire [42–45].

Fig. 5-1-24
Image en autofluorescence montrant de multiples ruptures de la membrane de Bruch typiquement concentriques par rapport au nerf optique.
Il existe également des hémorragies intra- et sous-rétiniennes.

Hémorragie suprachoroïdienne

Également appelée hémorragie expulsive lorsqu’elle aboutit à une expulsion des tissus intra-oculaires, cette éventualité se rencontre plutôt en tant que complication peropératoire. La physiopathologie exacte de cette complication est mal comprise et serait relativement proche de celle des décollements choroïdiens. L’étirement des artères ciliaires postérieures courtes et longues aboutirait à leur rupture et au saignement dans l’espace suprachoroïdien. La confirmation du diagnostic passe par l’échographie en mode B qui met en évidence des poches de décollement choroïdien avec contenu hyperéchogène initialement puis hypoéchogène lors de la liquéfaction du caillot sanguin (fig. 5-1-25). Le traitement est en général conservateur mais parfois un drainage chirurgical s’avère nécessaire (vidéo 5-1-3). Celui-ci est à réaliser essentiellement en cas de : douleur incontrôlable (par étirement des nerfs ciliaires), pression intra-oculaire incontrôlable ou apposition rétinienne ( kissing choroidals) à cause du risque d’accolement définitif des rétines opposées. Il est classique d’attendre entre 7 à 14 jours avant de drainer les hématomes choroïdiens pour obtenir une liquéfaction de l’hématome qui favorise son drainage (vidéo 5-1-3). L’échographie en mode B permet également de déterminer le meilleur moment de la chirurgie en montrant sur les examens successifs une diminution de l’échogénicité des décollements (fig. 5-1-25).

Fig. 5-1-25
Échographie en mode B d’hématomes choroïdiens à différents stades évolutifs.
On constate que le contenu de l’hématome (flèche) est initialement hyperéchogène, puis hypoéchogène 10 jours plus tard témoignant de sa liquéfaction.

LÉSIONS VITRÉORÉTINIENNES
Œdème de Berlin

Également appelé contusion rétinienne ou commotio retinae, l’œdème de Berlin a été décrit pour la première fois par Berlin et al. en 1873. Il est caractéristique des contusions oculaires, bien que sa physiopathologie soit discutée. Cliniquement, il est facilement reconnaissable par la perte de la transparence rétinienne qui devient blanc laiteux soit au niveau de la macula, avec un aspect de macula rouge cerise, soit en périphérie de la rétine. À distance du traumatisme, des migrations pigmentaires peuvent apparaître avec un aspect de pseudo-rétinite pigmentaire [46, 47]. Aucune thérapeutique spécifique n’a fait la preuve de son efficacité ; dans une étude prospective, 60 % des patients ont récupéré leur acuité visuelle initiale en moins de 2 semaines, tandis que les 40 % restant ont gardé une séquelle fonctionnelle variable [48].

Chorioretinitis sclopetaria

Cette entité clinique est due à traumatisme contusif particulier très rarement rencontré : il est dû à un projectile à haute vitesse cinétique, typiquement un tir par balle d’arme à feu, ayant frôlé le globe oculaire lors de son passage dans l’orbite [49]. Il existe des lésions au site de contact qui sont une rupture du complexe choroïde et rétine, alors que la hyaloïde reste intacte. Cela explique probablement l’absence de décollement de rétine dans le cas de ces lésions. L’autre mécanisme lésionnel est constitué par des anomalies distantes et plus diffuses en raison de la propagation de l’onde de choc. Parfois ces lésions secondaires sont telles que toute la rétine est affectée [50]. Le pronostic dépend de l’atteinte de la macula et il n’existe pas de traitement spécifique [51, 52].

Trou maculaire

Le trou maculaire post-traumatique représente moins de 10 % des trous maculaires et sa physiopathologie est probablement différente du trou maculaire idiopathique. Bien qu’il existe une possibilité de fermeture spontanée dans 10 à 30 % des cas – le plus souvent dans les 3 mois –, des taux de succès très élevés sont obtenus avec les techniques chirurgicales habituelles du trou maculaire idiopathique comprenant vitrectomie et gaz à résorption lente (hexafluorure de soufre [SF6]). Le pelage de la limitante interne semble, comme pour le trou maculaire idiopathique, augmenter le taux de succès. En cas d’absence de fermeture spontanée dans les 3 mois, il est licite de proposer une intervention chirurgicale [53], d’autant que certains auteurs suggèrent qu’un délai trop important de fermeture compromettrait le résultat fonctionnel [54].

Périphérie et décollement de rétine

Certaines lésions sont spécifiquement traumatiques (avulsion de la base, dialyse à l’ora, déhiscence par stretching ou par nécrose de la rétine), alors que d’autres lésions sont indirectement causées par le traumatisme via le décollement postérieur du vitré (DPV) aigu, lui-même à l’origine de déchirures comparables au décollement de rétine (DR) non traumatique (déchirures en fer à cheval et déchirures géantes). (Voir chapitre 5.1.4.)

AVULSION DE LA BASE DU VITRÉ

L’avulsion de la base du vitré correspond à un arrachement de la rétine en arrière de l’insertion de la base du vitré. Cette lésion exclusivement d’origine traumatique contusive ne conduirait pas au DR et ne nécessite aucun traitement.

DIALYSE RÉTINIENNE

La dialyse à l’ora est exclusivement d’origine traumatique contusive et correspond à une désinsertion de la rétine au niveau de l’ora serrata [55]. Elle est typiquement inférotemporale et conduit à un DR chronique. Son traitement repose sur la mise en place d’une indentation par voie externe, qui est efficace dans tous les cas. La vitrectomie n’est pas indiquée car elle génère un DPV iatrogène. Elle transforme un tableau clinique simple en déchirure géante au pronostic plus sombre.

DÉHISCENCE

Les déchirures en fer à cheval ou géantes n’ont rien de spécifique au mécanisme lésionnel traumatique. Elles sont directement en rapport avec le DPV post-contusif.

En revanche, d’autres déhiscences sont spécifiques de l’étiologie traumatique comme les lésions au point d’impact créant des déhiscences par rupture de la rétine qui sont alors volontiers linéaires et radiaires équatoriales. De même, les zones de nécroses rétiniennes au point d’impact peuvent être la source de déhiscences.

DÉCOLLEMENT DE RÉTINE TRAUMATIQUE

Le DR traumatique (voir chapitre 5.1.4) est particulier du fait de la nature des lésions qui en sont à l’origine et de la fréquence élevée de complications au premier rang desquelles figure la PVR.

Diagnostics différentiels essentiels

Le contexte traumatique évident rend des diagnostics différentiels peu probables en pratique.

Prise en charge immédiate

La prise en charge immédiate nécessite le transfert du patient dans une structure d’urgence ophtalmologique disposant d’un bloc opératoire et pouvant réaliser l’exploration du globe oculaire clinique et paraclinique, et effectuer le suivi du traitement des lésions intra-oculaires associées. La prise en charge immédiate vise à éviter une aggravation secondaire des lésions oculaires initiales. Les principaux phénomènes responsables de cette aggravation secondaire sont principalement, à la phase aiguë, l’inflammation et l’hypertonie oculaire. Le plus souvent, un traitement médical conservateur est suffisant. En cas d’échec, un traitement chirurgical étiologique doit être entrepris, notamment devant les signes de mauvaise tolérance devenus incontrôlables médicalement que peuvent être les douleurs, une inflammation et/ou une hypertonie. La prise en charge chirurgicale sera bien entendu adaptée à la physiopathogénie déterminée grâce au bilan lésionnel qui a été brièvement exposé pour chacune des lésions dans le paragraphe « Diagnostic étiologique ». La prise en charge est résumée dans la figure 5-1-26.

Fig. 5-1-26
Raisonnement et conduite à tenir face à une contusion grave du globe oculaire.
* Les signes de mauvaise tolérance sont les douleurs, une inflammation et une hypertonie sévères.

Surveillance recommandée

Les contusions du globe oculaire sont responsables de complications sévères à court terme, notamment avec le risque d’hypertonie oculaire et d’inflammation sévère. À moyen terme, elles exposent aux risques d’inflammation, de DR et finalement, à très long terme, de glaucome voire, dans une moindre mesure, de DR également. La surveillance doit donc s’exercer pour le reste de la vie du patient à un rythme initialement hebdomadaire, puis semestriel puis annuel. L’information du patient est un préalable à l’observance du suivi ultérieur.

Pronostic

Le pronostic des contusions du globe oculaire dépend essentiellement de la nature des lésions. Les lésions du segment antérieur sont de bon pronostic, alors que l’atteinte du segment postérieur est la principale pourvoyeuse de cécité post-contusion. La qualité du suivi à court, moyen et long terme est également essentielle pour préserver le pronostic fonctionnel et anatomique. Il a été montré une bonne corrélation entre le score OTS et l’acuité visuelle finale [5], soulignant une fois encore l’importance du bilan lésionnel initial.

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5.1.4. DÉCOLLEMENT DE RÉTINE TRAUMATIQUE

E. BOUSQUET, F. AZAN

Points forts

  • Le décollement de rétine traumatique (DRT) est un décollement de rétine rhegmatogène survenant dans les suites d’une contusion oculaire à globe fermé ou plus rarement lors d’un traumatisme à globe ouvert.

  • Le DRT survient en général à distance, plusieurs mois ou années après le traumatisme initial alors que les déhiscences sont le plus souvent concomitantes du traumatisme.

  • L’évaluation de leur incidence est difficile, le traumatisme initial étant parfois occulté. L’origine traumatique d’un décollement de rétine doit toujours être recherchée pour identifier les lésions oculaires associées qui modifient la prise en charge et le pronostic.

  • La symptomatologie est principalement une amputation progressive du champ visuel après un traumatisme.

  • Lorsque l’acuité visuelle est conservée, il faut placer le regard du patient en position opposée au champ de rétine décollée.

La définition du décollement de rétine traumatique (DRT) n’est pas consensuelle dans la littérature. Dans une revue récente, Hoogewoud et al. définissent comme traumatique tout décollement de rétine (DR) rhegmatogène survenant plusieurs mois ou années après un traumatisme initial qui peut être à globe fermé ou à globe ouvert [1].

Pour autant, l’évaluation de leur prévalence reste difficile puisque le traumatisme a parfois été occulté par le patient ou, au contraire, un traumatisme facial minime peut coexister avec la survenue d’un DR non traumatique pouvant faire alors porter par excès le diagnostic de DR traumatique. Ces éléments expliquent en partie les variations de proportion de DR traumatiques et non traumatiques rapportées dans la littérature allant de 6 à 19 %.

Présentation clinique
CONTEXTE
TERRAIN

Le DRT, comme les traumatismes oculaires, survient plus fréquemment chez les hommes (68 à 92 %) [1]. Il s’agit dans la majorité des cas de patients jeunes : âge moyen de 28 ans versus 53 ans pour les DR non traumatiques [2].

ANTÉCÉDENTS PRÉDISPOSANTS

Ces antécédents sont une myopie forte et une chirurgie oculaire.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

La principale cause de DRT est le traumatisme à globe fermé, appelé contusion oculaire, dont les circonstances de survenue sont variables : pratique de sports, accidents domestiques ou professionnels, agressions ou chutes chez les personnes âgées.

Plus rarement, le DRT peut survenir dans les suites d’un traumatisme à globe ouvert.

EXAMEN CLINIQUE
SIGNES FONCTIONNELS

Les signes fonctionnels généraux sont les suivants :

  • ±

    aucun si le traumatisme oculaire est isolé. On peut rechercher alors des signes de traumatismes de la face (ecchymose, plaie, fracture) ;

  • ±

    dans le cas contraire, il est important de rechercher des signes fonctionnels secondaires à un polytraumatisme ou à un traumatisme crânien. Cela justifie alors le transfert du patient dans un service d’urgence générale.

Les signes spécifiques sont les suivants :

  • ±

    myodésopsies : secondaires soit à un décollement postérieur du vitré aigu, soit à la présence d’hématies ou de cellules de l’épithélium pigmentaire/fragments de photorécepteurs dans le vitré ;

  • ±

    phosphènes traduisant des tractions vitréorétiniennes ;

  • ±

    amputation progressive du champ visuel en cas de progression du DR vers le pôle postérieur ;

  • ±

    baisse d’acuité visuelle en cas de soulèvement maculaire ou d’hémorragie intravitréenne associée dense ;

  • ±

    métamorphopsies en cas de soulèvement maculaire ;

  • ±

    autres signes fonctionnels présents en cas de traumatisme à globe ouvert : douleur, sensation de corps étranger, blépharospasme, larmoiement.

SIGNES PHYSIQUES

L’examen doit être bilatéral et comparatif, daté et signé pour permettre la rédaction d’un certificat médical initial. Il est important de rechercher les signes de traumatisme perforant ou de contusion oculaire (voir chapitre 5.1.3). Un signe d’examen ophtalmologique non spécialisé est la perte du reflet pupillaire rouge-orangé à l’illumination transpupillaire ou en photo flashée (sans fonction anti-œil rouge). Le reflet est grisâtre dans l’aire du soulèvement rétinien.

Les étapes de l’examen ophtalmologique sont les suivantes :

  • ±

    mesure de l’acuité visuelle initiale à visée pronostique et médico-légale. Elle peut être conservée lorsque la macula n’est pas soulevée ;

  • ±

    examen du segment antérieur à la recherche d’un(e) : Tyndall hématique ou hyphéma, récession de l’angle iridocornéen, rupture du sphincter de l’iris, désinsertion zonulaire, phacodonésis, luxation du cristallin, cataracte sous-capsulaire postérieure. Il faudra également rechercher des signes de traumatisme perforant : plaie cornéenne et/ou sclérale, corps étranger intra-oculaire, voire même endophtalmie (hypopion) ;

  • ±

    mesure de la tension intra-oculaire (après avoir éliminé un traumatisme à globe ouvert) : hypotonie dans la majorité des cas liée au DR. Une hypertonie oculaire peut être symptomatique d’une récession de l’angle iridocornéen ou d’un encombrement trabéculaire par des hématies ou des fragments de photorécepteurs (syndrome de Schwartz-Matsuo) ;

  • ±

    examen du fond d’œil après dilatation pupillaire en utilisant une lentille sans ou avec contact cornéen (en l’absence de traumatisme à globe ouvert). Il permet :

    • d’évaluer l’étendue du DR ainsi que l’éventuel soulèvement de la macula ;

    • de rechercher des déchirures rétiniennes causales : dialyse à l’ora, déchirure géante, déchirure à clapet, avulsion de la base du vitré ;

    • d’évaluer la présence de proliférations vitréorétiniennes (PVR), d’hémorragie intravitréenne ;

    • de rechercher des signes de chronicités : kystes intrarétiniens, ligne de migration pigmentaire, atrophie rétinienne ou de l’épithélium pigmentaire (fig. 5-1-27).

      Fig. 5-1-27
      Décollement de rétine traumatique chronique inférieur chez un homme de 32 ans pratiquant de la boxe, suivi pour une hypertonie oculaire droite dans le cadre d’un probable syndrome de Schwartz-Matsuo (encombrement trabéculaire par des fragments de photorécepteurs).
      a. Photographie en couleur du fond d’œil : décollement de rétine (DR) inférieur difficilement visible à l’examen du fond d’œil. Atrophie de l’épithélium pigmentaire en regard du DR (têtes de flèche) témoignant de la chronicité de ce dernier. b. Échographie en mode B : DR plan inféronasal. c. Coupe OCT verticale en inférieur de la papille : DR inférieur. La rétine décollée est kystique (flèche).

Examens paracliniques

Aucun examen paraclinique n’est indispensable et ne doit retarder la prise en charge thérapeutique :

  • ±

    tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) maculaire : en cas de doute sur une atteinte maculaire du DR ;

  • ±

    radiographie orbitaire face et profil ou tomodensitométrie orbitaire : à la recherche d’un corps étranger radio-opaque ou d’une fracture de l’orbite ;

  • ±

    échographie oculaire en mode B (après avoir éliminé un traumatisme à globe ouvert) : en cas d’hémorragie intravitréenne ou de cataracte dense rendant la visibilité de la rétine difficile. Elle permet de visualiser d’éventuels hématomes ou décollements choroïdiens ainsi qu’un éventuel corps étranger intra-oculaire associé ;

  • ±

    photographie du fond d’œil : permet de documenter le DR.

Type d’urgence
DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

En cas de DRT secondaire à un traumatisme à globe ouvert (voir chapitre 5.1.2), la prise en charge (PEC) médicale par antibiot hérapie est un triage de catégorie 3. La chirurgie de fermeture du globe oculaire doit être réalisée en aval immédiat des urgences, idéalement dans les 8 heures et dans un délai maximal de 24 heures. La chirurgie du DRT peut être alors réalisée dans le même temps opératoire ou secondairement. Le triage est celui de la plaie du globe :

  • ±

    classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) = score CIMU 3 ;

  • ±

    triage PEC de catégorie 3.

En cas de DRT secondaire à un traumatisme à globe fermé : CIMU 4 à 5.

Comme pour tout DR, le décollement maculaire constitue le principal critère pronostique et définit le degré d’urgence chirurgicale :

  • ±

    menace de soulèvement maculaire ou soulèvement récent : prise en charge le plus tôt possible dans les 48 à 72 heures [3] ;

  • ±

    macula soulevée depuis plus de 1 semaine : prise en charge dans les 7 jours.

JUSTIFICATION D’UNE PRISE EN CHARGE URGENTE D’UN DÉCOLLEMENT DE RÉTINE TRAUMATIQUE

En cas de traumatisme à globe ouvert, la fermeture du globe permet de limiter le risque d’endophtalmie (voir chapitre 5.2.1) [3]. L’intérêt d’une chirurgie du DR dans le même temps reste discuté. Nous ne disposons pas de données dans la littérature évaluant la chirurgie en un temps versus la chirurgie en deux temps, en termes de résultats anatomiques et fonctionnels. L’étude de Nashed et al. [4] montre néanmoins qu’une chirurgie en un temps permettrait une diminution du taux de proliférations vitréorétiniennes mais n’est pas dénuée d’inconvénients :

  • ±

    nécessité d’avoir le matériel de chirurgie vitréorétinienne ainsi que le personnel médical spécialisé mobilisable la nuit et le week-end ;

  • ±

    mauvaise visibilité chirurgicale (lésion cristallinienne, cornéenne) ;

  • ±

    absence de décollement postérieur du vitré qui se constitue en général quelques jours/semaines après le traumatisme, donc risque de tractions vitréennes supplémentaires sur la rétine.

En cas de traumatisme à globe fermé ou traumatisme à globe ouvert après fermeture du globe, le soulèvement maculaire est responsable d’altérations irréversibles des photorécepteurs avec une baisse d’acuité visuelle séquellaire irréversible [5].

Signes paracliniques d’intérêt particulier pour la prise en charge en urgence

  • ±

    OCT : elle permet de confirmer ou d’infirmer un décollement maculaire en cas de doute lors de l’examen du fond d’œil. Elle précise et documente le soulèvement maculaire qui grève le pronostic visuel final.

  • ±

    Échographie en mode B : elle permet de confirmer la présence du DR en cas de troubles des milieux (œdème cornéen, hyphéma, hémorragie intravitréenne, cataracte traumatique). Elle est contre-indiquée en cas de suspicion de plaie du globe. Elle recherche des lésions associées : hématomes/décollements choroïdiens, corps étranger intra-oculaire.

  • ±

    Imagerie orbitaire : radiographie/scanner pour visualiser un corps étranger ou une fracture de l’orbite.

Diagnostic étiologique

Par définition, les DRT sont rhegmatogènes [1]. Les déchirures rétiniennes surviennent le plus souvent au moment du traumatisme contrairement au DR qui se constitue des mois ou années après celui-ci avec un délai extrêmement variable en fonction des études, évalué en moyenne à 5 ans [1, 6]. On distingue les DRT secondaires aux traumatismes à globe ouvert et ceux secondaires aux traumatismes à globe fermé.

PHYSIOPATHOLOGIE
PHYSIOPATHOLOGIE DES DÉCOLLEMENTS DE RÉTINE TRAUMATIQUES SECONDAIRES À UN TRAUMATISME À GLOBE FERMÉ

II s’agit de la cause la plus fréquente de DRT (70 à 85 % des cas) [1, 6]. D’après la classification internationale Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT), les traumatismes à globe fermé regroupent les contusions oculaires et les lacérations lamellaires [7].

Lors d’une contusion oculaire, le globe subit des déformations majeures mises en évidence sur des modèles animaux [8]. Il existe en premier lieu un raccourcissement brutal de la longueur axiale associée à une expansion équatoriale suivie d’un allongement secondaire du globe [6, 8]. Ces variations de longueur du globe sont à l’origine de tractions au niveau de la base du vitré et de toute zone d’adhésion vitréorétinienne pathologique engendrant des déchirures juxta-orales, des dialyses à l’ora, des déchirures géantes ou des trous maculaires [6]. Cependant la présence de déchirures post-contusives n’explique pas à elle seule la survenue d’un DR puisque le vitré n’est pas décollé chez des patients souvent jeunes. Il est probable que le traumatisme provoque une synérèse du vitré et qu’alors, la partie liquéfiée du vitré pénètre dans l’espace sous-rétinien à travers la déchirure. Les déchirures rétiniennes traumatiques sont unilatérales sauf en cas de traumatisme facial majeur, contrairement aux déchirures rétiniennes non traumatiques.

PHYSIOPATHOLOGIE DES DÉCOLLEMENTS DE RÉTINE TRAUMATIQUES SECONDAIRES À UN TRAUMATISME À GLOBE OUVERT

La survenue de DRT est rapportée dans 29 à 40 % des cas de traumatisme à globe ouvert [9–11].

La classification BETT [7, 12], la plus utilisée dans la littérature, différencie la rupture du globe de la lacération du globe (voir chapitre 5.1.2 ).

Les mécanismes possibles, voire associés, du DRT dans les traumatismes à globe ouvert sont :

  • ±

    la survenue de déhiscences secondaires à des tractions de la base du vitré suite à un décollement postérieur du vitré (DPV) aigu associé ou non à une hémorragie intravitréenne ;

  • ±

    une incarcération vitréenne ou rétinienne dans la plaie sclé-rale responsable de déchirures rétiniennes secondaires ;

  • ±

    une PVR au niveau des plaies d’entrée et/ou de sortie entraînant une traction et des déhiscences rétiniennes secondaires ;

  • ±

    une déhiscence au niveau du point d’impact d’un corps étranger.

Concernant les facteurs de risque de DRT, une étude rétrospective récente a rapporté les cas de 892 patients atteints de traumatisme à globe ouvert ; un DRT est survenu chez 255 patients (prévalence de 29 %) [9]. Les facteurs de risque indépendants de DRT étaient la présence d’une hémorragie intravitréenne initiale, une acuité visuelle initiale basse limitée à perception lumineuse et une plaie sclérale postérieure en zone 3 de la classification de l’Ocular Trauma Classification Group (OTC) [13] donc située à plus de 5 mm en arrière du limbe. La présence d’un corps étranger intra-oculaire ou le type de traumatisme initial (rupture ou lacération) n’étaient pas des facteurs de risque indépendants de DRT en analyse multivariée dans cette étude [9]. Les auteurs ont également pu établir un score à partir des éléments cliniques de l’examen initial permettant de prédire le risque de développer un DRT (tableau 5-1-7) [9].

Tableau 5-1-7
Score évaluant la probabilité de développer un décollement de rétine dans les suites d'un traumatisme à globe ouvert à partir des éléments de l'examen clinique initial (adapté de Stryjewski et al. [9]).
Traumatisme à globe ouvert:examen clinique initial Points
AV > CLD 0
AV à CLD à 5 cm 1
AV à VBLM à 5 cm 2
AV à PL+ 2,5
AV à PL– 3,5
Lésion en zone 1 0
Lésion en zone 2 0,5
Lésion en zone 3 2
Hémorragie intravitréenne 2
Sommes des points 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 5,5 6 6,5 7,5
Probabilité de développer un DRT (%) 1 2 3 4 7 10 16 24 34 46 58 69 79 86 95
AV:acuité visuelle; CLD:compte les doigts; DRT:décollement de rétine traumatique; PL:perception lumineuse; VBLM:voit bouger la main.

* D'après la classification de l'Ocular Trauma Classification Group (OTC) [13], zone 1:lésion cornéenne ou limbique; zone 2:atteinte sclérale jusqu'à 5 mm en arrière du limbe; zone III:atteinte sclérale 5 mm en arrière du limbe.

DÉLAI DE SURVENUE DU DÉCOLLEMENT DE RÉTINE APRÈS LE TRAUMATISME

Les données de la littérature sont extrêmement hétérogènes sur le sujet. Dans les traumatismes à globe fermé, le délai moyen varie de 2 à 5 ans [1, 14].

Dans les traumatismes à globe ouvert, 72 % des DR survenaient le 1 er mois suivant le traumatisme dans une étude évaluant 255 cas de DR [9]. D’autres auteurs rapportent des intervalles beaucoup plus longs : 50 % des DR après la 1 re année [14]. Les différences de délais rapportées sont probablement liées à des critères d’inclusion variables selon les études.

TYPE DE DÉCOLLEMENT DE RÉTINE

Le type de décollement de rétine post-contusion ou post-traumatisme à globe ouvert ne diffère pas en termes d’étendue du DR, de fréquence du soulèvement maculaire, de nombre et de type de déchirures [14, 15].

DIALYSE À L’ORA

La dialyse rétinienne est la déchirure la plus fréquemment retrouvée dans les suites d’un traumatisme (69 à 83 %) [1]. Il s’agit d’une déchirure rétinienne circonférentielle située au niveau de l’ora serrata. Dans les cas de traumatisme, le quadrant nasal supérieur semble le plus fréquemment atteint, alors que les dialyses dites spontanées seraient plutôt localisées en temporal inférieur [16, 17]. L’évolution est habituellement lente du fait de leur localisation très antérieure et de l’absence de DPV. Des signes de chronicité sont souvent visibles au niveau de ces DR : lignes de migration pigmentaire, kystes intrarétiniens mimant parfois un rétinoschisis, atrophie rétinienne. Ils ne se compliquent habituellement pas de PVR. Par ailleurs, un traumatisme important peut être à l’origine d’une avulsion de la base du vitrée plus fréquemment observée en nasal supérieur et pouvant s’accompagner d’une dialyse rétinienne.

DÉCHIRURE GÉANTE

Il s’agit d’une déchirure dont la taille est supérieure à 90° (fig. 5-1-28). Le diagnostic différentiel avec une dialyse à l’ora n’est pas toujours aisé mais essentiel, car la prise en charge chirurgicale est différente. On recherchera alors la présence d’un lambeau antérieur, d’une inversion rétinienne ou des signes de PVR. Contrairement au DR avec une dialyse à l’ora, il n’y a pas de signe de chronicité et la progression du DR est rapide. Une déchirure géante est présente dans 8 à 25 % des DRT, beaucoup plus fréquemment que dans les DR non traumatiques.

Fig. 5-1-28
Décollement de rétine traumatique avec déchirure géante.
a. Photographie grand champ préopératoire : décollement de rétine total avec déchirure géante supérieure (flèche) associée à une hémorragie intravitréenne. Une partie du lambeau antérieur est visible (étoile). b. Photographie grand champ de l’aspect postopératoire : la rétine est à plat sous silicone. L’endolaser est bien visible sur 360° (têtes de flèche).
(Source : Dr V. Mané Tauty, hôpital Lariboisière.)

DÉCHIRURES EN FER À CHEVAL

Ces déchirures sont situées près de l’ora, alors que les déchirures non traumatiques sont volontiers plus proches de l’équateur [18].

DÉCHIRURES PAR NÉCROSE RÉTINIENNE

Ces déchirures surviennent de façon beaucoup plus rare, essentiellement dans le cadre de traumatismes blastiques (fig. 5-1-29) [19]. L’ischémie rétinienne est responsable d’un amincissement rétinien pouvant donner lieu à des déchirures plus postérieures [20].

Fig. 5-1-29
Patient de 32 ans, traumatisme oculaire à globe fermé de type contusif (blast balistique) avec un trajet du projectile au niveau de la partie inférieure de l’orbite.
a. Décollement de rétine total associé à : une hémorragie intrarétinienne, une nécrose rétinienne inférieure (étoile), une fibrose rétinienne du pôle postérieur. b. 8 jours après chirurgie de vitrectomie, pelage, endolaser et silicone, la rétine est à plat mais l’acuité visuelle reste limitée à compte les doigts en inférieur.

TROU MACULAIRE

Neuf pour cent des trous maculaires seraient post-traumatiques [21].

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    DR rhegmatogène non traumatique.

  • ±

    DR exsudatif.

  • ±

    DR tractionnel.

Prise en charge
PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE AUX URGENCES

Le patient doit être transféré dans un service d’urgence d’ophtalmologie équipé d’un bloc opératoire afin d’établir le bilan lésionnel médical et éventuellement chirurgical.

La prise en charge aux urgences diffère en fonction de l’étiologie du DRT : traumatisme à globe ouvert ou contusion oculaire (voir chapitres 5.1.2 et 5.1.3).

En cas de DR macula à plat, il est important de placer le patient dans une position opposée à la rétine décollée afin d’éviter la progression du DR [17]. La chirurgie du DR pourra être réalisée dans le même temps opératoire ou secondairement (voir le paragraphe « Justification d’une prise en charge urgente d’un décollement de rétine traumatique »).

TRAUMATISME À GLOBE OUVERT

La prise en charge chirurgicale de fermeture du globe oculaire doit être réalisée le plus rapidement possible idéalement dans les 8 heures et ne doit pas être retardée par la réalisation d’examens complémentaires. L’intervention est réalisée sous anesthésie générale. Le patient doit rester à jeun. Un bilan sanguin préopératoire peut être réalisé à la demande de l’anesthésiste. Il est également important de vérifier la vaccination antitétanique (test instantané sur gouttelette de sang). Une bi-antibiothérapie intraveineuse large spectre avec une bonne pénétration intra-oculaire est prescrite afin de prévenir l’endophtalmie (par exemple imipénem/cilastatine + lévofloxacine).

La chirurgie du décollement de rétine pourra être réalisée dans le même temps opératoire ou secondairement (voir le paragraphe « Justification d’une prise en charge urgente d’un décollement de rétine traumatique »).

TRAUMATISME À GLOBE FERMÉ

La prise en charge dans l’urgence immédiate a pour but de traiter les lésions oculaires secondaires à la contusion pouvant être responsables d’inflammation intra-oculaire ou d’hypertonie oculaire (subluxation du cristallin, cataracte traumatique, hyphéma), le plus souvent contrôlées par un traitement médical par voie locale ou générale. Dans ce dernier cas, la pose d’une voie veineuse périphérique est alors indiquée. En cas d’échec du traitement médical, une prise en charge chirurgicale non spécifique sera proposée (voir chapitre 5.2.4).

PRISE EN CHARGE D’AVAL IMMÉDIATE : LA CHIRURGIE

Le traitement d’un DRT est chirurgical. Les progrès en chirurgie vitréorétinienne, avec les systèmes de visualisation grand champ, l’utilisation de perfluorocarbone liquide, les trocarts de sclérotomie valvés, permettent d’amélioree le pronostic anatomique et fonctionnel de ces DR, notamment dans les suites de traumatismes à globe ouvert.

Le but de la chirurgie du DR est d’occlure les déhiscences en remettant en contact la rétine neurosensorielle avec l’épithélium pigmentaire. Deux techniques chirurgicales sont actuellement employées : la chirurgie par voie externe par cryo-indentation et la chirurgie par voie interne par vitrectomie. Le choix dépend des caractéristiques du DR mais également des lésions oculaires associées (fig. 5-1-30).

Fig. 5-1-30
Prise en charge chirurgicale des décollements de rétine traumatiques : arbre thérapeutique.
* Lésions oculaires associées : hyphéma, hémorragie intravitréenne, cataracte/subluxation du cristallin, lésion cornéenne. DR : décollement de rétine ; PKE/ICP : phakoémulsification avec implantation en chambre postérieure.

INDICATION À UNE CRYO-INDENTATION

En l’absence de trouble des milieux, le DR secondaire à une dialyse à l’ora constitue une bonne indication de cryo-indentation puisque le vitré n’est pas décollé. Les résultats anatomiques sont excellents (93 à 100 % de réapplication après une seule intervention) [17] probablement du fait de l’absence de PVR.

Les DRT secondaires à des déchirures de petites tailles uniques ou peu nombreuses peuvent également être traitées par cryo-indentation (fig. 5-1-31).

Fig. 5-1-31
Examen du fond d’œil après une cryo-indentation d’un décollement de rétine traumatique associé à une déhiscence unique bien portée par l’indentation (flèche).

INDICATION À UNE VITRECTOMIE

En cas de troubles des milieux (hyphéma, hémorragie intravitréenne, cataracte) et de PVR, la chirurgie endo-oculaire est préférée.

Elle peut être associée à une chirurgie de cataracte ou un lavage de chambre antérieure si besoin.

En cas de DR par déchirure géante, il est indiqué de réaliser une vitrectomie, une injection de perfluorocarbone liquide pour réappliquer la rétine, une rétinopexie par endolaser et un tamponnement interne par huile de silicone [17].

La pexie par cryo-application peut être réalisée lorsque la déchirure est unique et antérieure chez un patient phaque. Dans les cas déchirures nombreuses ou de grande taille, une pexie par endolaser est préférée [17]. Le choix du tamponnement est également sujet à controverse (gaz ou silicone). En cas de DR compliqué de PVR, une indentation inférieure ou circulaire (bande/rail) peut être posée, associée à un pelage de membranes épirétiniennes et à un tamponnement par silicone [17].

Surveillance recommandée

Les patients atteints de DRT sont orientés vers un service d’ophtalmologie spécialisé en chirurgie vitréorétinienne. Le délai de prise en charge chirurgicale dépend du soulèvement ou pas de la macula. L’intervention est réalisée idéalement dans les 48 heures en cas de macula à plat et dans la semaine en cas de macula décollée (voir le paragraphe « Délai maximal de prise en charge »).

Dans les suites opératoires, une surveillance rapprochée est nécessaire afin de dépister les complications inhérentes aux lésions oculaires associées ou secondaires à la chirurgie : endophtalmie, inflammation intra-oculaire, hypertonie.

La récidive de DR par PVR constitue la principale complication survenant dans les semaines postopératoires. Une reprise chirurgicale est alors indiquée.

Enfin, une surveillance à moyen et long terme permet de dépister un éventuel glaucome post-traumatique.

Le rythme de la surveillance est adapté aux lésions oculaires associées mais également au type de DR et à la présence de PVR qui grève le pronostic anatomique et fonctionnel.

Une surveillance hebdomadaire peut être proposée dans un premier temps, elle sera ensuite mensuelle, trimestrielle et enfin annuelle.

Pronostic

Les progrès des instruments chirurgicaux et des systèmes de visualisation ont permis d’améliorer le pronostic anatomique et visuel des DRT [22]. Les résultats rapportés par les différentes études sont extrêmement variables du fait notamment du faible nombre de publications, de l’évolution de la technique chirurgicale, du caractère opérateur-dépendant de ce type de chirurgie, de l’extrême variété des traumatismes initiaux. Ainsi un succès anatomique est rapporté dans 27 à 76 % des cas [23].

Certaines études récentes ne mettent pas en évidence de différence de pronostic entre les DRT à globe ouvert et ceux à globe fermé [15, 24]. Une étude récente a comparé les données de 25 patients atteints de DR post-traumatisme à globe ouvert à celles de 25 patients atteints de DR post-traumatisme à globe fermé avec un suivi de 6 mois. Elle n’a pas mis en évidence de différence en termes d’acuité visuelle finale (AV > 5/10 dans 50 % des cas) et de taux de récidive entre les deux groupes (en moyenne dans 24 % des cas) [24]. Comme pour tout DR, le pronostic visuel dépend essentiellement de la présence ou pas d’un décollement maculaire ainsi que de la durée de celui-ci [24].

D’autres études rapportent des résultats plus sombres dans les cas de DR à globe ouvert, notamment à cause de complications rencontrées plus fréquemment : endophtalmie rapportée dans 3,4 à 13 % des cas [3, 4, 23, 25], PVR détectée dans 17 à 44 % des DRT [4, 15], glaucome secondaire pouvant nécessiter une chirurgie filtrante [26] ou phtyse du globe.

Conclusion

Le DRT est un décollement rhegmatogène survenant dans les suites d’un traumatisme à globe fermé ou ouvert. Le diagnostic peut être difficile à poser en cas de contusions oculaires pouvant passer inaperçues. La présence d’une dialyse à l’ora, d’une déchirure géante ou de déchirures très antérieures chez un sujet jeune doit faire rechercher des signes de traumatismes oculaires associés. Le pronostic chirurgical s’est amélioré ces dernières années grâce aux progrès de la chirurgie. La prévention des traumatismes oculaires reste néanmoins essentielle.

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[25] Duch-Samper AM, Menezo JL, Hurtado-Sarrio M. Endophthalmitis following penetrating eye injuries. Acta Ophthalmol Scand 1997 ; 75 : 104‑6.
[26] Sisk RA, Motley WW 3rd, Yang MB, West CE. Surgical outcomes following repair of traumatic retinal detachments in cognitively impaired adolescents with self-injurious behavior. J Pediatr Ophthalmol Strabismus 2013 ; 50 : 20‑6.

5.1.5 BRÛLURES OCULAIRES

H. MERLE, M. GÉRARD

Points forts

  • 85 % des brûlures oculaires sont chimiques.

  • Les brûlures oculaires chimiques représentent 10 % des traumatismes oculaires.

  • Les brûlures oculaires concernent en majorité des hommes jeunes actifs ; elles adviennent au cours d’accidents industriels, de travail ou domestiques.

  • Les agressions constituent 2,5 % des brûlures chimiques.

  • Les bases pénètrent rapidement et profondément les milieux oculaires en les combinant.

  • Les acides pénètrent moins rapidement que les bases en les dénaturant.

  • Une brûlure oculaire est une urgence absolue.

  • Le niveau d’expertise est l’ophtalmologiste.

  • Le lavage oculaire doit être effectué le plus rapidement possible, sur le site de l’accident et sans attendre ; il doit être répété, avec ablation des résidus et corps étrangers actifs.

  • Le traitement médical usuel associe anti-inflammatoire stéroïdien local, collyre cycloplégique, cicatrisant sans conservateur, collyre antibiotique à large spectre, tétracycline et vitamine C par voie orale, et antalgique par voie orale ou parentérale.

Introduction

Malgré les nombreuses avancées thérapeutiques de la dernière décennie, les brûlures demeurent un des principaux challenges parmi les urgences oculaires qui se présentent à l’ophtalmologiste. Chimiques, thermiques ou par radiations, elles représentent 3 à 4 % des accidents domestiques et 7 à 18 % des traumatismes oculaires [1, 2]. L’atteinte oculaire complique environ 15 à 20 % des brûlures de la face. Souvent bilatérales, les brûlures surviennent en règle chez des sujets jeunes et de sexe masculin [3]. Les accidents de travail, domestiques ou de loisirs et les agressions en sont les principaux pourvoyeurs. Avec plus de 25 000 produits chimiques susceptibles d’être à l’origine de brûlures, les lésions oculaires chimiques sont de loin les plus fréquentes et préoccupantes. Leur gravité dépend de l’agent causal, le plus souvent de nature oxydante, réductrice ou corrosive. Elles sont parfois redoutables car malgré un traitement bien conduit elles peuvent aboutir à la perte fonctionnelle, voire anatomique du globe oculaire. Outre la diminution de la vision, elles ont un retentissement psychologique important et affectent les différentes activités de la vie quotidienne ainsi que les capacités de travail des victimes [3]. Les brûlures thermiques ou par radiations s’accompagnent de lésions le plus souvent superficielles.

Présentation clinique

Une brûlure oculaire est une urgence. L’examen clinique initial doit rapidement conduire aux premières mesures thérapeutiques en particulier à la réalisation du lavage oculaire [2, 4]. Il est convenu de distinguer les données de l’examen clinique initial, d’en mesurer et classer le degré de gravité et de décrire les anomalies constatées au cours de l’évolution des lésions.

SIGNES FONCTIONNELS

Les symptômes de présentation sont variables et souvent associés :

  • ±

    œil rouge inflammatoire ;

  • ±

    œil douloureux ;

  • ±

    altération visuelle permanente ;

  • ±

    larmoiement, blépharospasme.

CONTEXTE ET TERRAIN
FRÉQUENCE ET CIRCONSTANCES DE SURVENUE

En diminution régulière ces dernières années dans les pays industrialisés, les brûlures cutanées sont essentiellement dues à des flammes ou des liquides chauds. L’incidence des brûlures cutanées est estimée aux États-Unis à 220 pour 100 000 habitants/an [5]. La proportion des brûlures cutanées chimiques varie entre 1,4 et 8,5 %. En France, l’incidence des brûlures cutanées est mal connue, elle serait de 500 000/an. Les accidents domestiques et de loisirs représenteraient la majorité des circonstances de survenue. La région céphalique serait atteinte dans un tiers des cas [6]. Aucune donnée ne concerne l’atteinte oculaire isolée, cependant les caractéristiques épidémiologiques des brûlures oculaires sont radicalement différentes puisque les brûlures chimiques apparaissent prépondérantes (85 %) et les brûlures thermiques beaucoup plus rares, suggérant de remplacer la dénomination de brûlure oculaire chimique par celle de lésion oculaire chimique. Les brûlures oculaires chimiques sont aussi responsables des lésions les plus sévères aux conséquences psychologiques, sociales et parfois légales graves. Les victimes sont le plus souvent des hommes jeunes en activité. Les brûlures oculaires chimiques représentent environ 10 % des traumatismes oculaires. Dix pour cent environ des brûlures chimiques générales se compliquent d’une atteinte oculaire. Aux États-Unis, en 2006, parmi 2,4 millions de cas d’exposition accidentelle à une substance chimique, 5,4 % s’accompagnaient d’une atteinte oculaire [7]. Les brûlures oculaires chimiques correspondaient en 1999 et 2000 à 6,4 % de l’ensemble des urgences oculaires d’un centre hospitalier de la région parisienne recevant les urgences en ophtalmologie [8]. Plus récemment, dans une étude menée pour cet ouvrage auprès des trois structures d’urgence parisiennes, elles représentaient 1,08 % des items d’urgence recensés. Les brûlures oculaires surviennent pour la plupart dans le cadre d’accidents industriels ou domestiques [9]. Leur nombre et proportion varient avec le niveau d’industrialisation de la région. En Australie, elles sont dues principalement aux accidents du travail (71 %), aux accidents domestiques (23 %) et aux agressions (2,5 %) [10]. Le pourcentage des accidents domestiques liés à la pratique du bricolage ou du jardinage est en constante augmentation et dépasse le tiers dans certaines séries. La part des agressions évolue entre 2,5 % et plus de la moitié en fonction des contrées, des habitus, des conditions socio-économiques et du degré d’industrialisation du pays [10]. Au Royaume-Uni, un tiers des brûlures oculaires chimiques sévères est lié à des agressions. À Londres, elles sont en augmentation et souvent perpétrées par des gangs d’adolescents [11]. Elles représentent plus d’un tiers des agressions en Martinique, en Jamaïque et au Nigéria [12]. Les brûlures siègent essentiellement au niveau de la face. Les yeux et les paupières sont atteints dans 19 % des cas. Dans la Caraïbe, comme à Hong Kong, l’intention de l’agresseur est de défigurer sa victime et de la rendre aveugle. L’agression est le plus souvent programmée et survient dans le cadre d’une dispute amoureuse. Dans la plupart des cas, le produit utilisé par l’assaillant est de l’ammoniaque et les conséquences sont dramatiques. La victime est le plus souvent un homme et l’agresseur une femme [12, 13]. Les brûlures liées aux gaz lacrymogènes peuvent dépasser le quart de l’ensemble des brûlures oculaires. Le peeling de la face, réalisé avec de l’acide trichloroacétique ou un autre produit chimique, peut aussi se compliquer de brûlures oculaires [14]. Chez l’enfant, les lésions oculaires chimiques représentent environ 10 % des traumatismes oculaires. En 2012, les brûlures oculaires constituaient 6,41 % des traumatismes oculaires de l’enfant en Île-de-France [15].

AGENTS EN CAUSE

Les agents causaux peuvent être répartis en trois catégories : physiques, chimiques et biologiques. Ils sont répertoriés dans l’ encadré 5-1-5. Pour les agents physiques, une haute température, une grande quantité et une force d’impact importante de l’agent brûlant augmentent la sévérité de la brûlure. En général, la quantité de liquide brûlant qui parvient à la surface du globe oculaire est faible (< 0,5 ml) et cette quantité est réduite par le clignement. Cependant les substances solides et les poudres ne sont pas évacuées par les clignements et demeurent en contact avec l’œil. Les brûlures oculaires représentent entre 13 et 62 % des traumat ismes oculaires liés à l’utilisation d’artifices de divertissement. En Alsace, en raison de l’importation illégale et de la fabrication artisanale d’artifices de divertissement présentant des anomalies de fonctionnement, les traumatismes oculaires provoqués par ces artifices sont très fréquents et constituent plus d’un tiers des cas de brûlures dans la région [16].

Encadré 5-1-5
Principaux agents en cause dans les brûlures oculaires

Agents physiques

  • Thermiques : flammes, liquides chauds, feux d’artifice

  • Froid : très basse température extérieure, cryothérapie

  • Électriques : électrocution, cautérisation

  • Micro-ondes : eau bouillante, œufs

Agents chimiques

  • Produits ménagers : détergents, vernis à ongle, dissolvants

  • Produits industriels : solvants et peintures, eau de Javel, dérivés pétroliers, chaux, potasse, ammoniaque

  • Produits agricoles : fertilisants

  • Médicaments : crème EMLA ® , hypochlorite de sodium (dentisterie)

  • Gaz et aérosols lacrymogènes

  • Autres : chuna (pâte comestible d’hydroxide de calcium), airbags

Agents biologiques

  • Animaux : mille-pattes, venins de serpents, insectes vésicants

  • Végétaux : euphorbes (mancenillier, arbre crayon)

Agents oxydants

  • Médicaments : eau oxygénée, liquides d’entretien des lentilles de contact

EXAMEN CLINIQUE
PHASE AIGUË

L’interrogatoire de la victime précise les circonstances de survenue et l’horaire du traumatisme, la nature des produits responsables ainsi que les gestes déjà réalisés. Le recours aux centres antipoison est parfois nécessaire, car ils disposent des propriétés et de la toxicité de tous les produits existants industriels, naturels et médicamenteux. La symptomatologie fonctionnelle peut être très expressive (diminution de l’acuité visuelle, photophobie, larmoiement, etc.) et la douleur importante. L’instillation d’un collyre anesthésique contribue à diminuer la douleur et le spasme des paupières. Les paupières sont parfois rouges, œdémateuses, d’allure abrasée et comportant des cils et sourcils brûlés. L’œil est le plus souvent rouge en rapport avec une hyperhémie diffuse de la conjonctive, des hémorragies ponctiformes situées autour du limbe, des hémorragies sous-conjonctivales, un cercle périkératique ou un chémosis hémorragique. Les brûlures peu importantes se limitent à une kératite ponctuée superficielle (KPS) située dans l’aire d’ouverture des paupières ou à une ulcération plus étendue de l’épithélium cornéen (fig. 5-1-32 et 5-1-33 ). Outre la destruction de l’épithélium, les brûlures sévères de la cornée comportent des plis descemétiques et un œdème prenant au maximum l’aspect de porcelaine qui empêche la visualisation de l’iris et du cristallin (fig. 5-1-34 ). Une atteinte plus importante se caractérise également par l’existence d’ulcérations, de zones d’ischémie ou de nécrose de la région limbique ou de la conjonctive bulbaire. Les territoires ischémiques apparaissent blancs et œdémateux. Ils sont liés à l’interruption de la circulation sanguine dans les vaisseaux de l’épisclère et de la conjonctive. Ils prédominent souvent à la partie inférieure ou le produit chimique se concentre. La recherche d’une hémorragie à la piqûre (test d’Amsler) peut aider à évaluer l’étendue de l’ischémie conjonctivale. Ces formes graves s’accompagnent aussi d’une réaction inflammatoire de la chambre antérieure, une tendance à la formation de synéchies, de lésions sévères de l’endothélium, d’une hypertonie et d’une anesthésie cornéenne. Une perforation peut exceptionnellement être observée d’emblée [9]. Il faut également relever l’existence d’éventuelles lésions palpébrales, en particulier des bords libres et des points lacrymaux. Chez l’enfant, l’examen initial doit être le plus souvent effectué sous anesthésie générale. L’ensemble des constatations cliniques (ulcération de la cornée et de la conjonctive, territoire d’ischémie, etc.) est documenté de façon quotidienne (reporté sur un schéma ou une photographie).

Fig. 5-1-32
Brûlure par acide faible.
Kératite ponctuée superficielle située dans l’aire d’ouverture des paupières associée à des ulcérations plus étendues de l’épithélium cornéen dans la partie inférieure où le produit chimique est susceptible de se concentrer.
Fig. 5-1-33
Brûlure par acide fort.
Destruction complète de l’épithélium cornéen, enroulé en partie inférieure. Le stroma cornéen est transparent et la région limbique non ischémique.
Fig. 5-1-34
Brûlure par acide fort (acide chlorydrique pour le décapage des métaux).
a . Œil droit, J2. Désépithélialisation cornéenne totale. Œdème cornéen, iris et pupille non visibles. Kératite marquetée. Atteinte limbique entre 9 et 12 tranches horaires. Stade 4 de la classification de Roper-Hall, grade V de la classification de Dua. b. Œil gauche, J2. Désépithélialisation cornéenne partielle. Œdème cornéen, iris et pupille non visibles. Kératite marquetée. Atteinte limbique entre 6 et 9 tranches horaires. Stade 4 de la classification de Roper-Hall, grade IV de la classification de Dua. c. Œil droit, J2, OCT du segment antérieur. Absence d’épithélium. Hyper-réflectivité du stroma antérieur. Œdème de la cornée. Épaisseur cornéenne augmentée (720 μm) accompagnée d’une irrégularité de la surface de l’endothélium. Plis descemétiques visibles en OCT sous l’aspect de bombement de l’endothélium dans la chambre antérieure en forme de vagues. d. Œil droit, J10. Cicatrisation centripète de la surface cornéenne. Persistance d’une ulcération au centre de la cornée occupant la moitié de sa surface. Œdème cornéen et kératite marquetée. e. Œil gauche, J10. Cicatrisation centripète de la surface cornéenne. Persistance d’un défaut de cicatrisation de forme triangulaire. Œdème cornéen et kératite marquetée. f. Œil droit, J10. Persistance des plis de la membrane de Descemet revêtant l’aspect d’une kératite marquetée.

CLASSIFICATION DES LÉSIONS

L’objectif d’une classification est, à partir des données cliniques initiales, d’établir un pronostic et de guider l’attitude thérapeutique. La classification la plus utilisée est celle de Hughes modifiée par Roper-Hall (tableau 5-1-8) [17, 18]. Elle compte quatre stades de gravité croissante, et repose sur l’importance de l’opacité stromale et sur l’étendue d’une éventuelle ischémie limbique. Les brûlures de stade 1 et 2 sont de bon pronostic et les brûlures de stade 3 et 4 de mauvais pronostic. La classification de Roper-Hall est cependant trop imprécise pour le stade 4 en ce qui concerne l’atteinte du limbe [10]. En effet, une brûlure de stade 4 de la classification de Roper-Hall peut évoluer favorablement en présence d’une atteinte limbique inférieure à 75 % ; en revanche, une destruction totale du limbe est de très mauvais pronostic [19]. L’hétérogénéité du niveau lésionnel au sein du stade 4 expliquerait également les résultats discordants obtenus lorsqu’une même technique chirurgicale (greffe de cellules souches limbiques [CSL]) est utilisée. Par ailleurs, l’atteinte de la conjonctive, omise dans la classification de Roper-Hall, est aussi importante. En cas de destruction totale du limbe, la conjonctive saine permet un recouvrement conjonctival de la cornée, alors que l’absence totale de conjonctive saine engendre un risque majeur de perforation cornéenne. La classification de Roper-Hall est avantageusement remplacée par les classifications de Wagoner (tableau 5-1-9) ou de Dua et al. (tableau 5-1-10) fondées sur l’atteinte limbique et conjonctivale illustrée par la rétention de la fluorescéine [9, 19]. La classification de Wagoner repose sur l’étendue de l’ischémie limbique proportionnelle à la perte en CSL. Dans la classification de Dua et al., l’atteinte du limbe, non exclusivement ischémique, est exprimée en nombre de tranches horaires et l’atteinte de la conjonctive bulbaire en pourcentage de surface. L’usage d’une échelle analogique, dont le premier chiffre exprime le nombre de tranches horaires et le second le pourcentage de surface conjonctivale, permet une classification initiale et de suivre, au travers du score obtenu lors des examens successifs, l’évolution des brûlures. Les grades I, II et III sont de bon pronostic. Le grade IV qui regroupe une atteinte du limbe entre 6 et 9 tranches horaires et 50 à 75 % d’altération de la conjonctive est d’un pronostic bon ou réservé. Le pronostic du grade V est mauvais et celui du grade VI très mauvais. Les grades IV, V et VI correspondent au stade 4 de la classification de Roper-Hall qualifié de mauvais pronostic. Contrairement à la classification de Roper-Hall, la classification de Dua et al. ne tient pas compte de l’aspect de la cornée, dont les modifications de la transparence sont variables et souvent différées, ni de l’état de la conjonctive tarsale dont l’examen est très difficile à cause d’une paupière œdémateuse, tendue, indurée ou amincie et impossible à éverser. La classification de Pfister et al., élaborée à partir de la classification de Hughes comporte six grades (normal, léger, modéré, modéré à sévère, sévère et très sévère). Elle tient compte de l’atteinte cornéenne et conjonctivale. Elle est très peu utilisée, mais présente comme avantage de préciser l’acuité visuelle finale (tableau 5-1-11) [20].

Tableau 5-1-8
Classification de Hughes modifiée par Roper-Hall [17, 18].
Stade Pronostic Atteinte cornéenne Ischémie limbique (% circonférence limbique)
1 Excellent Atteinte épithéliale, absence d'opacité cornéenne 0 %
2 Bon Cornée œdémateuse mais iris visible < 33 %
3 Réservé Perte totale de l'épithélium cornéen, œdème stromal gênant la visualisation des détails de l'iris 33-50 %
4 Mauvais Cornée opaque, iris et pupille non visibles > 50 %
Tableau 5-1-9
Classification de Wagoner [9].
Grade Étendue de l'ischémie limbique Évolution et pronostic
1 Absente ou modérée Cicatrisation rapide, sans séquelles
2 < Moitié de la circonférence limbique Cicatrisation retardée, néovascularisation superficielle tardive
3 > Moitié de la circonférence limbique Cicatrisation très retardée, néovascularisation stromale, pannus conjonctival
4 Totale, nécrose conjonctivale adjacente Nécrose cornéenne aseptique, graves lésions du segment antérieur
Tableau 5-1-10
Classification de Dua [19].
Grade Pronostic Atteinte limbique en tranches horaires Atteinte conjonctivale Échelle analogique
I Très bon 0 0 % 0/0 %
II Bon < 3 < 30 % 0,1-3/1-29,9 %
III Bon 3-6 30-50 % 3,1-6/31-50 %
IV Bon à réservé 6-9 50-75 % 6,1-9/51-75 %
V Réservé à mauvais 9-12 75-100 % 9,1-11,9/75, 1-99,9 %
IV Très mauvais 12 100 % 12/100 %
Tableau 5-1-11
Classification de Pfister et al. [20].
Grade Atteinte cornéenne Atteinte conjonctivale Pronostic Acuité visuelle
Normal 0 0 Très bon Normale
Léger Érosion épithéliale, léger œdème stromal antérieur 0 Absence ou petite cicatrice cornéenne Perte de 1 ou 2 lignes
Modéré Opacité modérée Non significative Cicatrisation épithéliale lente, cicatrice modérée Perte de 2 à 7 lignes
Modéré à sévère Opacité qui masque les détails de l'iris Nécrose conjonctivale < 1/3 conjonctive limbique Néovascularisation cornéenne, cicatrice < 1/10
Sévère Cornée très trouble Limite de la pupille mal visible Nécrose conjonctivale > 1/3 et < 2/3 conjonctive limbique Néovascularisation sévère, risque d'ulcération et perforation Réduite à compte les doigts
Très sévère Cornée blanche Pupille non visible Nécrose conjonctivale > 2/3 conjonctive limbique Ulcération et perforation fréquentes, risque de phtise Perception lumineuse

DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

Urgence ophtalmologique immédiate, prise en charge (PEC) sans aucun délai, priorisation ophtalmologique absolue :

  • ±

    classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) = score CIMU 2 ;

  • ±

    triage PEC de catégorie 1.

Signes paracliniques d’intérêt particulier pour la prise en charge en urgence

Aucun examen paraclinique n’est requis avant la prise en charge thérapeutique qui prime.

La mesure itérative du pH local à la bandelette pH permet d’adapter les modalités du lavage oculaire.

Les autres examens paracliniques ont pour but de :

  • ±

    éliminer une lésion associée lors d’un traumatisme multimodal mais ne sont pas spécifiques de la brûlure elle-même ;

  • ±

    explorer les lésions de la brûlure sur les tissus oculaires, mais cela s’envisage au cours du suivi ultérieur.

Diagnostic étiologique
BRÛLURES CHIMIQUES

La nature des agents chimiques les plus fréquemment impliqués sont les acides et les bases. Les brûlures par acide et par base représentent respectivement 1,6 % et 0,6 % des traumatismes oculaires. Les bases rassemblent les principaux produits suivants : l’ammoniaque (NH3) utilisée comme produits nettoyants réfrigérants ou fertilisants, l’eau de Javel (hypochlorite de sodium), la soude (NaOH) utilisée comme détergent ménager, la potasse (KOH) utilisée comme engrais et la chaux (Ca(OH)2) utilisée comme ciment. Les particules de soude ou de chaux sont très adhérentes à la conjonctive, fournissant ainsi un réservoir de produit toxique [9]. L’hydroxide de magnésium (Mg(OH) 2 ) contenu dans les artifices de divertissement occasionne des lésions sévères à la fois thermiques et chimiques. Parmi les acides, l’acide sul-furique ou vitriol (H2SO4) est responsable des accidents les plus graves. Il est utilisé dans l’industrie textile et rentre aussi dans la composition des liquides des batteries d’automobiles. L’acide fluorhydrique (HF), utilisé comme solvant de la rouille, est pourvu d’effets oxydatifs et d’une très forte toxicité. L’acide fluorhydrique traverse rapidement les membranes cellulaires et provoque une nécrose par solubilisation des phospolipides membranaires, à la façon des bases. L’acide fluorhydrique est utilisé dans l’industrie du verre, en particulier pour la gravure, mais aussi comme produit de nettoyage (vitres, circuits imprimés, jantes automobiles). L’acide chromique (Cr2O3) est utilisé en métallurgie. L’acide chlorydrique (HCl) est utilisé pour la production de composés organiques (chlorure de vinyl), le décapage des métaux mais aussi comme nettoyant domestique. L’acide acétique (CH3COOH) à forte concentration occasionne de graves lésions. D’autres substances utilisées dans l’industrie chimique sont irritantes ou corrosives, ce sont : les composés du soufre, du chlore (désinfection des piscines), les solvants, les détergents, les pesticides, etc. Les gaz et aérosols lacrymogènes anti-émeutes les plus répandus sont l’orthochlorobenzylidène-malononitrile et le chlorocétophénone. Ils sont réservés aux forces de l’ordre. Les sprays au piment sont destinés aux particuliers [21]. Le larmoiement apparaît presque immédiatement après la dispersion et ne persiste que quelques minutes. De nombreuses lésions oculaires irréversibles ont été décrites suite à leur utilisation : nécrose conjonctivale et cornéenne, opacités de la cornée, etc. Les brûlures dues à des gaz vésicants (gaz moutarde ou ypérite, lewisite) s’observent lors des conflits armés, des actes de terrorisme ou la manipulation d’anciennes munitions. Les lésions oculaires sont beaucoup plus graves et conduisent parfois à la cécité. Il s’agit de produits létaux.

Les agents biologiques animaux sont exceptionnels comparés aux végétaux. En particulier, la famille des euphorbiacées est régulièrement impliquée. La plupart des espèces occasionnent des brûlures par contact avec le latex contenu dans les branches et les feuilles. Les euphorbiacées sont très répandues dans les régions chaudes et utilisées comme plante ornementale (espèces cactiformes) dans les régions plus froides. Dans la Caraïbe (Martinique, Guadeloupe, etc.) ainsi que dans le sud des États-Unis, le mancenillier, qualifié d’arbre le plus dangereux du monde, est très répandu. Son latex est parfois à l’origine de brûlures impressionnantes qui peuvent aboutir à la perforation oculaire (fig. 5-1-35) [22].

Fig. 5-1-35
Brûlure par latex de mancenillier.
a. Brûlure du premier degré de la paupière supérieure gauche. b. Aspect de la cicatrisation cutanée au 8 e jour. c. Hyperhémie diffuse de la conjonctive, ulcération de l’épithélium cornéen étendue à toute l’hémi-cornée inférieure. d. Hémorragies ponctiformes et sous-conjonctivales situées autour du limbe. Il n’existe pas d’œdème de la cornée ni d’ischémie limbique.

BRÛLURES THERMIQUES LIÉES AU CHAUD

L’atteinte oculaire observée au cours des brûlures thermiques est rare, entre 1 et 5 %. Il s’agit le plus souvent de brûlures par flamme ou liquide chaud qui se produisent dans le cadre d’un accident domestique. La gravité dépend de la température et de la durée d’exposition. Grâce à la vitesse du clignement et au phénomène de Charles Bell, le globe oculaire est protégé et les brûlures par flamme se limitent aux cils, sourcils et paupières (fig. 5-1-36 ). Cependant on peut observer dans l’aire de la fente palpébrale une ulcération de la cornée et de la conjonctive. Certaines ulcérations peuvent s’accompagner d’une opacification du stroma ou de signes d’une insuffisance en CSL. Dans les brûlures par contact, les solides qui retiennent la chaleur (cendres de cigarettes, poudre à canon des artifices de divertissement, etc.) et les corps à point de fusion élevée (fer : 1200 °C ; verre : 1500 °C) provoquent des lésions profondes conduisant parfois à la perte du globe oculaire. Les lésions oculaires les plus graves sont constatées chez des patients qui présentent des brûlures cutanées du troisième degré ou qui sont victimes d’accidents liés aux artifices de divertissement [16]. Le traitement des lésions superficielles associe une antibiothérapie locale, l’instillation de larmes artificielles, et parfois une cycloplégie. Le traitement des lésions sévères rejoint celui des brûlures chimiques. Les cicatrices rétractiles palpébrales se compliquent volontiers de trichiasis, d’entropion ou d’ectropion à l’origine d’une exposition du globe oculaire.

Fig. 5-1-36
Brûlure par flammes.
Brûlure cutanée du deuxième degré superficielle de la totalité de la face. Les paupières, les cils et les sourcils sont brûlés. Grâce à la vitesse du clignement et au phénomène de Charles Bell, les globes oculaires ont été épargnés.

BRÛLURES THERMIQUES LIÉES AU FROID

Les brûlures dues au froid surviennent lors d’exposition à des températures très basses dont l’effet est accentué par le vent puissant : accidents en haute montagne, pratique de sports par basse température (ski, course à pieds, etc.), parachutisme. Les lésions siègent dans l’aire de la fente palpébrale. Elles peuvent revêtir l’aspect d’une simple abrasion épithéliale, d’une ulcération, d’un œdème ou d’une véritable gélation de la cornée. Les lésions palpébrales sont fréquentes. Le traitement consiste à soustraire le patient des conditions de basse température et d’exposition au vent et à pratiquer un réchauffement lent grâce à l’application de compresses tièdes [23]. Les lésions de la cornée lors d’une cryothérapie mal conduite ou iatrogène d’une phacoémulsification au site d’incision sont rares.

BRÛLURES PAR LES RADIATIONS

Les brûlures par les rayons ultraviolets (400-280 nm) sont les plus fréquentes. Les sources d’émission sont variées : exposition solaire prolongée lorsque les rayons sont fortement réfléchis (neige, mer, désert), soudure à l’arc, lampes désinfectantes ou bronzantes. Les rayons ultraviolets sont presque totalement absorbés par la cornée provoquant dans cette dernière le détachement des cellules épithéliales et un œdème stromal [24]. Environ 12 heures après l’exposition surviennent des douleurs, un blépharospasme, un larmoiement et une photophobie. On constate l’existence d’une KPS et une hyperhémie de la conjonctive. La guérison survient en 48 heures et est facilitée par l’occlusion. Une antibiothérapie locale est prescrite afin de prévenir une infection secondaire. Une cycloplégie ou la prescription d’un antalgique par voie générale est parfois nécessaire. Les brûlures par les rayons infrarouges (700-3000 nm), survenant au cours d’une explosion, d’une éclipse solaire, etc., se limitent pour la cornée à une KPS, mais peuvent provoquer une cataracte ou une choriorétinite. L’exposition aux radiations ionisantes (radiothérapie, radio-isotopes) entraîne une hyperhémie de la conjonctive et une atteinte de la cornée située entre une simple KPS et une perforation.

Prise en charge immédiate

L’objectif de la prise en charge thérapeutique des brûlures oculaires est double :

  • ±

    éliminer ou limiter l’agressivité ainsi que la pénétration des substances irritantes ou corrosives dans les milieux oculaires. Ce rôle est dévolu au lavage oculaire qui doit être effectué le plus rapidement possible ;

  • ±

    contrôler la réaction inflammatoire et favoriser la cicatrisation. À ce second objectif répondent les traitements médical et chirurgical, le plus souvent, intimement liés.

LAVAGE OCULAIRE

En dépit des techniques chirurgicales qui visent à restaurer les cellules souches limbiques (CSL) détruites et qui ont considérablement amélioré le pronostic des brûlures cornéennes sévères, le lavage oculaire demeure un geste crucial (vidéo 5-1-4 ). De sa précocité et qualité dépend le devenir de la brûlure, car le lavage influence de façon décisive l’évolution et le pronostic. Les lésions sont plus sévères lorsque le lavage n’a pas été réalisé. Le lavage est en général plus rapidement effectué lorsqu’il s’agit d’un accident de travail qu’une agression [10]. Il doit être réalisé immédiatement sur le lieu même de l’accident et poursuivi durant le transport du malade vers l’ophtalmologiste ou l’hôpital.

En raison de l’état de panique, de la douleur ou du spasme des paupières, le lavage effectué par le patient n’est pas toujours efficace, aussi il doit être systématiquement répété lors de la prise en charge médicale (fig. 5-1-37 ). Il sera facilité par l’instillation préalable d’un collyre anesthésique. L’anesthésie générale peut être nécessaire chez l’enfant. L’usage des écarteurs de Desmarres ou la mise en place d’un blépharostat sont parfois indispensables. L’utilisation d’une tubulure à perfusion maintenue à environ 10 cm du globe oculaire est préférable à la mise en place d’un système automatique d’irrigation. Ces dispositifs constitués d’une boucle en polyéthylène ou d’une lentille sclérale en polyméthylméthacrylate (lentille de Morgan) ont pour inconvénients d’être difficiles à mettre en place, d’être à l’origine de lésions iatrogènes et de ne pas garantir un bon rinçage de l’ensemble de la surface oculaire [25].

Fig. 5-1-37
Pratique du lavage oculaire.
a. Le patient est allongé. Un haricot en carton à usage unique est disposé du côté de l’œil à irriguer. Une goutte d’un collyre anesthésique est instillée. Une mesure du pH est réalisée à l’aide d’une bandelette indicatrice. b. Une tubulure à perfusion est maintenue à environ 10 cm du globe oculaire. c. Afin de parfaitement exposer la totalité de la surface conjonctivale, le patient doit regarder dans toutes les positions du regard. d. Il faut rincer abondamment les culs-de-sac conjonctivaux. e. Il faut éverser les deux paupières supérieures à la recherche d’éventuels corps étrangers que l’on peut retirer à l’aide d’un écouvillon. f. L’ablation des corps étrangers à l’aide d’une pince est facilitée avec l’usage du microscope opératoire.

Afin de parfaitement exposer la totalité de la surface conjonctivale, le patient doit regarder dans toutes les positions du regard. Il faut éverser les deux paupières et rincer abondamment les culs-de-sac conjonctivaux. Il faut procéder à l’ablation de tous les corps étrangers à l’aide du microscope opératoire. L’examen des culs-de-sac conjonctivaux doit être minutieux à la recherche des particules solides adhérentes à la conjonctive. Hormis l’utilisation de l’éthylène diamine tétraacétique (EDTA) pour retirer les particules de chaux ou de ciment, l’usage des antidotes n’est pas recommandé. La réalisation d’une ponction accompagnée d’un lavage de la chambre antérieure n’est plus conseillée. Le lavage doit durer 15 à 30 minutes avec environ 1,5 litre de solution. Le pH de la surface oculaire peut être mesuré à l’aide d’une bandelette indicatrice et le lavage est poursuivi jusqu’à la normalisation (7,4) du pH [10].

Le plus souvent disponible sur les lieux de l’accident, l’eau est le produit de lavage universel principalement utilisé. Comparée au milieu intra-oculaire, l’eau est hypotonique et peut ainsi, à la faveur des lésions épithéliales, pénétrer dans le stroma cornéen, aggraver l’œdème et entraîner des particules acides ou basiques dans la cornée. L’utilisation de solutions iso- ou hypertoniques est préférable, car elles créent un flux dirigé de l’intérieur vers l’extérieur des milieux intra-oculaires. Kompa et al. ont montré que l’œdème de la cornée était inversement proportionnel à l’osmolarité de la solution de rinçage [26]. L’eau courante et le sérum physiologique ne possèdent aucun effet tampon et n’agissent que par dilution et entraînement mécanique. Le Ringer lactate et le balanced salt solution (BSS) Plus ® sont mieux tolérés que le sérum physiologique. Le Ringer lactate possède une très faible capacité tampon [26]. Le BSS Plus ® se distingue par une osmolarité voisine de celle de l’humeur aqueuse, mais ne possède pas d’effet tampon. Les solutions contenant des tampons phosphates doivent être évitées, car elles augmentent le risque de la survenue de calcifications cornéennes irréversibles. De surcroît, l’action des tampons phosphates s’accompagne d’une réaction exothermique. Nous ne disposons actuellement en France que d’une seule solution de lavage oculaire hypertonique dont l’osmolarité est de 820 mosm/L. Il s’agit d’une solution amphotère, dépourvue de conservateur, dotée d’une forte capacité tampon, stérile et utilisée depuis plusieurs années dans l’industrie chimique (Diphotérine ® , laboratoires Prevor) [27]. La Diphotérine ® est également efficace vis-à-vis des gaz lacrymogènes. Les amphotères comme l’EDTA agissent par la capture d’ions et la neutralisation au moyen d’une réaction amphophile. Ils peuvent se lier avec des bases ou des acides sans modifier le pH du milieu et sans réaction exothermique. Le lavage d’une brûlure par base avec une solution amphotère entraîne le retour à un pH extra-oculaire normal plus rapide, l’inflexion de la courbe du pH apparaît quelques secondes à quelques minutes après le lavage avec de la Diphotérine ® . L’ascension de la courbe du pH intra-oculaire est moins importante et la descente plus rapide [26–28]. Au vu de leur mécanisme d’action théorique et des résultats obtenus tant sur le plan expérimental que clinique, les solutions amphotères sont les plus adaptées au rinçage en urgence des brûlures chimiques [12, 29]. Si une irrigation prolongée est envisagée, une solution de sérum physiologique contenant 0,01 % de lidocaïne peut être utilisée. Cette solution anesthésique serait mieux supportée que le sérum physiologique seul. Le lavage avec une solution associant du sérum physiologique d’origine marine et des huiles végétales (10 % d’huile de Calophyllum inophyllum et 90 % d’huile d’Aleurites moluccana) favoriserait la régénération des cellules épithéliales et diminuerait la réaction inflammatoire [30]. Le lavage doit également être effectué en cas de brûlures thermiques, car il contribue à diminuer la température à la surface du globe oculaire.

TRAITEMENT MÉDICAL
CONTRÔLE DE LA RÉACTION INFLAMMATOIRE

L’utilisation des corticoïdes locaux semble maintenant admise dans le traitement des brûlures, notamment chimiques [10]. Leur emploi, longtemps discuté, se justifie par leur capacité à réduire la réaction inflammatoire. Ils diminuent l’invasion stromale par les polynucléaires neutrophiles, stabilisent les membranes cellulaires et lysosomiales des polynucléaires et possèdent une action anticollagénase. En cas de brûlures chimiques, les corticoïdes limitent la destruction des cellules à mucus de la conjonctive. Donshik a montré chez l’animal que l’utilisation intensive des corticoïdes locaux pendant les 10 premiers jours suivant la brûlure n’augmentait pas le risque de perforation cornéenne [31]. Cependant lorsque les corticoïdes sont utilisés au-delà de 8 jours et pour une durée prolongée, en diminuant la migration des kératocytes et la synthèse du collagène, ils retarderaient la cicatrisation. Donshik et al. préconisent de les interrompre le 10e jour et de les réintroduire à partir de la 4e semaine en cas de persistance d’une réaction inflammatoire [31]. En association avec de l’acide ascorbique local ou par voie systémique, Brodovsky et al. et Davis et al. concluent que les corticoïdes locaux peuvent être prescrit au-delà de 8 jours avec un effet bénéfique et sans effet secondaire [10, 11]. L’incidence des complications infectieuses ne semble pas augmenter avec la corticothérapie locale [10, 12]. La corticothérapie peut aussi être administrée en injection sous-conjonctivale, permettant d’obtenir une meilleure concentration, une réduction du nombre des instillations et une meilleure observance thérapeutique.

En association ou en remplacement des corticoïdes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont également été proposés. Ils ont cependant un effet stabilisateur de membrane neurologique, mimant les conditions cicatricielles altérées d’une kératopathie neuroparalytique. Leur usage reste donc très discutable.

Les tétracyclines réduisent l’activité des collagénases et la survenue d’ulcérations cornéennes dans les brûlures expérimentales. Cette action est indépendante de leur propriété antimicrobienne et est due à une chélation du zinc. Elles diminuent également l’activité des polynucléaires. Administrées par voie systémique, les tétracyclines réduisent l’incidence des ulcérations cornéennes et favorisent leur cicatrisation [32]. La posologie de la doxycycline ou de la minocycline est de 200 mg par jour. Les tétracyclines par voie orale sont habituellement bien tolérées, mais parfois irritantes pour les voies digestives et photo-sensibilisantes. Elles sont contre-indiquées chez les enfants de moins de 8 ans (coloration des dents et hypoplasie de l’émail dentaire) et chez la femme enceinte.

Les collyres cycloplégiques réduisent la douleur et limitent la formation des synéchies iridocristaliniennes, ils sont prescrits de façon systématique. La phényléphrine est contre-indiquée à cause de son effet vasoconstricteur. Le citrate est un chélateur du calcium, il diminue le chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles, l’adhérence ainsi que la libération des enzymes lysosomiales. Il limite l’activité des collagénases et réduit l’incidence des ulcérations cornéennes chez le lapin. Il est plus efficace par voie locale que générale [20]. Son utilisation en collyre à 10 % en association avec de l’ascorbate à 10 % contribuerait à la réépithélialisation plus rapide des brûlures sévères [10]. Le citrate n’est pas disponible en France.

Les inhibiteurs des collagénases, comme la cystéine, l’acétylcystéine et les thiols de synthèse se sont révélés efficaces sur les brûlures expérimentales mais n’ont pas été étudiés en clinique.

POTENTIALISATION DE LA CICATRISATION

Les brûlures de la conjonctive s’accompagnent d’une réduction du nombre de cellules à mucus. Les altérations de la couche muqueuse du film lacrymal diminuent l’adhérence du film lacrymal à la surface oculaire et participe à la fragilisation de l’épithélium cornéen. L’apport régulier de larmes artificielles sans conservateur est préconisé et peut être potentialisé par l’obstruction temporaire ou définitive des points lacrymaux. L’acide ascorbique dont le taux est diminué dans l’humeur aqueuse en cas de brûlure est un cofacteur de la synthèse du collagène. La vitamine C possède également une activité anti-oxydante qui limite l’action des radicaux libres libérés au cours d’une brûlure oculaire chimique. Pfister a montré qu’une supplémentation en acide ascorbique administrée par voie locale ou générale réduisait l’incidence de l’amincissement et des ulcérations de la cornée tant expérimentale que clinique. L’administration en collyre à 10 % serait plus efficace compte tenu des probables lésions du corps ciliaire qui limitent la concentration de l’acide ascorbique dans la chambre antérieure [33]. Pour Brodovski et al., l’adjonction de vitamine C permet l’utilisation des corticoïdes locaux au-delà de la première semaine [10]. Cependant l’efficacité semble moindre en cas d’ulcère constitué. La vitamine C en collyre n’est plus disponible en France, elle peut être prescrite par voie orale à la dose de 2 ou 3 g/jour [10, 12, 34].

Le sérum autologue (SA) comporte des facteurs de croissance ( epidermal growth factor [EGF], transforming growth factor β [TGF-β], vascular endothelial growth factor A [VEGF-A], nerve growth factor [NGF], etc.) et des éléments trophiques (anticollagénase, vitamines, cytokines, fibronectine, etc.) pour la cornée. Le SA est utilisé à une concentration de 20 à 50 %, dilué dans du sérum salé à 0,9 %. Administré dès le 8e jour et en association avec un traitement anti-inflammatoire, le SA réduit la symptomatologie fonctionnelle, l’inflammation, la néovascularisation et l’opacification de la cornée. Le SA favorise la cicatrisation épithéliale. Aucun effet secondaire à type de réaction allergique, dépôts ou infection n’a été observé. L’effet bénéfique est en rapport avec les propriétés anticollagénases de l’α2 -macroglobuline et cicatrisante de la vitamine A. Pour Sharma et al., le sérum du cordon ombilical, comparé au SA et à des larmes artificielles, améliore de façon significative la cicatrisation et la transparence cornéenne, et il réduit l’ischémie limbique et la néovascularisation. Une plus grande concentration d’EGF, TGF-β et NGF expliquerait la supériorité du sérum du cordon ombilical [35]. Les difficultés rencontrées pour la fabrication du SA et du sang de cordon ombilical liées notamment au risque infectieux pour les préparants, au risque de contamination du collyre et à l’absence de codification au sein des établissements de transfusion sanguine en limitent, actuellement en France, leur utilisation.

La thérapie matricielle est en cours d’évaluation depuis quelques années. Le ReGeneraTing Agent (RGTA) OTR4120 s’est révélé efficace sur la cicatrisation cornéenne après brûlure chimique expérimentale ainsi qu’en clinique face à un important déficit en CSL [36].

AUTRES TRAITEMENTS MÉDICAUX

La prévention des infections est assurée par l’administration d’un collyre antibiotique à large spectre faiblement épithélio-toxique (fluoroquinolone) ainsi que par les tétracyclines administrées par voie générale. Les antalgiques sont facilement prescrits par voie orale ou générale car les lésions nerveuses cornéennes peuvent s’accompagner de violentes douleurs. Une hypertonie oculaire, de survenue immédiate ou retardée, sera traitée par des collyres hypotonisants et de l’acétazolamide par voie générale, voire chirurgicalement. Les brûlures oculaires chimiques se compliquent également de lésions rétiniennes dont la prévention pourrait être réalisée par l’administration d’anti-tumor necrosis factor α (anti-TNF-α) [37]. L’oxygénothérapie systémique délivrée à la phase aiguë améliorerait l’ischémie limbique, accélérerait l’épithélialisation et diminuerait la néovascularisation de la cornée. Elle est délivrée à travers un masque facial, à une concentration de 100 %, à un débit de 10 l/min, durant 1 heure, 2 fois/jour en position assise. Il s’agit d’une méthode facile à mettre en œuvre, non invasive et économique [38]. Les facteurs de croissance, comme la fibronectine et l’acide rétinoïque, ne sont pas utilisés en clinique courante. Les lentilles de contact sont peu employées, car elles sont mal supportées et favoriseraient les surinfections.

ALGORITHME DE LA PRISE EN CHARGE EN URGENCE DES BRÛLURES OCULAIRES

Une fois le pH de retour à un niveau normal obtenu grâce au lavage, le traitement médical qui doit être mis en œuvre est moins précis et unanime. Avec un objectif de standardisation et d’efficacité, nous avons exposé l’attitude à adopter en fonction du stade des lésions, exprimé selon les classifications de Roper-Hall et de Dua et al. (fig. 5-1-38) [10, 18, 19, 39]. Les brûlures graves, de surcroît bilatérales, ou de l’enfant nécessitent une prise en charge en hospitalisation complète, car leur surveillance doit être quotidienne et les instillations oculaires fréquentes (toutes les heures pour les corticoïdes les premiers jours).

Fig. 5-1-38
Prise en charge en urgence des brûlures oculaires.

TRAITEMENT CHIRURGICAL

Le pronostic des formes graves de brûlure oculaire s’est notablement amélioré au cours de la dernière décennie grâce aux techniques chirurgicales qui visent à restaurer les CSL détruites.

DÉBRIDEMENT ET EXCISION DES TISSUS NÉCROTIQUES

L’objectif de l’excision est de réduire la réaction inflammatoire induite par les produits de dégradation de la conjonctive nécrotique. Elle limite ainsi la génération de radicaux oxygénés libres cytotoxiques et permet également de retirer du matériel caustique accumulé dans ces tissus. L’excision doit être réalisée si tôt le rinçage du globe oculaire et l’ablation d’éventuel corps étrangers effectués. L’excision de la conjonctive et des tissus sous-conjonctivaux nécrosés doit être conduite jusqu’aux fornix supérieur et inférieur si nécessaire. Seuls les tissus nécrosés et avasculaires sont retirés jusqu’à atteindre les couches tissulaires dont la circulation sanguine a été épargnée [40].

PLASTIE TÉNONIENNE

Dans les brûlures oculaires graves accompagnées d’une perte totale de la vascularisation limbique, outre l’impossibilité prévisible de réépithélialisation secondaire, il existe un risque immédiat de nécrose du segment antérieur. Afin de rétablir une circulation limbique et d’enrayer l’évolution vers la nécrose ou une ulcération aseptique, une plastie ténonienne peut être effectuée. Elle consiste en la réalisation d’un lambeau d’avancement ténonien positionné au niveau du limbe [40]. L’intervention doit être réalisée précocement, aussitôt l’ablation des tissus nécrosés réalisée.

PRÉVENTION DE LA FORMATION DE SYMBLÉPHARONS

La prévention de la survenue de symblépharons est envisagée dans toutes les brûlures étendues de la conjonctive. Plusieurs méthodes sont disponibles : la libération régulière des adhérences, à l’aide d’une baguette de verre ou d’un écouvillon, réalisée sous anesthésie locale ; la mise en place de verres scléraux ou d’anneaux en polyméthylméthacrylate (fig. 5-1-39). Cette prévention repose également sur les mouvements de duction et version effectués par le patient.

Fig. 5-1-39
Brûlure sévère par base.
Anneaux en polyméthylméthacrylate antisymblépharon disposés dans les deux yeux.

ÉPITHÉLIECTOMIE SECTORIELLE

L’épithéliectomie sectorielle, ou cicatrisation dirigée, consiste à retirer l’épithélium conjonctival qui recouvre la cornée plus rapidement que l’épithélium cornéen développé à partir des CSL. Elle est réalisée sous anesthésie topique, au biomicroscope. L’épithélium conjonctival est retiré avec un scarificateur de Desmarres ou une pince de Bonn. Elle peut être renouvelée toutes les 24 à 48 heures [41].

GREFFE DE MEMBRANE AMNIOTIQUE

La membrane amniotique est un tissu situé à l’interface entre le placenta et le liquide amniotique. Elle est constituée d’un épithélium unistratifié, d’une lame basale et d’un stroma avasculaire. Elle contient de très nombreux facteurs de croissance qui facilitent la réépithélialisation en diminuant la réaction inflammatoire et cicatricielle. Elle favorise la migration des cellules épithéliales et l’adhésion des cellules basales. Elle se comporte comme une véritable membrane basale de substitution et favorise l’expression phénotypique épithéliale. Dépourvue des antigènes human leucocyte antigen (HLA) de classe II, la membrane amniotique n’est pas soumise à la réaction de rejet. Elle possède également des propriétés antibactériennes, anti-angiogéniques et antalgiques [42]. Elle est disposée face épithéliale vers le bas (en patch ou inlay), afin de délivrer le maximum de facteurs de croissance (contenus dans l’épithélium de la membrane amniotique) à la surface oculaire. Elle est suturée à la cornée désépithélialisée par des points séparés de Nylon 10/0. Plusieurs couches peuvent être disposées les unes sur les autres. La membrane amniotique est recouverte par l’épithélium cornéen, intégrée au stroma, puis résorbée.

La greffe de membrane amniotique doit être réalisée durant la première semaine. Il faut recouvrir la totalité de la cornée ainsi que les zones où la conjonctive ischémique aura été réséquée. Dans les déficits partiels en cellules souches, la réépithélialisation serait supérieure à 75 % dans les 15 jours, l’acuité visuelle améliorée dans 77 % des cas et les symblépharons rares. Réalisée plus tardivement, de bons résultats sont également observés. Cependant l’efficacité de la membrane amniotique est moindre dans les brûlures sévères caractérisées par un déficit total en CSL. La greffe de membrane amniotique ne suffit donc pas à traiter une déficience sévère en CSL. Dans ce cas, il faut l’associer à une greffe limbique.

La membrane amniotique peut être aussi utilisée pour la réfection des culs-de-sac de la conjonctive après l’exérèse des symblépharons. Commercialisé aux États-Unis, ProKera ® est un dispositif constitué d’une membrane amniotique cryoconservée et fixée sur un anneau concave (façon anneau antisymblépharon). Ne nécessitant pas de sutures, il peut facilement être mis et place et retiré [43].

GREFFE DE LIMBE ET DE CELLULES SOUCHES LIMBIQUES

L’autogreffe de limbe, décrite par Kenyon et Tseng en 1989, est la technique de choix du traitement de la destruction du limbe cornéen et de ses complications [44, 45]. Elle s’adresse aux insuffisances limbiques unilatérales lorsqu’il existe un œil donneur sain controlatéral. La totalité du pannus conjonctival qui recouvre la cornée brûlée est retirée jusqu’au stroma cornéen sous-jacent et au-delà du limbe sur environ 3 mm. Les néovaisseaux cornéens sont électrocoagulés. Le greffon est prélevé à partir d’une incision cornéenne située 1 mm en avant du limbe, poursuivie par une tunnelisation centrifuge d’environ 2 mm en arrière. Afin de ne pas induire une insuffisance limbique iatrogène sur l’œil donneur, la longueur du greffon ne doit pas dépasser 180°. Le greffon est suturé sur le site receveur par des points séparés de Nylon 10/0 à la cornée et par du fil résorbable 8/0 à la conjonctive. L’autogreffe de limbe permet l’obtention d’une réépithélialisation cornéenne de bonne qualité dans 75 à 100 % des cas et la constitution d’une barrière aux phénomènes néovasculaires cicatriciels d’origine conjonctivale [44, 46]. L’autogreffe de limbe doit être réalisée à distance de la brûlure (au minimum 6 mois) sur un œil non inflammatoire. Cependant certains préconisent la pratique de l’intervention plus tôt, c’est-à-dire avant l’apparition des complications, lorsque le déficit en CSL est sévère [9, 46].

L’objectif de l’allogreffe de limbe, comme celui de l’autogreffe, est de restaurer un phénotype épithélial cornéen normal. L’allogreffe de limbe s’adresse à des lésions limbiques étendues bilatérales ou unilatérales sur un œil unique. Le tissu est prélevé sur un greffon cornéen ou sur un œil conservé par une banque de tissus. Le greffon doit remplir les mêmes conditions de sécurité sanitaire qu’une greffe de cornée. L’allogreffe s’accompagne d’un risque majeur de rejet, qui impose une immunosuppression prolongée (corticothérapie orale, ciclosporine, etc.). Les résultats obtenus sont inférieurs à ceux de l’autogreffe, seuls 10 à 45 % des yeux conservent une acuité visuelle supérieure ou égale à 1/10 après 5 ans [46]. L’allogreffe, obtenue chez un donneur apparenté, fournit un tissu frais sans conservation préalable, ainsi qu’une meilleure compatibilité HLA, mais ne dispense pas d’un traitement immunosuppresseur systémique [46]. L’autogreffe de CSL cultivées sur une membrane amniotique est une technique récente. Un fragment d’épithélium limbique de 1 X 2 mm est prélevé sur l’œil sain, sans risque d’induire un déficit secondaire en CSL. Il est ensuite cultivé pendant 3 semaines sur une membrane amniotique, permettant d’obtenir un greffon d’environ 2 cm de diamètre. Le tissu épithélial est greffé avec la membrane amniotique sur la cornée receveuse [47].

KÉRATOPLASTIE

Une kératoplastie transfixiante (KT) d’un diamètre de 11 à 12 mm procure un double avantage : celui d’une KT à visée optique ou architectonique et celui d’un apport en CSL. Cependant elle est associée à un risque important de rejet qui, en pratique, en grève les résultats. Elle est avantageusement remplacée par une greffe de CSL préalable, suivie (entre 1 et 13 mois) d’une KT de diamètre classique. Le risque de rejet des KT, globalement de 10 %, est plus élevé en cas de brûlures chimiques, notamment en raison de la fréquence et de l’importance de la néovascularisation stromale de la cornée réceptrice. La KT peut aussi être réalisée dans le même temps opératoire qu’une allogreffe de limbe.

Une transposition de cornée (auto-KT) associée à une autogreffe de limbe peut exceptionnellement être réalisée comme l’illustre la figure 5-1-40 : il s’agissait d’un patient monophtalme de l’œil gauche victime sur cet œil d’une brûlure de stade 4 par une base forte. Deux KT avaient conduit à un échec par rejet successif. L’acuité visuelle de l’œil gauche était réduite à une bonne localisation lumineuse. La cornée était blanche, ulcérée et néovascularisée. Il existait une insuffisance limbique totale. L’œil droit était non fonctionnel depuis l’enfance, consécutif à une contusion fermée. Nous avons au cours du même temps opératoire prélevé sur l’œil droit la cornée (trépanation de 8 mm) ainsi que le limbe sur 360°. Après avoir pratiqué l’ablation du pannus conjonctival qui recouvrait le limbe et la cornée de l’œil gauche, nous avons transplanté la cornée et le limbe prélevés sur l’œil droit.

Fig. 5-1-40
Aspects préopératoire (a, b) et 1 mois postopératoire (c, d) d’une transposition cornéenne sur brûlure.
a. Œil droit. Absence de perception lumineuse. Cornée claire, segment antérieur calme, synéchies postérieures anciennes, aphaquie extracapsulaire chirurgicale. Tonus oculaire normal. b. Œil gauche. Acuité visuelle limitée à une bonne orientation lumineuse. Cornée blanche, œdémateuse, ulcérée et néovascularisée. Insuffisance limbique totale en rapport avec une destruction du limbe sur 360°. c. Œil droit. Cornée dégénérative de l’œil gauche suturée par 16 points séparés de Nylon 10/0. d. Œil gauche. Cornée claire de l’œil droit suturée par 16 points séparés de Nylon 10/0. Autogreffe de limbe de 360° prélevée sur l’œil droit et suturée par 8 points séparés de Nylon 10/0 sur le versant cornéen et par 8 points séparés de Vicryl ® 8/0 sur le versant conjonctival.

La kératoplastie lamellaire (KL) profonde s’adresse à des brûlures cornéennes ayant épargné la membrane de Descemet et l’endothélium. Comparé à celui de la KT, le risque d’échec est moindre, même lorsque la cornée est néovascularisée de façon très importante [48]. La KL de grand diamètre a été proposée par Vajpayee en 2000. Elle apporte des CSL et permet d’obtenir une surface oculaire réépithélialisée stable. Elle est indiquée lorsque les couches profondes de la cornée ont été respectées par la brûlure [49].

La profondeur de la conjonctivalisation de la cornée peut être appréciée grâce à la tomographie en cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]), qui permet de guider la stratégie chirurgicale. La microscopie confocale in vivo et les OCT plein champ peuvent aider à explorer les niches de CSL. Une atteinte du stroma cornéen relève :

  • ±

    d’une greffe de limbe seule, si elle est de moins d’un tiers de profondeur ;

  • ±

    d’une greffe de limbe et d’une KL ou d’une KL profonde, si elle est inférieure à deux tiers ;

  • ±

    d’une greffe de limbe et d’une KT, si elle comprend toute l’épaisseur [50].

AUTRES TRAITEMENTS CHIRURGICAUX : TRANSPLANTATION CONJONCTIVALE, GREFFE DE MUQUEUSE BUCCALE OU NASALE, KÉRATOPROTHÈSE

La transplantation conjonctivale garde des indications en matière de restauration des culs-de-sac conjonctivaux remaniés par la fibrose cicatricielle.

La muqueuse buccale, habituellement prélevée au niveau de la face postérieure de la lèvre inférieure ou supérieure, peut être utilisée pour traiter un symblépharon, un trichiasis, un distichiasis, un entropion ou une zone kératinisée de la conjonctive ou du bord palpébral. La greffe de muqueuse nasale est obtenue à partir du septum, du cornet inférieur ou moyen. L’avantage de la greffe de muqueuse nasale est la possibilité d’obtenir des greffons de grande taille et la transplantation de cellules à mucus intraépithéliales [51].

Les kératoprothèses restent l’ultime recours chirurgical des cécités cornéennes bilatérales, lorsque KT et greffes de CSL ne sont plus réalisables. Bien que difficile à mettre en œuvre, elles sont toujours d’actualités car les résultats sont parfois très encourageants.

Traitement préventif

Le traitement préventif vise avant tout le monde industriel dans tous ses secteurs d’activité. L’industrie chimique est particulièrement exposée en raison de la manipulation de produits à forte concentration et d’un risque d’accident existant dès la réception des matières premières jusqu’au départ des produits finis. Outre la parfaite aération des lieux de travail et une installation étudiée des machines, la protection des individus est fondamentale. Elle repose sur : la formation au risque chimique ; l’établissement d’un protocole standardisé de la prise en charge des brûlures porté à la connaissance de tous les personnels ; le port de lunette de protection ; la généralisation de la mise à disposition dans les sites dangereux de solution de rinçage oculaire ; le travail à deux obligatoire dans les endroits dangereux ; voire le port individuel d’une solution de rinçage.

L’étiquetage des substances et préparations chimiques dangereuses est souvent la première information. Elle est essentielle car elle nous informe des dangers et des précautions à prendre lors de l’utilisation. Un grand nombre de brûlures est lié à la manipulation du flacon d’emballage, notamment lors de l’ouverture. Il s’agit souvent d’un berlingot ou d’un flacon en matière plastique facilement compressible sans système de sécurité pour l’ouverture. Ce mode de conditionnement n’est absolument pas adapté à la dangerosité du contenu comme l’avait déjà montré Pouliquen en 1972 [52].

Pour les enfants, il faut rendre les produits dangereux inaccessibles, veiller à leur conditionnement sûr et difficile à ouvrir.

Des produits chimiques bon marché, des recettes d’explosifs sur Internet et l’importation d’artifices de divertissement illégaux sont autant de situations dangereuses suggérant une législation plus contraignante et restrictive. Les artifices de divertissement illégaux sont dangereux car ils ne respectent pas les normes de sécurité, sont dépourvus de consignes de sécurité et ne fonctionnent pas correctement. Ainsi, l’incidence des accidents en rapport avec les artifices de divertissement est 10 fois moins importante dans les États américains qui en ont interdit l’usage [53].

Évolution et pronostic
ÉVOLUTION NATURELLE D’UNE BRÛLURE CHIMIQUE

L’histoire naturelle des brûlures oculaires chimiques dépend de la nature du produit incriminé, cependant toutes partagent plusieurs éléments évolutifs en commun. Ainsi à une phase de sidération initiale succède au bout de quelques minutes à quelques heures une phase de détersion des lésions nécrotiques, puis de cicatrisation.

La détersion se caractérise par un afflux de cellules inflammatoires attirées par les produits de dégradation de la cornée et de la conjonctive (radicaux libres, prostaglandines, leucotriènes, etc.). Les brûlures pas bases libèrent de la N-acétyl-proline-glycine-proline et de la méthyl-proline-glycine-proline qui attirent et favorisent la prolifération des polynucléaires neutrophiles. Ces cellules inflammatoires sécrètent différentes enzymes de détersion comme les métallo-protéinases matricielles (collagénases, gélatinases, stromélysines, membrane type protéinase et matrilysine) qui participent à la détersion en dégradant le collagène, tout en accentuant la destruction des structures oculaires. Une activité de détersion trop importante s’accompagne d’un risque de perforation, et une activité insuffisante d’un risque d’infection.

La cicatrisation se produit grâce à la persistance de tissus sains autour de la blessure. Elle concerne les lésions ischémiques consécutives à la destruction du réseau vasculaire et les lésions des cellules cornéennes et conjonctivales. Les cellules ischémiques produisent des facteurs comme le VEGF, le TGF et le fibroblast growth factor (FGF) qui favorisent la prolifération des vaisseaux au sein des tissus brûlés. Autant cette néovascularisation est opportune pour la conjonctive, autant elle apparaît délétère pour la cornée et le segment antérieur. La cicatrisation de l’épithélium cornéen s’effectue grâce au renouvellement cellulaire initié au niveau du limbe dans les cryptes épithéliales [54]. Le mode de cicatrisation a été décrit par Thoft selon les trois axes XYZ de la migration des CSL :

  • ±

    X : migration antérieure ;

  • ±

    Y : migration centripète ;

  • ±

    Z : migration vers la surface.

Il explique la cicatrisation d’une lésion cornéenne centrale par une migration centripète sur la totalité du pourtour et celle d’une lésion périphérique par une migration circonférentielle des cellules adjacentes [55]. Cependant, d’autres mécanismes de cicatrisation de l’épithélium cornéen, qui ne dépendent pas des CSL, existent. Ils permettent la cicatrisation de la cornée centrale malgré la destruction totale du limbe. Ils suggèrent l’existence de cellules souches réparties sur toute la surface de la cornée. La cicatrisation du stroma cornéen dépend des kératocytes, capables à la fois de détruire et de sécréter le collagène (principalement de type I), qui représente 80 % des constituants du stroma. Le métabolisme des kératocytes est régulé par les cytokines de l’épithélium et des cellules inflammatoires. Les kératocytes migrent des régions adjacentes vers la zone lésée de la cornée. Dans les brûlures sévères, l’activité de synthèse et de dégradation du collagène de type I est maximale à la 3e semaine. Elle dépend de l’acide ascorbique, dont la quantité retrouvée dans l’humeur aqueuse est réduite lors d’une brûlure chimique [33]. Lorsque les kératocytes sont totalement détruits, des fibroblastes fabriquent du collagène de type III, progressivement remplacé par du collagène de type I qui contribue à redonner à la cornée sa transparence et sa résistance. La cicatrisation de la conjonctive peut se faire par la transformation des cellules survivantes en fibroblastes ou par la division des cellules souches situées au niveau des fornix. L’apparition d’un tissu fibroblastique est à l’origine de la constitution des symblépharons et de l’opacification de la cornée en cas de destruction totale des cellules souches limbiques et cornéennes. Le comblement de l’angle iridocornéen par ce tissu se complique d’une hypertonie oculaire. Les lésions des terminaisons nerveuses sont constantes. Elles diminuent la sensibilité de la cornée et conditionnent le pronostic.

PRONOSTIC SELON LES PROPRIÉTÉS DE L’AGENT VULNÉRANT

La gravité des lésions est fonction de : la nature, la concentration, la quantité, la durée d’exposition, la force d’impact, le pH, la substance chimique et l’aire de contact avec le globe oculaire [9]. La température intervient également. Une solution bouillante est plus dommageable qu’une solution froide. Les particules de métal en fusion, les solides et les huiles ne sont pas retirés par le clignement et les poudres s’accumulent dans les culs-de-sac de la conjonctive. La pression et le transfert d’énergie sont à l’origine d’une déstructuration mécanique des tissus. Ils favorisent la pénétration intra-oculaire des liquides. Les bases pénètrent plus rapidement et profondément les milieux oculaires. L’anion saponifie les acides gras des membranes cellulaires et provoquent la mort des cellules épithéliales instantanément. Le cation, en réagissant avec le groupe carboxyl du collagène et des glycosaminoglycanes de la matrice extracellulaire, facilite la pénétration intra-oculaire de la base. L’ammonium (NH4+) pénètre le plus rapidement. Le pH de la chambre antérieure se modifie dans les secondes qui suivent l’application de l’ammoniaque. Outre les lésions de la cornée, en fonction de l’importance de la pénétration, l’iris, l’angle iridocornéen, le corps ciliaire et le cristallin peuvent être atteints. La destruction totale du globe oculaire est possible [13]. Après le retour à un pH normal à la surface de la cornée, le pH de l’humeur aqueuse se normalise en 30 minutes à 3 heures. Au-dessus d’un pH de 11,5, les lésions oculaires induites par les bases sont rapides et irréversibles. Les acides pénètrent moins rapidement que les bases. Les protons (H+) précipitent et dénaturent les protéines. Les cellules superficielles ainsi que la matrice extracellulaire sont détruites. La coagulation superficielle ainsi créée limite la pénétration plus profonde de l’acide dans la cornée. Après avoir retiré l’épithélium nécrotique, le stroma sous-jacent peut parfois apparaître parfaitement transparent. Cependant les lésions occasionnées par les acides forts sont superposables à celles constatées avec les bases car en dessous d’un pH de 2,5 les lésions sont profondes et nécrosantes.

PRONOSTIC SELON L’EXAMEN CLINIQUE INITIAL

Si les lésions de stade 1 et 2 guérissent assez rapidement et avec peu de séquelles, la cicatrisation des atteintes plus sévères (stades 3 et 4) est conditionnée par les lésions associées du limbe et de la conjonctive [9]. La déficience en CSL se traduit sur le plan histologique par un envahissement de la surface cornéenne par un épithélium de type conjonctival qui comporte des cellules caliciformes. Cliniquement, la déficience en CSL se caractérise par ;

  • ±

    une irrégularité de la surface épithéliale bien visible en lumière bleue après avoir instillé de la fluorescéine :

  • ±

    une instabilité du film lacrymal ;

  • ±

    la survenue d’ulcérations épithéliales récidivantes, chroniques ou stériles, d’une opacification stromale, d’une néovascularisation et d’un pannus cornéen conjonctival fibrovasculaire (fig. 5-1-41).

    Fig. 5-1-41
    Brûlure par base forte, déficience totale en cellules souches limbiques.
    a. Opacification du stroma cornéen, ulcération chronique et stérile, néovascularisation circonférentielle. b. Pannus cornéen conjonctival fibrovasculaire.

Les lésions de la conjonctive provoquent une altération du film lacrymal et conduisent souvent à une rétraction à l’origine de symblépharons. En cas de brûlures sévères, outre des lésions de nécrose cornéenne ou de la conjonctive, des complications intra-oculaires sont fréquentes. Il s’agit de cataractes, de lésions endothéliales, de membranes rétrocornéennes, d’une surinfection, d’une inflammation intra-oculaire ou de synéchies antérieures ou postérieures [10]. Une hypertonie oculaire est fréquente et une hypotonie, en rapport avec des lésions du corps ciliaire sévères, est un facteur de très mauvais pronostic. Une sécheresse oculaire est souvent associée. Perforation et phtise sont les complications ultimes (fig. 5-1-42). Les lésions des paupières peuvent se compliquer d’une fibrose du tarse, d’un dystrichiasis, d’un entropion ou d’un ectropion. Une lagophtalmie peut être d’origine cicatricielle, liée à un œdème important des paupières, ou consécutive à des désordres centraux en rapport avec une sédation. Une lagophtalmie entrave la cicatrisation épithéliale. En cas de brûlure par base, d’autres organes peuvent être atteints, comme les voies aériennes supérieures et les poumons par les fumées alcalines toxiques.

Fig. 5-1-42
Brûlure par base forte, aspect séquellaire tardif.
Opacification cornéenne totale, ulcération chronique et stérile, néovascularisation circonférentielle.

Conclusion

Les brûlures, notamment chimiques, sont fréquentes parmi les urgences oculaires ; elles peuvent être responsables d’une altération sévère, bilatérale et irréversible de la fonction visuelle. L’examen clinique initial est difficile à réaliser car la symptomatologie fonctionnelle est bruyante. Il permet de classer les lésions, d’établir un pronostic et surtout de guider la prise en charge thérapeutique. Le lavage oculaire occupe une place prépondérante et ses règles d’exécution doivent être connues de tous, non seulement des ophtalmologistes, mais aussi des personnels susceptibles de recevoir les urgences oculaires (médecins urgentistes, généralistes, du travail, soignants non médicaux, etc.). Grâce à une meilleure connaissance de la physiologie de l’épithélium cornéen, le pronostic des formes graves s’est amélioré. Cependant, afin d’en diminuer l’incidence, la prévention est essentielle car un grand nombre d’observations dramatiques peuvent être évitées avec un minimum d’information, de formation et de réglementation.

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5.1.6. URGENCES MÉCANIQUES DES LENTILLES DE CONTACT

A. SARFATI

Points forts

  • Les urgences contactologiques traumatiques sont principalement liées à : un choc direct, un corps étranger, un problème d’adaptation ou une erreur de manipulation.

  • Les urgences contactologiques traumatiques qui sont liées à un choc ou à la présence d’un corps étranger font considérer la possibilité d’un item d’urgence associé de type plaie ou contusion oculaires.

  • La prise en charge impérieuse des items d’urgence traumatiques en contactologie est principalement dictée par la douleur généralement intense, sans que le pronostic oculaire ne soit nécessairement engagé.

Introduction

Les complications non infectieuses des lentilles de contact autres que traumatiques sont abordées de manière exhaustive dans le rapport de la Société française d’ophtalmologie (SFO) consacré aux lentilles de contact [1]. Il s’agit principalement des complications allergiques, inflammatoires et hypoxiques. Les urgences infectieuses sont abordées dans le chapitre 5.2.1 (voir le paragraphe « Kératites infectieuses »).

Les urgences traumatiques en contactologie sont rares. Elles peuvent être cependant associées à tout traumatisme oculaire survenant chez un porteur de lentilles de contact.

On distingue ces urgences en fonction du type de lentille portée. Chez un patient porteur de lentilles rigides perméables aux gaz (LRPG), la symptomatologie fonctionnelle est marquée, au premier plan. L’item d’urgence est reconnu sans délai et reste donc plus volontiers circonscrit. En revanche, chez les porteurs de lentilles souples hydrophiles (LSH), l’effet antalgique, ou effet de lentille « pansement », masque ou retarde volontiers les signes fonctionnels. À l’urgence traumatique peut donc se surajouter d’autres types d’urgences, en particulier inflammatoires ou infectieuses. Comme d’autres items d’urgence, il a été proposé que l’urgence contactologique soit quantifiée en cinq grades [2, 3]. Ainsi, chaque item d’urgence traumatique ou mécanique contactologique peut, selon l’intensité de sa présentation, être quantifié d’un grade allant de 0 à 4 (encadré 5-1-6).

Encadré 5-1-6
Grades de l’urgence contactologique [3]

  • Grade 0 : examen normal, pas de changement tissulaire.

  • Grade 1 : trace observable, pas d’action clinique nécessaire.

  • Grade 2 : signes physiques mineurs, action clinique potentiellement requise.

  • Grade 3 : signes physiques modérés, action clinique habituellement recommandée.

  • Grade 4 : signes physiques sévères, action clinique urgente requise.

Habituellement, les items d’urgence traumatiques de contactologie demandent des prises en charge en triage de catégorie 2 en raison de la douleur bruyante provoquée, même si le pronostic n’est généralement pas engagé.

CONTEXTE

On distingue deux types de contexte selon que le patient est porteur de lentilles de contact rigides ou souples.

Présentation clinique
SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux : aucun ou trouble anxieux.

  • ±

    Spécifiques :

    • ils sont contextuels ;

    • ils sont généralement bruyants, latéralisés du côté de la lentille à l’origine du problème ;

    • on note selon le contexte une gêne allant de la sensation de corps étranger (SCE) à une douleur aiguë avec blépharospasme et larmoiement, un œil rouge, un trouble visuel permanent.

PORTEURS DE LENTILLES RIGIDES PERMÉABLES AUX GAZ
Urgence liée à un choc direct

Dans la majeure partie des cas la lentille est luxée. Elle est perdue à l’expulsion. Il se peut qu’en cas de choc direct, la lentille se brise ou s’ébrèche (fig. 5-1-43). Elle entraîne alors des lésions de cornée à type d’érosion épithéliale. Il faut rechercher une dispersion des fragments de la lentille dans les espaces sous-conjonctivaux supérieur et inférieur.

Fig. 5-1-43
Lentille rigide ébréchée (flèches) entraînant rougeur limbique et sensation de corps étranger.

Le patient se présente en consultation d’urgence généralement sans délai car la symptomatologie fonctionnelle est brutale et bruyante.

SIGNES FONCTIONNELS

Le choc direct sur LRPG entraîne habituellement la symptomatologie suivante : forte SCE, larmoiement, blépharospasme nécessitant parfois d’instiller un anesthésique local pour pratiquer l’examen.

SIGNES CLINIQUES BIOMICROSCOPIQUES

On peut observer une hyperhémie conjonctivale réactionnelle et/ou un ulcère épithélial cornéen. L’instillation de fluorescéine permet d’objectiver la taille et la profondeur des lésions cornéennes. Il est inhabituel que les lésions cornéennes soient transfixiantes. Ensuite, le test à la fluorescéine aide à rechercher de principe un signe de Seidel ou des fragments de lentille résiduels dans les culs-de-sac conjonctivaux et sous la paupière supérieure après son éversion.

CONDUITE À TENIR

En préambule, il faut garder à l’esprit de prendre en charge un choc comme une contusion du globe avec corps étranger, jusqu’à preuve du contraire. Cet aspect n’est pas traité dans ce chapitre, même s’il peut être associé et nécessiter une prise en charge simultanée adaptée (voir chapitres 5.1.1 à 5.1.3).

Plus spécifiquement, il faut s’assurer de retirer le corps étranger que représente éventuellement la LRPG endommagée. Il faut rincer les culs-de-sac conjonctivaux au sérum physiologique. Si nécessaire, on pratiquera l’ablation des fragments de lentille à la pince.

On propose l’instillation de cicatrisants et d’antiseptiques locaux ou d’antibiotiques locaux selon le contexte septique potentiel (hygiène, lésion par végétal, contamination tellurique, mécanisme traumatique). Il est d’usage de proposer un contrôle 8 jours après le traumatisme, afin de vérifier la cicatrisation et l’intégrité de la cornée et avant d’autoriser la repose de la lentille.

Urgence liée à un corps étranger sous lentilles rigides perméables aux gaz

Le corps étranger est assez fréquent chez les porteurs de lentilles rigides. Tout corps étranger déclenche sous LRPG un larmoiement réflexe. Dans la majorité des cas, ce dernier expulse le corps étranger. Cependant le retrait et le rinçage de la lentille peuvent être nécessaires si la gêne persiste. Le patient doit donc être informé de cette éventualité et éduqué aux manipulations de « retrait d’urgence ».

SIGNES FONCTIONNELS

Le patient, brutalement, ne tolère plus le port de sa LRPG. Il se plaint d’une gêne qui persiste malgré l’ablation de la lentille. Il larmoie.

SIGNES PHYSIQUES

On note une hyperhémie conjonctivale réactionnelle. On peut observer après instillation de fluorescéine des stries épithéliales prenant le marquage de fluorescéine. Elles correspondent à des « rayures cornéennes » qui marquent le trajet du corps étranger, lésant l’épithélium sous la pression de la lentille sous laquelle il se trouve.

CONDUITE À TENIR

Le retrait immédiat et le rinçage de la lentille sont souvent instinctivement pratiqués par le patient. Dans les autres cas, ils sont pratiqués lors de l’examen. On propose des collyres cicatrisants ± antiseptiques locaux. L’autorisation de port de la LRPG peut être donnée immédiatement en l’absence de lésion épithéliale et après un délai empirique de 48 heures en cas de lésion épithéliale strictement superficielle. Un contrôle est recommandé seulement en cas de lésion profonde ou de signe de surinfection (opacité, œdème).

Urgence liée à l’entretien des lentilles rigides

Une lentille rigide mal entretenue entraîne des complications mécaniques potentielles, en plus des redoutables complications infectieuses éventuelles. Il s’agit des LRPG qui ne sont pas remplacées à échéance maximale (classiquement 2 ans) ou qui ne sont pas déprotéinisées régulièrement. Mal entretenue, une LRPG accumule des résidus protéiques et organiques de surface (fig. 5-1-44a ). Ces protéines dénaturées accumulées sur la lentille génèrent un inconfort, une SCE avec irritation de type mécanique et sont associées à des phénomènes inflammatoires conjonctivaux souvent chroniques, mais parfois aigus (fig. 5-1-44b ). Enfin, une lentille peut être ébréchée par un problème de manipulation à l’insu du patient ou par un patient qui ne mesure pas immédiatement les conséquences potentielles (voir fig. 5-1-43 ). Une lentille ébréchée peut provoquer un ulcère épithélial érosif.

Fig. 5-1-44
Lentille rigide non déprotéinisée entraînant une baisse de l’acuité visuelle (a) et/ou une inflammation oculaire (b).

Urgence liée à une mauvaise adaptation
SIGNES FONCTIONNELS

Une lentille trop plate se luxe en position haute et entraîne une empreinte limbique (fig. 5-1-45 et 5-1-46 ). L’empreinte peut générer un gêne à long terme, surtout pour les lentilles de grand diamètre. La symptomatologie fonctionnelle consiste en une forte SCE et un inconfort à la pose augmentant dans la journée.

Fig. 5-1-45
Ventousage cornéen avec une LRPG (a) et avec une lentille d’orthokératologie (b).
Fig. 5-1-46
Ulcération centrale après ablation d’une lentille rigide trop serrée.
L’empreinte de la lentille est visible sur 360°.

Une lentille trop serrée s’immobilise en position basse avec effet de ventousage sclérocornéen (fig. 5-1-45) avec difficulté à la dépose et SCE après avoir enlevé la lentille alors que le port peut être indolore.

SIGNES PHYSIQUES

Si l’adaptation est trop plate, on observe un aspect « en coup de bêche » au limbe supérieur et quelquefois une érosion cornéenne arciforme en regard. Si l’adaptation est trop serrée, on note une empreinte cornéenne avec érosion épithéliale. Parfois l’empreinte de la géométrie de la lentille est visible sur la cornée à l’instillation de la fluorescéine (fig. 5-1-45b et 5-1-46 ).

CONDUITE À TENIR

Avant tout, il faut revoir l’adaptation après dépose permanente des lentilles au moins 1 mois.

Ensuite, si la lentille est encore ventousée sur l’œil du patient, il convient de bien hydrater avec du sérum physiologique et exercer une pression sur le bord inférieur de la lentille afin d’en décoller le bord supérieur et d’enlever la lentille.

En présence d’érosion fluo-positive après la dépose de la lentille, il faut prescrire un traitement hydratant ainsi que cicatrisant. La question d’une biomécanique cornéenne pathologique peut se poser.

PORTEURS DE LENTILLES SOUPLES HYDROPHILES

Chez ces porteurs, le risque infectieux est beaucoup plus important que chez les porteurs de LRPG (voir chapitre 5.2.1). Le port prolongé est en soi un facteur de risque de développer une complication quelle qu’elle soit [4]. Une étude sur 1276 patients porteurs de LSH suivis sur au moins 2 ans à travers 4120 consultations a montré que « seuls » 82 % des patients n’avaient pas développés de complication [5]. Bien entendu, il s’agissait de toutes les complications confondues parmi lesquelles les complications mécaniques. L’étude indiquait également que l’âge inférieur à 25 ans est un facteur de risque quel que soit le type de complication. Ainsi, en cas de lésions traumatiques, une surveillance plus vigilante et rapprochée que celle pour les LRPG s’impose. En effet, l’épithélium cornéen est plus aminci sous une LSH, surtout si elle n’a pas une bonne perméabilité à l’oxygène. La cornée est plus vulnérable. Il est nécessaire de prévenir le patient de consulter devant toute baisse d’acuité visuelle, toute douleur augmentant ou devant l’apparition de sécrétions.

Urgence liée à un choc direct

Contrairement au LRPG, la LSH traumatisée reste en place. Habituellement, c’est le porteur qui signale sa présence. On est alors dans le cadre urgent d’un traumatisme oculaire (voir chapitre 5.1.2). Il faut absolument vérifier l’intégrité de la cornée après la dépose des lentilles en cas de choc léger malgré l’absence de signe fonctionnel. En effet, la LSH peut avoir un effet antalgique (lentille pansement). Elle peut aussi masquer un signe de Seidel qu’aurait provoqué un corps étranger transfixiant passé inaperçu.

Urgence liée à un corps étranger sous lentilles souples hydrophiles

Une telle urgence reste rare chez les porteurs de LSH. Cet incident survient principalement à la pose d’une lentille mal rincée, avec un corps étranger manuporté. Il peut s’agir de toutes sortes de choses, allant de la poussière minérale ou organique à la fibre textile. Le résidu de maquillage est fréquent, imposant de se maquiller après la pose de ses LSH et de se démaquiller après leur dépose.

Devant toute sensation de corps étranger, il faut enlever la lentille la rincer avec soit du sérum physiologique, soit une solution de nettoyage multifonction (attention à ne jamais rincer accidentellement une lentille souple avec un système oxydant qui ne serait pas neutralisé). La gêne doit cesser immédiatement à la dépose. Si toutefois elle augmente, une lésion cornéenne doit être évoquée, qui déclenche une consultation ophtalmologique. Si, bien que soulagé à la dépose, la gêne persiste à la repose, il faut jeter la lentille et utiliser une lentille neuve.

Les symptomatologies fonctionnelles et physiques sont alors superposables à l’item sous LRPG.

Urgence liée à la manipulation des lentilles souples hydrophiles

Le plus souvent, l’urgence est constituée par le traumatisme d’un coup d’ongle qui peut entraîner une ulcération cornéenne. Les accidents mécaniques liés aux LSH sont d’autant plus fréquents que l’utilisateur est inexpérimenté [6].

Une lentille souple peut se déchirer. La pose d’une lentille déchirée entraîne une gêne modérée au début, qui s’aggrave en fin de journée et qui est responsable d’une SCE, d’une hyperhémie et d’un larmoiement.

Une lentille souple peut se luxer. Dans le cul-de-sac supérieur, habituellement, la gêne est immédiate. Le patient présente une forte SCE, tandis qu’aucune lentille n’est présente sur la surface cornéenne. Le diagnostic est fait par la manœuvre de retournement du tarse palpébral supérieur, exposant une LSH souvent pliée en deux, qu’il convient d’ôter. Lorsque la lentille se luxe hors de l’œil, l’épisode peut passer inaperçu. À l’ablation quotidienne vespérale, le patient pince son épithélium cornéen plutôt que sa lentille qu’il souhaite enlever. La lésion épithéliale qu’il entraîne génère une SCE. L’échec du retrait associé à la SCE pousse le malheureux patient à insister, parfois jusqu’à peler son épithélium cornéen. Cela aggrave la SCE, persuadant le patient que sa LSH persiste. C’est le syndrome de la « lentille fantôme ». L’examen montre un ulcère épithélial isolé, plus ou moins étendu. Il est souvent difficile d’expliquer au patient qu’il n’est pas possible de retirer sa lentille car elle n’est plus sur sa surface oculaire. Le traitement consiste en la prescription de cicatrisants locaux, d’antalgiques locaux (mydriatiques) et généraux, voire d’occlusion palpébrale antalgique. La cicatrisation épithéliale est complète généralement dans les 48 heures.

Urgence liée à une mauvaise adaptation

Une lentille trop serrée entraîne un syndrome de serrage ou ventousage périphérique avec rougeur et empreinte conjonctivale. Lors de l’accident aigu, on peut noter des petits infiltrats prélimbiques et une kératite ponctuée superficielle (KPS). La lentille est totalement immobile. Lorsque ce serrage persiste, on peut noter une empreinte cornéenne à la dépose avec irrégularité de l’épithélium si la lentille est peu perméable à l’oxygène.

Une lentille trop plate se déplace de façon excessive à chaque clignement. Elle peut entraîner des empreintes à distance du limbe prenant la fluorescence dans les aires inférieure ou supérieure.

Dans tous les cas, il est proposé d’arrêter le port au moins 8 jours voire plus ; la dépose est de 1 mois s’il s’agit d’une LSH à faible perméabilité à l’oxygène.

Urgence liée à une lentille souple hydrophile mal entretenue
DÉFAUT D’ENTRETIEN

Comme pour les LRPG, une LSH peut présenter des dépôts en surface interne et externe qui entraînent une SCE, des réactions inflammatoires conjonctivales, mais surtout augmentent le risque infectieux. La lentille peut présenter une altération des bords (perte de substance) entraînant des micro-érosions juxtalimbiques.

MÉSUSAGE DES SYSTÈMES OXYDANTS

Parmi les systèmes d’entretien des LSH, les solutions multifonctions n’ont pas besoin d’être neutralisées et peuvent entrer en contact direct avec l’œil. En revanche, les oxydants doivent impérativement être neutralisés. S’ils sont en contact direct sur la lentille puis sur l’œil sans être neutralisés préalablement, ils provoquent une KPS sévère par la toxicité du peroxyde d’hydrogène actif. Il s’agit d’un accident non exceptionnel. Il survient chez un patient qui n’a pas lu la notice d’un produit qu’il emploie pour la première fois et/ou en raison d’une erreur d’inattention, d’un oubli de la neutralisation, d’un non-respect du temps de neutralisation ou d’une mauvaise éducation thérapeutique lors de la délivrance du système de nettoyage. À la concentration de 3 % des produits d’entretien, le peroxyde d’hydrogène n’entraîne pas de lésion laissant potentiellement des séquelles [7].

SIGNES FONCTIONNELS

Il s’agit d’une douleur aiguë avec rougeur obligeant le patient à enlever sans délai sa lentille. Les symptômes persistent à la dépose en cas de lésion cornéenne.

SIGNES PHYSIQUES

On note une hyperhémie limbique diffuse associée à une KPS diffuse.

CONDUITE À TENIR

La conduite à tenir associe le rinçage abondant et sans délai (avant la consultation médicale au besoin), les collyres hydratants plus ou moins cicatrisants et l’arrêt du port de la lentille pendant 48 heures. On rappelle également au patient les conditions de la neutralisation de la solution d’entretien, ce qui est généralement bien assimilé à ce stade.

Examens paracliniques indispensables

Aucune exploration complémentaire n’est indiquée pour la prise en charge d’urgence, hors contexte infectieux (voir chapitre 5.2.1).

Type d’urgence

Exceptionnellement, il s’agit de l’urgence d’une brûlure chimique de surface oculaire. Dans le cas général, il s’agit plutôt de l’urgence d’une kératopathie ponctuée superficielle ou d’un ulcère de cornée. En pratique :

  • ±

    c’est un tri de niveau 3 selon la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) mais un triage ophtalmologique 1 en cas de mésusage d’un système d’entretien, car il s’agit potentiellement d’une brûlure oculaire chimique. Un rinçage immédiat est indispensable ;

  • ±

    en l’absence de brûlure oculaire chimique, un tri CIMU 4 et un triage ophtalmologique 3 sont motivés par une douleur intense ou la possibilité d’un corps étranger de surface oculaire ;

  • ±

    dans les autres cas, on tolère un tri CIMU 5 et un triage ophtalmologique 4, justifié par exemple par la gêne, le risque potentiel d’aggravation lié au port inadapté d’une lentille de contact, au handicap visuel potentiel.

Un défaut de prise en charge adaptée peut conduire à une altération du pronostic oculaire (voir le paragraphe « Pronostic »).

Diagnostic différentiel essentiel

II s’agit principalement d’une kératite infectieuse chez un porteur de lentilles. Cet item peut être associé aux complications mécaniques des lentilles de contact. Il faut systématiquement s’assurer de son absence.

Surveillance recommandée

Il n’y a pas de surveillance particulière à effectuer dans le contexte de la prise en charge initiale aux urgences. Le cadre est celui d’une consultation ponctuelle.

L’aval de la consultation ponctuelle est généralement un contrôle en consultation spécialisée ophtalmologique auprès de l’adaptateur en lentille de contact. Le délai dépend des lésions cornéennes observées.

Pronostic

Le pronostic des complications mécaniques des lentilles de contact n’est pas formellement documenté, comme celui des complications infectieuses ou allergiques. Les complications mécaniques sont généralement prises en charge précocement en raison des signes fonctionnels intenses. En règle lorsqu’elles sont prises en charge, elles ne semblent pas modifier le pronostic oculaire.

BIBLIOGRAPHIE

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[2] Efron N. Contact lens complications. Elsevier Health Sciences ; 2012.
[3] Efron N. Grading scales for contact lens complications. Ophthalmic and P
hysiological Optics 1998 ; 18 : 182‑86.
[4] Lee SY, Kim YH, Johnson D, et al. Contact lens complications in an urgent-care population : The University of California, Los Angeles, Contact Lens Study. Eye & Contact Lens 2012 ; 38 : 49‑52.
[5] Chalmers RL, Keay L, Long B, et al. Risk factors for contact lens complications in US clinical practices. Optometry & Vision Science 2010 ; 87 : 725‑35.
[6] Radford CF, Minassian D, Dart JKG, et al. Risk factors for nonulcerative contact lens complications in an ophthalmic accident and emergency department : a case-control study. Ophthalmology 2009 ; 116 : 385‑92.
[7] Dickson KF, Caravati EM. Hydrogen peroxide exposure--325 exposures reported to a regional poison control center. J Toxicol Clin Toxicol 1994 ; 32 : 705‑14.

5.1.7. TRAUMATISMES ORBITAIRES

O. GALATOIRE

Points forts

  • Les urgences vitales neurochirurgicales sont prioritaires.

  • Suturer une éventuelle plaie du globe oculaire avant la prise en charge du traumatisme orbitaire.

  • Rechercher aux urgences les signes de gravité :

    • hématome orbitaire compressif ;
    • corps étranger orbitaire ;
    • fracture orbitaire.
  • Demander un scanner orbitaire systématique en cas :

    • de baisse d’acuité visuelle ;
    • de diplopie ;
    • d’énophtalmie.
  • Évaluer aux urgences puis orienter vers un chirurgien oculoplasticien selon le score de prise en charge.

Introduction

Un traumatisme orbitaire, même minime, peut avoir des conséquences oculaires, orbitaires et parfois neurologiques. Les traumatismes orbitaires peuvent être dus à des impacts de faible ou de forte vélocité, quelles que soient les circonstances. Ils peuvent être la conséquence d’un impact par projectile. Nous distinguerons les atteintes du cadre osseux orbitaire, celles du contenu orbitaire et, enfin, les corps étrangers intra-orbitaires.

La gestion d’un traumatisme orbitaire doit être systématisée avec rigueur, respectant une hiérarchie d’examens cliniques et paracliniques selon la gravité.

Elle peut faire appel à plusieurs spécialités médicales : l’ophtalmologie, la chirurgie maxillofaciale, la neurochirurgie et la radiologie.

Le but de la prise en charge est le maintien du contenu orbitaire et la restitution de l’intégrité de son contenant indispensable à la fonction visuelle [1–3].

Présentation clinique

L’examen clinique est réalisé de manière hiérarchisée afin d’établir un diagnostic de certitude. Tout doit être parfaitement consigné dans le dossier médical. L’importance médico-légale peut n’apparaître que tardivement [4].

CONTEXTE

L’interrogatoire relève les circonstances précises du traumatisme. Cela peut orienter vers l’éventuelle présence d’un corps étranger intra-orbitaire.

TERRAIN

L’interrogatoire relève systématiquement les antécédents généraux, les pathologies intercurrentes et les traitements en cours, notamment la prise d’anticoagulants. Les circonstances précises du traumatisme doivent être notées, notamment s’il s’agit d’un accident du travail, d’une agression ou d’un accident domestique. Ces éléments peuvent revêtir une importance en termes médico-judiciaires. Ils sont à consigner dans le dossier médical.

ANTÉCÉDENTS PRÉDISPOSANTS

Les antécédents ophtalmologiques sont également importants à noter ; toute pathologie ophtalmologique intercurrente antérieure et responsable d’une baisse d’acuité visuelle doit être consignée.

CIRCONSTANCES DU TRAUMATISME

Les circonstances exactes du traumatisme doivent être établies ainsi que la nature, la direction et la distance d’un éventuel objet contendant. Ces éléments peuvent orienter vers certains délabrements ou encore la présence d’un corps étranger intra-orbitaire.

EXAMEN CLINIQUE
SIGNES FONCTIONNELS

Les signes fonctionnels sont rapportés par le patient. Les plus importants sont la douleur, une baisse d’acuité visuelle ou encore une diplopie.

SIGNES PHYSIQUES
Examen ophtalmologique

L’examen ophtalmologique élimine une plaie du globe oculaire associée et la présence de corps étrangers. La prise en charge d’une plaie du globe oculaire est une priorité par rapport à la réparation orbitaire. On effectue un relevé de l’acuité visuelle, un examen à la lampe à fente, une étude du réflexe pupillaire afférent et consensuel, un examen du fond de l’œil, un relevé du champ visuel et une mesure de la pression intra-oculaire [3–5].

Le but de l’examen ophtalmologique est de mettre en évidence :

  • ±

    une plaie du globe oculaire ;

  • ±

    une atteinte du segment antérieur et/ou postérieur ;

  • ±

    une compression du globe oculaire exogène par corps étranger ou mobilisation d’une esquille osseuse ;

  • ±

    une atteinte traumatique ou compressive du nerf optique ;

  • ±

    une atteinte des fibres parasympathiques du ganglion ciliaire (mydriase).

Examen orbitaire (encadré 5-1-7)
ÉTUDE DE LA POSITION DU GLOBE OCULAIRE

Son évaluation clinique peut être rendue difficile du fait de l’œdème et de l’hématome orbitaire et/ou également palpébral qui peuvent fausser son évaluation.

Encadré 5-1-7
Examen clinique orbitaire

  • Étude de la position du globe oculaire

  • Réalisation de photographies initiales

  • Palpation du cadre orbitaire

  • Recherche d’une porte d’entrée d’un corps étranger

  • Évaluation de la sensibilité dans le territoire du nerf trijumeau

  • Examen des paupières et des voies lacrymales

  • Étude dynamique de la motilité oculaire

  • Examen maxillofacial et neurochirurgical

L’évaluation du déplacement oculaire n’est pas toujours aisée lorsque l’on regarde le patient de face en position primaire, il peut être nécessaire de demander au patient de regarder vers le haut avec une ascension du menton.

La mesure de la protrusion du globe à l’exophtalmomètre de Hertel ou la réalisation d’un scanner permettent d’objectiver clairement la modification de position du globe oculaire dans l’orbite.

L’énophtalmie, rare au stade initial, plus fréquente au stade séquellaire, correspond à un déplacement postérieur du globe oculaire. Elle est liée à une augmentation de volume du contenant orbitaire le plus souvent associée à une fracture du plancher ou de la paroi interne.

L’exophtalmie est due à une augmentation du volume du contenu orbitaire, en rapport le plus souvent avec un hématome et/ou un œdème rétro-oculaire.

Une exophtalmie pulsatile fera rechercher une atteinte vasculaire, notamment la présence d’une fistule carotidocaverneuse.

RÉALISATION DE PHOTOGRAPHIES INITIALES

Des photographies initiales sont utiles sur le plan médico-légal, mais permettent également d’établir de manière formelle un relevé initial et ainsi de suivre l’évolution de l’atteinte.

PALPATION DU CADRE ORBITAIRE

Cette palpation n’est réalisée qu’une fois le diagnostic de plaie oculaire écarté. Elle recherche notamment une mobilisation ou un déplacement osseux, une crépitation caractéristique d’un emphysème sous-cutané (fractures de la paroi médiale ethmoïdale).

ÉVALUATION DE LA SENSIBILITÉ DANS LE TERRITOIRE DU NERF TRIJUMEAU

Une hypoesthésie sous-orbitaire permet d’établir le diagnostic de traumatisme du nerf trijumeau, le plus souvent en rapport avec une fracture du plancher orbitaire.

EXAMEN DES PAUPIÈRES ET DES VOIES LACRYMALES

L’examen recherche spécifiquement une éventuelle plaie du muscle releveur ou encore des voies lacrymales.

ÉTUDE DYNAMIQUE DE LA MOTILITÉ OCULAIRE

L’étude dynamique de la motilité oculaire est nécessaire. La restriction de la motilité oculaire (qui peut être responsable d’une diplopie) doit être systématiquement recherchée. Elle est fréquente au stade initial en raison de la contusion orbitaire, mais elle n’est pas nécessairement associée à une fracture du cadre osseux. Elle est évaluée en position primaire. Cet examen a l’avantage de suivre de manière objective l’évolution des troubles oculomoteurs. Le plus souvent, la limitation diffuse des mouvements oculomoteurs est due à l’œdème et l’hématome orbitaire initial et a tendance à la résolution spontanée progressive. Une limitation systématisée précoce, verticale ou horizontale, doit faire évoquer le diagnostic de fracture du plancher ou de la paroi interne. Dans certains cas, un test de duction forcée peut être nécessaire pour objectiver une limitation totale de la verticalité secondaire à une incarcération musculaire. Il doit être réalisé sous anesthésie générale avec mobilisation verticale du globe oculaire par pincement du muscle au travers de la conjonctive. L’incarcération musculaire ou des fascias entraîne une limitation nette. Un hématome ou œdème orbitaire seront à l’origine d’une restriction modérée et résolutive.

EXAMEN MAXILLOFACIAL ET NEUROCHIRURGICAL

Lors des traumatismes orbitaires et faciaux graves, une palpation endobuccale avec étude de l’articulé dentaire peut être nécessaire lors de la suspicion d’une disjonction de Le Fort. Une rhinorrhée cérébrospinale est évocatrice de fracture du cadre osseux crânien avec atteinte méningée.

Examens paracliniques
IMAGERIE

Les clichés standard ont été largement supplantés par l’imagerie moderne orbitaire, à savoir la tomodensitométrie (TDM) et l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Les clichés de Caldwell-Luc ou encore l’incidence de Waters ne sont plus utilisés [6–8].

PHOTOGRAPHIE

La réalisation de clichés photographiques est nécessaire. Ceux-ci sont réalisés en condition standardisée. Le patient est photographié de face en position primaire avec éclairage suffisant, puis des clichés sont pris dans toutes les positions du regard de manière à objectiver une éventuelle limitation de l’oculomotricité. Dans certains cas, des clichés de trois quarts sont réalisés, notamment dans le cadre des lésions osseuses graves avec enfoncement du malaire [6]. Ces clichés photographiques doivent être datés et consignés dans le dossier médical. Ils revêtent une importance à plusieurs titres. Ils permettent d’objectiver l’importance du traumatisme initial et peuvent constituer une pièce importante d’un éventuel dossier médico-judiciaire [7].

SCANNER

Le scanner est l’examen radiologique orbitaire de référence. Il doit être réalisé en première intention, en urgence. Le scanner haute résolution permet de réaliser des coupes fines multiplans. Les coupes axiales sont centrées sur le nerf optique. La reconstruction sagittale et coronale permet la visualisation non seulement de l’orbite et de son contenu, mais également des sinus maxillaires ethmoïdaux et de l’endocrâne [9]. Le prescripteur indiquera sur sa demande d’imagerie que les coupes sont à centrer sur l’orbite et les structures adjacentes avec la réalisation de reconstructions dans les trois plans de l’espace, permettant notamment l’individualisation des rapports entre les muscles oculomoteurs et d’éventuels foyers de fracture. Les coupes sagittales centrées sur le muscle droit inférieur permettent de mettre en évidence d’éventuels pincements musculaires [10]. La reconstruction en trois dimensions (3D) offre une analyse précise des disjonctions graves avec évaluation de la position du globe oculaire. Toute limitation oculomotrice importante avec suspicion de fracture en trappe requiert la réalisation d’un scanner en urgence [11]. Les baisses d’acuité visuelle importantes feront rechercher une fracture de l’apex orbitaire avec atteinte du nerf optique. Le scanner est l’examen clé pour visualiser l’importance des dégâts ou mobilisation osseuse, ainsi que leurs conséquences sur les parties molles intra- et extra-orbitaires [9–11].

IMAGERIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE

L’IRM n’est pas réalisée en première intention, mais peut être nécessaire pour l’évaluation précise des tissus mous ou lors de la prise en charge des séquelles. Elle permet de préciser les rapports des structures nobles orbitaires et leur atteinte éventuelle [11, 12].

Le bilan d’imagerie permet en outre d’évaluer l’intégrité du globe oculaire, ainsi que celle du nerf optique. Il met en évidence d’éventuelles tensions ou tractions réalisées sur le nerf optique. En effet, lors d’une hémorragie aiguë intra-orbitaire, le scanner retrouve non seulement une exophtalmie, mais également un nerf optique très tendu avec un globe étiré. Cela signe une souffrance aiguë du nerf optique justifiant un geste de drainage en urgence. Le bilan d’imagerie permet en outre d’objectiver un corps étranger intra-orbitaire [12].

BILAN D’ORTHOPTIE

Un bilan d’orthoptie avec un test de Lancaster peut être nécessaire en urgence, il permet d’objectiver des troubles oculomoteurs pas toujours francs à l’examen clinique. Néanmoins, en cas d’œdème ou d’hématome palpébral important, associé à une ptose de la paupière supérieure, sa réalisation n’est pas aisée. Il peut être nécessaire d’utiliser dans ces cas un écarteur à paupières de manière à rendre l’exposition du globe oculaire plus facile [8].

Type d’urgence et délai de prise en charge
HÉMATOME ET COMPRESSION ORBITAIRE GRAVE

La contusion orbitaire, dans les cas graves, peut entraîner une blessure des tissus mous, une fracture ou encore une avulsion. Elle peut aussi être responsable d’une augmentation de la pression intra-orbitaire du fait d’une hémorragie dans un espace osseux confiné. Ce risque est particulièrement important en cas de saignement extrapériosté au niveau de l’apex orbitaire. L’augmentation de la pression peut alors entraîner une ischémie du nerf optique, une hypoperfusion rétinienne ou encore des dommages par pression directe sur le nerf optique [13]. L’hématome a des conséquences d’autant plus importantes qu’il est postérieur, du fait de son développement dans un espace réduit. Ces patients présentent néanmoins des signes évidents de traumatisme orbitaire sévère avec une douleur, un œil dur à la palpation, une limitation des mouvements oculomoteurs, une véritable baisse d’acuité visuelle ainsi qu’une diminution de la motilité pupillaire. Cet aspect constitue une urgence nécessitant une prise en charge (PEC) chirurgicale rapide. On considère que cette atteinte nécessite un triage PEC de catégorie 3 avec avis spécialisé de catégorie 4 ou un score selon la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) de 3 à 4 [14, 15].

La plupart des hémorragies intra-orbitaires entraînent une limitation réduite des mouvements oculomoteurs avec une augmentation limitée de la pression intra-oculaire.

En cas de signe de gravité, une baisse d’acuité visuelle sévère nécessite un traitement chirurgical urgent. La réalisation d’une canthotomie, ou d’une cantholyse, avec décollement sous-périosté et ouverture du septum, permettra une éventuelle évacuation d’une collection sanguine aiguë, intra-orbitaire et ainsi de diminuer la pression sur une structure noble intra-orbitaire [15]. En cas d’insuffisance de ce traitement, une décompression orbitaire osseuse peut être nécessaire. On effondre alors le plancher orbitaire ou la paroi médiale de manière à expandre le volume du contenant et ainsi diminuer la pression du contenu. Une autre cause de l’augmentation de la pression intra-orbitaire est l’emphysème sous-cutané et intra-orbitaire qui ne justifie pas un geste chirurgical de drainage [16, 17].

TRAUMATISME DU NERF OPTIQUE

Les causes de traumatisme direct du nerf optique sont multiples. Il peut s’agir de contusion, d’avulsion, d’une fracture osseuse du canal optique, d’une compression secondaire par une hémorragie intra-orbitaire ou encore d’un traumatisme direct par corps étranger pénétrant [18]. La prise en charge est urgente et elle est particulièrement difficile. La baisse d’acuité visuelle est importante avec déficit du réflexe photomoteur ipsilatéral. Il n’y a pas de consensus quant à la prise en charge de cette affection sévère. Les patients présentant une baisse d’acuité secondaire ont un meilleur pronostic [19]. En cas d’atteinte grave, la corticothérapie, par voie intraveineuse sous forme de bolus sur 5 jours, paraît recommandée. L’intervention chirurgicale est indiquée uniquement en cas de fracture avec déplacement d’une esquille venant comprimer directement le nerf optique. Néanmoins, l’efficacité de la chirurgie est controversée en cas de baisse de vision lors du traumatisme, le pronostic étant mauvais et ne semblant pas changer par un quelconque geste chirurgical [20, 21].

FRACTURE EN TRAPPE

Le plancher orbitaire présente une fragilité le long du canal sous-orbitaire (contenant le nerf infra-orbitaire). Cette zone peut être le siège d’un type de fracture particulier, notamment chez l’enfant et l’adolescent qui présente une certaine plasticité osseuse. La fracture en trappe ou dite de « bois vert » peut pincer les tissus mous situés dans l’orbite inférieure, notamment le muscle droit inférieur. La structure osseuse constitue alors une trappe venant pincer le muscle droit inférieur avec un aspect scanographique de goutte sur les coupes coronales, correspondant au muscle droit inférieur fixé dans le sinus maxillaire [21].

Les patients présentent alors un tableau de contusion minime avec une extrême limitation des mouvements oculomoteurs verticaux. Ce tableau associe une prise en charge chirurgicale urgente avec triage PEC 3 ou CIMU 3 [22].

Diagnostic étiologique
CONTUSION ORBITAIRE

La contusion orbitaire est très fréquente, quasi systématique lors de traumatismes orbitaires. Dans la plupart des cas, elle est minime et se limite à un œdème et un hématome palpébral avec le plus souvent une hémorragie sous-conjonctivale. Lorsque la contusion orbitaire est plus importante, elle entraîne le plus souvent un hématome ou une hémorragie qui peuvent justifier une prise en charge en urgence (fig. 5-1-47 ; voir plus haut le paragraphe « Hématome et compression orbitaire grave ») [13].

Fig. 5-1-47
Contusion orbitaire.
a. Ecchymose péri-oculaire avec hémorragie sous-conjonctivale gauche. On note le déplacement du globe oculaire vers le haut. À la palpation, emphysème sous-cutané. b. Pas de limitation de l’élévation de l’œil gauche. c. Scanner, coupe axiale. Emphysème sous-cutané, bulle hypodense préoculaire et hématome superficiel (infiltration des tissus). À noter l’absence d’hématome intra-orbitaire.

FRACTURES ORBITAIRES

Les fractures traumatiques de l’orbite peuvent concerner les sept structures osseuses, constituant le contenant orbitaire. Les plus fréquentes concernent le plancher et la paroi interne. Nous ne décrirons que ces deux atteintes [23].

MÉCANISMES

Le mécanisme « hydraulique » secondaire à un déplacement aigu du globe oculaire (fracture en blow-out) est le plus fréquent. L’agent traumatisant, quelle que soit sa nature, présente un diamètre inférieur à celui du cadre orbitaire [23]. Ainsi, la pression directe exercée sur le globe oculaire entraîne une hyperpression globale du contenu orbitaire qui est transmise aux parois de l’orbite. La rupture se produit aux zones de faiblesse, à savoir au niveau du plancher, dans un axe pos-téro-interne en dedans et en arrière du canal sous-orbitaire. Le contenu orbitaire fait alors hernie dans le sinus maxillaire sous-jacent. La paroi interne, notamment l’os ethmoidal, constitue également une zone de faiblesse susceptible de se rompre lors de l’hyperpression traumatique. La paroi externe est rarement lésée par ce mécanisme [24].

ASPECTS CLINIQUES

On retrouve les signes cliniques caractéristiques d’un traumatisme orbitaire grave, à savoir un œdème, un hématome et parfois des plaies oculopalpébrales. La palpation du cadre orbitaire peut retrouver une discontinuité du rebord osseux. Une hypoesthésie ou une anesthésie post-traumatique dans le territoire du canal sous-orbitaire est caractéristique d’une atteinte du canal infra-orbitaire. L’énophtalmie, si elle est présente d’emblée, signe un effondrement du plancher avec ptose de l’ensemble du contenu orbitaire dans le sinus maxillaire (fig. 5-1-48). Elle est souvent associée à une diplopie verticale. Elle peut néanmoins être masquée au stade initial par l’œdème et l’hématome. Si la fracture du plancher est minime, n’entraînant pas de ptose du contenu orbitaire dans le sinus, l’hématome et l’œdème initiaux peuvent être responsables d’une exophtalmie. La diplopie est fréquente. La réalisation d’un test de Lancaster est importante, elle permet de juger l’évolution et peut mettre en évidence une restriction musculaire d’origine neurogène dans certains cas. Lorsqu’il n’y a pas de blocage musculaire, il n’y a pas, le plus souvent, de diplopie de face, en revanche on peut retrouver une limitation de l’élévation du côté atteint. Celle-ci peut être due à la contusion et l’hématome du muscle droit inférieur (fig. 5-1-49) [25, 26].

Fig. 5-1-48
Énophtalmie traumatique.
a. Hématome péri-oculaire, hémorragie sous-conjonctivale secondaire à un traumatisme orbitaire. b. Lors du regard vers le haut, absence de limitation de l’élévation de l’œil droit, en revanche très nette énophtalmie, signant une fracture du cadre orbitaire. c. Scanner, coupe coronale. Fracture en blow-out du plancher orbitaire droit. Absence d’incarcération musculaire. En revanche, le muscle droit inférieur est ptosé dans le sinus maxillaire. d. Scanner, reconstruction sagittale. Fracture enfoncement du plancher orbitaire droit.
Fig. 5-1-49
Fracture du plancher orbitaire compliquée.
a. Hématome péri-oculaire avec hémorragie sous-conjonctivale du côté droit post-traumatique. b. Limitation de l’élévation de l’œil droit, signant une probable incarcération d’un muscle ou de ses septums. c. Scanner, coupe coronale. Fracture limitée en trappe du plancher orbitaire avec pincement des septums musculaires, justifiant un geste de libération en urgence.

Fracture en trappe

II s’agit d’une atteinte rare qu’il ne faut pas méconnaître. On la retrouve le plus souvent chez l’enfant ou chez l’adolescent, victimes d’un traumatisme oculaire. Le plancher s’ouvre sans rompre et se referme immédiatement et spontanément. Ce type de fracture est comparé à la rupture d’un bâton de bois vert que l’on voudrait faire plier. Sous la pression intra-orbitaire des éléments du contenu orbitaire sont herniés puis séquestrés. L’incarcération peut intéresser l’ensemble musculo-aponévrotique, les muscles droit inférieur et oblique inférieur, ou simplement la graisse péri-orbitaire. Si le pincement ne concerne qu’une partie modérée du muscle, la libération chirurgicale permettra une guérison rapide. En revanche, si le pincement est plus important, il peut entraîner une lésion ischémique du muscle avec des séquelles graves (fig. 5-1-50) [27].

Fig. 5-1-50
Incarcération musculaire compliquant une fracture en trappe du plancher orbitaire.
a. Notion de traumatisme orbitaire droit. Pas d’hématome, ni d’ecchymose. b. Limitation de l’élévation de l’œil droit. Recherche systématique d’une fracture en trappe de l’enfant. Aspect d’« œil blanc » sur fracture en trappe. c. Scanner, coupe coronale. Fracture en trappe du plancher orbitaire avec aspect « en goutte » du muscle droit inférieur droit pincé. d. Scanner, reconstruction sagittale. Pincement du muscle droit inférieur limitant l’élévation de l’œil.

Signes cliniques

La limitation aiguë de la verticalité signe une fracture en trappe. L’œil traumatisé est fixe avec une limitation totale de l’oculomotricité associée à un syndrome douloureux important. La diplopie est très invalidante. Le scanner retrouve l’aspect caractéristique en « goutte », à savoir le pincement du muscle droit inférieur de part et d’autre du plancher orbitaire.

Imagerie

Le scanner est l’examen clé de l’évaluation des fractures orbitaires, car il individualise parfaitement les structures osseuses. Il doit être réalisé en urgence. Le scanner est un équipement disponible dans tous les centres habilités « centre d’urgence ». Il est de réalisation rapide et du fait du nombre important d’implantation, il est souvent accessible (fig. 5-1-51 et 5-1-52) [11].

Fig. 5-1-51
Imagerie des fractures orbitaires par scanner en coupe coronale (a) et axiale (b).
a. Coupe coronale. Disjonction orbito-malaire gauche. Fracture zygomatico-malaire. b. Coupe axiale. Enfoncement du malaire avec diminution du volume du sinus maxillaire gauche.
Fig. 5-1-52
Scanner en coupe coronale des fractures orbitaires.
a. Fracture du plafond orbitaire droit avec emphysème orbitaire, hématome orbitaire et extra-dural. b. Hématome intra-orbitaire avec embarrure osseuse intracrânienne, hématome intraparenchymateux en regard.

CORPS ÉTRANGERS ORBITAIRES
PHYSIOPATHOLOGIE

La pénétration d’un corps étranger dans l’orbite peut avoir des répercussions non seulement locales, mais aussi générales. Le corps étranger peut être à l’origine de lésions des éléments constitutifs de l’orbite, ainsi que des structures adjacentes allant jusqu’au système nerveux central, mais également de lésions générales, inflammatoires ou infectieuses. La pénétration du corps étranger dans l’orbite est parfois méconnue. Le bilan clinique et paraclinique du traumatisme de l’orbite a pour but d’individualiser d’éventuels corps étrangers intra-orbitaires et de déterminer leur position par rapport aux structures nobles orbitaires, ainsi que leur nature. La gravité des lésions dues au corps étranger dépend de son trajet de pénétration, de sa localisation par rapport au globe oculaire, au nerf optique et aux muscles oculomoteurs, ainsi que de sa nature. Au-delà des risques mécaniques purs, engendrés par la pénétration du corps étranger, il faut considérer des atteintes secondaires parfois tout aussi graves, parmi lesquelles l’hémorragie, l’infection ou encore l’inflammation chronique. L’anatomie orbitaire, la forme du cadre osseux à sommet postérieur, favorise le déplacement du corps étranger vers l’apex orbitaire et notamment la fissure orbitaire inférieure et le canal optique. La finesse des parois osseuses, notamment ethmoïdales et du plafond de l’orbite, peut favoriser le passage de corps étrangers vers les structures adjacentes, les sinus ou le cerveau.

L’interrogatoire permet d’établir la nature du traumatisme et ainsi de suspecter l’origine du corps étranger (sa nature), la direction de la pénétration, ainsi que la vitesse d’impact. Néanmoins dans de nombreux cas, il est difficile de déterminer au seul interrogatoire l’ensemble de ces éléments.

L’examen clinique recherche en priorité une porte d’entrée et dans certains cas une porte de sortie. La présence d’une plaie oculaire d’entrée et de sortie fait suspecter la présence d’un corps étranger, même de petite taille, intra-orbitaire [16–18].

IMAGERIE

La réalisation d’un scanner centré sur les orbites, lors du traumatisme orbitaire, permet de mettre en évidence la présence de la plupart des corps étrangers intra-orbitaires. Néanmoins, certains corps étrangers, en bois ou en plastique, ne sont pas toujours visibles à la phase initiale. La présence d’une hémorragie ou d’un hématome intra-orbitaire peut rendre leur visualisation difficile. L’image en cocarde, caractéristique de la présence d’un corps étranger végétal, n’apparaît que secondairement ; elle est relative à l’inflammation périlésionnelle et n’est donc pas visible au stade initial.

Les corps étrangers en verre (moins fréquents depuis que les véhicules sont équipés de pare-brise feuilletés) sont parfois difficiles à visualiser. Le scanner permet néanmoins d’individualiser les fractures osseuses inhérentes à la pénétration du corps étranger. Dans certains cas, à sa sortie, alors qu’il n’est pas toujours visualisé, on observe également le trajet d’un corps étranger de grande taille.

L’échographie permet de visualiser des corps étrangers de petite taille situés à proximité de la sclère et, dans certains cas, de différencier les corps étrangers intra- et extra-oculaires.

La réalisation d’une IRM en première intention n’est pas souhaitable lors de suspicion de corps étranger. En effet, la présence d’un corps étranger magnétisable est une contre-indication absolue.

Beaucoup de corps étrangers sont composés d’alliages contenant du fer, c’est notamment le cas d’un certain nombre de plombs utilisés dans les armes à feu.

En revanche, pour la visualisation des corps étrangers végétaux, notamment lors de la phase séquellaire, l’IRM est alors d’un réel apport.

Les corps étrangers en bois sont le plus souvent hypo-intenses, entourés d’un aspect hyperintense formant une image en cocarde.

Prise en charge
PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE AUX URGENCES

Les urgences vitales et neurochirurgicales sont prises en charge en priorité (fig. 5-1-53) [28].

Fig. 5-1-53
Prise en charge du traumatisme orbitaire d’après Rootman [28].

Si l’apex orbitaire est lésé, le corps étranger peut pénétrer dans l’encéphale. Un avis neurochirurgical est nécessaire en cas de suspicion d’atteinte extra-oculaire.

Pour tout traumatisme orbitaire, la recherche de lésion du globe oculaire est systématique.

L’examen clinique initial permet de mettre en évidence une éventuelle plaie qui doit être prise en charge avant le traitement du traumatisme orbitaire.

Ainsi, lors d’un traumatisme orbitaire, la recherche d’une lésion du globe oculaire doit être systématique.

L’examen initial orbitaire doit rechercher en priorité :

  • ±

    une porte d’entrée d’un éventuel corps étranger ;

  • ±

    un hématome justifiant une évacuation en urgence ;

  • ±

    une fracture en trappe.

Ces trois éléments justifient une intervention chirurgicale urgente.

Par ailleurs, le service des urgences qui accueille le patient doit permettre l’orientation vers un ophtalmologiste oculoplasticien pour la prise en charge de ces trois éléments de gravité. Les plaies palpébrales associées doivent être prises en charge par suture éventuellement ou parage.

Antibiothérapie : outre la prophylaxie antitétanique (importante en cas de corps étranger métallique), une antibioprophylaxie est souhaitable en cas de plaie ou de porte d’entrée d’un corps étranger [20].

PRISE EN CHARGE SECONDAIRE
TRAITEMENT CHIRURGICAL DES FRACTURES

Seule la fracture en trappe constitue une urgence nécessitant un traitement chirurgical rapide, dans les heures suivant le traumatisme (triage PEC de catégorie 3, CIMU 3).

Les autres situations peuvent être prises en charge dans les 15 jours suivant le traumatisme lors de la régression de l’œdème et de l’hématome. Les éléments constitutifs de l’indication chirurgicale sont :

  • ±

    la persistance d’une diplopie significative dans le regard primaire ou en position de lecture, du fait de la gêne fonctionnelle qu’elle entraîne ;

  • ±

    la présence d’une énophtalmie notable avec conséquence esthétique et même dans certains cas dystopie oculaire ;

  • ±

    la présence sur les clichés d’imagerie d’un déficit osseux supérieur à 50 % de la surface du plancher.

La technique chirurgicale consiste en la libération complète du muscle pincé dans le trait fracturaire. Le traitement chirurgical a pour but une large exposition du foyer fracturaire, pour cela plusieurs voies d’abord peuvent être utilisées. La voie palpébrale inférieure avec incision en regard de l’arcus marginalis a été abandonnée au profit de voies d’abord plus esthétiques, notamment la voie conjonctivale, apanage des oculoplasticiens. Ainsi, une fois le foyer fracturaire abordé, tous les éléments orbitaires, éventuellement incarcérés, sont parfaitement libérés. Les fractures déplacées sont réduites et les défects osseux éventuels sont comblés soit par des greffes osseuses, soit par des implants en titane ou en corail (fig. 5-1-54).

Fig. 5-1-54
Prise en charge chirurgicale en aval d’urgence pour une énophtalmie de l’œil droit post-traumatique.
a. Aspect préopératoire. b. Aspect après prise en charge chirurgicale. Réfection du plancher orbitaire du côté droit. Réduction de l’énophtalmie. c. Scanner, coupe coronale. Mise en place d’une plaque de biomatériau pour réfection du plancher orbitaire droit.

Pour les fractures de la paroi interne, le mécanisme est le même, à savoir une compression du contenu intra-orbitaire sur le planum ethmoïdal. L’incarcération musculaire est rare. Elle nécessite un traitement chirurgical uniquement en cas de limitation importante de l’horizontalité ou en cas de défects osseux majeurs [29].

ABLATION DE CORPS ÉTRANGER

L’ablation chirurgicale d’un corps étranger orbitaire est difficile. Elle peut avoir des conséquences fonctionnelles graves, notamment si le corps étranger est à proximité du nerf optique ou du globe oculaire. Ainsi avant de prendre une décision chirurgicale, plusieurs éléments doivent être considérés. Les corps étrangers métalliques de petite taille sont le plus souvent bien tolérés, ils sont relativement aseptiques et ont peu de conséquences mécaniques. Leur ablation chirurgicale est difficile et ils sont difficilement retrouvés, notamment lorsqu’ils sont au sein de la graisse orbitaire ou des muscles oculomoteurs. L’exérèse chirurgicale en urgence est justifiée lorsque la présence du corps étranger est responsable d’une atteinte fonctionnelle ou encore d’une réaction inflammatoire infectieuse importante ou lors d’une compression des structures vitales du nerf optique ou du globe oculaire [16].

Le corps étranger doit être enlevé en cas de situation superficielle ou antérieure associée à des angles vifs, ou s’il est en cuivre ou en matière organique. L’intervention a aussi pour but la réparation d’éventuelles plaies ou lacérations provoquées par la pénétration du corps étranger. Le choix de la voie d’abord chirurgicale est guidé par la meilleure exploration possible du corps étranger et de son trajet pénétrant. Ainsi, il est parfois préférable de ne pas utiliser le trajet de pénétration du corps étranger. L’ablation de celui-ci doit être la plus complète possible, ce qui est parfois difficile pour certaines substances, notamment les végétaux.

Les corps étrangers d’origine végétale sont mal tolérés et ne sont pas toujours visibles sur les premiers examens d’imagerie. Ils peuvent être à l’origine d’un abcès orbitaire ou encore d’une cellulite à répétition. L’IRM à distance du traumatisme initial peut permettre d’individualiser une image en cocarde caractéristique. Les corps étrangers en cuivre peuvent être à l’origine d’une toxicité chimique avec une réaction inflammatoire parfois très à distance du traumatisme initial [16–18].

Complications des corps étrangers : dans certains cas, le corps étranger orbitaire n’est pas connu, le patient peut parfois n’avoir aucun souvenir du traumatisme initial, et l’anamnèse peut être difficile à relever pour les traumatismes survenant chez les enfants. Une inflammation orbitaire, une sinusite chronique, une cicatrisation de mauvaise qualité orientent vers le diagnostic de corps étranger. Ceux-ci représenteraient une part considérable des exophtalmies de l’enfant.

Conclusion

L’ophtalmologiste doit garder à l’esprit que tout traumatisme orbitaire peut être compliqué d’un hématome intra-orbitaire, de la présence de corps étrangers ou encore d’une fracture du cadre orbitaire. Ainsi, le traumatisme orbitaire nécessite un bilan d’imagerie complet et dans certains cas une exploration chirurgicale en urgence.

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5.1.8. PLAIES PALPÉBRALES SUPÉRIEURES ET INFÉRIEURES

J.-M. RUBAN, J.-L. FAU

Points forts

  • Les plaies palpébrales supérieures et inférieures présentent un polymorphisme important du fait de leur mode de survenue.

  • Il faut :

    • réaliser un examen sous anesthésie générale chez un enfant ou un patient non coopérant, en cas de suspicion de plaie canaliculaire non évidente cliniquement ;
    • réaliser une imagerie en cas de suspicion de corps étranger intra-orbitaire ou de traumatisme orbitaire osseux associé ;
    • s’assurer avant toute exploration chirurgicale de l’état vaccinal du patient vis-à-vis du tétanos et l’adresser à un centre antirabique en cas de morsure par un animal suspect ou non identifié.
  • Les plaies palpébrales constituent une urgence relative sauf en cas de perte de substance affectant la paupière supérieure.

  • Toute plaie palpébrale doit être traitée dans un centre ophtalmologique spécialisé, surtout si elle affecte les canalicules.

    • Une plaie palpébrale ne se suture qu’après la suture éventuelle d’une plaie du globe associée.

Présentation clinique
CONTEXTE
TERRAIN

Dans la grande majorité des cas, les patients affectés de plaies de paupières sont de sexe masculin (rixes, accident de la voie publique [AVP] chez les 20-30 ans). En revanche, il ne semble pas exister de sex-ratio chez le petit enfant et chez la personne âgée [1].

CÔTÉ

Dans l’ensemble, il n’y a pas de différence de côté (sauf en cas de rixe à mains nues où le côté gauche est le plus souvent atteint).

En revanche, et ce tous traumatismes confondus, la paupière inférieure est beaucoup plus souvent touchée que la paupière supérieure [1].

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

Les morsures de chien ou griffures de chat prédominent chez l’enfant, quel que soit le sexe. Les rixes, les accidents liés à des traumatismes sportifs ainsi que les AVP prédominent chez l’adulte (jeune). Enfin, les traumatismes par chutes sont le plus souvent la cause de ce type de plaie chez la personne âgée [1]. Les accidents domestiques sont pourvoyeurs de souillure tellurique.

EXAMEN CLINIQUE
SIGNES FONCTIONNELS

Le diagnostic est avant tout clinique et souvent évident.

SIGNES PHYSIQUES

Si le diagnostic positif est facilement établi lors de l’inspection du patient, il n’est pas rare que la certitude d’une plaie palpébrale et surtout canaliculaire soit plus délicate à établir en cas d’atteinte en dedans du méat lacrymal (fig. 5-1-55), voire du canthus interne (fig. 5-1-56) [2]. Dans le contexte traumatique, l’examen du patient peut être difficile, particulièrement lors de l’examen d’un enfant, d’un adulte peu coopérant du fait d’une emprise médicamenteuse ou d’un patient psychiatrique. On réalise donc sans hésiter un examen sous anesthésie générale qui permet de préciser le bilan lésionnel et de réaliser le traitement adapté dans le même temps.

Fig. 5-1-55
Plaie à direction verticale et oblique.
Fig. 5-1-56
Perte de substance palpébrolacrymale (paupière inférieure droite).
a. Aspect préopératoire en position primaire. b. Aspect peropératoire après avivement des berges de la perte de substance (perte d’environ 33 à 40 % de la longueur de la paupière inférieure droite intéressant le méat lacrymal inférieur ; intubation bi-canaliculo-nasale). c. Aspect peropératoire : réalisation d’un lambeau palpébral de glissement-translation, sutures du bord libre et de l’orbiculaire de voisinage de part et d’autre de l’intubation bi-canaliculo-nasale dans sa partie inférieure. d. Aspect postopératoire à 3 mois (intubation bi-canaliculo-nasale en place, bien tolérée, absence de larmoiement post-traumatique gênant).

C’est ainsi qu’il est possible de distinguer :

  • ±

    plaies ou lacérations palpébrales : elles correspondent à des plaies sans déplacement tissulaire, elles peuvent être superficielles ou profondes ;

  • ±

    plaies superficielles : elles peuvent être de direction horizontale (fig. 5-1-57), verticale (fig. 5-1-55) ou oblique ou encore par dermabrasion (fig. 5-1-58) ;

    Fig. 5-1-57
    Plaie à direction horizontale.
    Fig. 5-1-58
    Plaie par dermabrasion.

  • ±

    plaies transfixiantes : elles peuvent respecter (fig. 5-1-59) ou intéresser le bord libre palpébral (fig. 5-1-60) ;

    Fig. 5-1-59
    Plaie transfixiante respectant le bord libre.
    Fig. 5-1-60
    Plaie transfixiante avec atteinte du bord libre.

  • ±

    avulsions palpébrales :

    • il s’agit de plaies avec déplacement tissulaire dont au moins une partie reste en contact avec les tissus de voisinage (fig. 5-1-61) à la différence des pertes de substances ;

      Fig. 5-1-61
      Avulsion palpébrale respectant les voies lacrymales.
      a, b. Aspect préopératoire en position primaire (a) et dans le regard en bas (b). c-f. Aspect peropératoire : sutures du bord libre (c), sutures du tarse (d), sutures du releveur (e), aspect avant fermeture cutanée (f). g, i. Aspect postopératoire immédiat : paupière fermée (g) et paupière ouverte (h). i. Aspect postopératoire à 3 mois.

    • on différencie les avulsions palpébrales respectant les voies lacrymales (fig. 5-1-61) des avulsions palpébrales impliquant les voies lacrymales (fig. 5-1-62) ;

      Fig. 5-1-62
      Avulsion palpébrale intéressant les voies lacrymales.
      a-c. Aspect peropératoire : repérage de la partie proximale du canalicule inférieur (a) ; repérage de la partie distale du canalicule inférieur (b) ; sutures du canalicule inférieur, du bord libre et de l’orbiculaire de voisinage (c). d. Aspect postopératoire immédiat.

  • ±

    pertes de substance palpébrale : il s’agit de traumatismes palpébraux rares, caractérisés par une perte de substance plus ou moins importante des tissus de la paupière affectée (fig. 5-1-56).

JUSTIFICATION DE PRISE EN CHARGE EN URGENCE

Il faut assurer la protection cornéenne en cas de perte de substance, justifiant un triage PEC de catégorie 2.

L’examen du globe oculaire à la recherche d’une plaie perforante est la priorité absolue dans la prise en charge du traumatisé palpébrolacrymal [2, 3]. Le triage PEC est de catégorie 2.

Les tissus palpébrolacrymaux sont plus difficilement reconnaissables et réparables en triage PEC de catégorie 4 (rétraction tissulaire au-delà de cette période) [3–5].

Examens paracliniques
IMAGERIE

Une imagerie est rarement indiquée en dehors de suspicion de corps étranger intra-orbitaire ou de traumatisme orbitaire osseux associé. Là, une radiographie orbitofaciale standard face et profil, associée ou remplacée si possible par une tomodensitométrie (TDM), permettra de faire un diagnostic étiologique et un bilan topographique plus précis.

EXAMEN BACTÉRIOLOGIQUE

L’examen bactériologique est également rarement indiqué, en dehors de plaies très sales ou arrivant avec retard dans le service d’urgence ophtalmologique, à la recherche d’un germe spécifique pouvant orienter une éventuelle antibiothérapie.

Diagnostic différentiel

Les autres traumatismes affectant les paupières sont essentiellement les contusions et les hématomes palpébraux.

Prise en charge
PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE AUX URGENCES

Dans le cadre urgent, la prise en charge immédiate obéit aux grandes règles directrices suivantes :

  • ±

    confirmer l’existence d’une plaie palpébrale ;

  • ±

    valider que la protection cornéenne est assurée ;

  • ±

    considérer toutes les contusions palpébrales comme une plaie palpébrale potentielle qui doit être traitée en premier jusqu’à son exploration au bloc opératoire ;

  • ±

    rechercher une plaie du globe oculaire qui constitue la première urgence. En fonction de la complexité de la plaie palpébrale associée, cette dernière peut être réparée dans le même temps opératoire ou bien dans un second temps, jamais avant (risque d’éviscération) ;

  • ±

    rechercher une brûlure palpébrale (contexte de l’accident, aspect des tissus palpébraux) ;

  • ±

    éliminer une fracture de l’orbite et/ou un éventuel corps étranger (contexte, radiographie, TDM) ;

  • ±

    rechercher une fracture faciale en palpant l’arcade orbitaire et l’os malaire (imagerie orientée et recherche d’une double équipe ophtalmologique et maxillofaciale).

La prise en charge médicale s’attache à :

  • ±

    vérifier voire compléter la vaccination antitétanique ;

  • ±

    effectuer une prévention antirabique en cas de morsure par un animal qui n’a pas pu être localisé et contrôlé ou capturé (adresser au besoin à un centre antirabique) ;

  • ±

    administrer une antibiothérapie orientée dans les contextes à risque ( Pasteurella après morsure canine, Bartonella après griffure féline, Clostridium après souillure tellurique).

PRISE EN CHARGE D’AVAL IMMÉDIAT

L’objectif n° 1 est la protection du globe oculaire à obtenir par tous les moyens : pommade vitamine A dans l’urgence, aidée par une suture de Frost si nécessaire, voire par un recouvrement conjonctival par rapprochement et suture de la conjonctive du fornix supérieur et inférieur afin de recouvrir la totalité de la cornée.

Les autres plaies palpébrolacrymales constituent une semi-urgence (intervention dans les 48 à 72 heures, sauf en cas de morsure animale ; fig. 5-1-62).

La chirurgie réparatrice palpébrale s’effectue à l’aide d’un matériel spécifique adapté (encadré 5-1-8) dans une séquence générale stéréotypée (encadré 5-1-9). La prise en charge « à chaud » des plaies palpébrolacrymales se singularise par le contexte d’urgence. Elle répond aux grandes règles de chirurgie réparatrice palpébrale qui sont :

  • ±

    reconstruction en un temps opératoire si possible (moindre choix) ;

  • ±

    respect de l’identité anatomique : réparation des déficits de pleine épaisseur (lamelle antérieure et lamelle postérieure) plan par plan des différentes couches du millefeuille palpébral ( encadré 5-1-10) ;

    Encadré 5-1-10
    Liste des différents points conjugués aidant la chirurgie de réparation palpébrale

    • Fornix supérieur et inférieur

    • Méats lacrymaux supérieur et inférieur

    • Caroncule et son repli semi-lunaire

    • Pli palpébral supérieur

    • Bord périphérique du tarse

    • Marge ciliaire avec ses bulbes ciliaires

    • Ligne grise

    • Commissure palpébrale externe

    • Voies lacrymales

    • Muscle releveur de la paupière supérieure et son aponévrose, muscle de Müller, rétracteurs de la paupière inférieure

  • ±

    contrôle de la sécurité vasculaire : les lambeaux peuvent être associés à des greffes ou bien à d’autres lambeaux. En revanche, on évitera impérativement l’association de deux greffes sans tissu vasculaire intermédiaire d’interposition viable ou, beaucoup plus rarement, l’association d’un lambeau avec un autre lambeau entourant une greffe ;

  • ±

    règles du respect de l’unité palpébrale. Les sous-unités esthétiques doivent être respectées dans la mesure du possible.

Encadré 5-1-8
Instrumentation pour la chirurgie palpébrolacrymale d’urgence

  • Fils :

    • monofilament 8/0 ou 10/0 pour la suture canaliculaire en 3 à 8 points

    • Vicryl ® 6/0 : sutures du muscle orbiculaire et peau (enfant)

    • Prolène ® 6/0 ou soie 6/0 : sutures de la peau et du bord libre

  • Sonde de Bowman n° 0 ou n° 00

  • Canules à voies lacrymales

  • Pinces d’Adson avec et sans griffes

  • Pinces de Paufique

  • Pinces de Bonn

  • Porte-aiguille de type Castoviejo ou Troutman

  • Deux crochets de Gillies

  • Bistouri lame n° 15

  • Ciseaux de Vannas

  • Ciseaux de Sevrin

  • Ciseaux de Joseph droit

  • Pince « bulldog »

  • Pince hémostatique droite ou courbe

Encadré 5-1-9
Conduite à tenir au bloc opératoire devant une plaie palpébrale traumatique

  • Repérer les points conjugués

  • Nettoyer la plaie ainsi que les corps étrangers éventuels

  • Réséquer les tissus nécrotiques (parage)

  • Économiser le tissu palpébral traumatique : éviter de trop réséquer

  • S’assurer d’une bonne vascularisation tissulaire

  • Éviter toute tension palpébrale excessive lors de la réparation

  • En cas de déficit tissulaire, utiliser des techniques de lambeaux de voisinage voire de greffe de tissu cutané des paupières controlatérales ou des sites donneurs de la face

  • Les plaies des voies lacrymales sont prises en charge de façon spécifique

  • Réaliser un pansement adapté, favorisant au besoin la cicatrisation dirigée

POINTS CONJUGUÉS

Les points conjugués constituent des repères anatomiques fondamentaux pour le diagnostic d’une plaie palpébrolacrymale mais également et surtout pour leur réparation (encadré 5-1-10).

Ce sont des repères anatomiques essentiels en chirurgie palpébrale, qu’elle soit programmée ou réalisée en urgence.

PLAIES OU LACÉRATIONS PALPÉBRALES
Plaies superficielles (voir fig. 5-1-55 et 5-1-57)
PLAIES À DIRECTION HORIZONTALE

Les plaies superficielles à direction horizontale ne nécessitent pas toujours de sutures et peuvent être traitées par l’application de bandes adhésives (Steri-Strip ® ) dès lors qu’il n’y a pas une gêne importante au clignement ou qu’il n’existe pas de tension tissulaire. Dans le cas contraire, une suture s’impose (soie ou Prolène® 6/0).

PLAIES À DIRECTION VERTICALE OU OBLIQUE

Les sutures orbiculaires sont nécessaires en cas de plaie de grande taille ou encore de tension notable sur les tissus de voisinage. Les sutures cutanées se font par points séparés.

Plaies par dermabrasion

  • ±

    Plaies superficielles : brossage doux pour éliminer les corps étrangers et après bain d’antiseptique (povidone ou chlorexidine : voir fig. 5-1-58). Un pansement cicatrisant gras permet de favoriser la cicatrisation dirigée. Une protection solaire systématique avec hydratation cutanée postopératoire est préconisée.

  • ±

    Plaies profondes : exploration de la plaie avec brossage pour éliminer les débris de corps étrangers. Si un parage est nécessaire, il doit rester très économe.

Plaies transfixiantes
PLAIES TRANSFIXIANTES (DE PLEINE ÉPAISSEUR) EN DEHORS DU BORD LIBRE

Le principe de réparation des plaies transfixiantes est la suture des différents plans palpébraux, de la profondeur vers la superficie : conjonctive, tarse, rétracteurs, muscle orbiculaire et peau.

En paupière supérieure, il est indispensable de contrôler le muscle releveur ainsi que ses insertions latérales et aponévrotiques (voir fig. 5-1-59).

PLAIES TRANSFIXIANTES (DE PLEINE ÉPAISSEUR) INTÉRESSANT LE BORD LIBRE (voir fig. 5-1-60)

Le nettoyage de la paupière doit permettre de retrouver les points conjugués et le parage éventuellement nécessaire sera également économe.

La marge ciliaire doit être reconstruite avec la plus grande précision pour bien aligner le bord libre. La reconstruction du plan tarsoconjonctival s’aidera de multiples points de Vicryl ® 6/0 et le plan cutané et orbiculaire bénéficiera d’une suture par Vicryl® 6/0 et de sutures palpébrales à points séparés.

AVULSIONS PALPÉBRALES
Avulsions palpébrales respectant les voies lacrymales

On s’aide des points conjugués pour reconstituer l’anatomie palpébrale, en prenant soin de suturer plan par plan les différentes couches de la paupière. Le bord libre doit être parfaitement positionné pour éviter toute malposition ciliaire ultérieure. On suture donc le bord libre et éventuellement le canthus latéral, la conjonctive et le tarse, le muscle releveur de la paupière supérieure et éventuellement le muscle de Müller, ainsi que le plan cutanéo-orbiculaire (voir fig. 5-1-61).

Avulsions palpébrales impliquant les voies lacrymales

En cas de section ou de lacération de canalicule supérieur et inférieur, la réparation palpébrale sera réalisée afin de diminuer la tension de la réparation canaliculaire (voir fig. 5-1-62 et encadré 5-1-11) [6–8].

Encadré 5-1-11
Particularités des réparations canaliculaires

  • Sous anesthésie générale, si possible, avec un microscope opératoire à focale spéciale pour paupière [5].

  • Boîte de chirurgie lacrymopalpébrale.

Temps d’exploration

Dans les cas simples, on s’aide d’une sonde à voies lacrymales de diamètre 00 ou 0 pour individualiser les extrémités des canalicules.

L’injection de produit visco-élastique (voire d’air ou encore de colorant) par le méat lacrymal ou le canalicule permet de différencier les voies lacrymales des zones contuses environnantes dans les cas les plus compliqués [2].

Il est enfin fortement recommandé d’éviter la queue de cochon, sauf si on en a une bonne expérience.

Temps de suture canaliculaire

On utilise plus volontiers des sutures de monofilament 9/0 ou 10/0 voire du Vicryl ® 9/0. Les sutures par monofilament peuvent être transfixiantes à raison de 3 à 6 points par canalicule.

L’intubation par sonde mini-Monoka ® est préconisée en cas de section monocanaliculaire proximale (plaie des 2/3 externes des canalicules) [6–8]. La sonde Monoka ® peut être utilisée pour la section canaliculaire distale (plaie du 1/3 interne des canalicules) ou en cas d’arrachement canaliculaire. La sonde bi-canaliculo-nasale est utilisée en cas de section bicanaliculaire avec arrachement possible du canal d’union.

Durée d’intubation : 2 à 6 mois.

Temps de suture palpébrale

Le muscle orbiculaire est suturé par plusieurs points de fil résorbable (Vicryl ® 6/0).

L’intérêt est de protéger la suture canaliculaire et de diminuer la tension du plan canaliculaire ainsi que la tension du plan cutané.

Le plan cutané est suturé par du fil non résorbable synthétique ou de la soie 6/0 et des points séparés.

PERTES DE SUBSTANCE PALPÉBRALE

Les pertes de substance palpébrale sont assez rares en traumatologie de la face. Il s’agit toujours d’une réparation d’aval des urgences qui nécessite d’être prise en charge dans un environnement adapté par un opérateur entraîné à l’utilisation des greffes et des lambeaux. Différents lambeaux de voisinage sont utilisables et on privilégiera les lambeaux aux greffes compte tenu de leur meilleure cicatrisation, potentiellement dans un contexte traumatique (voir fig. 5-1-56).

Pronostic

Si les plaies superficielles et les avulsions sont dans l’ensemble d’excellent pronostic, celui-ci est parfois plus réservé en cas de perte de substance surtout dans un contexte de morsure animale affectant la paupière supérieure.

Les plaies caniculaires franches de la moitié proximale du canalicule correctement prise en charge ont en règle générale un bon pronostic. En revanche, celles intéressant la partie distale des canalicules et le canalicule d’union sont de pronostic fonctionnel beaucoup plus réservé, surtout si elles sont contuses et associées à des pertes de substance.

Conclusion

Les plaies palpébrales sont loin d’être exceptionnelles. Elles sont caractérisées par un vaste polymorphisme.

Hormis pour la perte de substance affectant la paupière supérieure, elles constituent une urgence relative. Cela laisse largement le temps à un centre ophtalmologique spécialisé de prendre en charge l’aval de l’urgence chez le patient, gage d’un pronostic optimal.

Ce pronostic est dans l’ensemble bon. Il est plus réservé pour les rares pertes de substance, particulièrement si elles touchent la paupière supérieure ainsi que pour les plaies affectant les canalicules, surtout dans leurs parties distales et dans la localisation au niveau du canalicule d’union.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Fayet B, Bernard J, Ammar J, et al. Contribution à l’étude des plaies récentes des voies lacrymales : à propos de 262 cas traités en urgence. Journal Français d’Ophtalmologie 1988 ; 11 : 627‑37.
[2] Fayet B, Bernard J, El Bakkali M. Traumatologie lacrymale. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Ophtalmologie, 21‑175-A-10. 2000.
[3] Hugues P, Jourdel D, Bruandet C, Labalette P. Pathologie traumatique des voies lacrymales. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Ophtalmologie, 21‑170-B-40. 1998.
[4] Camezind P, Adenis J. Traumatologie des canalicules. In : Ducasse A, Adenis JP, Fayet B, George JL, Ruban JM. Eds. Rapport annuel de la SFO : les voies lacrymales. Paris : Elsevier Masson ; 2006, p. 309.
[5] Ducasse A, Adenis JP, Fayet B, George JL, Ruban JM. Eds. Rapport annuel de la SFO : les voies lacrymales. Paris : Elsevier Masson ; 2006.
[6] Adenis J, Robin A. La réparation des plaies canaliculaires au monofilament avec ou sans intubation ? Premiers résultats. Bulletin des Sociétés d’Ophtalmologie de France 1981 ; 6 : 180‑1.
[7] Fayet B. Traumatologie des canalicules lacrymaux. J Fr Ophtalmol 1990 ; 13 : 227‑43.
[8] Fayet B, Bernard JA, Pouliquen Y. Réparation des plaies canaliculaires récentes avec une sonde mono-canaliculaire à fixation méatique. Bulletin des Sociétés d’Ophtalmologie de France 1989 ; 89 : 819‑25.

5.1.9. ITEMS D’URGENCE OPHTALMOLOGIQUE POSTOPÉRATOIRE ET IATROGÈNE

C. MEHANNA, B. FAYET, E. RACY, M. LEHMANN, J.-L. BOURGES

Introduction

La plupart des pathologies ophtalmologiques, en particulier les items d’urgence, sont liées au terrain du patient ou à des agents pathogènes extérieurs. Cependant, dans de rares cas, ces pathologies résultent d’une intervention médicale ou chirurgicale. Tout geste médical effectué sur le corps humain, et plus précisément sur l’œil, est accompagné d’un risque de complication et donne naissance au concept de « bénéfice/risque ».

Parmi les complications ophtalmologiques, certaines exigent une prise en charge en urgence afin de lever tout danger fonctionnel voire vital. Ces urgences peuvent être classées en deux grandes catégories, postopératoires et iatrogènes, au sein desquelles nous pouvons trouver des agents infectieux, mécaniques ou chimiques. Dans tous les cas, la prise en charge psychologique du patient ne doit pas être négligée afin de le rassurer et de l’informer sur le pronostic visuel.

Urgences ophtalmologiques postopératoires

Les urgences ophtalmologiques postopératoires sont nombreuses et concernent toutes les disciplines de la chirurgie oculaire, aussi bien à des temps précoces que tardifs. Leurs mécanismes sont très hétérogènes (tableau 5-1-12). Loin de pouvoir faire un récit exhaustif de toutes ces complications, nous exposons certaines des plus graves ou des plus fréquentes. Les endophtalmies, l’urgence ultime en ophtalmologie, sont exposées dans le chapitre 5.2.1 (voir paragraphe « Endophtalmie »). Les complications des chirurgies des paupières, voies lacrymales et orbites sont abordées plus loin dans ce sous-chapitre (voir paragraphe « Urgences postopératoires de chirurgie de paupière et voies lacrymales ») et dans les chapitre 5.1.7, 5.1.8 et 5.2.1.

Fig. 5-1-63
Corps étranger (filament iatrogène) plaqué sur l’endothélio-descemet cornéenne dans les suites immédiates d’une chirurgie intra-oculaire.
Noter les fins dépôts inflammatoires qui l’engainent.
Fig. 5-1-64
Allergie sur fil de suture.
Tableau 5-1-12
Catégories principales pourvoyeuses d'items d'urgence postopératoire.
Catégorie Exemples d'items d'urgence
Infectieuse Blébite, endophtalmie, cellulite orbitaire pré- ou rétroseptale
Sur corps étranger exogène ou iatrogène (particule, fibre, aiguille, etc.) (fig. 5-1-63)
Sur matériel implanté (suture, lentille, anneaux, bille, indentation, valve, patch, etc.)
Abcès incisionnel ou de l'abord opératoire
Mécanique Lié aux sutures:rupture, lâchage, laxité, intolérance, allergie (fig. 5-1-64)
Lié à l'incision/abord:défaut d'étanchéité, désunion, malposition, brûlure
Lié au tissu:hernie, luxation, avulsion, malposition, ischémie/nécrose, résidu/fragment
Lié au matériel ou au matériau (voir plus haut)
Hémorragique Hyphéma; hémorragie vitréenne, choroïdienne, épisclérale, palpébrale, orbitaire rétroseptale, etc.
Pressionnelle Blocage pupillaire/trabéculaire:mécanique, inflammatoire, iatrogène (gaz, visqueux)
Inflammatoire Stimulation auto-immune, toxique
Thérapeutique Allergies, intolérances, effets indésirables spécifiques, efficacité insuffisante
Douloureuse Œdème, inflammation, ischémie, sensibilité nociceptive élevée, anxiété
Fonctionnelle Dégradation de la vision, de la mobilité, du confort, de l'aspect physique

CHIRURGIE DE LA CATARACTE
INFECTIONS ET INFLAMMATIONS

La complication postopératoire la plus grave et la plus urgente survenant après une chirurgie de la cataracte est l’endophtalmie (voir chapitre 5.2.1, paragraphe « Endophtalmie »). En l’absence d’infection, une inflammation aiguë postopératoire précoce constitue le syndrome toxique de chambre antérieure ( toxic anterior segment syndrome [TASS] ; fig. 5-1-65) [1]. L’administration d’anti-inflammatoires stéroïdiens précoce est alors déterminante.

Fig. 5-1-65
Toxic anterior segment syndrome (TASS) dans les suites d’une chirurgie de la cataracte).
On note les membranes cyclitiques à la périphérie de la lentille intra-oculaire.

Une infection au niveau de l’incision principale peut aussi constituer une urgence post-chirurgicale. Elle est en règle causée par la présence d’une suture ou suite à son ablation (fig. 5-1-66). La formation d’un abcès se traite comme une kératite infectieuse grave (voir chapitre 5.2.1, paragraphe « Kératite infectieuse »).

Fig. 5-1-66
Endophtalmie secondaire à l’infection d’une suture incisionnelle post-phacoémulsification.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES MÉCANIQUES

Une cataracte longue ou un matériel défectueux peuvent entraîner une brûlure cornéenne au niveau de l’incision principale. Le patient peut se plaindre de larmoiement et/ou d’une gêne importante. À l’examen, une fuite d’humeur aqueuse est observée au niveau de la brûlure cornéenne. Avec l’observation d’un signe de Seidel, la suture incisionnelle en urgence permet de rétablir l’étanchéité et d’éliminer le risque infectieux.

La persistance d’un résidu cristallinien (fig. 5-1-67) et sa luxation peuvent générer une inflammation chronique. Typiquement, à l’examen de contrôle, un fragment cristallinien est enchâssé dans l’angle iridocornéen inférieur. Immobilisé derrière l’iris pendant l’intervention, il passe en chambre antérieure avec les mouvements de convection de l’humeur aqueuse. Un contact endothélial doit être levé en urgence pour prévenir la consommation cellulaire endothéliale définitive [2].

Fig. 5-1-67
Masse cristallinienne enchâssée dans l’angle iridocornéen, observée à la lampe à fente quelques heures après une phacoémulsification.

La luxation d’une lentille intra-oculaire spontanée (rupture zonulaire, capsulaire) ou traumatique survient brutalement, occasionnant une baisse visuelle importante soudaine, non inflammatoire, non douloureuse (fig. 5-1-68). Un repositionnement chirurgical de l’implant est proposé en aval rapide de la consultation d’urgence en cas de luxation symptomatique, instable ou délétère. Une iridotomie laser est effectuée dans l’aval immédiat des urgences pour les blocs pupillaires.

Fig. 5-1-68
Luxation postopératoire précoce de lentilles intra-oculaires (LIO), avec déformation pupillaire mécanique.
a. Capture antérieure irienne de l’optique d’une LIO placée en piggy-back, avec douleur et initiation d’un blocage pupillaire. b. Capture de l’haptique inférieure d’une LIO probablement placée hors du sac capsulaire par inadvertance ( in and out ).

URGENCES POSTOPÉRATOIRES PRESSIONNELLES

La chirurgie de la cataracte est pourvoyeuse d’hypertonie aiguë. Cette dernière résulte de la persistance du produit viscoélastique ou d’une inflammation. Rarement, elle peut justifier l’administration par voie veineuse en urgence de produits hypotonisants. Dans les chirurgies compliquées de rupture capsulaire, l’hypertonie aiguë peut résulter d’une luxation antérieure de l’implant avec capture irienne (fig. 5-1-68) ou bloc pupillaire. Une réduction de la pression intra-oculaire se fait en urgence par les produits hypotonisants intraveineux (inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, agents osmolaires) et topiques (β-bloquants, α-agonistes, inhibiteurs de l’anhydrase carbonique).

CHIRURGIE DU GLAUCOME

La prise en charge chirurgicale du glaucome comporte de nombreux risques de complications pourvoyeuses d’items d’urgence et de demande de soins non programmés d’ophtalmologie (DSNPO).

INFECTIONS ET INFLAMMATIONS

L’endophtalmie sur blébite met en danger le pronostic visuel. Elle est favorisée par un défaut d’étanchéité immédiat ou secondaire du site de filtration. L’utilisation des agents antimétaboliques, en particulier la mytomycine C, peut induire la formation de bulles de filtration avasculaires. La complication directe est la perforation et la fuite d’humeur aqueuse, favorisant la pénétration de germes. La blébite se manifeste par des symptômes de type : gêne visuelle, photophobie, larmoiement, rougeur, sécrétions purulentes, douleur, baisse de l’acuité visuelle. À l’examen, la bulle de filtration présente un aspect « blanc sur rouge » caractéristique, avec un possible signe de Seidel, et est chargée de pus. On note une hypotonie du globe et une légère réaction inflammatoire en chambre antérieure. La blébite non contrôlée évolue vers une endophtalmie (bleb-related endophthalmitis [BRE]). On constate alors une douleur et une baisse de vue qui s’aggravent rapidement en quelques heures. Une hyalite est retrouvée à l’examen clinique.
Des différences sont notées entre les prélèvements effectués au niveau de la surface oculaire et ceux du vitré, probablement en raison d’une contamination des prélèvements de surface ou de la présence transitoire des germes avant leur passage intra-oculaire. Au niveau de la bulle de filtration, Staphylococcus epidermidis et Staphylococcus aureus sont retrouvés, alors qu’aux ponctions vitréennes d’autres germes se rajoutent : streptocoques et bactéries à Gram négatif.

La prise en charge (PEC) thérapeutique est urgente (triage PEC de catégorie 3), si la blébite est isolée, avec toutefois la nécessité d’un prélèvement microbiologique avant l’instauration de l’antibiothérapie. On associe un traitement antibiotique par des collyres fortifiés, en l’absence de réaction inflammatoire intra-oculaire. Faute d’amélioration rapide (24-48 heures) ou en présence d’un Tyndall (triage PEC de catégorie 2), une prise en charge hospitalière est nécessaire avec des prélèvements de chambre antérieure et des injections intra-oculaires d’antibiotiques. L’évolution possible vers une endophtalmie pose l’indication d’une hospitalisation avec ponction vitréenne à visée diagnostique et injection intravitréenne d’antibiotiques. Une blébite compliquée d’une endophtalmie ou résistante au traitement médical nécessite le débridement de la bulle de filtration à chaud et sans délai avec repositionnement conjonctival. Dans les autres cas, une révision chirurgicale à froid permet d’éviter les récidives infectieuses tout en préservant le pronostic fonctionnel de la chirurgie filtrante [3].

URGENCES POSTOPÉRATOIRES CICATRICIELLES ET MÉCANIQUES

Une distension des sutures avec rétraction conjonctivale et fuite d’humeur aqueuse (Seidel positif) peut être traitée médicalement par des pommades antibiotiques et éventuellement pose d’une lentille de large diamètre. En l’absence de bulle de filtration ou en cas d’hypotonie majeure, la suture conjonctivale en urgence (triage PEC de catégorie 5) permet de rétablir le pronostic fonctionnel de la chirurgie filtrante et de réduire les risques infectieux. Au lendemain d’une trabéculectomie, une prise en charge hospitalière est urgente en la présence d’un hyphéma important accompagné d’une hypertonie. Les explorations permettent d’éliminer une hémorragie expulsive ou un saignement important sur rubéose irienne. Une fois l’hémorragie expulsive éliminée, un lavage de chambre antérieure est effectué pour éliminer l’obstruction du site de filtration et éviter une hématocornée. Dans les suites opératoires d’un implant de drainage (valve d’Ahmed, tube de Molteno, tube de Baerveldt, etc.), un contact entre le tube et l’endothélium cornéen doit être pris en charge rapidement avec repositionnement du tube pour prévenir une consommation endothéliale [4].

URGENCES POSTOPÉRATOIRES PRESSIONNELLES

Une hypotonie majeure par hyperfiltration peut engendrer un décollement choroïdien massif, généralement résolutif sans séquelles. L’hyperfiltration nécessite de vérifier l’étanchéité du globe oculaire. L’hypotonie rend inconstante l’observation d’un signe de Seidel, qu’il faut alors tenter de provoquer doucement. Une fuite d’humeur aqueuse fait discuter une reprise chirurgicale pour être colmatée. En son absence, il est possible d’administrer de l’atropine topique, après élimination de ses contre-indications. L’hypertonie aiguë postopératoire est abordée au chapitre 5.2.3 .

CHIRURGIE RÉFRACTIVE
INFECTIONS ET INFLAMMATIONS

La kératite lamellaire diffuse ( SOS syndrome ) est l’urgence la plus bruyante après une chirurgie réfractive, en particulier après laser in situ keratomileusis (Lasik) [5]. Cette réaction inflammatoire de l’interface du capot risque de s’aggraver de manière très rapide et de mettre en danger le pronostic visuel, nécessitant ainsi une prise en charge immédiate médicale voire chirurgicale, en milieu intra- et extra-hospitalier. Sa prise en charge associe le nettoyage de l’interface du capot et l’administration topique fréquente de corticoïdes. Le pronostic est en principe bon après traitement rapide et adapté, avec une récupération ad integrum non rare. L’incidence de cette complication a nettement diminué avec l’utilisation du laser femtoseconde pour la découpe [6].

La chirurgie réfractive présente dans de rares situations des complications infectieuses à la surface de la cornée, par exemple en photokératectomie réfractive (fig. 5-1-69) et kératotomie (fig. 5-1-70 ), ou dans l’interface pour le Lasik ou le small incision lenticule extraction (Smile) (fig. 5-1-71) [7]. L’interrogatoire doit rechercher des antécédents ophtalmologiques particuliers tels que des kératites herpétiques ou un port de lentilles de contact à visée thérapeutique, et des antécédents de maladies systémiques (diabète, maladies auto-immunes, etc.). Les symptômes apparaissent dans les jours ou les semaines qui suivent l’intervention : baisse de l’acuité visuelle, gêne, larmoiements, photophobie, douleur, rougeur, etc. Un examen bilatéral à la lampe à fente s’impose urgemment à la recherche d’un des éléments suivants : érosion épithéliale, infiltrats intrastromaux, infiltrats dans l’interface, dendrites, néovaisseaux cornéens, kératolyse, abcès cornéen, inflammation dans la chambre antérieure, invasion épithéliale de l’interface, déplacement voire perte traumatique du capot. Pour les infections survenant dans les jours qui suivent l’opération, les bactéries à Gram positif sont le plus souvent incriminées : Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniae, Streptococcus viridans, Staphylococcus epidermidis. Les infections par des mycobactéries atypiques et par les champignons sont plus probables au-delà de 10 jours. Une réactivation d’une kératite herpétique peut survenir en raison du stress chirurgical et de la corticothérapie, de même qu’une infection à Pseudomonas aeruginosa ou à Acanthamoeba suite au port de lentilles thérapeutiques. Des prélèvements cornéens superficiels ou de l’interface, dans les cas d’abcès sur Lasik ou Smile, doivent être effectués avant de commencer le traitement par collyres antibiotiques fortifiés.

Fig. 5-1-69
Kératite infectieuse amibienne sous lentille souple hydrophile pansement posée de manière systématique dans les suites d’une photokératectomie réfractive.
Fig. 5-1-70
Kératite infectieuse localisée au niveau d’une incision réfractive de kératotomie radiaire.
Fig. 5-1-71
Foyer infectieux (flèche) dans l’interface d’un capot de Lasik (têtes de flèche) au niveau de la charnière supérieure.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES CICATRICIELLES

Les deux principales causes de DSNPO postopératoire de chirurgie réfractive sont la douleur liée à la désépithélialisation cornéenne (majoritaire) et l’inquiétude quant au résultat visuel et réfractif.

Des retards de réépithélialisation peuvent également être observés dans la chirurgie réfractive de surface (photokératectomie réfractive [PKR]). Ils ne sont pas forcément douloureux, particulièrement lorsqu’ils sont liés à une mauvaise trophicité cornéenne. Ils augmentent considérablement les risques de fibrose stromale ( haze), d’infection cornéenne et d’ulcération, voire de perforation cornéenne. Les causes de retard de cicatrisation restent méconnues. L’altération préopératoire du réseau nerveux cornéen participe (diabète, antécédent d’herpès, hypoesthésie, etc.) à ces retards. L’utilisation de la mytomycine C en peropératoire a été suspectée bien que cela soit discuté [8–10]. L’utilisation d’une lentille thérapeutique, l’augmentation des agents mouillants et la réduction des conservateurs toxiques constituent une première approche. Si le défect épithélial persiste au-delà de 10 jours, la greffe d’une membrane amniotique humaine pourrait être indiquée pour fournir des facteurs trophiques cicatrisants et des facteurs anti-inflammatoires qui réduisent le risque de haze.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES MÉCANIQUES

Les complications mécaniques du capot de Lasik vont du capot libre à la mobilisation traumatique secondaire (fig. 5-1-72). Une réduction sans délai de la luxation ou de l’avulsion permet de préserver le pronostic visuel, très altéré autrement.

Fig. 5-1-72
Plis inférieurs d’un capot de Lasik vu à la lampe à fente (a) et après instillation de fluorescéine (b).
L’étiologie est post-traumatique par coup d’ongle de son bébé.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES PRESSIONNELLES

En matière de chirurgie réfractive, elles sont très rares. Citons l’hypertonie aiguë post-Lasik. Le tonus oculaire peut être artéfactuellement normal, car le capot est soulevé par une lame d’humeur aqueuse, accumulée dans l’interface par la pression intra-oculaire, et connu sous le nom d’ interface fluid syndrome [11]. La tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) de cornée permet le diagnostic quand un examen biomicroscopique attentif n’a pas pu être fait.

CHIRURGIE DE LA CORNÉE HORS CHIRURGIE RÉFRACTIVE

Les urgences postopératoires dans les suites des différentes techniques de greffe de cornée ne sont pas exceptionnelles. Elles dépendent en particulier de l’indication et de la technique de kératoplastie, d’une implantation de matériel intracornéen et du terrain du patient. Elles peuvent être immédiates ou se manifester à distance de la chirurgie.

INFECTIONS ET INFLAMMATIONS

Il est exceptionnel qu’une chirurgie de surface oculaire s’infecte. L’infection est alors favorisée par le port d’une lentille souple pansement (fig. 5-1-69).

Les patients opérés d’une allogreffe de cornée, en particulier de kératoplastie transfixiante, peuvent présenter une baisse de l’acuité visuelle, accompagnée parfois de rougeur et d’une légère douleur oculaire. Tout événement inhabituel survenant sur une cornée greffée est un rejet endothélial jusqu’à preuve (souvent thérapeutique) du contraire, même de nombreuses années après l’intervention chirurgicale. Il est favorisé par : le nombre de kératoplasties précédentes ; la rupture du fil de suture cornéenne ; la survenue d’une infection herpétique ; la présence d’une pathologie de la surface oculaire en particulier de néovaisseaux cornéens. Un traitement précoce permet d’arrêter le processus inflammatoire, de réduire la perte endothéliale et éventuellement de préserver le greffon de l’insuffisance endothéliale définitive. Il associe des corticoïdes en administration horaire topique et une corticothérapie systémique. On peut de plus avoir recours à des injections sous-ténoniennes de corticoïdes et/ou une hospitalisation avec injection intraveineuse de méthylprednisolone si l’état du patient le permet.

Une kératite infectieuse précoce de kératoplastie fait suspecter l’infection d’une suture ou une kératomycose. Si cette dernière est évoquée, les traitements corticoïdes locaux sont strictement contre-indiqués. Le diagnostic peut être étayé par la microscopie confocale in vivo. Les prélèvements locaux sont rarement contributifs. Il faut traiter cet item en urgence (triage PEC de catégorie 3), de manière probabiliste.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES CICATRICIELLES

Comme en chirurgie réfractive, un retard cicatriciel de surface cornéenne au-delà de 1 semaine doit faire l’objet d’une cicatrisation dirigée active (cicatrisants pharmacologiques ou biologiques, protecteurs lubrifiants, éviction des toxiques et des conservateurs, occlusion). Une surveillance fréquente, toutes les 48 heures idéalement ou au minimum hebdomadaire, permet d’adapter la thérapeutique pour éviter la fibrose cicatricielle optiquement préjudiciable.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES MÉCANIQUES

Une distension du fil de suture peut survenir au lendemain d’une procédure chirurgicale, comme une kératoplastie transfixiante (effet « fil à couper le beurre » ou diminution d’œdème stromal). L’observation d’un défaut d’étanchéité impose une reprise chirurgicale en urgence afin d’éviter les risques infectieux et les décollements choroïdiens.

À l’ablation des fils cornéens, une kératoplastie transfixiante peut se compliquer, même à des stades tardifs, d’une décoaptation des berges du greffon de manière spontanée ou post-traumatique. Les patients se plaignent d’une baisse brutale de l’acuité visuelle, de larmoiements continus, voire de douleur oculaire en particulier en cas de surinfection. La désunion du greffon est considérée comme une plaie de globe nécessitant une fermeture chirurgicale en urgence et un traitement par antibioprophylaxie.

Tout matériel implanté dans la cornée peut s’infecter, se luxer ou être à l’origine d’une kératolyse aseptique (fig. 5-1-73). Une ablation immédiate aux urgences est parfois possible voire souhaitable. En revanche, un repositionnement s’envisage de préférence au bloc opératoire dans des conditions techniques et d’asepsie optimales.

Fig. 5-1-73
Mobilisation d’un segment d’anneau intracornéen à distance de l’incision d’insertion (tête de flèche) avec kératolyse antérieure et luxation externe (flèche), responsable d’une gêne intense mécanique.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES PRESSIONNELLES

Une autre urgence dans les suites de la kératoplastie transfixiante est l’hypertonie aiguë compliquée d’un syndrome d’Urrets-Zavalia. Toutefois, elle est en nette régression avec la diminution de l’utilisation des produits viscoélastiques, et le traitement médical rapide permet de baisser la pression intra-oculaire avant la survenue d’une ischémie du sphincter irien. De nombreuses techniques de reconstruction irienne sont utilisées en cas de mydriase irienne définitive [12].

Les kératoplasties lamellaires présentent également des risques de complications urgentes. Ainsi, les greffes endothéliales de type Descemet membrane endothelial keratoplasty (DMEK) ou Descemets stripping automated endothelial keratoplasty (DSAEK) peuvent se compliquer d’une hypertonie aiguë dans les heures qui suivent l’intervention. Une bulle d’air est injectée en chambre antérieure à la fin de l’opération pour maintenir le greffon. En raison des changements de position du patient, l’air peut passer en partie ou en totalité derrière l’iris et induire un bloc pupillaire avec augmentation aiguë de la pression oculaire. Le patient se plaint de douleurs orbitaires invalidantes, avec photophobie, baisse de la vue, nausées et vomissements. Une prise en charge en urgence consiste à maintenir le patient en décubitus dorsal strict, introduire un traitement hypotonisant par voie intraveineuse et à induire une mydriase pharmacologique pour favoriser le passage de l’air en chambre antérieure et lever le bloc pupillaire. En cas d’échec du traitement médical, une évacuation de l’air s’impose en urgence, à la lampe à fente, si la situation du patient le permet, ou au bloc opératoire.

CHIRURGIE DU SEGMENT POSTÉRIEUR

La chirurgie du segment postérieur, en particulier celle du décollement de rétine, peut également se compliquer d’urgences postopératoires. Le plus souvent, une récidive du décollement de rétine peut survenir nécessitant une réintervention chirurgicale rapide afin d’améliorer le pronostic visuel. La rechute peut être asymptomatique ou, au contraire, se manifester par une baisse de l’acuité visuelle, un voile ou une amputation du champ visuel. Suite à l’injection de gaz de tamponnement rétinien, des hypertonies importantes peuvent survenir dans les jours qui suivent l’intervention et nécessitent très rarement une exsufflation chirurgicale.

INFECTIONS ET INFLAMMATIONS

L’injection intravitréenne est loin d’être un geste anodin en raison d’un risque éventuel d’infection oculaire qui l’accompagne. Une endophtalmie doit être éliminée en priorité devant l’apparition d’une inflammation postopératoire en raison de l’urgence de l’installation du traitement antibiotique. Notons que dans certains cas, comme pour l’aflibercept, des inflammations oculaires stériles peuvent être observées [13]. Bien sûr, comme pour toute chirurgie intra-oculaire, une endophtalmie peut se produire après vitrectomie, mais il s’agit désormais d’un événement rare (0,07 %) avec des techniques de vitrectomie peu invasives [14].

URGENCES POSTOPÉRATOIRES MÉCANIQUES

Les items d’urgence mécanique postopératoire de chirurgie du segment postérieur sont principalement les déchirures rétiniennes (< 2 % en vitrectomie 25 G) [15] et décollements de rétine iatrogéniques, les hémorragies intravitréennes par saignement en regard des sclérotomies, les luxations de tamponnement interne (gaz/silicone ; fig. 5-1-74) ou externe (éponge). Enfin, une indentation externe peut s’extérioriser ou créer une diplopie.

Fig. 5-1-74
Tamponnement interne par huile de silicone se luxant en chambre antérieure chez une patiente aphaque avec aniridie subtotale post-traumatique.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES PRESSIONNELLES

Les suites opératoires précoces de chirurgie ab interno avec tamponnement interne peuvent se compliquer d’hypertonies spécifiquement liés à, par exemple, l’expansion d’un gaz mal dilué, un volume de silicone inadapté ou une luxation en chambre postérieure d’une bulle de gaz réalisant une fermeture de l’angle irido-cornéen. Une hypertonie tardive de présentation aiguë peut aussi être liée à la migration trabéculaire d’huile de silicone luxée ou émulsifiée.

Les suites opératoires précoces de chirurgie ab externo peuvent rarement être marquées par un string syndrome ou ischémie du segment antérieur après indentation circonférentielle [16].

URGENCES POSTOPÉRATOIRES DE CHIRURGIE DE PAUPIÈRE ET VOIES LACRYMALES

B. FAYET, E. RACY

Points forts

  • Les douleurs en pathologie lacrymale constituent un signe d’alarme.

  • La localisation de la douleur et le contexte suffisent le plus souvent au diagnostic.

  • L’apparition de céphalées immédiatement après une dacryocystorhinostomie doit faire éliminer une brèche méningée. Le pronostic vital est engagé.

  • L’apparition de douleurs oculaires après intubation doit faire éliminer une érosion de cornée.

BRÈCHE MÉNINGÉE APRÈS DACRYOCYSTORHINOSTOMIE

  • ±

    Contexte : patient opéré de dacryocystorhinostomie (DCR), quelle que soit la voie d’abord, y compris la voie transcanaliculaire au laser.

  • ±

    Terrain : tous sujets.

  • ±

    Antécédents prédisposants :

    • principalement sujets âgés et ostéoporotiques ;

    • procidence méningée.

  • ±

    Circonstances de survenue :

    • mécanisme direct : rarement extension excessive de l’ostéotomie vers la base du crâne ; ostéotomie de taille et situation normales, mais sujet présentant une procidence méningée méconnue ;

    • mécanisme indirect : torsion imprimée au cornet moyen et/ou au septum nasal. Les deux s’insérant sur la lame criblée de l’ethmoïde.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels

    • généraux : céphalées vives, débutant souvent dès le réveil postopératoire ; l’existence de fièvre fait redouter une méningite purulente.

    • spécifiques : aucun.

  • ±

    Signes physiques : écoulement de liquide clair, eau de roche, par la fosse nasale faisant redouter une rhinorrhée cérébrospinale.

Examens paracliniques

Le scanner est urgent et ne doit pas retarder la prise en charge thérapeutique.

Type d’urgence et délai de prise en charge

  • ±

    Type d’urgence : catégorie 1, CIMU 2.

  • ±

    Délai maximal de prise en charge (PEC) dans les 6 heures.

  • ±

    Justification d’une prise en charge urgente : tant que persiste la fuite de LCR existe un risque de surinfection méningée et d’abcès du cerveau.

Signes paracliniques d’intérêt particulier pour la PEC en urgence

Imagerie orbitaire : radiographie/scanner pour visualiser la pseudencéphalie caractéristique.

Diagnostic différentiel essentiels

Les autres douleurs précoces après DCR peuvent être les suivantes :

  • ±

    il peut exister des brûlures de l’orifice narinaire après forage osseux non protégé. La prise en charge est celle d’une brûlure cutanée. Une brûlure au 3 e degré fait redouter une nécrose secondaire de l’aile du nez (exceptionnel) ;

  • ±

    les sinusites frontales et/ou maxillaires sont rares. Elles sont le plus souvent résolutives médicalement (catégorie 5) ;

  • ±

    les douleurs de la branche montante du maxillaire (catégorie 6) suggèrent une ostéite. Elles sont volontiers associées à une cacosmie. Les facteurs favorisants sont mal connus (forage plus qu’emporte-pièces, large résection muqueuse en regard du maxillaire, pathologie nasale chronique, tabagisme, méchage, etc.). Les germes observés sont plus volontiers des staphylocoques, pyocyaniques ou anaérobies).

Prise en charge
IMMÉDIATE AUX URGENCES

  • ±

    Le patient est hospitalisé. Le pronostic vital est engagé.

  • ±

    On débutera instantanément antibiothérapie et vaccination, antipneumococcique. Le scanner cérébral urgent montrera la pneumencéphalie caractéristique.

  • ±

    Éviter tout contact avec un sujet infecté quel qu’il soit.

  • ±

    Il faut rechercher une équipe neurochirurgicale disponible.

  • ±

    Interdiction de moucher pour éviter d’aggraver la pneumencéphalie et de contaminer les espaces méningés avec les germes de la fosse nasale.

D’AVAL IMMÉDIAT

La procédure de fermeture chirurgicale de la brèche devra être discutée entre une voie haute réalisée par les neurochirurgiens et une voie basse endonasale effectuée en partenariat avec les équipes ORL entraînées à la chirurgie de la base du crâne sous guidage endoscopique.

Surveillance recommandée

Toutes les 3 heures : conscience, RPM et consensuel, température.

Pronostic

  • ±

    Le pronostic est dépendant du colmatage de la brèche.

  • ±

    Le risque de surinfection et d’abcès du cerveau ne peut pas être écarté pour une durée de 3 semaines environ.

  • ±

    À distance, le pronostic de la DCR n’est pas en cause.

Conclusion

L’apparition de céphalées immédiatement après une dacryocystorhinostomie doit faire éliminer une brèche méningée. Le pronostic vital est engagé.

ÉROSION DE CORNÉE APRÈS INTUBATION LACRYMALE

C’est une urgence de catégorie 4.

  • ±

    Contexte : apparition de douleurs oculaires dans les suites d’une chirurgie lacrymale comportant la mise en place d’une intubation lacrymale quelle qu’elle soit.

  • ±

    Circonstances de survenue :

    • spontanée ou frottements intempestifs des globes oculaires ;

    • elle serait plus fréquente en cas de trisomie 21.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels :

    • généraux : aucun ;

    • spécifiques : douleur, photophobie, sensation de corps étranger, blépharospasme, larmoiement.

  • ±

    Signes physiques :

    • érosion de cornée et/ou de conjonctive ;

    • protrusion anormale de la prothèse lacrymale.

Examens paracliniques

Aucun examen paraclinique n’est indispensable et cela ne doit pas retarder la prise en charge thérapeutique.

Type d’urgence et délai de prise en charge

  • ±

    Type d’urgence : PEC catégorie 4.

  • ±

    Délai maximal de prise en charge (PEC) : 24 heures.

  • ±

    Justification d’une prise en charge urgente : éviter l’ulcère et sa surinfection.

Prise en charge
IMMÉDIATE AUX URGENCES

  • ±

    Le traitement symptomatique de l’érosion cornéenne est traité par ailleurs.

  • ±

    Pour les intubations à fixation méatique autostable (Monoka, Mini-Monoka, Masterka, Lacrijet) :

    • si la tête de fixation est mal positionnée, tenter de la replacer à l’aide d’un pose-clou-dilatateur. Cela se fait à la l’aide du biomicroscope après anesthésie par collyre ;

    • dans le cas contraire, la prothèse sera immédiatement retirée à l’aide d’une pince. Cette ablation se fait en salle de soins sans anesthésie.

  • ±

    Pour les intubations bi-canaliculo-nasales (érosion exceptionnelle si la boucle n’est pas sectionnée) :

    • tenter de réintégrer la sonde à l’aide d’une pince jusqu’à retrouver une boucle harmonieuse convexe en dehors ;

    • en cas d’échec, fixer la boucle de silicone sur le canthus médial avec un ruban adhésif. Il n’existe aucun risque lacrymal à temporiser. La section au raz des deux méats de la boucle de silicone est à proscrire formellement.

  • ±

    Tube de lacorhinostomie : tenter la réintégration du tube, mais le conflit tissulaire fera souvent ressortir instantanément le tube.

EN AVAL

  • ±

    Après intubation bi-canaliculo-nasale :

    • sous guidage endoscopique, on repère l’extrémité nasale de la sonde. C’est simple à réaliser après DCR, mais presque impossible après intubation lacrymonasale ;

    • en cas d’échec, diriger le patient vers son chirurgien pour l’ablation du matériel d’intubation en totalité. La technique est théoriquement simple : faire tourner la sonde jusqu’à l’apparition des nœuds d’arrêt, et seulement après, section de la boucle. Cela permet de retirer la totalité. Cependant, il est énergiquement recommandé de disposer des renseignements opératoires. La technique d’arrêt du silicone n’est pas normalisée : les brins peuvent être arrêtés par simplement trois nœuds, ou par bien plus. D’autres rendent la sonde inextirpable par le haut en ajoutant un manchon de silicone. D’autres enfin fixent au septum nasal les extrémités nasales de la sonde avec un fil de Prolène ® (ce qui permet de réintégrer la sonde). En cas d’antécédent de section canaliculaire récente, la migration des nœuds d’arrêt comporte un risque non négligeable de désunion des sutures canaliculaires. Faire migrer les nœuds d’arrêt par le canalicule sain est sans danger pour l’avenir lacrymal.

  • ±

    Pour les tubes de lacorhinostomie : l’ablation du tube met en jeu la pérennité du néotrajet, qui a tendance à cicatriser très rapidement. Une nouvelle chirurgie sera nécessaire. Prévenir le patient.

Surveillance recommandée

  • ±

    Une surveillance cornéenne est réalisée le lendemain.

  • ±

    Un bilan lacrymal est réalisé un mois plus tard.

Pronostic

  • ±

    Le pronostic lacrymal dépend souvent de la durée effective de l’intubation. Les rechutes sont possibles mais peu prévisibles.

  • ±

    En cas de section malencontreuse, la rétention intralacrymale pourrait induire une réaction à corps étranger : le sac lacrymal tolère mieux un cylindre de silicone sans aspérité qu’un amas anfractueux que constituent les nœuds d’arrêt. Cette dacryocystite pourra même prendre une allure pseudo-tumorale. Elle sera d’autant plus inquiétante que rattacher l’inflammation du sac lacrymal à la présence de ce corps étranger ne sera pas obligatoirement simple : l’intervalle libre peut se compter en années. L’endoscopie nasale est d’un faible secours car, dans la grande majorité des cas, la rétention est entièrement intrasacculaire. Il en est de même pour l’imagerie qui n’objective pas une sonde radio-transparente.


Cas clinique : enfouissement aigu des bouchons lacrymaux
Présentation clinique

L’enfouissement se produit au moment de l’engagement de la tête de fixation de la prothèse. La tête de fixation et/ou le punctum migrent dans le canalicule vertical au-delà de l’anneau méatique voire dans le canalicule latéral au 1/3 externe. Les clignements sont insuffisants pour provoquer sa migration au-delà.

Prise en charge immédiate :

––Triage PEC de catégorie 5.
––Ne pas pousser (par sondage et/ou lavage sous pression) la prothèse en direction du sac lacrymal dans l’espoir d’une expulsion nasale secondaire. Le risque serait d’enclaver la prothèse dans le canalicule d’union, zone lacrymale hautement sensible et de chirurgie aléatoire.
––Prescrire un collyre antibiotique.
––Informer le patient que la prothèse peut rester quiescente dans la lumière lacrymale pendant des mois voire des années, mais que le risque que se constitue une réaction à corps étranger d’allure pseudo-tumorale est plus vraisemblable.

Prise en charge d’aval

Le patient est dirigé vers un oculoplasticien pour réaliser un abord canaliculaire sous anesthésie locale (voir vidéo 5-2-1 ). La rupture intralacrymale d’une sonde lacrymale d’exploration est une situation assez comparable à celle de l’enfouissement aigu des bouchons lacrymaux. Il est préférable de programmer son ablation chirurgicale.

Conduite à tenir devant une épistaxisaprès chirurgie des voies lacrymales

Voir (annexe 5-2-2)

Urgences ophtalmologiques et extra-ophtalmologiques iatrogènes

Une des urgences iatrogéniques graves, toutefois rares, est le glaucome par fermeture de l’angle secondaire à l’utilisation de collyres mydriatiques ou de médicaments systémiques à effet mydriatique (psychotropes). Le patient se plaint d’une baisse de l’acuité visuelle d’apparition brutale, accompagnée de halos lumineux, de douleur péri-orbitaire et de nausées-vomissements. À l’examen, on retrouve une anisocorie avec semi-mydriase aréactive. La chambre antérieure est étroite et la pression intra-oculaire élevée. La prise en charge urgente de la crise aiguë de fermeture de l’angle irido-cornéen est décrite au chapitre 5.2.3. Une hypertonie importante secondaire peut être rencontrée avec des angles iridocornéens ouverts, comme dans les hypertonies cortico-induites. Elle résulterait de dépôts de myociline au niveau des cellules trabéculaires entraînant un ralentissement du flux d’humeur aqueuse. Bien que parfois réversible à l’arrêt des collyres corticoïdes, cette hypertonie peut révéler ou exagérer un glaucome sous-jacent. Lorsque la pression intra-oculaire très élevée, l’administration de traitement hypotonisant par voie veineuse est urgente.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être responsables d’une complication grave au niveau de la cornée. Chez certains patients, en particulier en cas d’érosion épithéliale débutante, de nombreuses molécules d’AINS peuvent causer une kératolyse sévère avec perforation cornéenne et ouverture du globe : bromfénac, diclofénac, indométacine, népafénac, etc. Le processus implique l’activation de métylmétalloprotéases et peut être déclenché également par les anti-inflammatoires administrés par voie orale [16–18]. Les AINS sont contre-indiqués dans les cas d’ulcération cornéenne voire dans certaines pathologies de surface comme celles secondaires à la radiothérapie ou la graft-versus-host disease [19, 20].

Certains médicaments topiques ou systémiques peuvent induire des réactions allergiques locales péri-oculaires, voire cutanées diffuses, de gravité variable. Des nécrolyses épidermiques toxiques ( toxic epidermal necrolysis [TEN]) – ou syndrome de Lyell – et des syndromes de Stevens-Johnson (SSJ) ont été déclenchés par des médicaments comme les sulfamides, l’allopurinol, la carbamazépine, le phénobarbital, la phénytoine, les AINS dérivés de l’oxicam, le pantoprazole, le tramadol, les anti-épileptiques [20, 21], etc. Dans le SSJ, l’atteinte cutanée est inférieure à 10 % de la surface corporelle, alors qu’elle est supérieure à 30 % dans les TEN. Entre les deux pourcentages, les deux pathologies sont suspectées, mais dans tous les cas, une prise en charge urgente, pluridisciplinaire et avec un service spécialisé est indispensable en raison du pronostic vital mis en danger. Dans le cadre des traitements prescrits en ophtalmologie, les sulfamides (acétazolamide, sulfadiazine) sont les plus concernés. Les patients doivent être avertis des signes précoces afin que l’interruption du traitement soit immédiate : fièvre, lésions cutanées en cocarde, atteintes muqueuses, etc. Un avis spécialisé en dermatologie est urgent ainsi qu’un contrôle par l’ophtalmologiste traitant. Les atteintes oculaires peuvent varier entre une simple sécheresse oculaire et une pemphigoïde oculaire cicatricielle nécessitant une prise en charge hospitalière. Un traitement par des agents mouillants sans conservateur est prescrit avec parfois des corticoïdes et des immunosuppresseurs selon la gravité de la situation. Dans les cas ultimes, une greffe de membrane amniotique est indiquée [22].

Conclusion

Évidemment, il serait impossible de lister de manière exhaustive dans ce sous-chapitre tous les items d’urgence post-chirurgicale ou iatrogène médicale qui se présentent à l’ophtalmologiste en DSNPO. Il faudrait évoquer les incidents d’anesthésie locale : pénétrations intra-oculaires de ponctions latérobulbaires ou sous-ténoniennes ; occlusion de l’artère centrale de la rétine spastique ou traumatique des injections rétrobulbaires ou des positions céphaliques peropératoires contraignantes ; kératites d’exposition dans les suites d’anesthésies générales longues à paupière(s) mal occluse(s). Il faudrait aussi évoquer les effets indésirables ophtalmologiques ou extra-ophtalmologiques (voir chapitre 2.4) des principes thérapeutiques actifs administrés, comme les réactions allergiques qu’ils entraînent.

L’étendue et l’hétérogénéité de leur spectre justifient sans équivoque toutes les mesures de surveillance postopératoire habituelles, mais aussi l’accès pour le patient à une solution de permanence de soins ophtalmologiques adaptée. Le chirurgien est responsable d’organiser cette permanence pour son patient et de l’en informer, selon les termes de l’article 1242 du Code civil (ancien article 1384, modifié par ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) qui stipule que l’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre effet, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou les choses que l’on a sous sa garde ».

BIBLIOGRAPHIE

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[22] Kohanim S, Palioura S, Saeed HN, et al. Stevens-Johnson Syndrome/Toxic Epidermal Necrolysis--a comprehensive review and guide to therapy. I. Systemic disease. Ocul Surf 2016 ; 14 : 2‑19.

5.2
Urgences non traumatiques
5.2.1. URGENCES INFECTIEUSES

Urgences lacrymales et nasales

B. FAYET , E. RACY

DACRYOCYSTITES AIGUËS

Les infections de la région médiocanthale sont principalement liées au sac lacrymal lui-même. Le traitement médical, urgent, associe antalgiques, anti-inflammatoires et antibiotiques. La chirurgie, à distance, vise à prévenir les récidives.

CONTEXTE

Le contexte est totalement aléatoire. Il n’y a pas de terrain particulier, pas d’antécédent prédisposant, pas de circonstances de survenue clairement identifiables. L’anamnèse peut relever un larmoiement chronique avec suppuration.

EXAMEN CLINIQUE
Signes fonctionnels

  • ±

    Généraux : aucun signe fonctionnel général ne doit être associé. Dans le cas contraire, il faut penser à une ethmoïdite ou une cellulite orbitaire (voir chapitre 5.2.1, paragraphe « Urgences orbitaires non traumatiques »).

  • ±

    Spécifiques : on observe des douleurs de la région médiocanthale. Le maximum de la douleur se situe immédiatement en dessous du tendon canthal médial. Ceci est très évocateur de l’origine sacculaire (fig. 5-2-1). On peut parfois objectiver une impossibilité, souvent très récente, de vidanger le sac lacrymal.

    Fig. 5-2-1
    Abcès lacrymal.

Signes physiques

On retrouve la triade caractéristique des abcès : rougeur, douleur et chaleur. Les téguments qui recouvrent la tuméfaction médiocanthale sont « rouges ». L’œdème palpébral est peu important en règle mais peut parfois déborder vers la paupière inférieure.

La palpation est douloureuse. Le sac distendu est sous tension. Il faut s’assurer de l’absence de quatre signes négatifs :

  • ±

    symptomatologie oculaire associée ;

  • ±

    exophtalmie ;

  • ±

    oculo-motricité douloureuse ;

  • ±

    fièvre.

Devant la présence de l’un de ces signes, le diagnostic de dacryocystite aiguë est remis en question et une imagerie en urgence est requise (voir chapitre 5.2.1, paragraphe « Urgences orbitaires non traumatiques »).

EXAMENS PARACLINIQUES

Aucun examen ni aucun signe paraclinique n’est indispensable et ne doit retarder la prise en charge thérapeutique.

TYPE D’URGENCE

Aucune radiographie ni aucun scanner n’est nécessaire pour la prise en charge d’urgence, sauf en cas de doute sur la présence d’un corps étranger (fig. 5-2-2) ou une fracture de l’orbite.

Fig. 5-2-2
Rupture de sonde lacrymale restée bloquée dans le canalicule après sondage.

Délai maximal de prise en charge

La prise en charge (PEC) médicale est un triage de catégorie 4. La chirurgie, éventuelle, doit être réalisée en aval des urgences.

Justification d’une prise en charge urgente

Les douleurs trigéminales sont très invalidantes. Le risque de diffusion septique à l’orbite est très exceptionnel.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Il n’y a pas de forme étiologique particulière.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

(tableau 5-2-1)

Tableau 5-2-1
Comparaison des différences sémiologiques des douleurs aiguës de la région médiocanthale permettant les diagnostics différentiels d'une dacryocystite aiguë.
Dacryocystite aiguë Diverticulite aiguë Colique lacrymale Cancer du sac lacrymal Dermoïde médiocanthal
Antécédent de larmoiement Oui, ancien Variable Non Oui, récent Non
Terrain Adulte Enfant, adolescent Adulte Adulte Enfant, adolescent
Voussure Sous le tendon canthal médial Sous le tendon canthal médial et étendue plus latéralement Absente Dure, non systématisée Ferme, localisation variable
Œdème Rare Palpébral Diffus vers l'hémiface Explosif Non
Consistance à la palpation Rénitent Rénitent Sac plat hyperesthesique Envahissement mal systématisé, pierreux ± adénopathie Ferme
État général Conservé Conservé Conservé Altération rapide Conservé
Fistulisation spontanée Possible Rare Non Non, envahissement Non
Préventions de récidives Dacryocystorhinostomie Excision ± dacryocystorhinostomie Dacryocystorhinostomie Résection étendue/exentération Ablation
Catégorie d'urgence (PEC) 4 4 4 5 4

Diverticulite aiguë

Le maximum de la douleur et de la distension ne se situe pas uniquement sous le tendon canthal médial, mais se prolonge un peu plus en dehors dans la paupière inférieure, parfois jusqu’à l’aplomb du méat inférieur. En règle, on ne retrouve aucun passé de larmoiement permanent.

Colique lacrymale

La douleur débute insidieusement pour devenir en quelques heures de plus en plus vive. L’œdème médiocanthal, souvent important, peut déborder à l’hémiface. Le sac lacrymal est paradoxalement à peine dilaté mais la palpation est extrêmement douloureuse. L’interrogatoire ne retrouve aucun passé chronique de larmoiement mais peut retrouver d’autres épisodes aigus, parfois très anciens, voire même l’expulsion de corps étrangers par la fosse nasale. Sa physiopathologie est comparable en tout point à celle d’une colique néphrétique ou d’une colique salivaire. L’enclavement brusque du corps étranger distend le sac lacrymal qui est contenu dans un dédoublement du périoste.

Cancer du sac lacrymal

Cette pathologie est extrêmement rare [1]. La douleur de la région médiocanthale est diffuse et incessante. La tuméfaction déborde rapidement la région médiocanthale et le tendon médiocanthal en haut. On observe l’évolutivité inexorable des signes cliniques associés. L’imagerie, non urgente, montre une lyse osseuse.

Kyste dermoïde infecté

La localisation médiocanthale n’est pas la plus classique. Le kyste qui s’infecte était connu auparavant, d’après l’anamnèse, comme une tuméfaction de consistance ferme.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

La douleur, le risque d’extension en cellulite orbitaire rétroseptale ou celui de fistulisation justifient un triage de catégorie 4, score selon la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) de 5.

Prise en charge immédiate aux urgences

La prise en charge initiale est médicale. Elle associe des antalgiques, des antibiotiques per os à spectre large (type amoxicillineacide clavulanique) et des anti-inflammatoires per os.

Il est de règle de prescrire également collyres et/ou pommades antibiotiques et corticoïdes.

Aucun acte technique, aucun soin infirmier ni examen complémentaire n’est requis.

Prise en charge d’aval immédiat : la chirurgie

Le patient doit être transféré dans un service d’urgence d’ophtalmologie équipé d’un bloc opératoire lorsqu’une chirurgie est envisagée.

L’indication d’une incision du sac lacrymal est posée si, après environ 24 heures de traitement médical bien conduit, la douleur reste insomniante. On discute une incision de l’abcès lacrymal. Le méchage est facultatif (fig. 5-2-3 et 5-2-4).

Fig. 5-2-3
Dacryocystite aiguë préperforative.
Fig. 5-2-4
Dacryocystite aiguë incisée méchée.

L’indication d’une dacryocystorhinostomie à chaud est anecdotique. Elle se discute dans les formes médicalement incontrôlables.

L’indication d’une résection lésionnelle est réservée aux kystes dermoïdes infectés.

Surveillance recommandée

L’infection n’est pas contagieuse. Les douleurs doivent disparaître en moins de 12 heures. L’abcès guérit en 1 semaine. L’hospitalisation est très rarement nécessaire (isolement social, profonde altération de l’état général). Un arrêt de travail de 1 à 2 jours est en règle suffisant.

Le patient est informé des évolutivités potentielles :

  • ±

    un important gonflement douloureux des paupières fait redouter l’évolution vers une cellulite orbitaire ;

  • ±

    la fistulisation spontanée est une éventualité classique pour les formes traînantes (fig. 5-2-5). Dès la fistulisation, les douleurs cèdent et l’inflammation tégumentaire régresse. On peut prescrire des lavages à la Bétadine ® par la fistule, qu’il faudra interrompre dès la disparition des phénomènes inflammatoires.

    Fig. 5-2-5
    Abcès lacrymal fistulisé spontanément.

PRONOSTIC
Dacryocystite aiguë

Après une période muette de quelques semaines, ou quelques mois, il existe un risque de récidive, qui peut être prévenue par une dacryocystorhinostomie à froid.

Colique lacrymale

Les récidives sont imprévisibles, que le corps étranger soit initialement expulsé ou non (fig. 5-2-6). Les intervalles libres peuvent durer plusieurs années. Dans ce contexte, l’arrêt du tabagisme est recommandé. La dacryocystorhinostomie est réservée aux formes récidivantes.

Fig. 5-2-6
Corps étranger muqueux responsable de coliques lacrymales à répétition.

Cancer du sac lacrymal (fig. 5-2-7)

Son pronostic est sombre. Une exentération peut s’avérer nécessaire.

Fig. 5-2-7
Cancer du sac lacrymal.

Fistule sacculocutanée

Le pronostic esthétique est excellent, mais ne dispense pas de solutionner la sténose lacrymonasale.

CONCLUSIONS

Les infections de la région médiocanthale sont principalement liées au sac lacrymal lui-même.

Le traitement médical, urgent, associe antalgiques anti-inflammatoires et antibiotiques.

La chirurgie, à distance, vise à prévenir les récidives.

CANALICULITES VIRALES [2]

Les lésions canaliculaires post-virales sont responsables de sténoses luminales, le plus souvent doubles et unilatérales, pouvant se compliquer d’un larmoiement clair par hypo-excrétion. Celui-ci sera plus ou moins invalidant en fonction de l’intensité de la production résiduelle de larmes.
Ce larmoiement par hypo-excrétion est dépourvu de stase et ne comporte aucun risque infectieux. Il n’y aura donc pas d’indication opératoire prophylactique d’endophtalmie, même lorsqu’une chirurgie endo-oculaire est envisagée. Considérant de plus, qu’au sein des pathologies lacrymales, ce cadre lésionnel présente un mauvais pronostic, beaucoup de patients ne sont pas enthousiastes à l’idée d’une chirurgie.
Il est vraisemblable, qu’au sein des sténoses canaliculaires d’allure idiopathique, un certain nombre d’entre elles soient d’origine virale (voir fig. 5‑2‑8 et 5‑2‑9),avec une primo-infection est restée inapparente.
Pathogénie et mode de transmission : lors de la primo-infection, la cytotoxicité virale détruit la muqueuse et la sousmuqueuse. Physiologiquement, les parois canaliculaires sont en contact quasi permanent. La nécrose cellulaire ayant mis à nu le chorion, tout est réuni pour que se constitue lors de la phase de cicatrisation une synéchie définitive. Son étendue sera proportionnelle à l’étendue de la nécrose épithéliale. Au maximum, il ne persistera plus qu’un cordon fibreux au sein duquel plus aucune lumière canaliculaire ne sera individualisable. La sténose canaliculaire typique débute 1 à 2 mm après le méat constamment respecté.
Il faut souligner la fréquence considérable des kératoconjonctivites virales et la rareté des sténoses post-virales, elles-mêmes considérablement sous-estimées. Il est hautement probable qu’un second facteur soit indispensable à la constitution de la synéchie endoluminale (étroitesse canaliculaire accentuée, importance de la cytotoxicité virale, importance de l’oedème tissulaire, autre).

CONTEXTE

Aucun contexte n’est favorisant en particulier, hormis la chimiothérapie (Taxotère® ).

Le terrain est celui d’un sujet jeune, typiquement dans sa troisième décennie.

Les antécédents prédisposants et les circonstances de survenue sont identiques à toutes les viroses oculaires.

EXAMEN CLINIQUE

  • ±

    Signes fonctionnels :

    • on ne retrouve aucun signe général le plus souvent. Dans le cas contraire, on peut relever une discrète altération de l’état général ;

    • les larmoiements avec sécrétions, satellite de la kératoconjonctivite (voir dans le chapitre 5.2.1, les paragraphes « Conjonctives infectieuses et inflammatoires » et « Kératites infectieuses »), associés ou non à une adénopathie prétragienne sont plus spécifiques.

  • ±

    Signes physiques : il peut exister des vésicules cutanées situées devant la partie lacrymale de la ou des paupières (fig. 5-2-8 et 5-2-9). Bien qu’évocatrice d’ Herpesviridae [3], elles ne sont pas spécifiques.

    Fig. 5-2-8
    Herpès précanaliculaire.
    Fig. 5-2-9
    Zona ophtalmique.

EXAMENS PARACLINIQUES

Aucun examen paraclinique ni aucun signe paraclinique n’est indispensable pour la prise en charge qu’ils risquent de retarder inutilement.

TYPE D’URGENCE

Le délai maximal de PEC répond à un triage de catégorie 4 ou 5, car une canaliculite virale sténosante peut se développer.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Lorsqu’une kératoconjonctivite est associée, les virus incriminés sont : l’adénovirus (58 %), l’herpès (27 %), le zona (5,8 %), la varicelle (5,8 %), la rougeole (1,4 %).

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

Il n’y en a pas, hormis la forme chronicisée. Toute kératoconjonctivite avec vésicules précanaliculaires est suspecte.

PRISE EN CHARGE
Prise en charge immédiate aux urgences

La littérature n’est pas contributive. À défaut, comme pour une primo-infection cornéenne herpétique, on associe logiquement des antiviraux per os. Aucune hospitalisation n’est nécessaire. Tant que l’adénopathie prétragienne est présente, il convient d’éviter la contagiosité pour l’entourage par l’information du patient et l’indication des mesures d’hygiène opportunes.

Prise en charge d’aval immédiat

Une autosurveillance suffit.

À distance de l’épisode aigu initial, une exploration instrumentale prudente recherche un rétrécissement diffus et étendu de la lumière canaliculaire, traduction d’une canaliculite œdémateuse en évolution. Ce geste est potentiellement douloureux.

Surveillance recommandée (orientation, nature, fréquence)

Le patient est dirigé vers un oculoplasticien pour exploration instrumentale des voies lacrymales.

Une surveillance tous les 2 jours la première semaine, puis hebdomadaire pendant 1 mois pourra être proposée dans un premier temps. Il ne s’agit que d’un schéma général.

En cas de doute sur une canaliculite aiguë, il faut discuter une intubation bi-canaliculo-nasale en urgence.

PRONOSTIC

Le pronostic est imprévisible. Le traitement est difficile à codifier.

Dans la majorité des cas de canaliculites virales non traitées, la guérison survient sans séquelle. Malheureusement, et de façon totalement imprévisible, un obstacle canaliculaire peut s’installer dans les jours ou semaines qui suivent.

Au stade aigu, la prescription d’antiviral per os semble logique. Proposer une intubation bi-canaliculo-nasale d’emblée est un véritable dilemme à ce stade des connaissances.

En phase aiguë, l’intubation bi-canaliculo-nasale obtiendrait 95 % de bons résultats, mais avec combien d’excès et de iatrogénie (fig. 5-2-10 et 5-2-11) ? À distance, le taux de succès tomberait à 30 % environ.

Fig. 5-2-10
Extériorisation de sonde bi-canaliculo-nasale.
Fig. 5-2-11
Extériorisation de sonde bi-canaliculo-nasale fixée par Steri-Strip ® .

Actuellement, aucun critère clinique ou paraclinique ne permet de prévoir avec certitude les cas dont l’évolution sera favorable et les autres.

CONCLUSION

Il est important de prescrire des antiviraux per os. Le dépistage d’une canaliculite aiguë se fait par des examens répétés. Une information sur l’importance de la surveillance canaliculaire est délivrée au patient.

DACRYOCYSTOCÈLE INFECTÉE [4]
DÉFINITION

La dilatation néonatale du sac lacrymal est une variété d’imperforations lacrymonasales (ILN) de l’enfant caractérisée par une importante dilatation du sac lacrymal.

Plusieurs noms désignent cette pathologie néonatale du sac lacrymal : amniocèle, amniotocèle, mucocèle congénitale, dacryocèle, dacryocystocèle, kyste lacrymal congénital, dilatation néonatale du sac lacrymal, sablier lacrymal. Cette dilatation peut se compliquer d’une infection secondaire : la dacryocystocèle infectée.

PHYSIOPATHOLOGIE

Normalement, le liquide amniotique circule dans les voies lacrymales d’excrétion qui se tunnélisent dès le 6e mois in utero. L’imperforation lacrymonasale peut faire obstacle à cette circulation. Cela constitue un problème si un obstacle fonctionnel au niveau du canalicule commun coexiste simultanément. Le liquide amniotique (puis les larmes) est propulsé par les clignements à l’intérieur du sac lacrymal. Il ne peut ni s’échapper dans la fosse nasale en raison de l’imperforation lacrymonasale ni refluer en raison de la sténose fonctionnelle du canalicule commun.
L’abouchement du canalicule commun dans la paroi latérale du sac lacrymal forme un repli muqueux, comme c’est le cas pour l’implantation de l’oesophage dans l’estomac, celle de l’uretère dans la vessie, etc.
Lorsque cette valve est hypercontinente, le sac se dilate, et ce d’autant plus que la valve est efficace. Cela explique que le sac puisse se distendre extrêmement rapidement, en quelques jours ou quelques heures seulement. Cette distension néonatale du sac lacrymal reste irréductible tant que perdure l’obstacle lacrymonasal.
Progressivement, le sac lacrymal et la muqueuse nasale se distendent. Le méat nasal inférieur va être comblé par cette expansion. Le cornet inférieur, pas encore ossifié, va être refoulé et médialisé.
Cela réalise l’équivalent antérieur d’une atrésie des choanes.
Cet aspect est souvent décelé par l’échographie obstétricale.
La paroi est celle d’une poche nasale (voir fig. 5‑2‑13). C’est une muqueuse nasale histologiquement normale. Cela évoque un obstacle lacrymonasal par ouverture sous-muqueuse du canal lacrymonasal. Ces deux cavités, canthale et nasale, communiquent l’une avec l’autre : la pression sur l’une augmente la protrusion de l’autre et réciproquement. Cela justifie selon nous l’appellation de « sablier lacrymal ».

CONTEXTE

Le terrain est celui d’un nouveau-né sans particularité, on ne relève pas de circonstances de survenue notables. Dès la naissance, on constate une tuméfaction de la région médiocanthale, bleutée, pseudo-angiomateuse, située en dessous du tendon canthale médial (fig. 5-2-12).

Fig. 5-2-12
Dacryocystocèle simple.

EXAMEN CLINIQUE
Signes fonctionnels

Il n’existe aucun signe général évocateur ou marquant. Aucun symptôme n’est vraiment spécifique.

Signes physiques

On observe une tuméfaction de la région médiocanthale, rouge, située en dessous du tendon canthale médial (fig. 5-2-13). Le creux sus-canthal n’est pas comblé.

Fig. 5-2-13
Dilatation néonatale infectée.

La palpation digitale, douce, perçoit un caractère liquidien rénitent. Elle ne provoque aucun reflux de mucus.

EXAMENS PARACLINIQUES

Aucun examen paraclinique n’est indispensable et ne doit retarder la prise en charge thérapeutique.

TYPE D’URGENCE

Le délai maximal de PEC est classé en catégorie 3-4 en raison du risque d’abcès ou de fistulisation cutanée.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Il s’agit de la méningo-encéphalocèle [S]. Sa tuméfaction provient de la région frontale et comble le creux sus-tarsal. Si une rhinoscopie antérieure est pratiquée, elle objective une expansion qui provient de la base du crâne et comble le méat nasal moyen. Elle refoule les cornets, moyen et inférieur, contre la paroi latérale. L’imagerie (scanner, échographie) est logique en cas de doute entre ces deux diagnostics et si un geste thérapeutique actif est envisagé.

PRISE EN CHARGE
Prise en charge immédiate aux urgences

On administre une antibiothérapie per os large spectre.

Le bébé doit être transféré dans un service d’urgence d’ophtalmologie pédiatrique équipé d’un bloc opératoire afin d’établir le bilan lésionnel médical et éventuellement chirurgical.

Prise en charge d’aval immédiat

Le principe de la cure est chirurgical avec l’incision de la poche nasale située sous le cornet inférieur qui permet d’aspirer son contenu purulent et le rétablissement de la circulation aérienne. La poche canthale s’aplatit et la valve canaliculosacculaire s’ouvre expliquant que les rechutes soient exceptionnelles, car l’obstacle lacrymonasal ne se reforme pas.

Avec un spécialiste très entraîné, ce geste peut s’effectuer avec une prémédication et une anesthésie topique de la muqueuse nasale (vidéo 5-2-1) [6].

Certains praticiens recourent à une antibiothérapie per os ou par voie intraveineuse et à une anesthésie générale pour inciser les poches, canthales et/ou nasales.

Surveillance recommandée

Les parents sont informés de la surveillance générale d’un traitement antibiotique (diarrhée, déshydratation, etc.).

PRONOSTIC

Le pronostic est excellent.

CONCLUSION

Une distension non surinfectée de la dacryocystocèle est bleutée. Elle se traite par bactériostatiques et éducation des parents. Une distension surinfectée est inflammatoire (rouge). Elle nécessite une ponction de la poche nasale qui est située sous le cornet inférieur.

Une forme bilatérale est une urgence vitale (scores de triage PEC 1 et CIMU 1). Elle est exceptionnelle. Le tableau est celui d’une atrésie des choanes. Il faut immédiatement restaurer la liberté des voies aériennes supérieures puis ponctionner les deux poches nasales. Parfois l’échographie obstétricale permet de dépister cette éventualité et de focaliser la vigilance des obstétriciens.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES ET IATROGÈNES

On peut devoir gérer en urgence les suites imprévues d’un acte technique médical, comme l’enfouissement aigu de bouchons lacrymaux lors de leur pause ou dans les suites immédiates (annexe 5-2-1). Cependant, il peut aussi s’agir de désunions de sutures, qu’il faut reprendre chirurgicalement dans les 36 heures pour limiter le risque infectieux. De manière non rare, l’urgence peut être la survenue d’une hémorragie per- ou postopératoire. Cette dernière se manifeste par une épistaxis (annexe 5-2-2). Son abondance peut justifier un triage PEC de catégorie 1, en cas d’origine artérielle ethmoïdale antérieure.

Fig. 5-2-14
Annexe 5-2-1
Enfouissement aigu des bouchons lacrymaux (PEC catégorie 5]

Présentation clinique

  • L’enfouissement se produit au moment de l’engagement de la tête de fixation de la prothèse.

  • La tête de fixation et/ou le punctum migrent dans le canalicule vertical au-delà de l’anneau méatique, voire dans le canalicule latéral au 1/3 externe. Les clignements sont insuffisants pour provoquer une migration au-delà.

  • Prise en charge immédiate.

  • Ne pas pousser (par sondage et/ou lavage sous pression) la prothèse en direction du sac lacrymal dans l’espoir d’une expulsion nasale secondaire. Le risque serait d’enclaver la prothèse dans le canalicule d’union, qui est une zone lacrymale hautement sensible et de chirurgie aléatoire.

  • Un collyre antibiotique est prescrit.

  • Informer le patient que la prothèse peut rester quiescente dans la lumière lacrymale pendant des mois voire des années, mais que le risque que se constitue une réaction à corps étranger d’allure pseudo-tumorale est plus vraisemblable.

Prise en charge d’aval

  • Le patient est dirigé vers un oculoplasticien pour réaliser un abord canaliculaire sous anesthésie locale (voir vidéo 5-2-1 ).

  • La rupture intralacrymale d’une sonde lacrymale d’exploration (fig. 5-2-14) est un cas assez comparable à celui de l’enfouissement aigu des bouchons lacrymaux. Il est préférable de programmer son ablation chirurgicale.

Annexe 5-2-2
Conduite à tenir devant une épistaxis après chirurgie lacrymale

La gestion est habituellement du fait des médecins oto-rhinolaryngologistes (ORL), mais il est utile de posséder quelques notions pratiques.

Fréquences et point de départ

Il est difficile de savoir à quel moment s’inquiéter : tous les intermédiaires existent entre quelques taches de sang sur une compresse (méthodiquement documentées par le patient sur son smartphone) et une spoliation sanguine. Toutes les chirurgies lacrymales peuvent être en cause sur le plan théorique, mais tout particulièrement après dacryocystorhinostomie (DCR). Le saignement provient du méat nasal moyen et/ou du septum nasal.

Les intubations lacrymales sont moins fréquemment incriminées, surtout lorsque le guide de pose est un mandrin plutôt qu’un fil guide de Prolène ® . Le saignement provient du plancher des fosses nasales ou de la partie antérieure du cornet inférieur.

L’épistaxis est très rare après sondage ou intubations lacrymales poussées et ferait rechercher un trouble de l’hémostase.

Survenue et contexte

  • Saignement peropératoire : sur le plan général, les deux éléments les plus importants concernent le contrôle de la tension artérielle et la qualité de l’hémostase.

  • Saignements secondaires : les formes graves (pertes d’hémoglobine au-delà de 4 g) suggèrent une blessure de l’artère ethmoïdale antérieure ou de l’une de ses branches. La survenue d’une hémorragie n’est pas toujours immédiate. Elle peut n’apparaître qu’au moment de la chute de l’escarre (vers le cinquième jour). Une reprise chirurgicale pour une coagulation sélective n’est pas à exclure totalement.

Conduite à tenir (catégories 1 à 4 selon l’abondance)

  • Garder ou remettre une voie d’abord veineuse.

  • Prélèvement : numération formule sanguine, plaquettes, hémostase, groupe Rhésus, recherche d’anticorps irréguliers.

  • Surveillance : pouls, tension artérielle, saturation au Dynamap.

  • Méchage :

    • xylocaïne naphazolinée des deux côtés. Attendre 5 minutes montre en main ;

    • démécher et faire moucher les caillots ;

    • placer une mèche de Surgicel ® , à l’aide d’une pince type Politzer avec si possible un contrôle visuel (spéculum nasal et lampe frontale). On se dirigera plus spécifiquement vers un des méats en fonction du type de chirurgie. On évitera les mèches non résorbables expansibles, surtout en cas de traitement antiagrégants ou anticoagulants en raison du risque de saignement au déméchage 48 heures après ;

    • si l’épistaxis persiste, contacter le service ORL de proximité pour une prise en charge avec éventuelle embolisation (catégories 1 à 3 selon l’abondance).

BIBLIOGRAPHIE

[1] Ni C, D’Amico DJ, Fan CQ, Kuo PK. Tumors of the lacrimal sac : a clinicopathological analysis of 82 cases. Int Ophthalmol Clin 1982 ; 22 : 121‑40.
[2] Jager GV, Van Bijsterveld OP. Canalicular stenosis in the course of primary herpes simplex infection. Br J Ophthalmol 1997 ; 81 : 332.
[3] de Koning EW, van Bijsterveld OP. Herpes simplex virus canaliculitis. Ophthalmologica 1983 ; 186 : 173‑6.
[4] Denis D, Saracco JB, Triglia JM. Nasolacrimal duct cysts in congenital dacryocystocele. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 1994 ; 232 : 252‑4.
[5] Ducasse A, Segal A, Desphieux JL, et al. Ophthalmologic manifestations of ethmoidofrontal mucoceles. Bull Soc Ophtalmol Fr 1986 ; 86 : 343‑4, 347‑8.
[6] Fayet B, Racy E, Charrier JB. Neonatal pathologies of the lacrimal system. J Fr Ophtalmol 2009 ; 32 : 352‑6.

Urgences palpébrales non traumatiques

A. MARTEL , J. DÉLAS , J. LAGIER

Points forts

Les atteintes infectieuses et inflammatoires des paupières sont très fréquentes en pratique clinique. Les deux principales difficultés sont de :

  • distinguer les processus inflammatoires des processus infectieux, souvent intriqués ;

  • reconnaître les signes de gravité, notamment ceux en rapport avec le franchissement du septum orbitaire (cellulite orbitaire) et ceux en rapport avec certains pathogènes virulents (cellulite nécrosante).

URGENCES PALPÉBRALES INFECTIEUSES

Un rappel des principales bactéries et principaux antibiotiques rencontrés en pathologie orbito-palpébro-lacrymale est présenté dans les tableaux 5-2-2 et 5-2-3 .

Tableau 5-2-2
Rappel des principales bactéries rencontrées en pathologie orbito-palpébro-lacrymale.
Cocci à Gram positif Cocci à Gram négatif Bacille à Gram positif Bacille à Gram négatif
  • Staphylocoques:

  • Aureus (SASM/SARM)

  • Epidermidis

  • Streptocoques:

  • A = pyogènes

  • B = agalactiae

  • Pneumoniae (pneumocoque)

  • Moraxella

  • Branhamella

  • Enterobacteries:

  • E. coli

  • Ptoteus

  • Klebsiella

  • Serratia

  • Enterobacter

  • Autres BGN:

  • Pseudomonas

  • Haemophilus

  • Acinetobacter

Anaérobies à Gram positif Anaérobies à Gram négatif
  • Propionibacterium

  • Peptococcus

  • Clostridium

  • Actinomyces

  • Bacteroides

  • Prevotella

  • Fusobacterium

SARM: Staphylococcus aureus résistant à la méticilline; SASM: Staphylococcus aureus sensible à la méticilline.
Tableau 5-2-3
Principaux antibiotiques utilisés en pathologie orbito-palpébro-lacrymale.
Classe DCI Spécialité Posologies habituelles (adulte)
Bêta-lactamines:
  • Pénicillines:

  • A

Amoxcilline Clamoxyl ® PO/IV:1 g, 2 à 3 fois/j
  • A + inhibiteur bêta-lactamases

Amoxicilline + acide clavulanique Augmentin ® PO/IV:1 g, 3 fois/j
  • M

Cloxacilline Bristopen ® PO:1 g, 3 fois/j IV:2 g, 4 fois/j
  • ureidopénicilline

Piperacilline Piperilline ® IV:4 g, 3 fois/j
  • carbapénème

Imipénem Tienam ® IV:500 mg, 4 fois/j
  • Céphalosporines:

  • 2 e génération

Céfuroxime Zynatt ® PO:500 mg, 2 fois/j
  • 3 e génération

Ceftriaxone Rocéphine ® IV:1 à 2 g/j en 1 injection
Ceftazidime Fortum ® IV:1 g, 3 fois/j
Macrolides Azithromycine Zythromax ® PO:250 à 500 mg/j
Érythromycine Érythrocine ® PO:1 g, 2 à 3 fois/j
Lincosamide Clindamycine Dalacine ® PO/IV:600 mg, 2 à 3 fois/j
Synergistines Pristinamycine Pyostacine ® PO:1 g, 2 à 3 fois/j
Imidazoles Métronidazole Flagyl ® PO/IV:500 mg, 3 fois/j
Fluoroquinolones Lévofloxacine Tavanic ® PO/IV:500 mg, 1 à 2 fois/j

ORGELET
Présentation clinique

L’orgelet correspond à une folliculite aiguë bactérienne (staphylocoque, streptocoque) de la racine d’un cil et des glandes de Zeiss et Moll associées (fig. 5-2-15 ). L’orgelet représenterait la pathologie palpébrale la plus fréquente vue en demande de soins non programmés d’ophtalmologie (DSNPO) par le médecin généraliste. Ce dernier gérant 96 % de la pathologie palpébrale qui se présente à lui (voir chapitre 2.4 ), l’orgelet est un motif plus rare de DSNPO auprès des ophtalmologistes ou structures d’urgence.

Fig. 5-2-15
Orgelet avec collection purulente centrée par la base d’un cil.

Type d’urgence

Triage de prise en charge (PEC) de catégorie 5, score inadapté. Pas d’avis spécialisé nécessaire.

Prise en charge thérapeutique

Un traitement antibiotique local antistaphylococcique par gel ou pommade (rifamycine ou tobramycine ou ciprofloxacine ou acide fusidique) est prescrit 2 à 6 fois/jour pour une durée de 7 jours. Une résistance bactériologique sera évoquée devant toute persistance malgré traitement.

CELLULITES PRÉSEPTALES NON NÉCROSANTES

Les cellulites préseptales correspondent à une dermite/hypodermite d’origine infectieuse. Par définition, elles siègent en avant du septum orbitaire, véritable barrière séparant paupières et orbite.

Présentation clinique

  • ±

    Terrain : l’immunodépression et la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont des facteurs favorisants et aggravants.

  • ±

    Circonstances de survenue : spontanées ou postopératoires.

Examen clinique

La cellulite préseptale se présente comme un œdème palpébral inflammatoire rouge et douloureux. La palpation recherche une étiologie sous-jacente (nodule palpable : chalazion, kyste épidermoïde, etc.) et évalue la tension palpébrale (une paupière sous tension est un signe de gravité et fait rechercher une cellulite orbitaire).

Un examen ophtalmologique complet est réalisé. Il recherche spécifiquement une adénopathie locale prétragienne, sous-maxillaire ou sous-mandibulaire. L’association à des signes généraux (fièvre, altération de l’état général) fait redouter une complication.

Les deux principales complications sont :

  • ±

    la cellulite rétroseptale (orbitaire) : il faut rechercher un syndrome orbitaire aigu associant douleurs importantes, chémosis, ophtalmoplégie, exophtalmie, importante tension palpébrale à la palpation, hypertonie oculaire et signes de compression optique. La compression optique associe une anomalie visuelle importante, un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) et un œdème papillaire au fond d’œil. C’est une urgence fonctionnelle visuelle voire vitale en raison des complications intracrâniennes possibles (thrombophlébite septique du sinus caverneux, abcès basi frontal, méningite) nécessitant la réalisation d’un scanner orbito-cranio-facial avec injection et d’hémocultures en urgence ;

  • ±

    la cellulite nécrosante : voir plus loin.

L’examen se termine par un marquage cutané au feutre dermographique des contours de l’inflammation palpébrale et la réalisation de photographies indispensables au suivi.

Formes cliniques

  • ±

    Cellulites collectées (abcès palpable) versus non collectées.

  • ±

    Cellulites non nécrosantes versus nécrosantes.

  • ±

    Cellulites suivant leur origine anatomique (fig. 5-2-16) :

    • origine locale/palpébrale :

      • ±

        plaie cutanée banale (post-traumatique, piqûre) ;

      • ±

        plaie chirurgicale (cellulite postopératoire) ;

      • ±

        origine annexielle : chalazion, orgelet, kyste sébacé, kyste épidermoïde.

    • origine régionale :

      • ±

        sinusite [1] : la plus fréquente, la cellulite préseptale est secondaire à une atteinte rétrograde veineuse ;

      • ±

        dacryocystite aiguë et dacryoadénite ;

      • ±

        érysipèle de la face (encadré 5-2-1 et fig. 5-2-17a) ;

        Encadré 5-2-1
        Érysipèle de la face (dermo-hypodermite aiguë d’origine streptococcique)

        Présentation clinique

        Terrain : immunodépression, diabète.

        Examen clinique

        Signes fonctionnels : la douleur est classiquement peu importante.

        Signes physiques : suite à une effraction cutanée (plaie du cuir chevelu, de la région rétro-auriculaire, etc.), apparition d’un placard inflammatoire douloureux dont la principale caractéristique est d’avoir des bords nets (« bourrelet périphérique ») (fig. 5-2-17a ). Des adénopathies peuvent être palpées. La température oscille entre 38 et 39 °C. Une fièvre supérieure à 40 °C et une altération marquée de l’état général constituent des signes de gravité.

        Examens paracliniques

        Hémocultures et bilan inflammatoire si fièvre > 38,5 °C ou frissons.

        Type d’urgence

        Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 3, score CIMU 5. L’avis d’un oculoplasticien est souhaitable.

        Justification de prise en charge urgente : progression de l’infection (bilatéralisation, cellulite cervicale).

        Prise en charge

        Immédiate aux urgences : traitement antibiotique antistreptococcique pour une durée de 10 à 20 jours (exemple : pénicilline A, pristinamycine, clindamycine). En présence de signes de gravité (fièvre élevée, altération de l’état général, aggravation sous antibiothérapie ambulatoire) ou de risque de malobservance, une hospitalisation est requise. Un traitement par pénicilline G IV est alors prescrit avec relai par amoxicilline orale après 48 heures d’apyrexie.

        Mesures adjuvantes : antalgiques + antipyrétiques. La prise d’AINS est contre-indiquée.

        Surveillance recommandée : contrôle systématique à 48 heures.

        Pronostic

        Favorable.

        Fig. 5-2-17
        Infections graves orbitaires et de la face.
        a. Érysipèle hémifacial droit secondaire à une plaie rétro-auriculaire homolatérale. Noter le caractère bien limité des bords. b. Staphylococcie maligne de la face droite d’extension centrifuge à partir du sillon nasogénien. Noter l’intensité de l’inflammation et ses bords mal limités
        (Source : avec l’aimable autorisation du Pr Bahadoran, service de dermatologie, CHU de Nice.)

      • ±

        staphylococcie maligne de la face (encadré 5-2-2 et fig. 5-2-17b ).

        Encadré 5-2-2
        Staphylococcie maligne de la face

        La staphylococcie maligne de la face correspond à une phlébite de la veine faciale et de ses branches, d’origine infectieuse, principalement staphylococcique mais parfois streptococcique.

        Présentation clinique

        Terrain : elle fait suite à la manipulation d’un furoncle (folliculite profonde et nécrosante d’un follicule pilosébacé) à proximité de la veine faciale (furoncle du sillon nasogénien, furoncle de l’aile du nez), mais toute infection à staphylocoque située au niveau facial (dacryocystite aiguë) peut être responsable d’une staphylococcie de la face.

        Examen clinique

        Signes fonctionnels : la douleur est classiquement très importante.

        Signes physiques : l’examen retrouve un placard érythémateux très douloureux d’extension centrifuge à partir du sillon nasogénien. Les bords sont mal limités (fig. 5-2-17b ). Il est parfois possible de palper un cordon sous-cutané induré correspondant à la phlébite de la veine faciale. Les signes régionaux et généraux sont souvent marqués. Le marquage cutané et les photographies sont indispensables au suivi.

        Examens paracliniques

        Un scanner orbitocérébral injecté et des hémocultures aéro-anaérobies sont systématiques.

        Type d’urgence

        Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 2, score CIMU 3. Avis d’un oculoplasticien et d’un réanimateur systématique.

        Justification de prise en charge urgente : l’extension est rapide et la gravité réside en l’extension possible du processus infectieux et thrombogène en direction des veines orbitaires et du sinus caverneux [2, 3]. La thrombophlébite septique du sinus caverneux est une complication grave. Elle est évoquée devant un syndrome orbitaire aigu et des signes de neuropathie optique. Les signes particulièrement évocateurs sont une coloration violette du chémosis, une dilatation des vaisseaux épiscléraux, une tortuosité veineuse rétinienne pouvant évoluer vers une occlusion veineuse et une bilatéralisation rapide en raison de la communication anatomique des deux sinus caverneux. La fièvre et l’altération de l’état général sont la règle. L’angioscanner, voire mieux l’angio-IRM orbitocérébrale confirme le diagnostic et recherche une extension de la thrombose dans la veine jugulaire (syndrome de Lemierre) et les sinus veineux adjacents.

        Prise en charge

        Immédiate aux urgences : l’hospitalisation est systématique en service de soins intensifs voire en réanimation. Une antibiothérapie intraveineuse probabiliste, bactéricide, antistaphylococcique est débutée en urgence et secondairement adaptée aux prélèvements bactériologiques. Un traitement anticoagulant adjuvant est fréquemment prescrit, notamment en présence d’une phlébite de la veine faciale à la palpation, en l’absence de complications hémorragiques [4, 5].

        En aval : un éventuel drainage chirurgical est discuté au cas par cas par l’oculoplasticien.

        Surveillance recommandée

        Pluriquotidienne en milieu hospitalier.

        Pronostic

        Favorable en l’absence d’extension au sinus caverneux. Mortalité globale d’environ 10 % en cas de thrombose du sinus caverneux.

    • origine systémique : bactériémie.

    Fig. 5-2-16
    Infections préseptales.
    a. Abcès préseptal palpébral inférieur droit secondaire à une piqûre d’insecte. b. Cellulite préseptale palpébrale supérieure gauche secondaire à un chalazion. c, d. Cellulite préseptale palpébrale supérieure gauche secondaire à une dacryoadénite gauche. e. Cellulite préseptale palpébrale inférieure gauche secondaire à une dacryocystite aiguë. f. Cellulite préseptale palpébrale supérieure gauche secondaire à une bactériémie néonatale à streptocoque B.
    (Source fig. e : Dr Hamedani.)

Examens paracliniques

  • ±

    Écouvillonnage local en cas d’issue de pus.

  • ±

    Scanner orbito-cranio-facial en cas de suspicion de cellulite orbitaire associée.

  • ±

    Hémocultures aéro-anaérobies en cas de fièvre et/ou d’altération de l’état général.

Type d’urgence

  • –ge-for-image-view" ng-class="{'expanded': isInImageInterstitial}" dl="3-s2.0-B978229475395450014X-f05-146-9782294753954">

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Inflammation orbitaire (voir dans ce chapitre 5.2.1 le paragraphe « Urgences orbitaires non traumatiques »).

  • ±

    Conjonctivites virales ou allergiques de l’adulte et néonatales chez le nourrisson [6].

Prise en charge
PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE AUX URGENCES

Une antibiothérapie par voie orale, probabiliste et bactéricide antistaphylococcique et antistreptococcique [7], pour une durée de 7 à 10 jours suivant l’évolution, est mise en place (tableau 5-2-4). Si l’on suspecte une origine sinusienne, une couverture des germes anaérobies est nécessaire par soit :

  • ±

    un inhibiteur des bêta-lactamases (acide clavulanique) ou du métronidazole ;

  • ±

    la prescription de clindamycine.

Tableau 5-2-4
Antibiothérapie orale ambulatoire en cas de cellulite préseptale non nécrosante.
Classe antibiotique DCI Posologie habituelle
Pénicillines:
  • A + inhibiteur bêta-lactamase

Amoxicilline + acide clavulanique 1 g, 3 fois/j
  • M

Cloxacilline 1 g, 3 fois/j
En cas d'allergie aux pénicillines:
  • Synergistine

Pristinamycine 1 g, 2 à 3 fois/j
  • Lincosamide

Clindamycine 600 mg, 3 fois/j
DCI:dénomination commune internationale; g:gramme; j:jour; mg:milligramme.

Pour les cellulites à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM), souvent conséquence d’une iatrogénie postopératoire, un drainage est en règle utile et suffisant. La vancomycine ou le linézolide peuvent être prescrits conformément à l’antibiogramme.

Les traitements adjuvants (au cas par cas) sont :

  • ±

    une corticothérapie par voie orale à la posologie de 1 mg/kg/jour : elle peut être introduite 48 heures après l’antibiothérapie pour une durée de 7 jours afin de lutter contre la composante inflammatoire associée ;

  • ±

    les collyres et/ou pommades antibiotiques et corticoïdes ;

  • ±

    les antalgiques généraux.

À noter que les AINS sont à éviter en raison du risque de fasciite nécrosante.

PRISE EN CHARGE EN AVAL : DRAINAGE CHIRURGICAL

Le drainage chirurgical est indiqué si l’abcès préseptal se collecte sans répondre à un traitement médical bien conduit (fig. 5-2-18). Il est de préférence réalisé par un oculoplasticien.

Fig. 5-2-18
Drainage d’un abcès préseptal palpébral supérieur droit sous anesthésie locale. a. Abcès préseptal par surinfection d’un kyste épidermoïde. b. Matériel (anesthésie locale, bistouri, écouvillon, ciseaux de Stevens, Bétadine ® , mèche). c. Écouvillonnage du pus pour analyse bactériologique. d. Lavage bétadiné du site opératoire. e. Mise en place de la mèche. f. Aspect postopératoire immédiat.

La mèche doit être tirée toutes les 24 heures de quelques centimètres. Son ablation totale à 48 heures peut être suffisante en cas d’évolution favorable. Le résultat esthétique est souvent satisfaisant (fig. 5-2-19).

Fig. 5-2-19
Aspect postopératoire immédiat d’un drainage d’abcès préseptal avant méchage (a) et résultat esthétique à 1 mois après cicatrisation dirigée (b)

Surveillance recommandée

  • ±

    Contrôle clinique à 48 heures systématique.

  • ±

    Microbiologique avec examen direct et antibiogramme si un drainage chirurgical ou un écouvillonnage ont été réalisés.

Pronostic

Favorable dans la quasi-totalité des cas.

CELLULITES PRÉSEPTALES NÉCROSANTES

Les cellulites nécrosantes représentent des urgences médico-chirurgicales.

Présentation clinique

  • ±

    Terrain : elles sont exceptionnelles [8] au niveau orbitopalpébral en raison de l’excellente vascularisation locale. Elles sont souvent liées à un streptocoque A (flore mixte possible : staphylocoques, anaérobies) et favorisées par l’immunodépression et les AINS.

  • ±

    Circonstances de survenue : effraction tissulaire (plaie, piqûre, injection péri-oculaire, incision palpébrale [9], lacrymale [10] ou orbitaire), mais parfois idiopathique.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : parfois indolore au tout début. Puis une douleur, souvent disproportionnée par rapport à l’état local, est évocatrice.

  • ±

    Signes physiques :

    • initialement, tableau de cellulite préseptale ;

    • une coloration bleu violacé puis noirâtre (fig. 5-2-20a) de la peau, associée à une hypoesthésie, et l’apparition de cloques témoignent de la nécrose cutanée débutante ;

      Fig. 5-2-20
      Cellulite préseptale nécrosante bipalpébrale gauche.
      a. Nécrose bipalpébrale secondaire à une plaie cutanée d’allure banale. b. Aspect après parage chirurgical large (répété initialement quotidiennement). c. Aspect après cicatrisation dirigée. d. Aspect final (à 2 ans) après greffe de peau totale en paupière inférieure.

    • un emphysème sous-cutané à la palpation, pathognomonique en l’absence de fracture orbitaire, et une odeur nauséabonde témoignent de la présence de germes anaérobies ;

    • extension extrêmement rapide avec franchissement précoce du septum orbitaire.

Examens paracliniques

Les examens paracliniques sont réalisés en urgence mais sans retarder l’antibiothérapie :

  • ±

    examens bactériologiques : le prélèvement local (écouvillon) et les hémocultures aérobies + anaérobies sont systématiques. La ponction lombaire est réalisée suivant l’état neurologique ;

  • ±

    examens biologiques : bilan général avec vitesse de sédimentation (VS), C-reactive proteine (CRP), fonction hépatorénale ;

  • ±

    imagerie : scanner orbitofacial et cérébral, si possible injecté si la fonction rénale le permet, afin d’évaluer l’extension de la cellulite (orbite, sinus caverneux, parenchyme cérébral).

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 2, score CIMU 2. L’avis d’un oculoplasticien et d’un médecin réanimateur est urgent et indispensable.

  • ±

    Justification d’une prise en charge urgente : extension orbitaire rapide, dissémination hématogène rapide avec risque de choc septique.

Diagnostics différentiels essentiels

Cellulite pré- ou post-septale aux stades initiaux avant que la nécrose s’installe.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : l’hospitalisation en service de soins intensifs/réanimation est systématique. Une antibiothérapie par voie intraveineuse probabiliste à large spectre est débutée en urgence et secondairement adaptée aux prélèvements [11]. Elle doit couvrir le streptocoque A mais aussi les germes anaérobies fréquemment associés (tableau 5-2-5). L’association recommandée comprend une bêta-lactamine à large spectre + clindamycine. Des traitements à base d’immunoglobuline par voie intraveineuse (IV) ont été tentés avec succès [12].

    Tableau 5-2-5
    Antibiothérapie avec spectre anaérobie .
    Classe antibiotique DCI Spécialité
    Bêta-lactamines:
    • Pénicilline A + inhibiteur bêta-lactamase

    Amoxicilline + acide clavulanique Augmentin ®
    • Ureidopénicilline + inhibiteur bêta-lactamase

    Piperacilline + tazobactam Tazocilline ®
    • Carbapénème

    Imipénem Tienam ®
    • Imidazole

    • (+ bêta-lactamine)

    Métronidazole Flagyl ®
    Lincosamide Clindamycine Dalacine ®
    DCI:dénomination commune internationale.

    * En cas de cellulite nécrosante, il est recommandé d'associer une bêta-lactamine à large spectre + clindamycine.

  • ±

    En aval : parage chirurgical par un oculoplasticien réalisé en urgence sous anesthésie générale. Le parage des tissus nécrosés est systématique, agressif voire répété dans le temps (fig. 5-2-20b et c). Les prélèvements bactériologiques sont réalisés en condition aéro-anaérobie (seringue dépourvue d’air). La reconstruction des pertes de substance et la lutte contre la rétraction secondaire sont souvent complexes et nécessitent plusieurs interventions (fig. 5-2-20d). L’oxygénothérapie hyperbare [13] et la cicatrisation par pression négative [14] pourraient être des compléments utiles à la prise en charge.

Surveillance recommandée

Surveillance pluriquotidienne clinico-biologique en milieu de réanimation.

Pronostic

Le taux de décès avoisine 10 à 15 % en cas de localisation péri-orbitaire [15]. La rapidité de la prise en charge conditionne le pronostic [15].

URGENCES VIRALES PALPÉBRALES

Les atteintes palpébrales virales, telles que celles liées à herpèsvirus, virus varicelle-zona, adénovirus ou poxvirus (molluscum contagiosum), sont fréquentes. Elles sont un motif courant de DSNPO. Strictement limitées aux paupières, elles ne constituent pas en soi un item d’urgence (triage de catégorie 6). Elles justifient un avis spécialisé non urgent et le cas échéant une surveillance simple pour dépister les éventuelles complications. Les traitements locaux n’ont pas prouvé leur efficacité. La complication spécifique palpébrale est la canaliculite virale avec le risque de sténose irréductible.

L’aire cutanée atteinte a une valeur localisatrice s’il s’agit d’une infection à virus neurotrope ( Herpesviridae). Une lésion virale de l’arête du nez signe une atteinte de la branche ophtalmique (V1) du nerf trijumeau (fig. 5-2-21), avec l’implication possible du globe oculaire par sa branche nasociliaire. Le traitement initial d’urgence est alors systémique. Une lésion cutanée du lobe du nez signe une atteinte de la branche maxillaire V2, n’implique pas le globe oculaire, mais possiblement le canalicule lacrymal inférieur.

Fig. 5-2-21
Dermatomes du nerf trijumeau impliquant les paupières et le globe oculaire.

URGENCES PALPÉBRALES INFLAMMATOIRES
CHALAZION
Présentation clinique

  • ±

    Terrain : dysfonction des glandes meibomiennes, blépharite postérieure, rosacée oculaire.

  • ±

    Antécédents prédisposants : diabète, hypermétropie non compensée surtout chez l’enfant, certaines thérapies ciblées anticancéreuses telles que les inhibiteurs de l’epidermal growth factor receptor (EGFR), les inhibiteurs du protéazome (bortézomib), les immunothérapies (nivolumab).

Examen clinique

En phase aiguë, le chalazion correspond à un nodule inflammatoire enchâssé dans le tarse, douloureux à la palpation et entouré d’un œdème palpébral plus ou moins important. Il peut être unique ou multiple (fig. 5-2-22). Après plusieurs jours d’évolution, le chalazion régresse ou s’enkyste.

Fig. 5-2-22
Chalazions.
a. Chalazions multifocaux de l’enfant secondaires à une rosacée oculaire. b. Chalazion à la phase inflammatoire chez l’adulte.

Examens paracliniques

Aucun.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 5, score CIMU inadapté. Aucun avis spécialisé n’est nécessaire.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : risque de surinfection avec cellulite préseptale (voir plus haut).

Diagnostics différentiels essentiels

Dans les formes traînantes et/ou rebelles de l’adulte (> 50 ans), il faut éliminer une origine tumorale et tout particulièrement le carcinome sébacé.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : à la phase aiguë, le traitement repose sur la corticothérapie locale en pommade. Le réchauffement palpébral facilite la liquéfaction et l’évacuation des bouchons meibomiens.

  • ±

    En aval : à la phase enkystée, et en cas de gêne fonctionnelle ou esthétique, un drainage sous anesthésie locale est pratiqué avec si possible résection de la paroi kystique. Au moindre doute, analyse en anatomopathologie. Certains auteurs réalisent des injections de corticoïdes intralésionnelles avec succès [16].

Surveillance recommandée

Autosurveillance.

Pronostic

Favorable. Récidive fréquente.

ECZÉMA DES PAUPIÈRES
Présentation clinique

  • ±

    Terrain : il survient principalement chez les patients atopiques (asthme, dermatite atopique).

  • ±

    Circonstances de survenue : il est spontané ou secondaire à certaines expositions (métaux, substances chimiques dont les gouttes pour le glaucome, photosensibilité) dans un cadre domestique ou professionnel.

Examen clinique

L’eczéma aigu, très prurigineux, survient 1 à 5 jours après l’exposition à l’allergène. Le principal risque est l’impétiginisation (surinfection) des croûtes.

L’eczéma chronique correspond à un épaississement cutané cartonné avec croûtes, lichénification et xérose cutanée (fig. 5-2-23 ).

Fig. 5-2-23
Eczéma palpébral chronique d’origine professionnelle.
Noter la xérose cutanée et l’aspect cartonné et croûteux des paupières.

Examens paracliniques

Un allergologue pratique un bilan allergologique à distance de tout traitement corticoïde ou anti-histaminique.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : il s’agit d’une semi-urgence en triage PEC de catégorie 6. Le score CIMU est inadapté. Aucun avis spécialité n’est requis.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente en cas d’impétiginisation (voir plus haut).

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : le traitement repose sur les dermocorticoïdes 1 fois/jour pour une durée de 5 à 10 jours. En raison de la finesse de la peau palpébrale, des corticoïdes d’activité faible à modérée sont prescrits (tableau 5-2-6 ). Des larmes artificielles et des émollients cutanés sont prescrits au long cours. Au niveau étiologique, un bilan allergologique sera prescrit en cas de chronicité.

    Tableau 5-2-6
    Classification dermatologique des dermocorticoïdes.
    Classe thérapeutique Exemples de DCI (spécialités ® )
    Très forte Bétaméthasone (Diprolène ® ), clobétasol (Dermoval ® )
    Forte Hydrocortisone butyrate (Locoïd ® )
    Modérée Désonide (Locapred ® )
    Faible Hydrocortisone (Cortapaisyl ® )
    DCI:dénomination commune internationale.

  • ±

    En aval : l’autosurveillance est suffisante.

Surveillance recommandée

Autosurveillance.

Pronostic

Le pronostic est favorable. Cependant, l’inflammation prolongée de la lamelle palpébrale antérieure peut conduire à un ectropion cicatriciel. Il est responsable d’un larmoiement toxique au niveau de la paupière inférieure aggravant les lésions inflammatoires sous-jacentes.

BLÉPHAROCHALASIS
Présentation clinique

  • ±

    Terrain : le syndrome de blépharochalasis correspond à la survenue d’œdèmes palpébraux unilatéraux ou bilatéraux récidivants d’origine idiopathique survenant principalement chez des femmes jeunes.

  • ±

    Antécédents prédisposants : le syndrome d’Ascher associe le syndrome de blépharochalasis à un goitre.

  • ±

    Circonstances de survenue : spontané.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : les œdèmes sont classiquement indolores.

  • ±

    Signes physiques : l’examen retrouve un œdème palpébral unilatéral, blanc, indolore, récidivant, évoluant par poussées. La poussée dépasse rarement 2 jours.

Examens paracliniques

Aucun examen paraclinique n’est requis.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : il s’agit d’un triage PEC de catégorie 5, score CIMU 5, sans nécessité d’avis spécialisé.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : ce n’est pas une urgence mais il faut impérativement éliminer à l’examen une cause allergique avec risque d’œdème de Quincke.

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Allergie, œdème de Quincke débutant. Le prurit est évocateur.

  • ±

    Œdème angioneurotique (déficit en C1 estérase, autosomique dominant).

  • ±

    Certains œdèmes d’origine médicamenteuse (imatinib), mais évoluant sur un mode chronique.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : le traitement est empirique et consiste en l’administration de dermocorticoïdes d’activité modérée 2 fois/jour jusqu’à régression de l’œdème. Une abstention thérapeutique est licite dans la mesure où les poussées dépassent rarement 2 à 3 jours. Des études récentes, de faible niveau de preuve, constatent l’efficacité d’un traitement par acétazolamide [17] ou cyclines [18].

  • ±

    En aval : il est possible d’adresser, pour avis, le patient à un oculoplasticien dans des délais normaux de consultation.

Surveillance recommandée

Autosurveillance.

Pronostic

Avec le temps, des troubles de la statique palpébrale peuvent survenir : ptosis par désinsertion aponévrotique, ectropion par laxité tarsoligamentaire.

URGENCES PALPÉBRALES VASCULAIRES : L’HÉMATOME PALPÉBRAL

L’hématome palpébral spontané est rare.

Il est plus fréquemment rencontré au décours d’une intervention chirurgicale.

Dans tous les cas, il convient d’éliminer un hématome orbitaire associé responsable d’une douleur importante, d’une baisse d’acuité visuelle (BAV) avec DPAR, d’une importante tension palpébrale à la palpation, d’un chémosis, d’une exophtalmie et d’une ophtalmoplégie complète.

Si la survenue est spontanée, il faut systématiquement redouter la présence d’une malformation artérioveineuse sous-jacente.

PRÉSENTATION CLINIQUE

  • ±

    Terrain : patients âgés, hypertendus, sous anti-agrégants et/ou anticoagulants.

  • ±

    Circonstances de survenue : spontanée ou postopératoire.

EXAMEN CLINIQUE

  • ±

    Signes fonctionnels : l’hématome préseptal (palpébral) est peu douloureux. En revanche, l’hématome rétroseptal (orbitaire) est responsable d’une douleur très marquée.

  • ±

    Signes physiques : l’hématome préseptal (fig. 5-2-24a) se présente comme une coloration rougeâtre de la paupière supérieure et/ou inférieure généralement indolore sans BAV. La palpation précise l’état de la tension, le caractère collecté ou non de l’hémorragie et recherche un emphysème sous-cutané, traduisant une fracture ethmoïdale ou une cellulite nécrosante (voir plus haut). Un syndrome orbitaire aigu traduisant un hématome orbitaire associé sera systématiquement recherché (douleur, BAV avec DPAR, paupière tendue, exophtalmie, chémosis, ophtalmoplégie).

    Fig. 5-2-24
    Hématome préseptal.
    a. Masse rougeâtre tendue à la palpation. L’examen orbitaire est difficile. Un scanner est demandé en urgence. b. Scanner retrouvant l’hématome ovalaire hyperdense localisé en avant du septum. Il n’y a pas de composante rétroseptale. c. Autre patient : cantholyse externe gauche décompressive pour hématome orbitaire post-traumatique.

EXAMENS PARACLINIQUES

Un bilan sanguin avec mesure de l’ international normalized ratio (INR) sera demandé chez les patients sous antivitamine K (AVK).

L’imagerie n’est nécessaire qu’en cas de doute clinique sur une composante rétroseptale et confirme la localisation préseptale de l’hématome (fig. 5-2-24b ).

TYPE D’URGENCE

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : c’est un triage PEC de catégorie 4, score CIMU 5 pour l’hématome rétroseptal. Un avis spécialisé en oculoplastique est à prendre en cas de doute sur un hématome orbitaire associé.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : il faut lever le doute sur un hématome orbitaire associé.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

  • ±

    Chez l’enfant : éliminer en priorité la maltraitance et les urgences tumorales telles que métastase osseuse de neuroblastome (ecchymoseshématomes palpébraux spontanés dans le cadre d’un syndrome de Hutchinson), hémopathie maligne (leucémie aiguë), rhabdomyosarcome (pouvant parfois toucher le muscle releveur de la paupière) [19].

  • ±

    Chez l’adulte : éliminer toute poussée d’hypertension artérielle (HTA), d’autant plus si le patient est sous anti-agrégants plaquettaires ou anticoagulants. Parfois, une malformation artérioveineuse méconnue (spontanée, post-traumatique ou compliquant une maladie de Rendu-Osler) [20, 21] peut être à l’origine du saignement, favorisé par une manœuvre de Valsalva.

PRISE EN CHARGE
Prise en charge immédiate aux urgences

  • ±

    Hématome préseptal (palpébral) : l’évolution est généralement favorable spontanément. Le patient est revu à 24 heures avec photographies comparatives. Le contrôle de la tension artérielle est indispensable. Le patient est informé des signes de gravité (syndrome orbitaire aigu).

  • ±

    Hématome rétroseptal (orbitaire) : l’hospitalisation est systématique. Un traitement hypotonisant intraveineux (acétazolamide + mannitol), des corticoïdes, des antalgiques et des compresses froides sont prescrits sans retarder le passage au bloc opératoire. En cas de saignement postopératoire, les sutures cutanées peuvent être retirées au lit du patient pour diminuer la pression intra-orbitaire. La pose d’un pansement compressif est contre-indiquée.

Prise en charge en aval

En cas d’hématome orbitaire associé, un drainage chirurgical au bloc opératoire est généralement indiqué en urgence. Ce dernier est pratiqué par un chirurgien rompu à ce type d’intervention (oculoplasticien, chirurgien maxillofacial).

En cas d’hématome orbitaire diffus sur le scanner, une canthotomie et une cantholyse latérale (fig. 5-2-24c) sont pratiquées, et l’incision cutanée est laissée ouverte éventuellement sur lame de drainage selon la tension intra-orbitaire [22, 23].

En cas d’hématome collecté sectoriel, une hémostase du vaisseau responsable doit être effectuée. Exceptionnellement, une décompression osseuse (plancher de l’orbite et/ou lame papyracée) peut être réalisée.

Dans certains cas, une artério-embolisation peut être proposée (rare et risquée car le saignement provient généralement d’une branche de l’artère carotide interne).

On propose comme mesures adjuvantes une analgésie, la lutte contre les efforts de toux et contre les vomissements.

SURVEILLANCE RECOMMANDÉE

Une surveillance est envisagée à 48 heures en cas d’hématome préseptal. Elle est pluriquotidienne et en milieu hospitalier en cas d’hématome rétroseptal. Elle suit la douleur, l’acuité visuelle, la tension orbitaire à la palpation, l’oculomotricité, le réflexe pupillaire.

PRONOSTIC

Le pronostic est favorable en cas d’hématome préseptal et réservé en cas de compression ou de retard de prise en charge.

URGENCES PALPÉBRALES POSTOPÉRATOIRES

En période postopératoire, les deux principales complications cicatricielles sont la désunion cicatricielle et la nécrose cutanée.

Une suture sous tension en est généralement à l’origine. Ces deux situations n’ont aucun caractère d’urgence et une protection du globe oculaire doit être assurée notamment en cas de désunion du bord libre palpébral.

Une nécrose cutanée doit être différenciée d’une cellulite nécrosante.

Dans tous les cas, le patient doit être suivi par son oculo-plasticien qui posera l’indication, au cas par cas, d’une éventuelle reprise chirurgicale.

DÉSUNION CICATRICIELLE
Présentation clinique

  • ±

    Terrain : vasculaire (tabagisme, diabète), dénutrition, corticoïdes locaux.

  • ±

    Circonstances de survenue : fermeture cutanée sous tension.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : elle est indolore.

  • ±

    Signes physiques : la désunion se présente comme une ouverture cicatricielle dont le fond est généralement fibrineux. Une exposition du globe oculaire doit être recherchée par l’instillation de fluorescéine, notamment en cas de désunion du bord libre palpébral responsable d’un aspect colobomateux.

Examens paracliniques

Aucun examen paraclinique n’est requis.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 5, score CIMU 5. Aucun avis spécialisé n’est nécessaire.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : il faut explorer une possible exposition cornéenne ou de surinfection associée (voir plus haut « Cellulites présepatales non nécrosantes » et « Cellulites présepatales nécrosantes »).

Diagnostic étiologique

La désunion cicatricielle peut être :

  • ±

    spontanée : il faut éliminer un hématome ou une infection sous-jacente (douleurs, sécrétions purulentes) à l’origine de la déhiscence ;

  • ±

    post-traumatique : il fait suite à un massage trop vigoureux de la cicatrice par le patient ;

  • ±

    iatrogène par ablation trop précoce des sutures : rappelons que les points de paupière peuvent être retirés dès le 5 e jour postopératoire. Les points de bord libre doivent être maintenus en place 2 semaines.

Prise en charge
PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE AUX URGENCES

En cas de déhiscence survenant à plus de 7 jours postopératoires, la cicatrisation dirigée est de mise.

En cas de déhiscence plus précoce, l’attitude dépend de la taille :

  • ±

    déhiscence de petite taille (< 1 cm) :

    • une cicatrisation dirigée est indiquée. L’application de pommade cicatrisante (pommade vitamine A) et/ou antibiotique à raison de 3 ou 4 fois/jour est prescrite pendant 7 jours ;

    • la mise en place de Steri-Strips ® permet également une cicatrisation de qualité.

  • ±

    déhiscence de grande taille (> 1 cm) :

    • une cicatrisation dirigée peut être tentée si la taille n’est pas excessive ;

    • une suture palpébrale par points séparés peut être nécessaire sous anesthésie locale. Une nouvelle désunion n’est pas rare, surtout si la suture est sous tension, et une chirurgie secondaire sera alors nécessaire (lambeaux locaux, greffes).

  • ±

    déhiscence infectée : après réalisation de prélèvements bactériologiques, une antibiothérapie locale (pommade antibiotique 4 à 6 fois/jour) généralement associée à une antibiothérapie systémique est prescrite. Aucune suture ne doit être réalisée afin d’éviter la survenue d’un abcès collecté. La cicatrisation doit être dirigée.

PRISE EN CHARGE EN AVAL

Le patient est reconvoqué dans les jours suivant son examen d’urgence avec un oculoplasticien afin d’envisager une reprise chirurgicale.

Surveillance recommandée

L’autosurveillance d’une cicatrisation dirigée simple suffit. Dans les autres cas, elle est effectuée par l’oculoplasticien.

Pronostic

Favorable.

NÉCROSE CUTANÉE
Présentation clinique

  • ±

    Terrain : polyvasculaire (diabète, HTA, artériopathie, tabagisme) dénutrition, alcoolisme.

  • ±

    Circonstances de survenue : elle survient en période postopératoire précoce (dès J1 postopératoire). Les chirurgies de reconstruction palpébrale, notamment les greffes, sont les plus à risques. Deux lambeaux de reconstruction (lamelle antérieure et lamelle postérieure) permettent une plus grande sûreté vasculaire.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : la nécrose est indolore, contrairement à celle retrouvé dans la cellulite nécrosante.

  • ±

    Signes physiques : la coloration de la peau est noirâtre. En général, la nécrose survient au niveau de la partie distale du lambeau (fig. 5-2-25a ), surtout en cas de torsion excessive au niveau de la base du lambeau (au niveau de son pédicule vasculaire). Il faut éliminer deux urgences (surinfection, cellulite nécrosante) possiblement responsables de la nécrose.

    Fig. 5-2-25
    Souffrance cutanée post-chirurgicale.
    a. Souffrance distale (coloration noirâtre) d’un lambeau de translation de dermatochalasis supérieur à pédicule externe à J1 postopératoire. b. Évolution favorable à 1 semaine postopératoire après ablation des sutures et traitement local conservateur.
    (Source : avec l’aimable autorisation des Dr Oberic et Hamedani.)

Examens paracliniques

Aucun examen paraclinique n’est requis.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 4, score CIMU 5. Un avis spécialisé est nécessaire :

    • en urgence en cas de doute sur une cellulite nécrosante ;

    • à distance pour évaluer la nécessité d’une reprise chirurgicale.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : l’urgence est d’éliminer et/ou de prévenir une possible évolution vers une cellulite nécrosante.

Diagnostic différentiel essentiel

C’est la cellulite nécrosante qui est, elle, douloureuse.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : la grande majorité des nécroses cutanées évoluent favorablement avec les soins locaux (pommade cicatrisante) (fig. 5-2-25b ). Tout facteur favorisant doit être corrigé (sevrage tabagique).

  • ±

    En aval : le recours au caisson hyperbare peut être utile. À terme, si une reconstruction s’avérait nécessaire, la préférence irait aux lambeaux locorégionaux en raison de leur plus grande sûreté vasculaire par rapport aux greffes cutanées.

Surveillance recommandée

L’autosurveillance éduquée suffit.

Pronostic

Le pronostic est favorable.

BIBLIOGRAPHIE

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Urgences orbitaires non traumatiques

M. HAMEDANI , A. MARTEL , A. OBERIC

Points forts

  • Les urgences orbitaires non traumatiques peuvent être classées en deux grands groupes : les urgences vasculaires et les urgences inflammatoires.

  • Il faut garder en mémoire la possibilité d’une tumeur d’évolution rapide, justifiant une prise en charge en urgence.

CAUSES VASCULAIRES
LYMPHANGIOME
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : les lymphangiomes sont des malformations vasculaires d’aspect kystique pouvant toucher l’orbite mais parfois toute l’hémiface.

  • ±

    Terrain : enfants, adolescents, adultes jeunes.

  • ±

    Circonstances de survenue : les lymphangiomes évoluent par poussées et sont surtout diagnostiqués lors d’une hémorragie intrakystique classiquement secondaire à des épisodes de rhinopharyngite ou à des traumatismes.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : le lymphangiome kystique est indolore. En cas d’hémorragie intrakystique aiguë avec exophtalmie, les douleurs sont généralement marquées.

  • ±

    Signes physiques : le lymphangiome peut être asymptomatique et découvert au décours d’une décompensation aiguë. Sinon, une exophtalmie unilatérale, chronique, parfois défigurante peut être retrouvée. En cas d’hémorragie intrakystique, l’exophtalmie se majore. Elle est associée à un chémosis, une ophtalmoplégie voire une baisse d’acuité visuelle avec déficit pupillaire en cas de compression optique (fig. 5-2-26 ).

    Fig. 5-2-26
    Lymphangiome orbitaire gauche.

Examens paracliniques

Un scanner ou, mieux, une imagerie par résonance magnétique (IRM) orbitaire sont réalisés en urgence en cas d’exophtalmie aiguë afin de rechercher une hémorragie intrakystique. L’imagerie montre une lésion polykystique, mal limitée, avec souvent des niveaux liquides. Une échographie Doppler orbitaire réalisée par un opérateur entraîné est un complément utile.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : en cas d’hémorragie intrakystique, il s’agit d’un triage PEC de catégorie 3, score CIMU 4. Un avis spécialisé en oculoplastique est systématique (tableau 5-2-7 ).

    Tableau 5-2-7
    Délai de prise en charge des principales urgences orbitopalpébrales non traumatiques conformément au score de triage PEC.
    Degré d'urgence Urgences palpébrales (préseptales) Urgences orbitaires (rétroseptales)
    Catégorie 1 (sans délai)
    Catégorie 2 (< 1 h) Cellulite nécrosante Cellulite nécrosante Mucormycose
    Catégorie 3 (< 6 h)
    • Cellulites non nécrosantes

    • Staphylococcie maligne de la face

    • Lymphangiome hémorragique

    • Cellulite orbitaire non nécrosante

    • Thrombophlébite du sinus caverneux

    • Hématome orbitaire

    Catégorie 4 (< 24 h)
    • Zona ophtalmique

    • Herpès

    • Hématome palpébral

    • Désunion cicatricielle

    • Thrombose variqueuse ou varice orbitaire

    • Fistule carotidocaverneuse

    • Orbitopathie dysthyroïdienne compliquée

    • (neuropathie, exposition cornéenne)

    Catégorie 5 (< 72 h)
    • Chalazion

    • Orgelet

    • Blépharochalasis

    • Dacryoadénite

    • Myosite

    • Rhabdomyosarcome

    Catégorie 6 (délai normal) Eczéma

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : il existe un risque évolutif vers une neuropathie optique compressive avec risque de cécité.

Diagnostic étiologique

L’histoire clinique (exophtalmie unilatérale chronique évoluant par poussées) et l’aspect polykystique à l’imagerie permettent de poser le diagnostic.

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Autres malformations vasculaires.

  • ±

    Rhabdomyosarcome chez l’enfant.

  • ±

    Hémopathie maligne : lymphome.

Prise en charge

  • ±

    En cas de saignement intralésionnel avec retentissement visuel, il faut éviter une compression du nerf optique, une amblyopie par l’occlusion palpébrale et/ou l’astigmatisme induit chez l’enfant.

  • ±

    Immédiate aux urgences : l’avis d’un oculoplasticien est systématique. Un traitement antalgique est débuté. Le patient est laissé à jeun et l’anesthésiste est prévenu. Éventuellement, un traitement visant à réduire la pression intra-orbitaire par acétazolamide peut être débuté.

  • ±

    En aval : la chirurgie repose principalement sur le drainage des cavités hémorragiques. Il est impossible de proposer une exérèse totale de la lésion mal limitée dans la grande majorité des cas. Le risque principal dans les drainages est la récidive hémorragique. L’utilisation de colle biologique dans les cavités kystiques, en fin de drainage, pourrait limiter ce risque [1].

Surveillance recommandée

Le contrôle est pluriquotidien, il est effectué par un oculoplasticien qui surveille spécifiquement une récidive hémorragique.

Pronostic

Le pronostic est favorable en cas de prise en charge précoce.

VARICE ORBITAIRE
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : les varices orbitaires correspondent à des dilatations pathologiques des veines orbitaires, sans contexte particulier.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : elles sont souvent indolores. Parfois, certains patients peuvent ressentir des douleurs orbitaires profondes, en l’absence de complications, en décubitus dorsal prolongé (nuit) en raison de la gêne au retour veineux.

  • ±

    Signes physiques :

    • les varices sont responsables d’exophtalmie positionnelle avec parfois des douleurs. Le diagnostic est facilité par la manœuvre de Valsalva. L’examen clinique peut retrouver des anomalies veineuses palpébrales ou épisclérales ;

    • la thrombose ou le blocage de ces varices peuvent provoquer un tableau douloureux orbitaire. Il s’agit d’exophtalmie douloureuse d’apparition brutale, souvent révélatrice de cette malformation veineuse.

Examens paracliniques

L’IRM montre soit un tableau de thrombophlébite avec des calcifications, soit une image oblongue intraconique correspondant à un blocage au retour veineux, résolutif en quelques heures ou quelques jours (fig. 5-2-27 ).

Fig. 5-2-27
Thrombophlébite sur une varice orbitaire gauche.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : il s’agit d’un triage PEC de catégorie 4, score CIMU 4. L’avis d’un oculoplasticien est souhaitable (tableau 5-2-7 ).

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : le but est d’éliminer les diagnostics différentiels d’un syndrome orbitaire aigu.

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Autres malformations vasculaires (malformation artérioveineuse, hémangiome).

  • ±

    Thrombose du sinus caverneux.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : la thrombose variqueuse est généralement spontanément résolutive. Une prise en charge sympto-matique par antalgiques, application de glace voire pansement compressif permet de soulager le patient.

  • ±

    En aval : la prise en charge d’aval consiste en l’avis d’un oculoplasticien afin de discuter d’une prise en charge chirurgicale à distance.

Surveillance recommandée

On propose un contrôle clinique par un oculoplasticien à 48 heures en cas de thrombose variqueuse.

Pronostic

Le pronostic est favorable, avec cependant une possible énophtalmie séquellaire par atrophie de la graisse orbitaire secondaire ou thromboses successives.

FISTULE CAROTIDOCAVERNEUSE
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : la fistule carotidocaverneuse correspond à la rupture généralement post-traumatique de la carotide interne dans le sinus caverneux à l’origine d’une artérialisation des veines ophtalmiques.

  • ±

    Terrain : elle se produit préférentiellement chez les sujets jeunes.

  • ±

    Circonstances de survenue : elle est secondaire à un traumatisme crânien (sujets généralement jeunes), parfois spontanée secondaire à l’hypertension artérielle (sujets âgés).

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : elle est généralement indolore. Le patient peut se plaindre d’une pression intra-orbitaire et d’acouphènes dans les semaines voire les mois suivant le traumatisme crânien.

  • ±

    Signes physiques : le patient présente une exophtalmie, en général unilatérale, avec une hyperhémie conjonctivale diffuse par la dilatation des vaisseaux épiscléraux (aspect de tête de méduse), un chémosis, une hypertonie oculaire par diminution du retour veineux, et une paralysie des nerfs III, IV, VI avec diplopie. La veine ophtalmique supérieure peut être visible et pulsatile lors de la palpation. Un souffle est entendu à l’auscultation. Le patient se plaint d’acouphène (fig. 5-2-28a ).

    Fig. 5-2-28
    Fistule carotidocaverneuse gauche.
    Fistule carotidocaverneuse gauche.
    a. Avec exophtalmie pulsatile et dilatation des vaisseaux épiscléraux.
    b. Dilatation de la veine ophtalmique supérieure gauche.

Examens paracliniques

Lorsque le tableau clinique est complet, le diagnostic est aisé. Il est confirmé par l’imagerie orbitaire et cérébrale montrant un élargissement du sinus caverneux et une dilatation de la veine ophtalmique supérieure (fig. 5-2-28b ).

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : il s’agit d’un triage PEC de catégorie 4, score CIMU 4 (tableau 5-2-7 ). L’avis d’un oculo-plasticien et d’un neuroradiologue interventionnel est systématique.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : le but est d’éliminer les diagnostics différentiels d’un syndrome orbitaire aigu.

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Orbitopathie dysthyroïdienne aiguë.

  • ±

    Inflammation orbitaire (spécifique ou idiopathique).

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : elle est uniquement symptomatique avec la prise en charge d’une éventuelle hypertonie intra-oculaire ou d’une lagophtalmie.

  • ±

    En aval : le patient est adressé en priorité aux neuroradiologues interventionnels. Le traitement est endovasculaire avec de bons résultats [2].

CAUSES INFLAMMATOIRES

Les inflammations orbitaires aiguës se développent en quelques heures ou quelques jours.

En cas d’inflammation postérieure de l’orbite, une hypertonie oculaire et une baisse de l’acuité visuelle peuvent compléter le tableau clinique.

Une inflammation orbitaire s’analyse en tenant compte de (fig. 5-2-29) :

  • ±

    l’urgence thérapeutique : les cellulites orbitaires infectieuses nécessitent une prise en charge rapide avec principalement la mise en route des antibiotiques et la décision d’un éventuel drainage chirurgical ;

  • ±

    l’incidence des pathologies possibles avec, par argument de fréquence, l’orbitopathie dysthyroïdienne et sa prise en charge standardisée pluridisciplinaire.

Fig. 5-2-29
Orientation diagnostique devant une inflammation orbitaire.

Les inflammations orbitaires non infectieuses sont classées en inflammations spécifiques et non spécifiques.

En cas de maladie systémique connue, le diagnostic étiologique est facilité. Une biopsie orbitaire doit établir un diagnostic de certitude pour instaurer le traitement spécifique.

En cas d’anamnèse négative, après avoir éliminé la cellulite orbitaire et l’orbitopathie dysthyroïdienne, deux grandes catégories d’inflammations orbitaires se distinguent selon leur localisation : les dacryoadénites et les myosites.

CELLULITE ORBITAIRE (OU RÉTROSEPTALE)
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : la cellulite orbitaire est définie par l’infection du contenu orbitaire. Elle touche les structures comme la graisse orbitaire et les muscles oculomoteurs. Elle n’atteint pas le globe oculaire en lui-même. Il faut la distinguer de la cellulite préseptale qui n’atteint que les tissus mous en avant du septum orbitaire, c’est-à-dire le muscle orbiculaire et le tissu cutané.

  • ±

    Terrain : chez l’enfant, l’abcès sous-périosté en regard de la paroi médiale de l’orbite par extension d’une ethmoïde aiguë est le tableau le plus classique. Chez l’adulte, les causes sinusiennes constituent les causes les plus fréquentes.

  • ±

    Antécédents prédisposants : tout déficit immunitaire et la prise d’AINS peuvent favoriser la survenue d’une cellulite orbitaire.

  • ±

    Circonstances de survenue : elles sont spontanées, compliquant une infection locorégionale ou postopératoire.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : la douleur est généralement beaucoup plus importante que celle rencontrée lors d’une cellulite préseptale isolée. Le patient se plaint de douleur orbitaire, de céphalée, de tuméfaction des tissus péri-orbitaires, de vision double, et parfois de l’altération de l’état général avec fièvre.

  • ±

    Signes physiques : les symptômes communs avec la cellulite pré-septale sont une douleur, une rougeur, un œdème et parfois de la fièvre. Mais il faut rechercher attentivement des signes évoquant une atteinte des tissus mous orbitaires, à savoir : une inflammation palpébrale et oculaire, une diminution de la motilité oculaire, une douleur à la mobilisation du globe, une exophtalmie, un œdème palpébral et conjonctival (chémosis) et une baisse d’acuité visuelle (fig. 5-2-30a). Un mouchage purulent orientera vers une origine sinusienne.

    Fig. 5-2-30
    Cellulite orbitaire droite (a) et sinusite maxillaire bilatérale (b).

Examens paracliniques

Une imagerie en urgence (scanner avec injection) est nécessaire afin :

  • ±

    de déterminer la localisation des lésions ;

  • ±

    d’identifier la présence ou non d’abcès orbitaire ou sous-périosté (la présence d’abcès orbitaire ou sous-périosté ne peut être diagnostiquée qu’à l’imagerie, car les symptômes sont identiques à ceux de la cellulite diffuse) ;

  • ±

    de rechercher une infection de voisinage dans les sinus adjacents et des complications intracérébrales (fig. 5-2-30b).

La cellulite orbitaire se présente sous trois formes :

  • ±

    la cellulite orbitaire diffuse ;

  • ±

    la cellulite avec abcès orbitaire ;

  • ±

    la cellulite avec abcès sous-périosté.

Il est utile de faire des prélèvements des sécrétions et, lorsqu’il y a de la fièvre, de réaliser des hémocultures.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : c’est un triage PEC de catégorie 3, score CIMU 3 (tableau 5-2-7). L’avis d’un oculoplasticien est indispensable.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente par :

    • la possible évolution cécitante par neuropathie optique compressive ou ischémique ou atteinte rétinienne ischémique ;

    • les complications intracrâniennes qui engagent le pronostic vital (thrombose septique du sinus caverneux, abcès/empyème cérébral, méningite) et les complications systémiques (bactériémie, choc septique).

Diagnostic étiologique

Les étiologies retrouvées sont :

  • ±

    l’extension d’une infection par sinusite de voisinage principalement, dacryocystite, infection cutanée voisine, infection dentaire (encadré 5-2-3) ;

    Encadré 5-2-3
    Formes cliniques particulières

    Streptococcie bêta-hémolytique

    Dans le cas des atteintes par le streptocoque bêta-hémolytique, on peut observer des cellulites nécrosantes. Elles sont plus volontiers préseptales mais peuvent néanmoins envahir le contenu orbitaire rétroseptal. Il s’agit d’une urgence PEC de catégorie 2, score CIMU 2 nécessitant une hospitalisation en réanimation et un avis spécialisé par un chirurgien orbito-palpébral. Leur mortalité serait d’environ 15 % [3].

    Mucormycose

    Plus rare, la mucormycose est une entité clinique très grave qui concerne les sujets vulnérables (immunodéprimés ou diabétiques). Il s’agit d’une infection fongique de l’orbite se traduisant par une exophtalmie et un syndrome de l’apex orbitaire. Le diagnostic repose sur la biopsie des tissus orbitaires. Le traitement est une urgence PEC de catégorie 2, score CIMU 2 par débridement chirurgical, antifongiques intraveineux en milieu de réanimation. L’aspergillose orbitaire aiguë est en général secondaire à une infection sinusienne, principalement sphénoïdale. On observe alors une exophtalmie douloureuse avec baisse d’acuité visuelle. Le diagnostic repose sur la biopsie avec recherche d’infection fongique. Le traitement est une urgence PEC de catégorie 3, score CIMU 3 et repose sur le débridement chirurgical et des antifongiques par voie systémique.

  • ±

    l’extension bactériémique à partir d’un foyer à distance ;

  • ±

    les traumatismes comme le traumatisme palpébral, la fracture orbitaire ou une morsure animale.

L’infection est souvent polymicrobienne. Les germes principaux retrouvés sont les suivants :

  • ±

    streptocoques : Pneumoniae, Pyogenes ;

  • ±

    staphylocoques : doré, coagulase négative ;

  • ±

    Haemophilus influenzae ;

  • ±

    bactéries anaérobies ;

  • ±

    entérobactéries ;

  • ±

    tuberculose ;

  • ±

    infections fongiques chez le diabétique et l’immuno-déprimé ;

  • ±

    infections virales (herpès et zona).

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Cellulite préseptale : la douleur importante, la tension palpébrale, le chémosis, l’ophtalmoplégie et la baisse d’acuité visuelle orientent vers une cellulite rétroseptale. Dans le doute, un scanner orbitaire est réalisé.

  • ±

    Inflammation orbitaire spécifique ou idiopathique.

  • ±

    Orbitopathie dysthyroïdienne.

  • ±

    Lésions vasculaires aiguës telles que l’hématome orbitaire ou un saignement d’un lymphangiome kystique.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : le traitement repose sur une hospitalisation, avec en général une antibiothérapie intraveineuse à large spectre couvrant systématiquement les germes anaérobies (par exemple, amoxicilline + acide clavulanique ou céphalosporine de 3 e génération + métronidazole), à adapter secondairement à l’antibiogramme [4]. La corticothérapie adjuvante, à discuter au cas par cas, permettrait une résolution plus rapide des symptômes [5, 6].

  • ±

    En aval : l’antibiothérapie intraveineuse est généralement maintenue pour une durée minimale de 1 semaine et poursuivie par voie orale selon l’évolution locale. Un drainage chirurgical sera discuté au cas par cas par un chirurgien orbitaire. La chirurgie est indiquée en présence de neuropathie optique, d’un large abcès sous-périosté, d’un corps étranger orbitaire ou si le traitement antibiotique n’est pas efficace à 48 heures.

Surveillance recommandée

La surveillance est initialement pluriquotidienne analysant température, état général, douleur, acuité visuelle, réflexe photomoteur, tension orbitaire, marquage cutané, ophtalmoplégie.

Pronostic

Le pronostic est favorable dans la plupart des cas pris en charge. Les risques de séquelles neurologiques voire de décès (10 %) existent en cas d’atteinte intracrânienne (thrombose du sinus caverneux, abcès cérébral) ou de germes particulièrement agressifs (mucormycose).

ORBITOPATHIE DYSTHYROÏDIENNE
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : l’orbitopathie dysthyroïdienne est une pathologie auto-immune responsable d’une infiltration orbitopalpébrale (muscles oculomoteurs, graisse orbitaire) inflammatoire dans un premier temps, suivie d’une phase séquellaire. Le suivi est assuré par un oculoplasticien spécialisé. Deux items d’urgence lui sont relatifs : la neuropathie optique compressive, par compression du nerf optique à l’apex orbitaire par les muscles oculomoteurs, et l’exposition cornéenne.

  • ±

    Terrain : elle concerne les femmes principalement, avec deux pics de fréquence (20 ans/60 ans).

  • ±

    Circonstances de survenue : on incrimine l’hyperthyroïdie (maladie de Basedow), parfois l’hypothyroïdie ou même, de manière atypique, l’euthyroïdie.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : en cas de neuropathie optique compressive, une baisse d’acuité visuelle s’installe de manière progressive et rapide. D’importantes douleurs résultent d’une exposition cornéenne.

  • ±

    Signes physiques :

    • le diagnostic est aisé en présence d’exophtalmie, de rétraction palpébrale et de limitation oculomotrice. La phase inflammatoire se manifeste par la rougeur oculaire et/ou palpébrale, l’œdème palpébral et le chémosis (fig. 5-2-31). L’évaluation de ces signes par le Clinical Activity Score (CAS) permet de poser l’indication au traitement anti-inflammatoire (principalement les stéroïdes) et le suivi thérapeutique ;

      Fig. 5-2-31
      Orbitopathie dysthyroïdienne droite.

    • la compression du nerf optique se manifeste par une baisse de l’acuité visuelle dans un contexte d’orbitopathie inflammatoire avec exophtalmie, chémosis, rougeur oculaire et palpébrale. La rétraction palpébrale et la limitation des mouvements oculaires aident à poser rapidement le diagnostic. L’imagerie orbitaire, demandée en urgence, montre une hypertrophie des muscles oculomoteurs avec un encombrement important à l’apex orbitaire, expliquant la symptomatologie [7] ;

    • l’exposition cornéenne est responsable d’une kératite, puis d’une ulcération voire d’un abcès cornéen. Elle s’explique souvent par l’association d’exophtalmie, de rétraction palpébrale et de fibrose des muscles oculomoteurs réduisant le phénomène réflexe de Charles Bell.

Examens paracliniques

  • ±

    Orbitopathie dysthyroïdienne. Lors de la consultation initiale d’urgence, on pratique :

    • un bilan endocrinien complet : thyroid stimulating hormone (TSH), tri-iodothyronine (T4), thyroxine (T3), anticorps antirécepteurs à la TSH = TRAK, anticorps antithyroperoxydase ;

    • une IRM orbitaire : exophtalmie, épaississement des muscles oculomoteurs prédominant sur les muscles droits inférieurs et médiaux.

    • Neuropathie optique compressive. On pratique dans le cadre de l’urgence : IRM orbitaire objective la compression à l’apex ; champ visuel ; optical coherence tomography (OCT) retinal nerve fiber layer (RNFL) ; vision des couleurs ; bilan endocrinien.

  • ±

    Exposition cornéenne : le bilan est celui de l’orbitopathie responsable. Une dysesthésie est un facteur aggravant.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge (tableau 5-2-7) :

    • dans tous les cas, l’avis d’un chirurgien orbito-palpébral est indispensable ;

    • pour l’orbitopathie dysthyroïdienne : triage PEC en catégorie 6, CIMU 4 ;

    • pour la neuropathie optique compressive : triage PEC en catégorie 4, CIMU 4 ;

    • pour l’exposition cornéenne : le triage PEC en catégorie 4, CIMU 4.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : l’item justifie un examen rapide en raison des risques de cécité (neuropathie optique compressive), d’abcès cornéen, voire de perforation cornéenne (exposition).

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Inflammation orbitaire (spécifique ou idiopathique).

  • ±

    Cellulite orbitaire.

  • ±

    Lésions vasculaires (fistule carotidocaverneuse, hématome orbitaire, saignement intralésionnel d’un lymphangiome kystique).

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences :

    • orbitopathie dysthyroïdienne : si elle n’est pas inflammatoire, le traitement est symptomatique avec un rendez-vous avec un endocrinologue et un chirurgien orbitopalpébral pour le suivi. Si la décompensation est inflammatoire, l’usage est de discuter l’administration de bolus de méthylprednisolone après avis orbitopalpébral ;

    • neuropathie optique compressive : en hospitalisation, on administre sans délai un bolus de méthylprednisolone. Il convient d’équilibrer le statut endocrinien. En cas d’échec, une décompression orbitaire postérieure permet de décomprimer le nerf optique à l’apex ;

    • exposition cornéenne : en cas de souffrance cornéenne majeure, une décompression orbitaire, un allongement palpébral supérieur ou une tarsorraphie provisoire peuvent être discutés. La prévention de cette complication est fondée sur le traitement local lubrifiant par collyres et pommades, et la bonne prise en charge de l’orbitopathie dysthyroïdienne.

  • ±

    En aval : on organise le suivi endocrinien, le sevrage tabagique (principal facteur aggravant), le suivi par un chirurgien orbitopalpébral.

Surveillance recommandée

La surveillance est pluriquotidienne en hospitalisation en cas de neuropathie optique compressive ou d’ulcère/abcès cornéen.

Pronostic

Le pronostic est favorable si la prise en charge est précoce.

DACRYOADÉNITE
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : la dacryoadénite correspond à une inflammation aiguë de la glande lacrymale située au niveau du quadrant supéro-externe de l’orbite.

  • ±

    Terrain : il ne semble pas y avoir de prédilection d’âge, de sexe, d’ethnie, de terrain pathologique sous-jacent.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : la douleur est habituellement présente bien que moins intense qu’une cellulite orbitaire.

  • ±

    Signes physiques : l’inflammation de la glande lacrymale se manifeste par une tuméfaction de la paupière supérieure, à prédominance latérale, avec la déformation typique en S de la paupière. Le patient se plaint de douleur orbitaire et l’examen montre une paupière supérieure rouge et tuméfiée (fig. 5-2-32a). Cette inflammation peut entraîner une dystopie oculaire, en bas et en dedans, avec une diplopie dans le regard en haut et en dehors. La palpation révèle souvent l’hypertrophie de la glande lacrymale.

    Fig. 5-2-32
    Dacryoadénite droite (a) et hypertrophie de la glande lacrymale droite (b).

Examens paracliniques

L’IRM orbitaire montre une hypertrophie homogène de la glande lacrymale avec un rehaussement par l’injection de gadolinium (fig. 5-2-32b).

Les prélèvements bactériologiques sont pratiqués en cas de sécrétions purulentes.

Un bilan en médecine interne contribuera au diagnostic étiologique.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 5, score CIMU 4 (tableau 5-2-7). Un avis spécialisé (chirurgien orbitopalpébral, médecin interniste) n’est pas nécessaire en urgence mais il l’est pour le suivi.

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : l’examen rapide permet d’éliminer les diagnostics différentiels dont la prise en charge est, elle, plus urgente.

Diagnostics étiologiques

  • ±

    Inflammations orbitaires spécifiques : sarcoïdose, polyangéite granulomateuse, maladie à immunoglobulines de type G4 (IgG4).

  • ±

    Dacryadénites bactériennes : elles sont rares.

  • ±

    Inflammations orbitaires idiopathiques, lorsque le bilan étiologique reste négatif.

Diagnostics différentiels essentiels

Il s’agit principalement des tumeurs de la glande lacrymale : lymphome en premier lieu, tumeurs épithéliales.

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : le traitement est classiquement fondé sur une corticothérapie per os. La résolution des signes cliniques est en général spectaculaire en quelques jours.

  • ±

    En aval : la biopsie orbitaire, débattue [8, 9], est réservée aux cas de résistance à la corticothérapie, aux cas de récidives et aux cas atypiques dans la présentation clinique et radiologique. Le bilan qui doit être réalisé en collaboration avec les médecins internistes [10] reste cependant souvent négatif.

Surveillance recommandée

Un suivi par un chirurgien orbitopalpébral est proposé.

Pronostic

Le pronostic reste favorable.

MYOSITE
Présentation clinique

  • ±

    Contexte : l’inflammation des muscles orbitaires est responsable de douleurs, dans le champ d’action du muscle atteint, et de diplopie. Cette inflammation peut toucher un ou plusieurs muscles, de façon uni- ou bilatérale.

Examen clinique

  • ±

    Signes fonctionnels : les patients se plaignent de douleurs principalement à la motricité oculaire.

  • ±

    Signes physiques : l’examen montre une rougeur oculaire, prédominant en regard de l’insertion du muscle atteint, associée souvent à une exophtalmie. Le bilan orthoptique confirme la limitation de l’oculomotricité et permet de suivre l’évolution de la myosite.

Examens paracliniques

L’imagerie orbitaire confirme le diagnostic. Elle retrouve une hypertrophie d’un ou de plusieurs muscles oculomoteurs (fig. 5-2-33). À la différence de l’orbitopathie dysthyroïdienne, le tendon d’insertion sclérale du muscle concerné n’est pas respecté dans la myosite.

Fig. 5-2-33
Myosite du droit médial droit.

Un bilan étiologique est conduit en pluridisciplinarité avec un médecin interniste.

Type d’urgence

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 5, score CIMU 4 (tableau 5-2-7). Un avis spécialisé n’est pas nécessaire en urgence, mais il l’est plutôt pour le suivi (chirurgien orbitopalpébral, médecin interniste).

  • ±

    Justification de prise en charge urgente : permet d’éliminer les diagnostics différentiels.

Diagnostics étiologiques

Les diagnostics étiologiques sont envisagés en collaboration avec un médecin interniste :

  • ±

    inflammation orbitaire spécifique : connectivites, vascularites ;

  • ±

    inflammation orbitaire idiopathique.

Diagnostics différentiels essentiels

  • ±

    Orbitopathie dysthyroïdienne.

  • ±

    Causes tumorales : métastase musculaire, hémopathie maligne (lymphome).

Prise en charge

  • ±

    Immédiate aux urgences : le traitement fait appel à la corticothérapie orale. Si l’atteinte concerne plusieurs muscles, des bolus intraveineux de corticoïdes semblent préférables.

  • ±

    En aval : la biopsie musculaire est réservée aux cas atypiques, dans la présentation clinique et radiologique, ainsi qu’aux formes récidivantes où un traitement plus lourd, de type immunosuppresseur, pourrait être proposé [11].

Surveillance recommandée

La surveillance est clinique, effectuée par un chirurgien orbitopalpébral, avec un bilan orthoptique (test de Lancaster), en collaboration avec le médecin interniste.

Pronostic

L’évolution est en règle générale favorable, avec une régression spectaculaire en quelques jours.

CAUSES TUMORALES

Les rares pathologies tumorales doivent toujours être évoquées.

Deux tableaux se distinguent :

  • ±

    chez l’enfant, toute exophtalmie aiguë doit faire évoquer systématiquement un rhabdomyosarcome ou plus rarement un neuroblastome. Il s’agit d’urgences absolues ;

  • ±

    chez l’adulte, notamment âgé, le lymphome constitue la lésion orbitaire la plus fréquente.

RHABDOMYOSARCOME

Il s’agit d’une urgence indiscutable. En effet, la précocité du diagnostic et la rapidité de l’introduction de la chimiothérapie conditionnent très clairement le pronostic vital de l’enfant. Toute masse orbitaire d’évolution rapide chez l’enfant doit être considérée comme suspecte de rhabdomyosarcome et justifie la biopsie. L’IRM orbitaire, demandée en urgence, permet de localiser précisément la masse orbitaire. Il s’agit d’une urgence de triage PEC de catégorie 5, score CIMU 4. Un avis spécialisé orbitopalpébral est systématiquement demandé en urgence. Le traitement est instauré aussi rapidement que possible en oncologie pédiatrique. Il repose sur la chimiothérapie en première ligne. En cas de résidu tumoral, une chirurgie ou une radiothérapie adjuvante peuvent être indiquées. Le pronostic est bon [12].

NEUROBLASTOME

Il s’agit de métastases orbitaires se manifestant par une exophtalmie et parfois une ecchymose en lunettes. Le bilan sanguin et urinaire ainsi que l’imagerie aident au diagnostic. Il s’agit d’une urgence de triage PEC de catégorie 5, score CIMU 4. L’avis d’un spécialiste en orbitopalpébral et surtout celui d’un hémato-oncologue pédiatrique sont indispensables. La prise en charge thérapeutique, fondée sur la chimiothérapie, est assurée en oncologie pédiatrique.

URGENCES POSTOPÉRATOIRES

La chirurgie orbitaire nécessite une bonne connaissance de l’anatomie. Les principales complications sont l’hémorragie, l’infection et l’emphysème.

L’hémorragie peut survenir pendant l’intervention ou juste après le réveil. Son traitement est principalement préventif, fondé sur la bonne connaissance de l’anatomie vasculaire de l’orbite, une hémostase soigneuse durant l’opération et un contrôle pressionnel strict [13]. En cas d’hématome compressif, l’imagerie oriente le drainage en urgence.

L’infection est rare. Elle peut se présenter sous forme d’une cellulite orbitaire, abcédée ou non.

Après une décompression orbitaire, la communication avec les sinus péri-orbitaires peut être responsable de sinusite maxillaire ou ethmoïdale (fig. 5-2-34). La prévention consiste en un lavage antibioprophylactique des sinus en fin d’intervention. Le traitement curatif fait appel à une antibiothérapie systémique et un éventuel drainage en cas d’échec. Un mouchage après une décompression orbitaire peut entraîner un emphysème sous-cutané, sous forme de tuméfaction péri-orbitaire, avec une « crépitation neigeuse » à la palpation. Une ponction à l’aiguille peut soulager le patient. L’interdiction du mouchage en postopératoire permet d’éviter cette complication.

Fig. 5-2-34
Sinusite maxillaire après une décompression orbitaire osseuse.

BIBLIOGRAPHIE

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[2] Zanaty M, Chalouhi N, Tjoumakaris SI, et al. Endovascular treatment of carotid-cavernous fistulas. Neurosurg Clin N Am 2014 ; 25 : 551‑63.
[3] Lazzeri D, Lazzeri S, Figus M, et al. Periorbital necrotising fasciitis. Br J Ophthalmol 2010 ; 94 : 1577‑85.
[4] Amin N, Syed I, Osborne S. Assessment and management of orbital cellulitis. Br J Hosp Med (Lond) 2016 ; 77 : 216‑20.
[5] Pushker N, Tejwani LK, Bajaj MS, et al. Role of oral corticosteroids in orbital cellulitis. Am J Ophthalmol 2013 ; 156 : 178‑183.e1.
[6] Chen L, Silverman N, Wu A, Shinder R. Intravenous steroids with antibiotics on admission for children with orbital cellulitis. Ophthal Plast Reconstr Surg 2017 ; 33 : 389‑90.
[7] McKeag D, Lane C, Lazarus JH, et al. Clinical features of dysthyroid optic neuropathy : a European Group on Graves’ Orbitopathy (EUGOGO) survey. Br J Ophthalmol 2007 ; 91(4) : 455‑8.
[8] Mombaerts I, Rose GE, Garrity JA. Orbital inflammation : biopsy first. Surv Ophthalmol 2016 ; 61 : 664‑9.
[9] Dagi Glass LR, Freitag SK. Orbital inflammation : corticosteroids first. Surv Ophthalmol 2016 ; 61 : 670‑3.
[10] Grimbert P, Vabres B, Orignac I, et al. Diagnostic value of multidisciplinary meetings on orbital inflammatory pathologies discussed in Nantes University Medical Center. J Fr Ophtalmol 2013 ; 36 : 809‑14.
[11] Montagnese F, Wenninger S, Schoser B. “Orbiting around” the orbital myositis : clinical features, differential diagnosis and therapy. J Neurol 2016 ; 263 : 631‑40.
[12] Boutroux H, Cellier C, Mosseri V, et al. Orbital rhabdomyosarcoma in children : a favorable primary suitable for a less-invasive treatment strategy. J Pediatr Hematol Oncol 2014 ; 36 : 605‑12.
[13] Sia DIT, Chalmers A, Singh V, et al. General anaesthetic considerations for haemostasis in orbital surgery. Orbit Amst Neth 2014 ; 33 : 5‑12.

Conjonctivites infectieuses

D. BREMOND-GIGNAC

Points forts

  • Les pathologies conjonctivales aiguës sont les items d’urgence les plus fréquents.

  • Ces pathologies, le plus souvent sans gravité, présentent cependant quelques situations précises à identifier qui requièrent une prise en charge urgente.

  • Cas particulier de l’enfant (voir chapitre 5.5) :

    • les conjonctivites infectieuses de l’enfant touchent un enfant sur huit par année d’âge et 51 % des antibiotiques topiques sont prescrits chez l’enfant de 0 à 9 ans ;

    • chez l’enfant, en particulier en période néonatale, certaines étiologies nécessitent une identification urgente car elles sont potentiellement cécitantes et de plus certaines engagent le pronostic vital.

La conjonctivite et les pathologies conjonctivales sont de loin les causes les plus fréquentes de DSNPO [1–3]. Elles représenteraient 57 % de la totalité des DSNPO auprès des médecins généralistes, devant les blépharites, orgelets et chalazions (21 %). Quasiment une DSNPO non traumatique sur quatre porte sur une conjonctivite en structure d’urgence spécialisée en France (voir chapitre 2.3 ) et ce type de demande va jusqu’à un tiers des DSNPO aux États-Unis [4]. Si on ajoute à cela la proportion considérable des patients traités par les officines pharmaceutiques pour œil rouge avec des antiseptiques (voir chapitre 2.4 ), on prend la mesure considérable de cet item d’urgence.

PRÉSENTATION CLINIQUE
SIGNES FONCTIONNELS

Le diagnostic est évoqué devant un tableau classique d’hyperhémie conjonctivale unilatérale, bilatérale ou bilatéralisée, avec sensation de grain de sable et larmoiement [1]. D’autres symptômes peuvent être observés, souvent associés entre eux (tableau 5-2-8 et fig. 5-2-35). Le patient rapporte fréquemment des paupières collées le matin. L’abondance des sécrétions et leur purulence sont deux points qui permettent d’évaluer la gravité de la conjonctivite [5].

Tableau 5-2-8
Signes fonctionnels non spécifiques des conjonctivites infectieuses et leur orientation étiologique privilégiée.
Signes fonctionnels Signes cliniques associés possibles Orientation étiologique
Œil rouge Hyperhémie des conjonctives bulbaires/prétarsales V = B = P
Rhinorrhée, et signes ORL Hémorragie intra- ou sous-conjonctivale V > B
Larmoiement clair Chémosis, follicules conjonctivaux V > B
Larmoiement purulent Fausses membranes V < B
Sensation de corps étranger Marquage conjonctival (fluorescéine, autre) V = B
Prurit Hyperhémie sectorielle, voussure sous-conjonctivale B < P
Brûlures superficielles Hyperhémie dense, pseudo-ptosis réactionnel V < B
Paupières collées Sécrétions profuses V < B
Gonflement palpébral Œdème péri-oculaire préseptal V < B
B:bactérienne; P:parasitaire; V:virale.
Fig. 5-2-35
Conjonctivite infectieuse de l’adulte à adénovirus, œil droit.
Patient vu à J3 (a) et à J5 (b). On note la rapidité d’évolution de l’œdème palpébral (a, b) et de l’inflammation conjonctivale (b), qui se complète à J5 par la présence d’une petite fausse membrane traduisant la virulence pathogénique du sérotype ( c, flèche), l’importance du larmoiement clair ( d, flèche) et du chémosis ( e, flèches).

La symptomatologie d’œil rouge avec larmoiement est peu spécifique. Elle peut faire aussi évoquer une multitude d’autres diagnostics associés ou différentiels. Par exemple, une pathologie associée est suspectée devant la présence supplémentaire d’une photophobie, d’une baisse d’acuité visuelle, d’un blépharospasme, d’un chémosis, d’un cercle périkératique et d’une cellulite orbitaire préseptale. Il ne s’agit alors plus d’une conjonctivite isolée. Le triage, l’examen et la prise en charge aux urgences sont alors ceux de l’item associé.

CONTEXTE

Le diagnostic de conjonctivite infectieuse est orienté selon le contexte qui prend en compte les informations suivantes :

  • ±

    contage dans l’environnement, particulièrement en collectivité ;

  • ±

    délai d’incubation (fig. 5-2-35) ;

  • ±

    rapidité d’installation ;

  • ±

    âge du patient ;

  • ±

    antécédents de pathologie ophtalmologique ou générale ;

  • ±

    port de lentilles de contact ;

  • ±

    séjour en zone endémique ou épidémique. Les facteurs favorisants principaux sont :

  • ±

    la proximité contagieuse ;

  • ±

    la virulence du germe ;

  • ±

    le volume de contamination ;

  • ±

    la rupture des barrières épithéliales conjonctivales (toxicité, plaie, inflammation chronique, etc.) ;

  • ±

    le port de lentilles de contact avec non-respect des bonnes pratiques (mauvaise hygiène d’entretien, port prolongé ou nocturne, port à la piscine, etc.).

Un contexte d’atteinte systémique (fièvre, atteinte cutanée et/ou rash, raideur nucale, etc.) constitue un facteur de risque de gravité. L’orientation devant la conjonctivite est fonction de la symptomatologie (tableau 5-2-8), de l’âge du patient et du type de germe suspecté (fig. 5-2-36). Le contexte épidémique ou la provenance de zone d’endémie particulière peut être évocateur d’étiologies rares, spécifiques et redoutables comme les virus Zika, entérovirus ou Ebola [6–8].

Fig. 5-2-36
Conduite à tenir devant une conjonctivite infectieuse larmoyante.
PEC : prise en charge ; SF : signes fonctionnels.

EXAMEN CLINIQUE

L’examen général recherche une adénopathie prétragienne, des signes physiques ORL ou une atteinte extra-ophtalmologique associée. L’examen à la lampe à fente recherche les signes physiques des conjonctivites et élimine ceux des autres items d’urgence. Quelques signes négatifs particuliers sont recherchés en priorité. Leur présence oriente vers un autre item et récuse le diagnostic de conjonctivite isolée. On citera en particulier, de manière non exhaustive, une anomalie visuelle permanente, un blépharospasme, une kératite, un effet Tyndall positif, un corps étranger superficiel, une anomalie palpébrale. De même, un ulcère, un infiltrat, un abcès renvoient aux pathologies correspondantes. Des anomalies cutanées font suspecter une cellulite orbitaire débutante.

Des follicules conjonctivaux, un chémosis, la présence d’hémorragies, un larmoiement clair orientent en principe vers une conjonctivite virale (fig. 5-2-37). Des sécrétions purulentes, profuses des papilles, des fausses membranes, une hyperhémie dense, une bilatéralité et une progression plus longue ont été évoquées comme arguments orientant vers une étiologie bactérienne, sans que cela ne soit clairement étayé dans la littérature scientifique [9]. Les formes cliniques de conjonctivites à fausse membrane ou pseudo-membraneuses (couche sécrétée à la surface de la conjonctive tarsale et du cul-de-sac, qui se détache en fins lambeaux) orientent vers des formes sévères.

Fig. 5-2-37
Conjonctivite infectieuse virale.
À la phase débutante, la sensation de corps étranger peut prédominer et l’hyperhémie conjonctivale à peine visible peut passer au second plan (a). Au stade plus évolué, l’hyperhémie peut se limiter à un secteur conjonctival ( b, secteur nasal, noter le ménisque lacrymal épaissi).

Au besoin, le clinicien peut attribuer un score quantitatif pour optimiser le suivi évolutif d’aval (tableau 5-2-9) [1].

Tableau 5-2-9
Signes physiques les plus fréquents des conjonctivites infectieuses pouvant être quantifiés au moyen de scores consensuels afin d'optimiser le suivi d'aval des urgences.
Entité à quantifier Score quantitatif 0 10
SCE Échelle analogique 0-10 Aucun Intolérable
Prurit Échelle analogique 0-10 Aucun Intolérable
Larmoiement Échelle analogique 0-10 Aucun Continu et profus
Photophobie Échelle analogique 0-10 Aucun Ouverture impossible
Score semi-quantitatif Aucun (0) Léger (1) Modéré (2) Sévère (3)
Hyperhémie Engorgement vasculaire objectivable Invisible À peine Clairement Marqué
Œdème conjonctival Secteur impliqué Aucun Un segment bulbaire Toute l'aire bulbaire > Épaisseur palpébrale
Sécrétions (présence + œil collé) Présence Aucun Seulement à la LAF Visible sans LAF Visible sans LAF
Œil collé Aucun Paupière inférieure Paupière inférieure 2 paupières
Test au marquage vital Aire impliquée Aucun < 25 % surface 25 % < surface < 50 % Surface > 50 %
Signes conjonctivaux (aire impliquée + follicules) Follicules Aucun Localisés Diffus < 1 mm Diffus > 1 mm
  • Fausses membranes

  • (aire impliquée + localisation)

Localisation Aucune 1 fornix 2 fornix 2 fornix et au-delà
LAF:lampe à fente; SCE:sensation de corps étranger.
Tableau adapté de BenEzra D. Blepharitis and conjunctivitis:guidelines for diagnosis and treatment. Editorial Glosa; 2006.

L’hyperhémie conjonctivale peut être mobilisée à la palpation, à l’inverse de l’hyperhémie épisclérale ou sclérale. Sa distribution (uni- ou bilatérale, sectorielle, cercle périkératique, répartition asymétrique, etc.) et l’œdème conjonctival ou palpébral associé ne semblent pas être des signes d’orientation spécifique.

Le test de coloration à la fluorescéine peut objectiver une atteinte de la conjonctive isolée en identifiant un marquage conjonctival sans marquage cornéen. Les tests au vert de lissamine et au rose Bengale sont plus sensibles mais très peu utilisés en pratique.

TYPE D’URGENCE ET DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

Le degré d’urgence d’une conjonctivite dépend essentiellement de l’âge du patient et du type de germe de la conjonctivite infectieuse.

Une conjonctivite isolée sans facteur de gravité est un triage PEC de catégorie 5 (CIMU 5).

Chez le porteur de lentilles de contact, la PEC doit être rapide avec arrêt du port des lentilles, prélèvements et surveillance de l’atteinte cornéenne. Le score PEC est de catégorie 4.

Devant une conjonctivite hémorragique, il faut suspecter en priorité un entérovirus hautement contagieux avec risque d’ulcère dont le score PEC est de catégorie 4.

Si des céphalées sont associées ainsi qu’une raideur méningée, une conjonctivite à méningocoque doit être évoquée et dans ce cas le score PEC est de catégorie 2 et le score CIMU de 2. Concernant l’âge du patient, la conjonctivite néonatale peut présenter des degrés d’urgence majeure selon le germe suspecté (fig. 5-2-39). Devant une atteinte conjonctivale par un gonocoque, le score PEC est de catégorie 2, le risque majeur étant l’atteinte cornéenne avec risque de perforation. Devant une atteinte conjonctivale à Chlamydia , le score PEC est de catégorie 2 et le score CIMU de 2, le risque majeur étant l’atteinte pulmonaire à Chlamydia (fig. 5-2-39). Cette atteinte constitue un risque vital et nécessite donc un traitement préventif par voie systémique antibiotique à visée du Chlamydia.

Fig. 5-2-39
Conjonctivite infectieuse du nourrisson, avec sécrétions purulentes.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Les examens paracliniques sont habituellement superflus, voire inutiles. Ponctuellement, ils confortent et précisent le diagnostic. À l’inverse, chez le petit enfant ou lorsque la conjonctivite est associée à des signes généraux, ils peuvent s’imposer.

EXAMEN MICROBIOLOGIQUE

L’intérêt diagnostique d’une exploration microbiologique (examen bactériologique direct, cultures, sérologies, polymerase chain reaction [PCR], parasitologie) n’est utile que pour certains cas sur la base de l’âge, des sécrétions purulentes ou de signes généraux.

Fig. 5-2-38
Conduite à tenir devant une conjonctivite infectieuse néonatale (jusqu’au 28 e jour de vie).
PEC : prise en charge.

Les conjonctivites infectieuses sont le plus fréquemment liées aux adénovirus (plus de 50 sérotypes à pathogénies variées) chez l’adulte et à l’ Haemophilus influenzae pour la conjonctivite bactérienne de l’enfant [9–11]. Les adénovirus sont aussi très fréquents chez l’enfant et surviennent de façon épidémique. Le prélèvement recherche surtout chez l’enfant un Chlamydia intracellulaire [12]. Chez l’adulte, il est proposé devant des sécrétions très purulentes, selon l’âge du patient, le terrain (immunodépression, etc.), en présence de signes cliniques péjoratifs, ou pour explorer un échec thérapeutique de première instance. Il s’effectue par un frottis conjonctival. Un grattage des cellules conjonctivales est nécessaire si l’on recherche un germe intracellulaire ( Chlamydia ).

L’exploration microbiologique permet de mettre en évidence le germe responsable en particulier bactérien, viral ou fongique. Une inflammation orbitaire préseptale associée à la conjonctivite oriente vers une origine gonococcique.

Le test immunochromatographique rapide recherche les antigènes viraux (voir chapitre 5.2.1, paragraphe « Kératoconjonctivites virales : adénovirus et diagnostics différentiels »). Il est utile en particulier pour identifier une conjonctivite à adénovirus en phase aiguë, affirmer la contagiosité et justifier les mesures d’éviction contraignantes.

La PCR est rarement employée dans les conjonctivites isolées, hormis pour valider un diagnostic de conjonctivite virale à traitement spécifique (virus herpès simplex, virus zona-varicelle, cytomégalovirus, Epstein-Barr virus ).

Exceptionnellement, devant une fièvre et un rash, suspectant une atteinte par le virus Zika en contexte évocateur (autre contexte : une fièvre hémorragique d’un patient provenant d’une zone endémique évoque un entérovirus ou un virus Ebola), un bilan sérologique ciblé en centre national de référence peut s’avérer nécessaire [7, 12, 13].

Devant des céphalées associées et une raideur méningée, une conjonctivite à méningocoque doit être évoquée et une ponction lombaire est indiquée [6, 14].

Une imagerie du thorax peut être nécessaire dans le cas d’une conjonctivite du nouveau-né avec suspicion d’infection à Chlamydia par contamination lors du passage dans la filière génitale.

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES ET D’INTÉRÊT PARTICULIER POUR LA PRISE EN CHARGE EN URGENCE

Les signes paracliniques identifient le pathogène responsable, un syndrome inflammatoire local et confirment le diagnostic étiologique suspecté. Ils permettent ainsi d’orienter le traitement antibiotique ou antiviral, comme de justifier les mesures hygiéniques collectives.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Parmi les conjonctivites infectieuses (bactériennes, virales, fongiques), l’âge oriente vers plusieurs types de germes [9]. La prise en charge est fonction du germe responsable :

  • ±

    chez l’enfant, les bactéries responsables les plus fréquentes sont : Haemophilus influenzae, Staphylococcus, Streptococcus pneumoniae et Moraxella catarrhalis ;

  • ±

    chez le nouveau-né (< 28 jours) les germes à redouter sont Neisseria gonorrhoeae, Chlamydia et herpesvirus, bien que l’étiologie la plus fréquente soit la conjonctivite à germe banal sur occlusion du canal lacrymonasal ;

  • ±

    chez l’adolescent ou l’adulte jeune, Neisseria meningitidis est à évoquer si des céphalées et une raideur méningée sont associées ;

  • ±

    chez l’adulte, les conjonctivites à adénovirus sont les plus fréquentes [15, 16]. Les conjonctivites bactériennes sont majoritairement à Staphylococcus , tandis que les conjonctivites fongiques ou amibiennes sont rares de façon isolée. Chez le porteur de lentilles, les bactéries à Gram négatif sont les plus fréquentes.

Devant une conjonctivite infectieuse à fausse membrane, hormis le caractère de sévérité, l’orientation microbiologique se fera vers Haemophilus influenzae, Streptococcus ou un adénovirus. Il faudra éliminer les étiologies de conjonctivites inflammatoires spécifiques (voir chapitre 5.2.2, paragraphe « Conjonctivites inflammatoires »).

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

Les conjonctivites infectieuses sont souvent un diagnostic d’élimination d’autres items d’urgence. Elles nécessitent donc un examen clinique complet pour éliminer une atteinte cornéenne associée, une autre pathologie oculaire associée ou des signes généraux. Ces atteintes associées peuvent constituer un facteur de gravité surajouté et imposer une PEC plus urgente.

Les conjonctivites inflammatoires sont leur diagnostic différentiel direct. Elles répondent à des étiologies et des traitements différents.

Les autres items principaux à éliminer sont : kératites, blépharites, uvéites, hypertonies, douleurs oculaires aiguës, corps étrangers, brûlures et toxicités locales.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

La PEC est adaptée selon l’étiologie en tenant compte des facteurs de contagiosité en particulier en collectivité (hôpitaux, garderies, écoles, centres militaires, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et au contact d’individus fragiles (néonatalogie, gériatrie) [17]. La prise en charge immédiate d’une conjonctivite infectieuse isolée sans facteur de gravité s’envisage en consultation de passage simple, suivie d’un aval en autosurveillance.

La PEC associe :

  • ±

    les mesures hygiéniques préventives de l’auto- ou de l’hétérocontagion (éviction socio-professionnelle) ;

  • ±

    la diminution de la charge infectieuse : nettoyage oculaire au sérum physiologique ;

  • ±

    la prescription facultative d’un lubrifiant de surface oculaire pour soulager le patient.

La prescription de traitements locaux est mal standardisée, habituellement prévue pour 1 semaine. Elle semble à l’évidence sous-tendue par des habitudes et des contraintes sociodémographiques plus que par la preuve scientifique [18]. La plupart des épisodes aigus de conjonctivites virales cèdent spontanément et sans traitement [15].

Une orientation virale autorise l’administration conjointe d’anti-inflammatoires locaux [19]. L’utilisation de stéroïdes reste controversée, de même que celle des antiviraux locaux [15]. La place des collyres antiseptiques est mal déterminée bien qu’ils soient aussi largement prescrits (20 % des prescriptions de médecins généralistes, voir chapitre 2.4 ).

Une orientation bactérienne incite à administrer localement en cure courte un agent antibactérien de type collyre antibiotique large spectre. Cette pratique est questionnée [20] car son bénéfice reste modeste (risque relatif 1,36 %, intervalle de confiance 95 %) [21, 22]. Cela ne semble pas réduire le taux des rares complications. La povidone iodée a aussi été proposée avec succès dosée de 0,4 à 1,25 % [19, 23].

Chez l’enfant, lorsque le traitement antibiotique adapté est administré, un suivi quotidien est nécessaire pour les étiologies avec risque avéré local ou systémique. Dans le cas d’une conjonctivite à gonocoque, un traitement topique antibiotique à visée de celui-ci est institué avec surveillance rapprochée afin de rechercher une atteinte cornéenne. Dans le cas d’une conjonctivite à Chlamydia néonatale, un traitement préventif par voie systémique antibiotique à visée du Chlamydia est à mettre en place. Dans le cas d’une conjonctivite à méningocoque, l’hospitalisation avec isolement est nécessaire pour mettre en place rapidement une antibiothérapie locale par voie générale intraveineuse.

PRONOSTIC

Le pronostic des conjonctivites isolées est pour la plupart excellent. Certaines étiologies à identifier ou l’association à un ou des facteurs de gravité confèrent un pronostic plus réservé.

Les facteurs de gravité sont résumés dans l’encadré 5-2-4.

Encadré 5-2-4

Facteurs de gravité d’une conjonctivite infectieuse

  • Facteurs généraux :

    • âges extrêmes

    • traitement tardif

    • pathologie générale débilitante associée

    • signes fonctionnels généraux associés

  • Facteurs microbiologiques :

    • pathogénie intense

    • pathogénie systémique

    • multiplication rapide

    • résistance thérapeutique

  • Facteurs locaux :

    • scores de signes fonctionnels cliniques élevés (tableau 5-2-9)

Un quart des enfants présentant une conjonctivite à Haemophilus influenzae développeront une otite [9]. Un cinquième des patients ayant une conjonctivite à Neisseria meningitidis (méningocoque) feront une méningite bactérienne [9].

CONCLUSION

Le diagnostic d’œil rouge est souvent associé à une conjonctivite. Il est important d’éliminer les autres atteintes oculaires potentielles. Leur prise en charge d’urgence est justifiée pour éliminer des items sévères qui se présenteraient comme une conjonctivite, ou dépister d’éventuels facteurs de gravité. La grande majorité des conjonctivites infectieuses ou inflammatoires guérissent sans aucune conséquence. L’aspect clinique, les données anamnestiques et l’interrogatoire permettent d’orienter l’étiologie et d’adapter la PEC. La conjonctivite du nouveau-né présente des risques particuliers de gravité. Le traitement adapté doit être mis en place précocement avant même les résultats bactériologiques de confirmation du germe à risque.

BIBLIOGRAPHIE

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Kératites infectieuses
T. BOURCIER
A. SAUER
J. CHAMMAS
A. ROUSSEAU
M. LABETOULLE
KÉRATITES BACTÉRIENNES, FONGIQUES ET AMIBIENNES

Points forts

  • Véritables urgences, les infections cornéennes non virales nécessitent une prise en charge standardisée afin d’éviter tout retard diagnostique et thérapeutique susceptible d’assombrir le pronostic visuel.

  • Les agents pathogènes les plus virulents ( Pseudomonas, Streptocccus pneumoniae, Staphyloccus aureus, Fusarium, Aspergillus ) peuvent détruire une cornée en quelques heures et un œil en quelques jours.

  • Sémiologie cornéenne, rapidité d’évolution des lésions, présence de facteurs de risque permettent au clinicien d’évoquer un diagnostic microbiologique, mais seul le grattage cornéen permet un diagnostic de certitude. Ce dernier est à réaliser en cas de kératite présumée bactérienne comportant des critères de gravité ou en présence d’éléments cliniques atypiques faisant évoquer une étiologie amibienne ou fongique.

PRÉSENTATION CLINIQUE
Signes fonctionnels

Le diagnostic d’infection cornéenne ne pose généralement pas de difficulté chez un patient consultant en urgence pour œil rouge et douloureux avec cercle périkératique, photophobie, larmoiement, blépharospasme. La baisse d’acuité visuelle est variable en fonction de : la localisation des lésions cornéennes (infiltrat, œdème) par rapport à l’axe visuel ; l’inflammation de chambre antérieure ; la présence de sécrétions et/ou d’un larmoiement réflexe.

Contexte

L’intensité, la durée et la rapidité d’installation des symptômes, l’âge du patient, l’existence d’antécédents ophtalmologiques ou généraux, les circonstances de survenue, les noms des traitements topiques ou systémiques récents ou en cours, la notion d’allergies médicamenteuses sont à préciser. Les contextes spécifiques de kératite infectieuse sont le port de lentilles de contact, une kératopathie chronique, une altération de la surface oculaire ou des paupières, un contexte iatrogénique médical ou chirurgical, une infection de voisinage, une immunodépression locale ou générale.

Le facteur de risque d’infection cornéenne le plus fréquent est le port de lentilles de contact. Il est le facteur de risque retrouvé dans 40 à 50 % des kératites bactériennes, mais aussi 25 à 40 % des kératites fongiques et 90 % des kératites amibiennes. Les principales conduites à risque sont le port nocturne ou prolongé, une mauvaise hygiène d’entretien des lentilles ou du boîtier, le port en piscine ou sous la douche, l’utilisation d’eau du robinet, le non-respect des délais de renouvellement des lentilles et produits d’entretien.

Une infection cornéenne peut également se développer sur une surface oculaire pathologique : œdème de cornée chronique (notamment dystrophie bulleuse du pseudo-phaque), érosions cornéennes récidivantes (post-traumatiques ou dans le cadre de dystrophies épithéliales ou stromales antérieures), kératite sèche, kératite allergique, kératite herpétique, kératite zostérienne, kératite immunitaire, kératite neurotrophique, kératite d’exposition (paralysie faciale, exophtalmie), blépharite, entropion, ectropion, trichiasis, infection des voies lacrymales (canaliculite, dacryocystite), pathologies fibrosantes (pemphigoïde, Lyell, Stevens-Johnson), trachome, insuffisance en cellules souches limbiques, instillation chronique de collyres créant les conditions d’une immunodépression locale (corticoïdes), de résistances bactériennes (antibiotiques) ou de kératite toxique (AINS, anesthésiants, conservateurs).

Traumatismes cornéens, corps étrangers cornéens, brûlures cornéennes, chirurgies cornéennes réfractives ou non réfractives (greffes de cornée notamment), sutures cornéennes rompues ou distendues, chirurgies de la cataracte et chirurgies palpébrales peuvent se compliquer d’infections cornéennes bactériennes, fongiques ou amibiennes.

Une infection aiguë adjacente peut se propager à la cornée : conjonctivite à gonocoque, Haemophilus , pneumocoque, sclérite, endophtalmie.

Une immunodépression systémique est parfois en cause (infection par le virus de l’immunodéficience humaine ou VIH, diabète, dénutrition, cancers, maladie du greffon contre l’hôte, maladies immunitaires, ventilation assistée, toxicomanie, iatrogénie, portage de bactéries résistantes).

EXAMEN CLINIQUE
Diagnostic positif

L’examen biomicroscopique recherche les signes en faveur d’une infection cornéenne active : œdème palpébral, hyperhémie conjonctivale, chémosis, cercle périkératique, ulcère épithélial, infiltrat stromal suppuratif localisé (abcès) ou diffus (kératite). La localisation, la couleur, la densité, les dimensions, la forme, la régularité des bords, la profondeur de l’infiltrat est à noter de même que l’existence de zones de fonte, de nécrose, d’amincissement stromal, d’œdème périlésionnel, d’infiltrats satellites, de néovaisseaux, d’une atteinte endothéliale, d’une réaction de chambre antérieure (Tyndall, hypopion, fibrine), de sécrétions. L’examen de la cornée adjacente à la zone infectée, de la cornée controlatérale, des paupières, de la conjonctive, de la sclère, du film lacrymal, de la chambre antérieure et du vitré permet de repérer les pathologies de surface oculaire et/ou les complications associées à l’infection cornéenne. Il est nécessaire de tester la sensibilité cornéenne si une kératite neurotrophique est suspectée. Tous ces signes sont consignés sur un schéma détaillé effectué au moment de la prise en charge initiale et qui sera répété au cours du suivi évolutif.

L’identification du processus infectieux est parfois plus difficile en cas d’infection survenant sur une cornée pathologique ou en cas de traitement anti-infectieux préalable.

La pression intra-oculaire de l’œil atteint peut être élevée en raison d’une trabéculite ou basse en cas de cyclite associée.

L’examen du visage permet de détecter une pathologie dermatologique, une exophtalmie, une anomalie des voies lacrymales ou de la fermeture palpébrale.

L’examen des mains recherche un défaut d’hygiène, des arguments en faveur d’une infection unguéale ou cutanée active, d’une polyarthrite, d’une sclérodermie ou d’une maladie du greffon contre l’hôte.

Diagnostic de gravité

Cette étape est capitale pour déterminer les modalités de prise en charge du patient. Les critères de gravité peuvent être locaux ou généraux (encadré 5-2-5). Ils correspondent aux critères communément admis d’hospitalisation, de réalisation d’un examen microbiologique et de prescription d’un traitement anti-infectieux renforcé. Cependant, la grande majorité des kératites infectieuses ne présentent pas de critères de gravité.

Encadré 5-2-5

Critères de gravité d’une infection cornéenne

Ces critères peuvent être locaux ou généraux. On retiendra volontiers la règle des 1-2-3 : tout abcès de cornée s’accompagnant d’une réaction de chambre antérieure (un croix d’effet Tyndall) et/ou mesurant plus de 2 mm de diamètre et/ou situé à moins de 3 mm de l’axe optique sera considéré comme « grave ».

Critères locaux

  • Règle des 1-2-3, soit un abcès (ou kératite) :

    • accompagné d’un Tyndall > 1 +

    • de diamètre supérieur à 2 mm

    • situé à moins de 3 mm de l’axe optique

  • Sclérite ou endophtalmie associée

  • Atteinte du stroma postérieur, fonte stromale, perforation imminente ou avérée

  • Aggravation malgré un traitement antibiotique empirique à large spectre

  • Infections bilatérales

Critères généraux

  • Monophtalme

  • Enfant

  • Immunodéprimé

  • Mauvaise observance du traitement

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Au terme de l’examen clinique, l’orientation du diagnostic microbiologique est possible pour le clinicien. Les caractéristiques cliniques des kératites bactériennes, fongiques et amibiennes sont indiquées dans le tableau 5-2-10 et illustrées par les (figures 5-2-40 à 5-2-43) .

Tableau 5-2-10
Synthèse des orientations étiologiques possibles en fonction des caractéristiques cliniques de l'infection cornéenne.
Kératite bactérienne Kératite fongique Kératite amibienne
Incidence Représente la très grande majorité des kératites infectieuses et abcès de cornée survenant dans les pays occidentaux Rare dans les pays occidentaux. Fréquente dans les régions ou pays à climats chauds et humides Rare dans les pays occidentaux
Facteurs de risque Port de lentilles de contact en cause dans 40 à 50 % cas (fréquence des bactéries à Gram négatif). Autres facteurs de risque:pathologies chroniques de surface oculaire (fréquence des bactéries à Gram positif), traumatismes cornéens, chirurgies cornéennes, corticoïdes topiques, immunodépression systémique Les infections dues à des champignons filamenteux surviennent essentiellement sur cornées saines dans le cadre du port de lentilles de contact et après traumatismes cornéens végétaux ou chirurgies cornéennes. Les corticoïdes topiques favorisent le développement des infections fongiques. L'immunodépression locale (pathologies chroniques de surface oculaire, greffes de cornées) ou générale constitue le principal facteur de risque des infections à levures Port de lentilles de contact dans 90 à 95 % des cas avec conduites à risque (port en piscine ou sous la douche, port nocturne, boîtiers sales, utilisation d'eau du robinet, mauvaise hygiène des mains), traumatismes cornéens avec exposition à de la terre ou de l'eau contaminée dans 5 à 10 % des cas
Présentation clinique
  • Bactéries à Gram positif:abcès rond ou ovale, blanc gris, à bords nets, hypopion, évolution rapide en quelques jours

  • Bactéries à Gram négatif:abcès diffus rapidement nécrotique, œdème périlésionnel important, sécrétions mucopurulentes importantes, fonte stromale, descemétocèle, anneau immunitaire, hypopion, évolution très rapide en quelques heures

Début insidieux, hyperhémie conjonctivale et douleurs d'intensité variable, surface épithéliale grise irrégulière ou parfois intacte, infiltrat stromal à bords flous irréguliers, infiltrat volontiers bombé, infiltrats satellites, plaques endothéliales, fibrine en chambre antérieure, hypopion Résistance au traitement antibiotique. Aggravation rapide sous corticoïdes pour les infections à champignons filamenteux, évolution lente pour les infections à levures Perforations cornéennes 5 à 6 fois plus fréquentes que lors des kératites bactériennes Tableau initial (premier mois):vision trouble, douleurs, photophobie, atteinte épithéliale à type de kératite ponctuée superficielle, infiltrat sous-épithéliaux granulaires ou haze diffus, pseudo-dendrites, kératonévrite radiaire, lésions satellites, hypopion peuvent être observés. Les douleurs oculaires paraissent souvent disproportionnées par rapport à l'atteinte cornéenne. Cependant, l'absence de douleur n'exclut pas le diagnostic. Patients souvent diagnostiqués et traités à tort pour une kératite herpétique ou bactérienne Tableau après 1 à 2 mois d'évolution:baisse de vision majeure, douleurs intenses, infiltrat stromal disciforme, anneau immunitaire, œdème cornéen, hypopion, défects épithéliaux, limbite, hypertonie, sclérite

Cependant, la plupart des signes cliniques sont peu spécifiques (fig. 5-2-44). La capacité des ophtalmologistes à prédire les résultats du diagnostic microbiologique en cas de kératite présumée infectieuse est de l’ordre de 60 % y compris pour des experts entraînés [1].

Fig. 5-2-44
Les signes cliniques des kératites infectieuses sont peu spécifiques.
Il est par exemple difficile de discriminer cliniquement avec certitude des étiologies aussi différentes qu’une kératomycose fillamenteuse à Fusarium (a) et une kératite bactérienne à Klebsiella (b).

C’est la raison pour laquelle le diagnostic étiologique de certitude repose sur l’examen microbiologique du produit de grattage cornéen qui se révèle indispensable dans certaines circonstances.

Fig. 5-2-40
Kératite infectieuse contractée sous lentille de contact souple, sans critère de gravité à l’examen initial.

Fig. 5-2-41
Kératite à Pseudomonas aeruginosa.
Facteur de risque : port de lentilles de contact. Sémiologie : ulcération épithéliale, infiltration stromale, hypopion réactionnel.
Fig. 5-2-42
Kératite à Aspergillus.
Facteur de risque : port de lentilles de contact. Sémiologie : hyperhémie conjonctivale intense, bords flous irréguliers de l’infiltrat et présence de satellites.
Fig. 5-2-43
Kératite amibienne.
Facteur de risque : port de lentilles de contact. Sémiologie : kératonévrite radiaire visualisée à la lampe à fente et par optical coherence tomography spectral domain (OCT-SD) de cornée.

TYPE D’URGENCE

Le degré d’urgence dans la prise en charge d’une kératite infectieuse dépend de sa rapidité d’installation, de sa rapidité d’évolution et de l’intensité des symptômes (douleurs, baisse de vision).

Une kératite infectieuse évoluant de façon suraiguë ou aiguë (heures, jours) constitue une véritable urgence infectieuse. Les pathogènes les plus virulents ( Pseudomonas et autres bactéries à Gram négatif, Streptocccus pneumoniae, Staphyloccus aureus, Fusarium, Aspergillus et autres champignons filamenteux) peuvent en effet détruire une cornée en 24 à 48 heures, notamment dans un contexte de corticothérapie topique prescrite ou utilisée par inadvertance avant le diagnostic d’infection. Le délai maximal de prise en charge par un médecin est de 2 heures (scores de triage PEC de catégorie 2 et CIMU 3).

Une kératite infectieuse évoluant de façon chronique (semaines, mois) constitue une urgence relative (scores de triage PEC de catégorie 5 et CIMU 4) sauf si une aggravation brutale et importante des symptômes est constatée par le patient, alors que l’infection est déjà diagnostiquée. Les kératites amibiennes, les kératites à Candida , à mycobactéries, à staphylocoques coagulase négatifs, à streptocoques oraux font partie des infections qui évoluent généralement de façon chronique.

EXAMENS PARACLINIQUES
Microbiologique

La majorité des infections cornéennes non virales observées dans les pays occidentaux sont présumées bactériennes, guérissent sous traitement antibiotique empirique et ne nécessitent pas d’examen microbiologique.

Il est en revanche vivement conseillé de réaliser un examen microbiologique dans les trois circonstances suivantes : kératite présumée bactérienne comportant des critères de gravité ; présence de signes atypiques ou de facteurs de risque faisant suspecter une kératite amibienne ou kératite fongique.

GRATTAGE CORNEEN, LE PRéLèVEMENT DE RéFéRENCE

Ses modalités sont présentées dans la vidéo 5-2-2 . Le laboratoire isole spécifiquement, grâce à différentes techniques complémentaires (examen direct avec colorations de lames, cultures sur milieux, biologie moléculaire), les bactéries ou les champignons ou les amibes responsables de l’infection. Antibiogramme et antifongigramme sont réalisés en cas d’isolement d’une bactérie ou d’un champignon.

AUTRES TECHNIQUES DE PRéLèVEMENT

Le soulèvement du capot au bloc opératoire est nécessaire pour réaliser un prélèvement de l’interface en cas d’infection cornéenne après laser in situ keratomileusis (Lasik). La mise en culture d’un fil de suture cornéen infecté peut être contributive. Le frottis conjonctival n’a pas d’intérêt diagnostique sauf en cas de sécrétions importantes et de conjonctivite associée ( Neisseriae, Haemophilus , pneumocoque). La ponction de chambre antérieure est contre-indiquée car l’hypopion est du pus stérile sauf en cas de suspicion d’endophtalmie endogène, post-traumatique ou postopératoire. Une biopsie de cornée peut être envisagée en cas d’infection profonde, ne répondant pas au traitement anti-infectieux et non diagnostiquée par les grattages cornéens préalables, et en cas de forte suspicion d’infection à mycobactéries atypiques, streptocoques oraux et autres pathogènes rares ou à croissances lentes. Le diagnostic microbiologique est parfois réalisé sur bouton cornéen, en cas de greffe à chaud.

Biologie

Un bilan hépatocellulaire est à réaliser avant un traitement antifongique systémique.

Imagerie

L’examen de la cornée infectée par un microscope confocal in vivo est utile pour le diagnostic positif et le suivi évolutif des kératites amibiennes et fongiques (fig. 5-2-45)[2].

Fig. 5-2-45
Microscopie confocale in vivo (MCIV) explorant une kératite infectieuse.
Lors d’une kératite amibienne (a) , la MCIV peut observer les trophozoïtes (flèche) et les kystes (tête de flèche). Les kératomycoses à levure prennent un aspect microcristallin (b) , les filamenteuses un aspect en bouquet entrelacé (c) .

Une photographie de la cornée et du segment antérieur est une alternative pratique aux schémas à main levée des lésions.

L’imagerie par tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) de la cornée peut constituer une aide à l’évaluation des kératites infectieuses en quantifiant le volume de l’infiltration stromale et l’épaisseur cornéenne résiduelle.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

La répartition entre les différents agents pathogènes isolés (bactéries, champignons, virus) dépend de la localisation géographique des cas observés.

Dans les pays occidentaux, les bactéries sont responsables de 95 à 98 % des ulcères et kératites infectieuses non virales. Les infections fongiques et amibiennes sont rares.

Un très grand nombre de bactéries aérobies et anaérobies peuvent provoquer une infection de la cornée. Cependant, quatre groupes prédominent très largement puisqu’ils sont à l’origine de 90 % des cas de kératite bactérienne : les staphylocoques, les streptocoques, les Pseudomonas et les autres bacilles à Gram négatif ( Klebsiella, Enterobacter, Serratia, Moraxella, Proteus ). Ces bactéries proviennent fréquemment de la flore cutanée (Gram positif) ou digestive (Gram négatif) du patient. Elles peuvent être associées entre elles et/ou à d’autres agents pathogènes tels que des amibes ou des champignons, notamment chez les patients porteurs de lentilles de contact.

Plus de 70 espèces de champignons ont été identifiées dans le cadre de kératites. Les agents pathogènes isolés le plus fréquemment sont : Fusarium, Aspergillus, Curvularia pour les champignons filamenteux et Candida pour les levures. Les champignons filamenteux sont ubiquitaires dans l’environnement en étant présents sur les plantes, dans la terre et dans l’air. Les levures sont elles aussi largement répandues dans l’environnement (sol, objets, nourriture), le tube digestif, la sphère urogénitale et la peau. En outre, certains champignons peuvent être isolés dans la flore normale des paupières et de la conjonctive, tout particulièrement chez des personnes travaillant en extérieur dans des conditions de forte chaleur et d’humidité.

Les kératites amibiennes sont dues dans la très grande majorité des cas au genre Acanthamoeba [3]. Le génotype T4 est le plus fréquent. Ces amibes libres sont protozoaires unicellulaires ubiquitaires, omniprésentes dans l’environnement : l’air, la terre et l’eau quelle que soit son origine. Elles sont également présentes au niveau des voies aériennes de l’homme chez qui des anticorps spécifiques sont détectés dans 50 à 100 % des cas. Kyste (forme de résistance) et trophozoïte (forme invasive) sont les deux états du cycle de vie de l’amibe (fig. 5-2-45a). Leur taille varie de 25 à 50 um.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

Infiltrats périphériques stériles associés ou non au port de lentilles de contact, autres kératites immunitaires, kératopathies lipidiques, kératites virales, plaques vernales, dépôts médicamenteux, traumatismes cornéens, brûlures cornéennes.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE
Cadre administratif

L’hospitalisation en chambre seule est nécessaire lorsqu’un ou plusieurs critères de gravité sont présents. Le traitement anti-infectieux par voie topique est débuté dès les prélèvements effectués. Il est adapté à la gravité des lésions, à l’orientation clinique initiale (facteurs de risque associés, sémiologie des lésions oculaires cornéennes et extracornéennes) et aux résultats de l’examen microbiologique direct. Si le patient n’est pas hospitalisé, un suivi ambulatoire rapproché comprenant un examen ophtalmologique toutes les 24 à 48 heures est nécessaire.

Traitement anti-infectieux

De nombreux collyres antibiotiques sont disponibles en officine ou auprès des pharmacies hospitalières (collyres renforcés). Les collyres renforcés permettent d’obtenir de fortes concentrations cornéennes d’antibiotiques et sont indispensables dans le traitement des kératites bactériennes sévères. Cependant, leur toxicité locale non négligeable (pH acide, hyperosmolarité) induit très souvent un réflexe de larmoiement lors de l’instillation, qui a pour effet de diminuer la concentration de principe actif. Ils ne peuvent être délivrés que sur prescription d’un médecin hospitalier. À l’inverse, les collyres vendus en officines sont, du fait de leur fabrication industrielle, immédiatement disponibles, moins toxiques et aussi efficaces pour les abcès de cornée peu sévères [4]. Cependant, il existe un risque d’échec pour les quinolones prescrites en monothérapies en raison de phénomènes de résistances bactériennes.

Il n’existe pas de consensus international concernant la nature des collyres antibiotiques à utiliser dans les kératites bactériennes et le tableau 5-2-11 donne quelques protocoles à titre indicatif.

Tableau 5-2-11
Traitement des kératites bactériennes.
Exemples de protocoles antibiotiques
  • Quel que soit l'antibiotique prescrit, renforcé ou non, une « dose de charge » (instillations répétées toutes les 5 à 10 min la 1 re heure de traitement) permet d'obtenir rapidement des concentrations cornéennes satisfaisantes.

  • Le respect d'un intervalle de 5 min entre chaque instillation de collyre est nécessaire. Les collyres sont ensuite prescrits à la posologie de 1 goutte/h pendant 48 h.

  • L'utilisation de pommades antibiotiques est à éviter à la phase aiguë de l'infection pour ne pas diminuer la pénétration des collyres. Néanmoins, cette forme galénique a pour avantage d'augmenter le temps de contact cornéen et est particulièrement utile chez l'enfant ou en application nocturne, une fois l'infection contrôlée.

  • Une injection sous-conjonctivale peut être utile en cas d'extension sclérale, de risque perforatif, ou de mauvaise compliance au traitement.

  • Les antibiotiques systémiques (voie intraveineuse ou voie orale) n'ont pas d'intérêt sauf en cas d'endophtalmie, de sclérite associées ou de suspicion d'infection à gonocoque.

  • Le traitement antibiotique initial (nature des collyres, fréquence d'installation) est ensuite adapté en fonction de l'évolution clinique (efficacité/tolérance), des résultats de l'examen direct, de la culture et de l'antibiogramme.

  • Il est souhaitable de conserver au moins 2 antibiotiques actifs sur la bactérie identifiée.

  • La fréquence d'instillation des antibiotiques est généralement diminuée après 48 h en raison de leur mauvaise tolérance locale (douleurs à l'instillation) et de l'apparition de phénomènes de toxicité (kératite ponctuée, retard de cicatrisation).

  • Il n'existe pas de consensus sur la durée du traitement antibiotique. À titre indicatif, la durée nécessaire du traitement antibiotique est généralement d'environ 2 semaines pour les kératites bactériennes peu sévères, 4 semaines voire plus pour les kératites plus sévères.

Kératites bactériennes menaçant la vision
  • (Critères de gravité locaux 1-2-3 présents):associations de collyres renforcés (pharmacies hospitalières) dans le cadre d'une hospitalisation

  • Pipéracilline (20 mg/ml) + gentamycine (15 mg/ml) + vancomycine (50 mg/ml)

  • Ceftazidime (20 mg/ml) + vancomycine (50 mg/ml)

  • Céfazoline (50 mg/ml) + tobramycine (20 mg/ml)

Kératites bactériennes ne menaçant pas immédiatement la vision
  • (Critères de gravité locaux 1-2-3 absents):associations de collyres d'officine. Suivi ambulatoire rapproché

  • Quinolone ± aminoside

  • Quinolone ± rifamycine

Il n’existe pas non plus de consensus international concernant les collyres anti-amibiens à utiliser. Peu d’études cliniques comparatives sont disponibles. La plupart des protocoles comportent une bithérapie associant un biguanide et un diamidine (tableau 5-2-12) [5].

Tableau 5-2-12
Traitement des kératites amibiennes.
Exemples de protocoles anti-amibiens
  • Seul un traitement local par collyres anti-amibiens est prescrit en cas d'atteinte superficielle.

  • La chlorhexidine 0,02 % et le poly-hexa-méthylène-biguanide (PHMB) 0,02 % sont cliniquement efficaces de façon identique et constituent le traitement de première intention.

  • Un traitement anti-infectieux général est adjoint en cas d'atteinte cornéenne profonde, de sclérite ou de complications intra-oculaires.

  • L'hospitalisation est nécessaire dans les cas rapidement évolutifs et comportant une atteinte stromale, en cas de douleurs sévères ou en cas de non-compliance au traitement.

  • Un traitement cycloplégique et antalgique oral est souvent nécessaire.

  • La durée moyenne de traitement est de 2 à 3 mois en cas d'atteinte épithéliale et peut se prolonger plusieurs mois en cas d'atteinte cornéenne profonde.

  • La toxicité locale des anti-amibiens est fréquente.

Kératite amibienne au stade épithélial
  • Traitement par collyres uniquement

  • 1) PHMB 0,02 % ou chlorhexidine 0,02 % (pharmacies hospitalières):

  • 1 goutte/h, y compris la nuit, le 1 er et le 2 e jour

  • puis 1 goutte/h le jour, du 3 e au 5 e jour

  • puis 1 goutte toutes les 2 h, du 6 e au 13 e jour

  • puis 1 goutte 4 fois/j, du 14 e au 20 e jour

  • à poursuivre 2 à 3 mois

  • 2) Hexamidine (Désomédine ® 0,1 %):

  • 1 goutte/h, y compris la nuit, le 1 er et le 2 e jour

  • puis 1 goutte 4 fois/j pendant 2 à 3 mois

Kératite amibienne avancée comportant une atteinte stromale
  • Collyres + traitement général

  • Voriconazole (VFend ® ): 400 mg/j. Bilan hépatique avant et pendant le traitement (hépatotoxicité possible). Durée:plusieurs mois

Le tableau 5-2-13 synthétise les protocoles antifongiques les plus fréquents dans la littérature [6]. L’étude Mycotic Ulcer Treatment Trial (MUTT) a démontré une efficacité supérieure du collyre natamycine 5 % par rapport au collyre voriconazole 1 % dans la prise en charge des kératites fongiques à Fusarium (moindre risque de perforation) [7].

Tableau 5-2-13
Traitement des kératites fongiques.
Exemples de protocoles antifongiques
  • Aucun collyre antifongique n'est disponible en pharmacie d'officine.

  • À l'exception de la natamycine 5 % (disponible en France dans le cadre d'une procédure d'autorisation temporaire d'utilisation), les collyres sont préparés par les pharmacies hospitalières à partir de solutions ou de poudres d'antimycotiques destinées à l'usage systémique.

  • Très peu d'essais cliniques de qualité ont été publiés.

  • L'hospitalisation est nécessaire dans les cas rapidement évolutifs et comportant une atteinte stromale ou en cas de non-compliance au traitement.

  • Le traitement est administré initialement à raison de 1 goutte/h pendant 7 jours, puis 1 goutte toutes les 2 h pendant 3 semaines.

  • La posologie et le choix des antifongiques sont ensuite adaptés en fonction de l'identification du champignon pathogène, de l'antifongigramme et de l'évolution clinique de l'infection.

  • La toxicité locale des antifongiques est fréquente.

  • La tolérance des traitements systémiques sera au mieux surveillée par un médecin infectiologue.

  • La durée minimale de traitement recommandée est comprise entre 6 semaines (atteinte épithéliale) et plusieurs mois (atteinte stromale).

Kératite fongique débutante au stade épithélial
  • Traitement local par collyre uniquement

  • Levure identifiée:amphotéricine B 0,25 % ± fluconazole 0,3 %

  • Filament identifié:natamycine 5 % ± voriconazole 1 %

Kératite amibienne avancée comportant une atteinte stromale ou une sclérite ou une extension limbique
  • Ajout d'un traitement général

  • Filament identifié:Vfend ® (voriconazole) per os ± injections intrastromales de voriconazole (50 μg/0,1 ml)

  • Levure identifiée:Triflucan ® (fluconazole) ou Sporanox ® (itraconazole) per os

En cas d'endophtalmie ou d'évolution défavorable
Discuter au cas par cas:Cancidas ® (caspofungine) voie intraveineuse, injection intracamérulaire ou intravitréenne de voriconazole (100 μg/0,1 ml), injection intracamérulaire ou intravitréenne d'amphotéricine B (5 à 15 μg/0,1 ml), injection sous-conjonctivale de fluconazole (1 mg/0,5 ml)

Mesures adjuvantes

On conseille les mesures suivantes :

  • ±

    lavage quotidien du visage au savon et lavage des mains avec une solution hydro-alcoolique avant l’instillation des collyres ;

  • ±

    arrêt du port des lentilles de contact ;

  • ±

    arrêt des corticoïdes topiques ;

  • ±

    arrêt du tabagisme (retard de cicatrisation cornéenne) ;

  • ±

    traitement simultané ou différé d’une pathologie chronique de surface oculaire ;

  • ±

    information du patient concernant les facteurs de risque en cause et le pronostic anatomique et visuel de l’infection ;

  • ±

    éducation du patient concernant la compliance aux soins de l’infection en cours et les méthodes de prévention d’une récidive ;

  • ±

    prise en charge d’une immunodépression systémique associée ;

  • ±

    prise en charge psychiatrique si nécessaire.

Le débridement régulier de l’ulcère permet de diminuer la charge infectieuse, d’éliminer le matériel nécrotique et d’augmenter la pénétration des anti-infectieux.

Des lavages oculaires pluriquotidiens au sérum physiologique permettent d’éliminer les sécrétions et les médiateurs inflammatoires présents à la surface oculaire.

D’autres collyres peuvent être administrés si nécessaire : collyre cycloplégique à visée antalgique (en l’absence de contre-indication, en association avec des antalgiques oraux) et de prévention des synéchies, collyre hypotonisant en cas d’hypertonie oculaire.

Au regard des études cliniques disponibles, les corticoïdes topiques sont à débuter après 48 heures de traitement antibiotique et sous trois conditions : contrôle clinique de l’infection, bactérie identifiée par grattage cornéen, absence de facteurs de risque ou d’arguments microbiologiques en faveur d’une co-infection amibienne ou fongique ou virale [8]. Une surveillance stricte est alors nécessaire en raison du risque potentiel de réactivation infectieuse et de retard de cicatrisation épithéliale. Les corticoïdes sont en revanche contre-indiqués à la phase précoce des infections fongiques, amibiennes et nocardiennes.

Certains AINS (flurbiprofène, ibuprofène) peuvent être prescrits avec une bonne efficacité antalgique en cas de sclérite ou de limbite amibienne. Dans les cas encore plus sévères de scléro-uvéokératite, prednisone ou autres immunosuppresseurs (ciclosporine, azathioprine) sont à envisager.

AVAL DES URGENCES
Traitements chirurgicaux

Les traitements chirurgicaux sont à discuter au cas par cas.

Combinée avec une kératectomie ou avec une détersion de l’ulcère cornéen, une greffe de membrane amniotique peut s’avérer utile en favorisant le processus de cicatrisation cornéenne. Un effet antalgique et anti-inflammatoire de la membrane amniotique a également été démontré.

Une greffe de cornée thérapeutique « à chaud » est nécessaire lorsque l’intégrité du globe est menacée : infection sévère et évolutive malgré le traitement médical, perforation cornéenne avérée ou imminente. Les techniques de kératoplastie lamellaire antérieure ou profonde ou de kératoplastie transfixiante peuvent être employées. Cependant, le pronostic des kératoplasties effectué sur un œil infecté est mauvais et l’on tentera dans la mesure du possible d’attendre au moins 12 mois après résolution de l’épisode infectieux avant d’effectuer une kératoplastie à titre optique. Des gestes associés (phacoexérèse, chirurgie du glaucome) sont parfois indiqués.

L’amputation thérapeutique d’un capot de Lasik infecté et nécrosé est parfois nécessaire.

En cas de perforation de petit diamètre, de la colle cyanoacrylate ou une greffe bouchon sont à envisager.

Quelques cas de fontes stromales septiques résistantes au traitement antinfectieux ont été traités par crosslinking cornéen. Cette procédure est en cours d’évaluation pour les kératites bactériennes et fongiques [9].

Les injections intrastromales d’antibiotiques ou d’antimycotiques sont également en cours d’évaluation.

Recouvrement conjonctival, injection rétrobulbaire de xylocaïne/chlorpromazine et éviscération ou énucléation sont indiqués dans les cas les plus sévères.

Surveillance recommandée

La surveillance évolutive est fondée sur l’examen clinique. En pratique, il s’agit de : l’acuité visuelle, l’intensité des signes fonctionnels (douleurs), l’infiltrat (densité, limites, dimensions, profondeur), l’œdème, l’amincissement stromal éventuel, l’état de l’épithélium cornéen et le degré d’inflammation (cornéenne, conjonctivale, palpébrale et camérulaire), la présence ou non de sécrétions. La réévaluation est bi- ou triquotidienne pendant toute la durée d’hospitalisation du patient. L’imagerie OCT ou confocale peut s’avérer utile dans les infections fongiques ou amibiennes.

PRONOSTIC

Le pronostic (et l’évolutivité) des infections cornéennes dépend :

  • ±

    du score de gravité initial (perte de vision, volume de l’infiltrat) ;

  • ±

    de la virulence du pathogène en cause ;

  • ±

    de la précocité, de l’efficacité et de la tolérance du traitement ;

  • ±

    de la réponse inflammatoire de l’hôte ;

  • ±

    de la persistance ou non des facteurs de risque impliqués dans la survenue de l’infection.

Malgré l’éradication du ou des agents pathogènes, une perte de vision est possible par les mécanismes suivants : opacification et/ou irrégularité topographique conséquence de la cicatrice et/ou de la néovascularisation cornéenne, présence d’une complication non infectieuse telle que cataracte secondaire ou glaucome secondaire.

L’absence de contrôle de l’infection peut aboutir à la perforation cornéenne, l’endophtalmie, la cellulite orbitaire, la phtyse du globe.

Environ 95 % des infections bactériennes guérissent grâce à un traitement médical.

Le pronostic des kératomycoses est plus mauvais : l’évolution est favorable grâce au traitement médical dans 50 à 70 % des cas. Une greffe de cornée est nécessaire dans environ 30 à 50 % des cas. Ces infections peuvent entraîner la perte du globe dans 10 à 25 % des cas. Ces chiffres varient hautement en fonction des centres, des pays et sont à moduler en fonction des critères de gravité présents lors de la prise en charge de l’infection.

Les infections polymicrobiennes bactéries/champignons sont de plus mauvais pronostic que les infections fongiques pures [10].

Le pronostic de la kératite amibienne dépend essentiellement du délai de prise en charge : un délai diagnostique supérieur à 1 mois par rapport au début de l’infection et/ou une atteinte stromale et/ou une acuité visuelle basse et/ou les cas post-traumatiques sont reconnus comme facteurs de mauvais pronostic. Une greffe de cornée à titre thérapeutique ou optique est nécessaire dans un quart des cas de kératite amibienne [5].

BIBLIOGRAPHIE

[1] Dahlgren MA, Lingappan A, Wilhelmus KR. The clinical diagnosis of microbial keratitis. Am J Ophthalmol 2007 ; 143 : 940‑4.
[2] Labbe A, Khammari C, Dupas B, et al. Contribution of in vivo confocal microscopy to the diagnosis and management of infectious keratitis. The Ocular Surface 2009 ; 7 : 41‑52.
[3] Maycock NJ, Jayaswal R. Update on Acanthamoeba keratitis : diagnosis, treatment, and outcomes. Cornea 2016 ; 35 : 713‑20.
[4] McDonald EM, Ram FS, Patel DV, McGhee CN. Topical antibiotics for the management of bacterial keratitis : an evidence-based review of high quality randomised controlled trials. Br J Ophthalmol 2014 ; 98 : 1470‑7.

[5] Alkharashi M, Lindsley K, Law HA, Sikder S. Medical interventions for acanthamoeba keratitis. Cochrane Database Syst Reviews 2015 ; (2) : CD010792.
[6] FlorCruz NV, Evans JR. Medical interventions for fungal keratitis. Cochrane Database Syst Reviews 2015 ; (4) : CD004241.
[7] Rose-Nussbaumer J, Prajna NV, Krishnan T, et al. Risk factors for low vision related functioning in the Mycotic Ulcer Treatment Trial : a randomised trial comparing natamycin with voriconazole. Br J Ophthalmol 2015 ; 100 : 929‑32.
[8] Palioura S, Henry CR, Amescua G, Alfonso EC. Role of steroids in the treatment of bacterial keratitis. Clinical Ophthalmology 2016 ; 10 : 179‑86.
[9] Papaioannou L, Miligkos M, Papathanassiou M. Corneal collagen cross-linking for infectious keratitis : a systematic review and meta-analysis. Cornea 2016 ; 35 : 62‑71.
[10] Fernandes M, Vira D, Dey M, et al. Comparison Between polymicrobial and fungal keratitis : clinical features, risk factors, and outcome. Am J Ophthalmol 2015 ; 160 : 873‑81.e2.

KÉRATITES À VIRUS HERPÈS SIMPLEX ET VARICELLE-ZONA

M. LABETOULLE , A. ROUSSEAU , E. Barreau , M. M’GARRECH , T. BOURCIER

Points forts

  • Les infections cornéennes à virus herpès simplex ou varicelle-zona sont des motifs fréquents de consultation en urgence. Toute kératite aiguë unilatérale est suspecte.

  • Les formes bilatérales sont fréquentes chez l’enfant.

  • Le diagnostic différentiel évite de retarder un traitement adapté à d’autres pathologies rapidement évolutives : évoquer notamment les kératites amibiennes ou les érosions cornéennes récidivantes. En cas de doute, des prélèvements s’imposent, ainsi que le test thérapeutique antiviral.

PRÉSENTATION CLINIQUE
Signes fonctionnels

Il n’y a pas de signes généraux dans les kératites à virus herpès simplex ( herpes simplex virus [HSV]), sauf dans les très rares cas de primo-infection (syndrome grippal, fièvre, lésions buccales, etc.). Pour le virus varicelle-zona ( varicella-zoster virus [VZV]), les kératites apparaissent typiquement au décours d’une varicelle ou d’un zona ophtalmique. Elles peuvent cependant aussi survenir en l’absence de tout signe cutané (zoster sine herpete).

Les signes fonctionnels locaux sont très bruyants en cas d’atteinte épithéliale (douleurs, photophobie, rougeur) mais à l’inverse très modérés si l’atteinte est uniquement stromale et/ou endothéliale (pesanteur, baisse de vision modérée). Le caractère unilatéral est un argument en faveur (mais non pathognomique) d’une origine herpétique ou zostérienne (les formes bilatérales sont plus fréquentes chez l’enfant).

Contexte

L’infection par les deux virus est presque obligatoire au cours de la vie [1]. Toute la population peut développer une kératite à HSV ou VZV. On estime à environ 18 000 le nombre d’épisodes d’herpès cornéen par an en France [2–4]. Un antécédent d’herpès buccal n’est pas un terrain prédisposant. En revanche, toutes les causes d’immunodépression locale (dont les corticoïdes), d’inflammation (dont les prostaglandines) et surtout d’agression des nerfs de la cornée (rayons ultraviolets, tout geste chirurgical sur le segment antérieur de l’œil) favorisent la réplication de HSV. Certains terrains exposent à des herpès plus sévères : les patients allergiques (plus de formes stromales nécrosantes) et les enfants (formes stromales récidivantes, et même souvent bilatérales) [2, 4–7].

Un antécédent récent ou semi-récent de varicelle ou de zona est le facteur de risque principal des kératites à VZV. Les complications inflammatoires du zona ophtalmique touchent près d’un patient sur deux, le risque est plus important si des vésicules sont présentes sur l’aile du nez (signe de Hutchinson) (fig. 5-2-46) [8]. On dénombre entre 20 000 et 40 000 cas de zona ophtalmique par an en France. L’incidence qui augmente avec l’âge est de 1 % chez les plus de 70 ans [9]. Le risque de développer un zona est de 2 à 4 % dans la population générale, mais atteint 25 % chez les patients fortement immunodéprimés [10].

Fig. 5-2-46
Vésicules de zona ophtalmique qui, lorsqu’elles sont présentes sur l’aile du nez, forment le signe de Hutchinson.

Examen clinique

Pour HSV, l’examen clinique varie selon les formes de kératite (tableau 5-2-14, 5-2-15 and 5-2-16). Les kératites épithéliales sont bruyantes : douleur, cercle rouge périkératique prononcé et, surtout, déficit épithélial parfaitement visible après instillation de fluorescéine. Ce dernier est le plus fréquemment dendritique, c’est-à-dire en forme de branches d’arbre mort, souvent terminées par un bulbe (fig. 5-2-47). Le déficit peut aussi être plus large, dit géographique (fig. 5-2-48), favorisé par un traitement préalable (et inadapté) de corticoïdes topiques. La fluorescéine diffuse rapidement sous les bords de l’ulcération (à la différence des pseudo-dendrites, observées dans les kératites neurotrophiques ou les kératites toxiques).

Tableau 5-2-14
Les différentes formes de kératites herpétiques épithéliales.
Forme ponctuée superficielle Forme dendritique Forme géographique Forme marginale (limbique)
Fréquence Environ 4 % des kératites herpétiques patentes [35], mais fréquence réelle probablement très sous-évaluée [9] 50 % des kératites herpétiques patentes [35] 10 % des kératites herpétiques patentes [35] Environ 1 % des kératites herpétiques patentes [35]
Pathogénie Atteinte multifocale de cellules épithéliales : mélange de gonflement (effet cytopathogène) et de pertes épithéliales isolées Atteinte d’abord vésiculaire, puis coalescence et ulcération du toit épithélial [143]. Propagation du virus de cellule à cellule, de façon fractale, à l’origine de l’aspect dendritique Atteinte en placard de l’épithélium, soit de façon spontanée (10 à 22 % des cas [35, 37], soit après une corticothérapie inadaptée d’une forme dendritique ou ponctuée superficielle Atteinte épithéliale périlimbique + infiltrat stromal adjacent + inflammation conjonctivale/épisclérale adjacente [6, 11]
Signes fonctionnels Douleur modérée Sensation de piqûre, brûlures, etc. Douleurs modérées à importantes Douleurs importantes Douleurs souvent majeures
Aspect de la cornée (avant fluorescéine) Réduction du reflet cornéen Ulcération épithéliale en branche d’arbre mort, avec bords soulevés mais transparents Ulcération épithéliale de grande taille, avec bords soulevés mais transparents Ulcération épithéliale limbique, conjonctivite/ épisclérite en regard, parfois néovascularisation en regard
Après instillation de fluorescéine : aspect précoce Coloration ponctuée + fluorescéine repoussée en regard des cellules gonflées [30] Aspect en arbre mort et extrémité renflée des branches [11] Coloration massive sur toute la surface de l’ulcération Coloration en croissant, concentrique au limbe, souvent sur une faible surface
Après instillation de fluorescéine : aspect tardif Diffusion possible, mais très restreinte Diffusion rapide sur les bords de l’ulcération : aspect d’« arbre dans le brouillard » Diffusion rapide sur les bords de l’ulcération Diffusion modérée
Mode évolutif habituel Guérison spontanée Guérison spontanée (accélérée par le traitement étiologique) : disparition de la prise de fluorescéine, persistance d’anomalies épithéliales, avec cellules encore gonflées, repoussant le colorant en regard de la dendrite initiale [6, 89] Guérison lente (accélérée par le traitement étiologique) Douleurs importantes Guérison lente (accélérée par le traitement étiologique et les corticoïdes) [37, 91,144]
Risques particuliers Peut être le premier stade d’une forme dendritique ou géographique Opacité sous-épithéliale en regard de la dendrite Évolution vers forme géographique (surtout si corticothérapie) Opacités sous-épithéliales résiduelles plus ou moins vastes Retard diagnostique car aspect proche des autres causes d’inflammation limbique [6, 89] Néovascularisation focale Évolution vers une kératite en archipel
Risques communs Récidive sous forme de kératite épithéliale ou de kératite stromale Sécheresse oculaire résiduelle

(Source : P.-J. Pisella, C. Baudouin, T. Hoang-Xuan. Surface oculaire. Rapport de la Société française d'ophtalmologie. Paris : Elsevier Masson ; 2015.)

Tableau 5-2-15
Les différentes formes de kératites herpétiques stromales.
Forme non nécrotique Forme nécrotique Forme en archipel
Fréquence 2 % de premières manifestations d’herpès Près de la moitié des récurrences [4, 25, 38, 145, 146] Environ 30 % des kératites herpétiques patentes [35] Rare, mais doit être systématiquement recherchée Fréquence réelle mal connue car entité récemment individualisée des autres atteintes stromales
Pathogénie Infiltration stromale de cellules immunitaires en réaction à une production de particules virales dans le stroma Réplication virale massive dans le stroma et réponse inflammatoire (mais insuffisante pour juguler spontanément l’infection) Forme de kératite stromale non nécrotique, particulière par son aspect (voir ci-dessous) et par son mode évolutif (en général progression centripète, par poussées successives, à partir d’une lésion marginale)
Signes fonctionnels Modérés (sensation de pesanteur, douleurs minimes) Baisse d’acuité visuelle si atteinte centrale Baisse d’acuité visuelle et douleurs (en fonction du degré de ramollissement cornéen et de l’atteinte épithéliale) Modérés (sensation de pesanteur, douleurs minimes) Baisse d’acuité visuelle quand le centre de la cornée est atteint (en général après plusieurs poussées)
Aspect de la cornée Perte de la transparence cornéenne focale, multifocale, ou diffuse Possibles précipités rétrodescemétiques si association avec une endothélite Infiltrat blanc jaunâtre, très dense [11, 30], souvent associé à une inflammation intraoculaire, avec précipités rétrocornéens, voire hypertonie oculaire [89] Opacification en îlots, plus ou moins séparés et répartis en rayons de roue depuis le limbe [147]
Après instillation de fluorescéine Pas de coloration épithéliale (sauf rare cas de kératite superficielle associée) Atteinte épithéliale fréquente (sauf dans les formes débutantes) Signe de Seidel en cas de perforation Pas ou peu de coloration épithéliale (si kératite superficielle associée, surtout lors des premières poussées)
Mode évolutif habituel Réduction des opacités (nettement optimisée par le traitement étiologique) Aggravation en l’absence de traitement Guérison spontanée (nettement optimisée par le traitement étiologique), mais récidives très fréquentes
Risques particuliers Persistance des opacités et fibrose stromale Néovascularisation Transformation en forme nécrotique Descemétocèle, puis perforation par fonte cornéenne Persistance des opacités et fibrose stromale Néovascularisation Cortico-dépendance
Risques communs Perte de la transparence de la cornée centrale Récidive sous forme de kératite stromale ± endothélite Perte de la sensibilité cornéenne Sécheresse oculaire résiduelle Développement d’une kératite neurotrophique

(Source : P.-J. Pisella, C. Baudouin, T. Hoang-Xuan. Surface oculaire. Rapport de la Société française d'ophtalmologie. Paris : Elsevier Masson ; 2015.)

Tableau 5-2-16
Les différentes formes de kératites herpétiques endothéliales.
Forme disciforme Forme diffuse Forme linéaire
Fréquence Environ 10 % des patients avec kératite stromale herpétique présentent une réaction inflammatoire endothéliale [35] La fréquence des endothélites isolées est mal connue
Pathogénie Réplication virale (et réaction inflammatoire) dans les cellules endothéliales. Elle peut être primitive (endothélite isolée) ou secondaire, lors d’une kératite stromale ou d’une uvéite L’oedème stromal est dû à l’atteinte endothéliale (et non à un infiltrat inflammatoire comme dans les kératites stromales)
Signes fonctionnels Modérés (sensation de pesanteur, douleurs minimes) Baisse d’acuité visuelle si atteinte centrale (disciformes, diffuses et linéaires extensives) Modérés (sensation de pesanteur, douleurs minimes)
Aspect de la cornée et du segment antérieur OEdème stromal central et circulaire, avec persistance d’une marge externe de cornée saine Effet Tyndall possible et hypertonie par trabéculite dans les formes associées à une uvéite antérieure [148] OEdème stromal sur toute l’étendue de la cornée Effet Tyndall possible et hypertonie par trabéculite dans les formes associées à une uvéite antérieure [148] OEdème stromal sur une partie de la cornée, d’un côté relié au limbe sans marge saine, et de l’autre marqué par une ligne de Khodadoust [92] entre l’endothélium atteint et la zone saine, progressant de jour en jour vers le centre
Après instillation de fluorescéine Bulles épithéliales visibles en regard de la zone d’oedème stromal
Mode évolutif habituel Réduction spontanée de l’endothélite (accélérée par le traitement étiologique et les corticoïdes), mais récidives fréquentes
Mode évolutif habituel Réduction spontanée de l’endothélite (accélérée par le traitement étiologique et les corticoïdes), mais récidives fréquentes Destruction endothéliale si pas de traitement antiviral à forte dose (les corticoïdes ne peuvent être donnés qu’une fois la réplication virale maîtrisée) [89, 91, 149–151]
Risques particuliers Perte endothéliale (rare et/ou minime) Perte endothéliale (rare et modérée) Perte endothéliale (fréquente) OEdème stromal persistant puis opacités en regard des zones avec déficit endothélial
Risques communs Récidive

(Source : P.-J. Pisella, C. Baudouin, T. Hoang-Xuan. Surface oculaire. Rapport de la Société française d'ophtalmologie. Paris : Elsevier Masson ; 2015.)

Fig. 5-2-47
Herpès épithélial cornéen avec lésion dendritique (a) et diffusion sous-épithéliale de la fluorescéine au-delà de l’aire dendritique (b).
Fig. 5-2-48
Ulcère épithélial herpétique géographique favorisé par la corticothérapie locale (a) ; il peut s’étendre rapidement sur toute la surface oculaire (b).

Les kératites stromales, nettement moins douloureuses, entraînent, ou non, une réelle nécrose (ou kératolyse) de la cornée (zone blanche, totalement opaque et ramollie) (fig. 5-2-49). Les formes non nécrosantes sont essentiellement dues à une inflammation du stroma, qui apparaît trouble et gonflé, mais l’endothélium est encore visible au travers. Une endothélite associée peut même être dépistée. Les kératites en archipel sont une forme particulière d’atteinte stromale non nécrosante, peu bruyantes, mais chroniques et/ou récidivantes (fig. 5-2-50) [11].

Fig. 5-2-49
Herpès stromal cornéen.
La kératolyse septique (a) traduit une réplication virale locale. La cornée kératolytique peut se perforer rapidement (b), ce qui est objectivé par un signe de Seidel positif (c). L’atteinte virale herpétique décolle l’épithélium cornéen aux berges de l’ulcère ( d, marquage fluorescent positif sur le versant cornéen central) et impacte la conjonctive de proximité ( d, marquage fluorescent positif dépassant le limbe).
Fig. 5-2-50
Kératite herpétique en archipel.

Les formes nécrotiques (ou kératolytiques) représentent une véritable urgence thérapeutique, par leur caractère aigu et rapidement évolutif, même si la nécrose ne concerne qu’une petite partie de la cornée (fig. 5-2-49 et 5-2-51).

Fig. 5-2-51
L’herpès stromal nécrotique (ou kératolytique) (a, b) est une urgence car une évolution naturelle habituelle est la perforation.

Les kératites endothéliales sont classées en disciforme, diffuse ou linéaire, dans l’ordre de leur gravité. Celles disciformes sont caractérisées par une zone ronde, souvent centrale, de précipités rétrodescemétiques (PRD), avec en regard un œdème cornéen (incompétence endothéliale). La zone saine en périphérie fait la différence avec les endothélites diffuses. Les formes linéaires sont caractérisées par une ligne de Khodadoust, généralement centripète [12], qui sépare la partie saine de la partie atteinte de la cornée (fig. 5-2-52 et fig. 5-2-53). Le nombre de PRD est maximum en regard de cette ligne, avec un renforcement d’œdème stromal.

Fig. 5-2-52
Endothélite herpétique disciforme (a) : noter l’œdème discoïde et les précipités inflammatoires descemétiques (b).
Fig. 5-2-53

Pour VZV, les atteintes peuvent être épithéliales, stromales non nécrosantes ou endothéliales (aspects cliniques très proches de celles dues à HSV). En revanche, les formes stromales nécrosantes sont rares. Les formes épithéliales géographiques évoquent un déficit neurotrophique associé. Il existe d’autres formes de kératites qui sont propres au VZV. Les kératites serpigineuses combinent une atteinte épithéliale et stromale, périlimbique, très inflammatoire, avec un aspect en gouttière bordé aux deux extrémités de néovaisseaux intracornéens profonds. Elles sont rapidement évolutives avec un risque de perforation. Les plaques muqueuses ont à l’inverse une évolution plus chronique (matériel blanchâtre en face d’une ancienne zone d’atteinte stromale et/ou endothéliale). On observe aussi parfois des opacités stromales antérieures, nummulaires, très proches de celles observées avec l’adénovirus [1].

Examens paracliniques indispensables

Aux urgences, le diagnostic de kératite à HSV ou VZV repose avant tout sur la clinique, et le traitement est débuté sur cette base. Toutefois, des explorations aident en situations difficiles.

La référence est l’amplification génique ( polymerase chain reaction [PCR]), dont la spécificité et la sensibilité sont respectivement de presque 100 % et au moins 70 % dans les atteintes épithéliales [13, 14]. Les larmes peuvent être prélevées par une bandelette de Schirmer, et envoyées directement au laboratoire dans un tube étanche. L’épithélium cornéen ou conjonctival peut être recueilli par un grattage ou une empreinte sur support adapté [15, 16]. La rentabilité de ces examens est nettement plus basse dans les formes stromales ou endothéliales, car la quantité de virus sur la surface oculaire est moindre [17]. En dehors des périodes de primo-infection à fort taux d’immunoglobulines M (IgM), les anticorps anti-HSV ou anti-VZV dans le sang n’ont aucune valeur diagnostique [18].

Type d’urgence

Les kératites herpétiques ou zostériennes sont des urgences, mais pour des raisons différentes selon la forme clinique. Les kératites épithéliales peuvent être classées CIMU 3 à 4 et triage PEC de catégorie 3. Elles sont douloureuses et incitent à consulter en urgence. En revanche, les atteintes plus profondes sont moins douloureuses, le patient consultant avec retard alors qu’il s’agit de réelles urgences médicales (CIMU 3, triage PEC de catégorie 5), a fortiori dans les formes stromales nécrosantes ou endothélites linéaires (CIMU 3, triage PEC de catégorie 3, risque de perforation stromale et perte endothéliale).

Pour le zona ophtalmique, la prise en charge est urgente en cas d’immunodépression sévère (CIMU 3, triage PEC de catégorie 3, risque de complication intra-oculaire rapidement progressive). Même chez l’immunocompétent, il faut traiter le zona de façon efficace le plus rapidement possible (CIMU 3, triage PEC de catégorie 5) pour réduire les complications inflammatoires à moyen terme [19, 20] et le risque de neuropathies post-zostériennes [21].

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES ET D’INTÉRÊT PARTICULIER POUR LA PRISE EN CHARGE EN URGENCE

Outre les prélèvements oculaires déjà évoqués, on peut explorer :

  • ±

    la fonction rénale en cas de traitement systémique antiviral (numération formule sanguine et enzymes hépatiques peuvent aussi être testés pour la surveillance ultérieure) [22] ;

  • ±

    une cause d’immunodépression (notamment la sérologie VIH) en cas de VZV très sévère ;

  • ±

    les formes atypiques par l’imagerie cornéenne, en particulier la microscopie confocale in vivo, recherchant une infection amibienne (ou mycotique) subaiguê [23], dont l’aspect pseudo-dendritique peut égarer.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Il n’est pas urgent de faire la différence entre les deux virus (mêmes antiviraux). Il est beaucoup plus urgent d’identifier le type d’atteinte clinique, car le traitement d’attaque en dépend. La différence entre kératite à HSV ou à VZV repose en grande partie sur l’anamnèse :

  • ±

    une kératite en l’absence de tout signe cutané est en faveur (sans certitude) du HSV ;

  • ±

    un épisode inflammatoire oculaire identique, au même œil, même ancien, est en faveur du HSV. Pour autant, une histoire d’herpès buccal ou la présence d’anticorps sériques n’ont pas de valeur prédictive ;

  • ±

    une varicelle ou un zona récents incriminent VZV dans l’atteinte cornéenne.

L’identification du virus est intéressante dans les formes fréquentes et/ou rebelles, avec analyse génétique et recherche d’une résistance.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

  • ±

    Kératites épithéliales : les principaux diagnostics différentiels sont les lésions épithéliales aiguês unilatérales prenant la fluorescéine. En pratique, ce sont les pseudo-dendrites des kératites neurotrophiques ou toxiques. Les kératites de Thygeson ou la dégénérescence de la membrane basale de l’épithélium cornéen (épithéliopathie microkystique de Cogan) peuvent égarer le diagnostic vers HSV par la répétition des épisodes aigus, mais elles sont bilatérales. Les cicatrices des dysfonctionnements des glandes de Meibomius ressemblent à une séquelle d’herpès mais, là encore, l’atteinte est souvent bilatérale (tableau 5-2-17).

  • ±

    Kératites stromales : les principaux diagnostics différentiels sont les atteintes infectieuses de la cornée : amibes, bactéries et champignons (voir chapitre 5.2.1, paragraphe « Kératites bactériennes, fongiques et amibiennes ») [1].

  • ±

    Kératite endothéliale aiguë unilatérale : le diagnostic différentiel, notamment dans les suites d’une kératoplastie, est l’atteinte à cytomégalovirus [24] ou le rejet de greffe.

Tableau 5-2-17
Principaux diagnostics différentiels des kératites herpétiques épithéliales.
Étiologie Formes cliniques possibles Principales caractéristiques
Virus varicelle–zona Microdendrite (sans bulbe) géographique Souvent au décours d’un zona ou d’une varicelle, mais formes isolées possibles
Kératite de Thygeson Ponctuations intra-épithéliales bilatérales, mobiles d’un jour à l’autre, sans conjonctivite associée Bilatéralité fréquente. Très cortico-sensibles mais aussi rapidement cortico-dépendantes
Kératalgie récidivante Ulcérations épithéliales récidivantes, de petite taille (ronde ou stellaire) Chercher une dystrophie de la membrane basale de l’épithélium cornéen (Cogan), un traumatisme cornéen ancien
Kératoconjonctivite sèche Possibles pseudo-dendrites récidivantes (pas de prise de fluorescéine) Contexte de sécheresse oculaire sévère, marquage conjonctival typique à la fluorescéine, voire filaments
Toxicité d’un traitement topique Kératite ponctuée, voire pseudo-dendrites (pas de prise de fluorescéine) Sous collyres potentiellement épithéliotoxiques (antiviraux, corticoïdes, anti-inflammatoires non stéroïdiens, antibactériens, et tous ceux avec conservateurs)
Kératites à virus d’Epstein-Barr (EBV) Microdendrites stellaires et conjonctivite folliculaire unilatérale Dans un contexte de mononucléose infectieuse (conjonctivite, fièvre, adénopathies, pharyngite et splénomégalie, etc.)
Amibes Possibilité de kératite ponctuée apparemment banale, mais dendrites possibles (parfois multiples), lésions géographiques Douleurs majeures, port de lentilles (ou de traumatisme)
Champignons Lésions épithéliales rarement isolées, pseudo-dendrites possibles Évolution indolente et chronique. Antécédent de traumatisme
Épithéliopathie superficielle hypertrophique dendritiforme post-kératoplastie Plaques épithéliales hypertrophiques grises ou blanches, dendritiques, à la surface du greffon, dans les suites opératoires d’une kératoplastie Conséquence de l’irrégularité de la surface du greffon + insuffisance lacrymale + toxicité médicamenteuse + inflammation du bord palpébral
Tyrosinémie de type II (syndrome de Richner-Hanhart) Ulcérations pseudo-dendritiques (pas de prise de fluorescéine) Opacification cornéenne avec néovascularisation dans les formes chroniques Syndrome oculo-cutané, avec kératose palmoplantaire. Déficit en tyrosine aminotransférase, avec taux élevés de tyrosine dans le sérum et les urines. Transmission autosomique récessive

(Source : P.-J. Pisella, C. Baudouin, T. Hoang-Xuan. Surface oculaire. Rapport de la Société française d'ophtalmologie. Paris : Elsevier Masson ; 2015.)

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE
Cadre administratif

La plupart des kératites à HSV/VZV peuvent être prises en charge en externe. Les formes stromales nécrosantes, les endothélites linéaires et les zonas ophtalmiques sur terrain très immunodéprimé nécessitent une hospitalisation car un traitement intraveineux est recommandé.

Soins
TRAITEMENT CURATIF DES ATTEINTES éPITHéLIALES

Le traitement de fond repose sur les antiviraux topiques ou par voie générale (tableau 5-2-18) [25]. La voie topique n’induit pas d’effets indésirables systémiques, mais expose au risque de toxicité épithéliale (retard de cicatrisation, voire pseudo-dendrite). L’application répétée de la pommade est gênante pour les activités quotidiennes. Les antiviraux oraux imposent surtout d’adapter la posologie à la fonction rénale. Ils favorisent l’observance (chez l’enfant et certains patients). La surveillance clinique vérifie l’efficacité et la bonne tolérance au traitement entre 2 et 7 jours.

Les mesures adjuvantes sont le débridement de l’épithélium infecté (bords de la zone prenant la fluorescéine), simple et indolore qui réduit le temps de cicatrisation [25], et les antalgiques optimisés par un cycloplégique et un pansement occlusif.

Au décours de l’épisode aigu, le traitement antiviral préventif par voie orale est discuté selon les critères de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) sur les antécédents : au moins 3 épisodes d’atteinte épithéliale en 12 mois et/ou 2 épisodes d’atteinte stromale ou endothéliale (encadré 5-2-6).

Tableau 5-2-18
Comparaison des différentes présentations pharmaceutiques d’antiviraux topiques.
Molécule Trifluridine Aciclovir Ganciclovir
Spécialité Virophta® Zovirax® Virgan®
Concentration 1 % 2 % 0,15 %
Nombre d’applications Toutes les 2 h (max de 9/j) 5/j 5/j
Type de formulation Collyre Pommade Gel
Gêne visuelle après instillation - ++++ +
Activité dépendante de la thymidine-kinase virale Non Oui (quasi exclusive) Oui
Sélectivité Non Très forte Forte
Toxicité épithéliale potentielle +++ - ±
Efficacité sur les souches altérées pour la thymidine-kinase ++ - +
Pénétration intracornéenne si épithélium sain Très faible Bonne Bonne

(Extrait de Labetoulle M, Rousseau A, Bourcier T. Atteintes herpétiques du segment antérieur de l’oeil : aspects thérapeutiques. EMC Ophtalmologie 2014 [21-200-D 21] Copyright © 2014 Elsevier Masson. Tous droits réservés.)

Encadré 5-2-6
Ordonnance typique pour la prévention des récidives de kératite herpétique (sous réserve d’une surveillance adéquate et d’une adaptation éventuelle des doses)

Ordonnance initiale

  • Valaciclovir (Zelitrex®) : comprimé à 500 mg, 1 comprimé/j pendant 6 à 12 mois

  • OU aciclovir (Zovirax®) : comprimé à 200 mg, 2 comprimés 2 fois/j pendant 6 à 12 mois

  • Associer : collyres mouillants sans conservateurs, 3 à 5 instillations/j

  • Éventuellement ciclosporine en collyre à 2 % :

    • 1 à 2 instillations/j

    • en fonction de la part inflammatoire dans les récidives cornéennes

En cas de récidives trop fréquentes

  • Doubler les doses initiales de l’antiviral (hors AMM)

  • Rapprocher la surveillance clinique et biologique du traitement

(Source : Labetoulle et al. [69], autorisation JFO.)

TRAITEMENT CURATIF DES ATTEINTES STROMALES ET ENDOTHéLIALES

Les kératites stromales sans nécrose et les endothélites disciformes ou diffuses sont traitées en soin externe en commençant l’antiviral par voie orale dans les plus brefs délais (1 g/j de valaciclovir ou 2 g/j d’aciclovir, à adapter au tableau clinique). Si l’évolution est maîtrisée en 24 à 48 heures (pas d’aggravation voire réduction de la densité de l’opacité stromale), un traitement par corticoïdes topiques peut alors être associé tels que la dexaméthasone ou la fluorométholone (la rimexolone n’étant plus disponible en France), à une posologie initiale d’environ 6 gouttes/j, réduite ensuite par paliers de 5 à 10 jours, en fonction de l’évolution (et en maintenant le traitement antiviral systémique, équivalent de 500 mg/j de valaciclovir). Une fois la période de crise réglée, le maintien d’un traitement antiviral doit être discuté en fonction des antécédents.

Les endothélites linéaires sont gérées sur le même schéma que les atteintes disciformes ou diffuses, mais il est souvent souhaitable de prescrire l’antiviral par voie intraveineuse (aciclovir 5 à 10 mg/kg/8 h) pour limiter le risque de perte endothéliale. L’hospitalisation est donc de mise. Les corticoïdes topiques (collyres ± injections sous-conjonctivales) sont introduits après un délai de 48 heures, après avoir contrôlé l’absence d’aggravation du tableau initial. La décroissance des posologies doit être progressive, sous contrôle clinique régulier. Le maintien d’un traitement préventif doit être évoqué.

Les kératites stromales avec nécrose (kératolyse) requièrent une hospitalisation pour mise en place en urgence d’une perfusion intraveineuse d’aciclovir (10 mg/kg/8 h, à adapter à la fonction rénale) [26]. Les corticoïdes sont contre-indiqués en raison du risque de perforation cornéenne. La surveillance doit être quotidienne. Si le tableau ne s’améliore pas rapidement, il faut reconsidérer le diagnostic de kératite herpétique. S’il est maintenu, il faut discuter :

  • ±

    la pose d’une greffe de membrane amniotique ;

  • ±

    le passage à une perfusion de foscarnet, sous réserve des contre-indications liées à l’état général (qualité de la fonction rénale et de la formule sanguine).

La greffe de cornée à chaud est indiquée en cas de perforation [20].

Lorsque la nécrose a régressé, le traitement antiviral est poursuivi par voie orale, en général valaciclovir à 3 g/j compte tenu de la gravité. Les corticoïdes topiques ne trouvent leur place que lorsque tout signe de nécrose a disparu sous couverture antivirale et surveillance rapprochée. Le traitement antiviral est souvent prolongé pendant plusieurs mois, à dose préventive, car la récidive est fréquente.

TRAITEMENT CURATIF DU ZONA OPHTALMIQUE

Les patients fortement immunodéprimés nécessitent un traitement intraveineux urgent (10 mg/kg d’aciclovir toutes les 8 heures) en raison du risque de complications oculaires sévères. Le zona ophtalmique est une semi-urgence thérapeutique (triage PEC de catégorie 5, CIMU 4) pour réduire d’un facteur 2 les complications intra-oculaires inflammatoires. L’AMM des anti-VZV (aciclovir, valaciclovir ou famciclovir) stipule qu’ils doivent être prescrits dans les 72 heures du début de l’éruption cutanée. Les posologies recommandées sont de 4 g/j répartis en 5 prises pour l’aciclovir (Zovirax ® ), 3 g/j en 3 prises pour le valaciclovir (Zelitrex ® ) ou 1,5 g/j en 3 prises pour le famciclovir (Oravir ® ) [19, 26, 27]. La durée recommandée du traitement est de 7 jours, mais un traitement plus long pourrait être légitime dans certains cas particuliers [28].

Le traitement des douleurs pendant la phase aiguë conditionne l’incidence des neuropathies post-zostériennes. La collaboration du patient avec le médecin généraliste, voire un médecin spécialiste de la douleur, est essentielle, surtout si les douleurs deviennent chroniques. Les corticoïdes topiques (toujours sous couverture antivirale) sont indiqués en cas d’une inflammation sévère du segment antérieur et, per os, en cas de zona hyperalgique, d’éruption délabrante et/ou de complication neuro-ophtalmologique [29].

SURVEILLANCE RECOMMANDÉE

  • ±

    Kératite épithéliale : 3 à 5 jours après le début du traitement et ensuite 10 à 15 jours pour vérifier la guérison.

  • ±

    Kératites stromales non nécrosantes, endothélites disciformes ou diffuses : surveillance plus rapprochée, notamment en cas de corticothérapie topique.

  • ±

    Kératites stromales nécrosantes, endothélites linéaires : surveillance quotidienne hospitalisée.

  • ±

    Antiviraux par voie générale : surveillance des fonctions rénale et hépatique, numération formule sanguine (tous les 15 jours en cas de fortes doses, tous les 2 à 6 mois aux posologies préventives) [6].

PRONOSTIC

Pour HSV, le risque à court terme est la récidive, environ 10 % des cas à 1 an et 60 % à 20 ans [3]. Il est plus important en cas d’antécédents : deux récidives en moins de 12 mois exposent à 32 % de nouvel épisode dans l’année [4, 30]. Les conséquences fonctionnelles potentielles sont 11 % d’acuité visuelle inférieure à 1/10 dans les 20 ans qui suivent le premier épisode, toutes formes confondues. La prise préventive d’antiviraux les limite. Son absence est probablement le plus important facteur de mauvais pronostic [4]. En outre, les kératites récidivantes à HSV se compliquent volontiers d’un syndrome sec bilatéral [1, 31].

Les complications algiques et neurogènes du zona ophtalmique sont redoutées. Il peut s’agir de prurit handicapant ou des classiques douleurs post-zostériennes [29]. Elles compliquent 20 % des zonas ophtalmiques après 60-70 ans et 35 % des zonas ophtalmiques après 80 ans [32], et impactent significativement la qualité de vie [21]. Les douleurs post-zostériennes sont déclenchées par un simple contact (allodynies) ou spontanément, à type de brûlures, piqûres, décharges électriques. Les principaux facteurs de risque sont l’âge, l’étendue de l’éruption cutanée et des troubles neurologiques (perte de sensibilité ou douleur) lors de la phase aiguë.

Les récidives inflammatoires oculaires sont l’autre risque majeur du zona. Il peut s’agir d’une véritable récidive de zona chez 6 % des patients environ [33], ou d’inflammation oculaire sans récidive cutanée avec un risque de 8 % à 2 ans et 24 % à 5 ans [34]. Il est toutefois probable que ces complications du zona ophtalmique seraient réduites significativement par une prévention vaccinale du zona [35].

BIBLIOGRAPHIE

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KÉRATOCONJONCTIVITES VIRALES : ADÉNOVIRUS ET DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

A. ROUSSEAU , T. BOURCIER , M. LABETOULLE

Points forts

  • Les kératites adénovirales sont les kératites virales les plus fréquentes, le sérotype de l’adénovirus déterminant la forme clinique.

  • La contagiosité de l’adénovirus est élevée car le virus résiste plusieurs jours à plusieurs semaines à la dessication, et son incubation (2 à 12 jours) est généralement achevée avant l’apparition des premiers signes inflammatoires (7 à 10 jours).

  • Les fausses membranes des kératoconjonctivites pseudo-membraneuses doivent être pelées jusqu’à leur disparition.

  • Les collyres antibiotiques ne sont pas indiqués dans les kératites virales isolées.

INTRODUCTION

Les conjonctivites et kératoconjonctivites liées aux adénovirus (ADV) sont les infections de la surface oculaire les plus fréquentes [1].

On distingue trois formes :

  • ±

    la kératoconjonctivite épidémique (KCE) : elle est la plus fréquente, elle a la particularité de toucher l’épithélium conjonctival et cornéen avec, dans les cas sévères, formation de membranes conjonctivales et/ou d’opacités cornéennes sous-épithéliales ;

  • ±

    la fièvre adéno-pharyngo-conjonctivale (FAPC), caractérisée par une fièvre, une pharyngite, une conjonctivite folliculaire et des adénopathies ;

  • ±

    les conjonctivites folliculaires isolées sans atteinte systémique ou cornéenne.

En raison des conséquences potentiellement sévères de ces affections et de leur extrême contagiosité, la prise en charge dans le cadre de l’urgence des patients atteints requiert, d’une part, une identification rapide des cas et, d’autre part, une organisation particulière pour éviter la dissémination.

VIROLOGIE

Les ADV sont des virus à acide désoxyribonucléique (ADN) double brin non enveloppé (ou virus nus). Cette caractéristique les rend particulièrement résistants à l’environnement et aux techniques de désinfection habituelles. Les virions sont composés d’une capside formée d’hexons et de pentons, contenant des protéines et l’ADN viral (fig. 5-2-54) [2]. Les ADV sont capables d’infecter de nombreux tissus : ils peuvent être responsables de gastro-entérites, d’hépatites, de myocardites, d’infections des voies aériennes supérieures et de pneumonies. Les ADV peuvent infecter les cellules humaines de deux façons. Le cycle lytlque a lieu dans les cellules épithéliales : le virus complète son cycle réplicatif aboutissant à la lyse cellulaire avec relargage massif de particules virales. Une Infection latente peut avoir lieu dans les cellules lymphoïdes, mais n’est pas impliquée dans les atteintes oculaires. La réponse immunitaire aux infections adénovirales dépend de nombreux facteurs, tels que le site d’inoculation, le statut immunitaire de l’hôte et le sérotype du virus (57 sérotypes, regroupés en 7 espèces, ont été décrits à ce jour). Les sérotypes déterminent aussi la forme clinique, avec de façon schématique, les KCE, causées par les sérotypes 8, 19 et 37 (appartenant tous à l’espèce D), les FAPC causées par les sérotypes 3, 5, 7 et 11 (appartenant aux espèces B et C) et les conjonctivites folliculaires isolées, causées par les sérotypes 1 à 11 (espèces B à E). L’immunisation contre un sérotype n’induit pas d’immunisation contre les autres.

Fig. 5-2-54
Représentation schématique d’un virion d’adénovirus.

Toutefois, ces profils virologiques changent avec le temps et selon les pays, comme au Japon où les sérotypes 53 et 54 ont récemment détrôné le sérotype 8 qui prédominait auparavant [3]. De plus, de nouveaux ADV se développent par variation, mutation et recombinaison de sérotypes déjà existants.

ÉPIDÉMIOLOGIE
Données générales

Les ADV seraient en cause dans environ 75 % des conjonctivites virales [1]. Les données précises de prévalence et d’incidence au niveau international ne sont pas disponibles. Toutefois, au Japon, où les infections à adénovirus font l’objet d’une surveillance épidémiologique nationale, la KCE touche environ un million de patients chaque année [3]. L’infection peut toucher tous les groupes d’âge et sans prédominance de sexe. Les KCE surviennent typiquement chez les adultes de 20 à 40 ans, tandis que la FAPC est plus fréquente chez les enfants. Les épidémies de KCE et de FAPC ont tendance à survenir en milieu institutionnel :

  • ±

    dans des structures de soins pour les KCE (en particulier dans les services d’ophtalmologie où les épidémies nosocomiales de KCE sont fréquentes, et les maisons de repos) ;

  • ±

    dans les crèches, les écoles, les centres aérés et les colonies de vacances pour les FAPC.

Le risque de contamination domestique est de l’ordre de 10 % [1].

Transmission

La transmission se fait le plus souvent par contact des mains souillées avec les yeux. Elle peut également avoir lieu par contage direct avec les sécrétions oculaires [4], les gouttelettes de Pflügge, et par l’intermédiaire des instruments ophtalmologiques ou des surfaces contaminées (lampe à fente, tonomètre, etc.). Après une incubation de 2 à 12 jours, les conjonctivites à ADV débutent par une phase infectieuse suivie d’une phase inflammatoire, qui débute entre le 7e et le 10e jour. La période de contagiosité s’étend de la fin de la période d’incubation jusqu’à 3 semaines après le début des signes cliniques [5]. Comme tous les virus nus, les ADV sont particulièrement résistants à la dessiccation et aux techniques de nettoyage usuelles. Selon les études, ils resteraient infectieux pour une durée de 7 jours à 3 mois [6] en atmosphère sèche et de l’ordre de 20 jours en milieu humide (par exemple, dans un flacon de collyre) [7].

DIAGNOSTIC
Clinique

Le diagnostic des infections oculaires à ADV est habituellement clinique et repose sur le contexte, les symptômes et l’examen clinique. L’interrogatoire recherche un contage ou une notion d’épidémie, une infection des voies aériennes supérieures et/ou un épisode fébrile concomitant ou récent. Les patients se plaignent habituellement de larmoiement, de sécrétions plus ou moins abondantes, décrites parfois comme purulentes, et de picotements. En cas de kératite associée, une baisse de vision et une photophobie sont retrouvées. À l’examen, on peut constater dès l’inspection l’hyperhémie conjonctivale et l’éventuel œdème palpébral. En lampe à fente, les conjonctivites sont folliculaires (fig. 5-2-55), souvent accompagnées d’un chémosis, et parfois hémorragiques. Une kératite ponctuée superficielle est fréquente. À la phase aiguë, les formes sévères de KCE peuvent se compliquer de pseudo-membranes conjonctivales et d’ulcères épithéliaux (fig. 5-2-56). À la phase inflammatoire, des opacités nummulaires sous-épithéliales peuvent apparaître, généralement entre 2 et 3 semaines après le début des signes. Ces infiltrats inflammatoires sont initialement fluorescent positif, puis deviennent fluorescent négatif. Des lésions d’âges différents coexistent habituellement (fig. 5-2-57). Les FAPC, mais aussi les autres formes de conjonctivites à ADV s’accompagnent volontiers d’adénopathies prétragiennes ou sous-angulo-mandibulaires. Des formes tout à fait exceptionnelles avec précipités rétrodescemétiques, œdème stromal, uvéite ou encore hypertonie ont été rapportées [5, 8].

Fig. 5-2-55
Conjonctivite folliculaire à adénovirus : aspect de la conjonctive tarsale supérieure (a) et inférieure (b).
Des pétéchies conjonctivales et un chémosis lui sont associés.
Fig. 5-2-56
Kératoconjonctivite membraneuse à adénovirus chez une fillette de 4 ans (a), compliquée d’un vaste ulcère épithélial (b).
Fig. 5-2-57
Infiltrat intra-épithélial et sous-épithélial d’une kératite adénovirale montrant la coexistence de lésions marquées au test à la fluorescéine (flèches) et d’autres pas (têtes de flèche).

Virologique

Les examens virologiques sont rarement nécessaires mais peuvent être utiles afin de : éviter une antibiothérapie inutile, mettre en place les mesures nécessaires pour limiter l’extension d’une épidémie et, au final, diminuer le coût global de ces infections [9]. Les différentes techniques possibles pour mettre en évidence le virus sur un écouvillon conjonctival sont :

  • ±

    la culture virale, peu utilisée car nécessitant une grande expertise virologique avec un délai important pour obtenir les résultats ;

  • ±

    la détection de l’ADN viral par polymerase chain reaction (PCR), très sensible, mais nécessitant également une expertise virologique. Dans certains centres, ce test est effectué sur un prélèvement de larmes réalisé à l’aide d’une bandelette de Schirmer. Il permet la recherche combinée d’autres virus susceptibles de mimer une infection adénovirale ;

  • ±

    la détection des antigènes viraux par immunofluorescence directe, qui dépend de l’expérience du virologue et ne bénéficie pas toujours d’une bonne sensibilité ;

  • ±

    la mise en évidence des antigènes viraux par test immunochromatographique rapide (encadré 5-2-7).

    Encadré 5-2-7

    Diagnostic des kératoconjonctivites à adénovirus par test immunochromatographique rapide Adenoplus ®

    Ce test donne un résultat en quelques minutes et peut être réalisé en consultation. Après anesthésie de la surface oculaire avec une goutte de collyre à l’oxybuprocaïne, l’écouvillon est frotté sur la conjonctive tarsale inférieure à plusieurs reprises puis clippé sur le dispositif dont une extrémité est immergée dans un tampon pendant 20 secondes. Le tampon de migration imbibe l’écouvillon et entraîne ainsi les éventuels antigènes viraux vers la zone où se produit la réaction colorée. Le résultat peut être lu après 10 minutes. La coloration du premier témoin (bleu) indique la validité du test, celle du second (rouge) sa positivité (vidéo 5-2-3 ). Il détecte 53 sérotypes d’adénovirus. Les études cliniques ont retrouvé des résultats de sensibilité et de spécificité de ce test assez contradictoires. Comparé à la PCR, il présentait dans une étude une sensibilité de 85 % et une spécificité de 98 %, tandis que comparé à la culture virale, ces valeurs étaient respectivement de 90 et 96 % [10]. A contrario, comparé à la PCR, une autre étude retrouvait une sensibilité de seulement 39,5 % avec en revanche une spécificité de 95,5 % [11]. Les délais entre les premiers symptômes et le test peuvent expliquer ces différences (plus courts dans la première étude). L’intérêt de l’Adenoplus ® , approuvé par la Food and Drug Administration , est d’ajuster le traitement et de mettre en place au plus vite les mesures préventives.

Diagnostics différentiels

Les kératoconjonctivites à ADV peuvent poser des difficultés de diagnostic différentiel :

  • ±

    les conjonctivites hémorragiques aiguës doivent faire évoquer une atteinte liée aux entérovirus (principalement virus coxsackie A24 et entérovirus 70), surtout chez les patients en provenance d’une zone à risque (Afrique du Nord, Chine) [12–14]. Ces infections peuvent également se compliquer d’opacités cornéennes parfois responsables d’altération visuelle ;

  • ±

    les conjonctivites à Chlamydia sont souvent folliculaires et s’accompagnent de fausses membranes chez le nouveau-né, toutefois, elles ont chez l’adulte une évolution le plus souvent chronique [15] ;

  • ±

    les infections oculaires par le virus herpès simplex de type 1 seraient responsables d’environ 20 % des conjonctivites d’allure virale unilatérale et peuvent être isolées [16]. Les antécédents de manifestations herpétiques oculaires, l’association à une kératite ou une kérato-uvéite peuvent aider le diagnostic ;

  • ±

    de nombreuses viroses communes peuvent s’accompagner d’une conjonctivite, concomitante de la symptomatologie générale, le plus souvent folliculaire, et parfois d’une kératite (grippe, rougeole, oreillons, rubéole) ;

  • ±

    de même, certaines arboviroses, dont certaines sont fréquentes aux Antilles (dengue, maladie à virus Zika, fièvre jaune), s’accompagnent souvent d’une conjonctivite, parfois hémorragique, à la phase aiguë [17] ;

  • ±

    la maladie à virus Ebola peut s’accompagner à la phase aiguë de conjonctivite non purulente voire de conjonctivite hémorragique. En contexte épidémique, cette atteinte augmente le risque relatif de diagnostic positif. L’extrême contagiosité et sévérité de la maladie et la présence du virus dans les larmes des patients imposent des mesures de précaution drastiques devant tout cas suspect [18] ;

  • ±

    les lésions de molluscum contagiosum palpébrales, survenant le plus souvent chez l’enfant, peuvent s’accompagner d’une conjonctivite folliculaire. Là encore, le tableau est le plus souvent chronique.

Dans ces différentes situations, le contexte général ou les lésions associées permettent le plus souvent d’orienter le diagnostic. Le tableau 5-2-19 en résume les caractéristiques.

Tableau 5.2-19
Principaux diagnostics différentiels des kératoconjonctivites à adénovirus.
Agent infectieux responsable Transmission Signes ophtalmologiques Complications oculaires Diagnostic virologique
Entérovirus (principalement coxsackie A24 et entérovirus 70) Manuportée (eaux souillées +++) Conjonctivite folliculaire aiguë avec hémorragies (pétéchies à placards hémorragiques) Kératite ponctuée superficielle Opacités cornéennes sous-épithéliales PCR sur écouvillon conjonctival ou dans les larmes Recherche d'anticorps sériques ou dans les larmes
Chlamydiae trachomatis
  • Contact direct avec des sécrétions génitales infectées

  • Contact indirect par l'intermédiaire de l'eau des piscines

Conjonctivite papillaire et folliculaire chez l'adulte Membranes conjonctivales chez le nouveau-né PCR sur écouvillon conjonctival Culture cellulaire Immuofluorescence directe
Herpes simplex virus 1 Transmission orale par contact direct. Primo-infection le plus souvent asymptomatique Conjonctivite folliculaire unilatérale Blépharite, kératites épithéliales, stromales ou endothéliales, kérato-uvéite PCR sur les larmes (kératite épithéliale) ou sur l'humeur aqueuse (kératite stromale, endothéliale ou kérato-uvéite)
Virus de la grippe Aéroportée (gouttelettes de Pflügge) Contact direct Conjonctivite folliculaire Kératites ponctuées superficielles
  • RT-PCR

  • Recherche des antigènes viraux par immunochromatographie ou immunofluorescence

Virus de la rougeole Aéroportée (gouttelettes de Pflügge +++) Contact direct Conjonctivite folliculopapillaire Rarement:signe de Köplick conjonctival
  • Kératites ponctuées superficielles

  • Ulcères de cornée ± perforation ou néovascularisation, surtout en cas de dénutrition ou hypovitaminose A associée

Recherche des anticorps spécifiques dans le sang et la salive RT-PCR
Virus des oreillons Contact direct (salive +++) Aéroportée (gouttelettes de Pflügge +++) Conjonctivite folliculopapillaire Épisclérite, sclérite, dacryoadénite Recherche des anticorps spécifiques dans le sang et la salive RT-PCR
Virus de la rubéole Aéroportée (gouttelettes de Pflügge +++), Contact direct Conjonctivite folliculopapillaire Uniquement en cas d'infection congénitale
  • Recherche des anticorps spécifiques

  • RT-PCR

  • Virus

  • Chikungunya

Piqûre du moustique Aedes albopictus ou Aedes aegypti Conjonctivite non spécifique Kératites dendritiques, stromales, uvéites antérieures, postérieures, neuropathies optiques RT-PCR sur liquide biologique Sérologie
Virus de la dengue Piqûre du moustique Aedes aegypti Conjonctivite non spécifique Uvéites antérieures, postérieures, neuropathies optiques RT-PCR sur liquide biologique Sérologie
Virus de la fièvre jaune Piqûre du moustique Aedes aegypti Conjonctivite folliculaire, ictère conjonctival, hémorragies conjonctivales
  • Culture cellulaire

  • RT-PCR

  • Sérologie

Virus Zika Piqûre du moustique Aedes aegypti (et dans une moindre mesure Aedes albopictus ) Conjonctivite non spécifique Uniquement en cas d'infection congénitale RT-PCR Sérologie
Virus Ebola Contact avec tous les fluides biologiques Hyperhémie conjonctivale, conjonctivite non purulente, conjonctivite hémorragique Panuvéite RT-PCR sur liquide biologique Détection antigénique Culture cellulaire Sérologie
Poxvirus Contact direct Conjonctivite folliculaire chronique Molluscum contagiosium sur les paupières. Immunofluorescence PCR
PCR: polymerase chain reaction ; RT-PCR: reverse transcriptase-polymerase chain reaction.

TRAITEMENTS
Prévention
COLLECTIVE

Dans les cabinets médicaux, les centres de soins, et en particulier les services d’urgence d’ophtalmologie, les patients à risque doivent idéalement être identifiés dès leur arrivée à la consultation et suivre un circuit isolé et court, avec si possible une salle d’examen à part pour limiter le contact avec les personnes saines. Par ailleurs, certaines mesures sont indispensables pour diminuer le risque d’épidémie nosocomiale :

  • ±

    port de gant pour examiner les patients et lavage des mains après chaque examen ;

  • ±

    nettoyage du box de consultation : à cet égard, il faut noter que la plupart des produits disponibles dans le commerce pour la désinfection des surfaces sont à base d’ammonium quaternaire qui n’est pas actif sur l’ADV. Le virus est en revanche détruit par l’hypochlorite de sodium à 0,5 % (eau de Javel), le glutaraldéhyde à 2 % et le dodécyl sulfate de sodium à 0,25 %. Par ailleurs, le virus est potentiellement résistant à l’éthanol à 70° ;

  • ±

    utilisation de matériel jetable : si cela n’est pas possible, les instruments doivent être stérilisés au minimum à 90 °C pendant 5 minutes ou 56 °C pendant 30 minutes. Pour les instruments qui ne peuvent être stérilisés à chaud, un trempage dans l’eau de Javel ou dans la povidone iodée pendant 10 minutes peut être réalisé [5, 7] ;

  • ±

    utilisation de collyres en unidoses : tous les collyres en flacon (notamment mydriatiques et anesthésiques) doivent être proscrits car ils peuvent constituer des réservoirs de virus.

Le personnel soignant doit être également très vigilant : au moins un membre du personnel soignant est infecté dans près de 50 % des épisodes épidémiques rapportés en milieu de soins [7]. Les personnels ayant contracté la maladie (enseignants, médecins, infirmières) doivent être exclus du lieu de travail pendant la période de contagiosité.

INDIVIDUELLE

Les patients doivent être informés du risque de contamination de l’entourage et des précautions d’hygiène pour éviter la transmission manuportée (lavage des mains) ou par les objets personnels souillés (mouchoirs, objets de toilette, etc.). Les lentilles de contact portées auparavant par le malade doivent être jetées. Un arrêt de travail ou une éviction scolaire sont indiqués pour réduire les contaminations potentielles.

Traitement des formes simples

Les conjonctivites à ADV sont des infections spontanément résolutives, et les traitements des formes simples sont essentiellement symptomatiques : lavages oculaires au sérum physiol ogique froid, substituts lacrymaux, éventuellement collyres aux anti-inflammatoires non stéroïdiens pour soulager les symptômes. Les collyres aux corticoïdes prolongent la maladie et la période de contagiosité et doivent être limités aux formes compliquées. Les collyres antibiotiques ne sont pas indiqués, en revanche les collyres antiseptiques peuvent être utilisés pour prévenir le risque de surinfection. Malgré de nombreux résultats expérimentaux encourageants, aucun traitement antiviral n’a fait la preuve clinique de son efficacité [17]. Deux études randomisées récentes ont montré une diminution de la durée de la maladie chez des adultes et des nourrissons grâce à l’utilisation de povidone iodée diluée combinée ou non à de la dexaméthasone. Toutefois, aucune preuve de l’origine adénovirale n’a été apportée et ces traitements n’ont pas réduit le taux de formes compliquées [19, 20].

Traitement des complications
CONJONCTIVITES MEMBRANEUSES

La formation de membranes conjonctivales est une complication fréquente des KCE, surtout liée aux sérotypes 8, 19 et 37. Elles se forment par exsudation fibrineuse au niveau des conjonctives tarsales inférieures et supérieures. On considère classiquement que les membranes liées aux ADV sont des pseudo-membranes, c’est-à-dire non colonisées par les vaisseaux sanguins et lymphatiques. Toutefois, une étude récente démontrait que les KCE peuvent également se compliquer de vraies membranes, dont l’ablation est hémorragique (fig. 5-2-58) [21]. La persistance des membranes peut entraîner une fibrose sous-épithéliale, la formation de symblépharons et une obstruction canaliculaire (fig. 5-2-59) [17]. Par conséquent, l’ablation des membranes conjonctivales doit être répétée autant de fois que nécessaire (vidéo 5-2-4). En pratique, on peut utiliser des éponges en ouate de cellulose ou la pince de Troutman pour les membranes les plus épaisses. On y associe un traitement par collyres aux corticoïdes visant à diminuer la réaction inflammatoire et l’exsudation.

Fig. 5-2-58
Membranes conjonctivales compliquant une kératoconjonctivite épidémique (a). Aspect hémorragique après exérèse de la membrane à la pince de Troutman (b).
Fig. 5-2-59
Fibrose conjonctivale séquellaire d’une kératoconjonctivite épidémique compliquée de membranes conjonctivales : conjonctive tarsale supérieure (a) et inférieure (b).

OPACITÉS SOUS-ÉPITHÉLIALES

Des infiltrats immunitaires peuvent se développer dans les jours ou les semaines qui suivent le début des signes. Ils sont à l’origine d’opacités sous-épithéliales formant des néphélions (taies superficielles en cornée par ailleurs transparente) en nombre plus ou moins important qui composent la kératite numulaire de Dimmer (fig. 5-2-60). Elles peuvent persister plusieurs mois voire années et gêner la vision lorsqu’elles sont dans l’axe optique ou en induisant un astigmatisme irrégulier [5]. Leur prise en charge dépend de la gêne visuelle induite. Les corticoïdes locaux diminuent le nombre et la taille des opacités mais une cortico-dépendance est fréquente, avec les risques qu’elle présente au niveau oculaire, et peut justifier le recours au collyre à la ciclosporine pour une durée prolongée [22, 23]. Dans les formes sévères avec altération visuelle significative, on propose au patient les alternatives possibles suivantes : recours aux corticoïdes avec le risque de dépendance que cela implique, ou abstention avec la possibilité de mettre en route la corticothérapie plus tardivement, avec possible relais par ciclosporine si les symptômes sont intolérables [5].

Fig. 5-2-60
Opacités sous-épithéliales nummulaires dans le cadre d’une kératoconjonctivite épidémique.

La photokératectomie thérapeutique est utile pour traiter les opacités sous-épithéliales cicatricielles stables lorsqu’elles sont invalidantes.

PRONOSTIC

Il est bon dans la grande majorité des cas. Certains sérotypes adénoviraux responsables de kératoconjonctivite sont responsables de séquelles telles que :

  • ±

    des infiltrats inflammatoires épithéliaux cornéens récurrents, sujets à la cortico-dépendance ;

  • ±

    une photophobie voire une baisse d’acuité visuelle si les néphélions de la kératite numulaire sont denses ou très opaques ;

  • ±

    une fibrose muqueuse rétractile conjonctivale ou canaliculaire lacrymale.

BIBLIOGRAPHIE

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Uvéites infectieuses

D. MONNET , C. BONNET , A. BRéZIN

Une uvéite peut être d’étiologie infectieuse, inflammatoire ou parfois iatrogène et il est souvent difficile, au cours d’un premier examen, de s’orienter parmi ces différentes catégories (fig. 5-2-61 et encadré 5-2-8). Certaines uvéites sont directement causées par des agents pathogènes infectieux (bactéries, virus, mycoses et parasites). Elles peuvent être circonscrites à la sphère oculaire ou s’associer à une pathologie systémique. Les manifestations oculaires en cas d’uvéites sont diverses. Leur origine infectieuse est parfois évidente ; cependant, dans de nombreux cas, des mécanismes mixtes inflammatoires et infectieux participent à la physiopathogénie de l’uvéite. De l’association de ces mécanismes mixtes inflammatoires et infectieux, résultent les schémas thérapeutiques qui associent un traitement anti-infectieux à un traitement anti-inflammatoire. Il est donc fondamental d’éliminer d’abord toute origine infectieuse, avant de considérer les causes inflammatoires de l’uvéite (encadré 5-2-9).

Fig. 5-2-61
Orientation diagnostique initiale devant une uvéite.
Encadré 5-2-8
Principales étiologies des uvéites

Maladies infectieuses

  • Bactériennes : syphilis, tuberculose, Lyme, maladies des griffes du chat, rickettsioses, leptospirose, brucellose, Whipple

  • Parasitaires : toxoplasmose, toxocarose, onchocercose, cysticercose

  • Virales : herpès virus, cytomégalovirus, HTLV-1

  • Mycotiques : candidose, histoplasmose

Entités ophtalmologiques

  • Choriorétinopathie de Birdshot

  • Uvéite phaco-antigénique

  • Syndrome de Posner-Schlossman

  • Cyclite hétérochromique de Fuchs

  • Épithéliopathie en plaques

  • Choroïdite serpigineuse

  • Ophtalmie sympathique

  • Choroïdite multifocale

  • Pars planite

  • Syndrome des taches blanches évanescentes

Maladies inflammatoires

  • Uvéites associées à human leucocyte antigen B27 (HLA-B27)

  • Entéropathies inflammatoires chroniques

  • Sarcoïdose

  • Maladie de Behçet

  • Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

  • Sclérose en plaques

  • Arthrite chronique juvénile

  • TINU (tubulo-interstitial nephritis and uveitis) syndrome

Uvéites médicamenteuses

  • Rifabutine, cidofovir, biphosphonates, anti-TNF

Encadré 5-2-9
Démarche générale à adopter en présence d’une uvéite aux urgences

  • Acquérir la certitude qu’il s’agit bien d’une uvéite plutôt que d’une autre pathologie simulant une inflammation

  • Déterminer si l’uvéite est isolée ou s’inscrit dans un contexte de pathologie générale

  • Apprécier l’origine infectieuse, puis inflammatoire ou mixte de l’uvéite

  • Apprécier le retentissement fonctionnel de l’uvéite

  • Élaborer une démarche thérapeutique fondée sur une analyse du rapport bénéfice/risque donc de situations d’urgence, au cours desquelles les décisions thérapeutiques initiales sont déterminantes.

La prévalence des uvéites antérieures aiguës (UAA) liées à des causes infectieuses (herpétiques, tuberculeuses, etc.) est en augmentation [1]. L’intensité des symptômes amène généralement le patient à consulter rapidement. La prévalence des uvéites intermédiaires aiguës (UIA) d’origine infectieuse est nettement moins importante que celle des UAA, bien qu’au sein des UIA, la fréquence des infections soit plus significative. Concernant les uvéites postérieures aiguës (UPA), la rétinochoroïdite toxoplasmique constitue l’étiologie la plus fréquente des causes infectieuses, bien que d’autres uvéites du segment postérieur puissent être d’origine bactérienne, virale, mycotique ou parasitaire autre que la toxoplasmose. En raison de leur site anatomique primitif, les uvéites postérieures infectieuses peuvent rapidement engager le pronostic visuel, de manière fréquemment irréversible. Il s’agit

PRÉSENTATION CLINIQUE
ANOMALIE VISUELLE

On peut observer une baisse d’acuité visuelle (BAV) aiguë et brutale dans les UAA.

La BAV est plutôt progressive et insidieuse dans les UIA, traduisant une hyalite d’intensité variable. Dans les UPA, le trouble vitréen est responsable d’une baisse d’acuité visuelle diffuse, progressive rapide. Il peut exister une amputation du champ visuel en cas de foyer infectieux uvéal postérieur, voire un scotome central en cas d’implication maculaire. Alors, la progression est rapide, voire brutale.

INFLAMMATION DE SURFACE OCULAIRE (ROUGEUR)

L’inflammation est plus marquée pour les UAA et dans une moindre mesure pour les UIA, où elle est plus insidieuse. Elle peut être absente dans les UPA.

DOULEUR

Souvent marquée dans les UAA, la douleur est plus sourde dans les UIA et dans les UPA, où elle peut être absente.

KÉRATOPATHIE AIGUË

Un œdème de cornée localisé, des plis de la Descemet et une hypoesthésie cornéenne orientent vers le diagnostic de kérato-uvéite herpétique ou zostérienne (notion de zona ophtalmique concomitant ou récent). Inversement, une kératite infectieuse peut avoir comme facteur de gravité une inflammation réactionnelle de chambre antérieure (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Kératites infectieuses »).

HYPOPION

L’hypopion n’est absolument pas spécifique d’une étiologie infectieuse. La plupart des hypopions sont d’ailleurs stériles. Cependant, un hypopion peut être observé au cours des endophtalmies. Alors, le diagnostic différentiel entre inflammation et infection peut être difficile, en particulier après chirurgie de la cataracte chez des patients présentant des antécédents d’uvéite.

ATROPHIE SECTORIELLE DE L’IRIS

Cette atrophie est mieux visible en transillumination. Elle est très évocatrice d’une atteinte herpétique du segment antérieur.

MYODÉSOPSIES

Ce symptôme est surtout présent en cas d’uvéite intermédiaire sans présager de l’origine infectieuse.

HYALITE ET ŒDÈME MACULAIRE

Ce sont des signes physiques d’uvéite intermédiaire et postérieure sans valeur d’orientation étiologique, mais aussi potentiellement présents dans les uvéites infectieuses.

VASCULARITES ARTÉRIELLES

L’observation de vascularites artérielles peut traduire une nécrose rétinienne aiguë, parfois compliquée d’occlusion. Des décollements séreux rétiniens localisés peuvent compliquer certains foyers de rétinochoroïdite toxoplasmique. Des foyers infectieux peuvent également constituer des signes spécifiques au fond d’œil (fig. 5-2-62). Leur origine peut être bactérienne, avec une frontière parfois floue entre les uvéites infectieuses isolées et les endophtalmies d’origine endogène, en particulier compliquant les endocardites. Les foyers infectieux peuvent être choroïdiens, isolés ou multiples, tels que les tubercules de Bouchut. Outre la toxoplasmose, d’autres infections parasitaires, telles que la toxocarose, peuvent être impliquées. Les foyers infectieux peuvent également être d’origine mycotique, en particulier dans le contexte des toxicomanies par voie intraveineuse se compliquant de candidoses oculaires (fig. 5-2-63).

Fig. 5-2-62
Abcès choroïdien à Pseudomonas aeruginosa chez un patient greffé cœur-poumons immunodéprimé.
Fig. 5-2-63
Candidose oculaire chez un toxicomane par voie intraveineuse.

FOYER INFECTIEUX

Hormis lorsqu’il est cornéen ou post-chirurgical (par exemple, blébite de chirurgie filtrante), le foyer infectieux est exceptionnellement identifiable dans les UAA infectieuses. La réalisation d’un fond d’œil doit être systématique devant toute uvéite antérieure pour rechercher une atteinte postérieure (rétinite nécrosante, foyer infectieux vitréorétinien). Le foyer infectieux peut être extra-oculaire, comme dans les endocardites infectieuses (fig. 5-2-64). La recherche exhaustive d’un foyer infectieux s’impose avant tout traitement.

Fig. 5-2-64
Observation au fond d’œil de taches de Roth associant des plages hémorragiques (ici parapapillaires) et des exsudats blanchâtres.
Elles traduisent l’accumulation de micro-infarcissements fortement évocateurs d’une complication d’endocardite infectieuse.

ORIENTATION ÉTIOLOGIQUE

L’orientation étiologique d’une uvéite infectieuse (fig. 5-2-65) est initiée par les éléments suspects de l’anamnèse (par exemple chirurgie récente, promenade dans de hautes herbes ou piqûre de tique, partenaire sexuel porteur d’une maladie sexuellement transmissible, toxicomanie, etc.), confortée par les éléments séméiologiques cliniques (voir plus haut et le chapitre 5.2.2 , paragraphe « Uvéites non infectieuses ») et précisée par le bilan paraclinique. Certaines UPA ou panuvéites infectieuses peuvent avoir une présentation granulomateuse et hypertone au niveau du segment antérieur, telles la toxoplasmose choriorétinienne ou les rétinites nécrosantes virales.

Fig. 5-2-65
Principales causes des uvéites infectieuses antérieures, intermédiaires et postérieures.
HSV : herpes simplex virus ; HTLV-1 : human T-lymphotropic virus type 1 ; VZV : varicella-zoster virus.

Devant une UAA, la présentation initiale granulomateuse ou non est un élément d’orientation utile.

Devant une UIA, et puisque de nombreuses maladies infectieuses lui sont associées, le bilan de première ligne recherche la maladie de Lyme (Borrelia) , la maladie des griffes du chat (Bartonella) , la syphilis (Treponema) , la toxocarose (Toxocara) , une infection au virus human T-lymphotropic virus type 1 (HTLV-1) ou une maladie de Whipple (Tropheryma whipplei) (fig. 5-2-65).

Devant une UPA, la présence d’une rétinite ou d’une rétinochoroïdite doit faire évoquer une uvéite postérieure d’étiologie infectieuse en première intention. Parmi ces étiologies, les nécroses rétiniennes aiguës d’origine virale doivent être systématiquement évoquées, fréquemment liées à une infection à herpes simplex virus type 2 (HSV-2) chez les sujets jeunes et à varicella-zoster virus (VZV) chez les sujets âgés (fig. 5-2-66). Un facteur d’immunodépression doit être recherché, mais les nécroses rétiniennes aiguës surviennent le plus souvent chez des patients sans facteur d’immunodépression identifié.

Fig. 5-2-66
Rétinite nécrosante aiguë à varicella-zoster virus (VZV).
La progression centripète des foyers blanchâtres de nécrose est rapide.

La rétinochoroïdite toxoplasmique constitue la cause infectieuse la plus fréquente d’uvéite postérieure (fig. 5-2-67). Celle-ci peut être secondaire à une infection congénitale, avec dans ce cas des lésions plus fréquemment bilatérales et de localisation plus souvent maculaire [2]. Toutefois, elle serait plus souvent secondaire à des infections acquises, concomitantes à des manifestations oculaires ou les ayant précédées.

Fig. 5-2-67
Rétinochoroïdite toxoplasmique active de localisation maculaire.

Au cours de certaines étiologies infectieuses, en particulier de la maladie des griffes du chat, des foyers postérieurs de rétinite peuvent être associés à un œdème papillaire pour constituer une neurorétinite [3]. Après une phase d’œdème rétinien, sa résorption est susceptible de laisser des exsudats stellaires particulièrement évocateurs du diagnostic (fig. 5-2-68).

Fig. 5-2-68
Neurorétinite stellaire au cours d’une infection à Bartonella henselae (maladie des griffes du chat) .

DEGRÉ D’URGENCE

Les uvéites antérieures et intermédiaires aiguës s’associent à un triage de prise en charge (PEC) de catégorie 4 (PEC médicale dans les 24 h), indépendamment de leur étiologie car elle n’est généralement pas identifiée à ce stade. Une uvéite aiguë postérieure avec rétinite est une urgence qui justifie un triage PEC de catégorie 3 (PEC médicale dans les 6 h).

BILAN
SÉROLOGIES

Le premier objectif de la démarche diagnostique initiale est l’identification d’une étiologie infectieuse, laquelle nécessite un traitement adapté spécifique. On s’aide ainsi des sérologies de bartonellose, syphilitique, de toxocarose, virale HTLV-1, ou plus spécifiques selon l’orientation diagnostique. La réalisation d’un test Quantiféron devant une uvéite granulomateuse peut être utile. Parfois, des manifestations extra-oculaires sont susceptibles d’apporter des éléments d’orientation. Ces manifestations peuvent être une fièvre, un contexte connu d’endocardite, des signes méningés francs associés ou des manifestations dermatologiques évocatrices. Les infections à Rickettsia responsables d’une fièvre boutonneuse méditerranéenne constituent un des exemples d’une situation de ce type. Toutefois, il est fréquent que les manifestations oculaires soient révélatrices de la maladie infectieuse. Les sérologies d’urgence permettent d’apporter la confirmation biologique d’une suspicion clinique. Dans certains cas, notamment avec endocardites associées, des hémocultures sont nécessaires.

ANALYSE DE L’HUMEUR AQUEUSE

Lorsque l’infection présumée est d’origine virale, les résultats des examens sérologiques n’ont pas de spécificité. En effet, la population adulte française est généralement immunisée contre les virus herpétiques en cause le plus souvent au cours des nécroses rétiniennes. La preuve diagnostique de l’infection nécessite donc une ponction de chambre antérieure pour la recherche par polymerase chain reaction (PCR) de l’acide désoxyribonucléique (ADN) des virus herpétiques (VZV et HSV-1 et 2) à partir d’un échantillon d’humeur aqueuse.

Lorsqu’une toxoplasmose oculaire est suspectée, une ponction de chambre antérieure peut être proposée en cas de doute diagnostique et si une décision thérapeutique découle du résultat de l’analyse. Le coefficient de Desmonts (ou de Goldmann-Witmer) a une meilleure sensibilité que la PCR à la recherche de l’ADN de Toxoplasma gondii , sauf chez les patients immunodéprimés, avec de très vastes foyers nécrotiques de rétinochoroïdite toxoplasmique.

La recherche d’une maladie de Whipple peut nécessiter la réalisation d’une PCR sur divers supports, dont éventuellement l’humeur aqueuse en cas de manifestation oculaire.

VITRECTOMIE DIAGNOSTIQUE D’URGENCE

La vitrectomie est surtout proposée pour les uvéites postérieures voire intermédiaires. Lorsque l’infection suspectée est bactérienne ou mycotique, sans élément extra-oculaire permettant d’apporter la preuve de l’infection, une vitrectomie à visée diagnostique est parfois indiquée. La mise en culture immédiate des échantillons vitréens nécessite une collaboration optimisée avec le service de bactériologie et/ou de parasitologie-mycologie.

TRAITEMENT

Lors d’une uvéite survenant à la suite d’une infection, un traitement spécifique de la bactérie ou du virus en cause est nécessaire. Devant une UAA sans diagnostic spécifique établi, il convient d’éliminer une infection avant d’instaurer un traitement anti-inflammatoire aux urgences. Il n’y a pas d’urgence à traiter une UIA avant son bilan étiologique complet. Il faut garder à l’esprit que toute inflammation intra-oculaire qui s’aggrave sous corticoïdes doit faire suspecter une pathologie infectieuse.

Une pathologie infectieuse active bactérienne (tuberculose, syphilis), virale (herpès, zona), parasitaire (toxoplasmose) contre-indique une corticothérapie locale, locorégionale (injection sous-ténonienne, latérobulbaire) ou intraveineuse (IV) à forte dose, de même que les anti-tumor necrosis factors (anti-TNF) qui sont des options thérapeutiques possibles des uvéites non infectieuses.

Cela justifie la surveillance étroite de l’évolution clinique de toute uvéite réputée non infectieuse et traitée par corticoïdes et/ou immunomodulateurs.

PAR VOIE INTRA-OCULAIRE
Antibiothérapie

Seules les endophtalmies endogènes (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Endophtalmie ») justifient un traitement comportant une antibiothérapie par voie intravitréenne. À la différence des endophtalmies, les étiologies infectieuses bactériennes d’uvéite postérieure ne justifient habituellement pas un traitement intra-oculaire. Le traitement d’une syphilis oculaire est celui d’une syphilis secondaire ou tertiaire. Une uvéite tuberculeuse justifie un traitement antituberculeux par voie générale. Les causes infectieuses d’uvéite postérieure telles que la maladie des griffes du chat ou les rickettsioses sont traitées par voie générale, sans adjonction d’une antibiothérapie intra-oculaire.

Traitements antiviraux

Dans les cas les plus sévères de nécroses rétiniennes aiguës, l’adjonction au traitement par voie générale d’injections intravitréennes de produits antiviraux peut être utile pour limiter la progression des zones de nécrose [4, 5]. Ces injections peuvent être par ganciclovir (200 à 400 ug pour 0,1 ml) ou par foscarnet (1,2 à 2,4 mg pour 0,1 ml).

Traitements antimycotiques

Lorsque le foyer infectieux n’a pas franchi la limitante interne, le traitement est habituellement exclusivement par voie générale. En revanche, lorsque l’infection est disséminée au vitré, une vitrectomie est généralement nécessaire. Celle-ci est habituellement associée à une injection intravitréenne antimycotique [6]. Le produit aujourd’hui le plus souvent utilisé est le voriconazole (100 ug/0,1 ml).

PAR VOIE GÉNÉRALE
Antibiothérapie par voie générale

Le traitement d’une uvéite postérieure en rapport avec une infection bactérienne repose essentiellement sur l’antibiothérapie par voie générale. Hormis les cas où l’infection est déjà connue ou ceux pour lesquels la présomption clinique est suffisamment forte, il est rare que l’antibiothérapie par voie générale soit débutée avant les résultats des examens sérol ogiques. La stratégie thérapeutique est donc différente de celles des endophtalmies, au cours desquels un traitement d’épreuve est débuté avant la confirmation bactériologique du diagnostic. Au cours des suspicions de tuberculose oculaire, la recherche de Mycobacterium tuberculosis ainsi que les tests in vitro de production de l’interféron gamma par les lymphocytes T, mis en contact avec des antigènes spécifiques de M. tuberculosis , sont effectués avant la mise en route du traitement antituberculeux. Au cours des syphilis oculaires, le traitement par pénicilline G IV est débuté après la confirmation du diagnostic [7]. Au cours des rickettsioses, le traitement est habituellement par doxycycline et celui au cours de la maladie des griffes du chat est habituellement par azithromycine [8].

Traitements antiparasitaires par voie générale

Les rétinochoroïdites toxoplasmiques constituent l’indication principale des traitements antiparasitaires au cours des uvéites postérieures. Le traitement classique est par l’association de sulfadiazine (3 g/j) et de pyriméthamine (50 mg/j) [9]. Toutefois, les réactions immuno-allergiques possibles liées à prise de sulfadiazine conduisent fréquemment à proposer plutôt un traitement par azithromycine (250 à 500 mg/j). Aucune donnée fondée sur des preuves ne permet actuellement de préférer une méthode thérapeutique plutôt qu’une autre. L’évolution spontanée vers la cicatrisation conduit fréquemment à une abstention thérapeutique lorsque les foyers de rétinochoroïdite sont périphériques et la réaction vitréenne limitée. Lorsque les foyers sont au pôle postérieur avec une menace pour la fonction visuelle, le traitement antitoxoplasmique est généralement prescrit pendant 48 heures avant l’association à une corticothérapie per os. Hormis la toxoplasmose oculaire, les autres indications de traitements antiparasitaires sont exceptionnelles. Au cours des toxocaroses oculaires, les traitements antiparasitaires sont généralement inefficaces. Dans ce contexte, le traitement est habituellement chirurgical, associé à une corticothérapie pour limiter la réaction inflammatoire.

Traitements antiviraux par voie générale

Les nécroses rétininiennes aiguës ( acute retinal necrosis [ARN]) nécessitent la prescription en urgence d’un traitement antiviral. Lorsque la présomption clinique du diagnostic est suffisamment forte, le traitement peut être débuté sans attendre les résultats de la ponction de chambre antérieure. Le traitement habituel initial d’urgence est par aciclovir IV 10 mg/kg toutes les 8 heures.

Traitements antimycotiques par voie générale

Le traitement le plus fréquemment utilisé au cours des candidoses intra-oculaires est le voriconazole, habituellement prescrit par voie orale à la posologie de 200 mg, 2 fois/j.

Corticothérapie en urgence

La corticothérapie est contre-indiquée tant que les étiologies infectieuses n’ont pas été éliminées ou contrôlées par le traitement anti-infectieux préalable.

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Urgences non traumatiques infectieuses vitréorétiniennes

M. SALEH

Les agents infectieux responsables d’atteintes vitreorétiniennes sont nombreux. Certaines infections méritent une attention toute particulière, comme la toxoplasmose du fait de sa fréquence, ou les nécroses rétiniennes virales du fait de leur gravité.

TOXOPLASMOSE OCULAIRE

La toxoplasmose oculaire est l’atteinte choriorétinienne d’origine infectieuse la plus fréquente (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »). Elle est due à Toxoplasma gondii , un protozoaire intracellulaire obligatoire.

SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux : la primo-infection est souvent asymptomatique ou associée à un syndrome pseudo-grippal avec présence d’adénopathies.

  • ±

    Spécifiques : l’atteinte oculaire peut être concomitante ou survenir plusieurs années après. Des myodésopsies sont possibles en cas de hyalite, et une baisse d’acuité visuelle en cas d’atteinte maculaire.

TERRAIN

La séroprévalence est variable en fonction du mode alimentaire et du niveau social, allant de 11 % en Norvège à 75 % dans certaines régions du Brésil. En France, la prévalence serait en moyenne de 44 % [1].

EXAMEN CLINIQUE

On retrouve un foyer blanchâtre profond à bords flous souvent aux abords d’une cicatrice pigmentée, associé à une hyalite de voisinage. Une vascularite est possible. Une uvéite antérieure, parfois sévère, est également possible avec précipités rétrodescemétiques (PRD) en graisse de mouton, synéchies et hypertonie oculaire. Le foyer choriorétinien cicatrise en 3 à 4 semaines et la hyalite peut persister. Il est souvent difficile de différencier l’infection acquise d’une réactivation d’une toxoplasmose congénitale (fig. 5-2-69).

Fig. 5-2-69
Réactivation maculaire d’une choriorétinite toxoplasmique.
Noter l’apparition de deux foyers blanchâtres ( d ; têtes de flèche du haut et du bas) de part et d’autre d’une cicatrice ancienne (tête de flèche du milieu). À l’angiographie (b, d), on note une diffusion du colorant au niveau des lésions. Le foyer du haut est responsable d’une vasculite de voisinage. À l’OCT (c), on retrouve un épaississement de la rétine externe et un petit décollement séreux rétinien. Encart (en a) : aspect à 6 mois des foyers cicatrisés qui laissent place à une petite plage d’atrophie de l’épithélium pigmentaire rétinien.

TYPE D’URGENCE

  • ±

    Délai maximal de prise en charge (PEC) : triage PEC de catégorie 4 ; classification infirmière des malades aux urgences de niveau 5 (CIMU 5).

  • ±

    Justification de PEC en urgence : seules les localisations maculaires représentent une urgence thérapeutique. L’abstention se discute en cas de foyers périphériques.

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES ET D’INTÉRÊT PARTICULIER POUR LA PRISE EN CHARGE EN URGENCE
Biologie

Le diagnostic des formes classiques est clinique. Néanmoins, une sérologie toxoplasmique est indispensable puisqu’une sérologie négative élimine une toxoplasmose. En cas de doute, une ponction de chambre antérieure (PCA) avec mesure de la charge immunitaire est utile. Il s’agit de réaliser le double rapport de Goldmann-Witmer ou coefficient de Desmonts (mesure du rapport IgG anti-Toxoplasma gondii sur IgG totaux dans l’humeur aqueuse/rapport IgG anti-Toxoplasma gondii sur IgG totaux dans le sang). Un rapport supérieur à 2 est évocateur de toxoplasmose oculaire. Ce rapport est faussé en cas de rupture de la barrière hématooculaire du fait d’une forte inflammation ou d’une ponction réalisée à un stade trop précoce. La combinaison de ce rapport avec la recherche d’acide désoxyribonucléique (ADN) amplifié par polymerase chain reaction (PCR) et d’une synthèse locale d’IgA par Western blot augmente le rendement de la recherche avec une sensibilité proche de 100 % [2].

Imagerie

À l’angiographie à la fluorescéine, le foyer est hypofluorescent par effet masque et s’imprègne rapidement de façon centripète à partir des berges. Les lésions pigmentées restent hypofluores-centes par effet masque avec possible patch d’hyperfluorescence en cas d’atrophie choriorétinienne. Une hyperfluorescence papillaire et un œdème maculaire cystoïde sont également fréquents (fig. 5-2-70). L’OCT retrouve une hyper-réflectivité de la rétine externe et peut mettre en évidence un décollement séreux rétinien (DSR) lié au foyer ou à une néovascularisation choroïdienne.

Fig. 5-2-70
Aspects angiographiques de choriorétinite toxoplasmique.
a, b. Imprégnation centripète de la lésion au fil de la séquence angiographique. c. Occlusion d’une branche temporale inférieure de la veine centrale de la rétine du fait d’une vasculite secondaire à un foyer toxoplasmique de voisinage. d. Cicatrice compliquée de néovaisseaux au stade de fibrose sous-rétinienne qui s’imprègne au temps tardif.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

L’œdème papillaire, les occlusions vasculaires ou la néovascularisation choroïdienne, voire des décollements de rétine rhegmatogènes ou tractionnels [3], peuvent être au premier plan. Les formes bilatérales sont liées à la toxoplasmose congénitale. Il existe également des différences de virulence des souches [4].

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

Le traitement antiparasitaire est actif sur les tachyzoïtes mais peu sur les kystes. Il vise à réduire la durée de l’épisode et le risque de récidive. Le traitement antiparasitaire comprend une association synergique de pyriméthamine (50 mg/j) et de sulfadiazine (3-4 g/j) qui bloque la synthèse d’acide folique. Une supplémentation par acide folique (25 mg, 2 fois/j) est nécessaire ainsi que la réalisation d’une numération formule sanguine (NFS) tous les 10 jours. Les effets indésirables immuno-allergiques, cutanées et hématologiques sont redoutés. L’azithromycine (250 mg/j), mieux tolérée, tend à remplacer la sulfadiazine [5]. Ce traitement est poursuivi sur une durée de 3 semaines. Une corticothérapie (1 mg/kg/j) peut être proposée 48 h après. Son arrêt, en fonction de l’évolution clinique, doit être progressif.

SURVEILLANCE

Les kystes sont résistants et leur rupture expose au risque de récidive qui concerne 1/4 à 4/5e des malades à 6 ans [6]. En cas de récidive fréquente, une prévention par cotrimoxazole est proposée (1 cp/3 j).

PRONOSTIC VISUEL

La cécité légale concernerait jusqu’à un quart des yeux touchés par la toxoplasmose.

TOXOCAROSE

La toxocarose est une zoonose parasitaire par un Toxocara canis , un ver rond de la classe des nématodes. L’atteinte oculaire est rare mais doit être évoquée chez l’enfant ou le jeune adulte.

TERRAIN

La séroprévalence est élevée en milieu rural et chez les personnes en contact répété avec des chiens et des chats. Malgré ce taux élevé, l’atteinte oculaire de la toxocarose est rare et ne compte que pour 0,6 % des uvéites [7]. L’âge moyen des patients diagnostiqués est de 5 à 7 ans, il est plus élevé si la contamination est due à la consommation de viandes crues.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

La contamination des jeunes enfants se fait le plus souvent par ingestion de sable souillé par les déjections canines contenant les larves ou les œufs de Toxocara.

EXAMEN CLINIQUE

Le syndrome de larva migrans viscérale est rare. L’atteinte oculaire est le plus souvent isolée et unilatérale (90 %). L’examen retrouve une uvéite intermédiaire ou postérieure. Le granulome choroïdien présent dans 25 à 50 % des cas [8], est blanchâtre, surélevé, et fait 1 à 4 diamètres papillaires. Il est localisé au niveau du pôle postérieur, parfois sur le nerf optique et est fréquemment accompagné d’hémorragies vitréennes ou de hyalite. Le centre grisâtre correspondrait au reliquat de la larve. L’inflammation vitréenne est importante jusqu’au tableau d’endophtalmie avec présence de traction vitréomaculaire et de plis rétiniens. Les formes périphériques se rencontrent chez les patients plus âgés.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Le diagnostic de toxocarose oculaire est fondé sur la clinique mais doit être confirmé par des tests sérologiques. Le test sérologique enzyme-linked immunosorbent assay (ELISA) sanguin a une sensibilité et une spécificité de 90 %. Sa négativité n’éliminant pas le diagnostic, il doit être associé à une PCA avec recherche d’anticorps spécifiques. Plusieurs techniques ont été rapportées (recherche d’IgE, coefficient de Goldmann-Witmer, Western blot ).

TYPE D’URGENCE

  • ±

    Délai maximal de prise en charge : le délai pour la prise en charge d’urgence est faible : triage PEC de catégorie 5, CIMU 4.

  • ±

    Justification de prise en charge : la toxocarose oculaire est responsable de baisse visuelle du fait de l’exsudation et des tractions vitréennes menant jusqu’à la phtyse. Il existe un risque d’amblyopie chez le jeune enfant.

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES ET D’INTÉRÊT PARTICULIER POUR LA PRISE EN CHARGE EN URGENCE

  • ±

    Biologie : il existe une hyperéosinophilie à la phase active.

  • ±

    Imagerie : à l’OCT, le granulome correspond à une masse hyper-réflective située au-dessus de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR). À l’échographie, on recherche une masse hautement échogène associée à des brides vitréennes.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

La toxocarose oculaire peut parfois évoquer un rétinoblastome ou une maladie de Coats, l’atteinte périphérique peut évoquer une vitréorétinopathie exsudative familiale (VREF).

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

Les rares cas de larva migrans (asthénie ; fièvre ; hépatosplénomégalie ; symptômes pulmonaires ; manifestations cutanées telles que de l’urticaire –, cardiaques ou neurologiques) nécessitent une hospitalisation dans un service adapté. Dans les autres cas, le traitement se fait en ambulatoire et dépend du stade de la maladie. Le traitement médical est inefficace sur la larve intra-oculaire qui finira par mourir. L’administration locale et/ou générale des corticoïdes est à adapter au cas par cas à l’importance de l’inflammation. La vitrectomie est utile en cas de décollements de rétine (DR) associé ou de hyalite persistante. En cas de larve encore mobile, sa photocoagulation a été rapportée, de même que son extraction chirurgicale [9]. L’adjonction d’albendazole se discute dans la phase précoce de l’infection durant laquelle la larve est encore vivante (fig. 5-2-71 et encadré 5-2-10 ). Elle est à éviter à un stade plus évolué du fait du risque iatrogénique.

Fig. 5-2-71
Conduite à tenir devant l’apparition d’une nécrose rétinienne aiguë.
CMV : cytomégalovirus ; EBV : Epstein-Barr virus ; IDR : intradermoréaction ; IVT : injection intravitréenne ; PCR : polymerase chain reaction ; RP : radiographie pulmonaire ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; VZV : varicella-zoster virus.
Encadré 5-2-10
Schéma thérapeutique habituel de traitement par albendazole (Zentel ® )

  • Posologie :

    • enfant de 1 à 2 ans : 200 mg, soit 5 ml (un demi-flacon de 10 ml) de suspension buvable à 4 % ;

    • adulte et enfant de plus de 2 ans : 400 mg, soit 1 flacon de 10 ml de suspension buvable à 4 % ou 1 comprimé à 400 mg ;

    • en prise unique.

  • Effets indésirables possibles : réactions d’hypersensibilité, céphalées, vertiges, symptômes gastro-intestinaux, élévation des enzymes hépatiques, syndrome de Stevens-Johnson.

SURVEILLANCE

Des mesures prophylactiques comme changer les litières, empêcher la géophagie, vermifuger les animaux de compagnie et cuire les viandes sont nécessaires.

PRONOSTIC VISUEL

La perte visuelle, l’amblyopie et la phtyse sont redoutées. Le pronostic dépend de plusieurs facteurs dont l’âge, la localisation ou l’inflammation locale.

MALADIE DES GRIFFES DU CHAT

Le diagnostic de bartonellose repose sur la clinique. Cependant, ni la notion de griffure ni la neurorétinite ne sont obligatoires pour évoquer le diagnostic.

SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux : un syndrome pseudo-grippal est possible.

  • ±

    Spécifiques : aucun signe clinique n’est vraiment spécifique du diagnostic. La présence d’une neurorétinite stellaire, étoile maculaire par accumulation stellaire de lipides, n’est ni systématique ni pathognomonique.

TERRAIN

Il s’agit d’une zoonose liée à une infection par Bartonella henselae. L’incidence de l’infection à Bartonnella est d’environ 5 000 cas/an en France. Le pic d’infection survient chez les jeunes adultes, le plus souvent en hiver. Le réservoir étant le chat (chaton ; chat errant, infecté par les puces), la transmission à l’homme se fait par morsure ou griffure, voire léchage d’une plaie. Les vétérinaires sont des sujets à risque. Seuls 2 % des patients infectés présentent une neurorétinite.

EXAMEN CLINIQUE

L’atteinte oculaire est le plus souvent unilatérale (83 %). L’acuité initiale est variable (compte les doigts ou CLD à 10/10). Un déficit du réflexe photomoteur direct est présent (90 %). Une uvéite granulomateuse ou non peut être présente. Au niveau du fond d’œil (FO), la neuropathie optique est au premier plan. La présence d’une étoile maculaire par accumulation stellaire de lipides formant la neurorétinite stellaire n’est pas systématique (50 %) (fig. 5-2-72). Des taches blanches superficielles du fond d’œil de 100 à 300 μm sont possibles. Des cas de choroïdites focales avec parfois signes de vasculite ou d’exsudation importante ont été rapportés.

Fig. 5-2-72
Neurorétinite stellaire secondaire à une maladie des griffes du chat. Évolution de l’aspect OCT à 6 mois.

EXAMENS PARACLINIQUES

Les sérologies de la toxoplasmose, de la syphilis et de la maladie de Lyme doivent être systématiquement associées à celle de la maladie des griffes du chat devant toute neurorétinite.

Biologie

Les hémocultures doivent être transportées dans la carboglace à −20 °C. La culture est difficile. Le diagnostic biologique repose sur la sérologie (immunofluorescence indirecte et méthode ELISA) et la PCR. Les résultats de la sérologie doivent être interprétés avec précaution : une sérologie négative peut se positiver plusieurs semaines après le début des signes cliniques. À l’inverse, il existe des réactions croisées responsables de faux positifs. Un taux élevé d’IgG est souhaitable pour conforter le diagnostic. La recherche génomique par PCR peut se faire sur l’humeur aqueuse ou sur une biopsie ganglionnaire (spécificité de 100 % mais sensibilité variable de 58 à 96 % [10]). Une PCR négative n’élimine donc pas le diagnostic d’autant plus si la sérologie est positive.

Imagerie

Les signes étant non spécifiques, un bilan rétinien comprenant OCT et angiofluorographie s’impose (voir fig. 5-2-72).

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Une atteinte vitréenne ou des taches blanches isolées rétiniennes et choroïdiennes sont possibles. Des lésions angiomateuses prépapillaires ont également été rapportées [11]. Une occlusion vasculaire à proximité du foyer est plus rare.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Syphilis, maladie de Lyme, toxopiasmose, tuberculose et sarcoïdose sont également responsables de neurorétinite.

TYPE D’URGENCE

Délai maximal de PEC : triage PEC de catégorie 5.

PRISE EN CHARGE

Le traitement est ambulatoire. Bien que ce dernier ne soit pas codifié, un traitement antibiocorticoïde est souvent prescrit. Bartonella henselae est sensible à plusieurs classes d’antibiotiques dont la rifamycine, les fluoroquinolones, les cyclines et les macrolides. L’azithromycine a l’avantage d’être bien tolérée et autorisée chez l’enfant. La durée du traitement est de 2 à 3 semaines. L’association à une corticothérapie par voie générale, pour écourter la période d’œdème papillaire, est préconisée. À l’inverse, l’abstention thérapeutique se discute parfois [12].

PRONOSTIC VISUEL

Le pronostic est habituellement bon. Des séquelles à type d’amputation du champ visuel ou de baisse visuelle sont néanmoins possibles dans un tiers des cas [13].

NÉCROSE RÉTINIENNE AIGUË

La nécrose rétinienne aiguë ( acute retinal necrosis [ARN]) est une atteinte rare mais grave qui associe un ou plusieurs sites de nécrose rétinienne à des signes d’occlusions vasculaires et à des signes inflammatoires menant parfois au DR et à la cécité.

SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux : ils sont le plus souvent absents.

  • ±

    Spécifiques : baisse visuelle, photophobie, myodésopsies ou d’autres signes de DR sont possibles.

TERRAIN

L’ARN survient chez des sujets jeunes immunocompétents. La distribution est bimodale avec un pic vers les 20 ans (plutôt herpes simplex virus type 2 [HSV-2]) et un autre vers les 50 ans (HSV-1). Les hommes seraient plus touchés. L’incidence serait d’un cas pour 2 millions d’habitants [14] et en augmentation. Quelques cas de nécrose secondaires à l’ Epstein-Barr virus (EBV) ont été rapportés dans la littérature.

EXAMEN CLINIQUE

L’œil peut être rouge, parfois douloureux. Une uvéite antérieure parfois granulomateuse est possible. Le FO retrouve une hyalite laissant entrevoir une rétine ischémique périphérique de coloration jaune blanchâtre parsemée d’hémorragies rétiniennes avec présence de vasculites aussi bien veineuses qu’artérielles. Un œdème papillaire est fréquent. Des déchirures rétiniennes et des hémorragies vitréennes peuvent être associées. Des formes plus chroniques et parfois non nécrosantes ont été rapportées.

TYPE D’URGENCE

  • ±

    Délai maximal de PEC : triage PEC de catégorie 3, CIMU 4.

  • ±

    Justification de PEC : il existe un risque de cécité rapide. Le taux de DR sur nécrose rétinienne est élevé (jusqu’à 50 % des cas). Il existe par ailleurs un risque de bilatéralisation important en absence de traitement antiviral adapté. Ce risque serait d’environ 1/3 dans les six premières semaines. Des atteintes plus tardives survenant plusieurs années après ont été rapportées [15].

EXAMENS PARACLINIQUES
Biologie

Le diagnostic est clinique. Néanmoins, des prélèvements oculaires (humeur aqueuse ou vitré) avec recherche virale par PCR sont utiles pour le confirmer. La sensibilité de la PCR diminue en cas de prise d’antiviraux. Quelques auteurs ont prôné de réitérer les prélèvements pour monitorer l’efficacité du traitement [16]. Une sérologie VIH (virus de l’immunodéficience humaine), syphilis, toxoplasmose ainsi que la réalisation d’une intradermoréaction (IDR) et d’une radiographie pulmonaire (RP) à la recherche d’une tuberculose sont utiles pour préciser le contexte et éliminer les diagnostics différentiels. Un bilan préthérapeutique incluant une clairance de la créatine est nécessaire.

Imagerie

L’angiographie à la fluorescéine retrouve une hypofluorescence des zones nécrotiques avec diffusion tardive ainsi que des signes de vasculites et une diffusion au niveau du nerf optique. Une IRM centrée sur les nerfs optiques permet de rechercher une extension axonale de l’infection vers les corps géniculés externes.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

HSV-1, HSV-2, varicella-zoster virus (VZV) et plus rarement le cytomégalovirus (CMV) ou l’EBV sont en cause. Une forme particulière appelée progressive outer retinal necrosis (PORN) a été décrite chez les patients immunodéprimés. La nécrose rétinienne y est associée à des signes modérés d’inflammation [17].

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

La sarcoïdose, la maladie de Behçet, les autres atteintes infectieuses comme les endophtalmies bactériennes ou mycotiques, la toxoplasmose, la rétinite à CMV, la syphilis ou les infections oculaires liées au VIH sont à éliminer selon le contexte.

PRISE EN CHARGE

La rapidité de la prise en charge permet de limiter les séquelles visuelles secondaires à la nécrose rétinienne [18] :

  • ±

    la prise d’antiviraux par voie orale, comme le valaciclovir (Zelitrex® 1 g, 3 fois/j) ou le famciclovir (Oravir ® 500 mg, 2 fois/j), offre une biodisponibilité proche de celle de l’aciclovir IV et permet de traiter en ambulatoire les patients les moins gravement atteints. La dose doit être adaptée à la fonction rénale ;

  • ±

    le recours aux injections intravitréennes (IVT) est possible : foscarnet (Foscavir® ) 2,4 mg/0,1 ml ou ganciclovir 2 mg/0,1 ml. Les IVT peuvent être renouvelées 2 à 3 fois/semaine ;

  • ±

    l’adjonction de corticostéroïdes peut être envisagée 48 heures après l’instauration de traitement antiviral ;

  • ±

    en cas d’atteinte sévère et/ou de DR associé, le recours à la chirurgie est préconisé. La vitrectomie avec tamponnement par silicone permet de réaliser les prélèvements virologiques et la cure d’un DR, et d’endophotocoaguler les zones nécrotiques.

SURVEILLANCE

Les nouvelles lésions rétiniennes sont exceptionnelles 48 h après l’instauration du traitement antiviral. Un barrage laser rétinien périphérique, postérieur aux lésions rétiniennes, diminue les risques de DR. Le FO controlatéral doit être régulièrement examiné devant le risque de bilatéralisation. La durée de traitement est en moyenne de 3 mois et peut être prolongée en fonction du statut immunitaire. La résistance à l’aciclovir est rare chez l’immunocompétent. Elle est de 1 % pour l’herpès mais peut aller jusqu’à 14 % chez l’immunodéprimé ou le patient traité au long cours [19]. Ces souches restent néanmoins sensibles au foscarnet.

PRONOSTIC

L’atteinte maculaire ischémique ou par DR est de mauvais pronostic. Le risque de bilatéralisation est aujourd’hui réduit à 3-13 % contre 75 % auparavant [14]. Le VZV serait responsable de 2,5 fois plus DR que l’HSV [20]. Les IVT de foscarnet diminueraient ce risque.

RÉTINITE À CYTOMÉGALOVIRUS

Le CMV est un virus à ADN de la famille des Herpesviridae. Avec la diminution du nombre de patients au stade du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), la rétinite à CMV se fait plus rare. Les immunodéprimés dont les patients greffés restent à risque.

SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux : une atteinte multiviscérale est possible en présence d’une virémie à CMV.

  • ±

    Spécifiques : l’atteinte oculaire est le plus souvent asymptomatique en cas d’atteinte rétinienne périphérique. Des myodésopsies et/ou une baisse visuelle s’en suivent. En cas d’atteinte maculaire initiale, la vision est effondrée.

TERRAIN

Le CMV infecte 50 à 80 % de la population adulte. Chez l’immunocompétent, l’infection est asymptomatique. En cas d’immunodépression, en particulier chez les greffés et les patients porteurs du VIH, le CMV peut être responsable d’atteintes multiviscérale et de rétinite. L’incidence a nettement diminué depuis l’essor des traitements antiviraux ( highly active antiretroviral therapy [HAART]) chez les patients VIH et se situe autour de 0,36 % par an. Le risque est maximal si le taux de CD4 ( clusters de différenciation 4) est < 50 cellules/μl [21]. Chez les sujets greffés, près d’un quart de ceux présentant une virémie à CMV va présenter une rétinite associée [22].

EXAMEN CLINIQUE

L’œil est blanc et indolore. L’atteinte débutante est le plus souvent unilatérale. Des PRD stellaires et fins sont possibles. L’inflammation est minime sauf en cas de reconstitution immunitaire sous HAART. Le FO met en évidence une ou deux zones de rétinite au voisinage des vaisseaux traduisant la dissémination hématogène du virus. Ces zones associent hémorragies rétiniennes et plages de nécrose de couleur blanc jaunâtre ainsi que de possibles nodules cotonneux (fig. 5-2-73). L’extension se fait vers le pôle postérieur et l’extension de la rétinite suit le trajet des fibres nerveuses rétiniennes (fig. 5-2-74). Des lésions très périphériques peuvent passer inaperçues. Une neuropathie optique est possible même sans atteinte rétinienne. À la phase cicatricielle, les plages de rétinite laissent place à des zones d’atrophie et de remaniements pigmentaires. L’atrophie optique tardive est fréquente.

Fig. 5-2-73
Rétinite à CMV alternant zones ischémiques et hémorragiques chez un patient séropositif avec un taux de CD4 à 14/mm 3 .
Fig. 5-2-74
Atteintes rétiniennes d’origine virale.
a. Rétinite à VIH avec présence de nodules cotonneux épars au pôle postérieur (flèches). b. Rétinite à CMV. Présence d’hémorragies rétiniennes (flèche noire) et d’une occlusion vasculaire responsable d’un aspect en arbre mort (flèche grise), et engainement vasculaire évoquant un début d’angéite givrée (flèche blanche). c. Nécrose rétinienne aiguë par HSV-2. Aspect peropératoire après vitrectomie centrale. La nécrose circonférentielle (flèches noires) est associée à un décollement de rétine périphérique.

TYPE D’URGENCE

Délai maximal de prise en charge : triage PEC de catégorie 4, CIMU 4.

EXAMENS PARACLINIQUES
Biologie

La sérologie VIH est nécessaire si le statut sérologique est inconnu. En cas de doute, la recherche du CMV par PCR est possible sur différents liquides dont le vitré. Une sérologie de la toxoplasmose et de la syphilis est utile au diagnostic différentiel.

Imagerie

L’angiographie à la fluorescéine met en évidence les zones de non-perfusion rétinienne. La réalisation d’une rétinographie est utile pour juger de l’évolution des lésions.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

L’angéite givrée est une forme particulière de vascularite associée à la rétinite à CMV. Une atteinte prédominant au pôle postérieur (10 %), un DR périphérique sur nécrose rétinienne sont également possibles (5–50 % à 1 an selon les études).

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

L’état immunitaire permet de différencier les cas d’ARN de la rétinite à CMV, une maladie d’évolution plus lente. La syphilis sera éliminée ainsi que la possibilité d’une rétinopathie au VIH.

PRISE EN CHARGE

En cas de VIH, le traitement sera coordonné par l’infectiologue. En plus du traitement antiviral HAART, un traitement visant le CMV sera instauré. Le ganciclovir, en agissant sur l’ADN polymérase, va inhiber la réplication virale. L’implant de ganciclovir permet une libération continue (1 λg/h) pendant 8 mois. Cette voie réduit le risque de progression et de DR par rapport à la voie IV, tout en évitant les effets indésirables systémiques du ganciclovir (risque d’agranulocytose, pancytopénie), cependant elle ne diminue pas le risque de bilatéralisation (67 % contre 15 % dans le groupe IV) [23]. En l’absence d’infection à VIH, les IVT de ganciclovir seuls sont possibles si l’atteinte est strictement oculaire (tableau 5-2-20).

Tableau 5-2-20
Traitements antiviraux systémiques et intravitréens dans le traitement de la rétinite à cytomégalovirus.
Molécule Voie Posologie Effets indésirables
Antiviraux systémiques
Valganciclovir Orale
  • Induction:900 mg, 2 fois/j pendant 3 mois

  • Entretien:900 mg/j

Diarrhée (38 %), nausée (23 %), neutropénie (10 %), anémie (12 %), thrombocytopénie (2 %)
Ganciclovir IV
  • Induction:5 mg/kg/12h, pendant 2 à 3 semaines

  • Entretien:5 mg/kg/j

Granulocytopénie (33 %), atteinte neurologique, hépatique, thrombocytopénie
Foscarnet IV
  • Induction:90 mg/kg, 2 fois/j pendant 2 à 3 semaines

  • Entretien:90 mg/kg/j

Néphrotoxicité, neutropénie, anémie, hypocalcémie, Anomalies magnésium, phosphate
Cidofovir IV
  • Induction:5 mg/kg, 1 fois/semaine pendant 2 à 3 semaines

  • Entretien:alterner 3 à 5 mg/kg/semaine

Iridocyclite (50 %), hypotonie oculaire La probénécide et l'hydratation réduisent la néphrotoxicité
Antiviraux intravitréens
Ganciclovir IVT
  • Induction:2 mg, 2 fois/semaine

  • Entretien:2 mg/semaine 5 mg/semaine possible

Foscarnet IVT
  • Induction:2,4 mg, 1 à 2 fois/semaine

  • Entretien:2,4 mg/semaine

Cidofovir IVT
  • 20 ug toutes les 5 à 6 semaines Demi-vie longue

  • Probénécide:2 g par voie orale, 2 h avant l'injection 1 g, 2 et 8 h après l'injection

Risque d'hypotonie et d'iridocyclite
IV:voie intraveineuse; IVT:injection intravitréenne.
(Source:Yeung IYL, Downes KM, Cunningham E, Sen N. Reduced CMV retinitis:incidence, still a threat. Review of Ophthalmology 2016, may 10. En ligne: https://www.reviewofophthalmology.com/article/cmv-retinitis-reduced-incidence-still-a-threat)

Une moyenne de cinq IVT est dans ce cas nécessaire avec une résolution qui survient en moyenne à 1,8 mois [24]. Le DR sur nécrose rétinienne nécessite une vitrectomie et un tamponnement par silicone. La photocoagulation des trous rétiniens est souhaitable. Cependant, le cerclage préventif sur l’œil adelphe semble inutile.

SURVEILLANCE

Chez le patient VIH, le monitorage de la charge virale et du taux de CD4 est utile. Dans tous les cas, des FO réguliers permettent de détecter précocement une récidive :

  • ±

    CD4 < 50 cellules/μl : 35 % de risque de rétinite à CMV (médiane 13 mois), FO tous les 3 mois ;

  • ±

    CD4 ≈ 50-100 cellules/μl : risque faible, FO tous les 6 mois ;

  • ±

    CD4 > 100 cellules/μl : FO une fois par an ;

  • ±

    si CD4 > 50 cellules/μl mais avec initiation récente du traitement antirétroviral : FO rapprochés.

Les réactivations à CMV après greffe apparaissent à une médiane de 199 jours de cette dernière, à des taux de CD4 plus élevés et à des charges virales plus faibles. L’examen du fond d’œil est à adapter chez ces patients selon le niveau de virémie [22].

PRONOSTIC

Il existe un risque de bilatéralisation de 20 % à 6 mois malgré un traitement antiviral bien conduit. Avant l’avènement des traitements HAART, ce taux atteignait les 50 % [25]. Le risque de DR varie en fonction des séries de 5 à 50 %. La rétinite à CMV est potentiellement cécitante, en particulier en cas de DR ou d’atteinte du pôle postérieur. Sous traitement adapté, la résolution est systématique mais, en cas d’immunodépression persistante et d’arrêt prématuré du traitement, la récidive sera inévitable. Enfin, la résistance au ganciclovir augmente avec la durée du traitement, pouvant atteindre jusqu’à 27,5 % pour des traitements administrés pendant 9 mois [26].

D’autres agents pathogènes sont responsables d’atteintes infectieuses du fond d’œil qui peuvent parfois mener à consulter en urgence. Leur évocation se fera en fonction du contexte (tableau 5-2-21).

Tableau 5-2-21
Autres atteintes choriorétiniennes infectieuses pouvant nécessiter une consultation en urgence.
Agent causal Atteinte systémique Atteintes choriorétiniennes
Virus West Nile Asymptomatique (80 %), fièvre, éruption cutanée, syndrome grippal, méningo-encéphalite Choriorétinite multifocale bilatérale avec disposition linéaire des lésions quasi-pathognomoniques, neuropathie optique, vasculite
Virus Chikungunya Asymptomatique (5 %), polyarthralgie aiguë fébrile Hyalite modérée, nécrose rétinienne possible
Virus human T-lymphotropic virus type 1 (HTLV-1) Asymptomatique Vascularites rétiniennes associées à une infiltration lymphomateuse, dégénérescence tapétorétinienne
Mycobacterium tuberculosis Tuberculose miliaire Tuberculomes choroïdiens, pseudo-choroïdite serpigineuse, uvéite, vasculites, neuropathie optique
Borrelia burgdorferi Érythème chronique migrant, arthrites, neuropathie, cardiomyopathie Vascularite, choroïdite multifocale, uvéite, neurorétinite, neuropathie optique
Leptospire Phase tardive de la leptospirose Neurorétinite, panuvéite, neuropathie optique, vasculite
Tropheryma whipplei Atteintes multiviscérales (malabsorption, arthralgies, atteinte neurologique, etc.) de la maladie de Whipple Panuvéite, neuropathie optique, vasculite, néovascularisation prépapillaire
Rickettsies Fièvre, éruption cutanée (typhus murin, fièvre boutonneuse méditerranéenne, etc.) Neurorétinite, uvéite, neuropathie optique, vasculite
Treponema pallidum Le patient est asymptomatique pendant la phase de latence suivant le chancre Uvéite antérieure, hyalite, papillite, vasculite artérielle et veineuse, choriorétinite placoïde associée à des zones évocatrices d'atrophie de l'épithélium pigmentaire évocatrice
Pneumocystis jiroveci Patient au stade Sida, pneumocystose disséminée Choriorétinite multifocale bilatérale (lésions rondes, jaunâtres, légèrement surélevées, siégeant au pôle postérieur sans inflammation associée)
Infections mycotiques Voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Endophtalmie »

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Endophtalmie

C. CHIQUET

ENDOPHTALMIE AIGUË

Points forts

  • L’endophtalmie aiguë est principalement d’origine exogène (postopératoire, post-traumatique) et plus rarement endogène. Une meilleure antisepsie et antibioprophylaxie a diminué son incidence.

  • Le diagnostic d’infection postopératoire doit être évoqué devant toute inflammation du segment antérieur et postérieur. Le principal diagnostic différentiel est le syndrome toxique.

  • L’enjeu pronostique nécessite une hospitalisation, une injection intravitréenne d’antibiotiques (vancomycine, ceftazidime) et, selon la présentation clinique initiale ou l’évolution dans les premières heures, une vitrectomie postérieure.

  • L’infection de bulle de filtration de trabéculectomie est responsable de la majorité des endophtalmies aiguës retardées, à distance de la chirurgie filtrante (plusieurs mois ou années). Des bactéries virulentes sont fréquemment impliquées.

  • L’endophtalmie endogène doit être évoquée d’emblée en cas de facteur de risque systémique (diabète ; suite de chirurgie invasive, d’endoscopie ; cathétérisme vasculaire prolongé ; hémodialyse ; immunosuppression ; cancer ; drépanocytose ; lupus érythémateux disséminé) et nécessite une prise en charge thérapeutique urgente et un bilan étiologique approfondi.

L’endophtalmie peut être définie comme une réponse inflammatoire à une invasion bactérienne, fongique ou parasitaire de l’œil [1]. Sur le plan épidémiologique, les endophtalmies bactériennes sont principalement d’origine exogène (postopératoire, 62 % ou post-traumatique, 20 %), plus rarement d’origine endogène (8 %) [2]. Cette complication est redoutée et redoutable même si le pronostic fonctionnel s’est amélioré depuis 20 ans [3]. L’incidence est variable en fonction du type de chirurgie et a diminué ces dix dernières années [4, 5]. Il existerait ainsi en France, toutes causes confondues, 600 à 1 000 cas d’endophtalmie aiguë par an.

Étant donné la gravité de l’infection et l’évolutivité rapide des lésions, il apparaît indispensable d’en faire le diagnostic dans les meilleurs délais. Une reconnaissance rapide de l’endophtalmie conditionne directement la prise en charge thérapeutique et le pronostic oculaire [6]. Le diagnostic étiologique microbiologique bénéficie des techniques de biologie moléculaire ( polymerase chain reaction [PCR]) afin d’identifier le génome bactérien et/ou fongique dans des échantillons oculaires.

PRÉSENTATION CLINIQUE : FORME AIGUË

La forme d’endophtalmie aiguë post-chirurgie de la cataracte est la plus typique et est décrite ci-dessous.

Signes fonctionnels

L’analyse des signes fonctionnels et des signes oculaires permet dans la plupart des cas de faire le diagnostic ou de l’évoquer. Il s’agit d’une baisse de l’acuité visuelle dans 98 % des cas, d’une douleur intense dans 75 % des cas, et d’un épiphora et/ou d’une photophobie [7, 8]. Le tableau infectieux est brutal, précoce, s’établissant dans les heures qui suivent l’intervention.

Signes de l’examen

Les signes sont le plus souvent : une perte du reflet pupillaire, une hyperhémie conjonctivale (81 %), un trouble de l’humeur aqueuse (75 %), un hypopion (75 %, fig. 5-2-75), la présence de fibrine ou d’une membrane cyclitique en chambre antérieure (90 %, fig. 5-2-76 et 5-2-77), un œdème de cornée (40 %), un iris aréactif et parfois un œdème palpébral (35 %). L’examen du fond d’œil est le plus souvent rendu difficile ou impossible du fait du trouble des milieux (notamment la membrane cyclitique devant l’implant et l’iris, fig. 5-2-78) et de l’importance de la hyalite. Lorsque le fond d’œil est analysable, il faut rechercher les hémorragies rétiniennes et les signes de vascularites, fréquemment retrouvés au moment de la vitrectomie thérapeutique (fig. 5-2-79) [9].

Fig. 5-2-75
Hypopion survenant 3 jours après chirurgie de la cataracte, avec hyperhémie conjonctivale très modeste.
Fig. 5-2-76
Membrane cyclitique débutante, visible uniquement après dilatation pupillaire.
Fig. 5-2-77
Membrane cyclitique épaisse, gênant la visualisation du fond d’œil.
Fig. 5-2-78
Trouble des milieux empêchant toute analyse du fond d’œil : œdème de cornée, membrane cyclitique épaisse entraînant myosis, hémorragies iriennes et hypopion.
Fig. 5-2-79
Visualisation du fond d’œil montrant des hémorragies rétiniennes, une vascularite rétinienne et des abcès intravitréens débutants.

La présentation clinique et le pronostic final sont en partie liés au germe incriminé. Le spectre bactérien impliqué dans les endophtalmies postopératoires dépend du type de chirurgie et des facteurs de risque associés. Par ailleurs, les germes les plus virulents donneront volontiers des tableaux cliniques gravissimes, avec des délais relativement courts après la chirurgie (fig. 5-2-80).

Fig. 5-2-80
Évolution sur 48 heures d’une endophtalmie aiguë ( a à f ) traitée par injection intravitréenne d’antibiotiques et vitrectomie postérieure .
Évolution très péjorative liée à la virulence bactérienne ( S. pneumoniae ).

Corrélations microbio-cliniques

Suivant la date d’apparition des signes, l’endophtalmie aiguë prend place la première semaine postopératoire, la forme subaiguë s’étend de la deuxième semaine à la fin de la quatrième semaine postopératoire, alors que la forme chronique débute après le premier ou le deuxième mois. Les formes cliniques dépendent de la virulence du germe, des défenses immunologiques du patient et des traitements prophylactiques institués. L’endophtalmie subaiguë est fréquente, s’accompagnant de douleur oculaire modérée, voire absente dans 20 à 40 % des cas. L’inflammation du segment antérieur et du vitré laisse parfois entrevoir le fond d’œil à la recherche d’hémorragies et de périphlébites.

Le tableau 5-2-22 synthétise les données microbiologiques et cliniques des études EVS [10] et FRIENDS [8]. Dans l’étude EVS [10], il existe une corrélation entre une infection par germes virulents bactéries à Gram négatif (BGN), cocci à Gram positif (CGP), autres que staphylocoques à coagulase négative (SCN) – et le délai de survenue de l’endophtalmie inférieur ou égal à 2 jours, la baisse d’acuité visuelle sévère (perceptions lumineuses à l’admission), l’absence de lueur pupillaire, la présence d’un infiltrat cornéen, une déhiscence de la cicatrice cornéenne et la survenue peropératoire de rupture capsulaire et d’incarcération vitréenne. Un fond d’œil analysable est associé à l’absence de BGN et à une probabilité importante de Staphylococcus epidermidis.

Tableau 5-2-22
Caractéristiques épidémiologiques, microbiologiques des endophtalmies postopératoires et post-traumatiques.
Chirurgies Épidémiologie (incidence, facteurs de risque) Caractéristiques microbiologiques
Cataracte
  • Incidence de 0,012 % à 1,3 % [136]

  • FDR associés à l'EPO [136] dont 5 retrouvés par l'ESCRS [137]:technique manuelle par rapport à la PKE (OR:2,2) incision en cornée claire par rapport à un tunnel scléral (OR:3,6; ESCRS OR:5,8) pas d'injection intracamérulaire de céfazoline (OR:10,7) ou céfuroxime (OR:5,8; ESCRS OR:4,9) rupture capsulaire postérieure (OR:6,3) complications peropératoires (OR:5,3; ESCRS OR:4,9) implant en silicone (OR:3; ESCRS OR:3,1) patient de sexe masculin (OR:1,4; ESCRS OR:2,7) âge > 85 ans (OR:1,5) [136]

  • Bactéries à Gram positif:de 94 % [10, 11, 30] à 97 % [21]

  • SCN, dont S. epidermidis [21, 136, 138] = 30–80 %, S. aureus = 7 à 20 %, streptocoques = 9 à 35 % Entérocoques et BGN < 5 %

Glaucome:endophtalmie aiguë Incidence de 0,2 % [139] Les bactéries plus virulentes sont plus fréquentes comme S. aureus, S pneumoniae et les autres Streptococcus spp. oropharyngés [65]
Glaucome:endophtalmie aiguë à début retardé Incidence de 0,4–9,6 % sur 6 ans [66, 139, 140] FDR associés:usage des antimétabolites [67, 141] bulle de filtration kystique et fine [142] needling de la bulle lambeaux conjonctivaux limbiques lyse de suture par laser [66, 143] Les conjonctives remaniées favorisent la pénétration des bactéries comme les streptocoques, Moraxella [29, 144] et les autres BGN Prédominance des streptocoques (22–57 %) et des BGN ( H. influenzae, P. aeruginosa ) [69, 145, 146] D'autres germes sont également en cause, notamment Moraxella [144, 147–150], Enterococcus, Serratia marcescens, P. acnes (notamment dans les cas d'endophtalmie aiguë). Une augmentation récente de la fréquence des staphylocoques et de Enterococcus (7–16 %) a été rapportée dans les formes retardées [65–67]
Kératoplastie transfixiante Incidence de 0,08–0,7 % [151–154]
  • Prédominance = cocci à Gram positif

  • ( S. epidermidis, S. aureus, S. pneumoniae, 77 %)

  • BGN = Proteus mirabilis et Serratia marcescens [151]

Vitrectomie postérieure
  • Incidence de 0,02–0,05 % [155, 156]

  • FDR associé = diabète

  • L'augmentation d'incidence de la vitrectomie transconjonctivale en 2007 [157] n'a pas été confirmée récemment

Absence de spectre bactérien spécifique
IVT
  • Incidence de 0 à 0,092 % [57, 59, 158–168]

  • Deux méta-analyses = incidence de 0,056 % et 0,049 % [161, 165] Une étude française (31 6576 IVT) = incidence de 0,011 % [169] Risque cumulatif individuel de chaque IVT > 1 % après 2 ans [170]

L'identification bactérienne est réalisée dans 30 à 60 % des cas [58, 167, 168] CGP = 95 % avec SCN = 60 %; streptocoques = 25 % [161, 165, 169, 171, 172]
Traumatisme oculaire Incidence de 4–13 % [84], variant de 6 à 30 % avec CEIO [79, 80, 82, 132, 173–179] FDR associé:présence d'un CEIO [179, 180] atteinte cristallinienne initiale plaie cornéenne [180] plaie du segment postérieur et/ou un délai > 24 h pour la prise en charge chirurgicale (13,5 % versus 3,5 %) [175, 181]
  • Principalement bactérien [74, 79, 80, 82, 84, 174, 182–184], plus rarement fongique (4–14 %) [79, 80, 85, 173, 174, 174, 185, 186]

  • S. epidermidis = 22–42 % seulement, Bacillus = 11–29 %, streptocoques = 11–14 %, BGN = 10–22 % [76, 78, 79, 82, 84, 181, 187, 188]

  • Infections mixtes = 5–47 %;

  • élevées dans ce contexte [78–80, 82, 173, 189–191] (BGN sur-représentés)

BGN:bacilles à Gram négatif; CEIO:corps étranger intracornéen; CGP:cocci à Gram positif; EPO:endophtalmie post-opératoire; ESCRS:European Society of Cataract & Refractive Surgeons; FDR:facteur de risque; IVT:injection intravitréenne; OR: odds ratio ; PKE:phacoémulsification; SCN:staphylocoques à coagulase négative.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Les examens complémentaires comprennent :

  • ±

    l’échographie oculaire en mode B, en cas de doute diagnostique pour objectiver un trouble du vitré et avant vitrectomie postérieure, afin de rechercher un décollement postérieur du vitré (qui facilitera la vitrectomie) et s’assurer de l’absence de décollement de rétine ou décollement choroïdien ;

  • ±

    les prélèvements microbiologiques d’humeur aqueuse et de vitré permettant le diagnostic microbiologique.

Échographie oculaire en mode B

Dans les atteintes minimes, de fins échos sont présents au sein du vitré, ils sont de répartition assez homogène et d’échogénicité faible (fig. 5-2-81). Leur densité est croissante avec le degré de l’inflammation (fig. 5-2-82) évoluant vers la formation de mottes plus échogènes, dans un ensemble hétérogène. La mobilité de l’ensemble dépend de l’état de sénescence du vitré, de l’importance de l’inflammation et du degré d’organisation du gel vitréen. L’ensemble est relativement mobile dans les inflammations minimes à modérées, en particulier lorsque le décollement total de la hyaloïde est déjà constitué (fig. 5-2-82). Il apparaît rapidement plus figé dans les formes très inflammatoires et vite amorti lors des mouvements oculaires.
Le vitré antérieur ne peut pas être visualisé par l’échographie en mode B à 10 Mhz. Seule l’utilisation de l’échographie de très haute fréquence (avec une sonde de 30 à 50 Mhz, de type ultrasound biomicroscopy [UBM]) permet d’analyser la région de la base du vitré en regard de la pars plana et de l’extrême périphérie rétinienne.
Dans ce contexte très inflammatoire, une hyaloïde décollée apparaît plus épaisse, d’échogénicité plus élevée qu’une hyaloïde normale et pouvant se rapprocher de celle de la rétine, avec de nombreux échos rétrohyaloïdiens (voir fig. 5‑2‑82). En cas de décollement partiel ou lorsque la hyaloïde reste adhérente à la papille, le diagnostic différentiel avec un décollement rétinien localisé peut être difficile. En l’absence de décollement du vitré, une organisation progressive du gel entraîne un cloisonnement en membranes irrégulières d’échogénicité faible à moyenne.

Fig. 5-2-81
Fins échos intravitréens diffus (endophtalmie post-chirurgie de la cataracte à S. aureus ).
Fig. 5-2-82
Décollement postérieur du vitré avec collapsus (flèche 1), hyaloïde épaisse (flèche 2) et échogène, nombreux échos rétrohyaloïdiens (flèche 3).

La paroi du décollement choroïdien est épaisse, très échogène, régulière, immobile. Le raccord à la paroi est franc. À la base du décollement, l’épaisseur pariétale se réduit brutalement réalisant le signe de la marche (fig. 5-2-83). L’espace suprachoroïdien est parfois finement échogène, d’homogénéité variable, correspondant à un contenu fibrineux. Dans ce contexte inflammatoire, les décollements choroïdiens se prolongent fréquemment par un décollement ciliaire : la périphérie du décollement se continue en avant par un décollement plan très antérieur (fig. 5-2-84).

Fig. 5-2-83
Décollement choroïdien temporal et nasal survenant 4 jours après le début de l’antibiothérapie intravitréenne.
Fig. 5-2-84

L’extension inflammatoire à l’orbite se manifeste par une infiltration hypoéchogène des tissus périoculaires traduisant une cellulite orbitaire.

Prélèvement microbiologique

Les prélèvements effectués au niveau de la conjonctive sont peu rentables, car ils ne sont que le reflet de la flore commensale présente au moment du prélèvement, le plus souvent différente de la flore de contamination endoculaire. Les prélèvements endoculaires (fig. 5-2-85) permettent le diagnostic microbiologique et doivent être réalisés au bloc opératoire, si possible avant toute antibiothérapie.

Fig. 5-2-85
Aspect du prélèvement vitréen pur (à droite, 1 ml) et dilué (à gauche, 2 ml) obtenu lors d’une vitrectomie postérieure.

PONCTION DE CHAMBRE ANTÉRIEURE

La ponction de chambre antérieure peut se faire avec une aiguille calibrée de 25, 27 ou 30 G, montée sur une seringue à tuberculine. Ce geste n’est pas douloureux sauf s’il conduit à une hypotonie oculaire importante. Un prélèvement au niveau du sac capsulaire est possible. En pratique, un volume de 100 à 200 μl peut être prélevé. Le prélèvement est parfois non réalisable du fait de la densité importante du pus intra-oculaire.

PRÉLÈVEMENT VITRÉEN

Le vitré peut être prélevé par ponction vitréenne à l’aiguille (23 G) ou lors d’une vitrectomie [11]. La ponction à l’aiguille permet habituellement de prélever 200 à 300 pl. Dans les formes très sévères d’endophtalmie, la densité du pus vitréen peut également rendre impossible son aspiration.

Le prélèvement vitréen est également souhaitable au décours d’une vitrectomie, en s’assurant de purger la tubulure du vitréotome (afin de ne pas diluer le prélèvement dans le volume de balanced salt solution [BSS] de la tubulure), l’aide opératoire aspirant le vitré habituellement à l’aide d’une seringue de 3 ml. Ce prélèvement de vitré pur est à l’origine d’une hypotonie qu’il faut limiter en ne prélevant pas plus que 500 pl. Il est utile de continuer la vitrectomie en prélevant du vitré dilué. Le French Institutional Endophthalmitis Study Group (FRIENDS) a récemment rapporté que la PCR panbactérienne présente une sensibilité comparable qu’elle soit réalisée sur vitré pur ou sur des prélèvements de vitré dilué [12]. Le prélèvement de vitré dilué a l’avantage de sa simplicité et de sa moindre iatrogénicité liée à l’hypotonie (hématome choroïdien, décollement de rétine).

Le contenu de la cassette de vitrectomie [13, 14] est filtré avant la mise en culture, ce qui permet d’obtenir des résultats très intéressants en termes de sensibilité (49 % de positivité). Lorsque l’analyse porte à la fois sur le vitré pur et sur la cassette de vitrectomie, le diagnostic microbiologique est obtenu dans 57 % des cas (vitré pur seul : 44 %, cassette seule : 49 %), ce qui suggère une complémentarité de ces analyses [13].

AUTRES PRÉLÈVEMENTS

Des prélèvements complémentaires peuvent être réalisés dans le contexte d’une chirurgie – membrane cyclitique, capsule postérieure (notamment dans le contexte d’une endophtalmie chronique) et plus rarement implant intra-oculaire –, notamment au moment d’une éventuelle vitrectomie.

Techniques d’identification bactériologique

L’isolement des micro-organismes en culture demeure la méthode de référence pour le diagnostic étiologique de l’endophtalmie. Il est préférable d’ensemencer les prélèvements intra-oculaires au bloc opératoire. De même, le délai d’acheminement du prélèvement au laboratoire de microbiologie doit être le plus court possible, et idéalement ne pas dépasser 2 heures (encadré 5-2-11).

Examen direct

Si le volume de prélèvement est suffisant (en pratique, les prélèvements vitréens), environ 20 μl de prélèvement sont étalés sur une lame stérile afin de réaliser une coloration de Gram. L’examen direct microscopique peut révéler la présence de leucocytes, et éventuellement de bactéries (cocci ou bacilles, à Gram positif ou à Gram négatif), de levures ou de filaments mycéliens. Le volume réduit du prélèvement intraoculaire et le faible inoculum bactérien présent initialement font que cet examen direct est très souvent négatif. Dans l’EVS, un résultat positif a été obtenu dans 19 % des cas. Il demeure toutefois intéressant, car sa positivité indique une infection probable.

Mise en culture

Les prélèvements doivent être ensemencés sur des milieux permettant la culture des micro-organismes le plus souvent en cause au cours des endophtalmies. Plusieurs types de milieux de culture peuvent être utilisés. Le milieu le plus souvent mentionné dans la littérature est le bouillon coeur-cervelle (brain heart infusion [BHI]). L’inconvénient majeur de ce milieu liquide est le risque de contamination du prélèvement lors des manipulations requises au moment de l’ensemencement puis lors des sous-cultures en milieu gélosé. Il est alors plus intéressant d’injecter le prélèvement directement dans un flacon d’hémoculture pédiatrique (du fait du volume réduit du prélèvement ; fig. 5-2-86). Cette technique présente l’avantage d’une plus grande sensibilité et d’un risque moindre de contamination lors de la manipulation du prélèvement au laboratoire. Ces milieux de culture permettent l’isolement des bactéries aérobies (staphylocoques, streptocoques, entérobactéries, etc.) ou anaérobies préférentielles (Propionibacterium acnes) et des levures (Candida spp.). Le milieu de Sabouraud additionné de chloramphénicol permet l’isolement sélectif des levures.

Fig. 5-2-86
Exemple de tube d’hémoculture pédiatrique permettant d’ensemencer directement le prélèvement intra-oculaire au bloc opératoire.
Techniques de biologie moléculaire

La PCR [15] permet d’amplifier l’acide désoxyribonucléique (ADN) des micro-organismes directement à partir des prélèvements cliniques sans nécessité de culture préalable de ces agents infectieux [16]. Il est possible d’amplifier l’ADN de toute bactérie en ciblant le gène codant l’ARNr 16S (amplification universelle ou PCR « panbactérienne » ; fig. 5‑2‑87), ou de tout mycète en ciblant le gène codant pour l’ARNr 18S. L’isolement du microorganisme demeure cependant nécessaire pour la réalisation d’un antibiogramme. Plusieurs techniques PCR sont désormais validées en pratique clinique [12, 17–21].
Les techniques de biologie moléculaire sont utiles dans le contexte d’endophtalmie aiguë [21–26] ou chronique [16, 23, 25, 27]. L’utilisation de la PCR panbactérienne dans le contexte d’endophtalmies aiguës ou à début retardé, postopératoires [17, 21, 28, 29], associée aux méthodes conventionnelles de cultures bactériologiques, permet d’augmenter le taux d’identification bactérienne dans l’humeur aqueuse (47 %) ou dans le vitré (68 %). Après traitement par injection intravitréenne d’antibiotiques, la PCR panbactérienne, réalisée sur des prélèvements de vitré pur ou dilué [12], permet seule de détecter l’agent bactérien (dans 72 % des cas).

Encadré 5-2-11
Identification en urgence microbiologique des endophtalmies

Sur le plan microbiologique, il existe une nette prédominance des bactéries à Gram positif : de 94 % [10, 11, 30] à 97 % [21]. Staphylococcus epidermidis [21] est prédominant (45-50 %), suivi des streptocoques (24-37,7 %) et de Staphylococcus aureus (7,5-11,5 %). Dans notre expérience, une coinfection par deux bactéries est rare dans ce type d’endophtalmie. Afin d’optimiser la détection des micro-organismes responsables d’endophtalmies, il est préférable d’obtenir un prélèvement précoce de vitré et d’appliquer sur ce prélèvement une culture conventionnelle et une technique de biologie moléculaire (PCR panbactérienne), les deux approches étant complémentaires. Pour la culture standard, il est utile de disposer au bloc opératoire d’hémocultures pédiatriques. Pour les prélèvements lors de la vitrectomie postérieure, il est intéressant d’analyser soit le vitré dilué (si la PCR panbactérienne est disponible) soit le vitré pur, mais également le vitré dilué issu de la cassette de vitrectomie. Les techniques de biologie moléculaire, de type PCR panbactérienne, sont plus sensibles que les cultures pour l’identification de bactéries à croissance lente ou difficile et pour les prélèvements microbiologiques réalisés après le début d’une antibiothérapie intravitréenne [21, 31, 32]. Des techniques émergentes de PCR multigénomiques sont actuellement développées. Elles permettront d’identifier sélectivement un panel élargi de germes pathogènes.

TYPE D’URGENCE

Il s’agit d’une des urgences ophtalmiques les plus graves nécessitant une prise en charge (PEC) thérapeutique immédiate (triage PEC de catégorie 1, classification infirmière des malades aux urgences de niveau 2 [CIMU 2]), avec injection intravitréenne (IVT) d’antibiotiques ou vitrectomie postérieure. Cela nécessite en premier lieu un haut degré de suspicion diagnostique devant toute inflammation postopératoire et une information du patient dans la période postopératoire (explication des signes fonctionnels devant faire consulter en urgence). L’identification bactérienne nécessite une collaboration étroite avec les microbiologistes. La PEC nécessite une hospitalisation en milieu spécialisé, notamment en chirurgie vitréorétinienne.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

La forme la plus typique, c’est-à-dire l’endophtalmie aiguë post-chirurgie de la cataracte, a été décrite précédemment.

Les autres formes d’endophtalmie sont liées à un autre type de chirurgie (IVT, chirurgie filtrante, vitrectomie, kératoplastie transfixiante) ou à un traumatisme. Le cas de l’endophtalmie endogène est traité plus loin. Les principales caractéristiques épidémiologiques et microbiologiques sont résumées dans le tableau 5-2-22 .

Endophtalmie post-injection intravitréenne

L’endophtalmie bactérienne peut survenir après l’injection intravitréenne (IVT) de différentes substances médicamenteuses, comme les anti-vascular endothelial growth factors (anti-VEGF), les corticoïdes, les antiviraux et le méthotrexate, ou après l’injection d’implants intravitréens. Les complications sont rares mais incluent la redoutable endophtalmie, le décollement de rétine et la cataracte [33]. L’endophtalmie aiguë se présente sous la forme d’une inflammation de chambre antérieure (hypopion, Tyndall, membrane cyclitique) et une hyalite (fig. 5-2-88). Concernant les injections de triamcinolone, désormais peu pratiquées, le risque a été évalué à 0,05 % (1/2009 cas) [34]. Le diagnostic d’endophtalmie est d’ailleurs parfois difficile à réaliser dans ce contexte du fait de l’existence de fausses endophtalmies (migration de cristaux en chambre antérieure donnant un aspect d’hypopion, réaction inflammatoire aux excipients utilisés dans les formes galéniques non adaptées à l’ophtalmologie) [35]. En faveur de l’endophtalmie vraie, on retrouve le délai d’apparition légèrement retardé entre le troisième et le dixième jour, une baisse d’acuité visuelle, une douleur et une rougeur importantes, un hypopion, une hyalite d’aggravation progressive et des cultures vitréennes positives [36–39].
Après IVT d’antiviraux dans les rétinites à cytomégalovirus (CMV) au cours du sida, le taux d’endophtalmie postopératoire variait selon les séries de 0,14 % [1] à 0,5 % [40].
Pour les IVT d’implant de dexaméthasone, les données ne sont pas suffisantes actuellement pour déterminer une incidence fiable (aucun cas sur 1 715 implants dans l’étude GENEVA) [41]. Des cas isolés ont été décrits dans la littérature [42–44] dans un contexte d’occlusion de la veine centrale de la rétine ou d’oedème maculaire diabétique. L’étude FAME examinant les implants injectables de fluocinolone (Iluvien®) évalue le risque à 0,2 % (sur 1 022 procédures). Les données concernant l’implant chargé en fluocinolone acétonide (Retisert®) sont restreintes : aucune endophtalmie n’a été constatée parmi 278 implantations [45]. Pour l’implant chargé en ganciclovir utilisé dans la rétinite à CMV, l’endophtalmie ne survenait que dans 0,46 % des cas sur 5 185 implantations en 2003 [46]. Les facteurs de risque étaient une suture exposée et l’extrusion de l’implant.

Fig. 5-2-88

Les mesures préventives sont bien détaillées dans des procédures publiées lors de réunion de consensus (champs stériles, port de gants stériles, usage de blépharostat, port de masque, désinfection de l’opercule du flacon, ne pas souiller l’aiguille, salle dédiée, traiter les blépharites existantes) [47–50]. La majorité des bactéries entrant dans l’œil proviennent des bords libres et de la conjonctive des patients [51]. La seule prophylaxie prouvée consiste à utiliser la povidone iodée [52–55]. Il n’est pas recommandé d’instiller des collyres antibiotiques avant et après les IVT, car leur efficacité n’est pas prouvée [52, 56-60] et leur usage répété augmente significativement le port de bactéries multirésistantes aux antibiotiques [61, 62].

Le diagnostic comprend la triade douleur, rougeur et baisse de vision. L’examen peut être rendu difficile du fait de la présence du cristallin (parfois avec cataracte). Les signes prédominent au niveau du segment postérieur. Sa survenue est plus précoce (3,5 jours en moyenne) que l’endophtalmie post-chirurgie de la cataracte. Le pronostic est plus réservé chez le patient diabétique du fait de la survenue plus fréquente d’infections à streptocoques et de la rétinopathie sous-jacente.

Endophtalmie post-vitrectomie

Son diagnostic est difficile du fait de la coexistence possible avec un tamponnement interne (gaz ou plus rarement silicone) ou une hémorragie du vitré. Les signes cliniques peuvent être également réduits en cas d’usage peropératoire de triamcinolone (comme colorant vitréen) [63]. La prévention consiste en une ablation soigneuse du vitré en regard des sclérotomies et la suture scléroconjonctivale en cas de fuite au niveau des sclérotomies. Une étude montrait que la contamination de la cavité vitréenne en début de vitrectomie transconjonctivale était probablement liée à une contamination directe par la flore conjonctivale [64].

Endophtalmie post-chirurgie filtrante

Après chirurgie filtrante , il faut distinguer les endophtalmies aiguës et les endophtalmies à début retardée, ces dernières étant plus fréquentes (représentant environ deux tiers des endophtalmies post-chirurgie filtrante) [65–67]. L’endophtalmie est beaucoup plus fréquente après trabéculectomie qu’après sclérectomie profonde, probablement du fait de la protection de la membrane trabéculodescemétique [65, 68].

Dans les formes aiguës , l’endophtalmie survient quelques jours après la chirurgie et le tableau clinique est proche de celui de la chirurgie de la cataracte, l’inoculation ayant eu lieu au moment de la chirurgie ou peu après.

Dans les cas d’ endophtalmies retardées , l’infection survient à partir de la bulle de filtration, dans 0,4 à 9,6 % des cas sur une période de 6 ans (fig. 5-2-89 et 5-2-90). Sur le plan clinique, l’hypopion et l’hypertonie intra-oculaire sont plus fréquents dans cette forme comparativement à la forme aiguë [65]. L’usage de la PCR et de la culture standard permet un diagnostic microbiologique dans 74 % des cas [65], la PCR augmentant la sensibilité de l’examen microbiologique de 21 % par rapport à la culture seule.

Fig. 5-2-89
Fig. 5-2-90

La prise en charge thérapeutique inclut les injections intravitréennes d’antibiotiques et la vitrectomie dans 35 à 56 % des cas [65–67, 69]. Il n’existe pas de preuve formelle à la supériorité de la vitrectomie, mais une étude rétrospective [69] suggère son bénéfice comparativement aux IVT. L’indication de vitrectomie doit également tenir compte de la plus grande virulence bactérienne dans ce contexte [70]. Une attention particulière sera apportée à la bulle de filtration en réalisant une vitrectomie par voie transconjonctivale. Un traitement par collyres antibiotiques fortifiés (de type ticarcilline, vancomycine, aminoside) sera associé en cas d’infection de la bulle de filtration.

À long terme, il existe une dysfonction de la bulle de filtration dans 11 % [66] à 57 % des cas [71]. Le mauvais pronostic visuel est corrélé à la présence de bactéries virulentes (streptocoques, Enterococcus, Streptococcus aureus , BGN) et à la forme aiguë de l’endophtalmie [65].

Endophtalmie post-traumatique

Le pronostic de ces endophtalmies est souvent médiocre du fait de la virulence des germes, des lésions traumatiques associées, du délai de diagnostic et des complications (décollement de rétine). Environ 40 % des patients obtiennent une acuité visuelle supérieure ou égale à 1/10 [72–74]. Les infections à Staphylococcus epidermidis sont de meilleur pronostic que celles dues à Staphylococcus aureus ou aux streptocoques [75, 76]. La vision finale est associée à la présence d’un corps étranger intra-oculaire (CEIO), l’acuité visuelle initiale, l’absence de visibilité du fond d’œil initial et la présence de membranes hyperéchogènes dans le vitré [77]. La perte anatomique de l’œil (phtyse, énucléation) est rapportée dans 6 à 82 % des cas [78–85].

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

Il existe schématiquement quatre diagnostics différentiels : 1) le syndrome toxique du segment antérieur ; 2) l’inflammation postopératoire aspécifique ou dans le cadre d’une exacerbation d’une uvéite ; 3) l’uvéite phacoantigénique ; 4) l’endophtalmie chronique. De façon générale, si le diagnostic d’endophtalmie aiguë peut être formulé, il est indispensable que la conduite à tenir immédiate consiste en une IVT d’antibiotiques avec prélèvements oculaires au moindre doute. En effet, le retard diagnostique dans un contexte de suspicion d’endophtalmie serait redoutable.

Syndrome toxique du segment antérieur

Le syndrome toxique du segment antérieur ( toxic anterior segment syndrome [TASS]) est une inflammation postopératoire stérile du segment antérieur causée par l’introduction dans le segment antérieur de substances non infectieuses à l’origine d’effets toxiques (nécrose cellulaire) sur les structures intra-oculaires [86, 87]. Si le tableau est marqué par une atteinte endothéliale exclusive, il s’agira d’un syndrome de destruction cellulaire endothéliale ou toxic endothelial cell destruction syndrome (TECDS) [88]. Dans tous les cas, le tableau clinique difficile à distinguer d’une endophtalmie infectieuse constitue un challenge diagnostique [87]. La fréquence de cette complication chirurgicale n’est pas connue.

Le TASS survient en général précocement après la chirurgie : 12 à 48 heures, parfois davantage après un geste sur le segment antérieur. Les signes et symptômes sont proches de ceux décrits dans l’endophtalmie avec douleur, rougeur et baisse d’acuité visuelle. Les signes physiques sont marqués par une inflammation postopératoire de segment antérieur inhabituelle et sévère avec hypopion, membrane cyclitique et œdème cornéen fréquents contrastant avec le bon déroulement de la chirurgie. L’œdème de cornée est souvent marqué, secondaire à l’atteinte endothéliale (fig. 5-2-91 et 5-2-92 ). L’atteinte irienne est également classiquement rapportée avec mydriase séquellaire possible, ainsi que l’atteinte trabéculaire avec risque d’hypertonie à la phase aiguë pouvant se chroniciser.

Fig. 5-2-91
Fig. 5-2-92

Les éléments différenciant le syndrome toxique d’une endophtalmie infectieuse sont [87] : un délai de survenue en moyenne plus court (1 jour pour le TASS, 1 semaine pour l’endophtalmie) ; un œdème de cornée et une hypertonie intra-oculaire plus fréquents dans le TASS ; l’absence d’atteinte du segment postérieur (intérêt de l’échographie en mode B si besoin). L’absence de hyalite est donc un élément majeur permettant de différencier le TASS d’une infection. L’évolution est caractérisée par une corticosensibilité marquée dans le TASS.

Les étiologies sont multiples et il est souvent nécessaire de réaliser une enquête minutieuse au bloc opératoire et en amont pour identifier l’agent causal : conservateurs (chlorure de benzalkonium) [89, 90] ; anesthésiques intracamérulaires sans conservateur [91] ; détergents utilisés en stérilisation [92] ; endotoxines thermorésistantes provenant de bactéries à Gram négatif [93] ; métaux oxydés [94] ; résidus de viscoélastique dénaturés et séquestrés dans les embouts réutilisables des sondes d’irrigation-aspiration [94] ; certains implants intra-oculaires [95, 96].

En cas d’inflammation postopératoire inhabituelle, la règle de précaution impose de prendre en charge le patient en suspectant une endophtalmie, et de réaliser une IVT d’antibiotiques. En effet, le diagnostic de TASS est souvent réalisé a posteriori devant l’amélioration rapide de l’état clinique sous anti-inflammatoires, la négativité des examens microbiologiques et l’identification de la cause après enquête. L’adjonction d’une corticothérapie locale intensive à la dose initiale d’une goutte par heure en association à la voie sous-conjonctivale permet en général d’obtenir une amélioration rapide en cas de TASS.

L’évolution est fonction du type et de la concentration du principe toxique introduit dans la chambre antérieure, ainsi que de la rapidité d’instauration du traitement anti-inflammatoire corticoïde. En cas de TASS minime, l’évolution est rapidement favorable en quelques jours. En cas de TASS modéré, l’évolution est plus prolongée sous plusieurs semaines à quelques mois avec risque d’œdème cornéen résiduel et d’hypertonie intra-oculaire chronique. En cas de TASS sévère, la chronicisation de l’inflammation peut s’accompagner, notamment, d’œdème maculaire cystoïde, de mydriase aréactive, d’hypertonie intra-oculaire réfractaire et d’œdème cornéen chronique avec opacification cornéenne irréversible. L’hypothèse d’une endophtalmie chronique devra alors être systématiquement évoquée.

Endophtalmie chronique

Classiquement, une endophtalmie chronique survient plus de 6 semaines après la chirurgie oculaire et, le plus souvent, avec un intervalle libre correspondant à la durée de la corticothérapie locale postopératoire. Cet intervalle libre peut être de plusieurs mois ou années. Le début de l’inflammation est insidieux, souvent indolore, puis l’évolution est chronique. Il s’agit d’une entité probablement sous-estimée, avec une incidence de l’ordre de 0,07 à 0,3 %, qui survient essentiellement après chirurgie de la cataracte (avec implantation, notamment après capsulotomie au laser yttrium aluminium garnet [YAG]) puis plus rarement après trabéculectomie, ou mise en place d’un implant de Molteno. Il faut distinguer cette forme chronique de la forme aiguë à début retardée qui se présente sous la forme d’une endophtalmie aiguë, donc à début rapide et d’évolution soudaine, survenant dans les suites d’une infection sur bulle de filtration.

La présentation clinique se rapproche d’une uvéite antérieure parfois granulomateuse (30-80 %), avec un œil blanc, une baisse d’acuité visuelle modérée (83 % des patients ont plus de 1/20), un Tyndall cellulaire et protéique modéré mais constant, des précipités sur l’implant, et parfois des plaques blanchâtres capsulaires (dans 40 à 100 % des cas, absentes habituellement en cas d’infection à Staphylococcus epidermidis ), un hypopyon (30-60 %) et un Tyndall vitréen constant, modeste, avec des voiles vitréens plus ou moins denses (fig. 5-2-93).

Fig. 5-2-93

Le spectre bactérien est bien différent dans le cadre des endophtalmies chroniques survenant après chirurgie de la cataracte , puisque Propionibacterium acnes est le germe le plus fréquemment rapporté (80 %) [97–99]. Les autres bactéries en cause sont : Staphylococcus epidermidis [98], Staphylococcus hominis, Peptostreptococcus , les corynébactéries [98, 100, 101], Actinomyces israeli ou neuii [102], Nocardia asteroides, Mycobacterium chelonae [103], Pseudomonas ary-zihabitans [104]. Afin d’augmenter la probabilité d’identification de ces germes, il est souvent nécessaire de réaliser des prélèvements d’humeur aqueuse, de vitré et de sac capsulaire, et de demander des cultures adaptées et prolongées (prévenir le laboratoire) et la PCR.

La prise en charge thérapeutique sera graduée, allant du lavage du sac capsulaire avec de la vancomycine et gentamycine, de l’antibiothérapie per os contre les bactéries intracellulaires (clarithromycine 1 g/j pendant 1 semaine, puis 500 mg/j pendant 3 semaines), de l’IVT de vancomycine et amphotéricine B à la vitrectomie postérieure avec capsulectomie, puis plus rarement (et en dernier recours) une explantation avec capsulectomie totale. Environ 50 % des patients récupèrent une acuité visuelle finale supérieure à 5/10. Le taux de récurrence après vitrectomie postérieure est estimé à 26 %.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

Dès le diagnostic évoqué, la prise en charge du patient est urgente, immédiate dans le cadre d’une hospitalisation conventionnelle. La responsabilité de l’ophtalmologiste est régulièrement engagée en cas d’endophtalmie (cas de retard de prise en charge, en absence de traitement adapté et/ou d’erreurs de dilution, défaut d’information). L’IVT d’antibiotiques doit pouvoir être réalisée en extrême urgence, par exemple dans une salle dédiée aux IVT en absence de bloc opératoire. Le patient doit ensuite être référé rapidement dans un centre spécialisé en chirurgie vitréorétinienne et en infectiologie oculaire afin de pouvoir bénéficier, si nécessaire, d’une vitrectomie postérieure.

L’existence d’ allergies médicamenteuses est recherchée et le consentement du patient est recueilli à l’aide de la fiche d’information n° 65 de la Société française d’ophtalmologie (SFO) après avoir informé ce dernier de la conduite à tenir thérapeutique face au risque de perte fonctionnelle voire anatomique de l’œil concerné. Les effets secondaires des thérapeutiques doivent être notifiés, notamment le risque de décollement de rétine après vitrectomie postérieure. Une procédure écrite de dilution des antibiotiques dans les blocs opératoires effectuée sous contrôle médical est recommandée.

Injections intravitréennes d’antibiotiques [6]

L’administration intravitréenne qui permet de s’affranchir des barrières pariétales et hémato-oculaires en délivrant directement et immédiatement le principe actif à concentration efficace dans le vitré, constitue la voie d’administration de choix dans le traitement antibiotique des infections intra-oculaires (encadré 5-2-12). La pharmacocinétique et le spectre spécifique des antibiotiques justifient en pratique l’utilisation de quatre antibiotiques différents (deux par voie intravitréenne et deux par voie générale) [105, 106] et la fréquence de leur administration. Il faut répéter régulièrement les IVT des antibiotiques temps dépendant (comme la vancomycine) pour maintenir une activité bactéricide efficace. D’autres antibiotiques sont concentration dépendantes, leur activité bactéricide est rapide et augmente avec la concentration d’antibiotique.

Encadré 5-2-12
Traitement protocolaire d’urgence des endopthalmies

Le traitement actuellement validé de l’endophtalmie bactérienne repose sur l’administration en urgence après prélèvement intra-oculaire à visée microbiologique d’une bi-antibiothérapie intravitréenne associant un antibiotique actif sur les bactéries à Gram positif (vancomycine 1 mg/ml) et une molécule active sur les germes à Gram négatif (ceftazidime 2,25 mg/ml). L’utilisation d’une fluoroquinolone par voie générale en association avec la carbapénème ou la fosfomycine complète le schéma thérapeutique antibiotique afin d’éviter l’émergence de mutants résistants.

En cas d’évolution péjorative ou de tableau d’emblée sévère, la vitrectomie postérieure est rapidement requise.

Les injections sont systématiquement renouvelées en fonction de l’évolution 48 à 72 heures après la première injection. En effet, 13 à 50 % des prélèvements vitréens recueillis après une première injection d’antibiotiques sont toujours positifs en culture conventionnelle [21, 107]. Il est donc indispensable de réaliser au moins deux IVT si une vitrectomie n’est pas envisagée.

En dehors des atteintes post-traumatiques, les champignons sont exceptionnellement impliqués dans les endophtalmies exogènes au sein des pays industrialisés. En revanche, ils sont régulièrement à l’origine d’endophtalmies endogènes en particulier sur certains terrains privilégiés (héroïnomanes, immunodéprimés).

Le premier antibiotique cible les germes à Gram positif et le second couvre ceux à Gram négatif : en pratique, les glycopeptides (vancomycine) luttent contre les germes à Gram positif et les céphalosporines de troisième génération (ceftazidime), plutôt que les aminosides (pour des raisons de sécurité d’emploi), luttent contre les germes à Gram négatif [30, 108–111].

Sur le plan pratique : dans ce contexte inflammatoire, l’IVT peut être en pratique relativement douloureuse. Si le patient n’est pas à jeun, une prémédication par Atarax ® (100 mg en une prise pour un adulte de 70 kg) est administrée, et agit le temps que le patient soit injecté. Une anesthésie locale est réalisée : instillation répétée d’anesthésiques locaux (oxybuprocaïne, tétracaïne), injection sous-conjonctivale de xylocaïne 2 %, et/ou injection sous-ténonienne de xylocaïne 2 % (à l’aide d’une boutonnière conjonctivale). Pour l’analgésie, la morphine ou ses dérivés peuvent alors être utilisés : morphine 0,1 mg/kg en perfusion de 15 minutes ou nalbuphine (Nubain ® ) 0,2 mg/kg en perfusion de 15 minutes, en association avec du paracétamol (15 mg/kg, en pratique 1 g chez l’adulte). Si le patient est à jeun, que son état général le permet, et qu’il existe un tableau algique d’emblée majeur, une anesthésie générale peut être proposée, toujours dans un délai compatible avec l’urgence de la prise en charge thérapeutique.

Après l’asepsie bétadinée, un champ stérile est mis en place et l’ouverture palpébrale est maintenue à l’aide d’un écarteur de paupière stérile. Les deux antibiotiques sont préparés après dilution selon un protocole préétabli (tableau 5-2-23 ) avant d’effectuer les prélèvements à visée bactériologique (fig. 5-2-75). La ceftazidime précipitant au contact de la vancomycine [112], deux seringues montées contenant chacune un antibiotique sont utilisées afin d’injecter les antibiotiques en deux sites différents. Dans les rares cas où les aminosides sont utilisés à la place des céphalosporines, une seringue unique contenant les deux antibiotiques peut être employée pour simplifier le geste. Le volume de dilution utilisé pour chaque antibiotique est en général de 0,1 ml, soit un total injecté de 0,2 ml correspondant en moyenne au volume de liquide intra-oculaire prélevé par la ponction de chambre antérieure ou de vitré réalisée au préalable. En l’absence de ponction préalable à visée bactériologique et hypotonisante, les dilutions doivent être adaptées (tableau 5-2-24) afin de limiter le volume total injecté à 0,1 ml (risque d’hypertonie majeure dans le cas contraire). En théorie, l’eau stérile limite les risques de précipitation entre le solvant et l’antibiotique [112]. En pratique, le milieu de dilution fait appel à une solution saline de NaCl 0,9 % plutôt qu’à de l’eau stérile dans un souci de simplification des procédures de dilution (tableaux 5-2-23 et 5-2-24). Une fois les prélèvements à visée bactériologique effectués, les antibiotiques sont injectés à la pars plana à 4 mm du limbe (3,5 mm chez le pseudophaque) à l’aide d’une aiguille 30 G montée sur une seringue à insuline (fig. 5-2-76) en évitant les deux méridiens horizontaux (risque de blessure des vaisseaux ciliaires longs).

L’usage du microscope opératoire n’est pas indispensable lors des IVT, l’administration du traitement sans microscope permettant parfois un meilleur contrôle du geste, surtout si le patient est amené à déplacer les yeux et/ou la tête. À l’issue des injections la pression intra-oculaire est systématiquement évaluée et les perceptions lumineuses sont contrôlées.

Le traitement est renouvelé toutes les 48 à 72 heures en fonction de l’évolution clinique réévaluée quotidiennement. Outre l’étude EVS [113] qui a évalué la ceftazidime et l’amikacine par voie intraveineuse (avec une pénétration oculaire médiocre), il n’existe pas d’étude randomisée évaluant les antibiotiques présentant une meilleure pénétration oculaire comme les fluoroquinolones, la pipéracilline ou l’imipénem. Ainsi une bi-antibiothérapie systémique est actuellement préconisée de façon consensuelle pendant 5 à 8 jours. L’association la plus efficace sur le plan du spectre antibactérien [114] est fluoroquinolone + fosfomycine suivie de l’association fluoroquinolone + imipénem.

Tableau 5-2-23
Protocoles de dilution des antibiotiques pour injection intravitréenne après ponction à visée bactériologique et hypotonisante (volume final de dilution : 0,1 ml).
Vancomycine Ceftazidime Amikacine
Concentration à obtenir 1 mg/0,1 ml 2 mg/0,1 ml 0,4 mg/0,1 ml
Dilution Diluer 1 flacon de 500 mg de poudre Vancomycine Mylan® dans 50 ml de sérum physiologique (NaCl 0,9 %) Diluer 1 flacon de 1 g (1 000 mg) de poudre Fortum® dans 50 ml de sérum physiologique (NaCl 0,9 %) Diluer 1 flacon de 250 mg de poudre Amiklin dans 50 ml de sérum physiologique (NaCl 0,9 %)
Concentration dans le mélange final 10 mg/ml 20 mg/ml 5 mg/ml
Volume à injecter 0,1 ml du mélange final obtenu dans le vitré 0,1 ml du mélange final obtenu dans le vitré 0,08 ml du mélange final obtenu dans le vitré
Quantité injectée 1 mg 2 mg 0,4 mg
Tableau 5-2-24
Protocoles de dilution des antibiotiques pour injection intravitréenne sans ponction à visée bactériologique et hypotonisante (volume final de dilution : 0,05 ml)
Vancomycine Ceftazidime Amikacine
Concentration à obtenir 2 mg/0,1 ml 4 mg/0,1 ml 0,8 mg/0,1 ml
Dilution Diluer 1 flacon de 1 g (1 000 mg) de poudre Vancomycine dans 50 ml de sérum physiologique Diluer 1 flacon de 2 g (2 000 mg) de poudre Fortum® dans 50 ml de sérum physiologique (NaCl 0,9 %) Diluer 1 flacon de 500 mg de poudre Amiklin dans 50 ml de sérum physiologique (NaCl 0,9 %)
Concentration dans le mélange final 20 mg/ml 40 mg/ml 10 mg/ml
Volume à injecter 0,05 ml du mélange final obtenu dans le vitré 0,05 ml du mélange final obtenu dans le vitré 0,05 ml du mélange final obtenu dans le vitré
Quantité injectée 1 mg 2 mg 0,4 mg
Place de la vitrectomie postérieure

L’étude EVS [113] a conclu que la vitrectomie réalisée dans les six premières heures n’est pas bénéfique lorsque l’acuité visuelle est supérieure ou égale aux perceptions des mouvements de la main. Ce timing très contraint n’est pas adapté à la réalité. L’étude ne permet pas de répondre au bénéfice d’une vitrectomie postérieure dans les 24 premières heures.

Les buts de la vitrectomie sont [115] : la réduction de la charge infectieuse, des toxines, du cloisonnement du vitré et des tractions vitréennes ; une meilleure diffusion du traitement antibiotique ; un éclaircissement plus précoce des milieux ; le prélèvement à visée microbiologique [21].

En fin d’intervention, il convient d’injecter des antibiotiques dans la cavité vitréenne. La vitrectomie augmente la rapidité d’élimination et la toxicité rétinienne des antibiotiques [116]. Par mesure de sécurité, la plupart des équipes préconisent une nouvelle dilution par 5 ou par 10 des antibiotiques par rapport aux concentrations d’IVT sans vitrectomie.

La réalisation de cette vitrectomie nécessite :

  • ±

    une échographie en mode B afin d’éliminer un décollement choroïdien ou rétinien ;

  • ±

    la vérification de la position du terminal d’infusion (si impossible : infusion en chambre antérieure jusqu’à visualisation possible du segment postérieur) ;

  • ±

    une vitrectomie qui doit rester centrale et équatoriale sans réalisation du décollement postérieur du vitré (risque très élevé de déchirures iatrogènes) ;

  • ±

    un prélèvement destiné à la PCR panbactérienne pouvant être dilué (donc infusion ouverte pendant le prélèvement de vitré au vitréotome) [12] ;

  • ±

    l’utilisation d’un endoscope dans les cas avec troubles cornéens majeurs [117] ;

  • ±

    l’utilisation des systèmes de vitrectomie transconjonctivale : celle-ci est désormais le standard, notamment chez les patients glaucomateux. Cependant, une échographie préopératoire est utile, notamment pour préciser s’il existe un hématome ou un décollement choroïdociliaire et pour guider la localisation des trocards [70].

Les autres gestes chirurgicaux associés comportent une ablation d’une membrane cyclitique, la mise en place de dilatateurs à iris, le lavage du sac endocapsulaire et très rarement l’ablation de l’implant.

Le patient doit être prévenu par écrit des risques et bénéfices de la vitrectomie, notamment le risque de décollement de rétine post-vitrectomie est de 13 % avec réapplication finale de la rétine dans 60 % des cas [9].

Traitement topique

L’administration topique ne permet pas une pénétration suffisante des antibiotiques dans le vitré pour être efficace dans le cadre de l’endophtalmie. Les collyres antibiotiques (notamment fortifiés) ne seront donc indiqués dans le cadre de l’endophtalmie qu’en cas d’infection de surface associée, abcès de cornée sur fil de suture ou infection de bulle de filtration en particulier [69].

Une dilatation pupillaire thérapeutique est nécessaire (atropine ou tropicamide). Elle est associée à une corticothérapie locale renforcée (instillation toutes les 2 heures de dexaméthasone collyre) qui peut être débutée après l’IVT d’antibiotiques.

Corticothérapie adjuvante

Plusieurs études chez l’homme ont suggéré qu’une corticothérapie précoce en association avec les antibiotiques intravitréens pourrait limiter l’effet délétère de l’inflammation [118–120]. Cependant, deux études randomisées évaluant les IVT de dexaméthasone ou de bétaméthasone n’ont pas permis de montrer une supériorité thérapeutique [121–123]. Toutefois la demi-vie de ces stéroïdes après IVT est courte (de 4 à 5 heures) [122], ce qui pourrait expliquer l’absence d’effet bénéfique. L’administration de corticoïde peut être volontiers réalisée par voie sous-conjonctivale du fait d’une bonne pénétration intravitréenne ; elle peut être débutée dans les 24 premières heures après l’IVT d’antibiotiques et peut être répétée 2 fois/j palliant ainsi la demi-vie courte de la bétaméthasone. L’administration locale de stéroïdes présente une meilleure tolérance chez le sujet âgé que l’injection intraveineuse de bolus de solumédrol dont l’efficacité n’a pas été évaluée.

SURVEILLANCE RECOMMANDÉE

La surveillance recommandée est représentée dans la figure 5-2-94 .

Fig. 5-2-94
Surveillance d’aval immédiate proposée devant une endophtalmie.
IVT : injection intravitréenne.

PRONOSTIC

Globalement, 30 % des patients ont une récupération visuelle inférieure à 2/10 et 45 à 50 % récupèrent 5/10 ou plus [3, 113]. Dans les endophtalmies postopératoires, notamment chirurgie de la cataracte, le pronostic fonctionnel est lié à la présence d’un diabète [113], l’acuité visuelle initiale [1 13, 124-128], l’infiltration cornéenne [113], l’absence de reflet rétinien [113], l’absence de visualisation du fond d’œil [113] et la virulence bactérienne [10, 1 13, 124, 125, 127-129]. Les bactéries virulentes habituellement considérées sont : Pseudomonas [125, 130], Enterococcus [131], Streptococcus [125, 132, 1 33], Staphylococcus aureus [1 132, 134] et Staphylococcus lugdunensis [28]. Seuls 29 % des patients infectés par un cocci à Gram négatif ou à Gram positif récupèrent une acuité visuelle de 5/10 ou plus [10]. Les infections à Staphylococcus aureus, Streptococcus ou Enterococcus aboutissent à une acuité visuelle finale de 2/10 ou plus respectivement dans 50 %, 30 %, et 14 % des cas, dans l’étude EVS (tableau 5-2-25).

Tableau 5-2-25
Caractéristiques cliniques et pronostic visuel final en fonction des espèces bactériennes impliquées.
Caractéristiques microbiologiques Caractéristiques cliniques ≥ 1/20 AVf ≥ 2/10 AVf ≥ 5/10
S. aureus S. aureus est un CGP à catalase + et coagulase + caractérisé par la production de nombreuses enzymes (coagulase, DNase, protéase, etc.) et de toxines (hémolysine, parfois la leucocidine) responsables de sa virulence Il est responsable d'endophtalmies aiguës (délai habituellement < 7 j), de pronostic sombre [192]. Une vitrectomie précoce est conseillée
  • 20-50 %

  • [3, 10, 127]

  • 20-37 %

  • [3, 10, 127]

Streptococcus Les streptocoques sont des CGP, à catalase –, classés en différents groupes:streptocoques pyogènes, habituellement β-hémolytiques (groupes A, B, C, G, etc., de Lancefield) streptocoques α-hémolytiques ou non hémolytiques de l'oropharynx ( S. pneumoniae et streptocoques anciennement nommés « viridans » tels que S. mitis, S. mutans, S. salivarius, etc.) streptocoques du tube digestif bas ( S. bovis et Enterococcus spp.) Le S. pneumoniae, diplocoque capsulé α-hémolytique, occupe à cause de sa virulence une place à part. Il élabore de nombreuses toxines et sa capsule lui permet de résister à la phagocytose S. pneumoniae est responsable d'endophtalmies suraiguës de pronostic effroyable (jusqu'à 37 % des patients sans perception lumineuse) [133] Les autres streptocoques commensaux de l'oropharynx entraînent des endophtalmies aiguës de pronostic souvent défavorable [75]
  • 0-31 %

  • [75, 125]

  • 0-30 %

  • [3, 127]

  • 0-21 %

  • [3, 127]

Enterococcus Contrairement aux staphylocoques, retrouvés sur la conjonctive normale, ou à S. pneumoniae, germe commensal de l'oropharynx, E. faecalis n'existe pas à l'état normal sur la conjonctive. C'est un commensal du tube digestif et des voies urogénitales. Cela suggère que l'infection endoculaire peut résulter dans ce cas d'une contamination manuportée postopératoire Les endophtalmies à E. faecalis [193, 194], sont rares, mais redoutables du fait de la virulence de la bactérie (cytolysine) 17 % [193] 4-14 % [3] 4 % [3]
Bactérie à Gram négatif
  • P. aeruginosa est un BGN, aérobie strict, oxydase +, saprophyte de l'eau et des milieux aqueux.

  • Des cas de contamination des solutions d'irrigation du phacoémulsificateur ont été décrits dans les années 1990 [195, 196]

L'endophtalmie à P. aeruginosa est responsable d'endophtalmies aiguës graves [197], survenant dans un délai moyen de 4 j, et s'associe volontiers à un abcès cornéen. Son mauvais pronostic (absence de perceptions lumineuses dans 68 % des cas, aucun patient avec une acuité visuelle > 5/10) est lié à la virulence bactérienne associée à la sécrétion de toxines et de protéases et d'une grande résistance aux antibiotiques (biofilm le rendant inaccessible aux antibiotiques) 49 % [109]
  • 55-75 %

  • [3, 10, 127]

28-50 % [3, 127]
SCN Les SCN regroupent de nombreuses espèces ( S. epidermidis, S. warneri, S. hominis, S. haemolyticus, etc.) qui sont des CGP, catalase +, coagulase –. Ce sont des commensaux de la peau Les SCN causent des endophtalmies subaiguës (22 % survenant 2 semaines après la chirurgie, 12 % survenant1 mois après) ou chroniques de meilleur pronostic [198, 199] que les formes aiguës 60-88 % [125, 132, 199–203]
  • 81-90 %

  • [3, 10, 127]

  • 48-62 %

  • [3, 10, 127]

Endophtalmies à prélèvements négatifs Causes de négativité des cultures:prélèvements d'humeur aqueuse et/ou de vitré de faible volume séquestration des bactéries sur des surfaces solides (implant intra-oculaire, capsule cristallinienne, masses cristalliniennes restantes, germes enrobés d'un biofilm, fibrine et polysaccharides) antibiothérapie avant le prélèvement (notamment antibioprophylaxie) croissance fastidieuse de certains germes comme Propionibacterium acnes (croissance lente) ou Granulicatella (facteurs de croissance indispensables) Dans l'étude française du groupe FRIENDS [8, 204], les endophtalmies avec cultures et PCR négatives se différenciaient des endophtalmies bactériologiquement prouvées par un délai de survenue plus long (11 versus 6 j), une pression intra-oculaire plus basse (12 versus 21 mmHg), un taux de vitrectomie thérapeutique plus faible (33 % versus 60 %) et un meilleur pronostic visuel (à 6 mois). Il est fortement probable que les endophtalmies sans germe retrouvé soient liées à des bactéries de faible virulence 94 % [202]
  • 79–90 %

  • [3, 10]

  • 33–66 %

  • [3, 10, 73]

AVf:acuité visuelle finale; BGN:bacilles à Gram négatif; CGP:cocci à Gram positif; FRIENDS:French Institutional Endophthalmitis Study Group; PCR: polymerase chain reaction ; SCN:staphylocoque à coagulase négative.

Le groupe FRIENDS a récemment montré que la fréquence de membrane éplrétlnlenne était évaluée à 39 % à 1 an après l’épisode d’endophtalmie, le syndrome de traction vltréomaculalre à 6 %, et l’œdème maculaire non tractionnel à 13 % [135]. Membrane épirétinienne et/ou œdème maculaire étaient associés à une acuité visuelle finale inférieure à 5/10 dans 50 % des cas.

Les hypertonies oculaires notées après vitrectomie sont rencontrées dans 10 % des cas. Les causes d’hypertonie oculaire sont l’administration de corticoïdes, l’inflammation responsable de synéchies iridocristalliniennes et les goniosynéchies.

ENDOPHTALMIE ENDOGÈNE

L’endophtalmie endogène désigne une infection endoculaire survenant par voie hématogène. L’atteinte oculaire est donc secondaire à une septicémie disséminée à partir d’un foyer infectieux général ou d’une injection intraveineuse de produits contaminés par un agent infectieux. Il s’agit d’une infection sévère sur le plan visuel et vital, dont le diagnostic est souvent retardé en particulier lorsque les patients ne présentent pas de signes généraux associés.

Les infections endogènes oculaires sont classées en fonction de la localisation initiale de l’atteinte puis de son extension (fig. 5-2-95). On distingue ainsi : les infections antérieures (focales ou diffuses limitées au segment antérieur), les infections postérieures (focales à type de choroïdite, rétinite, choriorétinite et rétinochoroïdite ou diffuses avec envahissement vitréen) et la panophtalmie en cas d’atteinte antérieure et postérieure diffuse.

Fig. 5-2-95
Classification anatomique des endophtalmies endogènes.
La localisation antérieure, postérieure ou totale (a) des endophtalmies endogènes est précisée par les différents signes physiques observés (b). CA : chambre antérieure ; CP : chambre postérieure ; SA : segment antérieur ; SP : segment postérieur.

PHYSIOPATHOLOGIE

Les infections endogènes bactériennes sont préférentiellement de localisation rétinienne ou ciliaire, le vitré constituant secondairement le compartiment de croissance préférentiel pour le développement de l’abcès. L’infection à Aspergillus se caractérise par un envahissement vasculaire choroïdien et rétinien associé à une nécrose rétinienne hémorragique [205]. L ’Aspergillus se multiplie préférentiellement dans l’espace sous-rétinien, aboutissant à une abcédation souvent unique et large contrairement aux infections à Candida caractérisées par un envahissement secondaire du vitré, plus propice au développement du champignon à partir des foyers choriorétiniens [205].

ÉPIDÉMIOLOGIE

L’endophtalmie endogène est une affection exceptionnelle qui représente 2 à 8 % des endophtalmies [206–210]. L’endophtalmie endogène peut toucher un seul œil ou les deux, l’atteinte du second œil pouvant survenir simultanément ou à distance [208]. L’atteinte endogène est bilatérale dans 15 à 25 % des cas (bilatéralisation plus fréquente en cas d’infection à Escherichia coli, Neisseria ou Klebsiella ). L’endophtalmie endogène survient volontiers chez un patient d’âge moyen de 50 ans, de sexe masculin (sex-ratio : 2) [207, 211] présentant un ou plusieurs facteurs de risque (tableau 5-2-26). Sur le plan microbiologique, les germes en cause sous nos latitudes sont principalement bactériens, plus rarement fongiques (tableau 5-2-26).

Tableau 5-2-26
Principales caractéristiques épidémiologiques, microbiologiques et cliniques des endophtalmies endogènes.
Bactéries Champignons
Gram positif Gram négatif (< 30 %) Levures (80 %) Filaments
  • S. aureus Streptococcus pneumoniae et viridans (préférentiellement après méningite et endocardite, respectivement)

  • Listeria monocytogenes Bacillus cereus (principalement en cas de toxicomanie intraveineuse)

  • Klebsiella pneumoniae Escherichia coli Pseudomonas aeruginosa

  • Neisseria meningitidis Haemophilus influenzae Serratia marcescens

Candida albicans principalement, tropicalis, stellatoidea, parapsilosis, krusei plus rarement Aspergillus fumigatus principalement
Facteurs de risque (60-90 %)
  • Diabète

  • Chirurgie abdominale

  • Endoscopie

  • Cathétérisme

  • Dialyse

  • Immunodépression

  • Cancer

  • Drépanocytose

  • Lupus

  • Cancer

  • Diabète

  • Cathétérisme

  • Soins intensifs

  • Alimentation parentérale

  • Immunodépression

  • Neutropénie

  • Antibiothérapie prolongée

  • Toxicomanie intraveineuse

Immunodépression Transplantation:
  • cardiaque

  • pulmonaire

  • hépatique

  • Endocardite

  • Leucémie Neutropénie

  • Pneumopathie chronique sous corticoïdes

  • Toxicomanie intraveineuse

Diagnostic microbiologique
  • Réalisation de culture standard et PCR panbactérienne (16S)

  • Les infections plurimicrobiennes (3 %) et les mycobactéries ( Mycobacterium tuberculosis ) sont rares

  • L'examen direct avec colorations spécifiques (Musto, noir chlorazole, calcofluor) est rapide (réponse en 1 à 2 h) et peut être réalisé sur les prélèvements si la quantité le permet (au prix d'une moindre sensibilité que la culture, de l'ordre de 30–40 %)

  • Les cultures réalisées sur milieux spécifiques de Sabouraud ont une sensibilité variant entre 54 et 69 % et un délai de positivité de 24–48 h pour les levures et de 2 à 5 j pour les champignons filamenteux [215, 216]. L'analyse du vitré est souvent négative en cas d'infection à Aspergillus [205] du fait de la croissance du champignon dans l'espace sous-rétinien. En cas de candidose, les prélèvements oculaires peuvent être négativés par le traitement systémique [217] Test du β-D-glucan dans le vitré (dont les taux sont élevés en cas d'infection à Candida ) [218]

  • PCR panfongiques avec analyse de la séquence des ITS (régions divergentes et spécifiques) et de l'ADN ribosomal 58S

Topographie de l'atteinte Localisation initiale choriorétinienne ou ciliaire avec abcédation intravitréenne Micro-abcédation choriorétinienne initiale avec tropisme vitréen préférentiel Abcédation sous-rétinienne avec tropisme sous-rétinien préférentiel
Particularités microbio-cliniques ophtalmologiques
  • Des exsudats brunâtres de chambre antérieure avec infiltrat annulaire cornéen blanchâtre sont évocateurs d'infection à Bacillus ; un hypopion pupillaire et/ou un abcès sous-rétinien font suspecter une Klebsiella. La présence de lésions sous-rétiniennes avec hémorragie sous-jacente chez un sujet immunodéprimé oriente vers une atteinte à Nocardia [219] qui peut se compliquer d'abcès sous-rétinien pouvant évoluer vers la constitution d'un pseudo-hypopion. Ce dernier est également possible en cas d'atteinte à Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, Streptococcus viridans, Staphylococcus aureus, Toxocara, Candida ou Aspergillus

  • Une atteinte neurologique à type de syndrome méningé avec paralysie des nerfs crâniens, anomalies pupillaires et neuropathie optique est possible en cas d'infection à Neisseria meningitidis

Présence de condensations intravitréennes inflammatoires en chapelets (notamment dans le vitré postérieur) en regard de foyers choriorétiniens crémeux multiples, profonds et bien circonscrits L'infection débute habituellement sous forme de choroïdite focale suivie d'envahissement rétinien puis vitréen. Un hypopion, des nodules iriens, une sclérite, une vascularite et une neuropathie optique peuvent apparaître dans les cas les plus sévères L'évolution est volontiers plus fulminante avec baisse d'acuité visuelle rapidement progressive, douleurs oculaires importantes, présence de foyers choriorétiniens confluents à bords moins bien limités, avec abcédation sous-rétinienne ou rétro-hyaloïdienne, hémorragies intrarétiniennes et hyalite associées [220] Dans les cas les plus graves:hypopion rétro-hyaloïdien ou sous-rétinien, nécrose rétinienne
Atteinte systémique
  • Réalisation systématique d'hémocultures répétées aérobies et anaérobies

  • Examen cytobactériologique des urines, recherche d'un syndrome inflammatoire biologique, évaluation des fonctions hépatiques et rénales, contrôle de l'équilibre glycémique

  • Une ponction lombaire est réalisée en cas de suspicion d'atteinte méningée

  • Le statut immunitaire du patient est contrôlé, des sérologies VIH, syphilis, VHB, VHC sont systématiquement réalisées après accord du patient

  • TDM thoracique, échographie cardiaque, échographie et/ou TDM abdominopelvienne, imagerie cérébrale, scintigraphie au gallium 67 et PET-scan

  • Le foyer infectieux primitif est retrouvé dans 90 % des cas, il s'agit alors le plus fréquemment d'une endocardite (46 % des cas), un foyer infectieux génito-urinaire, dentaire, hépatique, biliaire, intestinal, méningé ou pulmonaire [207, 208]

Hémocultures sur milieu de Sabouraud (lyse-centrifugation, automates avec culture agitée) avec une sensibilité d'environ 50 à 77 % Antigénémie Aspergillus et Candida
ADN:acide désoxyribonucléique; ITS: internal transcribed spacer ; PCR: polymerase chain reaction ; PET-scan:tomographie d'émission par positron; TDM:tomodensitométrie; VHB:virus de l'hépatite B; VHC:virus de l'hépatite C; VIH:virus de l'immunodéficience humaine.

SIGNES CLINIQUES

Le terrain de survenue, l’interrogatoire minutieux, l’éventuelle altération fébrile de l’état général, l’examen somatique complet indispensable à tout bilan d’uvéite sévère devront orienter vers le diagnostic.

Signes fonctionnels

Les signes ophtalmologiques incluent la douleur (66 %) accompagnée fréquemment de céphalées, la rougeur, la baisse de l’acuité visuelle, les myodésopsies qui surviennent volontiers dans la semaine suivant l’apparition de l’infection générale. Les signes fonctionnels sont habituellement plus bruyants dans les endophtalmies bactériennes que dans les atteintes fongiques [208, 212].

Sur le plan général, les signes de sepsis avec malaise général, nausée, perte d’appétit ou de poids, douleurs abdominales, fièvre, frisson sont présents dans plus de 50 % des cas d’infection bactérienne [208]. L’examen somatique complet recherche la présence d’un foyer infectieux superficiel ou profond : auscultation cardiaque à la recherche d’un souffle valvulaire d’endocardite infectieuse ; examen neurologique à la recherche d’un syndrome méningé, d’une paralysie des nerfs crâniens, d’anomalies pupillaires ; examen des aires ganglionnaires à la recherche d’adénomégalies ; palpation abdominale à la recherche d’une masse hépatique, d’une splénomégalie ; examen cutané à la recherche de signes infectieux superficiels, de points de ponctions veineuses répétés évocateurs de toxicomanie ; examen articulaire à la recherche de signes d’arthrite.

Signes physiques

Les signes d’examen ophtalmologique sont ceux de toute endophtalmie : hyperhémie conjonctivale, inflammation de chambre antérieure, hypopion (fig. 5-2-96), hypertonie intra-oculaire avec œdème cornéen, hyalite (fig. 5-2-97). Certains signes orienteront vers l’origine endogène : hyalite en collier de perles classique en cas d’atteinte fongique, nodules de Roth et foyers choriorétiniens (fig. 5-2-98), abcès sous-rétiniens ou rétro-hyaloïdiens avec pseudo-hypopions éventuels.

Fig. 5-2-96
Endophtalmie endogène à Pseudomonas : inflammation de chambre antérieure avec hypopion chez une patiente immunodéprimée.
Fig. 5-2-97
Patient de 30 ans, consommateur de drogue par voie intraveineuse, ayant développé une endophtalmie candidosique de l’œil gauche.
a. Uvéite antérieure avec synéchies iridocristalliniennes. b. Rétinophotographie avant vitrectomie, avec une hyalite importante. c. Rétinophotographie après vitrectomie postérieure et exérèse de l’abcès prérétinien.
Fig. 5-2-98
Fond d’œil d’une patiente immunodéprimée de 57 ans (prise d’immunosuppresseurs) présentant une candidose systémique et oculaire bilatérale. a. Œil droit. b. Œil gauche.

SIGNES PARACLINIQUES

Le bilan paraclinique est oculaire et général.

Examens microbiologiques oculaires (tableau 5-2-26)

Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence de l’agent infectieux causal à partir de prélèvements microbiologiques d’humeur aqueuse ou de vitré, positifs dans 36 à 73 % des cas d’atteinte bactérienne selon les séries [207, 208, 212, 213]. Les techniques microbiologiques ont été décrites plus haut.

Échographie en mode B

Son analyse du segment postérieur est utile en cas de trouble de transparence du segment antérieur, afin de quantifier l’atteinte vitréenne et déceler des lésions choriorétiniennes : décollement choroïdien, abcédation choroïdienne ou sous-rétinienne, tractions vitréorétiniennes (fig. 5-2-99) [214]. La tomodensitométrie orbitaire est indiquée en cas de signes évocateurs d’extension orbitaire.

Fig. 5-2-99
Echographie en mode B d’un patient présentant une endophtalmie endogène bilatérale à streptocoque ß-hémolytique de groupe G.
a. Il existe une hyalite importante avec décollement postérieur du vitré et un décollement choroïdien. b. La hyalite est particulièrement dense.

TRAITEMENT

Le traitement curatif est pluridisciplinaire, médico-chirurgical, oculaire et général. Sa rapidité d’instauration conditionnera en partie le pronostic [221].

Traitement antibactérien systémique

Le traitement médical général inclut une antibiothérapie par voie systémique pendant au moins 2 à 4 semaines. L’antibiothérapie cible avant tout le foyer causal général, elle est probabiliste, adaptée au terrain et à la topographie de l’atteinte (tableau 5-2-27). On privilégie si possible l’utilisation d’un antibiotique à bonne pénétration intra-oculaire.

Tableau 5-2-27
Antibiothérapie générale probabiliste en fonction du terrain et de la topographie de l'atteinte systémique.
Foyer causal et/ou facteur de risque associé Antibiothérapie systémique probabiliste
Toxicomanie Pénicilline M + aminoside
Chirurgie abdominale, endoscopie Bêta-lactamine + imidazolé ± aminoside
Cathétérisme vasculaire prolongé Glycopeptide + aminoside
Hémodialyse Glycopeptide + aminoside
Foyer dentaire Pénicilline A + inhibiteur acide clavulamique
Foyer urinaire Ceftriaxone ± aminoside
Foyer hépatique/biliaire/intestinal Bêta-lactamine + imidazolé ± aminoside
Foyer pulmonaire Bêta-lactamine antipneumocoque ± fluoroquinolone
Méningite Céphalosporine de 3 e génération dans la plupart des situations Amoxicilline + gentamycine si suspicion de listériose
Endocardite Pénicilline A + aminoside

Traitement antifongique systémique

L’amphotéricine B à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j est efficace sur la plupart des champignons : Candida, Cryptococcus neoformans, Blastomyces dermatitidis, Coccidiodes immitis, Histoplasma capsulatum, Aspergillus et Fusarium. L’amphotéricine B est responsable de nombreux effets indésirables (douleurs sur le trajet veineux, thrombophlébite locale, fièvre, frissons, douleurs articulaires et musculaires, protéinurie, hématurie, insuffisance rénale aiguë, vomissements, douleurs abdominales). Une forme liposomale a été récemment développée, avec l’avantage d’une moindre toxicité rénale mais dotée d’une plus faible pénétration intra-oculaire.

En cas de candidose, le fluconazole peut être utilisé en première intention à la dose de 400 mg le premier jour puis 200 mg/j. Beaucoup mieux toléré et doté d’une meilleure pénétration intra-oculaire que l’amphotéricine B, le fluconazole est actif sur Candida albicans et Cryptococcus neoformans mais inactif sur Candida glabrata et Candida krusei. Une adaptation des posologies à la fonction rénale est nécessaire.

L’itraconazole est un antifongique à large spectre et administré par voie orale à la dose de 200 à 400 mg/j en une à deux prises. Il est actif sur les dermatophytes, les levures ( Candida spp., Cryptoccocus neoformans, Pityrosporum spp.), Aspergillus, Histoplasma spp., Paracoccidioïdes brasiliensis, Sporothrix schenckii, Fonsecaea spp., Cladosporium spp., Blastomyces dermatidis. En revanche, Fusarium, Acremonium et Mucorales sont habituellement peu sensibles ou résistants.

Le voriconazole, dérivé synthétique du fluconazole, possède un spectre antifongique élargi ( Aspergillus, Candida, Blastomyces, Coccidioides, Cryptococcus, Fusarium, Histoplasma, Scedosporium ) avec une action contre certains champignons résistants au fluconazole et à l’itraconazole ( Candida glabrata et Candida krusei notamment). Il peut être administré par voie orale (200 mg/j), intraveineuse (6 mg/kg/12 h) et intravitréenne. La posologie doit être adaptée à la fonction hépatique.

La caspofungine est active sur Candida, Aspergillus et Pneumocystis carinii , et inactive sur Cryptococcus, Fusarium et Trichosporon. Elle est utilisée à la posologie de 70 mg/j le premier jour, puis 50 mg/j les jours suivants, sa tolérance est excellente.

Antibiothérapie intravitréenne

Le recours aux IVT d’antibiotiques (vancomycine 1 mg/0,1 ml et ceftazidime 2 mg/0,1 ml en première intention) [207] est systématique en cas d’atteinte bactérienne du segment postérieur. Le traitement doit être répété du fait de la demi-vie courte des antibiotiques intravitréens [222].

En cas d’atteinte fongique, l’IVT de 5 μg d’amphotéricine B (doses cumulatives toxiques pour la rétine) est recommandée de façon systématique, hormis en cas d’atteinte minime. De récentes publications font état de l’utilisation de voriconazole administré par voie intravitréenne à la dose de 100 μg/0,1 ml avec une bonne tolérance rétinienne [223].

L’intérêt de la corticothérapie est controversé [207] et systématiquement contre-indiqué en cas de sepsis non contrôlé. La corticothérapie intravitréenne ne semble pas s’accompagner d’une exacerbation des signes infectieux en cas d’atteinte fongique lorsqu’elle est associée à l’administration intravitréenne efficace d’amphotéricine B [224, 225].

Vitrectomie

Le rôle bénéfique de la vitrectomie postérieure a été rapporté en cas d’endophtalmies endogènes bactériennes [207] et fongiques [226], avec une probabilité trois fois plus importante pour le groupe vitrectomisé d’obtenir une acuité visuelle utile et une réduction du risque par 3 de nécessiter d’une éviscération/énucléation (fig. 5-2-100) [207]. Les principales indications de vitrectomie sont : l’atteinte vitréenne et/ou choriorétinienne importante, la non-réponse au traitement médical et/ou l’atteinte maculaire. L’intérêt de la vitrectomie postérieure dans ce contexte est multiple : apporter une preuve microbiologique, réduire la charge microbienne, limiter la concentration en endo- et exotoxines et permettre une meilleure distribution des antibiotiques ou des antifongiques dans la cavité vitréenne [227].

Fig. 5-2-100
Visualisation du segment postérieur lors de la vitrectomie thérapeutique.Visualisation du segment postérieur lors de la vitrectomie thérapeutique.
a. Chez un patient atteint d’une endophtalmie à streptocoque β-hémolytique, il existe un abcès vitréen majeur et nous apercevons la rétine après ouverture de la hyaloïde postérieure. b. Foyer choriorétinien bien limité à S. aureus.

ÉVOLUTION

Le pronostic des endophtalmies endogènes dépend du terrain et de la rapidité de prise en charge : l’acuité visuelle finale est limitée au maximum à 1/200 dans 60 % des cas et un geste radical d’énucléation est conduit dans 30 % des cas [213]. Les facteurs de mauvais pronostic sont liés au mauvais état général de l’hôte, au fréquent retard diagnostique et thérapeutique, à la sévérité de l’atteinte oculaire initiale (acuité visuelle effondrée, hypopion, hyalite dense, atteinte rétinienne du pôle postérieur, ischémie rétinienne associée) [227] ainsi qu’à la virulence de l’agent causal.

En cas d’atteinte liée à un germe à Gram négatif, le pronostic est sombre excepté en cas d’infection à Haemophilus ou Neisseria. Les infections à Klebsiella pneumoniae aboutissent à une acuité visuelle inférieure à « compte les doigts » dans 75 % des cas [228].

En cas d’atteinte liée à un germe à Gram positif, le pronostic est meilleur, en dehors d’une atteinte postérieure diffuse causée par Bacillus, Staphylococcus aureus ou Streptococcus.

L’atteinte oculaire fongique à Candida est de bon pronostic si la prise en charge est agressive et précoce, avec 82 % d’acuité visuelle supérieure ou égale à 1/10 et jusqu’à 76 % d’acuité visuelle supérieure ou égale à 5/10 [227]. Les autres atteintes à filaments sont de mauvais pronostic, avec moins de 25 % d’acuité visuelle supérieure ou égale à 1/10 [227] et le pronostic est très péjoratif en cas d’infection à Histoplasma capsulatum [229].

Les complications oculaires comprennent : la cataracte, le glaucome néovasculaire, la neuropathie optique, l’œdème maculaire cystoïde et le décollement de rétine [211].

Sur le plan général, la mortalité des patients atteints de candidémie est de 58 % [230]. La mortalité des patients atteints d’endophtalmie endogène bactérienne varie de 5 % (donnée issue de plusieurs études rétrospectives) [207] à 32 % (donnée issue d’une étude prospective) [231].

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5.2.2 URGENCES INFLAMMATOIRES: Conjonctivites inflammatoires

D. BREMOND-GIGNAC

Points forts

  • Les conjonctivites non infectieuses représentent une minorité des conjonctivites vues en urgence.

  • L’urgence de prise en charge d’une conjonctivite non infectieuse est liée à ses symptômes intenses ou à l’item d’urgence qu’elle révèle.

PRÉSENTATION CLINIQUE

Les conjonctivites non infectieuses sont de nature très variée, ce qui se traduit par un large éventail de symptômes hétérogènes. Le contexte et l’association avec des anomalies extra-oculaires sont habituellement informatifs dans le cadre de l’urgence.

SIGNES FONCTIONNELS

Ils sont peu spécifiques, similaires à ceux d’une conjonctivite infectieuse (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Conjonctivites infectieuses »). En revanche, l’association de symptômes non spécifiques oriente volontiers vers un mécanisme pathologique particulier. Le prurit oriente vers une allergie, une atopie. L’association d’un prurit, d’un œdème palpébral et d’un chémosis évoque un mécanisme allergique (fig. 5-2-101). Une rhinorrhée claire, un prurit, des éternuements évoquent un mécanisme atopique. Une diplopie évoque une étiologie dysthyroïdienne.

Fig. 5-2-101
Conjonctivite bilatérale allergique de contact.
On observe l’œdème palpébral blanc, le chémosis (prédominant à gauche) et l’inflammation conjonctivale.

CONTEXTE

Les contextes orientant le diagnostic de conjonctivite non infectieuse sont très hétérogènes :

  • ±

    traumatisme, projection, exposition toxique ou allergisante ;

  • ±

    chirurgie ;

  • ±

    activité ou environnement exposant spécialement la conjonctive ;

  • ±

    traitement local, biothérapie systémique [1] ;

  • ±

    pathologie systémique inflammatoire, connectivite ;

  • ±

    pathologie dermatologique inflammatoire ou aiguë (dermatite atopique, épidermolyses bulleuses ou nécrotiques, etc.) ;

  • ±

    syndrome sec préexistant connu ;

  • ±

    pollinose, asthme.

Les facteurs favorisants sont en particulier :

  • ±

    l’atopie ;

  • ±

    le terrain immuno-allergique ;

  • ±

    les pathologies dysthyroïdiennes.

EXAMEN CLINIQUE

L’examen général recherche les signes physiques non spécifiques de conjonctivite (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Conjonctivites infectieuses »), élimine une atteinte oculaire autre que conjonctivale, recherche la présence d’un corps étranger (retournement palpébral supérieur, test à la fluorescéine). Il recherche des signes associés d’orientation étiologiques locaux : syndrome sec (test fluorescéine, analyse du film lacrymal, test de Schirmer), dysfonction meibomienne, follicules, papilles (fig. 5-2-102), papilles géantes, nodules de Trantas, symblépharon, fibrose de la muqueuse conjonctivale, exophtalmie, strabisme, scleral show , rétraction palpébrale supérieure (fig. 5-2-103). Les signes locorégionaux (rosacée cutanée, masque lupique, lichen cutané, dermatite atopique, etc.) et généraux (pathologie des muqueuses, goitre, arthrite, etc.) répondent aux étiologies spécifiques (tableau 5-2-28).

Fig. 5-2-102
Conjonctivite aiguë (a) avec papilles rétrotarsales supérieures (b) et larmoiement (a et b).
Noter la dysfonction des glandes meibomienne associée.
Fig. 5-2-103
a, b. Patiente consultant en structure d’urgence pour conjonctivite chronique droite évoluant par crises aiguës d’œil rouge, avec gêne péri-oculaire et larmoiement paroxystique.
Noter le goitre et la limitation d’abduction droite en regard latéral gauche.
Tableau 5-2-28
Catégories des conjonctivites non infectieuses, modifiées d'après BenEzra [2].
Auto-immune
Allergique:de contact professionnelle perannuelle
Atopique
Vernale
À papilles géantes
Phlycténulaire:pathologies fibrosantes et non fibrosantes des muqueuses pemphigoïde et pemphigus
Systémique:connectivites dermatite et pathologies cutanées pathologie systémique inflammatoire et auto-imune
Sèche
Hyposécrétoire
Inflammatoire:dysfonctions meibomiennes connectivites
Évaporative:pathologies d'exposition environnementale
Associée aux:dysfonctions palpébrales dermatite et pathologies cutanées dysfonctions muqueuses
latrogène
Locale:collyres, chirurgie
Systémique:syndrome de Lyell
Mécanique
Limbique supérieure
Traumatique
Corps étranger
Palpébrales
Paranéoplasique

TYPE D’URGENCE ET DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

Le degré d’urgence d’une conjonctivite non infectieuse dépend de son étiologie.

Une conjonctivite non infectieuse isolée sans facteur de gravité mais avec un caractère aigu est un triage de prise en charge (PEC) de catégorie 5 (classification infirmière des malades aux urgences de niveau 5 [CIMU 5]). En cas de traumatisme, de suspicion de corps étranger, on applique un triage PEC de catégorie 3. Une pathologie systémique associée incite à un triage PEC de catégorie 4, afin de vérifier l’absence d’un item oculaire associé.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Dans le cadre de l’urgence, aucun examen paraclinique n’est indispensable pour prendre en charge une conjonctivite inflammatoire. Ils peuvent soit rechercher l’étiologie de la conjonctivite non infectieuse, soit contribuer au bilan d’une pathologie systémique aiguë ou décompensée. Cela diffère alors de la gestion d’une conjonctivite simple. Les éventuels examens paracliniques ne sont généralement pratiqués qu’en aval des urgences, suivant une consultation d’urgence initiale. Il peut s’agir d’un bilan sanguin inflammatoire, radiologique ou spécialitaire filiarisé (allergologie, dermatologie, rhumatologie, médecine interne).

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Le diagnostic s’oriente vers les étiologies de nature auto-immune, allergique, sèche, iatrogène, mécanique ou paranéoplasique (tableau 5-2-28).

En urgence, il faut savoir éliminer une conjonctivite infectieuse et reconnaître en priorité :

  • ±

    une conjonctivite allergique soit fréquente comme les conjonctivites saisonnières et perannuelles, soit rare comme la kératoconjonctivite vernale dont le pronostic est nettement plus sévère [3, 4] ;

  • ±

    une conjonctivite toxique aiguë ;

  • ±

    une conjonctivite phlycténulaire ou fibrosante ;

  • ±

    une conjonctivite à fausse membrane qui, en dehors d’un contexte infectieux, fait évoquer la conjonctivite ligneuse sur déficit en plasminogène, qui est rare, une épidermolyse bulleuse ou une réaction du greffon contre l’hôte selon le contexte ;

  • ±

    une conjonctivite mécanique par corps étranger.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL ESSENTIEL

Les conjonctivites infectieuses sont le principal diagnostic différentiel. Elles nécessitent donc un examen clinique complet pour éliminer une affection néoplasique (aspect conjonctival rose saumoné des lymphomes conjonctivaux), les kératites, les blépharites, les uvéites, les hypertonies, les douleurs oculaires aiguës, les corps étrangers, les brûlures.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

Le but du traitement est d’accélérer la résolution des symptômes, de limiter la progression locale ou locorégionale, et d’améliorer la qualité de vie du patient. La prise en charge d’une pathologie systémique ou chronique associée ne s’envisage pas dans le cadre de l’urgence, hormis si elle engage prématurément un pronostic fonctionnel ou vital (par exemple syndrome de Lyell). La PEC thérapeutique associe de manière facultative [3] :

  • ±

    des mesures non pharmacologiques : éviction de l’allergène, rinçages au sérum physiologique, changement ou adaptation de l’environnement socio-professionnel, filtration d’air, nettoyage capillaire avant le coucher, lubrifiants de surface oculaire ;

  • ±

    des vasoconstricteurs locaux : en cure courte de 24 à 72 heures pour éviter la tachyphylaxie et l’effet rebond à leur arrêt. Ils sont contre-indiqués en cas d’angle étroit, de maladies cardiovasculaires, d’hypertension artérielle, de diabète ou de dysthyroïdie ;

  • ±

    des antihistaminiques locaux et/ou systémiques : ils diminuent le prurit [4]. Ils peuvent aggraver un syndrome sec ;

  • ±

    des anti-inflammatoires non stéroïdiens locaux [5, 6] ;

  • ±

    des cortocoïdes locaux : ils permettent de soulager les symptômes efficacement en cure courte pour les épisodes aigus intenses [7], après avoir éliminé une étiologie infectieuse ;

  • ±

    des antidégranulants masctocytaires ou des immunomodulateurs locaux : ils ne sont pas un traitement d’urgence, car leur action n’est pas immédiate. Ils peuvent être utilisés en association avec les antihistaminiques [4, 8].

La consultation initiale d’urgence oriente au besoin le bilan étiologique en consultation filiarisée.

PRONOSTIC

Le pronostic est directement lié à l’étiologie. Le pronostic fonctionnel est généralement conservé.

CONCLUSION

Les conjonctivites non infectieuses peuvent être la conséquente d’étiologies variées. La prise en charge en urgence s’attache à éliminer un item associé, rechercher et enlever un corps étranger, aider à l’éviction d’un allergène ou d’un toxique, soulager les symptômes et organiser la prise en charge d’aval (surveillance, modulation du traitement, bilan étiologique).

BIBLIOGRAPHIE

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[3] Bielory L, Meltzer EO, Nichols KK, et al. An algorithm for the management of allergic conjunctivitis. Allergy Asthma Proc 2013 ; 34 : 408‑20.
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[8] Erdinest N, Solomon A. Topical immunomodulators in the management of allergic eye diseases. Curr Opin Allergy Clin Immunol 2014 ; 14 : 457‑63.

Urgences inflammatoires cornéennes non infectieuses

V. BORDERIE

Points forts

  • Les pathologies immunitaires de la cornée ont en commun l’inflammation d’origine immunitaire de la cornée.

  • Il s’agit de pathologies non infectieuses, mais parfois déclenchées par des agents infectieux.

  • La kératite peut prendre l’aspect d’une kératite ponctuée superficielle, d’un ulcère, d’une kératite sèche, d’une néovascularisation superficielle ou profonde ou d’une fibrose.

  • Le diagnostic étiologique repose sur les caractéristiques cliniques de la kératite, sur l’atteinte palpébrale, conjonctivale et cutanée et sur les résultats des explorations biologiques.

  • Les prélèvements microbiologiques sont souvent nécessaires pour éliminer des pathologies infectieuses, notamment l’herpès.

  • L’avis d’un médecin interniste ou d’un dermatologue est souvent utile.

  • Le traitement varie selon l’étiologie. Il repose en règle sur la corticothérapie locale. La ciclosporine en collyre peut être utile dans certaines pathologies et un traitement général immunosuppresseur est nécessaire dans les formes les plus graves.

PRÉSENTATION CLINIQUE
SIGNES FONCTIONNELS
Généraux

De nombreuses kératites immunitaires ont une cause systémique qui se manifeste par une atteinte articulaire, cutanée, muqueuse, pulmonaire, ORL, neurologique, cardiaque ou vasculaire périphérique. L’interrogatoire à la recherche des signes fonctionnels doit donc être très large. Il faut toujours compléter cet interrogatoire par une inspection du visage et des mains. Il faut également rechercher des signes d’altération de l’état général (asthénie, anorexie, amaigrissement) qui peuvent indiquer que la pathologie systémique est active voire menace directement la survie du patient.

Ophtalmologiques

Les signes fonctionnels sont des douleurs, une baisse de la vision, des halos autour des lumières, une photophobie, un éblouissement, un larmoiement, des sensations de brûlures et/ou de sécheresse oculaire et/ou de corps étranger, une photophobie, une rougeur oculaire, des sécrétions muqueuses, un larmoiement réflexe, un prurit et un blépharospasme. En cas d’ulcère cornéen, la douleur est d’autant plus importante que l’ulcère est superficiel et débutant et que la sensibilité n’est pas altérée ; la vision est d’autant plus altérée que l’ulcère est central. Les signes fonctionnels sont souvent riches en cas de sécheresse oculaire.

CONTEXTE
Terrain

Les kératites immunitaires se rencontrent à tous les âges de la vie. Une anamnèse détaillée est indispensable pour rechercher une pathologie systémique à l’origine de la pathologie immunitaire cornéenne, notamment une polyarthrite rhumatoïde, un syndrome de Sjögren, un lupus, une sarcoïdose, etc.

latrogénie

Un traitement médical ou chirurgical peut être un facteur déclenchant de certaines pathologies immunitaires comme le syndrome de Stevens-Johnson secondaire aux sulfamides, la réaction du greffon contre l’hôte après allogreffe de moelle, ou l’ulcère de Mooren déclenché par une chirurgie oculaire.

Circonstances de survenue

Le patient peut consulter aux urgences pour une aggravation d’une kératite immunitaire dont le diagnostic étiologique est déjà fait. Le problème est alors d’évaluer la sévérité de la poussée et les risques de complications à court terme, et de déterminer la meilleure prise en charge thérapeutique dans le contexte de l’urgence. Dans les autres cas, la pathologie débute ou bien évolue depuis plusieurs mois ou années sans qu’un diagnostic étiologique ait été fait. Il faut alors mettre en œuvre aux urgences une démarche diagnostique pour aboutir au diagnostic en hiérarchisant les explorations complémentaires en fonction des priorités diagnostiques (les diagnostics mettant en jeu le pronostic vital, comme une périartérite noueuse, ou ceux mettant en jeu le pronostic anatomique du globe, comme un ulcère de Mooren préperforatif, impliquent un diagnostic et une prise en charge thérapeutique très rapides).

EXAMEN CLINIQUE
Kératite ponctuée superficielle

L’œil est rouge avec un cercle périkératique discret. La surface cornéenne est dépolie (éclairage oblique), la lueur pupillaire est grisée ponctuée (éclairage direct de la pupille) et des points prennent la coloration par la fluorescéine.

Ulcère cornéen

L’œil est rouge avec un cercle périkératique franc. On observe une perte de substance prenant la fluorescéine. Il faut rechercher un descemétocèle (fonte du stroma cornéen mettant à nu la membrane de Descemet) et un hypopion réactionnel.

Sécheresse oculaire

La kératoconjonctivite sèche se manifeste sous forme de kératite ponctuée superficielle avec un test à la fluorescéine positif en bande horizontale, plus intense dans la partie inférieure de la cornée. Dans les formes sévères, des filaments épithéliaux peuvent constituer une kératite filamenteuse très douloureuse. La sémiologie de l’hyposécrétion lacrymale comporte l’intensité maximale des signes le matin, l’augmentation du réflexe de clignement, l’aspect terne et jaunâtre des conjonctives, un film cornéen épais visqueux, un test de Schirmer inférieur à 10 mm à 5 minutes, un test au rose Bengale ou au vert de lissamine positif, des rivières lacrymales diminuées avec des débris muqueux, un temps de rupture du film lacrymal inférieur à 5 à 10 secondes. La sémiologie de l’excès d’évaporation comporte une topographie en bande de la kératite ponctuée superficielle, le plus souvent inférieure, et un temps de rupture du film lacrymal inférieur à 5 à 10 secondes.

Insuffisance limbique et néovascularisation cornéenne

Le syndrome d’insuffisance en cellules souches limbiques se caractérise par un envahissement de la surface cornéenne par un épithélium opaque, irrégulier et hyperperméable à la fluorescéine, une néovascularisation cornéenne superficielle, des troubles de la cicatrisation épithéliale (défects épithéliaux chroniques ou récurrents) et des ulcérations épithéliales étendues pouvant conduire à la perforation.

Fibrose de la surface oculaire

La fibrose atteint d’abord la conjonctive puis, secondairement, la cornée. Elle débute par de petites stries blanchâtres (stade I) des conjonctives tarsales. Par la suite, les culs-de-sac conjonctivaux se comblent (stade II) avec formation de symblépharons (stade III). L’atteinte de la cornée est généralement contemporaine de la formation d’un ankyloblépharon (stade IV) avec entropion-trichiasis. Dans les formes évoluées, le xérosis s’accompagne d’une kératinisation de l’épithélium conjonctival et cornéen donnant un aspect blanc et terne à la surface oculaire.

Orientation vers une origine immunitaire

Devant ces grands tableaux cliniques isolés ou associés, les éléments en faveur d’une origine immunitaire à l’atteinte cornéenne sont la présence d’une inflammation (hyperhémie, néovascularisation, douleurs) chronique, l’absence de cause infectieuse notamment herpétique et l’élimination des causes non inflammatoires (brûlure oculaire, traumatisme, sécheresse oculaire d’origine hormonale, cause iatrogene, etc.).

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES
Grattage d’un ulcère cornéen à la lampe à fente

Il est réalisé en cas d’ulcère cornéen chaque fois qu’il existe un doute avec une pathologie infectieuse ou que l’on suspecte une surinfection d’un ulcère d’origine immunologique.

Optical coherence tomography (OCT) cornéenne

Une OCT est réalisée systématiquement en cas d’ulcère cornéen.

Frottis conjonctival

L’examen cytologique d’un frottis conjonctival étalé sur lame est utile lorsque l’on suspecte une kératoconjonctivite allergique ou une kératoconjonctivite limbique supérieure.

Recherche d’immunoglobulines E (IgE) dans les larmes

Cette recherche peut être faite par bandelette de type Stallerdiag ® , Phadiatop ® , dosage des IgE dans les larmes et le sang (rapport entre la production lacrymale et la production sérique d’IgE). Elle est utile pour le diagnostic des kératites allergiques. Elle est réalisée aux urgences si des bandelettes sont disponibles. Dans le cas contraire, l’examen sest prescrit secondairement en consultation.

Bilan sanguin et radiologique

Ce bilan est prescrit en cas d’ulcère immunitaire : numération formule sanguine (NFS), vitesse de sédimentation (VS), C-reactive proteine (CRP), fibrinogène, électrophorèse des protéines plasmatiques, urée, créatininémie, sérum glutamopyruvate transférase (SGPT), sérum glutamo-oxalo-acétate transférase (SGOT), sérologie virus de l’hépatite C (VHC), de l’hépatite B (VHB), de l’immunodéficience humaine (VIH) et maladie de Lyme, treponoma pallidum hemagglutinations assay (TPHA)/ venerai disease research laboratory (VDRL), facteur rhumatoïde, anticorps anti-peptides citrulinés cycliques (anti-CCP), anticorps antinucléaires, anti-SSa, anti-SSb, anticorps anticytoplasme des polynucléaires ( anti-neutrophil cytoplasmic antibodies [ANCA]), recherche de complexes immuns circulants, dosage du complément, intradermoréaction à la tuberculine et/ou Quantiféron, radiographie de thorax et des articulations douloureuses, examen parasitologique des selles, examen cytobactériologique des urines (ECBU).

Biopsie conjonctivale et/ou cutanée avec immunofluorescence

Cet examen est utile au diagnostic étiologique des kératoconjonctivites fibrosantes. Elle est programmée secondairement en consultation.

Avis d’un médecin interniste ou dermatologue

L’avis d’un médecin interniste ou dermatologue est indispensable en cas de kératoconjonctivite fibrosante, d’ulcère immunitaire ou de suspicion de maladie systémique. Il est nécessaire aux urgences si l’on doit faire des bolus de corticoïdes, en cas d’altération de l’état général, de syndrome inflammatoire biologique ou en cas d’atteinte systémique engageant le pronostic vital.

TYPE D’URGENCE

Le délai de prise en charge (PEC) dépend de la situation clinique (tableau 5-2-29). Il peut être déterminé dès l’arrivée aux urgences lorsque le patient est référé par un ophtalmologiste qui a déjà fait une première évaluation. Sinon une rapide évaluation ophtalmologique est nécessaire pour déterminer le degré d’urgence.

Tableau 5-2-29
Le triage de prise en charge des kératites inflammatoires non infectieuses est variable et dépend de la présentation clinique.
Délai de prise en charge Catégorie de triage Situation clinique
Sans délai 1 Atteinte systémique engageant le pronostic vital:par ex., pathologie immunitaire systémique décompensée
< 1 h 2 Perforation cornéenne avérée Altération de l'état général
< 6 h 3 Ulcère cornéen avec fonte stromale
< 24 h 4 Ulcère cornéen superficiel, infiltrat inflammatoire stromal
< 72 h 5 Fibrose de la surface oculaire
< délai de consultation habituel 6 Kératite ponctuée superficielle Insuffisance limbique

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES ET D’INTÉRÊT PARTICULIER POUR LA PRISE EN CHARGE EN URGENCE
BIOLOGIQUES

L’examen cytologique direct d’un frottis conjonctival étalé sur lame est informatif en cas de kératoconjonctivite vernale (présence de polynucléaires éosinophiles ou de granules éosinophiles), de kératoconjonctivite limbique supérieure (présence de polynucléaires neutrophiles, de lymphocytes et de plasmocytes). Il est également utile au diagnostic différentiel en montrant la présence d’agents infectieux (bactéries, virus, Chlamydiae , etc.).

La positivité de la recherche d’IgE dans les larmes est utile au diagnostic de kératite allergique [1]. A contrario, l’absence d’IgE dans les larmes et même dans le sérum n’élimine pas l’origine allergique de la pathologie et ce test n’est pas spécifique.

Les résultats du bilan sanguin demandé en cas d’ulcère immunologique ne sont obtenus habituellement qu’après plusieurs jours. Aux urgences, seuls les résultats de la recherche du syndrome inflammatoire systémique (hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, VS accélérée, CRP et fibrinogène augmentés) sont disponibles. En cas de syndrome inflammatoire, l’avis d’un interniste doit être demandé en urgence.

IMAGERIE

L’OCT cornéenne permet d’évaluer l’importance de la perte de substance cornéenne et le risque de perforation. Elle permet également de quantifier l’étendue et la profondeur de l’infiltrat inflammatoire stromal. Le bilan radiographique permet d’objectiver une atteinte articulaire, osseuse ou pulmonaire liée à une pathologie inflammatoire systémique.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE
KÉRATITES ALLERGIQUES
Kératoconjonctivite atopique

Il s’agit habituellement d’une manifestation oculaire de la dermatite atopique. On retrouve des antécédents familiaux d’atopie (notamment asthme, rhinite allergique ou eczéma) dans deux tiers des cas. La pathologie est bilatérale et symétrique et survient entre 30 et 50 ans, avec une prédominance masculine. La symptomatologie perannuelle inclut notamment un prurit. Le processus pathologique atteint souvent les paupières, la conjonctive et la cornée. L’atteinte palpébrale peut prendre l’aspect d’un eczéma des paupières, de lésions lichéniformes du bord libre, d’une blépharite séborrhéique avec meïbomite, d’une exagération des plis palpébraux, d’un ectropion, d’un ptosis et d’une chute des cils. Les paupières sont souvent colonisées par des staphylocoques dorés. L’atteinte conjonctivale précède l’atteinte cornéenne. Elle peut prendre l’aspect d’une pâleur conjonctivale, d’un chémosis, d’une conjonctivite papillaire, d’une limbite, d’une sécheresse oculaire et d’une hypertrophie gélatineuse de la conjonctive périlimbique. Des papilles géantes peuvent se développer sur la conjonctive tarsale supérieure. La chronicité de l’inflammation peut conduire à la fibrose conjonctivale, au raccourcissement du cul-de-sac conjonctival inférieur, à la kératinisation de l’épithélium conjonctival et à la formation de symblépharons. L’atteinte cornéenne peut prendre la forme d’une kératite ponctuée superficielle, de microkystes épithéliaux, d’un pannus vasculaire périphérique envahissant progressivement la surface cornéenne (fig. 5-2-104), d’un ulcère périphérique ou central, d’une néovascularisation stromale et de dépôts lipidiques dans le stroma cornéen (provenant des néovaisseaux cornéens). Les lésions cornéennes peuvent être sources de cicatrices opaques (taies) et d’un amincissement stromal séquellaire. Les ulcères peuvent conduire à la perforation. Le risque de surinfection bactérienne est réel et la fréquence du kératocône, des kératites herpétiques, de la cataracte sous-capsulaire antérieure, des déchirures rétiniennes périphériques, de la rosacée et des meibomites est augmentée. Les kératomycoses peuvent compliquer l’évolution lorsque les patients sont traités par une corticothérapie locale au long cours.

Fig. 5-2-104
Kératoconjonctivite atopique avec néovascularisation cornéenne en pannus supérieur de la cornée.

Kératoconjonctivite vernale (printanière)

Il s’agit d’une manifestation oculaire de l’atopie qui survient habituellement chez l’enfant ou l’adolescent et disparaît après l’adolescence. On retrouve des antécédents personnels et familiaux d’atopie, notamment d’asthme, d’eczéma ou d’urticaire. La fréquence du kératocône et de la cataracte atopique est augmentée sur ce terrain. La kératoconjonctivite vernale est plus fréquente dans les pays chauds et secs, en cas de pollution atmosphérique. La symptomatologie inclut notamment un prurit. La kératoconjonctivite est bilatérale et chronique avec une recrudescence printanière. Elle évolue par poussées et a une prédominance masculine. Les papilles géantes de la conjonctive tarsale supérieure ont une forme polygonale et aplatie et une taille qui peut atteindre plusieurs millimètres (fig. 5-2-105a). Elles sont très évocatrices, mais non pathognomoniques. Elles peuvent être entourées de sécrétions formant une fausse membrane. La conjonctive limbique est le siège de nodules gélatineux (fig. 5-2-105b). Ceux-ci peuvent être centrés par des concrétions blanchâtres (nodules de Trantas). L’atteinte cornéenne se manifeste par de fines opacités superficielles grisâtres prédominant dans la partie supérieure de la cornée, qui peuvent s’ulcérer pour former une kératite ponctuée érosive, voire un ulcère ovale horizontal dont le fond est recouvert d’un enduit (plaque vernale). Le caractère chronique de l’ulcère peut conduire à la formation d’une taie, d’un amincissement stromal localisé, voire à une néovascularisation de la zone ulcérée. L’ulcère peut se compliquer de surinfection. Une kératite interstitielle peut se voir sous forme de pseudo-gérontoxon ou d’une néovascularisation stromale.

Fig. 5-2-105
Papilles géantes (a) de kératoconjonctvite vernale (b).

Kératite marginale immuno-allergique secondaires à une blépharite

Il existe une blépharoconjonctivite chronique. Les infiltrats marginaux catarrhaux intéressent le stroma périphérique. Ils sont disposés parallèlement au limbe et séparés de celui-ci par une bande de cornée claire. Ils s’accompagnent d’une hyperhémie conjonctivale ou d’un chémosis et peuvent évoluer vers la formation de petits ulcères superficiels proches du limbe, douloureux et récidivants. On peut en rapprocher les kératoconjonctivites phlycténulaires (fig. 5-2-106) qui sont des réactions d’hypersensibilité retardée à un antigène microbien (staphylococcique le plus souvent). Les lésions sont périphériques sous forme de phlyctènes ou d’ulcérations qui cicatrisent rapidement avec une néovascularisation, en laissant une taie.

Fig. 5-2-106
Kératite phlycténulaire.
La phlyctène (a) s’ulcère et cicatrise très rapidement laissant une petite dépression épithéliale objectivée par un effet pooling lors de la coloration par la fluorescéine (b).

PATHOLOGIES AUTO-IMMUNES
Syndrome de Sjögren

Il s’agit d’une pathologie assez fréquente dont la prévalence est estimée à 0,4 % avec une prédominance féminine très nette (95 %). Elle survient habituellement après la ménopause. Les critères diagnostiques comportent quatre éléments : la kératoconjonctivite (hyperhémie conjonctivale ; diminution de la sécrétion lacrymale au test de Schirmer ; tests à la fluorescéine positifs [ fig. 5-2-107 ] ; follicules possibles ; kératite filamenteuse, voire infiltrats sous-épithéliaux ; ulcères cornéens stériles, centraux ou paracentraux ronds ou ovales, de taille modérée, mais creusants ; ulcères bactériens), la xérostomie, la présence d’infiltrats lymphocytaires focaux à la biopsie de glande salivaire accessoire et celle d’auto-anticorps (antinucléaires, anti-SSa ou anti-SSb, facteur rhumatoïde). Une conjonctivite fibrosante peut se développer au cours du syndrome de Sjögren. Le syndrome de Sjögren peut être primitif ou secondaire à une polyarthrite rhumatoïde ou une autre maladie systémique auto-immune.

Fig. 5-2-107
Kératite sèche, due à un syndrome de Sjögren secondaire à une polyarthrite rhumatoïde.

Ulcère de Mooren et kératites ulcérantes périphériques

L’ulcère de Mooren (fig. 5-2-108) peut être unilatéral, bilatéral simultané ou bilatéral décalé dans le temps. Il existe une prédominance masculine. Il survient souvent après un facteur déclenchant (traumatisme, chirurgie de la cataracte, greffe de cornée, infection). Il est plus souvent nasal ou temporal que supérieur ou inférieur, d’abord marginal en regard d’un bourrelet conjonctival limbique, puis annulaire, très creusant, voire perforant. Il s’étend jusqu’au limbe. La sclère n’est pas ulcérée. Il est précédé et accompagné d’infiltrats blanchâtres périphériques en avant du front de l’ulcère, progressivement confluents. Il est caractérisé par un bec abrupt (en promontoire) surplombant le bord central de l’ulcère, une hyperhémie et un œdème conjonctival en regard formant un bourrelet conjonctival, une vasodilatation épisclérale et sclérale. La progression est circonférentielle et centripète. Une néovascularisation cornéenne d’origine limbique recouvre progressivement la zone ulcérée en formant une taie blanchâtre amincie et néovascularisée [2]. La classification clinique de Wood et Kaufman distingue ulcère typique (sujet âgé, 3 hommes/2 femmes, unilatéral dans 75 % des cas, évolution souvent favorable sous traitement) et ulcère atypique (sujet jeune souvent d’origine africaine, 3 hommes/1 femme, bilatéral dans 75 % des cas, pronostic souvent défavorable) [3].

Fig. 5-2-108
Ulcère de Mooren débutant (a) et ulcère de Mooren plus étendu (b).

L’ulcère de Mooren est un diagnostic d’exclusion. Avant de porter le diagnostic, il faut éliminer deux entités à distinguer. On individualise d’abord les ulcères marginaux à clinique identique à celle de l’ulcère de Mooren classique mais avec une étiologie retrouvée, notamment l’hépatite C et les helminthiases. Ils se distinguent des autres kératites ulcérantes périphériques dont la présentation clinique est différente [4]. Les vascularites (polyarthrite rhumatoïde qui représente 30 à 40 % des cas, maladie de Wegener, périartérite noueuse, etc.) donnent habituellement une kératite ulcérante périphérique souvent bilatérale (40 % des cas) associée à une sclérite (30 % des cas), mais elles peuvent donner également des ulcères cliniquement proches de l’ulcère de Mooren « typique » [5–8].

Polyarthrite rhumatoïde

La polyarthrite rhumatoïde a une large prédominance féminine. Elle peut donner de nombreuses atteintes inflammatoires oculaires : les plus fréquentes sont le syndrome de Sjögren, les sclérites et épisclérites. Néanmoins, les atteintes cornéennes ne sont pas exceptionnelles et peuvent prendre des formes très diverses. La cornée périphérique est volontiers atteinte et ce d’autant qu’il existe une sclérite de voisinage –, sous la forme d’une kératite sclérosante (i nfiltrats stromaux, néovaisseaux, opacités cristallines, dépôts lipidiques), d’une kératite interstitielle aiguë, d’un amincissement stromal périphérique sans ulcération épithéliale, d’une kératolyse (fonte stromale conduisant très rapidement à la perforation) ou d’un pseudo-ulcère de Mooren ou de Dellen secondaire à une épisclérite nodulaire. La cornée centrale peut être également atteinte sous la forme d’ulcères creusants (kératolyse aseptique) qui peuvent rapidement aboutir à la perforation (fig. 5-2-109). Une chirurgie oculaire peut déclencher un ulcère nécrosant au cours de la polyarthrite rhumatoïde [9].

Fig. 5-2-109
Kératolyse aseptique centrale (a) au cours d’une polyarthrite rhumatoïde déformante (b).

Pemphigoïde oculaire cicatricielle

Cette pathologie débute habituellement vers 70 ans. Il existe une prédominance féminine (2/1). L’évolution est chronique et progressive, parfois entrecoupée d’épisodes aigus. L’atteinte oculaire est bilatérale, mais peut être asymétrique.

L’atteinte cutanée est inconstante. L’atteinte des muqueuses est beaucoup plus fréquente, sous la forme de gingivite desquamative ou de lésions vésiculo-bulleuses avec un risque de fibrose et de sténose. L’atteinte oculaire se manifeste par une conjonctivite chronique souvent compliquée de blépharoconjonctivite bactérienne, une fibrose de la surface oculaire, des ulcères cornéens et conjonctivaux, une néovascularisation et une opacification cornéennes (fig. 5-2-110). Une sécheresse oculaire par déficit aqueux et excès d’évaporation est associée, ainsi qu’une insuffisance limbique source de néovascularisation et d’opacification de la cornée. À terme, toute la surface oculaire est kératinisée. D’autres dermatoses bulleuses auto-immunes peuvent donner (rarement) une kératoconjonctivite fibrosante.

Fig. 5-2-110
Pemphigoïde oculaire cicatricielle.

Syndrome de Stevens-Johnson

Il s’agit d’une pathologie très rare (environ 1 cas pour 1 million d’habitants et par an). La présentation est suraiguë. L’atteinte oculaire est bilatérale. Après la phase aiguë, les lésions sont cicatricielles et n’ont habituellement pas tendance à évoluer sur un mode inflammatoire, mais elles sont volontiers évolutives. L’atteinte cutanée se fait sous la forme de lésions en « cocarde » et de lésions bulleuses. Une atteinte muqueuse, voire viscérale, est associée, ainsi que des signes généraux (fièvre). L’atteinte oculaire est présente dans 80 % des cas à la phase aiguë. Il s’agit d’une conjonctivite qui peut être banale, purulente ou pseudo-membraneuse, d’ulcères cornéens et d’une uvéite antérieure. Les séquelles oculaires sont présentes dans un tiers des cas après la phase aiguë. Il s’agit de symblépharons, entropions, trichiasis, d’une insuffisance limbique source d’ulcères cornéens chroniques, d’opacification et de néovascularisation cornéennes et enfin d’une kératinisation de la surface oculaire (fig. 5-2-111). Une sécheresse oculaire par déficit aqueux et excès d’évaporation est associée aux autres signes.

Fig. 5-2-111
Syndrome de Stevens-Johnson à la phase chronique.

PATHOLOGIES LIÉES À UNE GREFFE
Réaction du greffon contre l’hôte

Cette pathologie survient chez les patients ayant reçu une allogreffe de moelle. Suivant la date de survenue par rapport à la greffe, on parle de graft versus host (GVH) aiguë, avant 100 jours, ou chronique, après 100 jours. L’atteinte oculaire s’associe à une atteinte cutanée, hépatique et intestinale. Au cours de la GVH aiguë, l’atteinte oculaire est classée en quatre stades de gravité croissante : hyperhémie conjonctivale (stade 1), hyperhémie conjonctivale associée à un chémosis et des hémorragies conjonctivales (stade 2), conjonctivite pseudo-membraneuse (stade 3), conjonctivite pseudo-membraneuse associée à une desquamation de l’épithélium cornéen. Au cours de la GVH chronique, on retrouve la même atteinte oculaire, ainsi qu’une fibrose conjonctivale avec des symblépharons, une kératinisation de la surface oculaire et un pannus cornéen donnant un tableau clinique de pemphigoïde oculaire (fig. 5-2-112). Par ailleurs, la GVH donne un syndrome sec oculaire proche du syndrome de Sjögren.

Fig. 5-2-112
Atteinte cornéenne d’une GVH (réaction du greffon contre l’hôte) après allogreffe de moelle).

Rejet de greffe de cornée

Le diagnostic est ici facile du fait du terrain (greffe de cornée) et il n’existe pas de difficulté diagnostique avec les autres kératites immunitaires en dehors du cas difficile d’un patient greffé pour des séquelles de kératite immunitaire chez qui la récidive de pathologie initiale sur le greffon peut être intriquée avec le processus de rejet. Les signes (précipités rétrocornéens, œdème cornéen, infiltrats inflammatoires stromaux ou sous-épithéliaux, néovaisseaux cornéens) ont comme caractéristique d’intéresser le greffon et de respecter la cornée périphérique (fig. 5-2-113) [10].

Fig. 5-2-113
Rejet de greffe de cornée.

PATHOLOGIES IMMUNITAIRES DE MÉCANISME DISCUTÉ
Rosacée

Cette pathologie survient habituellement entre 40 et 60 ans, sans prédominance masculine ou féminine. Le tableau clinique associe une atteinte cutanée et une atteinte oculaire. L’atteinte cutanée est bilatérale et relativement symétrique : flushs, érythrose et télangiectasies faciales (couperose), rosacée papulo-pustuleuse, rosacée hypertrophique avec rhinophyma. L’atteinte oculaire est le plus souvent bilatérale et associe une atteinte palpébrale (meibomite avec un excès de sébum visible au niveau des orifices des glandes de Meibomius, télangiectasies du bord libre, épaississement des paupières déplaçant le bord libre vers l’avant, blépharite séborrhéique, chalazions, orgelets, éruption papuleuse des paupières, entropion, infiltration du bord libre), une atteinte du film lacrymal (anomalies de la couche lipidique, particules de mucines, syndrome sec par excès d’évaporation), une atteinte conjonctivale (hyperhémie conjonctivale, conjonctivite papillaire, lésions granulomateuses possibles dans les rosacées papulo-pustuleuses) et une atteinte cornéenne (kératite ponctuée superficielle inférieure récidivante qui est la manifestation la plus fréquente, kératoconjonctivite phlycténulaire qui évolue vers la kératite rosacée sous forme de pannus néovasculaire périphérique triangulaire au sein d’une opacité stromale inférieure, ulcérations, voire perforation, infiltrats stromaux, taies, néovascularisation, lésions de la membrane basale épithéliale) (fig. 5-2-114).

Fig. 5-2-114
Rosacée oculaire avec atteinte cornéenne.

Kératite ponctuée superficielle de Thygeson

Cette kératite survient habituellement entre 10 et 40 ans, sans prédominance masculine ou féminine. Elle est le plus souvent bilatérale et évolue par poussées de 1 ou 2 mois entrecoupées de rémissions. Les lésions sont volontiers évanescentes et changent de topographie au cours des poussées. La guérison se fait spontanément après plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. La cornée centrale est atteinte de manière préférentielle, alors que la conjonctive est en règle calme. Néanmoins, une hyperhémie conjonctivale peut précéder l’apparition des lésions cornéennes. Il s’agit de lésions intra-épithéliales arrondies ou ovales, faites d’opacités fines blanchâtres ou grisâtres, habituellement au nombre de 15 à 20. Le centre des lésions a tendance à former un relief et à s’ulcérer (prenant la fluorescéine et le rose Bengale), avec parfois des filaments muqueux (fig. 5-2-115). Les lésions ont parfois un aspect étoilé, voire dendritiforme. Entre les poussées, elles peuvent laisser une empreinte (image « fantôme »).

Fig. 5-2-115
Kératite de Thygeson : aspect en lumière blanche (a) et en fluorescéine (b).

Kératoconjonctivite limbique supérieure de Théodore

Cette kératite survient habituellement entre 30 et 55 ans. Elle évolue par poussées et peut guérir spontanément après 1 à 10 ans d’évolution. Elle intéresse la partie supérieure de la cornée ainsi que le limbe et la conjonctive adjacente (fig. 5-2-116). Elle est souvent bilatérale et on retrouve une prédominance féminine ainsi qu’une pathologie thyroïdienne associée dans un tiers des cas. Cliniquement, il existe une hyperhémie conjonctivale et des papilles au niveau des conjonctives bulbaire et tarsale supérieures, alors que la conjonctive inférieure est calme. La conjonctive supérieure prend la coloration par le rose Bengale, typiquement en arc de cercle. Des fausses membranes et des hémorragies sous-conjonctivales ont été rapportées. La cornée supérieure est le siège d’une kératite ponctuée superficielle, maximale au niveau du limbe supérieur, et, dans un tiers des cas, de filaments. Cette kératite filamenteuse s’accompagne d’une symptomatologie douloureuse sévère.

Fig. 5-2-116
Kératoconjonctivite supérieure de Théodore : aspect en lumière blanche (a) et en fluorescéine (b).

Syndrome de Cogan

Il s’agit d’une pathologie très rare, systémique, avec une atteinte oculaire et auditive. L’atteinte oculaire la plus fréquente est une kératite interstitielle, suivie par des conjonctivites, uvéites antérieures, sclérites et épisclérites. D’autres atteintes oculaires rares sont possibles : ulcère cornéen, uvéite postérieure ou intermédiaire, pseudo-tumeur orbitaire, nodules cotonneux. L’atteinte auditive se manifeste par des vertiges, une hypoacousie, un nystagmus. Les autres atteintes comportent une vascularite des gros et moyens vaisseaux, un syndrome inflammatoire, des atteintes articulaires, musculaires, cutanées et viscérales.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

Une origine infectieuse doit être systématiquement évoquée : kératite herpétique ou zostérienne, kératite à adénovirus, mais aussi kératites bactérienne, fongique ou amibienne. En cas d’ulcère cornéen présentant des signes de gravité (Tyndall, hypopion, proximité de l’axe optique, diamètre > 2 mm, fonte stromale, sclérite associée), le grattage cornéen est systématique et le traitement est débuté en hospitalisation.

Les kératites neurotrophiques peuvent donner un tableau clinique très proche : kératite ponctuée superficielle, ulcère cornéen, infiltrat inflammatoire, perte de substance stromale voire perforation. La recherche d’une hypoesthésie cornéenne doit donc être réalisée systématiquement devant tout tableau clinique évocateur d’une pathologie immunitaire cornéenne.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE
CADRE ADMINISTRATIF

La prise en charge est réalisée en consultation ophtalmologique pour toutes les pathologies purement locales ne mettant pas en jeu le pronostic anatomique oculaire (rosacée, kératite de Thygeson, kératites allergiques, kératoconjonctivite supérieure). Une prise en charge en milieu hospitalier est nécessaire lorsque le pronostic anatomique oculaire est engagé (ulcère de Mooren, kératite ulcérante périphérique, kératolyse centrale de la polyarthrite rhumatoïde) ou qu’un traitement par flashs de méthylprednisolone est nécessaire. Lorsqu’une pathologie systémique est suspectée un environnement comportant un service de médecine interne est nécessaire (GVH, kératite ulcérante périphérique, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Sjögren, syndrome de Cogan, pemphigoïde oculaire cicatricielle). Une prise en charge en réanimation dermatologique ou générale peut être nécessaire à la phase aiguë du syndrome de Stevens-Johnson ou en cas de pathologie systémique décompensée.

SOINS MÉDICAUX
Traitement médical topique

Les collyres corticoïdes sont le traitement de première intention des kératites immunitaires (tableau 5-2-30). Ils sont utilisés lors des poussées inflammatoires des kératites allergiques et de la kératite de Thygeson, mais ils doivent être utilisés avec la plus grande parcimonie, à la plus faible posologie compatible avec l’effet thérapeutique et en cure courte de 1 à 2 semaines avec une dégressivité progressive. Le traitement des ulcères et infiltrats périphériques des kératites marginales immuno-allergiques liées aux blépharites et de la rosacée repose sur la corticothérapie topique utilisée en cures courtes, les pommades corticoïdes et antibiotiques sont utilisées lors des atteintes palpébrales inflammatoires. Dans l’ulcère de Mooren, les ulcères de la polyarthrite rhumatoïde, les kératites ulcérantes périphériques liées aux vascularites, le rejet de greffe de cornée, la corticothérapie locale initiale doit être intensive (dexaméthasone 1 goutte/h) sauf en cas de fonte stromale qui peut amener à arrêter les corticoïdes. Au cours du syndrome de Cogan, la kératite interstitielle et les atteintes inflammatoires du segment antérieur sont traitées par une corticothérapie locale. À la phase aiguë du syndrome de Stevens-Johnson, les collyres corticoïdes doivent être utilisés avec prudence sous surveillance attentive en raison du risque majoré de surinfection. Dans la GVH, les collyres corticoïdes peuvent être utilisés pour diminuer l’inflammation mais ils ont un effet limité sur la conjonctivite pseudo-membraneuse.

Tableau 5-2-30
Exemple de collyres corticoïdes utilisés dans les kératites non infectieuses.
Caractéristiques Dénomination commune internationale Nom commercial
Activité moyenne, non associée Fluorométholone Flucon ®
Activité élevée, non associée Dexaméthasone DexaFree ®
Activité élevée, associée Dexaméthasone + néomycine Dexaméthasone + tobramycine ChibroCadron ® , Maxidrol ® Tobradex ®

La ciclosporine en collyre (tableau 5-2-31) est utilisée : dans les kératites immunitaires, habituellement à la posologie de 2 % avec 3 ou 4 instillations par 24 heures ; en première intention dans le syndrome de Sjögren ; en association (pour renforcer l’effet thérapeutique ou diminuer la dose de corticoïdes) ou comme alternative aux corticoïdes dans les kératites allergiques, l’ulcère de Mooren, la polyarthrite rhumatoïde et les kératites ulcérantes périphériques liées aux vascularites, le rejet de greffe de cornée [11–13]. Elle peut être utile également dans le syndrome de Stevens-Johnson et la GVH.

Tableau 5-2-31
Différentes concentrations de collyre de ciclosporine disponibles en France.
Caractéristiques Dénomination commune internationale Nom commercial
Activité faible Ciclosporine 0,05 % Préparation pharmaceutique hospitalière
Activité faible Ciclosporine 0,1 % Préparation pharmaceutique hospitalière Ikervis (accueil et traitement des urgences de cohorte dans le syndrome de Sjögren, 1 fois/j)
Activité moyenne Ciclosporine 0,5 % Préparation pharmaceutique hospitalière
Activité élevée Ciclosporine 2,0 % Préparation pharmaceutique hospitalière

Les traitements anti-angiogéniques sont indiqués en cas de néovascularisation cornéenne évolutive résistant au traitement anti-inflammatoire et étiologique de la pathologie. Ils ne sont actuellement pas indiqués en cas d’ulcère cornéen, car ils peuvent avoir un effet néfaste sur la cicatrisation cornéenne. Le collyre GS-101 (oligonucléotide anti-sens) permet de faire régresser des néovaisseaux cornéens actifs. Son effet a été démontré par une étude prospective randomisée [14]. Les anticorps anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF) peuvent être utilisés en injections sous-conjonctivales. L’effet du bévacizumab (Avastin) en injections sous-conjonctivales (2,5 mg, 0,1 mL) a été démontré par une étude prospective randomisée [15]. Le bévacizumab peut être également utilisé en collyre pour faire régresser une néovascularisation cornéenne [16]. Il existe en collyre sous forme de préparation pharmaceutique hospitalière.

Les collyres antihistaminiques et inhibiteurs de la dégranulation mastocytaire (tableau 5-2-32) peuvent être utilisés dans les kératites atopiques et vernales, de même que les larmes artificielles. Le sérum physiologique en instillations très fréquentes peut être utilisé comme substitut des larmes et pour diminuer la quantité d’allergènes présents dans les culs-de-sac conjonctivaux.

Tableau 5-2-32
Exemples de collyres antihistaminiques et antidégranulants mastocytaires disponibles en France.
Dénomination commune internationale Nom commercial
Collyres antidégranulants mastocytaires
Cromoglycate de sodium Opticron ® , Opticron unidose ® , Cromabak ® , Cromoptic ® , Cromadose ® , Cromédil ® , Multicrom ® , Ophtacalm ®
Lodoxamide Almide ® , Almide unidose ®
Acide-N-acétyl aspartyl glutamique Naaxia ® , Naaxia unidose ® , Naabak ®
Collyres antihistaminiques
Lévocabastine Levophta ® , Levofree, Allergiflash ®
Kétotifène Zaditen ® , Zalerg ® , Zalerg unidose ® , Monokéto unidose ®

En cas d’ulcération épithéliale chronique avec ou sans lyse stromale, il faut arrêter les collyres toxiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens, conservateurs, aminosides), diminuer voire arrêter les collyres corticoïdes, prescrire du hyaluronate de sodium, de la vitamine A en pommade ophtalmique, du sérum autologue en collyre 20 % (posologie minimale 6 gouttes/24 h, jusqu’à 1 goutte toutes les heures) et une thérapie matricielle s’il existe une cause neurotrophique (Cacicol ® 1 goutte/1 jour sur 2).

Le traitement des kératites allergiques doit comporter l’éviction des agents irritants, des allergènes et de la poussière. La prise en charge générale de la maladie allergique requiert la collaboration d’un allergologue.

Dans la rosacée, les soins d’hygiène des paupières consistent à appliquer des compresses humides et tièdes sur les paupières et à masser celles-ci de la base vers le bord libre pour exprimer les sécrétions des glandes de Meibomius. Les blépharoconjonctivites microbiennes à l’origine des kératites immuno-allergiques doivent être traitées par des pommades antibiotiques.

Le traitement local de l’atteinte cornéenne du syndrome de Sjögren, de la GVH, de la rosacée, de la polyarthrite rhumatoïde, du syndrome de Stevens-Johnson, de la pemphigoïde oculaire cicatricielle et de la kératoconjonctivite supérieure doit comporter des substituts des larmes sans conservateurs (tableau 5-2-33), voire des bouchons lacrymaux.

Tableau 5-2-33
Exemples non exhaustifs de substituts lacrymaux sans conservateurs.
Nom commercial Présentation
Aqualarm ® Collyre unidose
Artelac ® Collyre unidose
Celluvisc ® Gel unidose
Dulcilarme ® Collyre unidose
Gel-Larmes ® Gel unidose
Lacryfluid ® Collyre unidose
Lacryvisc ® Gel unidose
Larmabak ® Collyre en flacon
Refresh ® Collyre unidose
Théalose ® Collyre en flacon
Unifluid Collyre unidose
Unilarm ® Collyre unidose
Vismed ® Collyre unidose

Traitement médical général

La corticothérapie générale par voie orale (prednisone 1 mg/kg/j) ou intraveineuse (flashs de méthylprednisolone) est utilisée à la phase aiguë de l’ulcère de Mooren, des ulcères de la polyarthrite rhumatoïde et des kératites ulcérantes périphériques liées aux vascularites, et du rejet de greffe de cornée [17]. La sévérité de l’ulcère (risque de perforation imminente) ou du rejet de greffe amène à utiliser la voie intraveineuse dès la prise en charge aux urgences. L’avis d’un interniste est nécessaire avant de débuter la corticothérapie.

Dans les kératites atopiques et vernales, les antihistaminiques par voie orale peuvent diminuer la symptomatologie, de même que l’aspirine par voie orale (25-50 mg/kg/24 h sans dépasser 1,5 g/24 h) [18].

Les cyclines par voie orale sont utiles en cas de blépharite associée à une kératite allergique, dans la rosacée et les kératites secondaires aux blépharites : tétracycline 250 mg avant les repas 4 fois/j ou doxycycline 1 gélule 2 fois/j, pendant une durée de 6 semaines. Par la suite, il faut trouver la dose minimale efficace en traitement d’entretien. Les patients traités par cyclines doivent éviter l’exposition au soleil et consulter rapidement en cas de diarrhée qui peut correspondre à une colite à Clostridium difficile. Les macrolides peuvent être utilisés en cas de contre-indication aux cyclines, chez la femme enceinte et chez l’enfant.

Les immunosuppresseurs sont habituellement prescrits par les internistes après la prise en charge initiale aux urgences. Ils sont la base du traitement de l’ulcère de Mooren sévère et des kératites ulcérantes périphériques liées aux vascularites (cyclophosphamide en bolus intraveineux mensuels, mycophénolate mofétyl per os, méthotrexate, azthioprine per os, infliximab, rituximab), de la GVH, de la pemphigoide oculaire cicatricielle (dapsone, méthotrexate, mycophénolate mofétyl, cyclophosphamide, immunoglobulines intraveineuses, infliximab, rituximab) [19–24]. Ils peuvent être indiqués dans le syndrome Sjögren.

TRAITEMENT CHIRURGICAL

Les complications perforatives des ulcères cornéens immunitaires centraux ou périphériques sont traitées en urgence, suivant leur importance, par de la colle cyanoacrylique associée à une lentille thérapeutique, une greffe de membrane amniotique, une kératoplastie lamellaire périphériquee ou une greffe-bouchon de pleine épaisseur [18, 25, 26].

Le traitement de l’ulcère vernal peut faire appel au grattage de la plaque vernale associé à un traitement mouillant, une lentille thérapeutique et un pansement occlusif afin d’obtenir la cicatrisation de l’ulcère [18]. Les papilles géantes peuvent être améliorées par une cryoapplication de la conjonctive tarsale supérieure (-80 °C pendant 30 secondes) ou par injection supratarsale de corticoïdes.

Le traitement de l’ulcère de Mooren fait souvent appel à la résection conjonctivale débordant la zone de l’ulcère et s’étendant sur 3 à 5 mm vers l’arrière, mettant la sclère à nu, avec débridement de l’ulcère [27]. Les indications thérapeutiques doivent être portées selon les facteurs pronostiques. Un traitement plus agressif est indiqué chez le sujet jeune, mélanoderme, avec une atteinte bilatérale simultanée, une évolution rapide vers la perforation. Les traitements sont utilisés selon une progression thérapeutique en fonction de la gravité de la pathologie et de la réponse au traitement : corticothérapie, puis résection conjonctivale, puis immunosuppresseurs. En utilisant cette progression thérapeutique, la corticothérapie locale seule permet de cicatriser un tiers des ulcères. La résection conjonctivale associée à la corticothérapie permet d’augmenter le taux de cicatrisation à un peu plus de 50 %. Enfin, le traitement immunosuppresseur amène ce taux de cicatrisation à 65 % [28]. Néanmoins il n’existe actuellement pas de preuve de niveau A pour choisir le protocole thérapeutique dans l’ulcère de Mooren [29].

La reconstruction de la surface oculaire dans la pemphigoïde oculaire cicatricielle et dans le syndrome de Stevens-Johnson au stade évolué de la pathologie est encore un objectif difficile à atteindre. Les allogreffes de limbe et de cellules souches limbiques cultivées ont un effet limité dans le temps dans ces deux indications [30]. Les kératoprothèses (ostéo-odonto-kératoprothèses, kératoprothèse de Boston) peuvent permettre une récupération visuelle essentiellement dans le syndrome de Stevens-Johnson.

AUTRES MESURES THÉRAPEUTIQUES

Au stade aigu du syndrome de Stevens-Johnson , les patients sont souvent pris en charge en réanimation dermatologique ou en service des grands brûlés. Des anneaux de symblépharon peuvent être utilisés pour diminuer la symphyse du cul-de-sac conjonctival.

L’adaptation d’un verre scléral peut améliorer l’acuité visuelle et la symptomatologie fonctionnelle dans le syndrome de Stevens-Johnson.

SURVEILLANCE RECOMMANDÉE
ULCÈRE CORNÉEN

La surface de l’ulcère est surveillée par un examen à la lampe à fente en mesurant le petit et le grand diamètre de l’ulcère à l’aide de la fente et, au mieux, en prenant des photos de l’ulcère après coloration par la fluorescéine. L’infiltrat inflammatoire stromal et la perte de substance stromale sont surveillés au mieux en OCT spectral domain et, à défaut, à la lampe à fente. Ces mesures sont réalisées tous les jours en cas d’hospitalisation et à chaque consultation pour les patients pris en charge en externe.

AUTRES ATTEINTES CORNÉENNES

La kératite ponctuée superficielle, l’insuffisance limbique et la néovascularisation cornéenne sont surveillées par un examen à la lampe à fente et des photographies du segment antérieur faites à chaque consultation.

FIBROSE DE LA SURFACE OCULAIRE

La fibrose est évaluée à chaque consultation en examinant le stade de la fibrose à la lampe à fente et la présence d’une inflammation (hyperhémie). Des photographies de la surface oculaire sont très utiles pour déterminer si la pathologie est stable ou a évolué entre deux consultations.

PRONOSTIC
ULCÈRE CORNÉEN

Un ulcère cornéen immunitaire peut se compliquer de perforation, d’une endophtalmie, d’un passage à la chronicité, d’une taie cornéenne et d’un amincissement stromal séquellaire. L’évolution spontanée de l’ulcère de Mooren se fait souvent vers l’opacification complète de la cornée, avec une baisse de vision sévère, et parfois vers la perforation qui met en jeu le pronostic anatomique de l’œil. Les kératites ulcérantes périphériques ont également un pronostic oculaire réservé. Dans une série de 47 patients ayant un ulcère marginal auto-immun, une perforation ou un ulcère préperforatif étaient retrouvés dans 34 % des cas et 43 % des patients avaient une acuité visuelle inférieure ou égale à 1/20 [31]. Dans une série de 24 patients présentant un ulcère périphérique perforé, 83 % avaient une perte de plus de 2 lignes d’acuité visuelle [32].

Les ulcères cornéens de la polyarthrite rhumatoïde sont des indicateurs de la sévérité de la maladie. Ils sont associés à une surmortalité : 42 % à 5 ans en cas de kératoplastie pour un ulcère secondaire à une polyarthrite rhumatoïde, 50 % de décès à 10 ans pour un ulcère marginal au cours de la polyarthrite rhumatoïde sans traitement immunosuppresseur [33, 34]. De même, les autres vascularites associées aux kératites ulcérantes périphériques peuvent engager le pronostic vital du patient.

AUTRES ATTEINTES CORNÉENNES

La kératite ponctuée superficielle peut entraîner une baisse d’acuité visuelle en altérant le principal composant du dioptre oculaire qui est l’interface entre l’air et le film lacrymal. L’insuffisance limbique et la néovascularisation cornéenne conduisent à des baisses de vision profondes avec des possibilités thérapeutiques limitées du fait de leur origine immunitaire.

FIBROSE DE LA SURFACE OCULAIRE

Le pronostic des kératoconjonctivites fibrosantes combinées avec une pathologie immunitaire (telle la pemphigoïde oculaire cicatricielle) est essentiellement lié à la précocité et à l’efficacité du traitement médical systémique. En cas de diagnostic précoce et de réponse thérapeutique, on peut espérer conserver une acuité visuelle utile voire bonne si la pathologie est prise en charge avant l’apparition de l’insuffisance limbique. Dans les autres cas, la fonction visuelle est habituellement profondément altérée de manière irréversible.

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Uvéites non infectieuses

C. BONNET , D. MONNET

GÉNÉRALITÉS SUR LES UVÉITES

L’uvéite est une inflammation de l’uvée : iris, corps ciliaire ou choroïde. La définition de critères standardisés d’analyse de l’inflammation intra-oculaire a été réalisée en 2005 par un groupe d’experts internationaux réuni pour la Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN) [1]. Des critères précis permettent la classification des uvéites en fonction de leur localisation anatomique et de leur mode évolutif.

CLASSIFICATIONS
Classification anatomique

L’uvéite antérieure correspond à une inflammation de chambre antérieure et/ou à des lésions iriennes (fig. 5-2-117). Cette localisation regroupe les termes d’iritis, de cyclites ou d’iridocyclites. L’uvéite intermédiaire se définit par la présence de cellules dans le vitré avec ou sans présence de condensations cellulaires dans le vitré antérieur (« œufs de fourmis ») ou en périphérie rétinienne. Le terme de « pars planite » est utilisé pour décrire un sous-groupe d’uvéites intermédiaires avec des exsudats blanchâtres (« banquise ») sur la pars plana. L’uvéite postérieure se définit par la présence de signes inflammatoires au niveau de la rétine, la choroïde, les vaisseaux rétiniens et/ou le vitré postérieur. Ce groupe comprend également les atteintes de choriorétinite focale, multifocale ou diffuse. Le terme de panuvéite se définit comme l’association d’une inflammation des trois précédents sites (tableau 5-2-34).

Fig. 5-2-117
Schéma de l’œil simplifié.
Trois segments sont individualisés d’avant en arrière pour considérer les uvéites : l’un antérieur, limité en arrière par les processus ciliaires, un autre intermédiaire s’arrêtant à la ligne bi-équatoriale, et le dernier, postérieur, comprenant la papille d’où partent les fibres nerveuses destinées à la rétine, et la macula responsable de l’acuité visuelle.
Tableau 5-2-34
Classification anatomique des uvéites selon la définition du SUN Working Group.
Type d'uvéite Site primitif de l'inflammation Entités
Antérieure Chambre antérieure Iritis, iridocyclite, cyclite antérieure
Intermédiaire Vitré Pars planite, cyclite postérieure, hyalite
Postérieure Rétine ou choroïde Choroïdite focale, multifocale ou diffuse, choriorétinite, rétinochoroïdite, neurorétinite
Panuvéite Chambre antérieure + vitré + rétine ± choroïde

Classification chronologique

Le mode d’installation, la durée et, enfin, le profil évolutif sont requis dans la description de toute uvéite. La survenue de l’uvéite peut être aiguë ou insidieuse, la durée de l’inflammation peut être limitée à moins de 3 mois ou chronique (plus de 3 mois), et l’évolution de l’uvéite peut être torpide ou à récurrences bruyantes. Selon le SUN (tableau 5-2-35) :

  • ±

    le terme d’uvéite aiguë est réservé aux uvéites de survenue brutale et de durée courte (< 3 mois) ;

  • ±

    le terme d’uvéite récurrente ou récidivante est utilisé pour décrire des poussées séparées de périodes d’accalmie ou d’inactivité de l’inflammation intra-oculaire qui durent plus de 3 mois ;

  • ±

    le terme d’uvéite chronique est utilisé pour des inflammations intra-oculaires prolongées, où les récidives surviennent dans un délai inférieur à 3 mois après arrêt du traitement.

Tableau 5-2-35
Classification standardisée des modes évolutifs des uvéites selon la définition de la Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN).
Élément sémiologique Description Commentaires
Début Soudain
Insidieux
Durée Limitée ≤ 3 mois
Persistante > 3 mois
Mode évolutif Aigu Début soudain et durée limitée
Récidivant Épisodes répétés, séparés par des périodes de calme sans traitement ≥ 3 mois
Chronique Uvéite persistante, avec rechute en moins de 3 mois en cas d'arrêt du traitement

Classification étiologique

Les uvéites peuvent également être classées selon leur étiologie, infectieuse ou inflammatoire, et selon qu’il s’agit d’une maladie oculaire isolée ou associée à une maladie systémique. Les causes d’uvéites sont multiples incluant des maladies purement ophtalmologiques, ou s’intégrant dans une atteinte plus générale (maladie de système). Les étiologies sont infectieuses, inflammatoires, médicamenteuses ou liées à des anomalies intrinsèques du système immunitaire (voir encadré 5-2-8 et fig. 5-2-61). Ces dernières regroupent un ensemble de manifestations inflammatoires intra-oculaires très hétérogène tant sur le plan clinique qu’étiologique. L’inflammation peut s’inscrire dans le cadre d’une maladie inflammatoire systémique comme la maladie de Behçet, la sarcoïdose et les spondylarthropathies ou bien constituer une affection oculaire isolée comme la choriorétinopathie de type birdshot ou la cyclite hétérochromique de Fuchs.

Avant de poser le diagnostic d’uvéite, les diagnostics différentiels devant un œil rouge et douloureux, associé ou non à une baisse d’acuité visuelle, et les causes de pseudo-uvéites doivent être éliminées (encadré 5-2-13).

Encadré 5-2-13
Diagnostics différentiels devant une uvéite

Autres causes d’œil rouge et douloureux/gênant

  • Conjonctivite

  • Kératite

  • Épisclérite

  • Sclérite

Pseudo-uvéites

  • Syndrome de dispersion pigmentaire (Tyndall pigmenté en chambre antérieure)

  • Hyphéma

  • Hémorragie intravitréenne

  • Syndrome irido-cornéo-endothélial

  • Corps étranger intra-oculaire

  • Endophtalmies

  • Pathologies tumorales

  • Rétinoblastome diffus

  • Lymphome intra-oculaire

  • Mélanome malin avec manifestations inflammatoires

  • Métastases choroïdiennes

  • Syndrome paranéoplasique : cancer associated retinopathy (CAR) et melanoma associated retinopathy (MAR)

  • Pathologies vitréennes ou rétiniennes dégénératives d’origine génétique : amylose, vitréorétinopathies héréditaires, pattern dystrophies atypiques

ÉPIDÉMIOLOGIE

Les données épidémiologiques sur l’uvéite ont longtemps été rares et incomplètes, il est assez difficile de se faire une idée globale de l’épidémiologie des uvéites en raison des multiples facteurs de variation comme le site géographique, le contexte génétique, les facteurs environnementaux, le mode de recrutement des patients ou les critères diagnostiques de l’enquête étiologique. Les études et revues épidémiologiques doivent donc être comprises comme une « photographie » de l’état des connaissances valable à une période donnée dans un endroit donné. Les uvéites peuvent survenir à tout âge, avec toutefois un pic de fréquence chez les individus en âge de travailler. Leurs caractéristiques étiologiques varient également en fonction de facteurs environnementaux, géographiques et génétiques. Ce sont des maladies potentiellement graves et responsables de 10 à 20 % des causes de cécité dans les pays industrialisés.

Dans les pays occidentaux, l’incidence des uvéites serait de 17 à 24 pour 100 000 habitants par an et leur prévalence de 38 à 204 pour 100 000 habitants. Une étude épidémiologique nordaméricaine récente a montré que l’incidence et la prévalence des uvéites aux États-Unis étaient respectivement de 52 et 115 cas pour 100 000 habitants [2].

La distribution des étiologies des uvéites varie nettement en fonction des pays et cette variabilité est retrouvée pour presque tous les types anatomiques. La fréquence des étiologies d’uvéite dans quelques séries internationales est récapitulée dans le tableau 5-2-36.

Tableau 5-2-36
Fréquence des uvéites selon leur localisation anatomique et fréquence des principales étiologies d'uvéites en centres de référence.
Auteurs Becker et al. McCannel et al. Rodriguez et al. Smit et al.
Allemagne Los Angeles Los Angeles Boston Rotterdam
Fréquence selon la localisation
Antérieure 45,4 % 90,60 % 60,60 % 51,60 % 52 %
Intermédiaire 22,9 % 1,40 % 12,20 % 13 % 9 %
Postérieure 13,5 % 4,70 % 14,60 % 19,40 % 24 %
Panuvéite 6,2 % 1,40 % 9,40 % 16 % 15 %
Principales causes d'uvéites
Uvéites antérieures
Affections liées à l'HLA B27 15,4 % 17,10 % 17,80 % 28 % 25 %
Sarcoïdose 3,3 % 1 % 0,80 % 5,80 % 2 %
Cyclite de Fuchs 11,3 % 1 % 2,40 % 5 % 20 %
Infections herpétiques HSV et VZV 8,5 % 6,60 % 18,60 % 9,70 % 1 %
Idiopathiques 30,1 % 57,50 % 50,50 % 31,30 % 42 %
Uvéites intermédiaires
Sarcoïdose 7,8 % 22,20 % 16 %
Sclérose en plaques 10,3 % 33 % 8 %
Idiopathiques 53,7 % 67 % 100 % 69,10 % 69 %
Uvéites postérieures
Toxoplasmose oculaire 24,7 % 90 % 35,50 % 24,60 % 42 %
Rétinites herpétiques nécrosantes 5,8 % 9,70 % 5,50 % 4 %
Choriorétinopathie de type birdshot 5,4 % 2 % 7,90 % 6 %
Idiopathiques 29 % 10 % 16,20 % 13,30 % 28 %
Panuvéites
Maladie de Behçet 12,6 % 10 % 11,60 % 11 %
Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada 3,4 % 33 % 25 % 5,50 % 3 %
Idiopathiques 31,1 % 33 % 40 % 22,20 % 39 %
HLA: human leucocyte antigen ; HSV: herpes simplex virus ; VZV: varicella-zoster virus.

(1) Jakob E, Reuland MS, Mackensen F, et al. Uveitis subtypes in a german interdisciplinary uveitis center—analysis of 1916 patients. J Rheumatol 2009; 36:127-36.

(2) McCannel CA, Holland GN, Helm CJ, et al. Causes of uveitis in the general practice of ophthalmology. UCLA Community-Based Uveitis Study Group. Am J Ophthalmol 1996; 121:35-46.

(3) Rodriguez A, Calonge M, Pedroza-Seres M, et al. Referral patterns of uveitis in a tertiary eye care center. Arch Ophthalmol 1996; 114:593-9.

(4) Smit RL, Baarsma GS, de Vries J. Classification of 750 consecutive uveitis patients in the Rotterdam Eye Hospital. Int Ophthalmol 1993; 17:71-6.

L’analyse d’une uvéite ne se résume pas à l’examen de l’œil à la lampe à fente. L’âge du patient, ses antécédents médicaux et les éventuelles manifestations générales associées à l’inflammation oculaire constituent des éléments aussi essentiels pour la recherche de l’étiologie d’une uvéite, que l’analyse détaillée des caractéristiques de l’inflammation oculaire. Cette sémiologie repose sur l’évaluation de multiples critères, dont celui du mode évolutif de l’inflammation, de sa localisation, de son intensité ou de la réponse aux traitements. Cette analyse doit être standardisée. Certains éléments sémiologiques, comme le caractère granulomateux de l’inflammation ou la présence de signes spécifiques au fond d’œil, sont essentiels pour arriver à un diagnostic étiologique. Pour de nombreuses entités, aucun examen complémentaire ne permet d’affirmer le diagnostic, lequel repose sur un faisceau d’arguments cliniques. Certaines étiologies, systémiques ou localisées à l’œil, sont définies par des critères internationaux mais, encore aujourd’hui, la classification de certaines formes d’uvéites dans un cadre diagnostique indiscutable reste difficile. Enfin, malgré une analyse sémiologique rigoureuse, l’origine de certaines uvéites peut rester idiopathique.

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

La diversité de l’étiologie des uvéites et l’hétérogénéité de leur présentation rendent nécessaire une démarche codifiée pour que la prise en charge soit optimisée. Les objectifs de cette démarche sont d’arriver à un diagnostic étiologique, d’évaluer la sévérité des manifestations puis de définir une stratégie thérapeutique fondée sur la meilleure évaluation possible du rapport bénéfice/risque des traitements proposés.

MANIFESTATIONS EXTRA-OPHTALMOLOGIQUES

La démarche est plus ou moins compliquée, selon le caractère concomitant ou non de l’uvéite et des manifestations extra-oculaires et selon leur caractère symptomatique ou non. L’interrogatoire est essentiel pour rechercher des manifestations extra-oculaires, dont le patient ignore le plus souvent le lien avec l’uvéite (tableaux 5-2-37 et 5-2-38). La distinction entre pathologie oculaire pure et atteinte s’inscrivant dans un contexte de maladie générale peut être difficile.

Tableau 5-2-37
Éléments à rechercher à l'interrogatoire, en faveur d'une étiologie particulière.
Antécédents médicaux
  • Maladies infectieuses:primo-infection tuberculeuse

  • Vaccinations

  • Cancers

  • Traitements en cours

Antécédents ophtalmologiques Kératite, herpès, uvéites
Origine géographique et ethnie
  • Bassin méditerranéen, Japon:maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

  • Pourtour méditerranéen et asiatique:maladie de Behçet

  • Antilles:sarcoïdose

Sexe et âge de survenue
  • Enfants:AJI

  • Hommes jeunes:SPA

  • Femmes:sarcoïdose

  • Hommes ou femmes > 50 ans:choriorétinopathie de type birdshot

Baignades en rivière, voyages récents Leptospirose
Piqûre de tiques Maladie Lyme (borrelliose)
Contact avec des animaux Domestiques (chiens, chats):toxocarose, maladie des griffes du chat (bartonellose) Élevage:brucellose
Comportement sexuel à risque Syphilis, VIH
Fièvre
  • Tuberculose, brucellose, leptospirose, rickettsioses

  • Maladie des griffes du chat

Étiologies dermatologiques
  • Vésicules:HSV, VZV

  • Vitiligo, alopécie, poliose:maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

  • Érythème migrant:maladie de Lyme

  • Chancre:syphilis

  • Aphtose bipolaire (buccale, génitale), pseudo-folliculites:maladie de Behçet Psoriasis

  • Érythème noueux:sarcoïdose, maladie de Behçet

Étiologies neurologiques
  • Méningite lymphocytaire, céphalées, hypoacousie:maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

  • Syphilis

  • Sclérose en plaques

  • Maladie de Behçet

  • Borrélioses, leptospirose

Étiologies rhumatologiques
  • Douleurs lombaires inflammatoires:SPA

  • Formes oligo-articulaires:AJI

Étiologies pneumologiques Sarcoïdose, tuberculose
Étiologies digestives Maladie de Crohn, maladie de Whipple
AJI:arthrite juvénile idiopathique; HSV: herpes simplex virus ; SPA:spondylarthrite akylosante; VIH:virus de l'immunodéficience humaine; VZV: varicella-zoster virus.
Tableau 5-2-38
Manifestations extra-ophtalmologiques à rechercher chez un patient présentant une uvéite.
Signes à rechercher Étiologie de l'uvéite
Dermatologie Vitiligo, poliose Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada
Érythème noueux Sarcoïdose
Pseudo-folliculite, hypersensibilité cutanée, aphtes cutanés Maladie de Behçet
Stomatologie Aphtose Maladie Behçet
ORL Surdité de perception Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, syndrome de Cogan
Rhumatologie Douleurs lombaires inflammatoires Uvéites associées au HLA B27
Arthrite du sujet jeune Arthrite juvénile idiopathique
Gastro-entérologie Diarrhées hémorragiques Maladie de Crohn, rectocolite hémorragique
Gynécologie, Urologie Aphtose génitale Maladie de Behçet
Neurologie Signes méningés Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, ophtalmie sympathique
Pneumologie Dyspnée Tuberculose, sarcoïdose
HLA; human leucocyte antigen.

MANIFESTATIONS OPHTALMOLOGIQUES SPÉCIFIQUES

Les manifestations oculaires en cas d’uvéite sont hétérogènes. Leur origine, parfois évidente, peut aussi associer des mécanismes mixtes inflammatoires et infectieux, de diagnostic moins aisé (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »). Il convient de discriminer les deux mécanismes et d’apprécier la part mixte. En effet, les schémas thérapeutiques associent alors traitement anti-infectieux et traitement anti-inflammatoire en fonction de cela.

De nombreux critères peuvent être utilisés pour classer les uvéites. L’interrogatoire est primordial, il est notamment important de préciser l’âge du patient, ainsi que l’existence d’une maladie systémique associée. Il devra s’attacher à rechercher tous les indices pouvant orienter vers une étiologie infectieuse ou inflammatoire systémique (fig. 5-2-118 ).

Fig. 5-2-118
Démarche générale schématique commune devant une uvéite.

PRONOSTIC GÉNÉRAL

Le pronostic global de la maladie est la somme du retentissement des manifestations oculaires et des autres organes atteints. Pour de nombreuses pathologies, l’œil constitue l’élément clé du pronostic de la maladie. Par exemple, dans la maladie de Behçet, associant aphtose, signes dermatologiques et uvéites, les manifestations oculaires sont généralement dominantes pour la décision thérapeutique. Mais parfois, dans certains cas, l’atteinte neurologique peut conditionner le pronostic vital et être au premier plan des éléments sur lesquels repose la décision thérapeutique [3].

PRONOSTIC OPHTALMOLOGIQUE

Le pronostic oculaire d’une uvéite est conditionné selon d’une part, son retentissement anatomique, d’autre part, son retentissement fonctionnel. Les corrélations sont généralement étroites entre les conséquences de l’uvéite sur les structures oculaires et leur retentissement sur la vision.

Le retentissement fonctionnel d’une uvéite s’apprécie par l’acuité visuelle mais également par d’autres paramètres comme le champ visuel, la vision des couleurs et des contrastes. Les questionnaires de qualité de vie permettent également d’apprécier le retentissement de l’uvéite sur la vie quotidienne (fig. 5-2-119).

Fig. 5-2-119
Évaluation du retentissement anatomique et fonctionnel d’une uvéite.
ERG : électrorétinogramme ; ERGmf : électrorétinogramme multifocal ; OCT : optical coherence tomography ; PEV : potentiel évoqué visuel ; VFQ-25 : visual function questionnaire 25 items.

Les complications anatomiques des uvéites peuvent toucher toutes les structures oculaires. L’œdème maculaire en est la cause la plus fréquente. Il est facilement mis en évidence en tomodensitométrie par cohérence optique ( spectral-domain optical coherence tomography [SD-OCT]).

RÉMISSION, AGGRAVATION OU AMÉLIORATION DES UVÉITES : CRITÈRES DE JUGEMENT

L’évolution de l’activité d’une uvéite peut être jugée sur de nombreux critères anatomiques ou fonctionnels. L’appréciation doit prendre en compte les éléments fonctionnels (acuité visuelle, champ visuel, vision des contrastes, etc.) et anatomiques (quantification du Tyndall, du flare , des précipités rétrodescemétiques) (tableau 5-2-39). L’appréciation de l’évolution permet d’adapter les décisions thérapeutiques.

Tableau 5-2-39
Évolution de l'activité d'une uvéite selon la Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN).
Type Définition
Inactif Absence de cellules
Aggravation Augmentation de deux grades d'inflammation, ou passage d'un Tyndall 3+ à un Tyndall 4+
Amélioration Diminution de deux grades ou disparition de l'inflammation
Rémission Maladie inactive depuis 3 mois, en l'absence de traitement à visée oculaire

STRATÉGIE DE PRESCRIPTION DES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

Il n’y a pas de « bilan standard » pour un patient présentant une uvéite. La variabilité des situations cliniques rend difficile l’élaboration d’une démarche type. Pour certaines uvéites, un examen clinique seul peut suffire à affirmer le diagnostic. À l’opposé, de nombreux examens complémentaires peuvent être nécessaires pour aboutir au diagnostic étiologique d’une sarcoïdose. La stratégie de prescription des examens doit être croissante, du moins invasif au plus invasif, en fonction de la balance bénéfice/risque attendue. Une ponction de chambre antérieure n’est prescrite que si son résultat est décisif pour le traitement.

Lorsque aucun élément sémiologique ne permet d’orienter le diagnostic (cette situation est très fréquente), certains examens complémentaires sont couramment prescrits.

L’analyse sémiologique d’une uvéite conditionne la démarche diagnostique et thérapeutique. La prescription d’examens complémentaires doit être raisonnée, fondée sur des hypothèses découlant de l’examen clinique (voir encadré 5-2-9).

UVÉITES ANTÉRIEURES AIGUËS

C. BONNET , D. MONNET

Il s’agit de la forme la plus fréquente d’uvéite, toutes causes confondues [4]. Le début est brutal, l’évolution dure par définition moins de 3 mois. La cause la plus fréquente d’uvéite antérieure est celle associée au portage du human leucocyte antigen (HLA) B27, bien que les uvéites antérieures infectieuses augmentent [5]. Le patient consulte habituellement sans délai devant l’intensité des symptômes. Une uvéite antérieure peut cacher une inflammation du segment postérieur : un examen systématique minutieux du fond d’œil doit donc compléter l’analyse d’une uvéite antérieure. Lorsque le fond d’œil est inaccessible, masqué par une inflammation de segment antérieur intense, celui-ci doit être examiné dès que l’intensité de l’uvéite antérieure aura diminué.

PRÉSENTATION CLINIQUE
Signes fonctionnels

La présentation classique est aiguë, unilatérale, avec un œil rouge et douloureux et une baisse d’acuité visuelle variable, souvent bonne initialement. Les jours précédents la poussée, le patient peut se plaindre d’un inconfort oculaire puis d’une photophobie et de larmoiements intenses.

Signes physiques
CORNéE, PRéCIPITéS RéTRODESCEMéTIQTJES

L’analyse débute par l’examen de la cornée, en observant notamment la présence d’un cercle périkératique, d’un œdème de cornée, l’aspect et le nombre de précipités rétrocornéens (tableau 5-2-40), la présence de plis sur la membrane de Descemet. Dans certains cas, cette analyse peut apporter des éléments diagnostiques majeurs pour le diagnostic étiologique.

Tableau 5-2-40
Critères d'analyse des précipités rétrocornéens.
Nombre < 5, 5-20, > 20
Distribution
  • Répartition régulière sur toute la hauteur de la cornée

  • Prédominance inférieure, triangle à base inférieure

Confluence Espaces libres entre les précipités Zones de confluence
Taille Fine, moyenne, grosse
Couleur Blanche, grise, pigmentée
Aspect Non spécifique, stellaire, en « graisse de mouton »
Cortico-sensibilité Nulle, minime, modérée, forte

L’analyse d’une inflammation intra-oculaire selon sa présentation granulomateuse (fig. 5-2-120) ou non constitue un mode de classification couramment utilisé. Le caractère granulomateux d’une uvéite antérieure se définit selon la présence de précipités rétrocornéens en graisse de mouton et la présence de nodules iriens. Dans certains cas, notamment ceux de sarcoïdose, la définition ophtalmologique du caractère granulomateux coïncide avec l’analyse histologique des lésions de la maladie : granulome épithélioïde gigantocellulaire sans nécrose caséeuse. Cependant, l’absence de lésions histologiques granulomateuses ne doit pas faire remettre en cause le diagnostic granulomateux de l’uvéite.

Fig. 5-2-120
Précipités rétrocornéens granulomateux.

L’identification du caractère granulomateux d’une uvéite permet de restreindre la liste des causes susceptibles d’être impliquées dans l’inflammation (encadré S-2-14). En revanche, le caractère non granulomateux d’une uvéite ne permet d’éliminer aucune cause d’uvéite.

Encadré 5-2-14
Principales étiologies des uvéites antérieures de présentation granulomateuse

  • Sarcoïdose

  • Sclérose en plaques

  • Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

  • Rectocolite hémorragique

  • Ophtalmie sympathique

  • Uvéite phaco-antigénique

  • Toxoplasmose, toxocarose

  • Syphilis, maladie de Lyme, tuberculose, lèpre, brucellose

  • Uvéites médicamenteuses

  • Uvéites associées au human T-lymphotropic virus type 1 (HTLV-1)

Par ailleurs, des précipités stellaires, en flocons de neige sur l’endothélium cornéen, avec une distribution régulière jusqu’à la partie supérieure de la cornée sont très évocateurs d’une uvéite de Fuchs.

Une kératite associée oriente vers une étiologie infectieuse ( Herpesviridae en priorité ; voir chapitre S.2.1, paragraphe a Uvéites infectieuses s).

Enfin, l’examen de la cornée peut mettre en évidence une kératite en bandelette. Celle-ci peut être observée après tout type d’inflammation prolongée du segment antérieur, mais avec une fréquence plus élevée dans certaines étiologies telles que la sarcoïdose. Les kératites en bandelette sont également plus fréquentes chez l’enfant, notamment au cours des uvéites compliquant les arthrites juvéniles idiopathiques.

TYNDALL CELLULAIRE ET FIARE

L’intensité de la réaction inflammatoire en chambre antérieure est analysée selon d’une part sa cellularité (Tyndall cellulaire), d’autre part l’augmentation éventuelle du flare (Tyndall protéique). Une cotation standardisée du Tyndall, selon le nombre de cellules observées dans un faisceau de 1 mm × 1 mm de la lampe à fente, est définie par les critères du SUN (tableau S-2-41). Le flare meter est analysé cliniquement selon la turbidité de l’humeur aqueuse. De même que pour le Tyndall cellulaire, une standardisation de sa cotation est définie selon les critères du SUN. Un flare à 4+ est visible sous la forme de a bouchons de fibrines s en chambre antérieure (fig. S-2-121). Le flare meter est un appareil permettant une quantification automatisée in vivo fiable du flare. Les mesures sont exprimées en photons par milliseconde (ph/ms) et corrélées avec le taux de protéines dans l’humeur aqueuse.

HYPGPIGN

La présence d’un hypopion correspond à la sédimentation, dans la partie inférieure de la chambre antérieure, de cellules et/ou de protéines (fig. S-2-122). Un hypopion peut être nettement visible et doit être mesuré en millimètres pour suivre son évolution. L’hypopion a une valeur sémiologique importante pour orienter vers certaines causes d’uvéites non infectieuses comme la maladie de Behçet ou les uvéites liées à l’HLA B27. En revanche, un hypopion n’est jamais observé dans les uvéites granulomateuses. Une forme particulière d’uvéite à hypopion déclenchée par la prise de rifabutine a été régulièrement observée lorsque ce médicament était prescrit pour la prévention des infections à mycobactéries chez certains patients immunodéprimés.

Tableau 5-2-41
Quantification du Tyndall cellulaire et du flare en chambre antérieure, selon la Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN).
Grade Quantification
Tyndall:nombre de cellules observées dans un champ de 1 mm × 1 mm de lampe à fente
0 < 1
0,5+ 1-5
1 + 6 15
2+ 16 25
3+ 26 50
4+ > 50
Flare
0 Absent
1+ Discret
2+ Modéré (iris et cristallin visibles)
3+ Marqué (iris et cristallin flous)
4+ Intense (humeur aqueuse fibrineuse, plastique)

En diagnostic différentiel, l’hypopion peut aussi être observé au cours des uvéites infectieuses et endophtalmies, ainsi qu’au décours d’une kératite infectieuse grave (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »). Plusieurs causes de pseudo-uvéites peuvent également entraîner des hypopions par sédimentation de cellules tumorales. Chez l’enfant, la forme diffuse du rétinoblastome peut être responsable d’un pseudo-hypopion, dont le caractère moins mobile qu’un hypopion vrai et le niveau supérieur convexe doivent alerter. Chez le sujet âgé, des hypopions tumoraux, notamment après acutisation de leucémies lymphoïdes chroniques, peuvent être observés.

IRIS

L’analyse de l’iris oriente vers le diagnostic étiologique. Il faut notamment rechercher la présence de synéchies iridocristalliniennes (nombre et localisation, risque de blocage pupillaire), une hétérochromie irienne, des zones de transillumination (focales ou diffuses), des nodules du stroma irien (nodules de Bussaca) ou du bord pupillaire (nodules de Koeppe).

Les synéchies iridocristalliniennes correspondent à des zones d’adhérence post-inflammatoires entre la face postérieure de l’iris et la cristalloïde antérieure. La progression des synéchies peut amener au risque de glaucome aigu par fermeture de l’angle par blocage pupillaire. Dans ce cas, une iridectomie périphérique préventive est indiquée. L’aspect est évocateur, avec un myosis permanent malgré l’instillation de collyres mydriatiques.

L’hétérochromie irienne est évocatrice d’une cyclite de Fuchs. Elle traduit une atrophie diffuse du stroma irien et apparaît généralement de manière assez tardive dans l’évolution de la maladie. L’iris le plus clair est atteint [6].

L’atrophie sectorielle de l’iris, visible en transillumination, oriente vers une uvéite infectieuse herpétique (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »).

La présence de nodules de Koeppe ou de Bussaca oriente vers une origine granulomateuse de l’uvéite, notamment une sarcoïdose (fig. 5-2-123).

Fig. 5-2-123
Nodules de Kœppe et synéchies iridocristalliniennes (a) ; nodules de Bussaca (b).

Fig. 5-2-121
Bouchon de fibrine en chambre antérieure.
Fig. 5-2-122
Aspect clinique d’un hypopion lié à une uvéite inflammatoire (a) et à une uvéite infectieuse secondaire à une kératite infectieuse grave (b).

CRISTALLIN

Une cataracte peut être la complication de toute inflammation intra-oculaire prolongée, ainsi que la conséquence d’une corticothérapie. La fréquence et la localisation de la cataracte sont variables selon la cause de l’uvéite et l’intensité de l’inflammation. Dans la cyclite de Fuchs, l’apparition d’une cataracte sous-capsulaire postérieure est fréquente et précoce. Les uvéites de l’enfant sur arthrite juvénile idiopathique sont également rapidement cataractogène.

Examen clinique devant une uvéite antérieure
INTERROGATOIRE

Celui-ci est méticuleux. Il doit s’attacher à rechercher des éléments extra-ophtalmologiques en faveur d’une étiologie particulière (voir tableaux 5-2-37 et 5-2-38).

EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE

Il est standardisé. Les principaux éléments à identifier sont :

  • ±

    l’acuité visuelle (AV) : de loin, de près, avec et sans correction ;

  • ±

    la localisation de l’uvéite : uni- ou bilatérale ;

  • ±

    la mesure la pression intra-oculaire (PIO) ;

  • ±

    le segment antérieur : cotation du Tyndall et du flare , aspect de l’iris et du cristallin ;

  • ±

    la cornée : œdème, précipités rétrodescemétiques, plis des-cemétiques ;

  • ±

    le vitré et la rétine : fond d’œil dilaté systématique, rechercher une atteinte intermédiaire et postérieure associée ;

  • ±

    l’orientation étiologique : il faut penser à éliminer une pseudo-uvéite.

Les signes de gravité doivent être recherchés et renseignés aux urgences : AV < 5/10, hypertonie oculaire (HTO), inflammation majeure (Tyndall ≥ 3 +, hypopion, membrane cyclitique, atteinte postérieure) (fig. 5-2-124).

Fig. 5-2-124
Orientation étiologique devant une uvéite antérieure aiguë.
HLA : human leucocyte antigen ; HSV : herpes simplex virus ; VKH : maladie de Vogt-Koyanagi-Harada ; VZV : varicella-zoster virus.

Examens complémentaires
OPHTALMOLOGIQUES

L’imagerie multimodale du segment antérieur connaît actuellement de grands progrès, permettant une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques, une meilleure gestion et un meilleur suivi des pathologies impliquées. Les photographies de segment antérieur et le laser flare meter sont couramment utilisés. En fonction de la clinique, la microscopie confocale in vivo ( in vivo confocal microscopy [IVCM]), la microscopie spéculaire, l’OCT de segment antérieur et l’échographie ultrasound biomicroscopy (UBM) sont également des outils importants pour le diagnostic et la prise en charge des uvéites antérieures. Leur usage permettra certainement de diminuer le taux d’uvéites antérieures sans étiologies retrouvées, ainsi que de diminuer les complications secondaires à l’inflammation [7].

EXTRA-OPTHALMOLOGIQUES

Il n’y a pas de « bilan standard » pour un patient présentant une uvéite antérieure. Pour certaines uvéites, un examen clinique seul peut suffire à affirmer le diagnostic, comme les précipités stellaires diffus sur toute la hauteur de la cornée de la cyclite de Fuchs. À l’opposé, de nombreux examens complémentaires peuvent être nécessaires pour aboutir au diagnostic étiologique d’une sarcoïdose.

Lorsque aucun élément sémiologique ne permet d’orienter le diagnostic, certains examens complémentaires sont couramment prescrits dès la première consultation aux urgences (fig. 5-2-125).

Fig. 5-2-125
Démarche diagnostique devant une uvéite antérieure aiguë.
AV : acuité visuelle ; CRP : C-reactive proteine ; HTO : hypertonie oculaire ; IDR : intradermoréaction ; TPHA : treponema pallidum hemagglutinations assay ; VDRL : veneral disease research laboratory ; VS : vitesse de sédimentation.

ÉTIOLOGIES

Les principales étiologies des uvéites antérieures sont regroupées dans le tableau 5-2-42 [8, 9]

Tableau 5-2-42
Principales étiologies des uvéites antérieures.
Terrain Examen ophtalmologique Diagnostic Particularités
Uvéites antérieures aiguës inflammatoires associées à des manifestations extra-oculaires
Uvéites liées à l'antigène HLA B27 Sujet jeune, H > F Interrogatoire:douleurs articulaires dorsales, lombaires inflammatoires; sacro-iliites; spondylarthrites
  • Uvéite unilatérale, de début brutal, non granulomateuse, fibrine en chambre antérieure (uvéite plastique) Hypopion

  • Synéchies iridocristalliniennes

  • Récidives, atteinte controlatérale possible (à bascule)

  • Atteinte intermédiaire et postérieure de contiguïté si chronicité

  • Clinique

  • Typage HLA B27

Cause la plus fréquente d'uvéite antérieure aiguë Diagnostic différentiel:maladie de Behçet
Maladies chroniques inflammatoires de l'intestin
  • Maladie de Crohn et recto-colite hémorragique Sujet jeune, H > F AAA

  • Atteinte articulaire:spondylarthrites

  • Atteinte digestive:douleurs abdominales, diarrhées glairo-sanglantes, rectorragies

  • Uvéite ayant les mêmes caractéristiques que celles liées au HLA B27

  • Uvéite antérieure chronique insidieuse granulomateuses Sclérite et épisclérite

  • Clinique

  • Typage HLA B27 Endoscopie digestive

  • ASCA, p-ANCA

Poussée inflammatoire oculaire indépendante de l'atteinte digestive
Sarcoïdose
  • Sujet jeune (< 50 ans), F > H

  • Origine antillaise, hispanique

  • Évolution chronique

  • Atteinte extra-ophtalmologique:cutanée (érythème noueux) pulmonaire (syndrome interstitiel) polyarthralgies méningite splénomégalie

  • Tableau clinique très variable

  • Uvéite antérieure, bilatérale, chronique souvent granulomateuse (graisse de mouton)

  • Nodules de Koeppe, de Bussaca, nodules dans l'angle irido-cornéen

  • Pauci-symptomatique

  • HTO fréquente

  • Rechercher une atteinte intermédiaire ( snowballs ) et rétinienne (choroïdite multifocale, vascularites veineuses, œdème maculaire cystoïde, granulome choroïdien)

  • Rechercher une atteinte des annexes:glande lacrymale (dacryo-adénites), granulomes conjonctivaux

  • Sclérite, épisclérite

  • Parfois difficile, examens complémentaires hiérarchisés du moins au plus invasifs

  • Enzymes de conversion de l'angiotensine:élevée Bilan phosphocalcique:hypercalciurie

  • Lysozyme:augmenté

  • IDR à la tuberculine:anergie

  • TDM thoracique:nodules, fibrose pulmonaire, adénopathies médiastinales

  • BGSA:granulome épithélioïde gigantocellulaire sans nécrose caséeuse

  • Fibroscopie bronchique avec lavage broncho-alvéolaire et biopsie transbronchique ou d'un ganglion médiastin

  • Atteinte possible de toutes les structures du globe et des annexes

  • Hypertrophie des glandes lacrymales + parotidienne + uvéite + paralysie faciale:syndrome de ≈Heerdfort

  • Hypertrophie des glandes lacrymales + parotidienne:syndrome de Mikulicz

  • Cortico-sensibilité et cortico-dépendance

Maladie de Behçet Origine du pourtour méditerranéen (Turquie++) et de l'Asie (route de la soie) Adulte jeune, H > F Atteinte systémique:cutanéo-muqueuse:aphtose bipolaire, buccale et génitale, > 3 poussées/an+++, pseudo-folliculite, érythème noueux articulaire:arthrites neurologique:méningite, foyers cérébraux, thrombose cérébrale Thrombophlébites oblitérantes des extrémités et des gros vaisseaux
  • Uvéite antérieure à hypopion non granulomateuse, plastique, uni- ou bilatérale, avec récidives

  • Synéchies iridocristalliniennes

  • Rechercher une atteinte rétinienne:hyalite, foyers de nécrose, vascularites artérielles et veineuses, ischémie rétinienne

Faisceaux d'arguments cliniques Typage HLA B51 (facteur prédisposant non systématique) Atteinte souvent d'emblée sévère sous la forme de panuvéite Pronostic sévère
Syndrome de néphrite tubulo-interstitielle (TINU)
  • Rare, < 2 % des uvéites Sujet jeune (< 15 ans), F > H

  • Signes systémiques:fièvre, AAA

  • Atteinte rénale:insuffisance rénale, néphrite tubulo-interstitielle

  • Uvéite antérieure bilatérale, début brutal, intensité modérée (Tyndall 1-2+), non granulomateuse, synéchiante

  • Passage à la chronicité, récidives

  • Atteinte postérieure et intermédiaire de continuité possible

  • Ionogramme sanguin, urée, créatininémie, VS, diurèse des 24 h

  • Biopsie rénale

Uvéites médicamenteuses Relation temporelle entre uvéite et instauration du traitement Preuve positive de réexposition-arrêt Absence d'autre médicament imputable
  • Unilatérale, de début brutal, non granulomateuse le plus souvent

  • Intensité variable, hypopion dans les formes sévères

  • Atteinte postérieure à rechercher

  • Rifabutine, bisphosphonates, cidofovir, anti-TNF (étanercept)

  • Analogues des prostaglandines (si antécédents d'uvéite++) Vaccins

Décision d'arrêt du traitement en fonction de la balance bénéfice/risque
Uvéites antérieures aiguës inflammatoires associées à des manifestations extra-oculaires
Arthrite juvénile idiopathique Sujet (< 16 ans), F > H Atteinte articulaire:formes systémiques, oligo- et poly-articulaires Uvéite à œil blanc, paucisymptomatique, début insidieux, acuité visuelle conservée initialement, uni- ou bilatérale, aiguë, récidivante, passage à la chronicité, non granulomateuse Intensité modérée sévère (hypopion)
  • FR+:forme systémique

  • AAN+, FR–:formes oligo- et poly-articulaires

Examen ophtalmologique systématique tous les 3 mois jusqu'à l'âge de 20 ans, même en l'abscence de symptômes ophtalmologiques Diagnostics différentiels:rétinoblastome, lymphome, leucémie, xanthogranulome juvénile
Uvéites antérieures aiguës inflammatoires isolées
Iridocyclite hétérochromique de Fuchs Fréquente:1,1 à 6,2 % des causes d'uvéites Sujet jeune (< 40 ans), H > F
  • Unilatérale (85 à 95 % des cas), de début brutal, douleur à type de gêne oculaire, de sensation de plénitude de l'orbite, brouillard visuel, myodésopsies Évolution par crises de quelques heures à semaines, récidivantes, chronicité

  • Pas de facteur déclenchant

  • Œil blanc sans cercle périkératique

  • PIO > 40 mmHg+++

  • Tyndall minime, PRD stellaires diffus sur toute la hauteur de la cornée

  • Hétérochromie irienne, atrophie irienne:l'œil le plus clair est atteint Cataracte sous-capsulaire postérieure

  • Opacités vitréennes chroniques

  • Signes négatifs:pas de synéchies iridocristalliniennes et angle iridocornéen ouvert pas d'atteinte intermédiaire ni postérieure pas de réponse à la corticothérapie

Clinique:discordance entre la PIO très élevée, la douleur ressentie intense, et l'inflammation de segment antérieur minime
  • Traitement hypotonisant oral et topique. Éviter les analogues de prostaglandines

  • Diagnostics différentiels:uvéite herpétique, syndrome de Posner-Schlossman Surveillance du champ visuel

Syndrome de Posner-Schlossman
  • Rare, < 1 % des causes d'uvéites

  • Sujet jeune (< 40 ans), H > F

  • Unilatérale, de début brutal, douleur à type de gêne oculaire, de sensation de plénitude de l'orbite, brouillard visuel

  • Évolution par crises de quelques heures à semaines, récidivantes

  • Pas de facteur déclenchant

  • Œil blanc sans cercle périkératique

  • PIO > 40 mmHg+++

  • Tyndall minime, PRD blanc-gris arrondis, peu nombreux, centraux, non granulomateux

  • Pas de synéchies iridocristalliniennes et angle iridocornéen ouvert

  • Pas d'atteinte intermédiaire ni postérieure

Clinique:discordance entre la PIO très élevée, la douleur ressentie intense et l'inflammation de segment antérieur minime
  • Traitement hypotonisant oral et topique. Éviter les analogues de prostaglandines

  • Corticothérapie topique à faible dose et de courte durée Surveillance du champ visuel

Uvéites antérieures aiguës infectieuses
Virales
HSV Fréquent, 10 % des causes d'uvéites HSV-1 > HSV-2 Sujet jeunes, H = F
  • Unilatérale, début brutal, douleur+++, HTO

  • Formes cliniques multiples:uvéite isolée (rare), endothélite diffuse avec uvéite (kérato-uvéite) plus fréquente

  • PRD fins blancs non granulomateux (80 % des cas) ou granulomateux grisâtres en triangle inférieur

  • Hypoesthésie cornéenne possible

  • Atrophie sectorielle de l'iris

  • Inflammation modérée à sévère (Tyndall > 3+)

  • Synéchies iridocristalliniennes rares

  • Récurrence fréquente

  • Clinique

  • Confirmation biologique en cas de doute:PCA pour PCR sur l'humeur aqueuse, coefficient de charge immunitaire

  • Facteur déclenchant (chirurgie)

  • Récurrence fréquente

  • Contre-indication à la corticothérapie en l'absence de traitement antiviral

  • FO systématique:éliminer une rétinite nécrosante associée

Uvéites antérieures aiguës infectieuses
Virales
VZV Sujet âgé, immunodépression Éruption cutanée zostérienne du nerf Trijumeau
  • Apparition jusqu'à 3 semaines après l'éruption cutanée Récurrence rare

  • Hypertonie oculaire

  • Atrophie sectorielle de l'iris fréquente++

  • Uvéite granulomateuse, en graisse de mouton, kératite stromale en regard fréquente

  • Clinique

  • Confirmation biologique en cas de doute:PCA pour PCR sur l'humeur aqueuse, coefficient de charge immunitaire

Récurrence exceptionnelle Éruption cutanée du V1 caractéristique Contre-indication à la corticothérapie en l'absence de traitement antiviral FO systématique:éliminer une rétinite nécrosante associée
Bactériennes
Tuberculose Fréquente, 1 à 18 % des causes d'uvéites Sujet de tout âge Contage tuberculeux ou voyage en zone d'endémie Tuberculose active:fièvre, AAA, toux, hémoptysie Tuberculose latente:réaction d'hypersensibilité au bacille de Koch
  • Manifestations cliniques variées Uvéite uni- ou bilatérale, aiguë ou chronique

  • Uvéite antérieure granulomateuse en graisse de mouton

  • Lésions iriennes:nodules de Koeppe, de Bussaca, granulome de l'angle iridocornéen

  • Aucune manifestation pathognomonique

  • Uvéite dans un contexte d'infection systémique ou latente et de notion de voyage en zone d'endémie ou de contage tuberculeux

  • PCA:examen direct et cultures peu rentables

  • PCR difficilement réalisable en pratique clinique (peu sensible, peu accessible)

  • IDR tuberculine, Quantiféron-TB Imagerie thoracique:radiographie et tomodensitométrie

  • Examens invasifs:fibroscopie avec lavage broncho-alvéolaire Recherche d'une atteinte extrapulmonaire

Maladie très fréquente à l'échelle mondiale Diagnostic difficile en cas de tuberculose latente Radiographie thoracique et IDR tuberculine systématique devant une uvéite
Syphilis
  • Rare, en augmentation, 0,7 à 1,7 % des causes d'uvéites

  • Sujet < 40 ans, H > F

  • Facteurs de risque:rapport sexuel à risque, homosexualité, séropositivité pour le VIH

  • Syphilis primaire:chancre

  • Syphilis secondaire:

  • atteinte systémique:fièvre, arthralgies, asthénie atteinte cutanée:roséole palmoplantaire+++

  • Syphilis latente précoce:récurrence de syphilis secondaire

  • Syphilis tertiaire:neurosyphilis, atteinte cardiaque, gomme syphilitique

  • « La grande simulatrice »:

  • atteinte extrêmement variée, mime toutes les pathologies ophtalmologiques

  • Après la phase secondaire de la maladie, uvéite antérieure non granulomateuse (62 %), dilatation des vaisseaux iriens

  • Rechercher une atteinte postérieure

TPHA-VDRL systématique devant une uvéite
AAA:asthénie, anorexie, amaigrissement; AAN:anticorps antinucléaire; ASCA: anti-Saccharomyces cerevisiae antibodies ; BGSA:biopsie de glandes salivaires accessoires; F:femme; FO:fond d'œil; FR:facteur rhumathoïde; H:homme; HLA: human leucocyte antigen ; HSV: Herpes simplex virus ; HTO:hypertonie oculaire; IDR:intradermoréaction; p-ANCA: perinuclear antineutrophil cytoplasmic ; PCA:ponction de chambre antérieure; PCR: polymerase chain reaction ; PIO:pression intra-oculaire; PRD:précipité rétrodescemétique; TDM:tomodensitométrie; TINU: tubulo-interstitial nephritis and uveitis ; TNF: tumor necrosis factor ; TPHA: treponema pallidum hemagglutinations assay ; VDRL: veneral disease research laboratory ; VIH:virus de l'immunodéficience humaine; VS:vitesse de sédimentation; VZV: varicella-zoster virus.

TRAITEMENT

Malgré des progrès récents, peu de données fondées sur les preuves concernent la prise en charge en urgence des uvéites antérieures aiguës [10]. Un certain empirisme reste de mise, d’autant que l’hétérogénéité des uvéites rend difficile la définition de règles thérapeutiques systématiques. Certains principes généraux sont cependant applicables :

  • ±

    une uvéite antérieure est une urgence médicale, la prise en charge (PEC) doit être faite dans les 24 heures. Cela correspond à une classification infirmière des malades aux urgences de niveau 3 (CIMU 3) ;

  • ±

    avant tout traitement, la réalisation d’un fond d’œil doit être systématique devant toute uvéite antérieure pour rechercher une atteinte postérieure (rétinite nécrosante) ;

  • ±

    toute HTO doit être traitée ;

  • ±

    en l’absence de signes de gravité, le bilan étiologique peut être différé à 24/48 heures ;

  • ±

    toute inflammation qui s’aggrave sous corticoïdes doit faire suspecter une pathologie infectieuse.

Traitement anti-inflammatoire symptomatique
TOPIQUE

La voie topique est réservée aux uvéites antérieures ou en traitement d’appoint des panuvéites. Le traitement anti-inflammatoire repose sur une corticothérapie à forte dose en décroissance progressive. En cas d’inflammation majeure, une pommade associant corticoïdes et antibiotiques peut être administrée le soir. La réévaluation de l’inflammation doit être systématique à 48 heures de l’instauration du traitement.

Ordonnance type de dexaméthasone devant une uvéite antérieure aiguë

  • 1 goutte toutes les heures pendant 48 heures

  • Puis 1 goutte 10 fois/j pendant 7 jours

  • Puis 1 goutte 8 fois/j pendant 7 jours

  • Puis 1 goutte 6 fois/j pendant 7 jours

  • Puis 1 goutte 4 fois/j pendant 7 jours

  • Puis 1 goutte 3 fois/j pendant 7 jours

  • Puis 1 goutte 2 fois/j pendant 7 jours

  • Puis 1 goutte 1 fois/j pendant 7 jours

La prévention des synéchies iridocristalliniennes repose sur l’instillation pluriquotidienne de collyres cycloplégiques et mydriatiques (Mydriaticum ® : 1 goutte 3 fois/j pendant 7 jours ; Atropine ® : 1 goutte le soir pendant 7 jours).

Toute HTO doit être traitée par des collyres hypotonisants, en évitant au maximum l’utilisation de collyres analogues des prostaglandines. L’utilisation intraveineuse ou orale d’acétazolamide peut être utilisée si nécessaire.

LOCORéGIONAL

En cas d’uvéite antérieure aiguë intense (Tyndall > 3 +) unilatérale ou d’un échec de la corticothérapie locale à 48 heures, des injections péri-oculaires, sous-conjonctivale ou latérobulbaire, de dexaméthasone peuvent être effectuées. Elles doivent être réalisées chez un patient demi-assis ou allongé, après anesthésie topique et désinfection cutanée. Il faut injecter lentement le produit dans le cul-de-sac conjonctival (injection sous-conjonctivale) ou dans les tissus graisseux péri-orbitaires, aux deux tiers externes du rebord orbitaire inférieur (injection latérobulbaire, fig. 5-2-126). Les injections peuvent être répétées toutes les 48 heures si nécessaire. Les principaux effets secondaires sont l’HTO cortico-induite, la survenue d’une cataracte et, exceptionnellement, une perforation du globe ou une diplopie par fibrose des muscles oculomoteurs.

Fig. 5-2-126
Technique de réalisation d’une injection latérobulbaire.

SYSTéMIQUE

Après avoir éliminé une pathologie infectieuse active, il est possible d’avoir recours à une corticothérapie intraveineuse à forte dose en cas d’uvéite antérieure inflammatoire systémique ou isolée, résistante à une corticothérapie topique et locorégionale maximum. Le bilan étiologique doit être réalisé en urgence avant les perfusions. La posologie varie entre 500 mg/j et 1 g/j. Une réévaluation de l’indication doit être réalisée quotidiennement, ainsi qu’une surveillance clinique (pression artérielle, fréquence cardiaque, électrocardiogramme) et biologique (glycémie, ionogramme sanguin).

Traitement étiologique

La stratégie thérapeutique d’une uvéite est facilitée lorsque son diagnostic étiologique est confirmé. Une consultation en médecine interne doit être proposée lorsqu’une pathologie systémique associée est suspectée. Le tableau 5-2-43 résume les principaux traitements utilisés en fonction de l’étiologie retrouvée. Les traitements de fond d’épargne cortisonique sont à discuter de manière pluridisciplinaire, en fonction de la balance bénéfice/risque. Les anti-tumor necrosis factors (anti-TNF) ont une place croissante dans la stratégie thérapeutique des uvéites non infectieuses [11].

Tableau 5-2-43
Traitement étiologique des uvéites antérieures.
Uvéites antérieures aiguës inflammatoires isolées
Iridocyclite hétérochromique de Fuchs Pas de corticothérapie, traitement local par AINS, hypotonisants locaux et généraux
Syndrome de Posner-Schlossman Traitement local de la crise:hypotonisants locaux et généraux, corticothérapie topique à faible dose en diminution rapide sur 1 semaine, pas de traitement hypotonisant d'entretien
Uvéites antérieures aiguës infectieuses
Virales HSV, VZV Aciclovir (1 cp de 800 mg 5 fois/j) ou valaciclovir (2 cp de 500 mg 3 fois/j) en décroissance progressive sur plusieurs semaines Vérification hebdomadaire de la fonction rénale et hépatique Corticothérapie topique 48 h après le début du traitement antiviral Contrôle de l'évolution après introduction des corticoïdes Garder le traitement antiviral le temps de la corticothérapie, décroissance lente des corticoïdes
Bactériennes Tuberculose Quadrithérapie antituberculeuse à discuter en fonction de la balance bénéfice/risque, du nombre de récidives uvéitiques et de leur sévérité
Syphilis Antibiothérapie:nombreux protocoles
AINS:anti-inflammatoire non stéroïdien; HSV: Herpes simplex virus ; VZV: varicella-zoster virus.

CONCLUSION

Devant toute uvéite antérieure aux urgences :

  • ±

    rechercher les critères de gravité :

    • AV < 5/10 ;

    • HTO ;

    • hypopion.

  • ±

    éliminer une cause infectieuse et une atteinte postérieure : fond d’œil dilaté systématique ;

  • ±

    traiter avec des corticoïdes topiques et cycloplégiques en l’absence de cause infectieuse suspectée, à dose progressivement dégressive ;

  • ±

    surveiller l’évolution clinique ;

  • ±

    rechercher une maladie systémique associée : bilan étiologique et consultation en médecine interne.

UVÉITES INTERMÉDIAIRES

C. BONNET , D. MONNET

PRÉSENTATION CLINIQUE

Le terme d'uvéite intermédiaire est réservé au sous-groupe d'uvéites où le vitré est le site principal de l'inflammation. L'uvéite intermédiaire survient de préférence chez les enfants et les adultes jeunes entre 5 et 30 ans. Elles sont responsables de 7 à 41,7 % des uvéites de l'enfant, et de 10 à 22,9 % des uvéites tous âges confondus [12]. Ces données sont issues de séries relevées dans des centres tertiaires de prise en charge des uvéites, sous-estimant probablement l'incidence dans la population générale [13].

Signes fonctionnels

Les patients se plaignent avant tout de myodésopsies et d'une baisse d'acuité visuelle, plus ou moins marquées selon l'importance de la hyalite.

La maladie présente le plus souvent un début progressif et insidieux. La photophobie et la douleur sont rares. L'atteinte est souvent bilatérale mais peut être asymétrique.

Signes physiques

L'importance de l'inflammation est très variable. Une hyalite modérée est le plus souvent asymptomatique. Les uvéites intermédiaires sont associées à de nombreuses maladies inflammatoires (ou infectieuses, voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »). Une hyalite modérée est par exemple fréquemment observée en cas de sarcoïdose oculaire.

Le vitré est le site primitif de l'inflammation. La présence de vascularites rétiniennes périphériques ou d'un œdème maculaire ne change pas la classification. Le terme de pars planite est réservé aux cas où il y a une « banquise » inférieure ou la présence de snowballs (condensations vitréennes inférieures en « œufs de fourmis »), survenant en l'absence d'infection associée ou de maladie systémique ; il s'agit alors d'une uvéite intermédiaire idiopathique.

Examen clinique devant une uvéite intermédiaire

La hyalite est le signe cardinal de l'uvéite intermédiaire. L'analyse du corps vitré porte, comme pour le segment antérieur, sur sa cellularité (Tyndall vitréen) et sur son trouble global, hyalite ou haze, en rapport avec l'augmentation du taux de protéines dans le vitré. Une cotation de la hyalite est utilisée, comme celle du flare en chambre antérieure. Elle repose sur la comparaison entre la transparence avec laquelle le fond d'œil est observé et des photographies de référence (fig. 5-2-127). Toutefois aucune classification standardisée, prenant en compte la cellularité, ne permet de quantifier une hyalite précisément (SUN).

Fig. 5-2-127
Hyalite.

Il est important de bien examiner la périphérie rétinienne pour détecter des cellules inflammatoires regroupées en amas, sous la forme de banquise inférieure, ou regroupées en œufs de fourmis ( snowballs ). Le segment antérieur est généralement peu cellulaire : le Tyndall est modéré. La recherche de vascularites périphériques au fond d'œil et d'un œdème maculaire à l'OCT est également nécessaire.

Examens complémentaires

La pars planite est la cause la plus fréquente d'uvéite intermédiaire, mais reste un diagnostic d'élimination. Un bilan infectieux (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »), de sclérose en plaques, de sarcoïdose et plus rarement de maladie de Crohn est réalisé. En particulier, une infection tuberculeuse doit spécifiquement être éliminée car un traitement à base de corticoïdes ou immunosuppresseurs est souvent instauré (encadré 5-2-15).

Encadré 5-2-15
Bilan complémentaire à effectuer devant une uvéite intermédiaire

  • Hémogramme, vitesse de sédimentation (VS), C-reactive protéine (CRP)

  • Sérologies :

    • Borrelia burgdorferi

    • Borrelia hermsii

    • Bartonella henselae, Quintana spp.

    • Toxoplasma gondii

    • treponema pallidum hemagglutinations assay (TPHA), veneral disease research laboratory (VDRL)

    • Toxocara canis

  • Quantiféron-TB Gold ou T-SPOT.TB

  • Examen des urines

  • Radiographie de thorax face + profil ou tomodensitométrie thoracique

  • Imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale

Des opacités vitréennes post-inflammatoires peuvent continuer à être observées lorsque l'inflammation est résolutive. Plusieurs causes de pseudo-uvéites peuvent par ailleurs être responsables d'opacités vitréennes. Dans le cas d'un lymphome intra-oculaire primitif, la discordance entre l'intensité de la hyalite, dense, et l'absence d'œdème maculaire ou de signes de vascularites rétiniennes inflammatoires constitue un argument en faveur du diagnostic.

ÉTIOLOGIES

Les principales étiologies des uvéites intermédiaires sont résumées dans l' encadré 5-2-16 [14].

Encadré 5-2-16
Étiologies des uvéites intermédiaires

  • Maladies inflammatoires systémiques :

    • sarcoïdose

    • sclérose en plaques

  • Maladies inflammatoires isolées :

    • pars planite

  • Maladies infectieuses :

    • tuberculose

    • syphilis

    • toxoplasmose

    • toxocarose

    • human T-lymphotropic virus type 1 (HTLV-1)

    • maladie de Lyme

    • maladie des griffes du chat

TRAITEMENT DES UVÉITES INTERMÉDIAIRES NON INFECTIEUSES

Le traitement de l'inflammation repose sur l'évaluation des répercussions fonctionnelles sur la rétine (œdème maculaire cystoïde principalement). Une hyalite pure, sans atteinte rétinienne et sans gêne fonctionnelle majeure, nécessite une surveillance régulière, l'abstention thérapeutique permet d'éviter les effets secondaires du traitement. En cas d'atteinte unilatérale, les traitements anti-inflammatoires (corticoïdes) topiques sont à privilégier ; si l'atteinte est bilatérale, un traitement systémique par corticoïdes est souvent indiqué. Dans tous les cas, l'instauration d'un traitement anti-inflammatoire ne se fait pas dans une situation d'urgence, mais après avoir réalisé le bilan complet et une consultation en médecine interne à la recherche d'une étiologie [15].

CONCLUSION

Les uvéites intermédiaires sont des causes fréquentes d'inflammation intra-oculaire. La pars planite reste un diagnostic d'élimination. Il n'y a pas lieu de débuter aux urgences un traitement anti-inflammatoire d'une uvéite intermédiaire aiguë, avant la réalisation d'un bilan étiologique complet et l'évaluation de la balance bénéfice/risque de l'instauration d'une corticothérapie. L'apparition d'un œdème maculaire conditionne souvent le recours à un traitement locorégional ou systémique. Un suivi régulier est nécessaire.

UVÉITES DU SEGMENT POSTÉRIEUR : LES SITUATIONS D'URGENCE

A. BRÉZIN

Les inflammations intra-oculaires atteignant de manière primitive le segment postérieur sont moins fréquentes que les uvéites antérieures. Lorsque leur origine est non infectieuse, celles-ci sont regroupées sous l'acronyme NINAU (non infectious non anterior uveitis ), qui rassemble les uvéites intermédiaires, postérieures et les panuvéites. Les uvéites postérieures infectieuses (toxoplasmiques et autres, voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses ») peuvent rapidement engager le pronostic visuel. On envisage le diagnostic de NINAU après avoir éliminé les arguments en faveur d'une origine infectieuse dont l'urgence de la prise en charge prime. Dans de nombreux cas, le choix du traitement débuté en urgence ne peut être fondé que sur l'évaluation clinique. La confirmation de l'hypothèse diagnostique ne peut alors avoir lieu qu'a posteriori, une fois disponibles les résultats des examens complémentaires effectués à la recherche d'une confirmation étiologique.

ÉVALUATION EN URGENCE D'UNE UVÉITE NON INFECTIEUSE DU SEGMENT POSTÉRIEUR
Critères de sévérité et analyse sémiologique

Comme pour toutes les affections oculaires, il existe une corrélation entre altérations anatomiques et dégradation de la vision. Une atteinte visuelle au cours d'une uvéite postérieure est liée aux opacités vitréennes, à un œdème maculaire, à une rétinite, à un décollement séreux rétinien ou à des manifestations associées au niveau du segment antérieur ou du nerf optique. Analyser chaque composante des manifestations inflammatoires constitue la première urgence devant une uvéite postérieure (tableaux 5-2-44 et 5-2-45).

Tableau 5-2-44
Objectifs d'urgence dans la première phase de la prise en charge d'une uvéite du segment postérieur.
Objectifs Impact
Identification d'une étiologie infectieuse Mise en route d'un traitement spécifique
Traitement rapide d'une hyalite ≥ 3+ Visualisation du fond d'œil Prévention des complications secondaires (tractions vitréorétiniennes, membranes épimaculaires, œdème maculaire secondaire)
Traitement rapide d'un œdème maculaire Prévention de dégâts maculaires structurels irréversibles
Identification d'une maladie systémique Identification de manifestations extra-oculaires urgentes Stratégie thérapeutique adaptée
Tableau 5-2-45
Éléments sémiologiques d'orientation au cours de certaines uvéites postérieures non infectieuses.
Hyalite Œdème maculaire Vascularites rétiniennes Rétinites ou rétinochoroïdites Décollements séreux rétiniens Œdème papillaire Signes spécifiques au fond d'œil
Maladie de Behçet Fréquente Fréquent Fréquentes (artérielles ou veineuses) Fréquentes Non Possible
Sarcoïdose Fréquente Fréquent Fréquentes (veineuses) Rares Non Possible Lésions de choroïdite multifocale périphérique fréquentes, en « taches de bougie »
Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada Absente ou modérée Rare Rares Rares Oui Fréquent
Choriorétinopathie de type birdshot Fréquente, mais < 2+ Fréquent Fréquentes (veineuses) Non Non Fréquent Taches blanches ovoïdes prédominant en moyenne périphérie
Syndrome de choroïdite multifocale avec panuvéite Fréquente Rare (mais risque de néovascularisation sous-maculaire) Rares Non Non Possible Lésions diffuses crémeuses, puis atrophique de choroïdite multifocale
Choroïdite ponctuée interne Rare, modérée Rare (mais risque de néovascularisation sous-maculaire) Non Non Non Non Lésions atrophiques multifocales, à l'emporte-pièce, < 250 um
Épithéliopathie en plaques < 1+ Non (mais épithélite maculaire possible) Non Oui Zones blanchâtres ou grisées d'épithéliopathie Pigmentation secondaire Possibles (limités) Rare, modéré Plaques bilatérales d'épithéliopathie

HYALITE

La présence d'une hyalite ne constitue habituellement pas un élément d'orientation étiologique significatif au cours d'une uvéite postérieure. L'intensité de la hyalite doit être évaluée en cotant de 1 à 4+ l'intensité du haze vitréen [1]. En revanche, il n'y a pas de cotation standardisée de la cellularité vitréenne. Cette analyse en urgence donne un point de référence pour le suivi de l'évolution d'une uvéite intermédiaire ou postérieure. Devant une dégradation de la vision, l'examen d'urgence doit s'efforcer de faire la part entre les opacités vitréennes et d'éventuelles anomalies associées au fond d'œil. Au cours des hyalites de forte intensité, cette analyse est fréquemment difficile. Toutefois, les appareils d'OCT permettent régulièrement d'obtenir des images à travers une hyalite même de forte intensité. Même de qualité très dégradée, ces images permettent d'analyser l'absence ou la présence d'un œdème maculaire (fig. 5-2-128).

Fig. 5-2-128
Image OCT de qualité dégradée d'un œdème maculaire à travers une hyalite de grade 3+.

ŒDÈME MACULAIRE

L'œdème maculaire est la première cause de handicap visuel irréversible au cours des uvéites [16]. La constatation d'un œdème maculaire constitue donc une urgence. Toutefois, il est fréquemment préférable de prendre le temps d'effectuer des examens complémentaires à la recherche d'un diagnostic étiologique, avant de se précipiter sur la prescription d'un traitement systémique. La quantification de l'œdème et son analyse anatomique sont effectuées en imagerie OCT, qui permet ensuite un suivi longitudinal pour la surveillance de la résorption de l'œdème.

La présence d'un œdème maculaire ne constitue pas habituellement un élément d'orientation diagnostique. En effet, dès lors qu'une inflammation intra-oculaire intense est observée, un œdème maculaire peut être observé, sans spécificité. En revanche, l'absence d'œdème maculaire, contrastant avec d'autres éléments inflammatoires (ou pseudo-inflammatoires) peut avoir une valeur d'orientation diagnostique. Ainsi, la plupart des pseudo-uvéites (ou masquerade syndromes ), telles que les lymphomes oculaires, n'entraînent pas d'œdème maculaire. Au cours des cyclites de Fuchs, des opacités intravitréennes denses peuvent être observées, mais celles-ci ne sont pas compliquées d'œdème maculaire. Au cours de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, des épithéliopathies en plaques ou des choroïdites serpigineuses, l'œdème maculaire ne constitue pas un élément habituel de la présentation clinique.

RÉTINITES ET RÉTINOCHOROÏDITES

Les rétinites sont généralement caractérisées par un aspect blanchâtre de la rétine dont les limites peuvent être nettes ou floues, selon leur étiologie. Les choriorétinites ont un aspect comparable pour leur composante inflammatoire rétinienne, mais sont associées à des lésions choroïdiennes plus profondes, parfois satellites des lésions actives et dans ce cas d'aspect pigmenté ou atrophique. La présence d'une rétinite ou d'une rétinochoroïdite doit faire évoquer une étiologie infectieuse en première intention (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »).

VASCULARITES RÉTINIENNES

Les vascularites rétiniennes peuvent être visibles à l'examen du fond d'œil sous forme d'engainements blanchâtres des vaisseaux. Toutefois, seules les vascularites marquées peuvent être ainsi visibles, une angiographie est nécessaire pour la visualisation des vascularites de plus bas grade. Les vascularites veineuses sont plus fréquentes que les vascularites artérielles. L'observation de vascularites artérielles constitue un élément d'orientation étiologique fort, devant faire évoquer en premier lieu, parmi les étiologies infectieuses, une nécrose rétinienne aiguë et, parmi les étiologies non infectieuses, une maladie de Behçet (fig. 5-2-129) [17]. Les périphlébites périphériques sont fréquemment associées aux uvéites intermédiaires, quelle que soit leur étiologie.

Fig. 5-2-129
Maladie de Behçet. Vascularite artérielle rétinienne occlusive.

Les vascularites rétiniennes, que celles-ci soient artérielles ou veineuses, d'étiologie infectieuse ou non infectieuse peuvent avoir des complications occlusives. Ces dernières sont particulièrement présentes au cours des maladies de Behçet et des nécroses rétininiennes aiguës.

DÉCOLLEMENTS SÉREUX RÉTINIENS

Une uvéite postérieure bilatérale avec décollements séreux rétiniens doit évoquer en première intention une maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (fig. 5-2-130) [18]. Des signes extra-oculaires peuvent être associés : hypoacousie, céphalées en rapport avec une méningite. Les signes cutanés (poliose, vitiligo) sont habituellement plus tardifs. Les autres causes de décollements séreux rétiniens inflammatoires sont plus rares. Au cours des épithéliopathies en plaques, des décollements séreux rétiniens peuvent être observés en OCT, mais ceux-ci sont beaucoup plus limités qu'au cours de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada.

Fig. 5-2-130
Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada.
a. Aspect du fond d'œil avec multiples décollements séreux rétiniens.
b. Aspect en OCT.

Par ailleurs, les sclérites postérieures compliquées par contiguïté de décollements séreux rétiniens constituent un diagnostic différentiel. Un antécédent ou l'observation concomitante d'une sclérite antérieure, ainsi que la douleur associée à une sclérite sont des éléments d'orientation.

ŒDÈME PAPILLAIRE

Un œdème papillaire est susceptible de compliquer par contiguïté la plupart des inflammations intra-oculaires de forte intensité. Cependant, les manifestations inflammatoires peuvent également, de manière primitive, intéresser le nerf optique. Dans une situation d'urgence, il est fréquemment difficile de faire la part entre ces deux causes d'œdème papillaire, lesquelles peuvent d'ailleurs être associées entre elles. L'élément essentiel de l'examen d'urgence est l'appréciation du retentissement de l'œdème papillaire sur la vision. Fréquemment, ce retentissement est inférieur à celui d'un œdème maculaire, mais les parts réciproques de ces deux sites d'œdème sur une baisse d'acuité visuelle sont fréquemment difficiles à apprécier.

AUTRES SIGNES SPÉCIFIQUES AU FOND D'ŒIL

La présence de taches au fond d'œil ou d'autres signes spécifiques peut constituer un élément d'orientation étiologique déterminant. Le nombre de taches, leur localisation, leur aspect et leur taille sont autant d'éléments utiles pour orienter la démarche diagnostique. Dans une situation d'urgence, l'essentiel est l'identification de ces éléments, notamment pour orienter vers des étiologies intra-oculaires isolées ou vers une maladie systémique (fig. 5-2-131).

Fig. 5-2-131
Choroïdite multifocale et panuvéite.

L'observation de foyers choroïdiens, isolés ou multiples évoquant une infection, étaye le diagnostic différentiel en faveur d'une uvéite postérieure infectieuse (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »).

Bilan diagnostique d'urgence

Dans le contexte d'une prise en charge en urgence d'une uvéite postérieure, la première phase de la démarche diagnostique est l'élimination d'une étiologie infectieuse : diagnostic différentiel de NINAU (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »). La suite de la démarche diagnostique, en particulier l'identification d'une maladie systémique dans laquelle l'uvéite est susceptible de s'intégrer, constitue un deuxième temps de la prise en charge. Parmi les étiologies systémiques d'uvéite, la maladie de Behçet constitue un cas particulier, car son diagnostic est fondé sur des éléments cliniques. L'interrogatoire à la recherche des critères majeurs de la maladie aphtose buccale et génitale, signes cutanés – peut suffire, dès la prise en charge d'urgence, à poser le diagnostic [19]. Pour d'autres affections, telles que la sarcoïdose, le diagnostic repose sur des examens complémentaires dont la réalisation peut être différée. En revanche, dans ce cas, si possible, une corticothérapie par voie générale doit être différée pour permettre la réalisation, le plus rapidement possible, des examens complémentaires à visée diagnostique.

Il n'y a pas de « bilan standard » devant une uvéite postérieure : les examens complémentaires à visée diagnostique sont orientés selon les données sémiologiques oculaires et les éventuelles manifestations extra-oculaires liées à une étiologie systémique. Si des signes méningés sont associés à l'uvéite, si les manifestations oculaires suggèrent la possibilité d'une maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, une ponction lombaire à la recherche d'une méningite lymphocytaire peut être pratiquée, avant la mise en route d'un traitement par voie générale.

THÉRAPEUTIQUE D'URGENCE
Traitements topiques

Les traitements topiques n'ont pas d'efficacité sur les manifestations inflammatoires du segment postérieur. Toutefois, une corticothérapie topique est indiquée lorsqu'il existe une inflammation par contiguïté au niveau du segment antérieur et/ou dans les cas de panuvéite. Dans ces cas, la fréquence d'instillation est adaptée à l'intensité de l'inflammation en chambre antérieure. Dans ces situations, l'instillation de collyres mydriatiques est également indiquée, avec utilisation d'atropine dans les cas d'inflammation du segment antérieur de forte intensité.

Injections péri-oculaires

Dans le contexte du traitement en urgence d'une uvéite postérieure, les traitements péri-oculaires sont habituellement par voie latérobulbaire « simple » pour les injections de corticoïdes à effet immédiat (dexaméthasone, habituellement à la posologie de 8 mg) et par voie sous-ténonienne pour les injections de corticoïdes à effet retardé (acétonide de triamcinolone, habituellement à la posologie de 40 mg). Ces injections ne doivent être pratiquées que si une étiologie infectieuse a été écartée. Celles-ci permettent d'apprécier la corticosensibilité de l'uvéite. En outre, l'injection péri-oculaire permet de limiter la diffusion générale de la corticothérapie et son risque de négativation des explorations à visée diagnostique. Les injections péri-oculaires de corticoïdes peuvent se compliquer d'hypertonie et doivent donc être évitées chez les patients présentant des antécédents de réponse hypertonisante sévère après corticothérapie locale.

Injections intravitréeennes
CORTICOTHÉRAPIE PAR VOIE INTRA-OCULAIRE

L'injection intravitréenne de corticoïdes ne doit être utilisée qu'après avoir éliminé avec certitude une étiologie infectieuse. Le produit habituellement utilisé est l'implant à libération prolongée de corticoïdes (dexaméthasone 700 pg Ozurdex ® ) [20]. La durée d'action de l'injection est habituellement d'environ 3 mois. Les complications habituelles sont les hypertonies cortico-induites, ainsi que l'apparition d'opacités cristalliniennes.

ANTIBIOTHÉRAPIE, ANTIVIRAUX ET ANTIMYCOTIQUES INTRA-OCULAIRE

Hormis pour les endophtalmies endogènes, les nécroses rétiniennes aiguës ou lorsque la limitante interne est franchie par un germe infectieux, les étiologies d'uvéite postérieure ne justifient habituellement pas un traitement anti-infectieux intra-oculaire (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »).

Traitements par voie générale
TRAITEMENTS ANTI-INFECTIEUX D'URGENCE

Ces traitements concernent les uvéites postérieures d'origine infectieuse (voir chapitre 5.2.1 , paragraphe « Uvéites infectieuses »).

CORTICOTHÉRAPIE PAR VOIE GÉNÉRALE EN URGENCE
CORTICOTHÉRAPIE PAR BOLUS INTRAVEINEUX

Les bolus intraveineux de corticoïdes, habituellement par méthylprednisolone 500 mg pendant 3 jours consécutifs, constituent des traitements anti-inflammatoires extrêmement puissants, mais qui ne doivent être utilisés qu'après une évaluation stricte du rapport bénéfice/risque. Dans le contexte d'urgence, les bolus par voie intraveineuse de corticoïdes ne doivent être prescrits qu'après avoir éliminé la possibilité d'une étiologie infectieuse d'uvéite postérieure. En outre, leur utilisation est susceptible de rendre infructueux nombre d'examens complémentaires à la recherche de l'étiologie d'une uvéite postérieure. Leur utilisation doit donc être réservée aux cas où l'inflammation du segment postérieur est telle qu'elle constitue une menace immédiate de dégâts structuraux irréversibles susceptibles de retentir sur la vision. Dans un contexte tel que celui d'uvéite postérieure sévère compliquant une maladie de Behçet, leur prescription est légitime. En effet, dans ce cas, il n'y a pas d'examen complémentaire nécessaire à la démarche diagnostique et les menaces de lésions irréversibles, en particulier de vascularites occlusives, sont fréquentes.

CORTICOTHÉRAPIE PER OS

La corticothérapie per os est adaptée aux situations d'urgence lorsqu'il n'y a pas de nécessité d'une corticothérapie initiée sous forme de bolus intraveineux. Sauf dans des situations exceptionnelles, la corticothérapie per os ne doit pas être débutée lorsque celle-ci est susceptible de rendre négatives les recherches à visée étiologique. En revanche, la corticothérapie per os peut être adaptée en urgence devant une uvéite postérieure lorsque le diagnostic étiologique est déjà connu, dans les circonstances où le degré d'inflammation permet l'utilisation de la voie orale et/ou dans les cas d'affections particulièrement cortico-sensibles telles que la sarcoïdose.

La corticothérapie per os est aussi utilisée dans certaines situations telles que les rétinochoroïdites toxoplasmiques en complément du traitement anti-parasitaire et 48 heures après la mise en route de celui-ci. Cependant, cette utilisation, bien que courante, n'est pas étayée par des données fondées sur des preuves [21].

Vitrectomie

Les indications de vitrectomie en urgence au cours des uvéites postérieures sont exceptionnelles. Ces indications sont parfois à visée diagnostique, en cas de suspicion d'étiologies infectieuses, notamment lorsque l'intensité de la hyalite ne permet pas un examen satisfaisant du fond d'œil. Dans ces cas, la vitrectomie comporte la réalisation de prélèvements destinés à des examens bactériologiques, virologiques polymerase chain reaction (PCR) à la recherche d'acide désoxyribonucléique (ADN) viral – ou parasi-tomycologiques. Hors ces situations, il n'y a habituellement pas d'indications de vitrectomie en urgence devant une uvéite postérieure. Au cours des toxocaroses oculaires, bien que la vitrectomie soit l'élément habituel essentiel du traitement, celle-ci est plutôt différée, après un traitement par corticoïdes.

CONCLUSION

Devant une uvéite postérieure, dans le contexte de l'urgence, savoir prendre les bonnes décisions thérapeutiques sans compromettre la démarche diagnostique est parfois délicat. Il est essentiel de toujours évoquer une possible étiologie infectieuse.

BIBLIOGRAPHIE

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5.2.3. HYPERTONIE OCULAIRE EN URGENCE

A. LABBÉ , E. BRASNU , P. HAMARD , C. BAUDOUIN

Points forts

  • Une hypertonie oculaire (HTO) majeure est une cause rare de consultation en urgence mais potentiellement sévère. Les risques liés à l'HTO dépendent à la fois du niveau de cette dernière, de sa durée mais aussi de l'état préexistant des structures oculaires et du nerf optique en particulier.

  • L'interrogatoire et l'examen clinique avec une gonioscopie sont des éléments essentiels pour le diagnostic étiologique. Celui-ci peut être complété par des examens d'imagerie notamment du segment antérieur et de l'angle iridocornéen (AIC).

  • À côté de la fermeture primitive aiguë de l'AIC, d'autres formes d'HTO et de glaucomes, primitifs ou secondaires, à angle ouvert ou fermé, peuvent nécessiter aussi une prise en charge rapide voire immédiate.

  • Un angle à risque de fermeture est défini comme un angle où l'observation en gonioscopie du trabéculum postérieur n'est possible que sur moins de 90° de sa circonférence.

Introduction

Une élévation importante de la pression intra-oculaire (PIO) est une cause de consultation en urgence qui ne doit pas être méconnue, car elle présente des risques de perte définitive de la fonction visuelle. Cette hypertonie oculaire (HTO) peut être très symptomatique lorsqu'elle est d'apparition brutale, mais aussi peu symptomatique et de découverte fortuite, lorsque la PIO augmente progressivement. Une élévation symptomatique de la PIO représenterait entre 1,3 et 5,6 % des urgences ophtalmologiques dans un centre spécialisé [1, 2], ce qui en fait une cause relativement rare de consultation en urgence. Néanmoins, la gravité des conséquences possibles d'une élévation importante de la PIO en fait une pathologie potentiellement très sévère.

À côté de la fermeture primitive aiguë de l'angle ( acute primary angle closure [APAC]), qui représente une réelle urgence ophtalmologique, d'autres formes d'HTO et de glaucomes, primitifs ou secondaires, à angle ouvert ou fermé, nécessitent également une prise en charge rapide voire immédiate. Une étude ayant évalué les étiologies à l'origine d'une consultation aux urgences ophtalmologiques a retrouvé parmi les HTO : 49,1 % de glaucome à angle fermé, 11,3 % de glaucome malin et 9,4 % de glaucome phacomorphique. Les autres patients (30,2 %) présentaient des glaucomes à angle ouvert non compliqués [3]. L'étiologie de cette élévation de la PIO doit être identifiée par un interrogatoire et un examen clinique adapté, éventuellement complétés par des examens d'imagerie.

Les risques liés à l'HTO dépendent à la fois du niveau de cette dernière, de sa durée mais aussi de l'état préexistant des structures oculaires et du nerf optique en particulier. La baisse rapide de la PIO demeure donc l'élément essentiel de la phase initiale de la prise en charge. En parallèle, l'identification de la cause de cette HTO et son traitement étiologique sont également indispensables afin d'éviter d'éventuelles récidives, et le développement ou l'aggravation d'une neuropathie optique glaucomateuse.

Examen clinique et orientation diagnostique
DÉFINITION D'UNE URGENCE PRESSIONNELLE

Une urgence ophtalmologique est une pathologie menaçant immédiatement le système visuel et pouvant entraîner une perte définitive de la vision si elle n'est pas traitée. La susceptibilité des structures oculaires à une élévation de la PIO est très variable d'un individu à l'autre, notamment en fonction de la rapidité à laquelle celle-ci s'est constituée, sa durée d'évolution ou encore de l'état des tissus oculaires. Même si l'on peut généralement considérer qu'une PIO supérieure à 40 mmHg représente une urgence thérapeutique, il est difficile de déterminer une limite chiffrée de PIO marquant, en soi et pour tous les patients, la nécessité d'une prise en charge en urgence.

On peut néanmoins définir comme des urgences pressionnelles les deux cas de figure suivants.

ÉLÉVATION SYMPTOMATIQUE DE LA PRESSION INTRA-OCULAIRE

C'est une HTO associée à des symptômes oculaires traduisant une souffrance tissulaire aiguë comme des douleurs oculaires ou des céphalées, une rougeur oculaire, un œdème de cornée et/ou une baisse d'acuité visuelle. Il s'agit en général d'élévation aiguë et importante de la PIO, l'exemple caractéristique étant celui de la crise aiguë de fermeture de l'angle.

ÉLÉVATION ASYMPTOMATIQUE DE LA PRESSION INTRA-OCULAIRE

Cette HTO est asymptomatique, mais le niveau de PIO et la durée d'évolution risquent d'entraîner à court terme des conséquences irréversibles sur les structures oculaires. Il s'agit en général d'une élévation chronique de la PIO associée aux différentes formes de glaucome. Le degré d'urgence est dans ces derniers cas corrélé au niveau de la PIO et à l'état des structures oculaires, notamment du nerf optique. Cet état traduit la souffrance tissulaire induite par cette HTO et ses risques. Ainsi, une pression de 30 mmHg chez un patient asymptomatique avec une pachymétrie épaisse et un nerf optique normal ne sera pas considérée comme une urgence thérapeutique. La même pression chez un patient avec un glaucome menaçant le point de fixation et une pachymétrie fine représentera une urgence thérapeutique.

INTERROGATOIRE

Devant une élévation importante de la PIO, l'interrogatoire a pour premier objectif de rechercher des signes de gravité évoquant une souffrance oculaire (tableau 5-2-46). Les douleurs sont de distribution trigéminée, le plus souvent localisées au niveau de l'œil mais aussi projetées depuis l'orbite ou encore les sinus. Dans les cas les plus sévères, des symptômes systémiques peuvent être présents comme une stimulation végétative ou des réflexes oculogastrique et oculocardiaque. Ces symptômes s'associent souvent à une rougeur oculaire et à un larmoiement abondant. Le mode et la date d'apparition de ces symptômes, et leur évolution sont également des éléments essentiels de l'interrogatoire, à la fois diagnostiques et pronostiques. Enfin, il convient de ne pas oublier qu'une HTO, même très élevée (> 40 mmHg), peut être asymptomatique lorsqu'elle est d'installation progressive.

Tableau 5-2-46
Signes fonctionnels de gravité pour une hypertonie.
Signes locorégionaux Signes systémiques
Baisse d'acuité visuelle Nausées
Perception de halos autour des lumières Vomissements
Douleurs oculaires et trigéminées Sueurs
Céphalées Bradycardie
Hyperhémie conjonctivale Douleur abdominale
Larmoiement Douleur thoracique
Traumatisme oculaire
Chirurgie compliquée

L'interrogatoire recherche également les antécédents systémiques et ophtalmologiques du patient. Cette étape est indispensable afin de déterminer si cette élévation de la PIO est une complication ou une récidive d'une pathologie existante. Par ailleurs, certaines causes d'HTO sont directement suggérées par les antécédents du patient. La prise de médicaments systémiques ou ophtalmologiques, leur date d'introduction par rapport à l'événement actuel, les antécédents de chirurgie oculaire, ou encore la notion de traumatisme oculaire sont des éléments particulièrement recherchés, car potentiellement responsables d'HTO majeure et symptomatique.

EXAMEN CLINIQUE

L'examen clinique d'un patient qui présente une HTO importante est orienté afin d'identifier la cause de cette hypertonie et son retentissement sur les structures oculaires, et de déterminer la prise en charge la plus efficace (tableau 5-2-47). Celui-ci repose en urgence sur l'évaluation de l'acuité visuelle, l'examen à la lampe à fente, la prise de la PIO, la gonioscopie et l'examen du fond d'œil. L'examen est nécessairement bilatéral et comparatif car certains éléments diagnostiques peuvent n'être visibles que sur l'œil indemne d'HTO. Par ailleurs, cet examen peut parfois être limité par l'œdème cornéen ou encore les symptômes douloureux du patient, il est alors indispensable de le refaire ou de le compléter une fois la PIO diminuée.

Tableau 5-2-47
Signes physiques de gravité pour une hypertonie.
Signe à rechercher Signe de gravité
Dilatation des veines épisclérales Baisse d'acuité visuelle
Aspect du ou des sites opératoires Cercle périkératique
Précipités rétrocornéens Œdème cornéen, bulles intra-épithéliales
Faisceau de Krukenberg Angle iridocornéen fermé
Effet Tyndall ou flare Altération du réflexe pupillaire
Matériel intracamérulaire (corps étrangers, masse, visqueux) Vasodilatation inflammatoire irienne
Ouverture de l'angle iridocornéen et présence de synéchies Glaukomflecken
Iris concave ou convexe Pouls artériel spontané
Anomalie irienne (synéchies, vaisseaux, stroma, masse, etc.) Excavation papillaire pathologique
Dépôts pseudo-exfoliatifs Œdème papillaire
Excavation pathologique de la papille
Anomalie rétinienne

MESURE DE L'ACUITÉ VISUELLE ET EXAMEN BIOMICROSCOPIQUE

Cet examen clinique débute par l'évaluation, même sommaire, de l'acuité visuelle. Dans le cadre d'une HTO, une baisse d'acuité visuelle représente un signe de gravité.

L'examen clinique biomicroscopique recherche une rougeur oculaire liée à une vasodilatation conjonctivale et épisclérale, en particulier un cercle périkératique qui signe une souffrance oculaire. La présence d'une dilatation importante des veines épisclérales dite « en tête de méduse » oriente vers une élévation de la pression veineuse épisclérale à l'origine de l'HTO (fig. 5-2-132). En cas d'antécédent de chirurgie du glaucome, l'aspect du ou des sites opératoires (bulle de filtration conjonctivale, position d'un tube de drainage ou d'une valve) doit être évalué.

Fig. 5-2-132
Dilatation veineuse épisclérale en cas d'hypertonie oculaire associée à une augmentation de la pression veineuse épisclérale.

On examine ensuite la cornée à la recherche d'un œdème cornéen (fig. 5-2-133). Celui-ci, comme la rougeur oculaire, peut être absent en cas d'HTO chronique ou d'élévation lente de la PIO. En l'absence d'œdème, la présence de précipités rétrocornéens ou PRC (uvéite hypertensive) ou de dépôts de pigments sur l'endothélium (faisceau de Krukenberg ; glaucome pigmentaire) sont des éléments pouvant orienter vers une étiologie particulière d'HTO. On recherche, en cas de traumatisme, un orifice d'entrée cornéen ou scléral et la présence éventuelle d'un corps étranger dans le segment antérieur.

Fig. 5-2-133
Œdème de cornée en cas d'hypertonie aiguë.

La chambre antérieure est également analysée, notamment sa profondeur au centre et en périphérie, mais aussi la présence de cellules (effet Tyndall), de protéines ( flare ), de pigments (Tyndall pigmentaire), de vitré, de sang, de matériel cristallinien ou encore de matériel exogène (visqueux, implant de chambre antérieure, iris artificiel, corps étranger, etc.). L'évaluation de la profondeur de la chambre antérieure en périphérie correspond à la manœuvre de Van Herick qui consiste à projeter une fente fine selon un axe de 30° au niveau de la cornée périphérique (nasal ou temporal) et d'analyser l'espace situé entre la face antérieure de l'iris et l'endothélium cornéen. Lorsque cette épaisseur est inférieure à la moitié de l'épaisseur de la cornée, l'angle iridocornéen (AIC) est suspect de fermeture (fig. 5-2-134) [4]. L'analyse de la profondeur de la chambre antérieure ne remplace cependant pas la gonioscopie qui est détaillée plus loin.

Fig. 5-2-134
Signe de Van Herick positif traduisant un risque élevé de fermeture de l'angle iridocornéen.

L'iris est également analysé, tout d'abord par l'évaluation du réflexe pupillaire. En cas d'HTO importante, il existe une perturbation de la vascularisation de l'iris et de son sphincter entraînant une mydriase ou semi-mydriase plus ou moins régulière et aréflexique. La forme de l'iris est analysée, notamment son caractère bombé vers l'avant (blocage pupillaire) ou concave vers l'arrière (blocage pupillaire inverse en cas de dispersion pigmentaire). On recherche également la présence de synéchies antérieures (cornéennes) ou postérieures (cristalliniennes ou sur un implant), des dépôts blanchâtres de pseudo-exfoliation capsulaire sur le bord pupillaire, l'existence de néovaisseaux iriens et/ou de plages d'atrophie irienne, un changement de coloration de l'iris, une déformation irienne, une rupture du sphincter, une désinsertion périphérique de l'iris ou encore une tumeur irienne. Une hypertonie oculaire importante peut provoquer une dilatation inflammatoire des vaisseaux iriens normaux qu'il ne faut pas confondre avec des néovaisseaux anormaux qui sont plus petits, de distribution anarchique sur le bord pupillaire et qui s'étendent vers l'AIC (fig. 5-2-135). Enfin, une iridotomie périphérique, avec son caractère transfixiant, est également recherchée, celle-ci pouvant orienter vers une étiologie particulière d'HTO.

Fig. 5-2-135
Fins néovaisseaux iriens au bord pupillaire dans un cas de glaucome néovasculaire.

La chambre postérieure est ensuite analysée avec l'aspect du cristallin et sa position, la présence éventuelle d'une cataracte ou d'un implant de chambre postérieure. La présence de dépôts de matériel pseudo-exfoliatif sur la face antérieure du cristallin (fig. 5-2-136) ou de pigments traduisant d'anciennes synéchies iridocristalliniennes est recherchée. La libération de protéines cristalliniennes dans un glaucome phacolytique est une cause classique d'élévation majeure de la PIO. En cas d'HTO aiguë, des opacités sous-capsulaires blanchâtres peuvent apparaître sur le cristallin. Elles correspondent à une nécrose de l'épithélium cristallinien appelées Glaukomflecken. Enfin, dans tous les cas d'antécédent de chirurgie du cristallin, la position et le type d'implant doivent être analysés, car ils peuvent être potentiellement responsables d'une élévation de la PIO.

Fig. 5-2-136
Dépôts de matériel pseudo-exfoliatif sur la cristalloïde antérieure.

Lorsque cela est possible, il est nécessaire d'examiner la rétine et le nerf optique. L'HTO peut provoquer, lorsqu'elle est très élevée, une hypoxie voire une ischémie du nerf optique comme dans la crise aiguë de fermeture de l'angle. On peut ainsi parfois observer un pouls artériel spontané ou un œdème papillaire par interruption du flux axoplasmique. Le nerf optique peut aussi être d'aspect normal lors d'une élévation aiguë de la PIO. En cas d'élévation chronique de la PIO, une excavation pathologique de la papille est observée et signe l'existence d'une neuropathie optique glaucomateuse associée. L'aspect du nerf optique représente alors, en attendant la réalisation d'un examen du champ visuel, un élément pronostique essentiel des conséquences de l'HTO sur la fonction visuelle du patient. L'aspect du nerf optique est donc un élément central afin de juger du degré d'urgence thérapeutique d'une HTO lorsque celle-ci n'est pas symptomatique.

L'examen du segment postérieur a, quant à lui, un objectif étiologique à la recherche de pathologies pouvant expliquer une élévation de la PIO. On recherche la présence de néovaisseaux rétiniens, des signes d'atteinte vasculaire rétinienne (occlusion veineuse ou artérielle), des signes d'inflammation vitréenne ou rétinienne, des lésions rétiniennes traumatiques, un décollement rétinien ou choroïdien, une panphotocoagulation très étendue récente, des signes hémorragiques ou encore la présence d'un cerclage ou d'un tamponnement interne (gaz ou silicone principalement).

GONIOSCOPIE

La gonioscopie demeure l'outil clinique de référence pour l'analyse de l'angle iridocornéen. Elle est indispensable devant toute HTO afin d'en comprendre le mécanisme et de déterminer le traitement.

La gonioscopie a pour objectif d'évaluer sur 360° :

  • ±

    le degré d'ouverture de l'angle (classification de Spaeth, fig. 5-2-137) ;

    Fig. 5-2-137
    Analyse de l'angle iridocornéen selon Spaeth
    (adapté de EGS guidelines, PublicComm, Italie, 2015).

  • ±

    la zone d'insertion de l'iris (classification de Spaeth) ;

  • ±

    la courbure périphérique de l'iris : convexe ou concave (classification de Spaeth) ;

  • ±

    l'existence de zones d'apposition iridotrabéculaire ;

  • ±

    la présence de synéchies antérieures périphériques (SAP ; fig. 5-2-138) ;

    Fig. 5-2-138
    Synéchie iridotrabéculaire.

  • ±

    l'encombrement ou les anomalies trabéculaires : pigmentation, sang, récession angulaire, cellules tumorales, matériel exogène, etc. (fig. 5-2-139).

    Fig. 5-2-139
    Angle iridocornéen très pigmenté (grade IV de la classification de Sheie).

La classification de Shaffer, évaluant les structures angulaires visibles en gonioscopie, permet une approche plus simple que la classification de Spaeth en pratique clinique (fig. 5-2-140).

Fig. 5-2-140
Approche clinique simple pour évaluer l'angle iridococornéen selon la classification de Shaffer.
Grade 0 : aucune structure angulaire visible ; grade 1 : ligne de Schwalbe visible ; grade 2 : trabéculum pigmenté visible ; grade 3 : éperon scléral visible ; grade 4 : bande ciliaire visible.

Un angle à risque de fermeture est défini comme un angle où l'observation en gonioscopie du trabéculum postérieur n'est possible que sur moins de 90° de sa circonférence [5].

Lorsque l'angle est étroit ou fermé, une gonioscopie dynamique doit nécessairement être réalisée. Pour cela, on utilise une lentille dont le diamètre est inférieur au diamètre cornéen (verre de Posner ou de Sussman). La pression exercée au centre de la cornée va ainsi chasser l'humeur aqueuse (HA) vers l'angle qui s'ouvrira en cas d'apposition iridotrabéculaire (AI) mais restera fermé en cas de SAP (fig. 5-2-141). En cas de blocage pupillaire et en l'absence de synéchies, la racine de l'iris convexe s'aplatit lors de l'indentation, notamment en moyenne périphérie avec des structures angulaires qui deviennent alors visibles. En cas d'iris plateau, l'iris fait un angle en périphérie puis s'aplatit vers le centre avec un aspect typique en double bosse en gonioscopie dynamique.

Fig. 5-2-141
Principe de la gonioscopie dynamique.
Une pression au centre de la cornée sur un œil à angle iridocornéen fermé (a) chasse l'humeur aqueuse et ouvre l'angle en l'absence de synéchies antérieures périphériques (b), celui-ci reste fermé s'il existe des synéchies antérieures (c).

En cas d'œdème cornéen, l'utilisation de collyre à la glycérine sous anesthésie topique permet d'améliorer la transparence cornéenne et de visualiser les structures angulaires. Néanmoins, la gonioscopie est parfois difficile voire impossible à réaliser chez un sujet présentant une HTO symptomatique. Elle devra donc être réalisée de nouveau, une fois la PIO diminuée.

MESURE DE LA PRESSION INTRA-OCULAIRE

La méthode de référence de mesure de la PIO demeure celle obtenue avec le tonomètre à aplanation de Goldmann, notamment chez les patients avec des valeurs de PIO en dehors des valeurs normales [6]. Une valeur de PIO élevée obtenue au tonomètre à air pulsé doit nécessairement être recontrôlée au tonomètre de Goldmann.

La mesure de la PIO à l'aplanation est affectée par différents facteurs comme l'épaisseur de la pachymétrie centrale. Mais ces erreurs d'estimation n'ont pas ou très peu d'impact sur la prise en charge des patients avec une forte HTO ou une HTO symptomatique. La pachymétrie centrale doit néanmoins être incluse dans les éléments de décision thérapeutique d'HTO moins importante et asymptomatique. Un œdème de cornée peut également entraîner des imprécisions de mesure de la PIO en sous-estimant les valeurs mesurées.

Enfin, une évaluation subjective de la PIO peut également être obtenue à la palpation des globes oculaires. Même si la perception d'un œil dur peut permettre d'évoquer une forte HTO, celle-ci doit être nécessairement contrôlée au tonomètre de Goldmann.

EXAMENS D'IMAGERIE

La gonioscopie demeure l'examen de référence pour l'analyse de l'AIC en urgence et en pratique clinique courante. Néanmoins, l'imagerie par échographie de très haute fréquence ( ultrasound biomicroscopy [UBM]) et plus récemment la tomographie en cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]), en permettant de visualiser et de quantifier de manière objective les structures du segment antérieur, peuvent être également utiles [7]. Ces examens ne sont demandés que dans un deuxième temps après le contrôle initial de la PIO et afin de préciser les mécanismes à l'origine de l'HTO, que ce soit dans les glaucomes à angle fermé mais aussi dans certains glaucomes à angle ouvert (fig. 5-2-142). Non-contact, l'OCT de segment antérieur a rendu l'analyse de l'AIC plus simple et elle est plus facile d'acquisition que l'UBM, mais elle est limitée par sa plus mauvaise pénétration au travers des tissus iriens. L'UBM garde donc une place de choix pour l'exploration des mécanismes impliqués dans les HTO aiguës [7].

Fig. 5-2-142
Images en UBM d'un angle iridocornéen : mécanisme de blocage pupillaire (a) ; angle étroit en rapport avec un mécanisme d'iris plateau (b).

Dans certains cas particuliers où le fond d'œil est inaccessible en raison d'un œdème de cornée, d'un hyphéma, d'une cataracte obturante, et surtout si la chambre antérieure est étroite, une imagerie du segment postérieure par échographie en mode B ou un scanner doit être réalisée à la recherche d'une effusion uvéale ou d'hématomes choroïdiens, d'une hémorragie intravitréenne, d'une tumeur ou d'un corps étranger.

Étiologies

Les étiologies d'élévation importante de la PIO sont nombreuses même si la fermeture aiguë primitive de l'AIC demeure la principale urgence ophtalmologique pressionnelle (fig. 5-2-143). En dehors des causes traumatiques (fig. 5-2-144) et postopératoires (fig. 5-2-145), les étiologies peuvent être classées en fonction de l'ouverture de l'AIC et en fonction du caractère primitif ou secondaire de cette élévation de la PIO [8]. L'identification du mécanisme à l'origine de l'élévation de la PIO est essentielle car elle va guider la thérapeutique. Les (figures 5-2-143 à 5-2-145) reprennent les différentes étiologies en fonction des résultats des éléments de l'examen clinique, en particulier ceux de la gonioscopie.

Fig. 5-2-143
Arbre diagnostique résumant les principales causes d'hypertonie oculaire non traumatique et non postopératoire.
Fig. 5-2-144
Arbre diagnostique résumant les principales causes d'hypertonie oculaire d'origine traumatique.
Fig. 5-2-145
Arbre diagnostique résumant les principales causes d'hypertonie oculaire postopératoire.
ICA : implant de chambre antérieure ; ICP implant de chambre postérieure ; IP : iridotomie périphérique ; TRLA : trabéculorétraction au laser Argon ; SLT : selective laser trabeculoplasty.

HYPERTONIES OCULAIRES À ANGLE FERMÉ
FERMETURE PRIMITIVE AIGUË DE L'AIC ET GLAUCOME PRIMITIF À ANGLE FERMÉ

Les glaucomes à angle fermé sont liés à l'apposition de la périphérie irienne sur le trabéculum provoquant une élévation de la PIO. En fonction des mécanismes qui sous-tendent cette fermeture de l'angle, on distingue les glaucomes à angle fermé primitif ou secondaire. Le principal mécanisme à l'origine de la fermeture de l'angle dans le glaucome primitif à angle fermé (GPAF) est le blocage pupillaire (vidéo 5-2-5), mais l'iris plateau et certains mécanismes cristalliniens sont également à l'origine d'une fermeture primitive de l'AIC. La crise aiguë de fermeture de l'angle (CAFA), ou fermeture primitive aiguë de l'angle (APAC), survient lorsqu'il existe un blocage complet et soudain du trabéculum par la périphérie irienne, avec une augmentation brutale de la PIO. Elle comporte un risque important d'atteinte de la fonction visuelle par ses conséquences sur les structures oculaires et le nerf optique en particulier, et constitue une urgence thérapeutique. Cette fermeture aiguë est un processus dynamique. Elle survient sur le plus souvent sur un œil anatomiquement prédisposé. La CAFA n'est pas le mode de présentation le plus fréquent du GPAF qui peut rester très longtemps asymptomatique [9].

Épidémiologie

La prévalence du GPAF et de la CAFA varie en fonction de l'origine ethnique. Elle serait plus fréquente chez les sujets asiatiques par rapport aux sujets caucasiens ou africains [10]. On estime qu'en 2020, approximativement 21 millions de personnes vont développer un glaucome chronique à angle fermé avec 5,2 millions de personnes en état de cécité [10]. L'incidence de la CAFA serait ainsi de 4,7/100 000/an chez les Européens et de 15,5/100 000/an chez les Chinois singapouriens, soit un risque multiplié par trois chez les sujets d'origine asiatique [11].

Facteurs de risque et facteurs déclenchants

Les principaux facteurs de risque du GPAF sont : l'âge, le sexe féminin, l'origine ethnique asiatique, une chambre antérieure étroite, une longueur axiale petite, un cristallin de grand volume et situé antérieurement, et un diamètre et un rayon de courbure cornéenne plus petits [12]. En cas de fermeture de l'angle survenant chez un sujet jeune, d'autres mécanismes à l'origine de la fermeture doivent être recherchés, notamment l'iris plateau mais aussi la présence d'anomalies génétiques ou systémiques comme certaines maladies des tissus conjonctifs et les bestrophinopathies [10]. Alors que la plupart des cas sont sporadiques, certaines études pourraient indiquer une hérédité dans le GPAF [13] avec une fréquence augmentée chez les parents du premier degré [12].

Grâce aux nouvelles techniques d'imagerie oculaire, de nouveaux facteurs de risque de GPAF sont apparus comme les modifications du volume de l'iris en dilatation [14] ou encore des modifications du volume choroïdien [15].

En parallèle des facteurs de risque démographiques et anatomiques de GPAF, des facteurs déclenchants de fermeture aiguë de l'angle ont été décrits, en particulier d'origine médicamenteuse. On estime ainsi que plus de 30 % des CAFA sont liées à une prise médicamenteuse, qu'elle soit locale ou systémique [16]. Ces molécules agissent en précipitant la fermeture de l'angle essentiellement en provoquant une mydriase par une activité parasympatholytique ou sympathomimétique alpha. Certains médicaments pourraient également provoquer par une réaction idiosyncrasique une bascule du plan iridociliaire vers l'avant, mais cela n'est plus considéré comme une fermeture primitive de l'AIC (voir plus loin). D'autres facteurs comme le stress, le diabète, la pratique du yoga, des facteurs climatiques ou l'obscurité ont été décrits, néanmoins ceux-ci nécessitent encore d'être précisés.

Physiopathologie et mécanismes

La CAFA survient lorsque la filtration trabéculaire est bloquée par la périphérie irienne. Ce blocage complet et rapide du trabéculum s'accompagne d'une élévation subite et importante de la PIO. Il survient sur un œil avec une anatomie favorisante et peut être précipité par un facteur déclenchant. Même si le blocage pupillaire (fig. 5-2-146) est le mécanisme le plus fréquent à l'origine du GPAF et de la CAFA, d'autres mécanismes comme l'iris plateau (fig. 5-2-147) ou un mécanisme cristallinien peuvent être responsables de fermeture aiguë primitive de l'angle [12]. L'identification du ou des mécanismes responsables de la fermeture aiguë de l'angle est un élément essentiel de la prise en charge des patients présentant une CAFA. Les causes de fermeture secondaire de l'AIC (glaucome malin, effusion uvéale, réactions idiosyncrasiques) doivent ainsi avoir été éliminées car leur prise en charge thérapeutique est différente (voir plus loin).

Fig. 5-2-146
Représentation schématique des mécanismes de fermeture de l'angle.
a. Angle iridocornéen normal. b. Angle fermé par un mécanisme de blocage pupillaire. c. Angle fermé.
(Source : © Allergan. Reproduction autorisée.)
Fig. 5-2-147
Principes du traitement de la crise aiguë de fermeture de l'angle iridocornéen.
AIC : angle iridocornéen ; CAFA : crise aiguë de fermeture de l'angle ; IV : intraveineux ; PIO : pression intra-oculaire ; SAP : synéchie antérieure périphérique.

Signes et symptômes

Les symptômes de la CAFA surviennent en général de manière brutale, et correspondent aux conséquences d'une élévation très rapide et importante de la PIO (voir plus loin ; voir tableaux 5-2-46 et 5-2-47). Elle est le plus souvent unilatérale, mais 10 % des patients peuvent avoir une CAFA bilatérale [17]. Les douleurs oculaires sont intenses et s'associent fréquemment à des symptômes systémiques comme des nausées et des vomissements, des sueurs, voire une bradycardie. Il faut rechercher des antécédents de symptômes similaires moins intenses dans le passé qui signeraient des épisodes précédents de fermeture de l'AIC.

Outre la baisse de l'acuité visuelle, les signes cliniques oculaires sont liés aux trois processus associés lors d'une CAFA : la fermeture de l'angle iridocornéen générant une élévation majeure de la PIO (35-75 mmHg) et un œdème cornéen ; une inflammation se traduisant par une injection ciliaire, une dilatation des vaisseaux iriens, un flare et un effet Tyndall discret ; une ischémie responsable du caractère aréflexique de la semi-mydriase et des complications comme les plages d'atrophie irienne, le dépôt de pigments iriens sur l'endothélium ou encore les Glaukomflecken. Il existe par ailleurs une chambre antérieure étroite au centre et en périphérie (fig. 5-2-148).

Fig. 5-2-148
Photographie du segment antérieur en cas de crise aiguë de fermeture de l'angle.
On observe un cercle périkératique, une chambre antérieure étroite en périphérie, une pupille en semi-mydriase et un œdème de cornée associé à des plis descemétiques.

L'examen gonioscopique n'est pas toujours possible en raison des douleurs oculaires intenses ou de l'œdème de cornée empêchant la visualisation des structures angulaires, mais celui-ci retrouve un AIC fermé sur 360°. Une gonioscopie dynamique si elle est possible est fondamentale, car elle permet de différencier une apposition irienne de synéchies antérieures plus ou moins étendues, la prise en charge étant différente.

L'hypertonie oculaire aiguë est responsable d'une hypoxie voire d'une ischémie du nerf optique et, au fond d'œil, on peut retrouver une hyperhémie papillaire voire un œdème papillaire liés à une atteinte du flux axoplasmique [18]. Cependant, l'aspect du nerf optique est rarement visible en raison de l'œdème cornéen. Le nerf optique peut également être normal et devenir pâle à distance de la CAFA. La présence d'une excavation pourrait témoigner d'une forme chronique de GPAF et d'antécédents de CAFA.

Traitements

La prise en charge de la CAFA repose sur quatre principes [9] : 1) une diminution rapide de la PIO et de l'inflammation ; 2) une modification de la configuration de l'AIC pour supprimer le mécanisme de blocage pupillaire ; 3) la mise en route d'un traitement définitif pour préserver le contrôle de la PIO et prévenir les récidives de fermeture de l'angle, en fonction du mécanisme ; 4) la prise en charge de l'œil controlatéral (voir fig. 5-2-147 et encadré 5-2-17 ).

Encadré 5-2-17
Grandes catégories de symptômes motivant une DSNPO et symptômes spécifiques correspondants

  • Obtenir une histoire de la maladie et la recherche de crises passées. Recherche de prise médicamenteuse pouvant avoir précipité la CAFA.

  • Examiner l’oeil atteint et l’oeil controlatéral, en particulier la profondeur de la chambre antérieur au centre et en périphérie, et la forme de la périphérie irienne.

  • Traitement avec acétazolamide (Diamox®) par voie intraveineuse et un β-bloquant en collyre. Un traitement par un agent osmotique doit être administré en l’absence de contre-indication et si le patient ne peut pas prendre de médicament par voie orale.

  • Garder le patient allongé de façon à ce que le cristallin puisse reculer avec la déshydratation du vitré.

  • Réévaluation des éléments cliniques après 1 heure. Habituellement, la PIO a diminué. L’angle reste en général appositionné. Prescription alors de pilocarpine à 2 %.

  • Si la PIO a diminué : traitement médical local avec pilocarpine, β-bloquant et corticostéroïdes, et acétazolamide (Diamox®) per os. Puis l’iridotomie au laser est réalisée.

  • Si la PIO est inchangée ou élevée, la pilocarpine doit être poursuivie et l’iridoplastie considérée. La paracentèse peut alors être considérée également.

DIMINUTION RAPIDE DE LA PRESSION INTRA-OCULAIRE ET CONTRÔLE DE L'INFLAMMATION

Le traitement initial a pour objectif de baisser la PIO afin de diminuer les symptômes et limiter la souffrance du nerf optique. Il est le plus souvent médical, local et systémique, la réduction de la PIO s'obtenant par une diminution de la sécrétion d'humeur aqueuse voire, en fonction des valeurs de la PIO, par une déshydratation du vitré par une solution osmotique qui permet de plus de faire reculer le plan iridociliaire, ce qui facilite la levée du blocage pupillaire.

Diminution rapide de la pression intraoculaire et contrôle de l’inflammation

On utilise le plus souvent le mannitol à 20 %, 100 à 200 ml à injecter par voie intraveineuse (IV) en 15 minutes, soit 1 à 2 g/kg de poids sous contrôle de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque, et en l’absence de contre‑indications (insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, déshydratation importante, allergie). La glycérine en solution à 50 % à la dose de 1 à 1,5 g/kg de poids en une seule prise per os est plus rarement utilisée du fait des nausées fréquentes. L’acétazolamide (Diamox®) est utilisé afin de diminuer la sécrétion d’humeur aqueuse. Une ampoule de 500 mg est injectée en IV lente avec un relais per os à 1 cp (250 mg) toutes les 8 heures associé à une supplémentation potassique, et en l’absence de contre‑indication (insuffisance rénale grave, hypokaliémie, diabète décompensé, allergie aux sulfamides, acidose métabolique hyperchlorémique). Des collyres antiglaucomateux locaux comme les β‑bloquants, les α2‑adrénergiques et les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique peuvent être utilisés également.
Il existe en général une inflammation majeure associée à la CAFA. Il est donc intéressant d’ajouter des anti‑inflammatoires stéroïdiens pour diminuer l’inflammation également. Les douleurs sévères sont prises en charge par des antalgiques et les vomissements par des antiémétiques.

En cas d'inefficacité de ce traitement, une iridoplastie au laser [19] peut permettre de diminuer rapidement la PIO si la cornée est suffisamment claire. Il faut néanmoins garder à l'esprit qu'elle peut être difficile à réaliser et qu'elle peut engendrer une inflammation intra-oculaire [20]. La réalisation d'une paracentèse est une méthode alternative pour rapidement faire baisser la PIO en cas de CAFA [21]. Cela peut être réalisé à la lampe à fente sous anesthésie locale à l'aide d'une aiguille 27 ou 30 G introduite au limbe tangentiellement à la cornée [20]. Les avantages sont la baisse quasi immédiate de la PIO et une amélioration quasi instantanée des symptômes avec généralement un éclaircissement de la cornée qui facilite la réalisation du laser. Néanmoins cette technique est délicate à réaliser, avec des risques de lésion de l'iris, du cristallin, de l'endothélium ou d'infection intra-oculaire. Elle sera plutôt utilisée en cas d'échec de l'iridoplastie [20]. La chirurgie filtrante n'est pas la procédure de choix pour contrôler la PIO en cas de CAFA. Néanmoins elle est parfois nécessaire dans les cas réfractaires ou la PIO ne diminue pas malgré le traitement initial. La trabéculectomie en cas de CAFA a des complications propres, notamment le glaucome malin, une chambre antérieure étroite voire plate, l'hypotonie, l'hémorragie suprachoroïdienne et l'endophtalmie [22].

MODIFICATION DE LA CONFIGURATION DE L'ANGLE IRIDOCORNÉEN ET PRÉVENTION DES RÉCURRENCES

Les myotiques sont donnés en deuxième ligne une fois la PIO diminuée, car ils sont inefficaces lorsque la PIO est élevée en raison de l'ischémie irienne qui entraîne une paralysie du muscle sphincter de l'iris. Ils peuvent théoriquement aussi entraîner une majoration du blocage pupillaire. Le but des myotiques est de maintenir l'angle ouvert en attendant la réalisation d'une iridotomie périphérique qui permettra de lever définitivement le blocage pupillaire responsable de la CAFA. On utilise de la pilocarpine à 2 %, une goutte toutes les 15 minutes jusqu'à l'obtention d'un myosis, puis une goutte toutes les 6 à 8 heures jusqu'à la réalisation de l'iridotomie [23].

Une fois la PIO diminuée et la pupille resserrée, la prise en charge va dépendre de l'examen gonioscopique. Si l'angle est rouvert sur plus de 180°, une iridotomie au laser sera réalisée. En présence de SAP sur plus de 180°, cette iridotomie deviendrait inutile, voire dangereuse et une intervention de trabéculectomie ou de phaco-trabéculectomie doit être envisagée.

L'iridotomie est une intervention définitive en cas de fermeture aiguë primitive de l'angle sur blocage pupillaire. L'iridotomie périphérique en cas de CAFA permet de contrôler la PIO sans autre traitement médical ou chirurgical dans 72 % des cas [24]. En revanche, son efficacité pour prévenir les pics de PIO à long terme dépend de la cause de la fermeture de l'angle et de la présence ou non, avant la crise, d'une neuropathie optique glaucomateuse [25]. Si une iridotomie ne peut pas être effectuée en raison de la persistance d'un œdème de cornée, celle-ci peut être éclaircie par un agent hyperosmotique (glycérine en collyre ou par une paracentèse). Une combinaison de lasers argon et neodymium-doped yttrium aluminium garnet (Nd:YAG) diminue le risque hémorragique et augmente le succès de l'iridotomie dans les iris épais et foncés. Elle peut être réalisée chirurgicalement si la PIO baisse mais si l'œdème de cornée persiste.

L'iridoplastie trouve son intérêt dans d'autres mécanismes de fermeture de l'angle comme l'iris plateau [26].

Le cristallin contribue également au développement du blocage pupillaire chez des patients prédisposés. La phacoémulsification permet ainsi d'obtenir une chambre antérieure plus profonde et ouvre significativement l'AIC offrant ainsi un bon contrôle de la PIO [9]. Plusieurs études ont montré que les patients ayant bénéficié d'une phacoémulsification après une CAFA avaient un meilleur contrôle de la PIO que les patients ayant bénéficié d'une iridotomie périphérique [27, 28]. Cela peut être considéré pour les cataractes visuellement significatives, particulièrement si l'iridotomie périphérique n'a pas fonctionné, et à distance de la période inflammatoire [20]. Cela fonctionne d'autant mieux que l'angle est ré-ouvrable sur plus de 180°. Néanmoins, la réalisation de la cataracte sur un œil ayant fait dans les jours précédents une CAFA peut être très difficile. Il peut persister un œdème cornéen résiduel, la chambre antérieure est étroite, l'œil est inflammatoire. Cette approche doit être évaluée en fonction des bénéfices et des complications qui peuvent survenir et en fonction des habitudes de chaque chirurgien [20]. L'association phacoémulsification et goniosynéchialyses pourrait être également une méthode utile pour la prise en charge des glaucomes à angle fermé réfractaires.

Enfin, si les synéchies antérieures périphériques sont présentes sur plus de 180 à 270° d'AIC et que la PIO n'est pas contrôlée par un traitement médical maximal, alors une trabéculectomie est indiquée, ou une phaco-trabéculectomie si la cataracte est significative. Plus la chirurgie est réalisée à distance, meilleur est le pronostic.

PRISE EN CHARGE DE L'ŒIL CONTROLATÉRAL

Les patients qui présentent une CAFA ont un risque important de présenter une CAFA sur l'œil adelphe mais aussi de développer un GPAF asymptomatique [9]. Le risque de CAFA sur l'œil controlatéral d'un patient ayant présenté une CAFA est de l'ordre de 40 à 80 % dans les 10 ans [23]. Le traitement de l'œil adelphe est donc indispensable, pendant et après une CAFA. Celui-ci repose sur l'utilisation de myotiques (pilocarpine 1 %, une goutte toutes les 8 heures) dès le diagnostic et jusqu'à la réalisation d'une iridotomie périphérique. L'efficacité de l'iridotomie afin de prévenir les crises a été démontrée [29, 30] avec une réduction du risque de CAFA [31]. En revanche, une fois qu'il y a un GPAF avec des synéchies antérieures périphériques, l'iridotomie est moins efficace pour contrôler la PIO. En cas de cataracte réelle, la phacoémulsification peut être proposée [20].

Si l'aspect anatomique des structures oculaires est très différent sur l'œil controlatéral par rapport à celui qui a présenté la CAFA, une étiologie secondaire doit être recherchée pour expliquer la fermeture de l'AIC.

Pronostic

Si les patients avec une CAFA et une élévation majeure de la PIO ne sont pas traités, une neuropathie optique glaucomateuse peut survenir très rapidement (en quelques jours) ou sur plusieurs années, avec une atteinte significative du champ visuel et un risque de cécité. Une étude de l'évolution à long terme des patients ayant présenté une CAFA a montré qu'un cinquième des patients ayant eu une CAFA ont eu une cécité, celle-ci était liée à un glaucome dans 50 % des cas. La moitié des cas de CAFA avaient une neuropathie optique glaucomateuse et un tiers avait un rapport cup/disc (C/D) supérieur à 0,9 [32]. Cependant, avec un traitement agressif et rapide, seuls 20 % des patients ayant fait une CAFA nécessitaient finalement une chirurgie filtrante [33]. Dans une étude réalisée sur une population caucasienne ayant présenté une CAFA après plus de 27 mois de suivi, 15 % des yeux ont développé un GPAF. Le risque était d'autant plus important que la prise en charge de la crise était tardive. À la fin du suivi, 6 % des yeux présentaient une cécité et 10 % une atteinte de la fonction visuelle [34].

Après une CAFA, les patients peuvent également présenter une diminution de la densité endothéliale et une atteinte de la couche des fibres nerveuses rétiniennes. Les champs visuels peuvent être normaux après la crise, ou retrouver un déficit de type glaucomateux, en particulier quand le glaucome existait avant la crise [9].

HYPERTONIES AVEC FERMETURE SECONDAIRE DE L'ANGLE IRIDOCORNÉEN
Avec blocage pupillaire
CAUSES CRISTALLINIENNES

Le cristallin peut être responsable de fermeture secondaire de l'AIC notamment dans le glaucome phacomorphique, la microsphérophaquie, ou en cas de subluxation cristallinienne. Le glaucome phacomorphique est lié à un cristallin de grande taille repoussant vers l'avant le plan iridociliaire et entraînant ainsi un blocage pupillaire. Il peut s'observer lors d'une cataracte sénile ou traumatique, et en cas d'augmentation très rapide du volume du cristallin d'origine médicamenteuse (réaction idiosyncrasique) [35].

GLAUCOME DE L'APHAQUE ET DU PSEUDO-PHAQUE

Chez les patients aphaques, en l'absence d'iridectomie périphérique, un blocage pupillaire peut survenir par contact entre la hyaloïde antérieure et l'iris. Le même mécanisme peut exister avec un implant de chambre antérieure ou un implant fixé à l'iris en chambre postérieure, ou même avec un implant de chambre postérieure en cas de synéchies postérieures résultant en un iris « bombé » ou iris « tomate ».

Sans blocage pupillaire
GLAUCOME NÉOVASCULAIRE STADE IV

Le glaucome néovasculaire (GNV) est un glaucome par fermeture de l'angle secondaire à l'envahissement de l'AIC par des néovaisseaux entourés d'une lame porte-vaisseaux, qui se développent dans les suites d'une ischémie rétinienne de plus de 50 %, sous l'influence de facteurs angiogéniques [36]. La néovascularisation irienne évolue en quatre stades (tableau 5-2-48 et fig. 5-2-149).

Tableau 5-2-48
Stades évolutifs du glaucome néovasculaire.
Stade 1 Hyperhémie vasculaire irienne limitée au pourtour pupillaire, AIC ouvert, PIO normale
Stade 2 Néovaisseaux cheminant selon un trajet sinueux à la surface de l'iris pour se diriger vers l'AIC qui est ouvert, PIO normale
Stade 3 Néovaisseaux envahissant l'AIC qui est ouvert, PIO élevée par obstacle prétrabéculaire lié à la présence de la membrane néovasculaire
Stade 4 (voir ) Contraction de la membrane néovasculaire entraînant une fermeture de l'AIC avec constitution de goniosynéchies irréversibles, PIO élevée, œdème de cornée, pupille en semi-mydriase, inflammation du segment antérieur et présence de douleurs intenses
AIC:angle iridocornéen; PIO:pression intra-oculaire.
Fig. 5-2-149
Angle totalement synéchié en cas de glaucome néovasculaire de stade IV.

Quel que soit le stade de la néovascularisation, il faut rechercher une pathologie générale ou locale responsable de l'ischémie rétinienne. Les pathologies les plus fréquentes sont les occlusions de la veine centrale de la rétine (OVCR, 30 %) et la rétinopathie diabétique (30 %). D'autres causes comme une sténose carotidienne, une tumeur oculaire, une irradiation oculaire, un décollement de rétine (rhegmatogène ou exsudatif), une occlusion de l'artère centrale de la rétine (OACR), une vasculopathie ischémique (maladie de Coats, maladie de Eales ou drépanocytose), une ischémie rétinienne (syndrome de Wagner-Stickler, shunt dural ou fistule artérioveineuse) ou une baisse du débit sanguin (maladie de Takayasu, maladie de Horton ou syndrome de l'arc aortique) peuvent également provoquer un glaucome néovasculaire.

Le diagnostic de GNV se fait sur l'interrogatoire, l'examen ophtalmologique avec un fond d'œil dilaté, complété par une échographie oculaire si le fond d'œil n'est pas accessible, pour ne pas méconnaître une tumeur ou un décollement de rétine, et par un bilan cardiovasculaire avec échographie Doppler des troncs supra-aortiques, ainsi qu'un bilan biologique (glycémie, lipidémie et bilan de la coagulation).

Plus le diagnostic est porté précocement et plus le traitement est instauré rapidement, meilleur sera le pronostic [36]. La prise en charge thérapeutique dépend du stade de la néovascularisation et du statut fonctionnel oculaire. Si l'œil est fonctionnel, il faut très rapidement traiter l'HTO mais aussi la cause du GNV (détruire la rétine ischémique pour faire régresser les néovaisseaux). Une injection intravitréenne (IVT) d' anti-vascular endothelial growth factor ou anti-VEGF (en l'absence de prolifération fibrovasculaire au pôle postérieur chez le diabétique) permet de faire régresser la néovascularisation le temps de commencer la destruction de la rétine ischémique. Si le fond d'œil est accessible, une pan-photocoagulation confluente est réalisée le jour même et terminée très rapidement. Si le fond d'œil n'est pas accessible, alors une cryoapplication rétinienne sera programmée. En cas d'HTO résiduelle résistante au traitement médical après le traitement étiologique, on choisira, en fonction de l'acuité visuelle résiduelle, de l'état des tissus et de l'anatomie du globe oculaire, soit une chirurgie filtrante (trabéculectomie avec antimitotiques, implant de dérivation de l'humeur aqueuse), soit une destruction ciliaire ou cyclodestruction ciliaire. Lorsque l'œil n'est plus fonctionnel, le traitement n'est justifié que si l'œil est douloureux.

GLAUCOME MALIN

Le glaucome malin, initialement décrit par von Graefe en 1869, se traduit par un aplatissement uniforme de la chambre antérieure alors qu'il existe une HTO. Bien que son mécanisme physiopathologique ne soit pas complètement élucidé, il semblerait qu'il soit associé à un détournement de l'humeur aqueuse vers la chambre postérieure et la cavité vitréenne [37, 38]. Il constitue donc un glaucome secondaire par fermeture de l'AIC. Même s'il survient classiquement après une chirurgie perforante sur des yeux à faible longueur axiale et sur des angles étroits ou fermés, il peut survenir après tout type de chirurgie oculaire ou laser, immédiatement ou parfois des années plus tard. Des cas de glaucome malin consécutifs à l'instillation de collyres myotiques ou spontanés ont également été décrits [37, 38].

Cliniquement, le glaucome malin se manifeste toujours par une hypo- ou athalamie avec une bascule antérieure du plan iridocristallinien (fig. 5-2-150). La PIO est augmentée mais peut l'être modérément dans les formes débutantes. Un des éléments du diagnostic différentiel est l'absence de décollement ou d'hématome choroïdien au fond d'œil. L'UBM peut aider au diagnostic en confirmant l'absence d'effusion postérieure et retrouve parfois la présence de vacuoles d'humeur aqueuse dans le vitré [39].

Fig. 5-2-150
Photographie du segment antérieur en cas de glaucome malin après une trabéculectomie.
On constate un cercle périkératique, une chambre antérieure plate, un œdème de cornée. La bulle de filtration est plate et la PIO très élevée.

Le traitement du glaucome malin est une urgence thérapeutique. Il consiste dans un premier temps à instaurer un traitement hypotonisant associé à une cycloplégie par atropine en collyre [40]. En cas d'échec du traitement médical, un traitement chirurgical ou au laser peut être réalisé. Ainsi, chez les patients aphaques ou pseudo-phaques, une capsulotomie au laser Nd:YAG visera à rompre les barrières qui s'opposent à l'écoulement physiologique de l'humeur aqueuse : capsule postérieure, hyaloïde antérieure et leurs adhérences [40]. En cas d'échec ou d'impossibilité de réaliser le laser (patient phaque), le traitement chirurgical sera indiqué et consiste habituellement en une vitrectomie par la pars plana avec une zonulo-hyaloïdo-vitrectomie plus ou moins combinée avec une iridotomie par voie postérieure, une exérèse du cristallin voire une trabéculectomie. D'autres traitements peuvent être discutés, comme le cyclo-affaiblissement qui peut approfondir la chambre antérieure et diminuer la PIO en rétractant les procès ciliaires, voire un implant de dérivation de l'humeur aqueuse associé à une vitrectomie [41, 42].

AUTRES

Le syndrome irido-cornéen-endothélial (ICE) (fig. 5-2-151 ), certaines pathologies inflammatoires (voir plus haut), les pathologies rétiniennes et la chirurgie vitréorétinienne, la nanophtalmie, certaines tumeurs intra-oculaires, une invasion épithéliale ou fibroblastique peuvent également provoquer un HTO importante avec un AIC fermé et sans blocage pupillaire.

SYNDROME IRIDOCORNÉÉN-ENDOTHÉlIAL

Le syndrome irido‑cornéen‑endothélial (ICE) correspond à un ensemble de pathologies caractérisées par la présence de cellules endothéliales anormales qui prolifèrent et migrent dans l’angle iridocornéen et à la surface de l’iris, entraînant à des degrés variables un oedème cornéen, une atrophie et une déformation de l’iris, et des synéchies antérieures dans l’AIC (fig. 5‑2‑151). Le syndrome ICE est habituellement classé en trois entités : le syndrome de Chandler, le syndrome de Cogan‑Reese et l’atrophie essentielle de l’iris [43, 44]. Ces pathologies sont unilatérales et plus fréquemment observées chez les femmes entre 40 et 50 ans. Un glaucome survient dans approximativement 50 % des cas. L’élévation de la PIO résulte de la prolifération endothéliale dans l’AIC et du développement de synéchies antérieures périphériques.

CAUSES INFLAMMATOIRES

Les pathologies inflammatoires oculaires peuvent provoquer une fermeture secondaire de l’AIC par le développement de synéchies antérieures périphériques ou de synéchies postérieures responsables d’iris « bombé » ou iris « tomate » (voir plus haut). Certaines pathologies inflammatoires comme le syndrome de Vogt‑Koyanagi‑ Harada peuvent également provoquer une effusion choroïdienne ou des décollements de rétine exsudatifs importants responsables d’une fermeture de l’AIC [35].

PATHOLOGIES RÉTINIENNES ET CHIRURGIE VITRÉORÉTINIENNE

Plusieurs pathologies rétiniennes et vitréorétiniennes comme la rétinopathie des prématurés, la persistance de la vascularisation foetale, la persistance du vitré primitif, la vitréorétinopathie exsudative familiale, la maladie de Coats, les décollements ou hémorragies choroïdiens, une occlusion de la veine centrale de la rétine – peuvent être responsables d’une fermeture de l’AIC [8]. Un cerclage rétinien ou une panphotocoagulation rétinienne peuvent également entraîner une fermeture de l’AIC par un mécanisme d’effusion suprachoroïdienne et de bascule antérieure du plan iridociliaire [35].

NANOPHTALMIE

Dans les yeux qui ont une forme normale mais dont la longueur axiale est inférieure à 20 mm, le cristallin est proportionnellement de très grande taille par rapport au volume de l’oeil, pouvant ainsi provoquer une fermeture secondaire de l’AIC. L’augmentation de l’épaisseur de la sclère est également responsable d’une diminution du retour veineux. Un traitement médical ou au laser (iridotomie, iridoplastie ou cyclo-affaiblissement) sera privilégié en cas de nanophtalmie, car il existe un très grand risque d’effusion choroïdienne lors d’une intervention chirurgicale [45].

Fig. 5-2-151
Photographie du segment antérieur d'un syndrome irido-cornéo-endothélial.

HYPERTONIES OCULAIRES SECONDAIRES PAR FERMETURE DE L'ANGLE D'ORIGINE MÉDICAMENTEUSE

Certains traitements médicaux de la famille des sulfamides (acétazolamide, hydrochlorothiazide, cotrimoxazole, topiramate) peuvent provoquer une fermeture secondaire de l'AIC par une réaction idiosyncrasique, le plus souvent bilatérale. Un mécanisme d'effusion ciliochoroïdienne avec un œdème des corps ciliaires provoquant une bascule antérieure du plan iridociliaire a ainsi été décrit. Il convient alors d'arrêter le traitement en accord avec le médecin prescripteur car l'iridotomie n'est pas efficace [46]. Certaines hémorragies vitréennes, choroïdiennes ou sous-rétiniennes massives lors de la prise d'anticoagulants peuvent aussi très rarement provoquer un glaucome secondaire par fermeture de l'AIC.

HYPERTONIES OCULAIRES À ANGLE OUVERT
HYPERTONIES PRIMITIVES À ANGLE OUVERT

L'hypertonie oculaire primitive ou le glaucome primitif à angle ouvert sont rarement responsables d'HTO aiguë symptomatique. Néanmoins, certains patients avec de fortes HTO et une atteinte sévère lors du diagnostic peuvent nécessiter une prise en charge très rapide voire immédiate.

HYPERTONIES SECONDAIRES À ANGLE OUVERT
Uvéites hypertensives et syndrome de Posner-Schlossman

L'élévation de la PIO est une complication classique de l'inflammation intra-oculaire [47]. L'élévation de la PIO peut être la conséquence des uvéites antérieure, intermédiaire, postérieure – ou des panuvéites, mais reste néanmoins plus fréquente dans les formes antérieures [48]. Sa fréquence dépend de plusieurs facteurs comme la localisation de l'inflammation, la durée d'évolution de l'uvéite, mais aussi du traitement de l'uvéite (corticothérapie principalement) [47, 49]. Ainsi, certaines étiologies s'accompagnent plus souvent d'une élévation de la PIO, comme le syndrome de Posner-Schlossman (100 % des cas), la cyclite hétérochromique de Fuchs, l'arthrite juvénile idiopathique, les uvéites herpétiques ou zostériennes. D'autres étiologies peuvent s'accompagner d'une hypertonie oculaire ou d'un glaucome comme le syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada ou, plus rarement, la rubéole congénitale, la sarcoïdose, la choriorétinite toxoplasmique aiguë, la syphilis, la tuberculose ou la maladie de Behçet. L'uvéite liée à human leucocyte antigen (HLA) B27 est en revanche rarement associée à une élévation de la PIO sauf en cas de survenue d'une séclusion pupillaire.

L'hypertonie oculaire et/ou le glaucome secondaire à l'inflammation intra-oculaire peuvent être liés à plusieurs facteurs parfois intriqués, se présentant le plus souvent sous la forme d'un glaucome à angle ouvert par obstruction ou inflammation trabéculaire, hypersécrétion d'humeur aqueuse ou hypertonie cortisonique. Elle peut être aussi consécutive ou associée à une fermeture secondaire de l'angle (voir plus haut) par des synéchies antérieures périphériques ou des synéchies postérieures, entraînant un bloc pupillaire, la présence de néovaisseaux angulaires, ou par rotation antérieure du corps ciliaire [47, 50].

La prise en charge thérapeutique des uvéites hypertensives est complexe, le traitement de l'hypertonie oculaire nécessitant d'être associé au traitement étiologique de l'uvéite et surtout au traitement anti-inflammatoire lui-même potentiellement pourvoyeur d'hypertonie (corticostéroïdes). L'urgence thérapeutique est par ailleurs d'autant plus importante qu'il s'agit souvent de patients jeunes dont le pronostic visuel peut être menacé par l'inflammation intra-oculaire mais aussi par l'atteinte glaucomateuse.

Glaucome pigmentaire

Une élévation importante et symptomatique de la PIO peut apparaître en cas de dispersion aiguë de pigment chez des patients qui présentent un glaucome pigmentaire. Elle est parfois associée à la présence de symptômes comme des halos autour des lumières ou encore une baisse d'acuité visuelle en raison d'un œdème cornéen. Ces pics d'HTO sont éventuellement favorisés par un exercice physique intense, une accommodation prolongée ou une période prolongée en condition de faible luminosité [51]. Le bilan d'une dispersion pigmentaire secondaire doit être réalisé en cas d'atteinte unilatérale (fig. 5-2-152).

Fig. 5-2-152
Transillumination irienne en cas de glaucome pigmentaire.

Glaucome pseudo-exfoliatif

Le glaucome pseudo-exfoliatif peut s'accompagner de fluctuations et d'une élévation très importante de la PIO souvent asymétrique [52]. Ces pics d'HTO peuvent survenir en particulier après dilatation pharmacologique. Pouvant se compliquer le plus souvent d'un glaucome chronique secondaire à angle ouvert possiblement sévère, le syndrome pseudo-exfoliatif (fig. 5-2-153) est également associé à des anomalies zonulaires responsables de subluxation ou luxation cristallinienne, voire de fermeture de l'angle possiblement aussi responsables d'élévation de la PIO.

Fig. 5-2-153
Dépôts de matériel pseudo-exfoliatif sur le bord pupillaire.

Glaucome cortisonique

Chez des individus prédisposés (antécédents personnels ou familiaux de glaucome primitif à angle ouvert, sujets âgés et enfants, diabétiques, myopes forts, etc.), les corticostéroïdes sont susceptibles d'entraîner une HTO ou un glaucome cortisonique. On considère que 5 % de la population est à risque de développer une hypertonie ou un glaucome cortico-induits, avec une corrélation entre le degré d'HTO et le pouvoir anti-inflammatoire du corticoïde utilisé [53]. Le mécanisme en cause n'est pas complètement élucidé, mais il semblerait que l'HTO résulte principalement d'une diminution de l'évacuation de l'humeur aqueuse par modification structurale du trabéculum [54]. Cliniquement, l'hypertonie peut apparaître rapidement, quelques heures ou quelques jours après la première administration, et régresse dans la plupart des cas 2 à 4 semaines après l'arrêt.

Glaucome néovasculaire (stades 2 et 3)

Voir plus haut.

Élévation de la pression veineuse épisclérale

Une augmentation de la pression veineuse épisclérale peut également être responsable d'une élévation majeure de la PIO. L'élément clinique le plus typique est la présence de vaisseaux scléraux dilatés et tortueux associée à l'élévation de la PIO (voir fig. 5-2-132). Les causes d'élévation de la pression veineuse épisclérale sont de trois types : les anomalies artérioveineuses, l'obstruction veineuse et les formes idiopathiques [55]. Les fistules artérioveineuses sont les causes les plus fréquentes d'élévation de la PIO, mais celle-ci peut aussi être observée en cas de varice orbitaire ou de syndrome de Sturge-Weber (hémangiome épiscléral).

Les causes d'obstruction veineuse sont l'ophtalmopathie dysthyroïdienne, le syndrome cave supérieur, les tumeurs rétrobulbaires et la thrombose du sinus caverneux.

Glaucomes à angle ouvert d'origine cristallinienne

Il existe essentiellement trois formes de glaucome à angle ouvert lié au cristallin : le glaucome phacolytique, l'uvéite phaco-antigénique et le glaucome par rétention d'un fragment cristallinien. Le glaucome phacolytique est une forme de glaucome aigu à angle ouvert résultant du passage de protéines cristalliniennes au travers de la capsule en cas de cataracte très évoluée, provoquant une obstruction trabéculaire [55]. L'uvéite phaco-antigénique provient d'une ouverture traumatique ou chirurgicale de la capsule du cristallin. Elle associe une uvéite granulomateuse sévère à l'élévation de la PIO [55].

Tumeurs oculaires

En fonction de leur localisation, les tumeurs oculaires peuvent provoquer une élévation de la PIO par un envahissement de l'AIC, un saignement intra-oculaire, une rubéose irienne, des dépôts de cellules tumorales ou des débris cellulaires ou inflammatoires au niveau du trabéculum [8].

Autres

Il s'agit des hémoglobinopathies, du syndrome de Stickler, du syndrome de Schwartz ou encore du glaucome à cellules fantômes.

Hypertonies oculaires d'origine traumatique

Les HTO post-traumatiques peuvent être la conséquence d'un traumatisme contusif ou perforant, ou survenir plus rarement après une brûlure chimique (voir fig. 5-2-144) [56]. Sur le plan épidémiologique, ce type de glaucome touche surtout des individus jeunes (enfants ou jeunes adultes) avec une prépondérance masculine. Certaines formes tardives peuvent se présenter de manière aiguë. L'élévation de la PIO pouvant survenir parfois plusieurs années après un traumatisme, sa recherche à l'interrogatoire doit être systématique chez tout patient glaucomateux ou hypertone.

Dans le cas d'un traumatisme contusif, divers mécanismes peuvent entraîner une hypertonie (voir fig. 5-2-144) : hyphéma, contusion ou récession angulaire, inflammation, imprégnation cortisonique, irido- ou cyclodialyse, subluxation cristallinienne, issue de vitré, glaucome phacolytique, glaucome à cellules fantômes, glaucome hémolytique [57–59]. Dans le cas d'un traumatisme perforant, les lésions induites peuvent être similaires ou consécutives à une fermeture secondaire de l'AIC d'origine inflammatoire, une rétention de fragment cristallinien, une ophtalmie sympathique, une invasion épithéliale ou fibroblastique. Lorsqu'un corps étranger métallique est associé, l'élévation de la PIO peut être due également à la dissociation du métal (sidérose, chalcose, etc.) entraînant des dépôts et une obstruction trabéculaires (voir fig. 5-2-144) [57].

Dans le cadre des brûlures chimiques, l'HTO survient plus fréquemment après exposition à un produit basique ou plus rarement à un produit acide [60, 61]. L'HTO au stade initial peut être liée soit à l'effet direct toxique du produit sur le trabéculum ou le corps ciliaire, à l'inflammation induite ou à l'élévation du flux sanguin uvéal. Ces effets pourront être limités par un rinçage abondant précoce qui s'impose dans tous les cas (voir fig. 5-2-144).

Le traitement médical et chirurgical de l'HTO aiguë post-traumatique est superposable à celui de toute HTO. Dans tous les cas, un traitement bien conduit et précoce du traumatisme initial réduit les risques d'HTO et de glaucome ultérieurs, mais ne les évite pas complètement. En effet, ils peuvent survenir plusieurs mois voire plusieurs années après le traumatisme, et entraînent la nécessité d'un suivi à vie pour ces patients.

Hypertonies oculaires postopératoires

En pratique, tout patient opéré de l'œil est susceptible de présenter une hypertonie en postopératoire. Elle peut être cortico-induite, consécutive à l'inflammation postopératoire ou liée à des causes spécifiques au type de chirurgie (voir fig. 5-2-145). L'interrogatoire, afin de préciser l'intervention dont a bénéficié le patient, le délai par rapport à celle-ci et les traitements prescrits, tout comme l'examen clinique incluant une gonioscopie sont essentiels afin de déterminer la cause de cette HTO. Après une chirurgie de la cataracte, on recherche en pratique une persistance de matériel cristallinien ou de produit viscoélastique, une réaction inflammatoire, un blocage pupillaire, une malposition de l'implant, une hémorragie expulsive, un hyphéma ou un glaucome malin, ces derniers pouvant également être responsables d'une HTO après un laser de segment antérieur.

Après une chirurgie filtrante, la profondeur de chambre antérieure, la gonioscopie et l'examen de la bulle de filtration sont les trois éléments clés du diagnostic, permettant de différencier, lorsque la chambre antérieure est formée, les causes liées à un obstacle interne (incarcération irienne, obstruction trabéculaire par du sang ou du vitré) de celles liées à un obstacle externe, principalement représenté par la fibrose postopératoire. En revanche, lorsque la chambre antérieure est étroite voire plate, on s'orientera vers un glaucome malin ou une effusion uvéale (voir fig. 5-2-145).

Après une chirurgie du segment postérieur, en dehors des causes d'HTO communes à toute chirurgie que sont les corticoïdes et l'inflammation, l'HTO peut être liée à l'indentation (externe ou gazeuse) et au cerclage avec ou sans string syndrome (ischémie douloureuse du segment antérieur), à un excès de tamponnement ou à une fermeture de l'angle chez le sujet aphaque (voir fig. 5-2-145).

La prise en charge thérapeutique associe donc un traitement spécifique de la cause de l'hypertonie à un traitement hypotonisant médical, voire chirurgical dans les formes réfractaires.

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5.2.4 URGENCES VITRÉORÉTINIENNES

Occlusions vasculaires

M. PAQUES , M. OBADIA , A. PIERRU , E. HÉRON , J.-F. GIRMENS

Points forts

  • Certaines étiologies spécifiques d'OACR requièrent un diagnostic et un traitement urgent comme la maladie de Horton, la dissection carotidienne ou le thrombus carotidien. Hormis ces cas, il n'y a pas de traitement validé des OACR.

  • Hors glaucome néovasculaire menaçant ou établi, la prise en charge thérapeutique des occlusions veineuses rétiniennes peut être généralement différée en consultation d'aval de quelques jours à quelques semaines.

OCCLUSIONS ARTÉRIELLES RÉTINIENNES
SIGNES FONCTIONNELS

L'occlusion de l'artère centrale de la rétine (OACR) se manifeste par une baisse brutale de l'acuité visuelle avec œil blanc et calme (le caractère brutal est cependant pris en défaut si cet accident survient pendant le sommeil). Des cécités monoculaires transitoires peuvent précéder l'instauration de la perte visuelle permanente.

CONTEXTE

Hors les cas spécifiques de la maladie de Horton ou de la dissection carotidienne, les facteurs de risque des OACR sont identiques à ceux des accidents vasculaires cérébraux (AVC) [1], à savoir l'âge, le sexe masculin, le tabagisme, le diabète, l'hypercholestérolémie à low density lipoprotein (LDL) [2]. Il s'agit souvent de patients déjà suivis pour des complications de l'artériolosclérose telles qu'une coronaropathie ou une artérite des membres inférieurs. Il n'y a pas de facteur déclenchant dans la majorité des cas. Parfois, une poussée d'hypertension artérielle (HTA) sévère peut en être à l'origine.

EXAMEN CLINIQUE

L'acuité visuelle est réduite à une perception lumineuse. Il importe de rechercher celle-ci, souvent limitée au champ visuel temporal, car l'absence totale de toute perception lumineuse doit faire suspecter d'autres lésions telles une occlusion de l'artère ophtalmique ou une neuropathie ischémique. L'œil est blanc et calme ; la pupille est en semi-mydriase peu ou pas réactive, avec conservation du réflexe consensuel [3]. Il est important de rechercher la présence de céphalées, de claudication intermittente de la mâchoire ou de douleurs scapulaires ou coxales (pouvant évoquer une pseudo-polyarthrite rizhomélique).

L'examen du fond d'œil montre des signes d'opacification ischémique de la rétine sous la forme d'un blanchiment du pôle postérieur (fig. 5-2-154), plus ou moins étendu à la périphérie. Ce blanchiment est restreint à un quadrant de la rétine s'il s'agit d'une occlusion de branche. Dans les formes récentes, la fovéa apparaît par contraste plus foncée (« tache rouge cerise »). Les artères peuvent présenter un flux granulaire, indiquant la persistance d'un arrêt circulatoire. Un embole est parfois visible. Il n'y a pas d'œdème papillaire.

Fig. 5-2-154
Occlusion de l'artère centrale de la rétine.
a. Photographie en couleurs. b. OCT montrant un épaississement et une opacification de la rétine interne.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

L'angiographie à la fluorescéine n'est pas indispensable pour le diagnostic, mais elle a l'intérêt de permettre de documenter l'arrêt circulatoire. Ceci peut être important si une fibrinolyse est envisagée. Dans les formes typiques, l'angiographie montre un important retard du remplissage des artères, alors que le remplissage choroïdien est normal. La papille est normalement vascularisée, mais peut présenter une diffusion discrète. Les veines peuvent se remplir de façon rétrograde. Des ruptures de la barrière hématorétinienne sont visibles, qui ne traduisent pas une vascularite mais seulement la dysfonction vasculaire dans un environnement hypoxique. La tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) montre une opacification uniforme de la rétine interne (fig. 5-2-154), pouvant parfois épargner les cellules ganglionnaires et les fibres optiques. Il n'y a pas d'épaississement papillaire.

TYPE D'URGENCE

Si le patient est vu dans les 48 premières heures, une hospitalisation pour le bilan est justifiée. Si une fibrinolyse est envisagée, celle-ci doit en principe être effectuée dans les 6 heures. Au-delà, l'urgence de prise en charge (PEC) est fonction du risque et de la nature d'un potentiel sur-accident vasculaire [1]. Le triage PEC est estimé de catégorie 1 pour une suspicion de maladie de Horton et possible une cardiopathie emboligène.

Avant l'examen ophtalmologique, il est difficile de prévoir quel sera l'item d'urgence exact devant une baisse brutale d'acuité visuelle non douloureuse. Le triage est donc prioritaire par principe, au minimum de catégorie 3 avant qu'un diagnostic soit proposé. Il est nécessaire de diagnostiquer sans délai des pathologies rapidement évolutives : une sténose carotidienne athéromateuse justifiant une endartérioctomie en urgence, une pathologie emboligène en phase d'instabilité, une maladie de Horton, une dissection carotidienne, une HTA sévère.

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES
Biologie

On réalise les examens suivants :

  • ±

    vitesse de sédimentation (VS) : élimination d'une maladie de Horton ;

  • ±

    bilan de coagulation avec international normalized ratio (INR) si patient sous anticoagulants ;

  • ±

    numération formule sanguine (NFS), thrombocytémie, glycémie, ionogramme sanguin, créatininémie.

Imagerie

L'imagerie est :

  • ±

    ophtalmologique : angiographie à la fluorescéine si une thrombolyse est envisagée, pour confirmer la persistance d'un arrêt circulatoire, et OCT de la rétine pour permettre le suivi ultérieur ;

  • ±

    carotidienne : notamment, imagerie par résonance magnétique (IRM) cervicale en coupe factory acceptance test site acceptance test (FAT-SAT), associée à l'angio-IRM, pour visualiser l'hématome de paroi en cas de dissection ;

  • ±

    cérébrale : IRM multimodale avec cliché de diffusion et angio-IRM pour visualiser les vaisseaux du cou et/ou d'éventuels emboles intracrâniens.

Électrophysiologie

Un électrocardiogramme peut objectiver un trouble du rythme cardiaque et sa nature.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

De nombreux cas d'OACR n'ont pas d'étiologie clairement établie.

Embolies

L'absence d'emboles visibles au fond d'œil n'exclut pas une origine embolique, car la majorité des emboles se délitent en quelques heures ou jours et ils peuvent être localisés à l'origine de l'artère centrale de la rétine dans le nerf optique, échappant ainsi à l'examen. Les pathologies les plus fréquemment en cause sont l'athérome carotidien et les cardiopathies emboligènes (en premier lieu l'arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire). Beaucoup plus rarement, il s'agit d'emboles lipidiques consécutifs à une fracture des os longs (« embolie graisseuse ») ou d'emboles tumoraux (myxome de l'oreillette). La corrélation entre la nature de l'embole et son aspect ophtalmoscopique n'a pas été rigoureusement validée.

Dissection carotidienne

Bien qu'il s'agisse d'une pathologie rare, elle doit être mentionnée en raison de sa prise en charge spécifique. Elle survient typiquement chez un sujet d'âge jeune ou moyen présentant, en plus du tableau d'OACR, des céphalées et un signe de Claude Bernard-Horner dont l'interaction avec la mydriase de l'OACR le rend difficile à diagnostiquer. L'imagerie carotidienne (notamment IRM cervicale en coupe FAT-SAT pour visualiser l'hématome de paroi associée à l'angio-IRM) fait le diagnostic. Au moindre doute, une immobilisation cervicale immédiate doit être faite, précédant un traitement en milieu spécialisé.

Artérites

La maladie de Horton peut se manifester par une OACR apparemment isolée. Elle doit être recherchée systématiquement chez les patients de plus de 50 ans. Beaucoup plus rarement, il peut s'agir du lupus érythémateux disséminé, de la maladie de Wegener, de la maladie de Kawasaki, du syndrome de Churg-Strauss. Le syndrome de Susac small infarcts of the cochlea and retina (SICRET) syndrome – peut se manifester par les occlusions de branche artérielles à répétition.

Troubles de la coagulation

Des troubles de la coagulation peuvent également être en cause, et ce d'autant plus que le sujet est jeune.

Spasme artériel

Cette pathologie est suspectée dans les cas survenant sans facteur de risque ni étiologie retrouvée. Cela pourrait expliquer les cas d'OACR survenant au cours d'une poussée d'HTA ou sous l'effet de vasoconstricteurs tels que la cocaïne.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

L'occlusion veineuse aiguë avec blanc périveinulaire (fig. 5-2-155) peut être confondue avec une OACR, mais elle est de pronostic beaucoup plus favorable. L'aspect de l'opacification rétinienne est plus irrégulier (« en fougère ») et la présence d'hémorragies rétiniennes et d'une dilatation veineuse fait redresser le diagnostic.

Fig. 5-2-155
Opacification périveinulaire dans le cadre d'une occlusion de la veine centrale de la rétine (a), constituant un diagnostic différentiel majeur des OACR.
Noter sur l'OCT (b) la discontinuité de l'opacification rétinienne.

L'occlusion de l'artère ophtalmique est plutôt une forme clinique ; en principe, il n'y a pas de tache rouge cerise. Cependant, la circulation choroïdienne se reperfuse souvent avant la circulation rétinienne, ce qui fait que la coloration fovéolaire peut être préservée.

L'occlusion d'une artère ciliorétinienne peut se manifester comme une occlusion de branche d'artère rétinienne (OBAR) mais sans embole visible, et le plus souvent dans un contexte évoquant une occlusion veineuse. Il s'agit en fait souvent d'un signe accompagnant une occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) avec blanc périveinulaire.

Le bas débit chronique accutisé est un bas débit rétinien chronique dû à une occlusion carotidienne. Il peut s'aggraver rapidement, par exemple à l'occasion d'une chute de la pression artérielle, et donner ainsi lieu à un aspect du fond d'œil qui ressemblera à une OACR.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

La prise en charge d'une OACR récente (< 24h) est la même que celle d'un accident ischémique cérébral (AIC).

L'enquête étiologique recherche en premier lieu une sténose carotidienne (justifiant une endartériectomie précoce pour les sténoses ≥ 70 %), une sténose intracrânienne symptomatique ou une cardiopathie emboligène.

Outre les examens simples (prise de pression artérielle aux deux bras, électrocardiogramme [ECG], NFS, glycémie, VS, ionogramme sanguin, créatininémie, INR si patient sous anticoagulants), une imagerie des vaisseaux du cou et intracrânienne, si l'IRM multimodale n'a pas été réalisée (au choix du radiologue), sera effectuée en priorité.

Noter l'intérêt d'une IRM cérébrale multimodale avec cliché de diffusion et angio-IRM des vaisseaux du cou et intracrâniens. En effet, dans près de 25 % des cas, les clichés de diffusion en IRM montrent un AIC souvent de petite taille homolatéral à l'OACR, parfois multiple et corrélé au risque de retrouver une cause à haut risque vasculaire (sténose carotidienne sévère symptomatique ou cardiopathie emboligène).

La conduite à tenir et l'aval immédiat des urgences dépendent ensuite du résultat des examens mais aussi du contexte clinique. Il faut hospitalier le patient en cas :

  • ±

    de présence d'un AIC sur l'IRM cérébrale de diffusion ;

  • ±

    de dissection carotidienne (mettre en décubitus ; appel du neurologue) ;

  • ±

    de sténose significative extra- ou intracrânienne sympto-matique ou thrombus carotidien ;

  • ±

    de patient symptomatique sur le plan cardiaque : dyspnée récente, douleur thoracique ;

  • ±

    d'arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire ;

  • ±

    d'antécédents de cardiopathie emboligène à haut risque : infarctus du myocarde récent de moins de 1 mois, prothèse cardiaque, rétrécissement mitral, insuffisance cardiaque (fraction d'éjection < 30 %), thrombus intracardiaque, tumeur intracardiaque.

En dehors de ces cas, on propose la conduite suivante : sortie ; mise sous Aspégic 250 ® (ou clopidogel) ; réalisation d'une échographie cardiaque et d'un Holter ECG dans la semaine suivante ainsi que d'un bilan lipidique à jeun. Si le patient a moins de 40 ans, un bilan d'hémostase et auto-immun est pratiqué. Une consultation d'aval spécialisée est programmée à une semaine du passage d'urgence (neurovasculaire ou médecine) pour adapter la prévention secondaire.

TRAITEMENT DE L'OCCLUSION DE L'ARTÈRE CENTRALE DE LA RÉTINE
Nature de la prise en charge

Il n'y a pas de traitement reconnu des OACR. Les tentatives de reperméabilisation par massage, hypotonisation, anticoagulation, chirurgie ou fibrinolyse n'ont pas donné de résultat tangible. L'oxygénothérapie hyperbare a été très peu évaluée. L'utilisation de plus en plus large de la fibrinolyse pour le traitement des AVC motive la réalisation de fibrinolyse compassionnelle au cours des OACR par certaines équipes. Une méta-analyse, qui n'a pas la valeur d'un essai randomisé, regroupait 396 patients dont 147 patients thrombolysés par voie intraveineuse [4]. Elle montrait un bénéfice significatif avec 50 % d'amélioration pour les patients traités dans les 4,5 heures (fenêtre thérapeutique prouvée efficace pour les AIC) versus 17,7 % (histoire naturelle) et 3,4 % d'hémorragie graves essentiellement avec la streptokinase (thrombolytique qui n'est plus utilisé dans les AIC ; aucun cas dans cette méta-analyse avec l'activateur tissulaire recombinant du plasminogène [rt-PA]). La fibrinolyse peut se faire par voie générale ou localement par cathétérisme de l'artère ophtalmique.

Indications thérapeutiques

Les indications thérapeutiques ne sont pas encore consensuelles. Seules les OACR vues dans les 6 premières heures peuvent faire envisager un traitement fibrinolytique. D'autres cas particuliers (thrombus carotidien flottant, maladie de Horton, dissection carotidienne) nécessitent un traitement urgent spécialisé.

SURVEILLANCE RECOMMANDÉE

Le bilan doit se faire idéalement en liaison avec un service neurovasculaire ou un interniste. Le rôle principal de l'ophtalmologiste, outre l'information du patient, est de dépister à la phase aiguë une cause relevant d'un traitement spécifique et urgent, et à la phase chronique un glaucome néovasculaire, possible si l'artère ne se reperméabilise pas. C'est pourquoi si l'artère centrale de la rétine ne s'est pas reperméabilisée dans le mois suivant l'OACR, il peut être prudent de réaliser une panphotocoagulation rétinienne.

PRONOSTIC

Le délai à partir duquel la perte visuelle est définitive est sans doute inférieur à 12 heures, mais des variations importantes sont notées d'un patient à l'autre. En tout état de cause, la rétine supporte beaucoup mieux l'anoxie que le cortex cérébral. L'œdème rétinien ischémique régresse sur une période de 4 à 6 semaines pour laisser place à une atrophie de la rétine interne. La papille devient pâle, atrophique et les artères rétiniennes deviennent filiformes.

OCCLUSIONS VEINEUSES RÉTINIENNES
PRÉSENTATION CLINIQUE

Les signes d'appel des occlusions veineuses rétiniennes (OVR) sont variables. Le plus souvent, il s'agit d'une baisse d'acuité visuelle rapidement progressive en quelques heures ou jours, souvent plus marquée le matin au réveil. Une baisse brutale de l'acuité visuelle peut parfois être retrouvée, le patient pouvant même indiquer sa survenue à la minute près. Certains signalent en outre des baisses d'acuité visuelle intermittentes. Une simple perte du champ visuel peut être signalée s'il s'agit d'une occlusion de branche veineuse ou d'une occlusion ciliorétinienne.

Contexte

La moyenne d'âge de survenue des OVR est de 55 ans, avec de larges écarts [5]. Une OVR peut survenir en effet avant 20 ans. Il y a une sur-représentation masculine. En dehors de l'âge et du sexe masculin, l'hypertension artérielle (retrouvée chez la moitié des patients) et le glaucome (10 à 20 % des patients) sont les principaux facteurs de risque d'OVR, toutes formes confondues.

Le diabète n'est sans doute pas un facteur causal d'OVR mais est un facteur aggravant ; les formes les plus sévères d'OVR sont en effet observées chez les diabétiques. Le tabagisme et l'obésité ne semblent pas impliqués dans la pathogénie des OVR. Des divergences importantes entre études apparaissent pour l'association à d'autres facteurs, comme l'hypercholestérolémie, la sédentarité, les antécédents cardiovasculaires [6]. Le traitement substitutif hormonal n'a été analysé que dans une seule étude, et aurait plutôt un effet protecteur. Les rôles éventuels de la pilule anticonceptionnelle, de la salazopyridine ou des inhibiteurs de la phosphodiestérase sont mal documentés.

Le rôle des apnées du sommeil dans la survenue des OVR est controversé. Son association avec l'OVR a été retrouvée dans plusieurs études. L'hypoxie et l'hypercapnie chroniques induites par l'apnée du sommeil pourraient être responsables de modifications hématologiques pouvant favoriser un état d'hypercoagulabilité. Cependant, l'apnée du sommeil se manifestant par une HTA, il est possible que ce soit l'HTA secondaire à l'apnée du sommeil qui soit en cause dans la survenue d'une OVR, et non pas l'apnée du sommeil elle-même.

Les anomalies de l'hémostase retrouvées chez ces patients sont variables, souvent absentes et dans l'ensemble ne semblent pas jouer un rôle prépondérant. Il a été suggéré que ces anomalies puissent jouer un rôle plus important dans les OVR du sujet jeune sans autre facteur de risque, mais ce point reste débattu. Aucune relation indiscutable avec les OVR n'a été mise en évidence pour les mutations entraînant une thrombophilie. Les relations entre syndrome des antiphospholipides et OVR sont confuses. D'une façon générale, la découverte d'un syndrome des antiphospholipides à l'occasion d'une OVR est rare, et il n'est pas justifié a priori de réaliser systématiquement une telle recherche. Le rôle d'un taux élevé d'homocystéine au cours des OVR est controversé, certaines études retrouvant une association, d'autres niant celle-ci. Dans certains cas, l'OVR peut être en rapport avec une maladie générale, essentiellement les hémopathies (myélomes et leucémies). Des OVR sous traitement par interféron alpha ou au cours de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ont été également rapportées, sans que la relation de cause à effet soit toujours bien établie.

Au total, seuls l'âge, l'HTA, le glaucome/hypertension oculaire et les antécédents familiaux d'OVR peuvent être retenus comme facteurs de risque significatifs d'OVR. Le profil des facteurs de risque des OVR est donc très différent de celui de l'athérome, car ni le tabagisme, ni l'hypercholestérolémie, ni la sédentarité ne sont impliqués.

Examen clinique

L'œil est blanc et calme. Il importe de rechercher, avant toute dilatation et à fort grossissement au biomicroscope, une dilatation capillaire ou une rubéose irienne débutante. En particulier, un signe simple à rechercher est la présence d'une circulation visible dans la collerette irienne, traduisant une vasodilatation de l'iris qui peut précéder une néovascularisation avérée. Au moindre doute sur une dilatation capillaire irienne et/ou en cas d'hypertonie oculaire, l'angle iridocornéen doit être examiné à la recherche d'une néovascularisation débutante. La tension oculaire doit être mesurée aux deux yeux (recherche d'un glaucome chronique).

L'examen du fond d'œil permet de faire le diagnostic d'OVR, de déterminer son type (occlusion de la veine centrale ou d'une de ses branches) et la cause de la baisse d'acuité visuelle, et d'estimer l'ancienneté de l'occlusion. Le tableau ophtalmoscopique peut être très varié mais associe toujours une dilatation veineuse et des hémorragies rétiniennes dans le territoire occlus, et dans un seul œil (sauf bien sûr si l'autre œil a un antécédent d'OVR) (fig. 5-2-156). L'intensité des signes est variable, allant de la dilatation minime avec des hémorragies punctiformes à une tortuosité extrême associée à des flaques hémorragiques rétiniennes étendues. De nombreux signes peuvent s'associer au tableau de base de l'occlusion veineuse : œdème papillaire, œdème maculaire, nodules cotonneux, hémorragie intravitréenne plus ou moins importante, opacification rétinienne blanchâtre par bas débit aigu (voir fig. 5-2-155). Dans le cas d'une occlusion d'une branche veineuse rétinienne, seul un territoire de drainage d'une veine en amont d'un croisement artérioveineux est atteint.

Fig. 5-2-156
Occlusion de la veine centrale de la rétine.

Formes cliniques

Certaines OVCR se présentent sous la forme d'une baisse brutale de la vision, contrastant avec le fait que le fond d'œil montre des anomalies minimes. C'est dans ces cas qu'il faut rechercher des signes d'opacification de la rétine périveinulaire, liée à une ischémie aiguë par bas débit, syndrome aussi appelé placoid acute middle maculopathy (voir fig. 5-2-155) [7]. Des clichés en lumière bleue ou mieux l'OCT peuvent être utiles pour mettre en évidence cet aspect. Ces formes peuvent être associées à l'occlusion d'une artère ciliorétinienne (fig. 5-2-157) qui est souvent au premier plan du tableau clinique, sous la forme d'une plage de rétine blanche centrée par une artère. L'intérêt de reconnaître cette dernière tient au fait que ces patients présentent une évolution particulière, avec une atrophie maculaire éventuellement associée à un œdème papillaire. La forme la plus grave de ce type d'OVCR est représentée par la forme dite « occlusion combinée de l'artère et de la veine centrale de la rétine » [6]. Elle se manifeste par une baisse brutale de l'acuité visuelle, la vision étant réduite à une perception lumineuse ou aux mouvements de la main. Les vaisseaux iriens sont souvent dilatés d'emblée. Le tableau au fond d'œil associe un aspect d'occlusion artérielle avec un épaississement blanc de la macula (avec parfois une tache rouge cerise), des veines dilatées, des hémorragies, ainsi que des nodules cotonneux disposés de façon arciforme autour de la papille. En angiographie, on est frappé par le ralentissement circulatoire artériel extrême et par l'absence de perfusion de la région maculaire. Le pronostic visuel de cette forme est très sombre avec, de plus, un risque élevé d'évolution vers un glaucome néovasculaire.

Fig. 5-2-157
Occlusion ciliorétinienne dans le cadre d'une OVCR.
a, b. Aspect à l'état initial au fond d'œil (a) et en OCT (b). c. Examen 3 mois plus tard montrant une atrophie localisée de la rétine interne épargnant les fibres optiques, ce qui explique le maintien de l'acuité visuelle.

La non-perfusion capillaire (« ischémie rétinienne ») correspond à l'arrêt de la perfusion d'une surface plus ou moins étendue de la rétine. Il est fréquent d'observer une non-perfusion angiographique des territoires les plus périphériques des OVR, ce qui n'a le plus souvent pas de conséquences. En revanche, l'extension de cette non-perfusion vers la rétine postérieure a des conséquences dévastatrices pour la fonction visuelle, car elle survient généralement sur une vaste étendue et, de plus, il s'agit d'un processus irréversible. Il est donc d'usage de séparer les OVR en formes bien perfusées/non ischémiques d'une part, et non perfusées/ischémiques d'autre part. La séparation entre ces deux entités est parfois arbitraire et variable d'un auteur à l'autre. La survenue d'une non-perfusion est plus fréquente chez les sujets âgés et chez les diabétiques. La non-perfusion, une fois installée, est irréversible : la restauration d'une perméabilité de la veine centrale n'est pas suivie d'une reperfusion des capillaires, même sous anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF). La présence d'une ischémie sévère de la rétine est le facteur de risque majeur de la prolifération néovasculaire.

Examens paracliniques indispensables

Les examens paracliniques se limitent en général à la mesure de la pression artérielle, à la recherche d'un glaucome et d'un diabète. L'intérêt d'un bilan plus approfondi réalisé de manière systématique sans signe d'appel est très discutable, en particulier à la recherche d'une anomalie de l'hémostase ; un bilan cardiologique ne révèle également que très exceptionnellement une pathologie sous-jacente ne s'exprimant pas cliniquement par ailleurs.

Type d'urgence
DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

La principale urgence est représentée par la présence d'une rubéose irienne, qui impose une prise en charge dans les jours suivant sa découverte. Sinon, le délai pour une consultation spécialisée dépend de l'ancienneté de l'OVR. La présence d'une occlusion ciliorétinienne ou d'une opacification périveinulaire oriente vers une occlusion très récente (quelques jours). La présence d'un œdème maculaire indique une occlusion durant depuis quelques semaines. La présence d'une circulation collatérale suggère une ancienneté de quelques mois. D'une manière générale, le triage PEC est celui d'une baisse brutale ou rapidement progressive non douloureuse et non inflammatoire de l'acuité visuelle. C'est donc un triage PEC de catégorie 3 au minimum, jusqu'à l'obtention d'une proposition diagnostique qui peut alors temporiser éventuellement le délai de prise en charge thérapeutique.

JUSTIFICATION DE PRISE EN CHARGE EN URGENCE

La prise en charge rapide d'une rubéose irienne a pour objectif d'éviter le passage en glaucome néovasculaire, qui est de traitement difficile et peut aboutir à la perte fonctionnelle et du confort de l'œil. La rubéose irienne est d'autant plus facile à traiter qu'elle est récente.

Signes paracliniques spécifiques
BIOLOGIE

On recherche un diabète.

IMAGERIE

Dans la majorité des cas, aucun examen complémentaire n'est indispensable au diagnostic d'OVR. Les examens d'imagerie permettent surtout de préciser le pronostic. Des clichés en couleurs et/ou en lumière anérythre panoramiques permettent de documenter l'épisode. En cas de doute sur l'existence d'une OVR, une angiographie en mode dynamique, en révélant la présence d'un flux veinulaire pulsatile, peut permettre de trancher. L'examen en OCT permet de documenter la présence d'un œdème maculaire et éventuellement d'opacification périveinulaire, il permet aussi et surtout l'évaluation objective et le suivi de l'œdème maculaire, ainsi que la détection de l'opacification périveinulaire. Il permet de savoir si l'épaississement maculaire provient de la macula ou d'une diffusion latérale d'un œdème papillaire.

Diagnostics différentiels essentiels
OCCLUSION DE L'ARTÈRE CENTRALE DE LA RÉTINE

Les OVCR associées à une occlusion de l'artère ciliorétinienne peuvent mimer une OACR. Pour les différencier, une analyse de la rétine périphérique à la recherche d'hémorragie rétinienne est utile. L'examen par OCT pourra être utile pour définir la topographie de l'ischémie rétinienne et mettre en évidence le blanc périveinulaire (BPV, qui n'existe pas dans l'OACR). De même, l'angiographie à la fluorescéine en mode dynamique pourra montrer un flux veineux pulsatile en cas d'OVCR ou une diffusion papillaire.

RÉTINOPATHIE HYPERTENSIVE

Le diagnostic le plus important à exclure est la rétinopathie hypertensive qui est le plus souvent bilatérale. Les hémorragies rétiniennes préférentiellement péripapillaires ainsi qu'un œdème papillaire et des nodules cotonneux dominent le tableau. Il existe souvent une exsudation sous-rétinienne importante. Les veines sont le plus souvent de calibre normal.

RÉTINOPATHIE DIABÉTIQUE SÉVÈRE

Un tableau de rétinopathie diabétique sévère peut associer des hémorragies dans les quatre quadrants, des nodules cotonneux, un œdème maculaire ainsi qu'une dilatation veineuse irrégulière (veines dites moniliformes). La rétinopathie diabétique est généralement bilatérale et symétrique, ce qui est exceptionnel pour une OVCR. On ne retrouve pas d'œdème papillaire dans la rétinopathie diabétique.

ŒDÈME PAPILLAIRE

Apparemment isolé, un œdème papillaire peut égarer le diagnostic. C'est la constatation d'hémorragies périphériques et/ou la découverte d'une circulation collatérale prépapillaire (au besoin par une angiographie au vert d'indocyanine) qui redresse le diagnostic.

STÉNOSE CAROTIDIENNE

Au cours d'une sténose carotidienne, l'examen du fond d'œil peut retrouver des signes similaires à ceux d'une OVCR associant dilatation veineuse généralisée, hémorragies en taches disséminées et nodules cotonneux. Cependant, on ne retrouve ni œdème maculaire ni œdème papillaire. La présence d'une circulation collatérale prépapillaire est un argument majeur en faveur d'une OVCR. L'angiographie à la fluorescéine est utile au diagnostic permettant de visualiser un microanévrisme au centre des hémorragies.

FISTULES ARTÉRIOVEINEUSES CAROTIDOCAVERNEUSES

Ces fistules peuvent augmenter la pression veineuse centrale et donner un tableau clinique semblable à une OVCR. Cependant les signes retrouvés au niveau du fond d'œil sont exceptionnellement isolés et sont souvent associés à un chémosis ainsi qu'à une dilatation des veines épisclérales et une hypertonie oculaire. Des céphalées sont fréquemment présentes et permettent d'orienter le diagnostic.

AUTRES ÉTIOLOGIES

La présence d'hémorragies disséminées sans dilatation veineuse associée doit faire évoquer d'autres étiologies telles que la rétinopathie de Vasalva, l'anémie sévère, la rétinopathie du VIH, l'avitaminose C, les tortuosités artérielles rétiniennes héréditaires associées à une mutation du collagène 4.

Les occlusions par périphlébite rétinienne surviennent dans le cadre d'une uvéite telle la maladie de Behçet ou la sarcoïdose. La topographie de l'occlusion est différente de celle des occlusions de branche veineuse rétinienne (OBVR), se situant au niveau d'un engainement périveineux et non au niveau d'un croisement artérioveineux. L'angiographie à la fluorescéine peut être utile en montrant le segment de veine occlus ou une diffusion des parois veineuses sur d'autres segments de veine voire une atteinte controlatérale.

TRAITEMENT

Il n'y a pas de traitement permettant d'obtenir une reperfusion de la veine centrale de la rétine. Le traitement actuel vise à contrôler l'œdème maculaire. Les injections intravitréennes d'anti-VEGF ou celles de corticoïdes sont toutes deux efficaces. À la phase initiale des OVCR, il paraît prudent de privilégier les anti-VEGF, car ils permettent également de protéger des complications néovasculaires plus fréquentes aux stades initiaux. La marge thérapeutique est ainsi supérieure à celle des corticoïdes, au prix de réinjections plus fréquentes.

Prise en charge immédiate

Le cadre administratif de prise en charge est ambulatoire.

En cas de glaucome néovasculaire, l'injection intra-oculaire d'anti-VEGF est recommandée en aval immédiat des urgences ou dans les jours suivants. En l'absence de glaucome néovasculaire, une consultation dans le mois suivant la découverte est nécessaire.

Surveillance recommandée (orientation, nature, fréquence)

Des consultations mensuelles sont le plus souvent indiquées, qui seront espacées lorsque la maladie sera stabilisée.

PRONOSTIC

La vision finale dépend du maintien d'une perfusion capillaire maculaire et de la présence de lésions des photorécepteurs maculaires. La vision finale s'échelonne d'une récupération ad integrum à une perte totale de la vision. Même en cas de guérison apparente, des séquelles à type de micropsies ou de désaturation des couleurs peuvent être présentes. Les facteurs pronostiques les plus importants sont l'âge et la présence d'un diabète.

BIBLIOGRAPHIE

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[7] Rahimy E, Kuehlewein L, Sadda SR, Sarraf D. Paracentral acute middle maculopathy : what we knew then and what we know now. Retina 2015 ; 35 : 1921‑30.

Prise en charge d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge exsudative aux urgences

E. BRUYÈRE , O. SEMOUN , E.H. SOUIED

Points forts

  • Une membrane néovasculaire croît en moyenne de 10 μm par 24 heures [1] en générant des dommages tissulaires et cellulaires.

  • Elle peut causer une dégradation de la fonction visuelle.

  • L'apparition de signes fonctionnels pouvant évoquer une dégénérescence maculaire liée à l'âge exsudative représente une urgence diagnostique et thérapeutique.

PRÉSENTATION CLINIQUE
SIGNES FONCTIONNELS

La maculopathie liée à l'âge (MLA) comporte des altérations de l'épithélium pigmentaire (EP) à type d'hypo- ou hyperpigmentation et des drusen qui sont peu symptomatiques. Les signes fonctionnels devant faire suspecter une complication néovasculaire sont représentés par le syndrome fonctionnel maculaire associant métamorphopsies, scotome central et baisse d'acuité visuelle dont l'importance varie en fonction de la présence ou non d'une hémorragie maculaire, de la localisation du néovaisseau choroïdien (NVC) et de l'évolutivité de la lésion. Le bilan initial débute donc par la mesure de l'acuité visuelle corrigée des deux yeux, notamment à l'aide de l'échelle Early Ttreatment Diabetic Retinopathy Study (ETDRS).

CONTEXTE

Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :

  • ±

    patient consultant pour la première fois, naïf de traitement anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF) et présentant des lésions de MLA au fond d'œil :

    • le score Age-Related Eye Disease Study (AREDS ; de 0 à 4) permet d'évaluer le risque pour un individu donné d'évoluer vers une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA ; tableaux 5-2-49 et 5-2-50) [2] ;

      Tableau 5-2-49
      Score proposé dans le rapport n° 18 de l'étude AREDS [2].
      Atteinte maculaire Score œil droit Score œil gauche
      Drusen > 125 μm Oui = 1/Non = 0 Oui = 1/Non = 0
      Migrations pigmentaires Oui = 1/Non = 0 Oui = 1/Non = 0
      Score total (de 0 à 4)
      Tableau 5-2-50
      Risque de néovascularisation à 5 ans et à 10 ans en fonction du score AREDS.
      Risque de néovascularisation
      Score À 5 ans À 10 ans
      0 0 % 0,5 %
      1 3 % 8 %
      2 12 % 22 %
      3 25 % 49 %
      4 50 % 66 %

    • ce cas de figure est fréquent lors de dépistage systématique ou dans le cadre d'antécédents familiaux de DMLA.

  • ±

    patient présentant un syndrome maculaire, consultant pour des signes fonctionnels évocateurs de DMLA ;

  • ±

    patient adressé par un ophtalmologiste à un collègue ou à un centre de rétine médicale pour la prise en charge d'une DMLA récemment suspectée ou diagnostiquée ;

  • ±

    récidive néovasculaire chez un patient précédemment traité ;

  • ±

    complication néovasculaire sur l'œil controlatéral.

EXAMEN CLINIQUE DU FOND D'ŒIL APRÈS DILATATION PUPILLAIRE

Ce premier examen est primordial. Il est toutefois insuffisant pour permettre un diagnostic précis. Un NVC doit être évoqué en présence d'un des éléments suivants : épaississement ou décollement séreux rétinien (DSR) ; lésion néovasculaire visible de couleur grisâtre ; décollement de l'épithélium pigmentaire (DEP) ; présence d'hémorragies sous-rétiniennes, d'exsudats rétiniens et d'une fibrose sous-rétinienne.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

La mise en œuvre thérapeutique dépend généralement des explorations paracliniques et le premier traitement est réalisé de manière optimale dans les 72 heures. De fait, les explorations adaptées de la DMLA néovasculaire sont proposées en urgence, inscrits dans ce délai.

Les photographies en couleurs sont recommandées par la Haute autorité de santé (HAS). Elles serviront d'images de référence pouvant être utiles pour le suivi du patient. Les clichés multicolores (couleurs reconstituées) peuvent se substituer aux clichés en couleurs.

La tomographie en cohérence optique spectral domain ( spectral-domain optical coherence tomography [SD-OCT]) est un examen clé. Elle permet de visualiser les phénomènes d'exsudation : le fluide intrarétinien (logettes cystoïdes), l'accumulation de fluide sous-rétinien (DSR), le DEP ainsi que les points hyperréflectifs [3] et « le gris » hyperréflectif pré-épithélial ( subretinal hyperreflective exudation [SHE]) [4].

L' angiographie à la fluorescéine permet la mise en évidence des lésions néovasculaires, qui sont hyperfluorescentes et qui diffusent. Elle est complétée par l'angiographie au vert d'indocyanine pour confirmer et préciser le type de NVC, sa localisation et sa surface. Les angiographies à la fluorescéine et au vert d'indocyanine permettent de distinguer les NVC de type 1, 2 ou 3, ou les vasculopathies polypoïdales (VPC).

L' OCT angiographie permet de visualiser sans injection de produit de contraste les différentes structures vasculaires choriorétiniennes normales ou pathologiques. Ainsi, elle visualise le flux, hyperdense, du réseau néovasculaire et permet une étude morphologique, non invasive de la membrane néovasculaire et des détails microvasculaires avec une haute sensibilité de détection. Son utilisation peut être particulièrement intéressante dans les situations d'urgence pour poser le diagnostic de NVC et éliminer les diagnostics différentiels.

TYPE D'URGENCE

  • ±

    Délai maximal de prise en charge (PEC) : dès le diagnostic de DMLA exsudative posé, il est recommandé d'instaurer un traitement par injection intravitréenne (IVT) d'anti-VEGF le plus précocement possible, et dans un délai inférieur à 10 jours selon la HAS. Ainsi, une suspicion de DMLA exsudative aux urgences doit être prise en charge selon un triage de catégorie 5 (< 72 heures) afin de réaliser le bilan initial et organiser le traitement selon le délai recommandé.

  • ±

    Justification de PEC urgente : plusieurs études se sont intéressées au délai de traitement et ont montré qu'il existe une corrélation linéaire entre l'importance de la perte d'acuité visuelle et le délai d'attente avant l'injection [5]. Parallèlement, l'étude LUMIERE [6] a montré un meilleur gain d'acuité visuelle chez les patients injectés dans les 8 jours suivant le diagnostic. En plus des dommages tissulaires irréversibles, un NVC peut se compliquer d'un hématome maculaire en l'absence d'un traitement précoce.

FORMES CLINIQUES ET TYPES NÉOVASCULAIRES
NÉOVAISSEAUX CHOROÏDIENS OCCULTES OU DE TYPE 1

Les néovaisseaux choroïdiens occultes sont sous-épithéliaux (fig. 5-2-158) : seuls les signes indirects des NVC sont discernables en SD-OCT (soulèvement irrégulier de l'EP, voire DEP). Il peut s'y associer tous les signes exsudatifs (fig. 5-2-158a). Les temps précoces de l'angiographie à la fluorescéine retrouvent une hypofluorescence relative, puis une hyperfluorescence hétérogène irrégulière mal définie avec diffusion modérée tardive et pin-points hyperfluorescents (fig. 5-2-158b) [7]. L'angiographie au vert d'indocyanine convertit les NVC occultes en un réseau néovasculaire bien délimité [8]. Aux temps précoces, le lacis néovasculaire est parfois identifiable et les temps tardifs (30 à 35 minutes) montrent une plage, ou plaque, hypercyanescente bien délimitée (fig. 5-2-158c). En OCT angiographie, ils apparaissent comme une lésion hyperdense, à flux élevé, située sous l'EP. Dans la plupart des cas, il est possible d'identifier le tronc nourricier ( feeder vessel ) qui alimente la membrane néovasculaire. Deux aspects néovasculaires peuvent être identifiés [9] : l'aspect de sea fan (fig. 5-2-158d) et l'aspect de méduse (fig. 5-2-158e).

Fig. 5-2-158
Imagerie multimodale et OCT angiographie de néovaisseaux occultes.
La coupe SD-OCT au niveau de la lésion néovasculaire (a) met en évidence un décollement de l'épithélium pigmentaire irrégulier associé à un décollement séreux rétinien. Le cliché de l'angiographie à la fluorescéine (b) montre une hyperfluorescence hétérogène mal délimitée avec pin-points, alors que l'hypercyanescence est bien délimitée et identifiable sur le cliché tardif de l'angiographie au vert d'indocyanine (c). L'OCT angiographie (d, e) de deux lésions néovasculaires retrouve une lésion hyperdense, à flux élevé, située sous l'épithélium pigmentaire. L'une prend un aspect de sea fan (d), et l'autre un aspect de méduse dans lequel les petits vaisseaux s'étendent dans toutes les directions à partir du centre de la lésion (e). Le feeder vessel (tronc nourricier) est bien visualisé (flèche jaune).

NÉOVAISSEAUX CHOROÏDIENS VISIBLES OU DE TYPE 2

Les néovaisseaux choroïdiens visibles sont subdivisés en néovaisseaux visibles prédominants ( predominantly classic ) et en néovaisseaux occultes prédominants ( minimally classic ) (fig. 5-2-159). Les NVC visibles « purs » sont une forme clinique minoritaire. La SD-OCT montre une hyperréflectivité en avant de l'EP, souvent associée à des logettes cystoïdes, un DSR et du « gris »/SHE au-dessus de la lésion (fig. 5-2-159a). L'angiographie à la fluorescéine montre une hyperfluorescence précoce bien délimitée d'emblée intense, composée de rameaux néovasculaires radiaires en roue de bicyclette, entourée d'un anneau hypofluorescent qui diffuse au cours de la séquence angiographique (fig. 5-2-159b) [10]. En angiographie au vert d'indocyanine, ils se traduisent par une hypercyanescence précoce à fort contraste, alors que la coloration tardive est peu intense, voire inexistante ( wash-out ) (fig. 5-2-159c). Le temps tardif permet d'identifier des NVC occultes associés se traduisant par une plaque hypercyanescente de taille différente.

Fig. 5-2-159
Imagerie multimodale et OCT angiographie de néovaisseaux visibles.
La coupe OCT au niveau de la lésion néovasculaire (a) met en évidence le néovaisseau hyperréflectif au-dessus de l'épithélium pigmentaire associé à une hyperréflectivité à bords mal délimités au-dessus ( subretinal hyper-reflective exudation [SHE]) et un décollement séreux rétinien. Sur le cliché de l'angiographie à la fluorescéine (b), l'hyperfluorescence est intense, bien délimitée entourée d'un halo sombre, correspondant à l'hypercyanescence visible sur le cliché de l'angiographie au vert d'indocyanine (c). L'OCT angiographie de deux néovaisseaux choroïdiens visibles (d, e) retrouve soit une lésion hyperdense en forme de glomérule avec un halo sombre (d), soit une forme de méduse (e).

L'OCT angiographie permet d'individualiser deux morphotypes caractéristiques des NVC de type 2 [11] : en forme de glomérule (fig. 5-2-159d) ou en forme de méduse (fig. 5-2-159e). Ces images sont retrouvées au sein des segmentations en rétine externe et choriocapillaire, entourées d'un halo sombre périlésionnel, avec parfois un tronc nourricier qui se poursuit dans la choroïde.

ANASTOMOSES CHORIORÉTINIENNES OU NÉOVASCULARISATION CHOROÏDIENNE DE TYPE 3

Les anastomoses choriorétiniennes (ACR) se manifestent par l'interruption brutale d'un vaisseau rétinien qui semble plonger à 90° vers la choroïde, souvent associée à une petite hémorragie (fig. 5-2-160). Elles s'accompagnent de signes exsudatifs marqués en SD-OCT (logettes cystoïdes), d'un DEP et typiquement du kissing sign (fig. 5-2-160a) [12]. L'angiographie à la fluorescéine retrouve une hyperfluorescence localisée qui diffuse ( hot-spot ) (fig. 5-2-160b) et l'angiographie au vert d'indocyanine retrouve le hot-spot juxtafovéal au voisinage des vaisseaux maculaires (fig. 5-2-160c). L'OCT angiographie met en évidence la présence d'un complexe intrarétinien vasculaire à type de touffe ( tuft ) dans la segmentation correspondant à la rétine externe, ayant comme origine probable le plexus capillaire profond [13]. L'analyse à des profondeurs différentes permet aussi d'évaluer l'association éventuelle d'un néovaisseau de type 1.

Fig. 5-2-160
Imagerie multimodale et OCT angiographie d'une anastomose choriorétinienne.
L'OCT (a) met évidence un soulèvement de l'épithélium pigmentaire rejoignant les couches internes rétiniennes avec logettes cystoïdes et points hyperréflectifs (kissing sign) . Sur le cliché en angiographie à la fluorescéine, l'hémorragie apparaît hypofluorescente par effet masque avec présence d'une zone de diffusion hyperfluorescente (b). En angiographie au vert d'indocyanine, l'anastomose choriorétinienne est bien visible avec un hot-spot hypercyanescent (c, d). L'OCT angiographie (e) retrouve un complexe intrarétinien vasculaire à type de tuft (touffe, flèche) dans la segmentation correspondant à la rétine externe.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS ET FORMES PARTICULIÈRES

  • ±

    Vasculopathie polypoïdale : elle se traduit par un DEP saillant en OCT. L'angiographie au vert d'indocyanine est l'examen clé retrouvant le réseau arborescent vasculaire ( branching vascular network ) et les polypes hypercyanescents arrondis. Un traitement anti-VEGF ± une photothérapie dynamique est indiqué.

  • ±

    Dystrophie/matériel pseudo-vitelliforme : elle peut s'accompagner de pseudo-DSR en OCT.

  • ±

    DEP drusénoïdes et DEP séreux avasculaires : seul l'examen, répété, au vert d'indocyanine peut permettre d'affirmer l'absence de lésions néovasculaires associées.

  • ±

    Choriorétinopathie séreuse centrale, épithéliopathie rétinienne diffuse.

  • ±

    Hématome sous-rétinien maculaire < 5 jours : une vitrectomie associant déplacement pneumatique ± injection de recombinant tissue plasminogen activator (rTPA) et IVT d'anti-VEGF postopératoires peut être indiquée en urgence, dans les 48 heures.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

  • ±

    Bilan anatomique à réaliser en urgence : imagerie multimodale rétinophotographies, (OCT, OCT angiographie, angiographies à la fluorescéine et au vert d'indocyanine).

  • ±

    Acte technique médical : si les conditions le permettent et dans l'intérêt du patient, l'ensemble du bilan diagnostique et le traitement par IVT d'anti-VEGF sont réalisés le même jour (vidéo 5-2-6 ). Les deux molécules ayant l'autorisation de mise sur le marché (AMM) en France sont le ranibizumab et l'aflibercept. L'utilisation du bévacizumab est soumise à une recommandation temporaire d'utilisation (RTU), encadrée par une législation stricte.

SURVEILLANCE RECOMMANDÉE

Il est important d'informer le patient et de lui proposer une stratégie thérapeutique.

L'aval de la prise en charge d'urgence est préconisé en consultation à compétence de rétine médicale. Une phase d'induction de trois IVT mensuelles est recommandée, puis un suivi mensuel en pro re nata (PRN). La stratégie de suivi treat and extend peut représenter une autre option envisageable. Il est important d'informer le patient sur le risque d'atteinte de l'œil controlatéral avec nécessité d'une autosurveillance et d'un suivi régulier de l'œil controlatéral. L'idéal est la délivrance au patient d'une fiche de recommandations pour effectuer son autosurveillance de manière optimale.

PRONOSTIC FONCTIONNEL

Les éléments du pronostic visuel retrouvés dans la littérature sont : l'acuité visuelle initiale, le délai de prise en charge, la localisation rétrofovéolaire et la grande taille de la lésion néovasculaire ainsi que des facteurs génétiques (polymorphisme à risque lié à CFH, ARMS2/HTRA1 ou VEGF receptor gene ). Le gain visuel moyen des études pivot (MARINA, ANCHOR, PrONTO et CATT) est de l'ordre de + 7 à 10 lettres la première année (6 à 8 IVT en moyenne). Mais dans les études de vraie vie, le gain visuel moyen à 12 mois est de + 3,2 lettres dans l'étude LUMIERE [6] et + 4,3 lettres dans l'étude TWIN [14] (nombre moyen d'injections de 5,1 et 5,6 respectivement). Dans tous les cas, il existe une corrélation entre gain visuel et délai de traitement qui justifie une prise en charge urgente.

BIBLIOGRAPHIE

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Décollement de rétine rhegmatogène

R. THOUVENIN

Points forts

  • Le soulèvement maculaire est le principal facteur limitant la récupération fonctionnelle dans les suites d'un décollement de rétine rhegmatogène (DRR). Ainsi, le statut maculaire préopératoire, décollé ou non ( macula-on ou macula-off ), et le risque de soulèvement de la macula sont les éléments déterminant le degré d'urgence de la prise en charge.

  • Le traitement du DRR est chirurgical. Le choix de la technique chirurgicale (voie interne ou voie externe) dépend des caractéristiques du DRR. Ce traitement doit être le moins invasif et permettre le meilleur taux de réapplication rétinienne afin d'optimiser la récupération fonctionnelle finale.

  • La prolifération vitréorétinienne est la principale complication qui limite encore de nos jours le taux de succès anatomique.

Les décollements de rétine rhegmatogènes (DRR) sont secondaires à des déhiscences rétiniennes (du grec rhegma, déchirure) induites par une traction du vitré sur la rétine. Ils s'opposent aux décollements de rétine tractionnels comme dans la rétinopathie diabétique et aux décollements exsudatifs d'origines variées (tumorale, vasculaire, inflammatoire). La déhiscence rétinienne permet le passage de vitré liquéfié entre la rétine neurosensorielle et l'épithélium pigmentaire conduisant au clivage de ces deux enveloppes dont l'évolution se fait vers l'extension inexorable du soulèvement rétinien à la macula puis à la totalité de la rétine. Cette rétine décollée va présenter en quelques semaines des lésions irréversibles engageant le pronostic fonctionnel puis anatomique de l'œil. Ainsi les caractéristiques initiales du décollement déterminent le degré d'urgence de cette pathologie. La réapplication rétinienne est obtenue en obturant ces déhiscences par traitement chirurgical par voie interne (vitrectomie ou rétinopexie pneumatique) ou voie externe (cryo-indentation). La prolifération vitréorétinienne (PVR) est le principal facteur limitant le pronostic anatomique (supérieur à 90 % de réapplication après une ou plusieurs opérations [1]). Le soulèvement maculaire, quant à lui, guide le pronostic fonctionnel [2, 3].

PRÉSENTATION CLINIQUE
CONTEXTE
Terrain

On observe deux pics d'incidence du DRR, le premier autour de la trentième année et, le second et principal vers la soixantaine [4]. La prévalence, située aux alentours de 0,3 % [5], est nettement plus importante chez les sujets myopes avec un risque de DRR 4 fois plus important que chez l'emmétrope pour une myopie de −1 à −3 D et jusqu'à 10 fois plus important pour une myopie supérieure à −3 D [6]. La bilatéralité n'est pas rare avec un risque de survenue de DRR atteignant l'œil adelphe d'environ 10 % [7]. Les hommes sont plus fréquemment atteints avec un sex-ratio de 1,4 à 1,8 homme pour une femme [8]. Enfin, il existe un terrain génétique, simplement dans un contexte familial ou dans les rares cas syndromiques de vitréorétinopathies [9].

Antécédents prédisposants

Les antécédents prédisposants sont :

  • ±

    les traumatismes oculaires ;

  • ±

    la chirurgie oculaire ;

  • ±

    la chirurgie de la cataracte : risque multiplié par 4 [10] ;

  • ±

    la chirurgie de vitrectomie ;

  • ±

    le laser yttrium aluminium garnet (YAG) [11] ;

  • ±

    les rétinites nécrosantes : varicella-zoster virus (VZV), cytomégalovirus (CMV), herpes simplex virus (HSV) [7].

Circonstances de survenue

Lors d'un DRR dit vitréogène, les déhiscences causales surviennent au cours du décollement postérieur du vitré. C'est au niveau de zones d'adhérences pathologiques du vitré à la rétine que s'exercent les tractions responsables des déhiscences. La partie liquéfiée du vitré peut s'infiltrer sous la rétine neurosensorielle et le décollement de rétine survient.

Les DRR dits rétinogènes sont en rapport avec des déhiscences rétiniennes constitutives notamment des trous atrophiques. Dans ce contexte, le vitré est intact, ni liquéfié, ni décollé, limitant la progression du DRR.

Par ailleurs, il a été décrit une variabilité saisonnière des DRR avec une augmentation de l'incidence en saison estivale [12].

EXAMEN CLINIQUE
Signes fonctionnels spécifiques
SIGNES VITRÉENS

Les signes vitréens sont les premiers à survenir :

  • ±

    myodésopsies : elles sont secondaires à un décollement postérieur du vitré aigu (anneau prépapillaire ou condensation des fibrilles de collagène vitréennes) ou à une hémorragie intravitréenne a minima (lésion des vaisseaux rétiniens au niveau de la déhiscence) ;

  • ±

    phosphènes et photopsies : ces phénomènes lumineux périphériques traduisent des tractions vitréorétiniennes sans être prédictifs de la présence de déchirure.

SIGNES RÉTINIENS

Les signes rétiniens sont souvent différés par rapport aux signes vitréens :

  • ±

    scotome positif et amputation progressive du champ visuel dans le territoire rétinien soulevé. Sa topographie initiale a une bonne valeur localisatrice dans la recherche de la déchirure causale ;

  • ±

    baisse d'acuité visuelle profonde et métamorphopsies en cas de soulèvement maculaire.

ANAMNÈSE

L'interrogatoire doit faire préciser :

  • ±

    la date de début des symptômes, notamment celle de la perte de fixation centrale témoignant du soulèvement maculaire ;

  • ±

    les facteurs de risque (voir plus haut) ;

  • ±

    l'heure du dernier repas ;

  • ±

    les traitements anti-agrégant plaquettaire et anticoagulant (contre-indication à l'anesthésie péribulbaire).

Signes physiques

La mesure de l'acuité visuelle est médico-légale et a une valeur pronostique.

L'examen du segment antérieur évalue notamment la qualité de la dilatation pupillaire ainsi que le statut cristallinien qui est important dans le choix de la technique chirurgicale. Une cataracte peut gêner la visualisation peropératoire. Le type d'implantation (sac, sulcus, subluxé ou in/out, clippé, contexte d'aphaquie) peut également modifier le tamponnement choisi.

Une mesure de la pression intra-oculaire recherche une hypotonie dans la majorité des cas liée au décollement de rétine étendu. Une hypertonie oculaire peut être symptomatique d'un encombrement trabéculaire par des hématies ou des fragments de photorécepteurs (syndrome de Schwartz-Matsuo) [13].

L'examen du fond d'œil après dilatation pupillaire comprend les éléments suivants :

  • ±

    report de l'observation du fond d'œil sur un schéma daté et signé ;

  • ±

    évaluation de l'étendue et des limites du décollement ;

  • ±

    analyse de la macula : statut maculaire (soulevé « off » , ou non « on » ), présence d'un trou maculaire (myope fort), d'une membrane épirétinienne ;

  • ±

    recherche des déchirures rétiniennes causales ainsi que des déchirures en rétine à plat ;

  • ±

    analyse du vitré : présence d'une hémorragie intravitréenne limitant l'analyse du décollement ;

  • ±

    évaluation de la sévérité d'une PVR et de son risque évolutif : la classification la plus utilisée est celle de la Retina Society (tableau 5-2-51) [14] ;

    Tableau 5-2-51
    Classification de la sévérité de la prolifération vitréorétinienne selon la Retina Society.
    Stade A Trouble vitréen, cellules pigmentées dans le vitré
    Stade B Plissement de la rétine interne, diminution de la mobilité rétinienne Enroulement des bords de la déchirure
    Stade C Postérieure (P) Type 1 Plis stellaires
    Type 2 Rétraction diffuse de la rétine en arrière de l'équateur
    Type 3 Prolifération sous-rétinienne
    CP1:1 quadrant CP2; 2 quadrants CP3:3 quadrants CP4:4 quadrants
    Antérieure (A) Type 4 Rétraction circonférentielle
    Type 5 Perpendiculaire et/ou traction antérieure en avant de l'équateur ( anterior loop )
    CA1:1 quadrant CA2:2 quadrants CA3:3 quadrants CA4:4 quadrants

  • ±

    recherche des signes de chronicité : kystes intrarétiniens, lignes de migration pigmentaire, atrophie rétinienne ou de l'épithélium pigmentaire ;

  • ±

    recherche de décollement choroïdien ;

  • ±

    élimination des diagnostics différentiels (décollements de rétine tractionnel et exsudatif, voir plus loin) ;

  • ±

    examen de l'œil adelphe pour prise en charge des lésions rétiniennes prédisposantes.

EXAMENS PARACLINIQUES

Les examens complémentaires ne sont pas indispensables à la prise en charge d'un DRR.

RÉTINOPHOTOGRAPHIES

Les rétinophotographies n'ont pour intérêt que de documenter l'état clinique initial. Elles n'influent pas sur la prise en charge initiale.

ÉCHOGRAPHIE OCULAIRE EN MODE B

L'échographie en mode B confirme le diagnostic en cas d'hémorragie intravitréenne ou de cataracte dense rendant la visibilité de la rétine difficile. En cas de présentation atypique et en l'absence de déhiscence identifiée, elle permet de rechercher une masse choroïdienne associée à un décollement de rétine exsudatif.

OCT MACULAIRE

L'OCT maculaire confirme ou non le soulèvement maculaire.

TYPE D'URGENCE
DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

Le décollement maculaire constitue le principal critère pronostique et définit le degré d'urgence chirurgicale répondant à un triage de prise en charge (PEC) de catégorie 5 en cas de macula-on et de catégorie 6 en cas de macula-off (fig. 5-2-161) :

  • ±

    menace de soulèvement maculaire : prise en charge dans les meilleures conditions possibles dans les 48 à 72 heures [15] ;

  • ±

    soulèvement maculaire récent : prise en charge le plus tôt possible, dans les 5 à 7 jours ;

  • ±

    macula soulevée depuis plus d'une semaine : prise en charge dans les 7 à 10 jours.

Fig. 5-2-161
Détermination du délai opératoire en fonction des caractéristiques du décollement de rétine.
DPV : décollement postérieur du vitré ; DRR : décollement de rétine rhegmatogène.

JUSTIFICATION D'UNE PRISE EN CHARGE URGENTE D'UN DÉCOLLEMENT DE RÉTINE RHEGMATOGÈNE

Le statut maculaire préopératoire a clairement été identifié comme principal facteur pronostique de récupération fonctionnelle par de nombreuses études [2, 3, 16–18]. Les DRR épargnant la macula (DRR macula-on ) ont une plus grande probabilité d'obtenir une meilleure acuité visuelle finale. Il est donc essentiel de considérer le statut maculaire dans la détermination du délai opératoire devant un DRR.

En cas de macula non décollée

Il n'est pas clairement établi combien de temps la macula peut rester appliquée, il est donc classiquement préconisé de réaliser la chirurgie en urgence.

Cependant, plusieurs auteurs ont rapporté l'absence de différence en termes de résultats fonctionnels et anatomiques entre chirurgie programmée (différée dans les 72 à 120 heures) et chirurgie en urgence pour un DRR macula-on [19–22]. Sans qu'une corrélation significative n'ait été mise en évidence, il est néanmoins admis que les DRR bulleux supérieurs et temporaux aigus, les déchirures supérieures et les DRR atteignant l'arcade vasculaire temporale supérieure ( on-off ) doivent être traités aussi tôt que possible [20, 21, 23, 24].

D'un autre côté, il faut considérer les inconvénients d'une chirurgie réalisée en urgence. En effet, il a été montré qu'il existait des risques et des coûts ajoutés à la réalisation d'une chirurgie en urgence (« effet week-end ») [25, 26].

En résumé, tout doit être mis en œuvre afin de traiter les DRR macula-on avant que ne survienne un soulèvement fovéal. Cependant, plusieurs facteurs sont à prendre en considération pour déterminer si le patient doit être programmé en urgence ou si la chirurgie peut être différée : le timing de présentation, les caractéristiques du décollement, la complexité du DRR, les comorbidités ophtalmologiques, la qualité d'accès aux installations chirurgicales ainsi qu'au personnel spécialisé.

En cas de macula décollée

Différents facteurs ont été identifiés comme ayant un impact sur le résultat fonctionnel final tels que l'acuité visuelle préopératoire, la hauteur du soulèvement maculaire, l'âge et la durée du décollement maculaire [27, 28]. Parmi ces facteurs, l'opérateur peut seulement agir sur la durée du décollement maculaire via le délai de réalisation de l'intervention chirurgicale. Van Bussel et al. rapportent, dans une méta-analyse publiée en 2014, que la réalisation d'une cryo-indentation dans les trois premiers jours après le soulèvement maculaire permet d'obtenir de meilleurs résultats fonctionnels que lorsqu'elle est différée au-delà de 3 jours [29]. Il apparaît donc qu'à la phase précoce du soulèvement maculaire, plus la durée du soulèvement maculaire est courte, meilleurs sont les résultats fonctionnels. L'intervention doit donc être réalisée précocement.

Au-delà d'une semaine de décollement maculaire, le pronostic fonctionnel est plus réservé. En 1982, Burton et al. rapportaient un déclin progressif non linéaire de l'acuité visuelle postopératoire sur une période de 1 à 79 jours [17]. Au-delà du cinquième jour, l'acuité visuelle diminuait à un taux de 1 ligne Snellen par semaine jusqu'à la fin du premier mois puis de 1 ligne pour chaque 10 à 11 jours supplémentaires. Ainsi au-delà du septième jour, le traitement chirurgical doit avoir lieu dans un délai de 7 à 10 jours.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

On distingue différentes formes de DRR en fonction des mécanismes physiopathologiques, des types de déhiscences et du terrain sur lequel il survient. Nous traitons ici uniquement les DRR de type primitif en excluant les DRR traumatiques (traité dans le chapitre 5.1.4 , incluant les DRR par dialyse à l'ora et les DRR par déchirure géante) et secondaires (pathologies dégénératives, rétinoschisis juvénile lié à l'X, uvéites).

DÉCOLLEMENT DE RÉTINE PAR DÉCHIRURE À CLAPET

Les décollements de rétine par déchirure à clapet (fig. 5-2-162) sont liés à une traction qu'exerce une bride de vitré sur la rétine (en regard du clapet). Ainsi, ces décollements sont dits vitréogènes. Ils représentent la majorité des DRR.

Fig. 5-2-162
Décollement de rétine rhegmatogène, vitréogène, bulleux nasal supérieur, macula-on (les flèches marquent les limites du décollement) sur déchirures à clapets multiples (têtes de flèche).
(Source : image du Dr Mané-Tauty, hôpital Lariboisière.)

L'examen clinique préopératoire s'attache à identifier la déchirure causale et les déchirures associées. Cette recherche peut être guidée par l'utilisation des lois de Lincoff [30]. On ne se limite pas à la visualisation d'une seule déhiscence, des déchirures multiples pouvant être retrouvées dans plus de 30 % des DRR [31].

Différents types de déchirures peuvent être décrits :

  • ±

    déchirure rétinienne à clapet en rétine saine le long de la partie postérieure de la base du vitrée. Le lambeau antérieur est resté solidaire de la rétine donnant un aspect en « U », en « V » ou « en fer à cheval » à la déchirure ;

  • ±

    déchirure operculée, lorsque le lambeau a été arraché. Il est observé à proximité de la déchirure qui prend un aspect de trou rond ;

  • ±

    déchirure rétinienne sur palissade ;

  • ±

    déchirure rétinienne avec vaisseau en pont souvent associée à une hémorragie intravitréenne.

DÉCOLLEMENT DE RÉTINE DU PSEUDO-PHAQUE

Environ un tiers des décollements de rétine opérés surviennent chez les sujets pseudo-phaques ou aphaques. L'incidence du DRR après chirurgie de cataracte se situe entre 0,3 et 2 % [7]. En cas de survenue d'une rupture capsulaire postérieure peropératoire, le risque de DRR serait augmenté environ d'un facteur 13 [32]. Les autres facteurs de risque de DRR du pseudo-phaque sont : le jeune âge, le sexe masculin, la myopie forte, les antécédents familiaux de DRR, les dégénérescences rétiniennes palissadiques et les déhiscences périphériques [10, 32, 33]. Il convient de signaler que la réalisation d'une capsulotomie au laser YAG s'accompagne d'un risque accru de DRR [11].

Le décollement de rétine du pseudo-phaque se caractérise par la présence de déchirures de petite taille, multiples et très antérieures. La visibilité de la périphérie rétinienne est parfois limitée du fait de plusieurs facteurs : dilatation pupillaire limitée, sclérose capsulaire antérieure et/ou postérieure, résidus de cortex dans le sac et dépôts cellulaires sur l'implant. Dans ce contexte, l'utilisation de lentilles grands champs contact ou non-contact permet une meilleure visualisation de la périphérie que le verre à trois miroirs de Goldmann.

DÉCOLLEMENT DE RÉTINE SUR TROU ATROPHIQUE

On oppose aux DRR vitréogènes, les DRR rétinogènes qui ne s'associent pas au décollement postérieur du vitré mais sont liés à des déhiscences primitives de la rétine sans traction du vitré. Les DRR rétinogènes comprennent les décollements sur trou atrophique (fig. 5-2-163) et sur dialyse à l'ora (traités séparément).

Fig. 5-2-163
Décollement de rétine rhegmatogène plan inférieur, rétinogène, macula-on infiltré (les flèches marquent les limites du décollement), sur multiples trous atrophiques (têtes de flèche).
(Source : image du Dr Mané-Tauty, hôpital Lariboisière.)

Les DRR sur trou atrophique concernent plus fréquemment des sujets jeunes, myopes et phaques ; ils représenteraient environ 15 % des décollements de rétine [34, 35]. Leur évolution lente est fréquemment asymptomatique jusqu'à l'atteinte de la macula entraînant une baisse d'acuité visuelle. La survenue d'une prolifération vitréorétinienne est exceptionnelle dans ce contexte.

DÉCOLLEMENT DE RÉTINE DU MYOPE FORT

La myopie forte est définie par une myopie supérieure à −6 D ou une longueur axiale supérieure à 26 mm. Les DRR du myope fort peuvent être liés à des déhiscences périphériques classiques mais peuvent également présenter des caractéristiques propres :

  • ±

    décollement de rétine par déhiscence postérieure : la déhiscence causale est alors retrouvée en arrière de l'équateur, classiquement en paravasculaire ;

  • ±

    décollement de rétine par trou maculaire : ces décollements se manifestent par une baisse d'acuité visuelle brutale associée à un scotome central positif d'apparition aiguë. L'examen OCT est d'une grande aide pour confirmer le diagnostic et le différencier d'un fovéoschisis du myope fort.

PROLIFÉRATION VITRÉORÉTINIENNE

Ce processus de cicatrisation anormale conduit à la formation de membranes sur les deux faces de la rétine décollée. Ces membranes au pouvoir contractile figent le décollement (fig. 5-2-164). La PVR est principalement associée aux déchirures à clapet. La durée et l'étendue du décollement semblent jouer un rôle [36]. La classification de la Retina Society est la plus fréquemment utilisée afin d'en stadifier la sévérité (tableau 5-2-51) [14]. C'est une complication grave des DRR, survenant dans 5 à 10 % des cas, car elle est un facteur majeur d'échec et de récidive [37]. Son traitement consiste en la dissection extensive de toutes les membranes. Lorsqu'elle est limitée, une indentation en complément de la vitrectomie peut permettre de diminuer les tractions qu'elle induit, enfin une rétinectomie peut s'avérer nécessaire pour obtenir la réapplication de la rétine.

Fig. 5-2-164
Décollement de rétine rhegmatogène total macula-off compliqué de prolifération vitréorétinienne CP3.
* : nœuds de prolifération vitréorétinienne.
(Source : Dr Mané-Tauty, hôpital Lariboisière.)

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

Il s'agit de (tableaux 5-2-52 et 5-2-53) :

  • ±

    décollement de rétine exsudatif ;

  • ±

    décollement de rétine tractionnel ;

  • ±

    rétinoschisis.

Tableau 5-2-52
Diagnostics différentiels du décollement de rétine (DR) rhegmatogène:caractéristiques du décollement de rétine et étiologies des décollements de rétine exsudatifs et tractionnels.
DR exsudatif DR tractionnel
Caractéristiques du DR
  • Aspect convexe avec une rétine souple et absence de déchirure

  • Mobilité gravitationnelle du DR:la rétine se décolle en fonction de la position de la tête (examen au casque)

  • Absence de plis intrarétiniens, surface lisse et non plissée de la rétine décollée

  • Absence de ligne de démarcation (DR rhegmatogène chroniques)

  • Absence de pigments intravitréens ( tobacco dust ou prolifération vitréorétinienne de stade A)

  • Présence d'exsudats rétiniens de contiguïté dans les formes chroniques

  • Aspect concave, peu mobile, dont l'extension est limitée, absence de déchirure Aspect en « gueule de loup » voir en « dessus de table » lorsque les rétractions sont majeures et la rétine sus- et sous-maculaire soudée par la fibrose au-dessus de la macula

  • Hémorragie intravitréenne fréquemment associée Décollement mixte:tractionnel et rhegmatogène. Déhiscence(s) secondaire(s) aux tractions. Le DR est alors mobile, convexe et s'étend vers l'ora

Étiologies
  • Inflammatoires:uvéites et sclérites postérieures, infectieuses et non infectieuses (maladie de Vogt-Koyanagi-Harada)

  • Tumorales:mélanomes choroïdiens, rétinoblastomes, métastases, hémangiomes

  • Vasculaires:maladie de Coats Épithéliopathie rétinienne diffuse

  • Rétinopathie diabétique proliférante

  • Occlusions veineuses

  • Maladie de Eales

  • Drépanocytose

  • Rétinopathie des prématurés

  • Vritéorétinopathie exsudative familiale

Tableau 5-2-53
Éléments cliniques et paracliniques permettant le diagnostic différentiel entre décollement de rétine rhegmatogène et rétinoschisis.
Caractéristiques Décollement de rétine rhegmatogène Rétinoschisis
Terrain Myopie forte, antécédents familiaux Hypermétropie fréquente
Localisation Unilatérale Bilatérale
Signes fonctionnels Symptomatiques Asymptomatiques
Scotome Relatif Absolu
Fond d'œil:
surface Plis rétiniens, mobiles ou fixés Lisse, kystique, immobile
ligne de démarcation Oui, si décollement de rétine chronique Absente
déhiscence Intéresse toute l'épaisseur rétinienne Intéresse le feuillet externe et/ou interne
pigments vitréens ou hémorragie Présents Absents
Indentation sclérale Rapproche la rétine de l'épithélium pigmentaire Ne peut pas rapprocher les feuillets interne et externe
Test laser Ne marque pas Marque
OCT Décollement entre la rétine neurosensorielle et l'épithélium pigmentaire Aspect microkystique et de « travées » étirées entre la rétine interne et externe Restes de rétine externe sur le plan de l'épithélium pigmentaire

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE

Le traitement d'un DRR est chirurgical. Cette chirurgie a pour objectif d'occlure les déhiscences en remettant en contact la rétine neurosensorielle avec l'épithélium pigmentaire. Dans l'attente de l'intervention, le patient doit être positionné de façon à limiter la progression du décollement (tête penchée du côté de la déhiscence la plus grande) et doit recevoir une consultation d'anesthésie. L'intervention a lieu sous anesthésie locale (péribulbaire, caronculaire ou sous-ténonienne) le plus souvent, ou parfois sous anesthésie générale. Plusieurs techniques chirurgicales ont été décrites : vitrectomie par la pars plana, cryo-indentation (éventuellement combinées) et rétinopexie pneumatique. Bien que chaque technique chirurgicale présente des avantages et inconvénients, il n'y a pas de consensus sur la meilleure approche chirurgicale à l'heure actuelle.

CRYO-INDENTATION

La chirurgie de cryo-indentation consiste à suturer un explant en silicone à la paroi sclérale en regard des déhiscences, ceci afin de déformer la paroi oculaire et d'en inverser la courbure. La saillie sclérale qui en résulte permet de relâcher la traction qu'exerce le vitré sur la rétine et de remettre en contact l'épithélium pigmentaire et la rétine neurosensorielle à hauteur de la déhiscence. L'injection d'une bulle de gaz en cavité vitréenne peut compléter le geste afin d'obtenir la mise en contact de la rétine neurosensorielle avec l'épithélium pigmentaire, notamment dans les décollements de rétine très bulleux et après une ponction de liquide sous-rétinien abondante (DACE ou drain-air [gas]-cryopexy-explant ). Une soudure entre la rétine neurosensorielle, l'épithélium pigmentaire et la choroïde (rétinopexie) est obtenue par cryo-application par voie externe sur les bords de la déhiscence [7].

VITRECTOMIE

Cette technique par voie interne se pratique à l'aide de trois microincisions (vitrectomie 3 voies) permettant de retirer le vitré et de libérer les tractions vitréennes au niveau des clapets des déchirures (fig. 5-2-165). Par le biais d'échanges liquidiens et gazeux intra-oculaires, la réapplication de la rétine au niveau des déhiscences est obtenue en fin d'intervention. Une rétinopexie est réalisée par photocoagulation au laser ou par cryo-application par voie externe. Cette chirurgie implique l'utilisation systématique d'un tamponnement en fin d'intervention. Ce tamponnement peut être gazeux ou par huile de silicone [7]. Trois types de gaz peuvent être utilisés en fonction de la durée de tamponnement requise. Le SF6 (hexafluorure de soufre) est dilué à 20 % et se résorbe en environ 2 semaines, le C2F6 (hexafluoroéthane) est dilué à 17 % et se résorbe en 4 à 6 semaines et le C3F8 (octafluoropropane) est dilué à 12 % et se résorbe en 6 à 8 semaines. Le patient ne pourra séjourner en altitude (au-dessus de 1 000 m), ni prendre l'avion tant qu'un tamponnement gazeux est présent. Un tamponnement par silicone implique une seconde intervention pour retirer ce tamponnement.

Fig. 5-2-165
Rétinophotographie grand champ postopératoire d'un décollement de rétine rhegmatogène traité par vitrectomie endolaser et tamponnement intra-oculaire par gaz.
Persistance d'une bulle de gaz en cavité vitréenne à 1 mois postopératoire.
(Source : Dr Mané-Tauty, hôpital Lariboisière.)

QUELLE TECHNIQUE CHIRURGICALE EN PREMIÈRE INTENTION ?

Il n'y a pas d'approche chirurgicale de référence dans le traitement du DRR. L'un des principaux avantages de la chirurgie de cryo-indentation est de ne pas induire de cataracte contrairement à la chirurgie de vitrectomie. Une récente méta-analyse montrait de meilleurs résultats fonctionnels à 6 mois ou plus dans le groupe de patients phaques traités par chirurgie de cryo-indentation comparé au groupe vitrectomie, avec des taux de réapplication similaires. Ces résultats s'expliquent principalement par la progression de la cataracte dans le groupe vitrectomie [38]. Pour cette raison, la possibilité de pratiquer une cryo-indentation doit systématiquement être considérée chez un sujet phaque, d'autant plus qu'il est jeune (moins de 55 ans), non presbyte et qu'il présente un cristallin clair. Par ailleurs, cette chirurgie permet d'obtenir d'excellents résultats anatomiques dans certaines indications telles que les DRR rétinogènes [39].

D'un autre côté, cette technique chirurgicale peut s'avérer limitée dans certaines situations pour lesquelles il sera préférable de recourir à une chirurgie par voie ab interno : troubles des milieux et mauvaise visibilité de la périphérie rétinienne, déhiscences de grande taille, déhiscences rétiniennes multiples étagées, déhiscences postérieures et PVR étendue. Lorsqu'un geste endoculaire doit être associé ou lorsqu'il existe une scléromalacie diffuse, la voie de vitrectomie est également privilégiée [7]. Enfin, les récents progrès de la technique de vitrectomie par la pars plana ont rendu cette chirurgie plus accessible et, à l'heure actuelle, plus de 70 % des DRR sont opérés par vitrectomie par la pars plana [1, 40]. On peut noter que chez les sujets pseudo-phaques, plusieurs études ont rapporté que cette technique chirurgicale permettrait d'obtenir de meilleurs résultats anatomiques [41–43]. Au final, le choix entre la voie interne et la voie externe est subjectif, et lié aux habitudes et à l'expérience du chirurgien.

PRONOSTIC
ANATOMIQUE

L'évolution des techniques chirurgicales a permis d'améliorer le pronostic anatomique des DRR avec des taux de réapplication finaux d'environ 95 %, dont 70 à 90 % obtenus après une seule intervention. Les principales causes de l'échec anatomique sont les déhiscences non traitées ou secondaires et le développement d'une PVR [1, 44, 45].

FONCTIONNEL

Sur le plan fonctionnel, il est établi que le principal facteur déterminant le pronostic visuel final est le statut maculaire préopératoire avec une récupération fonctionnelle limitée en cas de décollement fovéal [2, 3, 17-24]. Globalement, environ 90 % des yeux traités avec succès d'un DRR macula-on récupèrent une acuité visuelle finale supérieure ou égale à 5/10. À l'opposé, seulement 50 % des yeux traités d'un DRR macula-off atteignent une acuité visuelle finale de 4/10 [45].

PRÉVENTION

Actuellement, la seule mesure préventive communément admise est le traitement des déchirures symptomatiques par photocoagulation au laser. L'incidence du DRR dans ce contexte serait réduite de 35-47 % à 2,1-8,8 % [46]. Cette mesure n'éliminant pas le risque de DRR, le patient doit avant tout être informé des symptômes devant le conduire à consulter en urgence, ceci afin de prendre en charge, avant extension, une déchirure ou un décollement de rétine limité. Enfin, l'unique précaution que peuvent prendre les patients à risque est d'éviter toute contusion oculaire.

CONCLUSION

Le DRR est une pathologie potentiellement cécitante dont le pronostic anatomique et fonctionnel a considérablement été amélioré par le perfectionnement des techniques chirurgicales. L'analyse initiale des caractéristiques du décollement doit permettre de déterminer le degré d'urgence et les modalités chirurgicales de la prise en charge afin de garantir le meilleur pronostic anatomique et fonctionnel final. Les décollements de rétine macula-on aigus sont traités prioritairement, alors que les décollement anciens macula-off combinés à une PVR sont d'emblée associés à un pronostic limité et doivent bénéficier d'une prise en charge programmée dans les meilleures conditions.

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Hémorragies intra-oculaires non traumatiques

M. LEHMANN

L'incidence de l'hémorragie intravitréenne (HIV) est approximativement de 7 pour 100 000 personnes par an [1].

Les trois étiologies principales sont le décollement postérieur du vitré (DPV) avec ou sans déchirure (avec ou sans décollement de rétine), la rétinopathie diabétique et les traumatismes oculaires (59,8–88,5 %) [2].

PRÉSENTATION CLINIQUE
CONTEXTE
Terrain

Il n'y a pas de sexe ou d'âge prédisposant, sinon que l'âge moyen du DPV est au-delà de 60 ans.

Antécédents spécifiques

L'interrogatoire précise les antécédents et le terrain : antécédents cardiovasculaires (hypertension artérielle, arythmie, etc.), diabète, rétinopathie proliférante (diabète, occlusion veineuse, hémoglobinopathie, uvéite), dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), tumeur vasculaire rétinienne ou choroïdienne, traitement anti-agrégant plaquettaire ou anticoagulant. Ce dernier majore le risque d'HIV de 30 % lors du DPV [3], alors qu'un antécédent de DMLA majore ce risque de 12 fois [4].

Circonstances de survenue

La survenue peut être spontanée, au cours du DPV, d'un effort de poussée, de l'équilibration rapide d'un diabète en cas de rétinopathie diabétique proliférante ou au cours d'une panphotocoagulation rétinienne.

EXAMEN CLINIQUE
Signes fonctionnels

  • ±

    Généraux : aucun.

  • ±

    Spécifiques : brutalement, le patient présente une anomalie visuelle à type de : baisse d'acuité visuelle (BAV) parfois jusqu'à une vague perception lumineuse, le plus souvent unilatérale et indolore ; sensation de pluie de suie ; myodésopsies (mouches volantes mobiles) lors des mouvements oculaires ; toiles d'araignée. L'intensité de l'anomalie visuelle dépend de l'intensité et de la localisation de l'HIV [5]. Un phosphène localisé est évocateur de déchirure rétinienne. Une amputation du champ visuel ou un voile fixe évoquent un décollement de rétine (DR).

Signes physiques

L'examen de l'œil controlatéral est utile pour poser le diagnostic. Il faut évaluer la BAV, puis l'examen à la lampe à fente recherche un Tyndall hématique ou un hyphéma, une rubéose irienne uni- ou bilatérale. La prise de tension oculaire renseigne sur une hypotonie évocatrice de décollement de rétine, ou hypertonie dans le cadre d'un glaucome secondaire à angle ouvert par encombrement trabéculaire par les cellules hématiques ( ghost cell glaucoma ). Le fond d'œil évalue la densité de l'HIV, visualise la périphérie rétinienne à la recherche de déchirure ou d'une rétinopathie ischémique (hémorragies rétiniennes en taches, vaisseaux déshabités), principalement supérieure en raison de la sédimentation du sang en inférieur par l'effet de la gravité. Dans plus de 60 % des cas, les déchirures rétiniennes sont supérieures [6–8]. Un examen au verre à trois miroirs peut être utile, surtout chez le patient phaque.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

L'échographie oculaire est indispensable en cas de fond d'œil non totalement accessible [9]. Elle permet un bilan lésionnel, diagnostique, étiologique et pronostique. Elle évalue la densité de l'hémorragie intravitréenne, la présence d'un DPV complet ou partiel, d'une ou de plusieurs déchirures rétiniennes, d'un arrachement vasculaire ou d'un DR. Dans un but étiologique, il faut rechercher une masse tumorale rétinienne ou choroïdienne, des voiles de prolifération prérétiniens, un DR. Une évaluation cinétique peut différencier une hyaloïde postérieure densifiée d'un DR. Il arrive que le diagnostic ne soit posé que lors du suivi (jusqu'à 14 % des cas) [10].

TYPE D'URGENCE
DÉLAI MAXIMAL DE PRISE EN CHARGE

Le triage de prise en charge (PEC) est raisonnablement de catégorie 4. Il pourrait être de catégorie 5 voire 6 selon l'étiologie de l'hémorragie intravitréenne, mais qui n'est pas nécessairement connue à la présentation du patient aux urgences.

En cas de DPV aigu :

  • ±

    une intervention dans les 24 heures (au mieux dans les premières 48 heures) est préconisée en cas de déchirure accessible à un traitement par laser externe, décollement de rétine, déchirure à bords soulevés ;

  • ±

    si ni le fond d'œil ni l'échographie ne retrouvent de déchirure, une surveillance initiale peut être proposée ;

  • ±

    en cas de rétinopathie proliférante, le traitement peut être réalisé dans les 15 jours et sera accéléré en fonction de plusieurs critères : présence d'une rubéose irienne ou a fortiori d'un glaucome néovasculaire ; œil controlatéral atteint ; absence de photocoagulation rétinienne préexistante.

PRISE EN CHARGE URGENTE D'UNE HÉMORRAGIE INTRAVITRÉENNE JUSTIFIÉE

La PEC en urgence de l'HIV se justifie par le risque d'apparition ou de sous-estimation d'un DR (jusqu'à 39 % en cas d'HIV dense) [6], ainsi que l'aggravation du pronostic fonctionnel d'un DR par la prolifération vitréorétinienne (PVR) qu'elle peut entraîner [11]. Elle se justifie aussi par la nécessité de traiter la pathologie sous-jacente mettant en jeu le pronostic fonctionnel de l'œil. Elle évite de retarder le diagnostic d'une pathologie tumorale préexistante méconnue. Enfin, elle prévient du risque de complication en absence de prise en charge (glaucome à cellule fantôme ou hémolytique) [12, 13].

SIGNES PARACLINIQUES SPÉCIFIQUES
BIOLOGIE

Une numération formule sanguine (NFS) peut être proposée pour éliminer une hémopathie en cas de signe de gravité sur l'œil atteint ou l'œil controlatéral.

IMAGERIE

L'échographie oculaire en cas de fond d'œil non accessible permet d'évaluer la densité de l'HIV, la présence d'un DPV complet ou partiel, associé ou non à une(des) déchirure(s), et recherche un DR à traiter en urgence. En effet, sa sensibilité à détecter une déchirure varie de 44 à 92 % [7, 8, 14]. Cette sensibilité diminue fortement avec la taille de la déchirure. Dans les autres cas, elle évalue le statut vitréen des pathologies prolifé-ratives, la localisation rétro-hyaloïdienne ou le cloisonnement de l'hémorragie et s'attache à éliminer une tumeur rétinienne ou choroïdienne.

Une angiographie par tomodensitométrie (angio-TDM) cérébrale et une tomodensitométrie (TDM) cérébrale sont indiquées en cas d'HIV bilatérale avec suspicion clinique d'hémorragie méningée (syndrome de Terson).

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

La prévalence des étiologies est très variable d'une étude à l'autre, selon les pays et l'âge moyen de la population étudiée [2]. Dans l' encadré 5-2-18 , seules les causes les plus fréquentes sont évoquées. Par ailleurs, le diagnostic n'est pas toujours posé lors de la première consultation. Dans une étude prospective conduite par Lindgren et al. [1], le diagnostic étiologique ne pouvait être donné lors de la consultation aux urgences que dans 32,6 % des cas (contre 79 % pour Lean et Gregor) [10]. Dans les autres cas, seuls 58 % des yeux pouvaient prétendre à un diagnostic initial (qui n'était confirmé que dans 70 % des cas à la fin du suivi).

Encadré 5-2-18
Étiologie des hémorragies intravitréennes

Œil controlatéral normal

  • Décollement postérieur du vitré aigu

  • Occlusion veineuse rétinienne

  • Macroanévrisme artériel

  • Rétinopathie de Valsalva

  • Maladie de Coats

  • Tumeur rétinienne vasculaire ou choroïdienne de grande taille

Œil controlatéral anormal

  • Rétinopathie diabétique proliférante

  • Dégénérescence maculaire liée à l'âge

  • Hémoglobinopathies (drépanocytose)

  • Syndrome de Terson

  • Hémopathie

ŒIL CONTROLATÉRAL STRICTEMENT NORMAL

On évoque :

  • ±

    un DPV aigu (première cause d'HIV) avec déchirure (22,7-37,3 %) ou sans déchirure associée (3,7-11,7 %) [1, 10]. Un DR peut être associé dans 5 à 15 % des cas [1, 15-18]. En cas de DPV aigu avec HIV, la probabilité d'avoir au moins une déchirure varie de 67 à 72 % [1, 6]. Ces déchirures sont essentiellement en fer à cheval (73 %) plutôt que des trous operculés, antérieures à l'équateur, et essentiellement en supérieur [6, 8, 19]. Une autre série retrouve des déchirures inférieures dans près de 40 % (fig. 5-2-166) [7] ;

    Fig. 5-2-166
    Rétinophotographie d'un œil droit présentant une hémorragie intravitréenne en cours de résorption.
    L'échographie oculaire ne retrouve pas de déchirure. Le fond d'œil laisse apercevoir au cours du suivi le soulèvement d'une veine nasal à l'origine du saignement (flèche blanche).

  • ±

    une occlusion veineuse rétinienne compliquée d'une ischémie rétinienne et de néovaisseaux prérétiniens (10-16 %) [1, 16, 17]. L'occlusion de branche veineuse rétinienne (OBVR) est la cause la plus fréquente d'HIV opérées par vitrectomie sans diagnostic préopératoire (43,8 %) [20]. Une autre série a retrouvé une fréquence plus importante d'OBVR (59 %) que d'hémi-veine centrale (35 %) et que de veine centrale (6 %) [21] ;

  • ±

    un macroanévrisme artériel (7-10 %) [1, 22], essentiellement chez les sujets hypertendus de plus de 60 ans (patients les plus âgés présentant une HIV) [15] ;

  • ±

    une rétinopathie de Valsalva, provoquée par une rupture d'un capillaire superficiel du pôle postérieur, secondaire à une augmentation brutale de la pression intra-abdominal ou intrathoracique à glotte fermé, réalisant une augmentation de la pression veineuse [23] (fig. 5-2-167) ;

    Fig. 5-2-167
    Hémorragie rétro-hyaloïdienne de Valsalva au cours d'un effort de poussée.
    (Source : Dr B. Wolff.)

  • ±

    une maladie de Coats (≤ 1 %) [1] ;

  • ±

    une tumeur rétinienne vasculaire (2 %) ou choroïdienne (mélanome de grande taille, 1 %) [1, 24].

ŒIL CONTROLATÉRAL ANORMAL

Il faut évoquer :

  • ±

    en première intention, une rétinopathie diabétique proliférante compliquée (19,1-34,7 %) [1, 15-17]. Sa fréquence est de 63 % en cas d'HIV bilatérale (fig. 5-2-168) [15] ;

    Fig. 5-2-168
    Hémorragie intravitréenne pré- et postopératoire.
    a. Rétinophotographies préopératoires d'un œil droit présentant une hémorragie intravitréenne dense en rapport avec une prolifération fibrovasculaire prépapillaire chez une patiente diabétique avec 12 % d'HbA1C. b. Après vitrectomie, dissection et panphotocoagulation rétinienne, de l'huile de silicone est mise en place devant la présence d'un décollement de rétine tractionnel.

  • ±

    une DMLA (1-4,3 %) [1, 10, 15, 16] : voir chapitre 5.2.4 , paragraphe « Prise en charge d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge exsudative aux urgences » ;

  • ±

    une maladie de Eales, une vascularite ischémique [25] ;

  • ±

    une hémoglobinopathie de type drépanocytose (1 %) [1, 10, 16]. L'âge moyen chez ces patients est de 39 ans [15]. Cette HIV est présente à partir du stade IV de la classification de Goldberg [26] ;

  • ±

    un syndrome de Terson (< 1 %) correspondant à une hémorragie intra-oculaire (prérétinienne, intravitréenne, intrarétinienne ou sous-rétinienne) accompagnant un saignement intracrânien [1, 10, 15, 16] ;

  • ±

    une hémopathie [27].

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS ESSENTIELS

Il s'agit essentiellement de la hyalite (au cours d'une uvéite intermédiaire et/ou postérieure) et de l'endophtalmie. Il faut également évoquer la hyalopathie astéroïde (dans laquelle il existe une répartition homogène des dépôts contrairement à l'HIV où les hématies sédimentent) et l'amylose vitréenne.

Enfin, toutes les hémorragies limitées aux couches prérétiniennes et intrarétiniennes sont des diagnostics différentiels urgents (rétinites infectieuses, endophtalmies endogènes, etc.).

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE ET SURVEILLANCE
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

La prise en charge d'une hémorragie du vitré est dépendante de l'étiologie. Mais le traitement de référence reste actuellement la vitrectomie, quel que soit son délai de réalisation. Son but est à la fois optique et étiologique, afin de prendre en charge la cause de ce trouble des milieux.

La décision thérapeutique dépend de la gêne fonctionnelle, de l'évolution spontanée et des risques évolutifs. Historiquement, le traitement d'une HIV de cause inconnue était conservateur [2, 28] ; désormais, le délai de prise en charge chirurgicale se raccourcit par le caractère mini-invasif des vitrectomies actuelles et la diminution de l'incidence des complications postopératoires.

Décollement postérieur du vitré aigu (fig. 5-2-169)
HÉMORRAGIE INTRAVITRÉENNE PEU ABONDANTE

S'il n'existe pas de déchirure (lorsque le fond d'œil n'est pas gêné par le sang) ou si cette dernière a été traitée par du laser externe, une surveillance de l'éclaircissement de la cavité vitréenne peut se faire tous les 15 jours par un fond d'œil simple. Du repos et une hydratation importante seraient un moyen d'accélérer la résorption des hématies. Cette dernière a généralement lieu en 1 à 3 mois. Une vitrectomie peut alors être discutée en cas d'opacités vitréennes résiduelles (parfois jusqu'à 39 % des cas) [6].

Fig. 5-2-169
Conduite à tenir pour la prise en charge thérapeutique d'une hémorragie intravitréenne au cours d'un décollement postérieur du vitré.
DPV : décollement postérieur du vitré ; DR : décollement de rétine ; FO : fond d'œil ; HIV : hémorragie intravitréenne.

Si la déchirure n'est que partiellement accessible à un traitement externe, une surveillance rapprochée à 48–72 heures peut être proposée afin de compléter le laser après résorption du sang.

Une vitrectomie peut alors être discutée en cas d'impossibilité de complément de laser, de soulèvement des bords de la déchirure ou de DR.

HÉMORRAGIE INTRAVITRÉENNE ABONDANTE ET RÉTINE NON ACCESSIBLE AU FOND D'ŒIL

Si l'échographie ne retrouve pas de déchirure rétinienne, une surveillance initiale et rapprochée par échographie peut être proposée dans les 7 à 14 jours. Jusqu'à 46 % des déchirures peuvent passer inaperçues à l'échographie [7].

Si à l'échographie, une ou plusieurs déchirures sont retrouvées, le risque de DR chez ces patients est élevé (18-39 %) [6, 8]. Dans ce cas ou en cas de DR, une vitrectomie est alors réalisée en urgence.

Une vitrectomie est indiquée d'emblée :

  • ±

    en cas d'HIV dense limitant l'acuité visuelle au mouvement de la main (dans une étude rétrospective, 67 % des yeux avec HIV dense avaient au moins une déchirure et 39 % un DR associé) [6] ;

  • ±

    chez un patient présentant un antécédent d'HIV du même côté ou un DR controlatéral, le risque de décollement de rétine s'élevant à 75 % [6]. En cas de déchirure controlatérale, le risque est de 54 % [6].

En cas de rétinopathie proliférante

Le délai de prise en charge chirurgical initial dépend des facteurs cliniques évoqués précédemment. Le premier temps opératoire consiste en une vitrectomie avec ouverture de la hyaloïde postérieure en moyenne périphérie, puis une dissection par segmentation et délamination des voiles de prolifération fibrovasculaires. Enfin, on pratique une photocoagulation panrétinienne peropératoire par l'endolaser. Des déchirures rétiniennes pré- et peropératoire sont traitées par rétinopexie au laser et tamponnées par un gaz à résorption lente, type SF6 (hexafluorure de soufre). Un traitement préopératoire par une injection intravitréenne d 'anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF) peut être proposé 8 jours avant la chirurgie notamment en cas de proliférations fibrovasculaires étendues et actives, ou de rubéose irienne, pour faciliter la chirurgie [29]. Il peut également être associé en fin d'intervention pour diminuer le risque de saignement postopératoire [30].

CHIRURGIE URGENTE DANS LES 15 JOURS

La chirurgie s'envisage si l'HIV est associée à une rubéose irienne ou des proliférations fibrovasculaires importantes avec DR tractionnel, devant le risque important d'évolution à court terme vers un glaucome néovasculaire ou un DR maculaire [31].

CHIRURGIE SEMI-URGENTE DANS LE MOIS

Cette chirurgie concerne les patients jeunes, monophtalmes ou diabétiques de type 1 [31], en cas d'absence de panphotocoagulation rétinienne, de présence d'une hémorragie rétrohyaloïdienne prémaculaire où le risque de rétraction est majeur [32], ou de récidive trop fréquente de l'HIV.

CHIRURGIE RETARDÉE DANS LES 3 MOIS

Cette chirurgie est proposée chez les patients n'ayant pas ces facteurs de gravité, ou n'ayant pas de résorption complète du sang. Enfin, en cas de nouvelle complication hémorragique une chirurgie pourra être proposée.

Autres

Dans les autres cas, le traitement peut n'être qu'une simple surveillance, tout en prenant en charge la pathologie causale (hémopathie). La rétinopathie de Valsalva peut spontanément s'améliorer avec le temps, mais un drainage de l'hématome au laser neodymium-doped yttrium aluminium garnet (Nd:YAG) peut être envisagé [33]. Le déplacement pneumatique d'un hématome sous-rétinien après un délai de liquéfaction peut être proposé en cas de DMLA ou de macroanévrisme ayant saigné. Lors des hémoglobinopathies ou maladie de Coats, la vitrectomie est associée à un traitement laser des télangiectasies et des zones non perfusées responsables des néovaisseaux qui saignent. Enfin, en cas de syndrome de Terson, il peut être utile d'ouvrir la membrane limitante interne pour drainer le sang lors de la vitrectomie.

PRONOSTIC

Le pronostic de l'HIV et son histoire naturelle dépendent de la pathologie étiologique sous-jacente. Le pronostic est meilleur en cas de déchirure rétinienne, DPV ou OBVR [1, 10].

En cas de déchirure rétinienne dans un contexte de DPV, l'éclaircissement de l'HIV se fera à une vitesse d'environ 1 % par jour [34], et le sang aura tendance à se résorber plus rapidement s'il est rétro-hyaloïdien. Dans la série de Sarrafizadeh et al., l'acuité visuelle finale est de 20/62, avec 50 % des yeux ayant une acuité visuele de plus 20/40, alors que 39 % des yeux présentaient un DR [6]. Le risque de PVR (jusqu'à 19 %) est directement lié à la quantité et à la persistance du sang dans la cavité vitréenne [6, 35, 36].

Les récidives hémorragiques sont peu fréquentes même si on assiste souvent en postopératoire précoce à une persistance de l'HIV par relargage d'hématies piégées dans le vitré résiduel. Cette dernière se nettoie spontanément et rapidement dans la majorité des cas.

En revanche, en cas de rétinopathie diabétique proliférante, le pronostic est moins bon en raison du risque de re-saignement postopératoire et de DR tractionnel préopératoire [31]. Une amélioration visuelle est néanmoins obtenue dans 60 à 83 % des cas [37]. Ratnarajan et al. ont retrouvé une acuité visuelle moyenne à 6 mois post-vitrectomie d'environ 4/10 chez des patients diabétiques de type 2, et de 6/10 chez des patients diabétiques de type 1 [38]. La récidive postopératoire d'HIV est fréquente en cas de diabète : entre 12 et 63 % selon les études [18, 39]. Il est possible de diminuer sa fréquence par des injections intravitréennes d'anti-VEGF peropératoires, l'endodiathermie et la panphotocoagulation rétinienne qui réduit également le risque de rubéose irienne secondaire. De même, en cas de DMLA, le pronostic fonctionnel est plus sombre en raison des lésions rétiniennes induites par l'hémorragie sous-rétinienne [1, 40].

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5.3
Urgences neuro-ophtalmologiques

5.3.1 QU'EST-CE QU'UNE URGENCE NEURO-OPHTALMOLOGIQUE ?

C. VIGNAL-CLERMONT

Points forts

  • Les pathologies vasculaires aiguës (accident vasculaire cérébral, thrombophlébite cérébrale, anévrisme, dissection, malformation vasculaire), les compressions rapidement évolutives (anévrisme, apoplexie pituitaire, hématome et, plus largement, hypertension intracrânienne aiguë), les urgences infectieuses (mucormycose, méningite), les artérites cérébrales (en particulier la maladie de Horton), la maladie de Gayet-Wernicke et la myasthénie généralisée sont des urgences qui ont un score de prise en charge (PEC) de catégorie 1 (sans délai) et un score selon la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) de 2 à 3.

  • Leur suspicion dès l'interrogatoire impose une prise en charge infirmière et une intervention médicale immédiate, souvent en partenariat avec les équipes de neuro-imagerie et de neurologie.

Les signes fonctionnels liés à une urgence dite « neuro-ophtalmologique », c'est-à-dire les symptômes ophtalmologiques témoins d'une pathologie cérébrale potentiellement grave, sont variés et parfois banals (tableau 5-3-1), or ces urgences peuvent engager rapidement le pronostic vital ou être responsables de séquelles fonctionnelles. Pour dépister une telle urgence, la démarche diagnostique se doit d'être rigoureuse.

Tableau 5-3-1
Signes fonctionnels et physiques courants pouvant être associés à un item d'urgence neuro-ophtalmologique et menacer le pronostic fonctionnel, voire vital.
Douleur Céphalées Anomalie visuelle Diplopie Oscillopsie DPAR Trouble oculomoteur Ptosis Exophtalmie Myosis Mydriase OP Signe spécifique
Urgences vitales
Fistule carotidocaverneuse Atteinte V, chémosis
Anévrisme terminocarotidien ✓ III
AIT vertébrobasilaire Troubles de l'équilibre
Dissection carotidienne
Thrombophlébite du sinus caverneux ✓ VI puis III Hyperthermie, atteinte IV et V
Cellulite orbitaire rétroseptale Inflammation orbitaire
Cérébellite Syndrome méningé + ataxie cérébelleuse
Hypertension intracrânienne ✓ VI
Syndrome méningé (hémorragie, infection) ✓ VI Nuque raide
HTA maligne Anomalies de la rétine
Neuropathie optique toxique au méthanol Nausées/vomissement, altération de l'état de conscience
Apoplexie pituitaire ✓ III, IV, VI Brutale, altération de l'état de conscience, HTIC
Syndrome de Parinaud
Encéphalopathie de Gayet-Wernicke Ataxie + encéphalopathie
Mucormycose rhinocérébrale Immunodépression
Myasthénie Variabilité +++, pupille normale
Botulisme
Neuroblastome paravertébral CBH
Exophtalmies tumorales de l'enfant
Urgences visuelles
OACR Carotide, maladie de Horton, cœur
Infarctus occipital
NOIA (maladie de Horton) ✓ III Syndrome inflammatoire, AEG, PPR, claudication de la mâchoire, signe du peigne
Traumatisme/hématome orbitaire Signes de neuropathie optique si compressive
Symptômes
Signes d'examen
AEG:altération de l'état général; AIT:accident ischémique transitoire; CBH:syndrome de Claude Bernard-Horner; DPAR:déficit afférant pupillaire relatif; HTA:hypertension artérielle; HTIC:hypertension intracrânienne; NOIA:neuropathie optique ischémique antérieure; OACR:occlusion de l'artère centrale de la rétine; OP:œdème papillaire; PPR:pseudopolyarthrite rhizomélique.

D'abord, le ou les symptômes aigus motivant la consultation sont analysés pour localiser la lésion causale grâce à un interrogatoire et un examen clinique précis. Une anomalie d'acuité visuelle, une anomalie du champ visuel (CV) ou des phénomènes visuels positifs à type d'illusions ou d'hallucinations localisent la lésion sur la voie visuelle sensorielle qui va de la rétine au cortex occipital. Le mode de survenue et la topographie des anomalies sensorielles ainsi que le CV réalisé en urgence complètent cette analyse topographique. De même, une diplopie binoculaire ou une oscillopsie traduisent une atteinte des voies oculomotrices que l'examen clinique aide à localiser.

Ensuite, les symptômes sont à replacer dans le « contexte du patient » : son âge, ses antécédents personnels et familiaux et les traitements en cours. Cette étape permet d'évoquer un mécanisme : vasculaire, inflammatoire, compressif ou infiltratif (tumoral ou par hypertension intracrânienne), infectieux, traumatique, toxique, métabolique et/ou héréditaire.

Enfin, les examens sont programmés en fonction du degré d'urgence.

Pour chaque pathologie neuro-ophtalmologique urgente, nous détaillons dans ce sous-chapitre les symptômes et signes pouvant traduire cette pathologie, son étiologie et sa prise en charge.

5.3.2 TROUBLES VISUELS TRANSITOIRES ET PERMANENTS

F.-X. BORRUAT

Points forts

  • Urgences vitales :

    • apoplexie pituitaire;
    • mucormycose rhinocérébrale;
    • neuropathie optique toxique au méthanol.
  • Urgences visuelles :

    • maladie de Horton (occlusion de l'artère centrale de la rétine ou neuropathie optique ischémique antérieure);
    • traumatisme/hématome orbitaire;
    • infarctus occipital.

Une situation devient urgente lorsque le pronostic vital et/ou le pronostic visuel du patient est engagé, ou bien parce que le symptôme est inquiétant, survenant de manière aiguë. Ce sous-chapitre ne traite que des situations aiguës les plus fréquentes ou les plus importantes que le praticien peut rencontrer dans une pratique courante. Le but est que le praticien puisse rapidement identifier quel patient est à investiguer et/ou traiter en urgence afin de prévenir des complications systémiques (mucormycose, apoplexie pituitaire, intoxication au méthanol) ou ophtalmologiques (hémorragie orbitaire, maladie de Horton, phénomènes thromboemboliques, ischémie occipitale aiguë).

Trouble visuel monoculaire transitoire

Ce symptôme signe une dysfonction localisée en avant du chiasma (rétine ou nerf optique) et traduit le plus souvent un trouble ischémique transitoire de la rétine et/ou du nerf optique [1]. Le mécanisme sous-jacent est soit des phénomènes thromboemboliques, soit une hypoperfusion artérielle systémique ou survenant dans le cadre d'une vasculite. L'examen du fond d’œil peut être normal ou montrer la présence d'emboles artériels ou d'exsudats cotonneux (fig. 5-3-1).

Fig. 5-3-1
Embole rétinien et exsudat cotonneux.
a, b. Photographies de fond d’œil montrant la présence d'un embole artériel rétinien de type cholestérol chez un patient qui a présenté un épisode d'amaurose fugace mais dont la fonction visuelle est maintenant normale. L'embole est typiquement localisé à une bifurcation artérielle ( a, flèche). Deux jours plus tard, le patient est toujours asymptomatique et l'embole a migré jusqu’à la prochaine bifurcation artérielle ( b, flèche). c. Exemple d'un embole de type fibrino-plaquettaire, moulant l'artère temporale supérieure de ce patient (flèches). d. Autre patient ayant présenté une amaurose fugace, dont l'examen du fond d’œil révèle la présence d'un exsudat cotonneux (infarcissement localisé de la couche des fibres nerveuses) (flèche).

INTERROGATOIRE

  • ±

    L'anomalie visuelle survient brutalement, sans « marche migraineuse ».

  • ±

    La durée de l'anomalie visuelle est typiquement de quelques secondes à quelques minutes pour une ischémie transitoire rétinienne.

  • ±

    L'amputation du champ visuel est classiquement à type de fermeture de diaphragme, d'amputation altitudinale, voire de cécité totale.

  • ±

    Si le patient est âgé de 60 ans ou plus, il faut toujours évoquer la possibilité d'une maladie de Horton (tableau 5-3-1 et encadré 5-3-1) [2].

    Encadré 5-3-1

    Maladie de Horton : points importants

    Patient âgé de 60 ans ou plus, il faut exclure formellement la possibilité d'une maladie de Horton.

    • Interrogatoire : céphalées inhabituelles, brûlures du scalp, scapulalgies, sudations nocturnes, perte de poids, inappétence, claudication de la mâchoire.

    • Angiographie rétinienne (fluorescéine et/ou vert d'indocyanine) à la recherche d'une hypoperfusion choroïdienne.

    • Examens sanguins : VS, CRP, plaquettes; éventuellement, Doppler couleur des artères temporales, à la recherche d'un signe du halo.

    • Biopsie de l'artère temporale.

    • Corticostéroïdes à haute dose (prednisone 1 mg/kg/j per os ou méthylprednisolone 500-1000 mg/j intraveineux) dès que la suspicion est présente, sans attendre la réalisation de la biopsie d'artère temporale.

INVESTIGATIONS

Les investigations nécessaires incluent :

  • ±

    un examen du champ visuel, typiquement normal en cas d'anomalie visuelle transitoire;

  • ±

    un examen du fond d’œil;

  • ±

    un dosage de la vitesse de sédimentation (VS), de la C-reactive protéine (CRP) et des plaquettes en cas de suspicion de maladie de Horton;

  • ±

    une angiographie rétinienne en cas de suspicion de maladie de Horton. En cas de suspicion de phénomènes thromboemboliques, il convient d'effectuer une mesure de la tension artérielle et d'organiser un électrocardiogramme (ECG), un examen des carotides, une échocardiographie et, éventuellement, un examen de Holter tensionnel et/ou de Holter cardiaque.

PRISE EN CHARGE

Une prise en charge urgente peut être nécessaire :

  • ±

    en cas de suspicion d'un phénomène thromboembolique, une anti-agrégation plaquettaire doit être initiée en attendant le résultat des examens cardiovasculaires;

  • ±

    en cas de suspicion d'une maladie de Horton, des corticostéroïdes à haute dose doivent être immédiatement prescrits (voir tableau 5-3-1 et encadré 5-3-1).

Troubles visuels monoculaires transitoires (TVMT) particuliers [3]

  • ±

    Positionnels :

    • évocateurs d'une hypoperfusion transitoire;

    • ils suggèrent une sténose carotidienne ipsilatérale, une hypotension artérielle orthostatique ou un œdème papillaire. Ils sont aussi possibles en cas de drusen du nerf optique ou d'anomalie congénitale de la papille (morning glory syndrome).

  • ±

    Induits par le regard :

    • ils résultent d'une compression du nerf optique ou de l'artère centrale de la rétine;

    • ils suggèrent la présence d'une masse orbitaire.

  • ±

    Induits par la lumière :

    • ils reflètent une hypoxie rétinienne chronique et une impossibilité d'augmenter le métabolisme rétinien en cas de stress photique;

    • ils suggèrent une sténose de la carotide interne ipsilatérale.

  • ±

    Induits par l'exercice physique :

    • ils peuvent résulter de deux mécanismes distincts :

      • ±

        un phénomène de vol artériel en cas de sténose carotidienne;

      • ±

        un ralentissement de conduction nerveuse induit par une élévation de la température corporelle (phénomène d'uhthoff) en présence d'une atteinte nerveuse préalable (névrite optique de sclérose en plaques notamment).

  • ±

    Post-prandiaux :

    • ils résultent d'un phénomène de vol artériel;

    • ils suggèrent une sténose de la carotide interne ipsilatérale.

Anomalie visuelle soudaine et permanente, monoculaire ou binoculaire

Ce symptôme signe une dysfonction des voies visuelles antéchias-matiques, chiasmatiques ou rétrochiasmatiques pouvant résulter d'une ischémie, d'une infection, d'une inflammation ou d'une compression aiguë. Un examen ophtalmologique incluant un champ visuel est nécessaire.

FOND D’ŒIL ANORMAL
NEUROPATHIE OPTIQUE ISCHÉMIQUE AIGUË

L'examen du fond d’œil peut souvent permettre de différencier une neuropathie optique ischémique aiguë (NOIA) non artéritique d'une atteinte artéritique (fig. 5-3-2 et tableau 5-3-2) [4]. En cas de NOIA non artéritique, il n'y a pas à ce jour de médecine fondée sur les preuves ( evidence-based medicine ) pour recommander un traitement particulier (anti-agrégation plaquettaire, anticoagulation, corticostéroïdes notamment). Toute NOIA chez un patient âgé de plus de 60 ans doit faire évoquer la possibilité d'une maladie de Horton (voir tableau 5-3-1 et encadré 5-3-1).

Fig. 5-3-2
Neuropathie optique ischémique antérieure (NOIA).
a. NOIA de type non artéritique. L'examen du fond d’œil montre une turgescence papillaire avec une pâleur relative supérieure et un aspect modérément pléthorique inférieurement (dilatation des capillaires papillaires). Plusieurs hémorragies rétiniennes parapapillaires en flammèches sont visibles. b. NOIA de type artéritique. Typiquement, en cas d’étiologie artéritique, la turgescence papillaire est diffuse et pâle, sans dilatation des capillaires papillaires, et il n'y a pas d'hémorragies rétiniennes parapapillaires en flammèches.
Tableau 5-3-2
NOIA non artéritique versus NOIA artéritique.
NOIA non artéritique NOIA artéritique
Acuité visuelle Souvent ≥ 2/10 Souvent < 1/10
Champ visuel Déficit altitudinal fréquent Déficit massif et diffus
Œdème papillaire Sectoriel Diffus, sévère et pâle
Hémorragies en flammèches Souvent Rares
Circulation choroïdienne Non altérée Retard significatif de perfusion
Œil adelphe Disc-at-risk (C/D < 0,2) Nerf optique normal
Âge 45-65 ans > 60 ans
Sexe Femme = homme Femme >homme
Symptômes associés ++ (variable)

OCCLUSION DE L’ARTÈRE CENTRALE DE LA RÉTINE

L'examen du fond d’œil et l'angiographie rétinienne permettent de différencier une occlusion de l'artère centrale de la rétine (OACR) thromboembolique (embole visible, pas de retard de perfusion choroïdienne) d'une atteinte artéritique (pas d'emboles, parfois hypoperfusion choroïdienne) (fig. 5-3-3). En cas d’étiologie thromboembolique, il n'y a pas à ce jour d’ evidence-based medicine pour recommander un traitement particulier (massage oculaire, hypotenseurs oculaires, paracentèse, thrombolyse). Suivant le contexte hospitalier, une thrombolyse peut être effectuée si la perte visuelle est très récente (< 4 heures 30 par analogie à la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux aigus). Toute OACR chez un patient âgé de plus de 60 ans doit aussi faire évoquer la possibilité d'une maladie de Horton (voir tableau 5-3-1 et encadré 5-3-1).

Fig. 5-3-3
Occlusion de l'artère centrale de la rétine (OACR).
a, b. OACR de type thromboembolique. L'examen du fond d’œil montre une pâleur diffuse du pôle postérieur avec présence d'une tache rouge cerise (a). L'angiographie fluorescéinique montre, à 50 secondes, un retard de perfusion rétinienne, alors que la circulation choroïdienne n'est pas retardée (b). c, d. OACR de type artéritique. L'examen du fond d’œil révèle un œdème du pôle postérieur avec une tache rouge cerise, mais ne permet pas de déterminer la nature artéritique de l'occlusion (c). Une minute après l'injection intraveineuse de fluorescéine, il existe non seulement un important retard de perfusion rétinienne, mais aussi une absence de perfusion choroïdienne nasalement (d).

HÉMORRAGIE ORBITAIRE POST-TRAUMATIQUE

La présence d'une neuropathie optique associée à une exophtalmie ipsilatérale dans le contexte d'un traumatisme oculo-orbitaire est très évocatrice d'un hématome sous-périosté qui comprimerait le nerf optique dans l'orbite postérieure (fig. 5-3-4). Une imagerie orbitaire en urgence est nécessaire. Si une collection hémorragique est mise en évidence, il faut la drainer en urgence pour soulager rapidement la compression du nerf optique.

Fig. 5-3-4
Hémorragie sous-périostée orbitaire droite post-traumatique.
Une heure après un traumatisme palpébral perforant par un clou au niveau du canthus interne supérieur droit, l'acuité visuelle est réduite à la numération des doigts à 30 cm et un déficit pupillaire afférent droit est présent. L'examen externe montre une exophtalmie droite (a) et un hématome palpébral supérieur droit, ainsi qu'une hémorragie sous-conjonctivale nasale (b). La tomographie computérisée orbitaire montre une collection sanguine sous-périostée nasale droite s’étendant postérieurement ( c, flèches), responsable de la compression aiguë du nerf optique droit. Un drainage effectué en urgence de l'hématome permet une récupération de l'acuité visuelle à 6/10.

MUCORMYCOSE RHINOCÉRÉBRALE [5, 6]

Les patients atteints de mucormycose rhinocérébrale présentent le plus souvent une forme de cellulite orbitaire d’évolution rapide se manifestant par une exophtalmie, une ophtalmoplégie, une perte de vision (NOIA, OACR, ischémie choroïdienne) (fig. 5-3-5) [7]. L'examen de la cavité buccale peut révéler une nécrose palatine lorsque le sinus maxillaire est atteint. Il faut suspecter cette infection gravissime chez tout patient immunodéprimé, au bénéfice d'une chimiothérapie ou d'un traitement par corticostéroïdes, ou souffrant d'une maladie systémique (diabète, insuffisance rénale, post-transplantation, sida). Cette infection opportuniste produit une vasculite occlusive. La mortalité est supérieure à 50 % des cas et tout retard de prise en charge augmente le risque de décès [8]. Les traitements sont multidisciplinaires et combinent un débridement chirurgical agressif, un traitement antifongique (amphotéricine B, posaconazole) et, parfois, une oxygénothérapie hyperbare.

Fig. 5-3-5
Mucormycose rhinocérébrale.
Patient diabétique insulino-dépendant qui a présenté une sinusite traitée par antibiotiques. Évolution rapidement défavorable avec cellulite orbitaire, cécité et ophtalmoplégie de l’œil gauche (a, b), ainsi que développement d'un état septique. L'examen de la cavité buccale révèle une discoloration noirâtre de l'hémipalais gauche ( c, flèche). L’IRM révèle un comblement du sinus maxillaire gauche ( d, astérisque) et montre aussi une asymétrie de signal au niveau du palais ( d, flèche). Malgré une prise en charge en urgence associant antifongique systémique avec débridement large sinusal et orbitaire, le patient est décédé 4 jours plus tard.

INTOXICATION AU MÉTHANOL

Les patients présentent très souvent une perte visuelle sévère et bilatérale précédée par 1 à 2 jours de nausées et vomissements. Au stade de la perte visuelle, ces patients souffrent généralement de céphalées, d'une altération de l’état de conscience et d'une détresse respiratoire. Non traitée, la situation évolue vers un état comateux et un décès par dépression respiratoire. La perte visuelle est secondaire à une rétinopathie et/ou une neuropathie optique toxique. Le fond d’œil peut être initialement normal ou révéler un œdème papillaire pâle. Cette atteinte rare résulte de l'ingestion de méthanol, qui est métabolisé en acide formique et cause une acidose métabolique. La formation d'acide formique peut être inhibée par l’éthanol, qui doit être administré en urgence.

FOND D’ŒIL NORMAL
APOPLEXIE PITUITAIRE

La présentation classique est celle de l'installation soudaine d'une perte visuelle uni- ou bilatérale, d'une ophtalmoplégie, de céphalées inhabituelles et possiblement d'une altération de l’état de conscience (fig. 5-3-6) [9]. Il s'agit d'une complication hémorragique d'un adénome hypophysaire qui peut être soit déjà connu, soit non diagnostiqué au moment de l'accident hémorragique. Une reconnaissance rapide de cette entité est primordiale, car le pronostic vital peut être engagé (dysfonction cardiorespiratoire en cas d'atteinte hypothalamique, dysfonction endocrinienne aiguë en cas d'atteinte hypophysaire) [10]. Une approche pluridisciplinaire (neurochirurgicale et endocrinienne) est nécessaire. De hautes doses de corticostéroïdes sont nécessaires pour pallier une insuffisance surrénalienne aiguë.

Fig. 5-3-6
Apoplexie pituitaire.
Patient de 51 ans présentant d'intenses céphalées depuis 2 jours, suivies de diplopie binoculaire oblique puis de diminution de vision aux deux yeux. Il est stuporeux lors de l'examen. a. Une parésie du nerf oculomoteur commun droit est présente. b. L'acuité visuelle est réduite à 4/10 à l’œil droit, maintenue à 10/10 à l’œil gauche. Le champ visuel montre un scotome cæcocentral à droite et un déficit bitemporal partiel aux deux yeux, réalisant un scotome jonctionnel droit (neuropathie optique droite et déficit bitemporal). c-e. IRM. Une volumineuse lésion suprasellaire est mise en évidence (astérisque), comprimant le chiasma optique et envahissant le sinus caverneux droit. L'aspect inhomogène de la lésion ainsi que la présentation clinique sont suggestifs d'une apoplexie pituitaire.
(Source : Dr V. Purvin et Pr A. Kawasaki.)

ISCHÉMIE OCCIPITALE

Un déficit campimétrique homonyme totalement isolé résulte souvent d'une atteinte occipitale (fig. 5-3-7). L'examen du champ visuel est donc primordial, quelle que soit la méthode de périmétrie utilisée (par confrontation, statique automatique, cinétique manuelle ou computérisée). Il est important de reconnaître rapidement cette entité car une thrombolyse peut être effectuée dans les 4 heures et 30 minutes qui suivent le début des symptômes.

Fig. 5-3-7
Accident vasculaire cérébral occipital.
a. Le champ visuel montre une hémianopsie homonyme gauche totale. b. L’IRM met en évidence une ischémie étendue mais localisée au lobe occipital droit.

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[7] Sponsler TA, Sassani JW, Johnson LN, Towfighi J. Ocular invasion in mucormycosis. Surv Ophthalmol 1992 ; 36 : 345‑50.
[8] Yohai RA, Bullock JD, Aziz AA, Markert RJ. Survival factors in rhino-orbital-cerebral mucormycosis. Surv Ophthalmol 1994 ; 39 : 3‑22.
[9] Murad-Kejbou S, Eggenberger E. Pituitary apoplexy : evaluation, management, and prognosis. Curr Opin Ophthalmol 2009 ; 20 : 456‑61.
[10] Wentworth JM, Gao N, Sumithran KP, et al. Prospective evaluation of a protocol for reduced glucocorticoid replacement in transsphenoidal pituitary adenomectomy : prophylactic glucocorticoid replacement is seldom necessary. Clin Endocrinol (Oxf) 2008 ; 68 : 29‑35.

5.3.3 DÉCOUVERTE D'UN ŒDÈME PAPILLAIRE UNILATÉRAL

E. TOURNAIRE-MARQUES

Points forts

  • Le diagnostic au fond d’œil (FO) est quelquefois délicat entre un vrai œdème papillaire (OP) et un pseudo-OP.

  • L'urgence diagnostique et thérapeutique est la neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) artéritique.

Présentation clinique
SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux :

    • en faveur d'une maladie de Horton : altération de l’état général, fièvre, céphalée temporale, hyperesthésie du cuir chevelu, claudication intermittente de la mâchoire, douleur inflammatoire des ceintures [1];

    • en faveur d'une maladie démyélinisante : paresthésie, déficit moteur.

  • ±

    Spécifiques :

    • en faveur d'un NOIAA artéritique : épisodes d'amaurose ou de diplopie transitoire;

    • en faveur d'une neuropathie optique inflammatoire (NOI) : la douleur rétro-oculaire est augmentée à la motilité oculaire.

TERRAIN

Âge :

  • ±

    < 50 ans = NOI;

  • ±

    ≥ 50 ans = NOIAA.

ANTÉCÉDENTS ET TRAITEMENTS IMPLIQUÉS

  • ±

    NOIAA artéritique : antécédent de maladie de Horton ou pseudo-polyarthrite rhizomélique.

  • ±

    NOIAA non artéritique : prise d'inhibiteur de la 5-phospho-diestérase.

  • ±

    NOI : antécédent de sclérose en plaques (SEP).

  • ±

    Neuropathie optique compressive : antécédent de néoplasie.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

  • ±

    NOIAA : anomalie visuelle brutale.

  • ±

    NOI : baisse douloureuse rapidement progressive de l'acuité visuelle (AV).

EXAMEN CLINIQUE

On recherche :

  • ±

    un déficit pupillaire afférent relatif du côté de l’OP;

  • ±

    une hypotonie oculaire.

Le FO aide à différencier deux situations :

  • ±

    l’OP isolé diffus ou sectoriel ± hémorragies péripapillaires non spécifiques d'une étiologie;

  • ±

    l’OP associé à des hémorragies périphériques, des exsudats maculaires, à une inflammation intra-oculaire.

Une AV < 1/10, un OP blanc crayeux ± une occlusion de l'artère centrale ou ciliorétinienne, et une artère temporale indurée non battante à la palpation sont en faveur d'une NOIAA artéritique [1, 2].

Une NOIAA non artéritique est plutôt évoquée par un petit nerf optique non excavé controlatéral.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

  • ±

    Âge ≥ 50 ans : VS, CRP et plaquettes pour rechercher un syndrome inflammatoire.

  • ±

    Périmétrie statique automatisée : utile par la suite pour le suivi et l’évaluation de la réponse au traitement.

TYPE D'URGENCE

  • ±

    Triage de catégorie 2 (CIMU 3) en cas de suspicion de maladie de Horton à cause du risque imprévisible de bilatéralisation avec cécité.

  • ±

    Triage de catégorie 4 (CIMU 5) si la NOIAA est non artéritique, car il existe un risque imprévisible de suraccident ischémique [3].

Signes paracliniques spécifiques et d'intérêt particulier pour la prise en charge en urgence
BIOLOGIQUE

Une VS et/ou une CRP élevées orientent vers une maladie de Horton (attention, dans 5 % des cas, VS et CRP normales).

IMAGERIE

  • ±

    Angiographie rétinienne à la fluorescéine : un retard de perfusion de la choroïde oriente vers une cause artéritique.

  • ±

    Imagerie par résonance magnétique (IRM) orbitaire injectée : la prise de gadolinium du nerf optique rétro-oculaire oriente vers une NOI.

Diagnostic étiologique

  • ±

    NOIAA artéritique et non artéritique.

  • ±

    OP inflammatoire : NOI antérieure (papillite) et postérieure (névrite optique rétrobulbaire [NORB]), neurorétinite de Leber, uvéite postérieure, syndrome des taches blanches évanescentes.

  • ±

    OP de stase (compressif, infiltratif, atteinte asymétrique au cours d'une hypertension intracrânienne idiopathique).

  • ±

    OP secondaire à une hypotonie oculaire.

Diagnostic différentiel essentiel

On élimine un pseudo-OP caractérisé par une petite papille charnue, des drusen du nerf optique, des fibres à myéline, une neuropathie optique de Leber ou une occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR).

Prise en charge immédiate

  • ±

    Cadre administratif : transfert en milieu hospitalier pour admission.

  • ±

    Soin d'une NOIAA artéritique : on administre des bolus de méthylprednisolone en urgence [4] et de manière répétée.

  • ±

    Acte technique médical : la maladie de Horton est objectivée par la biopsie de l'artère temporale [1] réalisée en aval semi-urgent. Le traitement n'attend jamais la confirmation formelle du diagnostic.

Surveillance recommandée

La surveillance se fonde sur l’AV, le FO, les rétinophotographies et le champ visuel; elle est à adapter selon l’étiologie de l’OP.

Pronostics

Il n'y a pas d'amélioration de l’AV pour la NOIAA artéritique et elle est variable pour la NOIAA non artéritique.

Pour une NOI, la récupération de l’AV est supérieure ou égale à 5/10 dans 94 % des cas à 6 mois.

Sauf rares cas de divergence oculaire suite à la malvoyance, cet item n'entraîne aucune répercussion esthétique.

Les séquelles sont des anomalies de la vision binoculaire et stéréoscopique.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Melson MR, Weyand CM, Newman NJ, Biousse V. The diagnosis of giant cell arteritis. Rev Neurol Dis 2007 ; 4 : 128‑42.
[2] Biousse V, Newman NJ. Ischemic optic neuropathies. N Engl J Med 2015 ; 373 : 1677.
[3] Wein FB, Miller NR. Unilateral central retinal artery occlusion followed by contralateral anterior ischemic optic neuropathy in giant cell arteritis. Retina 2000 ; 20 : 301‑3.
[4] Hayreh SS, Biousse V. Treatment of acute visual loss in giant cell arteritis : should we prescribe high-dose intravenous steroids or just oral steroids ? J Neuroophthalmol 2012 ; 32 : 278‑87.

5.3.4 DÉCOUVERTE D'UN ŒDèME PAPILLAIRE BILATÉRAL

M.-B. ROUGIER

Points forts

  • Les deux urgences sont l’œdème papillaire de l'hypertension intracrânienne et la NOIA de la maladie de Horton.

  • Savoir éliminer un faux œdème papillaire, le piège le plus fréquent étant les drusen de la papille. En cas de doute, réaliser une angiographie.

  • En cas d'hémorragies rétiniennes, éliminer une hypertension artérielle maligne : mesurer la pression artérielle.

  • Distinguer l’œdème de stase (en général associé à une acuité visuelle conservée) de l’œdème ischémique (acuité visuelle effondrée) ou inflammatoire (acuité visuelle variable).

Présentation clinique en cas d’œdème de stase
SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux :

    • céphalées quasi constantes;

    • vomissements et vertiges;

    • paralysie du VI uni- ou bilatérale;

    • acouphènes en cas d'hypertension intracrânienne idiopathique;

    • déficits neurologiques en cas d'hypertension intracrânienne secondaire.

  • ±

    Spécifiques, inconstants :

    • flou visuel;

    • éclipses visuelles.

TERRAIN [1]

  • ±

    Spécifique de l'hypertension intracrânienne idiopathique (HII) : obésité et surpoids, maladie d’Addison, hypothyroïdie, anémie.

  • ±

    Spécifique de l'hypertension intracrânienne secondaire : méningite, néoplasie [2].

  • ±

    Antécédents/traitements impliqués : médicaments pouvant provoquer une HII (vitamine A, rétinoïdes, tétracyclines, sulfamides, cimétidine, ciclosporine, acide nalidixique, lithium, nitrofurantoïne, contraception orale, lévonorgestrel, danaxol et tamoxifène).

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

L'installation des signes généraux et oculaires est progressive.

EXAMEN CLINIQUE

  • ±

    L'acuité visuelle est conservée.

  • ±

    Le FO montre un OP volumineux avec vaisseaux bien visibles à la surface (fig. 5-3-8) [2].

    Fig. 5-3-8
    Œdème papillaire bilatéral dans le cadre d'une hypertension intracrânienne idiopathique : œil droit (a) et œil gauche (b).

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

  • ±

    Imagerie cérébrale avec imagerie des vaisseaux : IRM et angiographie par résonance magnétique (ARM) ou scanner et angio-scanner.

  • ±

    Champ visuel : élargissement de la tache aveugle, puis rétrécissement démarrant en nasal.

TYPE D'URGENCE

Le délai maximal de prise en charge est de catégorie 4 (PEC) : l'ophtalmologiste a été consulté dans les dernières 24 heures, score de la classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) 3 à 5.

L'urgence consiste à rechercher :

  • ±

    une tumeur intracrânienne susceptible d'entraîner une hypertension intracrânienne (HTIC) maligne et un engagement cérébral;

  • ±

    une thrombophlébite cérébrale.

Dans les OP de stase, l'urgence n'est pas d'administrer un corticoïde [3].

Présentation clinique en cas de neuropathie optique ischémique antérieure bilatérale
SIGNES FONCTIONNELS

  • ±

    Généraux :

    • céphalées;

    • asthénie, claudication de la mâchoire, douleurs rhizoméliques en cas de maladie de Horton. Le risque de bilatéraliser une NOIA est double pour les causes artéritiques par rapport aux autres causes [4].

  • ±

    Spécifiques :

    • anomalie visuelle brutale touchant rapidement les deux yeux, parfois décalée dans le temps;

    • amaurose ou diplopie transitoire dans les jours qui précèdent pour la maladie de Horton.

TERRAIN

  • ±

    Pathologie vasculaire (hypertension artérielle [HTA], diabète, dyslipidémie) dans la moitié des cas de cause non artéritique.

  • ±

    Pour la maladie de Horton : sujet âgé principalement.

  • ±

    Antécédents/traitements impliqués : rechercher un traitement par amiodarone qui peut provoquer des NOIA bilatérales.

  • ±

    Diabète du sujet jeune [4].

  • ±

    Contexte infectieux (syphilis, virus de l'immunodéficience humaine [VIH]) [5, 6].

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

L'anomalie visuelle permanente est brutale. Elle est bilatérale d'emblée ou plus souvent bilatéralisée.

EXAMEN CLINIQUE

L'anomalie visuelle permanente est une acuité visuelle effondrée le plus souvent ou une amputation du champ visuel.

Au FO, on relève un :

  • ±

    OP discret avec hémorragie en flammèches satellites en cas d’étiologie non artéritique;

  • ±

    OP blanc avec les vaisseaux très grêles à la surface en cas de maladie de Horton.

À la palpation, les artères temporales sont dures et non battantes dans la maladie de Horton.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

  • ±

    Champ visuel : vaste scotome central dans les cas d'une maladie de Horton.

  • ±

    Angiographie à la fluorescéine : retard et/ou hypoperfusion papillaire aux temps précoces, avec diffusion papillaire aux temps tardifs. Retard choroïdien massif et prolongé en cas de maladie de Horton.

TYPE D'URGENCE

Le délai maximal de prise en charge est de catégorie 2 (PEC) : l'ophtalmologiste a été consulté il y a moins de 1 heure, score CIMU 2 à 3.

Justification de PEC en urgence :

  • ±

    risque d'une bilatéralisation de la NOIA dans le cadre d'une maladie de Horton, témoignant de l'agressivité de l'atteinte;

  • ±

    en l'absence de traitement, risque de thrombose coronarienne et cérébrale.

Signes paracliniques spécifiques des œdèmes papillaires bilatéraux à rechercher en urgence
BIOLOGIQUES

Le bilan sanguin recherche spécifiquement :

  • ±

    un syndrome inflammatoire : VS, CRP et plaquettes;

  • ±

    une étiologie infectieuse : sérologies VIH (Ac, Ag P24), treponema pallidum hemagglutinations assay (TPHA), venerai disease research laboratory (VDRL), rapid plasma reagin (RPR).

IMAGERIE : IRM AVEC INJECTION

L’IRM avec injection vise à éliminer une tumeur intracrânienne ou une thrombophlébite des sinus latéraux.

Diagnostics différentiels essentiels
ŒDÈME PAPILLAIRE INFLAMMATOIRE

L’œdème papillaire inflammatoire est non spécifique (mais d'allure inflammatoire) avec baisse de vision variable et associé typiquement à des douleurs rétrobulbaires.

NEURORÉTINITE

La neurorétinite engendre un OP associé à des exsudats périmaculaires (étoile maculaire) ou à un décollement séreux maculaire. Elle est généralement d'origine infectieuse (maladie des griffes du chat dans la moitié des cas).

Prise en charge immédiate
CADRE ADMINISTRATIF

Le transfert en milieu hospitalier est préconisé pour une admission.

ACTES TECHNIQUES

Les actes techniques dépendent de l’étiologie retenue : mesure de la pression artérielle, réalisation de l'imagerie en urgence ou de la mise en place d'une corticothérapie à doses élevées pour les étiologies artéritiques (en général méthylprednisolone l g/j par voie parentérale) [7, 8].

Surveillance recommandée des œdèmes papillaires bilatéraux

  • ±

    Les HTIC secondaires sont prises en charge par les neurochirurgiens.

  • ±

    Les HII doivent être confirmées secondairement par une prise des pressions du liquide céphalo-rachidien (LCR), puis traitées et régulièrement suivies avec mesure de l'acuité visuelle, examen du FO et du champ visuel.

  • ±

    Les NOIA artéritiques doivent être prises en charge et surveillées par les médecins internistes.

  • ±

    Les NOIA non artéritiques doivent faire l'objet d'un bilan des facteurs de risque.

Pronostic

Le pronostic fonctionnel est bon pour l’œdème de stase, péjoratif pour la NOIA.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Rougier M. OEdème papillaire bilatéral. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Ophtalmologie, 21‑480-E-05. 2015 ; 12(4) : 1‑7.
[2] Randhawa S, Van Stavern GP. Idiopathic intracranial hypertension (pseudotumor cerebri). Curr Opin Ophthalmol 2008 ; 19 : 445‑53.
[3] Pakravan M, Sanjari N, Esfandiari H, et al. The effect of high-dose steroids, and normobaric oxygen therapy, on recent onset non-arteritic anterior ischemic optic neuropathy : a randomized clinical trial. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2016 ; 254 : 2043‑8.
[4] Beri M, Klugman MR, Kohler JA, Hayreh SS. Anterior ischemic optic neuropathy. VII. Incidence of bilaterality and various influencing factors. Ophthalmology 1987 ; 94 : 1020‑8.
[5] Krist D, Wenkel H. Bilateral papillary edema in cerebrospinal syphilis. Klin Monbl Augenheilkd 2000 ; 216 : 54‑6.
[6] Gauthier AS, Tea S, Hustache Mathieu L, et al. Syphilis oculaire : à propos de 9 cas. J Fr Ophtalmol 2016 ; 39 : 750‑5.
[7] Scheurer RA, Harrison AR, Lee MS. Treatment of vision loss in giant cell arteritis. Curr Treat Options Neurol 2012 ; 14 : 84‑92.
[8] Fraser JA, Weyand CM, Newman NJ, Biousse V. The treatment of giant cell arteritis. Rev Neurol Dis 2008 ; 5 : 140‑52.

5.3.5 DIPLOPIE

D. MILÉA, C. VIGNAL-CLERMONT

Points forts

  • L'installation rapide d'une diplopie binoculaire peut révéler une pathologie sous-jacente grave et qui peut mettre en jeu, à court terme, le pronostic neurologique, voire vital.

  • En cas d'atteinte neurogène (paralysie du III, du VI, atteintes nucléaires ou supranucléaires), il peut s'agir d'une compression (anévrisme comprimant le III), d'une hypertension intracrânienne (tumeur intracrânienne et atteinte bilatérale du VI), d'une ischémie (accident vasculaire cérébral, maladie de Horton), plus rarement d'une cause infectieuse (méningite, botulisme) ou métabolique (encéphalopathie de Gayet-Wernicke).

  • Des atteintes aiguës et/ou douloureuses de plusieurs nerfs crâniens oculomoteurs peuvent traduire une apoplexie pituitaire.

  • Des déficits musculaires d'allure initialement bénigne (par exemple, par myasthénie) peuvent rapidement évoluer vers des atteintes systémiques (généralisation) de répercussion grave.

  • La séméiologie fine permet le plus souvent de localiser le niveau lésionnel, et dicte les attitudes diagnostiques et thérapeutiques appropriées.

La survenue d'une diplopie binoculaire (qui disparaît donc lors de l'occlusion d'un œil) peut être le premier symptôme d'une urgence vitale, en lien avec une pathologie intracrânienne grave. Les principales pathologies pouvant engager le pronostic visuel ou vital, en se manifestant (initialement) par une diplopie, sont les suivantes :

  • ±

    un anévrisme (essentiellement de l'artère communicante postérieure);

  • ±

    une atteinte méningée (infectieuse, métastatique, etc.);

  • ±

    une apoplexie pituitaire (nécrose hémorragique d'un adénome pituitaire);

  • ±

    une pathologie fongique (par exemple, une mucormycose chez un diabétique);

  • ±

    une artérite gigantocellulaire (maladie de Horton);

  • ±

    une atteinte de la jonction neuromusculaire (myasthénie ou encore botulisme);

  • ±

    une encéphalopathie de Gayet-Wernicke (par déficit de vitamine B1).

D'autres pathologies, bénignes ou non, peuvent avoir une manifestation clinique brutale (par exemple, par atteinte ischémique d'un nerf crânien); le rôle du clinicien est de distinguer une cause grave nécessitant une intervention en urgence d'une cause bénigne nécessitant une surveillance. Cette décision commence par une première étape, essentielle, qui est celle de l'identification du siège de la lésion. Une diplopie peut être consécutive à un dysfonctionnement au niveau musculaire, de la jonction neuromusculaire, des nerfs crâniens, dans le tronc cérébral ou au niveau supranucléaire. La localisation lésionnelle (au niveau du muscle, du nerf, dans l'orbite, le sinus caverneux, l'espace sous-arachnoïdien, l'atteinte axiale, etc.) permet d’évaluer l'urgence avec laquelle chaque cas doit être pris en charge. L'interrogatoire et l'examen clinique doivent permettre dans l’énorme majorité des cas de situer le niveau lésionnel responsable d'une diplopie, avant de décider quelles sont les investigations les plus appropriées (imagerie, tests sanguins, ponction lombaire) [1].

Plusieurs signes cliniques peuvent s'associer à une diplopie et constituent alors des facteurs de gravité, indiquant un degré supplémentaire de l'urgence. La présence d'une douleur péri-orbitaire vive, une atteinte associée de plusieurs nerfs crâniens, l'existence de céphalées, une atteinte pupillaire, d'autres signes neurologiques (nausées, vomissements) sont des facteurs qui font suspecter une atteinte sous-jacente grave, notamment infiltrative ou compressive et qui doit être identifiée rapidement.

Paralysies des nerfs crâniens
PARALYSIE DE LA III e PAIRE CRÂNIENNE

Une paralysie de la III e paire crânienne associe un ou plusieurs signes :

  • ±

    une paralysie musculaire extrinsèque multiple complète ou partielle. La lésion isolée d'un muscle est peu compatible avec une atteinte du III et fait rechercher une autre pathologie (myasthénie), dans les situations suivantes : 1) paralysie isolée du droit supérieur, sans ptosis associé; 2) paralysie isolée du muscle oblique inférieur, sans atteinte associée du muscle droit inférieur ou médial; 3) paralysie isolée du muscle droit médial. Il faut alors rechercher une cause myogène ou une ophtalmoplégie internucléaire.

  • ±

    une paralysie intrinsèque, se manifestant par une mydriase ou alors par une diminution du réflexe photomoteur;

  • ±

    la présence de signes neurologiques associés (hémiplégie, troubles de la vigilance, ou encore un syndrome méningé) imposant une prise en charge urgente en milieu neurologique ou neurochirurgical pour une exploration par neuro-imagerie suivie ou non d'une ponction lombaire.

Une cause rare, mais grave, de paralysie du III est la compression par un anévrisme de l'artère communicante postérieure, dont la rupture peut engager le pronostic vital par hémorragie méningée. Il est prudent de suspecter l'existence d'un anévrisme responsable d'une paralysie du III :

  • ±

    chez un patient jeune (20-50 ans);

  • ±

    en cas d'atteinte pupillaire : une mydriase strictement isolée, sans atteinte oculomotrice, n'est cependant pas évocatrice d'une compression anévrismale (fig. 5-3-9 et 5-3-10);

    Fig. 5-3-9
    Atteinte complète du III droit.
    Le ptosis droit complet (a) masque l’œil en position de divergence et en hypotropie (b). Il existe une atteinte pupillaire (b) de l’élévation (c), de l'adduction (d) et de l'abaissement (e) du globe. La paralysie est en rapport avec une apoplexie hypophysaire comprimant le III droit (f).
    Fig. 5-3-10
    Atteinte du III gauche (a) avec régénération aberrante.
    Le ptosis complet dans le regard de face, vers la gauche et vers le haut (b, c), est réversible dans le regard vers le bas, avec une élévation paradoxale de la paupière supérieure gauche lors de l'abaissement (d).

  • ±

    en cas de paralysie extrinsèque partielle (fig. 5-3-11);

    Fig. 5-3-11
    Atteinte du III droit associée à un syndrome de Claude Bernard-Horner homolatéral en rapport avec un anévrisme de la terminaison carotidienne.
    Il existe un myosis droit associé au ptosis (a), une limitation de l’élévation, de l'adduction et de l'abaissement (b-e) avec une réinnervation aberrante dans le regard vers le bas (e). Dans l'obscurité, on observe une pupille droite fixe et de petite taille, liée à la double atteinte des voies sympathique et parasympathique (f).

  • ±

    en absence de facteurs de risque cardiovasculaires;

  • ±

    en cas de céphalées, associées ou non à un syndrome méningé.

Une atteinte ischémique du III, de bon pronostic, qui survient dans un contexte de microangiopathie (facteurs vasculaires associés), a des caractères cliniques différents :

  • ±

    patients plus âgés, au-delà de 50 ans, avec des facteurs de risque cardiovasculaires;

  • ±

    atteinte affectant essentiellement le contingent extrinsèque du III. Une atteinte pupillaire, ainsi qu'une douleur orbitaire sont rares mais possibles, dans ce contexte.

Chez les patients de plus de 60 ans, il faut rechercher une maladie de Horton qui peut se manifester par une diplopie (souvent transitoire au début) par ischémie directe d'un nerf oculomoteur ou alors atteinte d'un muscle oculomoteur, avec une prédilection pour les muscles verticaux et la III e paire crânienne. L'existence des signes généraux et céphaliques d'accompagnement oriente vers ce diagnostic, mais la maladie est occulte dans 10 % des cas. La recherche en urgence d'une élévation de la VS et de la CRP est impérative.

En pratique, la suspicion d'une atteinte compressive/anévrismale à l'origine d'une paralysie du III impose la réalisation d'une imagerie à visée neurovasculaire en urgence. Une IRM avec ARM ou un scanner avec angio-scanner ont une excellente sensibilité pour détecter les anévrismes. La réalisation d'un angio-scanner n'a cependant pas une bonne sensibilité pour le dépistage d'une lésion de la fosse postérieure. Une IRM sera ainsi recommandée, si l'angio-scanner ne retrouve pas de lésion vasculaire.

La figure 5-3-12 propose un algorithme exploratoire d'une paralysie du III.

Fig. 5-3-12
Arbre décisionnel dans une paralysie récente du III.

PARALYSIE DE LA VI E PAIRE CRÂNIENNE

Une paralysie du nerf abducens provoque une diplopie horizontale (fig. 5-3-13), due à une limitation de l'abduction. Une abduction déficitaire peut être cependant due à d'autres pathologies, non neurogènes (myasthénie, tumeur ou inflammation orbitaire, etc.), qui imposent de bilans bien spécifiques, mais rarement en urgence. Les principales causes de paralysie neurogène du VI varient selon l’âge :

  • ±

    enfants : causes traumatiques et tumorales;

  • ±

    adulte jeune : causes compressives (apex, sinus caverneux, espace sous-arachnoïdien), inflammatoires (SEP), par HTIC (il s'agit alors volontiers d'une atteinte bilatérale). Dans tous ces cas, une imagerie cérébrale et orbitaire en urgence (de préférence une IRM) est recommandée, parfois suivie, en fonction de la clinique, par une ponction lombaire. Une veinographie par IRM est très recommandée en cas de paralysie bilatérale du VI (a fortiori si associée à un œdème papillaire) afin de ne pas méconnaître une thrombose veineuse cérébrale provoquant une HTIC;

  • ±

    patient de plus de 50 ans : une paralysie unilatérale du VI, survenant de manière aiguë, isolée, indolore, chez un patient de plus de 50 ans et qui a de facteurs de risque vasculaires (en absence d'antécédents néoplasiques) fait suspecter une cause ischémique, par microangiopathie. Dans un cas typique, une imagerie cérébrale n'est pas indispensable, à condition de réaliser une surveillance clinique rapprochée, à la recherche de signes d'aggravation, ainsi que de nouveaux signes (attente d'autres paires crâniennes);

  • ±

    patient de plus de 60-65 ans : une paralysie de l'abduction impose un dosage de la CRP et de la VS en urgence, à la recherche d'une maladie de Horton.

Fig. 5-3-13
Paralysie du IV droit responsable de diplopie dans le regard en adduction et vers le bas (a).
La manœuvre de Bielschowsky (inclinaison de la tête du côté atteint) accentue la diplopie et l'hypertropie de l’œil droit (b), en comparaison avec l'inclinaison de la tête du côté opposé (c). Coordimètre du patient en d.

PARALYSIE DE LA IV E PAIRE CRÂNIENNE

Une atteinte du nerf trochléaire provoque une diplopie oblique ou verticale. Il s'agit très rarement d'une urgence : une atteinte acquise du IV est le plus souvent d'origine ischémique, par microangiopathie, ou traumatique. Les causes compressives, inflammatoires, infectieuses sont très rares en cas d'atteinte isolée. Très souvent, il s'agit d'une décompensation aiguë d'une paralysie congénitale méconnue auparavant et qui ne nécessite pas de bilan d'imagerie (fig. 5-3-14 et 5-3-15). Un diagnostic différentiel important est la skew deviation qui impose une imagerie en urgence par IRM. Cliniquement, il y a un déficit d'alignement vertical des deux globes oculaires, lié à un déséquilibre dans les voies otholitiques; la manœuvre de Bielschowsky est négative. Lors d'une skew deviation, l'hypotropie d'un globe oculaire est typiquement (mais pas toujours) constante dans toutes les positions du regard (concomitance). Contrairement à la paralysie du IV, il existe une incyclotorsion de l’œil hypertropique. Elle traduit une atteinte des voies vestibulaires.

Fig. 5-3-14
Atrophie du muscle oblique supérieur gauche, visible en IRM, coupe coronale, dans une paralysie congénitale du IV (flèche).
Fig. 5-3-15
Fistule carotidocaverneuse droite dans le cadre d'un syndrome d’Ehler-Danlos.
Elle se manifeste par un déficit de l'abduction de l’œil droit (VI droit) (a, b), associé à un syndrome orbitaire. L’IRM T2 en coupe axiale (c) montre la dilatation de la veine orbitaire supérieure.

PARALYSIE DE PLUSIEURS PAIRES CRÂNIENNES

L'association d'une paralysie ipsilatérale des III e , IV e et/ou VI e paires crâniennes suggère une lésion du sinus caverneux ou de la fissure orbitaire supérieure, d'autant plus s'il existe une atteinte de la première division de la V e paire crânienne et/ou des dysfonctions oculosympathiques homolatérales (syndrome de Claude Bernard-Horner). Un syndrome de l'apex associe à l'atteinte oculomotrice une atteinte du nerf optique homolatéral. L'imagerie doit être demandée en urgence [2].

ATTEINTE BILATÉRALE DE L’OCULOMOTRICITÉ

L'apoplexie hypophysaire peut être responsable d'une ophtalmoplégie uni- ou bilatérale, avec une atteinte préférentielle du III, suivie par le VI puis le IV. Une atteinte chiasmatique est habituelle, mais peut manquer. Parfois la pathologie hypophysaire est déjà connue. Une apoplexie pituitaire est une urgence vitale et nécessite une imagerie cérébrale en urgence.

Les paralysies de fonction, encore appelées « du regard conjugué », affectent le plus souvent les structures nucléaires et/ou supranucléaires intra-axiales, ayant ainsi une grande valeur de localisation. La diplopie est souvent absente. Ce sont, par exemple, des paralysies supranucléaires de la verticalité (syndrome de Parinaud) ou encore affectant la latéralité oculaire (syndrome du noyau du VI, paralysie supranucléaire de l'horizontalité ou encore le syndrome « un et demi »). Tout comme lors du bilan des paralysies nucléaires du III, il est important de réaliser une IRM en urgence, avec des protocoles dits d’« ischémie » (séquences de diffusion), à la recherche de signes précoces d'accident vasculaire cérébral (AVC). Il s'agit de lésions souvent très localisées, d'origine ischémique chez les patients plus âgés et d'origine volontiers inflammatoire (SEP) chez des patients plus jeunes.

La fistule carotidocaverneuse est l'expression d'une communication anormale entre la carotide et le contingent veineux du sinus caverneux. Une fistule directe, à haut débit, souvent d'origine traumatique, comporte un plus haut risque de complications neurologiques (fig. 5-3-14 ; voir chapitre 4.2 ).

Le syndrome de Miller-Fisher est une variante du syndrome de Guillain-Barré; il survient généralement après une infection et se caractérise par la triade (qui peut être incomplète) : ophtalmoplégie externe (mais une atteinte pupillaire y est souvent associée), ataxie cérébelleuse et aréflexie.

Une ponction lombaire met en évidence une augmentation de la protéinorachie, sans cellularité avec présence d'anticorps antigangliosides dans le sérum (anti-ganglioside Q1b [anti-GQIb], anti-granulocyte-macrophages [anti-GM], etc.).

L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke est due à un déficit en vitamine B1 (thiamine); elle constitue une grande urgence neurologique, pouvant se manifester au premier plan par un déficit oculomoteur. Elle se rencontre chez les alcooliques et les dénutris sévères, se manifestant comme une triade associant des troubles de l'oculomotricité, une ataxie et une encéphalopathie, à un degré variable d'intensité. Les troubles oculomoteurs sont souvent bilatéraux et complexes (paralysie bilatérale de l'abduction, paralysies de fonction, notamment de latéralité, nystagmus battant vers le haut, anomalies pupillaires). Des lésions du tronc cérébral peuvent être visibles par neuro-imagerie (prise de contraste dans les corps mamillaires). Le diagnostic est essentiellement clinique et ne doit pas être retardé par le résultat du dosage sérique de vitamine B1. Un traitement en urgence, parentéral, par thiamine est impératif, car le pronostic vital et fonctionnel est souvent engagé. En absence de traitement, l’évolution se fait vers un syndrome de Korsakoff, entraînant des altérations sévères de la mémoire et cognitives, qui peuvent être définitives.

Pathologies de la jonction neuromusculaire

La myasthénie oculaire se caractérise par une atteinte oculomotrice et/ou palpébrale, uni- ou bilatérale, variable, s'aggravant à l'effort et s'améliorant au repos. Lorsque les symptômes sont limités à la sphère oculaire, il s'agit d'une myasthénie oculaire pure. Sa généralisation constitue une urgence neurologique en raison de risques de défaillance respiratoire. La diplopie et le ptosis sont les symptômes initiaux dans 75 % des myasthénies généralisées. L'atteinte ophtalmologique de la myasthénie peut concerner tout muscle oculomoteur, avec une prédilection pour le muscle droit médial et le releveur de la paupière supérieure. Le bilan diagnostique est réalisé en milieu neurologique.

Le botulisme est une toxi-infection alimentaire responsable d'une paralysie généralisée des jonctions neuromusculaires, de progression symétrique et descendante, secondaire à une endotoxine sécrétée par Clostridium botulinium. La contamination est principalement alimentaire par des boîtes de conserve artisanales (consommées 12 à 36 heures avant le début des symptômes), beaucoup plus rarement par l'infection d'une blessure (délai d'apparition des signes cliniques plus long). L'ophtalmoplégie externe et le ptosis sont des symptômes précoces de la maladie et vont être accompagnés d'une mydriase bilatérale et d'une paralysie de l'accommodation. Cette atteinte parasympathique, tout comme la présence de symptômes digestifs permettent de distinguer le botulisme d'une myasthénie généralisée, et d'anticiper les complications vitales respiratoires et cardiaques qui marquent l’évolution naturelle de la maladie.

Pathologies de l'orbite

Une orbitopathie aiguë peut constituer une grande urgence, parfois vitale, notamment lors d'une atteinte fongique (mucormycose, aspergillose, etc.). Elle affecte plus volontiers les patients immunodéprimés (révélation possible d'un diabète. Voir le paragraphe « Conduite à tenir devant une exophtalmie » et voir chapitre 4.2.

Diplopie binoculaire transitoire

La maladie de Horton peut s'accompagner de diplopie transitoire brève, par ischémie orbitaire ou neurogène. Des diplopies transitoires brèves (parfois en fonction de la direction du regard) peuvent accompagner un syndrome orbitaire de nature tumorale. Ailleurs, il peut s'agir d'un accident ischémique transitoire dans le territoire vertébrobasilaire. Cependant, les causes les plus fréquentes de diplopie transitoire sont les décompensations phoriques ou encore la décompensation d'une paralysie congénitale de la IV e paire crânienne. Il existe d'autres causes de diplopie transitoire, comme l'orbitopathie dysthyroïdienne (diplopie survenant volontiers le matin), les spasmes fonctionnels en convergence, la neuromyotonie. Les atteintes oculomotrices d'origine myasthénique ou autres causes inflammatoires peuvent avoir des manifestations fluctuantes dans le temps, mais la durée des symptômes est classiquement plus longue que lors des diplopies brèves, transitoires.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Miléa D, Tilikete C, Vignal-Clermont C. Neuro-ophtalmologie. 2e éd. Issy-les- Moulineaux : Elsevier Masson ; 2016.
[2] Volpe NJ, Lee AG. Do patients with neurologically isolated ocular motor cranial nerve palsies require prompt neuroimaging ? J Neuroophthalmol 2014 ; 34 : 301‑5.

5.3.6 ANOMALIES PUPILLAIRES AIGUËS

C. VIGNAL-CLERMONT

Points forts

  • Une anisocorie aiguë isolée et indolore est exceptionnellement révélatrice d'une pathologie neurologique.

  • L'examen recherche des drapeaux rouges accompagnant l'anisocorie, en faveur d'une urgence neurologique : douleur ou céphalée brutale ou rapidement progressive, diplopie, strabisme et/ou ptosis brutal. Leur existence impose un transfert immédiat en milieu neurologique.

Présentation clinique
INTERROGATOIRE, CONTEXTE

On recherche la notion de douleur (céphalée en coup de tonnerre, hémicrânie, douleur péri-oculaire, cervicalgie), de diplopie, d'anomalie visuelle transitoire accompagnant ou ayant précédé l'anomalie pupillaire, de prise médicamenteuse.

On complète l'anamnèse par l'analyse de documents photographiques antérieurs (dater l'anomalie).

EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE

Les étapes spécifiques de l'examen ophtalmologique sont :

  • ±

    l'examen de la taille des deux pupilles dans le noir, à la lumière ambiante puis forte (encadré 5-3-2);

    Encadré 5-3-2

    Quelle est la pupille pathologique ?

    • En cas d'anisocorie à la lumière ambiante, la pupille anormale est la moins variable dans les différentes conditions d’éclairage.

    • Une anisocorie se majorant à l'obscurité est en faveur d'un myosis pathologique (fig. 5-3-16).

    • Une anisocorie se majorant à la lumière est en faveur d'une mydriase anormale (fig. 5-3-17).

  • ±

    l’étude de la contraction pupillaire à l’éclairement (réflexe photomoteur [RPM]) puis lors de la convergence (fig. 5-3-16 et 5-3-17);

    Fig. 5-3-16
    Examen d'un patient présentant une anisocorie à la lumière ambiante avec une pupille droite plus petite. Syndrome de Claude Bernard-Horner droit avec ptosis du côté de la petite pupille.
    a, c. À l'obscurité, la pupille gauche se dilate bien et l'anisocorie est plus marquée. b, d, e. À la lumière, le réflexe photomoteur est normal à droite et à gauche. La pupille droite, moins variable est anormale et se dilate moins bien, signant une anomalie de la voie sympathique. OD : œil droit; OG : œil gauche.
    Fig. 5-3-17
    Examen d'un patient présentant une anisocorie à la lumière ambiante avec une pupille gauche plus large.
    a, c. À l'obscurité, la pupille droite se dilate bien et l'aniscorie est peu ou pas marquée. b, d, e. À la lumière, le réflexe photomoteur est normal à droite et anormal à gauche. La pupille gauche, moins variable, est anormale et se contracte moins bien, signant une anomalie de la voie. Chez ce patient, l'aniscorie est plus marquée à la lumière (images de gauche en d et e : l'association à un ptosis et un trouble oculomoteur du côté de la grande pupille est en faveur d'un III gauche). OD : œil droit; OG : œil gauche.

  • ±

    l'examen oculomoteur à la recherche d'une paralysie oculomotrice (III);

  • ±

    l'examen des paupières (recherche de ptosis);

  • ±

    l'examen à la lampe à fente (LAF) avec mesure de la pression intra-oculaire et étude de l'iris en transillumination.

Signes parachmques spécifiques

  • ±

    L'imagerie cérébrale (IRM avec ARM ou scanner avec angio-scanner) recherche une compression du III en particulier anévrismale.

  • ±

    L’IRM avec ARM ou le scanner avec angio-scanner des vaisseaux du cou et intracrâniens recherchent une dissection carotidienne comprimant le sympathique en cas de syndrome de Claude Bernard-Horner.

  • ±

    L’échographie Doppler de la carotide peut visualiser la dissection vasculaire pariétale et mesurer les flux. Cependant, l'examen est opérateur-dépendant. Il peut être normal malgré une dissection (dissection sous-pétreuse).

Diagnostic étiologique

Les anomalies pupillaires peuvent être classées selon quatre mécanismes : physiologiques, oculaires, neurologiques, pharmacologiques. Seules les anisocories oculaires aiguës (score CIMU 3) et neurologiques (score CIMU 2) réclament une prise en charge urgente.

ANISOCORIES PHYSIOLOGIQUES

Les anisocories physiologiques concernent 20 % de la population (non aiguës, isolées et indolores, parfois constatées brutalement). Elles sont éliminées par l'examen de photographies antérieures. Les pupilles sont réactives, avec une différence de taille constante quel que soit l’éclairement. Une anisocorie constatée de manière aiguë, associée à un RPM normal, doit faire rechercher un ptosis minime du côté de la petite pupille. Au moindre doute sur l'existence d'un syndrome de Claude Bernard-Horner et s'il existe une douleur associée, une imagerie des vaisseaux du cou sera pratiquée.

ANISOCORIES OCULAIRES

Il s'agit d'un myosis satellite d'une inflammation oculaire, d'une mydriase traumatique ou secondaire à une hypertonie aiguë. Ils sont diagnostiqués lors de l'examen à la LAF.

ANISOCORIES PHARMACOLOGIQUES [1]

L'instillation d'agents sympathomimétiques ou parasympatholytiques (atropiniques) induit une mydriase. Seuls les agents atropiniques induisent une absence de réaction à la lumière. Il peut s'agir de collyres, de patchs cutanés, d'aérosols bronchodilatateurs, voire de manipulations de plantes (datura). La mydriase pharmacologique parasympatholytique est la seule qui reste inchangée après instillation de pilocarpine 1 ou 2 %.

ANISOCORIES NEUROLOGIQUES

Les anisocories neurologiques peuvent témoigner d'une urgence vitale et ne sont en règle pas isolées.

PARALYSIE DU III AVEC MYDRIASE PATHOLOGIQUE UNILATÉRALE

La mydriase est aréactive lors de l’éclairement et des efforts de convergence et l'anisocorie est plus marquée à la lumière; l'association à une diplopie, un déficit oculomoteur ou un ptosis oriente vers une atteinte du III (voir fig. 5-3-2). L'existence d'une céphalée brutale « en coup de tonnerre » évoque une pathologie vasculaire. Lors de la compression par un anévrisme terminocarotidien, la pupille est atteinte dans 85 à 95 % des cas [2], alors qu'une atteinte ischémique microvasculaire du III n'est responsable d'une mydriase, en règle modérée, que dans 14 à 38 % des cas [3]. L'association d'une pupille aréactive, le plus souvent en mydriase, à une atteinte du III, partielle ou complète, signe une compression du nerf jusqu’à preuve du contraire et impose la réalisation immédiate d'une imagerie cérébrale centrée sur le III et comprenant des séquences vasculaires afin d’éliminer un anévrisme (de préférence IRM avec ARM).

MYOSIS UNILATÉRAL ET SYNDROME DE CLAUDE BERNARD-HORNER

La pupille pathologique est plus petite, réagit normalement à la lumière et l'anisocorie est plus marquée à l'obscurité. Il existe un discret ptosis, et parfois une anhydrose de la face homolatérale (voir fig. 5-3-1). Un test aux collyres (cocaïne ou apraclonidine) confirme le diagnostic en cas de doute (encadré 5-3-3). L'urgence devant un syndrome de Claude Bernard-Horner (CBH) aigu et souvent douloureux est de ne pas méconnaître une dissection carotidienne. Un quart à un tiers [4] des dissections carotidiennes cervicales s'accompagnent d'un CBH. Elles peuvent se compliquer d’AVC ischémique, parfois dans les 24 heures [5], d'où l'importance de faire le diagnostic en urgence et de transférer le patient en neurologie en position allongée. La fréquence de la dissection carotidienne et sa gravité potentielle justifient de considérer tout CBH douloureux isolé et récent comme une dissection jusqu’à preuve du contraire et imposent de réaliser immédiatement un angio-scanner ou une ARM artérielle des vaisseaux du cou et intracrâniens. L'algie vasculaire de la face est également une cause classique de CBH douloureux aigu.

Encadré 5-3-3

Tests aux collyres pratiqués lors d'une suspicion de syndrome de Claude Bernard-Horner

Test à la cocaïne

Lorsque la voie sympathique est intacte, la cocaïne provoque une dilatation de la pupille de l'ordre de 2 mm. En cas de CBH, la cocaïne reste sans effet quel que soit le niveau de l'atteinte. Instiller le collyre à la cocaïne (4 à 10 %) dans les deux yeux à 0, 5 et 10 minutes. Observer la réponse à 1 heure de l'instillation de la première goutte. Le test est positif si l'anisocorie est majorée de 1 mm ou plus en cas de CBH unilatéral.

Test à l'apraclonidine (lopidine 0,5 ou 1 %)

L'apraclonidine est un α 2 -agoniste qui présente une très faible action α 1 + . Sur une pupille normale, la pupille reste de taille inchangée. En présence d'un CBH existant depuis plus de 36 heures, une hypersensibilité de dénervation dilate la pupille atteinte.

Instiller le collyre à l'apraclonidine 0,5 % dans les deux yeux à 0, 5 et 10 minutes. Observer la réponse à 1 heure de l'instillation de la première goutte. Le test est positif si l'anisocorie s'inverse. Ce collyre est contre-indiqué chez les enfants de moins 12 ans.

Le CBH s'observe également dans les pathologies intracrâniennes où il s'accompagne d'autres signes neurologiques souvent au premier plan (syndrome de Wallenberg, par exemple). Les atteintes du 2 e neurone se rencontrent en cas de cancer pulmonaire de l'apex, de pneumothorax et de drains pleuraux, de cathétérismes centraux dans la veine sous-clavière et de fractures de la clavicule. L'atteinte du 3 e neurone au sein du sinus caverneux s'accompagne de paralysie d'autres nerfs crâniens passant dans le sinus caverneux; les étiologies sont multiples et reposent sur l'imagerie.

Toute découverte d'un CBH chez un nourrisson et un jeune enfant (jusqu’à l’âge de 5 ans) soulève la question d'un neuroblastome paravertébral cervical ou thoracique, avec 2 % des neuroblastomes se présentant avec un CBH initialement [6]. Le test à l'apraclonidine étant contre-indiqué chez l'enfant de moins de 12 ans, le test à la cocaïne est alors réalisé. Les traumatismes obstétricaux doivent rester un diagnostic d’élimination. La suspicion de neuroblastome impose la réalisation d'une imagerie cérébrale, cervicale et thoracique et d'un examen en milieu pédiatrique spécialisé.

ANOMALIES PUPILLAIRES NEUROLOGIQUES BILATÉRALES [7]

Ces anomalies sont plus rares. On distingue :

  • ±

    le botulisme : il s'accompagne de mydriase bilatérale, qui est plus souvent associée à une ophtalmoplégie et précédée de troubles digestifs;

  • ±

    les polyradiculonévrites aiguës (syndromes de Guillain-Barré, et Miller-Fisher, ophtalmoplégie sans ataxie) : elles comportent souvent une mydriase. Elles sont prises en charge en neurologie;

  • ±

    le syndrome de Parinaud ou syndrome prétectal : il résulte de l'atteinte de la partie haute et postérieure du mésencéphale, par une tumeur, un hématome, une hydrocéphalie. Il comporte : une mydriase le plus souvent bilatérale, non réactive à la lumière, mais réagissant lors de la convergence; une atteinte de l’élévation de type supranucléaire; une asynergie oculopalpébrale (signe de Collier); un nystagmus rétractorius. Le diagnostic étiologique repose sur l'imagerie cérébrale demandée en urgence;

  • ±

    la pupille d’Argyll-Robertson : elle désigne une atteinte pupillaire fréquente de la neurosyphilis. Les pupilles sont en myosis bilatéral, peu réactives à la lumière, avec un bon réflexe pupillaire (myosis) lors de la convergence. Elle peut aussi se rencontrer chez les patients diabétiques.

Prise en charge immédiate et orientation

Devant un CBH récent ou une mydriase associée à une atteinte du III, une imagerie doit être réalisée en urgence avec un score de triage PEC de catégorie 1. Le patient est orienté immédiatement et selon le diagnostic en service de neurologie vasculaire aiguë ou neuroradiologie interventionnelle.

Pronostic

La mortalité des anévrismes rompus excède un cas sur deux. Le pronostic de la paralysie du III après traitement est favorable plus de 8 fois sur 10.

Le pronostic des dissections carotidiennes est bon : les séquelles neurologiques sont absentes ou minimes dans 77 % des cas, modérées dans 18 % et sévères dans 5 % des cas.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Miléa D, Vignal-Clermont C, Lebas M. Pupille. In : Miléa D, Tilikete C, Vignal- Clermont C. Neuro-ophtalmologie. 2e éd. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2016, p. 235‑43.
[2] Trobe JD. Third nerve palsy and the pupil. Footnotes to the rule. Arch Ophthalmol 1988 ; 106 : 601‑2.
[3] Jacobson DM. Pupil involvement in patients with diabetes-associated oculomotor nerve palsy. Arch Ophthalmol 1998 ; 116 : 723‑7.
[4] Lee VH, Brown RD Jr., Mandrekar JN, Mokri B. Incidence and outcome of cervical artery dissection : a population-based study. Neurology 2006 ; 67 : 1809‑12.
[5] de Bray JM, Baumgartner R, Guillon B, et al. Isolated Horner’s syndrome may herald stroke. Cerebrovasc Dis 2005 ; 19 : 274‑5.
[6] Musarella MA, Chan HS, DeBoer G, Gallie BL. Ocular involvement in neuroblastoma : prognostic implications. Ophthalmology 1984 ; 91 : 936‑40.
[7] Biousse V, Newman N. The pupil. Neuro-Ophthalmology Illustrated. New York : Thieme Medical Publisher ; 2015.

5.3.7 CONDUITE À TENIR DEVANT UNE EXOPHTALMIE

V. TOUITOU

Points forts

  • Ne pas oublier de rechercher :

    • une ophtalmoplégie ;
    • une dilatation des vaisseaux épiscléraux ;
    • un souffle orbitaire à l'auscultation et un thrill à la palpation ;
    • un déficit pupillaire afférent relatif homotaléral ;
    • une hypoesthésie cornéenne.
  • Toute exophtalmie post-traumatique ou postopératoire est une urgence (fistule carotidocaverneuse ou hématome orbitaire) jusqu'à preuve du contraire.

  • Toute exophtalmie fébrile est une urgence.

  • Toute exophtalmie de l'enfant est une urgence.

  • Toute exophtalmie ancienne avec anomalie visuelle récente est une urgence.

  • Toute exophtalmie de l'immunodéprimé ou du diabétique est une urgence.

Présentation clinique

L'exophtalmie est un motif rare de consultation aux urgences (voir chapitre 4.2 ). Toutefois, derrière ce symptôme peuvent se cacher des diagnostics au pronostic visuel voire vital sévère. L'approche et la prise en charge en urgence dépendent pour beaucoup du terrain, du contexte de découverte et de l'examen clinique initial. Ce sont eux qui guident l'urgence du bilan et le type d'examen complémentaire à pratiquer.

SIGNES FONCTIONNELS

Les signes fonctionnels peuvent être liés à la cause ou aux conséquences de l'exophtalmie (exposition cornéenne, malocclusion, neuropathie optique). On recherche des symptômes de dysthyroïdie, des signes de connectivite (notion d'écoulement nasal ou de signes de sinusite chronique, éruption cutanée, arthralgies, troubles digestifs), une fièvre, une altération de l'état général.

Parfois la symptomatologie au premier plan est la douleur, reflet soit d'une souffrance de la surface oculaire, soit de l'hypertonie oculaire ou orbitaire observée dans certaines étiologies (hématome orbitaire, orbitopathie inflammatoire). Un larmoiement peut également être rapporté. Une anomalie visuelle est un signe de gravité et peut être multifactorielle dans ce contexte (anomalie cornéenne, rétinienne ou du nerf optique).

TERRAIN ET ANTÉCÉDENTS

Un patient avec des antécédents de pathologie auto-immune permet d'évoquer une orbitopathie dysthyroïdienne ou une connectivite. Un antécédent de néoplasie, notamment mammaire, doit faire évoquer une localisation secondaire orbitaire. Chez un enfant, des étiologies particulières doivent être évoquées notamment tumorales. Chez un patient diabétique ou immunodéprimé, une mucormycose doit être suspectée.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

Un traumatisme crânien fait évoquer une fistule carotidocaverneuse, un hématome orbitaire ou un pneumorbite. Une infection locorégionale fait évoquer une cellulite orbitaire ou une thrombose septique du sinus caverneux.

EXAMEN CLINIQUE

L'examen clinique confirme cliniquement l'exophtalmie et la mesure à l'exophtalmomètre (voir chapitre 4.2 ). Il la caractérise comme axile ou non, réductible à la pression des globes oculaires, douloureuse ou non [1]. L'examen recherche des signes évocateurs d'une étiologie particulière : rétraction palpébrale, déformation en S de la paupière supérieure, œdème palpébral, signes de nécrose cutanée, chémosis, dilatation des vaisseaux épiscléraux, hyperhémie conjonctivale ou caronculaire.

On recherche à la palpation orbitaire un thrill (ou frémissement vasculaire) évocateur d'une fistule carotidocaverneuse, d'un emphysème sous-cutané, d'un empâtement palpébral, d'une hypertrophie ou d'une infiltration de la glande lacrymale, d'un empâtement ou d'une collection palpébrale, d'une infiltration des parties molles. On recherche soigneusement un souffle à l'auscultation comparative de la région orbitaire mais également de la région temporale et prétragienne.

Enfin, on s'attache à déterminer s'il existe des signes de gravité (encadré 5-3-4) [2]. L'examen du fond d'œil peut mettre en évidence des plis choroïdiens dans les atteintes tumorales orbitaires ainsi que dans certaines atteintes inflammatoires. Enfin, une manœuvre de Valsalva peut être effectuée afin d'évaluer une éventuelle participation veineuse (varice orbitaire). L'existence d'un syndrome de Claude Bernard-Horner (CBH) ou d'une hypoesthésie cornéenne est un argument en faveur d'un processus du sinus caverneux.

Encadré 5-3-4
Signes de gravité d'une exophtalmie

Une exophtalmie est sévère lorsqu'elle est associée à :

  • une ophtalmoplégie, dont on détermine le lien avec une paralysie oculomotrice ou une atteinte musculaire ;

  • un déficit pupillaire afférent relatif ;

  • une anesthésie cornéenne ;

  • une kératite d'exposition ;

  • des signes de congestion orbitaire au fond d'œil avec dilatation veineuse ;

  • un œdème papillaire ;

  • une hémorragie rétinienne.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Devant une exophtalmie, deux types d'examens sont nécessaires : des examens visant à proposer un diagnostic étiologique et des examens évaluant le retentissement fonctionnel visuel.

EXAMENS D'IMAGERIE

  • ±

    IRM cérébrale et orbitaire : elle permet de visualiser une éventuelle lésion, de rechercher des signes de thrombose et d'évaluer les rapports avec les différentes structures orbitaires, en particulier le nerf optique. L'angio-IRM est souvent nécessaire dans le bilan de ces lésions.

  • ±

    Scanner orbitaire et cérébral : il est utile pour visualiser le retentissement sur le cadre osseux, particulièrement pour la pathologie tumorale orbitaire (recherche de lyse osseuse) et traumatique.

  • ±

    Échographie Doppler orbitaire : cet examen non invasif, facilement accessible, est discriminant pour le diagnostic d'une tumeur vasculaire ou d'une tumeur solide. Il permet d'analyser les vitesses de flux vasculaire et est demandé secondairement en aval de l'urgence.

EXAMENS BIOLOGIQUES

On peut réaliser un bilan biologique. Celui-ci n'est ni exhaustif, ni systématique. Il cible chaque orientation possible issue de l'examen clinique et de l'interrogatoire : bilan thyroïdien complet comprenant thyroid stimulating hormone (TSH), tri-iodothyronine (T3) et thyroxine (T4) libre, anticorps antirécepteurs à la TSH, anticorps anti-thyroglobuline, anticorps anti-thyroperoxydase ; anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) ; dosage plasmatique des immunoglobulines de type G4 (IgG4) plasmatique ; électrophorèse des protéines plasmatiques ; numération formule sanguine (NFS) ; VS ; CRP ; bilan d'hémostase ; bilan phosphocalcique ; enzyme de conversion de l'angiotensine ; lysozyme sérique ; test au Quantiféron ; sérologie VIH ; glycémie à jeun et post-prandiale ; hémoglobine glyquée (HBA1c).

BILAN DU RETENTISSEMENT FONCTIONNEL VISUEL

Ce bilan évalue la fonction (champ visuel, vision des couleurs) et la structure du nerf optique ( optical cohérence tomography [OCT]) ansi que l'oculomotricité (test de Lancaster).

TYPE D'URGENCE

Une exophtalmie post-traumatique est une urgence car elle peut révéler une fistule carotidocaverneuse. C'est un triage PEC de catégorie 4, car cette dernière est susceptible de se compliquer au niveau oculaire (occlusion veineuse, hypertonie aiguë) mais surtout au niveau cérébral (hémorragie méningée ou thrombose des veines corticales). Un hématome orbitaire peut entraîner une neuropathie optique compressive irréversible, nécessitant une prise en charge en urgence au moindre doute.

Les exophtalmies infectieuses, qu'il s'agisse de cellulites orbitaires ou de thromboses septiques du sinus caverneux sont également des urgences. Ce sont des triages PEC de catégorie 3, en raison du risque fonctionnel visuel mais surtout du risque vital potentiel (abcès cérébral, méningite, empyème ou septicémie). La thrombophlébite du sinus caverneux est une urgence vitale, donc un triage PEC de catégorie 1. La douleur est également souvent au premier plan.

Les exophtalmies sur orbitopathie dysthyroïdienne nécessitent une prise en charge rapide. Le triage PEC est habituellement de catégorie 4, en raison de signes de neuropathie optique associée.

Les exophtalmies inflammatoires non infectieuses doivent également être prises en charge en urgence en raison de leur caractère souvent très douloureux mais également du risque fonctionnel principalement visuel. Le triage est de catégorie 5.

Les exophtalmies tumorales de l'enfant sont des urgences en raison de la gravité des étiologies retrouvées et de la vitesse d'évolution très rapide possible de ces tumeurs. La prise en charge doit se faire le plus vite possible et dans les 24 heures au maximum (catégorie 4). Si cela est possible, le traitement initial est envisagé, voire réalisé le jour du diagnostic.

Les autres exophtalmies tumorales nécessitent également une prise en charge rapide du fait du risque d'extension vers le sinus caverneux.

Diagnostic étiologique
EXOPHTALMIES VASCULAIRES
FISTULE CAROTIDOCAVERNEUSE

Les fistules carotidocaverneuses sont souvent observées dans un contexte post-traumatique mais des fistules spontanées sont possibles, favorisées par certains facteurs congénitaux ou acquis : HTA, plaque athéromateuse, diabète, thrombophlébite, post-partum, collagénose. Les fistules carotidocaverneuses directes, type A [3], se manifestent en général par une exophtalmie, volontiers associée à des signes d'engorgement veineux orbitaire (chémosis, dilatation des vaisseaux épiscléraux, œdème papillaire, hypertonie oculaire). Des signes de drainage postérieur tels des acouphènes peuvent être associés. Les paralysies oculomotrices sont fréquentes et une atteinte du V2 est souvent associée. L'IRM ne peut montrer que des signes indirects tels qu'une dilatation de la veine ophtalmique supérieure ou une congestion des muscles oculomoteurs. L'artériographie permet de confirmer le diagnostic de fistule.

HÉMATOME ORBITAIRE

Dans un contexte post-traumatique ou postopératoire (notamment après chirurgie palpébrale), un hématome orbitaire peut compliquer le traumatisme initial et se manifester par une exophtalmie rapide et douloureuse. Des hématomes orbitaires spontanés ont été rapportés, en rapport avec une hypertension artérielle, une malformation vasculaire orbitaire, une thalassémie, une coagulopathie, une tumeur orbitaire ou un anévrisme. Le risque principal est celui d'une neuropathie optique compressive sévère dont l'issue serait la perte complète de perception lumineuse. Une exophtalmie résistante à la rétropulsion, douloureuse, associée à une hypertonie oculaire, un déficit pupillaire afférent relatif, une ophtalmoplégie, une hémorragie sous-conjonctivale et une ecchymose périorbitaire, doit faire évoquer le diagnostic. Les hématomes orbitaires de petite taille peuvent être surveillés de façon étroite mais en cas de suspicion d'hématome orbitaire avec des signes de neuropathie optique, ou en cas d'augmentation rapide de l'hématome, une évacuation doit être discutée et une cantholyse en urgence peut aider à diminuer rapidement la pression orbitaire. La pose de compresses glacées et l'ajout d'acétazolamide et de mannitol parentéraux afin de faire baisser la pression intra-oculaire peuvent être des aides précieuses pour protéger le nerf optique. Le contrôle et la documentation de l'acuité visuelle sont nécessaires, en particulier pour un hématome postopératoire. Les risques évolutifs, outre la neuropathie optique compressive et ischémique, sont l'occlusion de l'artère centrale de la rétine, l'occlusion veineuse rétinienne, l'ischémie rétinienne, l'atteinte des muscles oculomoteurs.

AUTRES LÉSIONS VASCULAIRES ORBITAIRES

On citera en seconde ligne les hémolymphangiomes, les varices orbitaires (dont l'exophtalmie peut se majorer lors de la manœuvre de Valsalva), les hémangiomes caverneux, les hémangiopéricytomes.

EXOPHTALMIES INFECTIEUSES [4]
CELLULITE ORBITAIRE

Les cellulites orbitaires constituent des urgences diagnostiques et thérapeutiques. La cellulite préseptale ne menace pas immédiatement le pronostic visuel, mais peut s'étendre secondairement à l'orbite. La cellulite rétroseptale menace directement le pronostic fonctionnel visuel (neuropathie optique et diplopie). C'est un triage de catégorie 3, car elle peut également se compliquer de thrombose septique du sinus caverneux, de méningite ou d'abcès cérébral. Le traitement repose sur l'antibiothérapie en urgence par voie intraveineuse dans les formes rétroseptales et orale ou intraveineuse dans les formes préseptales. L'héparinothérapie dans cette indication est discutée. Il faut penser à prévenir toute complication cornéenne de l'exophtalmie par l'ajout de substituts lacrymaux et de pommade vitamine A si besoin. Un traitement antalgique peut être nécessaire initialement.

THROMBOSE SEPTIQUE DU SINUS CAVERNEUX

La thrombose du sinus caverneux est une urgence vitale, d'autant plus péjorative qu'elle est septique [5]. C'est un triage PEC de catégorie 1, CIMU 2. Elle est observée le plus souvent chez des enfants ou des adultes jeunes, des patients diabétiques ou immunodéprimés. Le pronostic est très réservé car si la mortalité était de 100 % avant les antibiotiques, elle n'en demeure pas moins à 40 % sous antibiothérapie. Une atteinte bilatérale est parfois possible. Cliniquement, il existe un syndrome du sinus caverneux (ophtalmoplégie, V2) et une exophtalmie inflammatoire et douloureuse. Une porte d'entrée locorégionale est souvent retrouvée (sinusite faciale ou ethmoïdale, cellulite orbitaire, abcès cérébral). L'imagerie objective l'élargissement, le bombement et la prise de contraste du sinus caverneux, la dilatation de la veine ophtalmique, et recherche la porte d'entrée, ainsi que des signes de complications cérébrales. Le traitement est une urgence absolue par antibiothérapie intraveineuse, éventuellement associée à une héparinothérapie selon le tableau clinique. Une chirurgie de drainage sur la porte d'entrée est parfois nécessaire.

MUCORMYCOSES ET AUTRES INFECTIONS

Cet item est une infection fongique rare ( Rhizopus, Absidia ou Mucor ) mais au pronostic dramatique. La mucormycose doit être suspectée devant toute lésion nécrotique extensive du patient diabétique ou immunodéprimé (voir fig. 5-3-5). Les formes rhinocérébrales sont typiquement observées chez les patients diabétiques en décompensation acidocétosique mais des cas liés à toutes sortes d'immunodépressions ont été rapportés (infection par le VIH, corticothérapie au long cours, hémopathies malignes, etc.). Le pronostic vital du patient est en jeu. C'est donc une urgence thérapeutique de catégorie 1, CIMU 2. Le traitement repose sur l'administration d'amphotéricine B et le débridement chirurgical large des lésions. En dépit d'un traitement chirurgical agressif, la mortalité de ce type d'infection reste élevée.

EXOPHTALMIES INFLAMMATOIRES
ORBITOPATHIE DYSTHYROÏDIENNE

L'orbitopathie dysthyroïdienne est la cause la plus fréquente d'exophtalmie [6]. Le plus souvent, le diagnostic est aisé car il existe d'autres signes orientant vers l'origine thyroïdienne. Le degré d'urgence et la stratégie thérapeutique sont guidés par l'existence ou non de signes d'activité et d'inflammation, et par la présence de complications telles qu'une neuropathie optique, une diplopie ou des complications cornéennes. Dans les formes sévères, des bolus de méthylprednisolone sont proposés dans un premier temps.

ORBITOPATHIES INFLAMMATOIRES AUTRES

De nombreuses pathologies inflammatoires peuvent être responsables d'une exophtalmie, le plus souvent douloureuse. Des signes inflammatoires sont fréquemment au premier plan, la différenciant de la pathologie tumorale. Le bilan n'oriente le diagnostic qu'en aval des urgences. Il recherchera une maladie de Wegener, une sarcoïdose, un syndrome des anti-IgG4, un syndrome de Gougerot-Sjögren, une maladie de Behçet ou encore un lupus. En cas de négativité du bilan, une biopsie secondaire à l'aiguille échoguidée ou une biopsie chirurgicale peuvent permettre d'avancer dans le diagnostic. Parfois l'inflammation orbitaire reste idiopathique malgré un bilan bien conduit et une biopsie. Le traitement de première ligne est probabiliste. Il repose le plus souvent sur une corticothérapie intraveineuse avec relais per os.

EXOPHTALMIES TUMORALES

Toutes les tumeurs orbitaires, bénignes ou malignes, peuvent se manifester par une exophtalmie plus ou moins rapidement progressive. La tumeur bénigne orbitaire la plus fréquemment observée est l'hémangiome caverneux. Il peut s'agir également de l'envahissement locorégional d'une tumeur de proximité (nasopharynx, sinus maxillaire, sphénoïde, glande lacrymale) ou d'une localisation secondaire orbitaire (souvent un carcinome mammaire).

Chez l'enfant, un rhabdomyosarcome devra toujours être suspecté et constitue une urgence oncologique à prise en charge pluridisciplinaire.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Adenis J, Morax S. Pathologie orbito-palpébrale. Paris : Masson ; 1998, 830 p.
[2] Ling JD, Chao D, Al Zubidi N, Lee AG. Big red flags in neuro-ophthalmology. Can J Ophthalmol 2013 ; 48 : 3‑7.
[3] Barrow DL, Spector RH, Braun IF, et al. Classification and treatment of spontaneous carotid-cavernous sinus fistulas. J Neurosurg 1985 ; 62 : 248‑56.
[4] Rootman J. Diseases of the orbit : a multidisciplinary approach. 2nd ed. Philadelphia : Lippincott Williams & Wilkins ; 2003, 579 p.
[5] Khatri IA, Wasay M. Septic cerebral venous sinus thrombosis. J Neurol Sci 2016 ; 362 : 221‑7.
[6] Smith TJ, Hegedus L. Graves’ disease. N Engl J Med 2016 ; 375 : 1552‑65.

5.3.8 PTOSIS

C. VIGNAL-CLERMONT

Points forts

  • Un ptosis acquis peut être d'origine neurogène, myogène, aponévrotique ou mécanique.

  • Dans le cadre de l'urgence, l'examen permet de dépister et diriger rapidement en milieu neurologique les ptosis neurogènes, d'apparition brutale, qui mettent en jeu le pronostic vital du patient (score CIMU 2).

  • Les ptosis urgents ne sont jamais isolés, rechercher :

    • à l'interrogatoire des « drapeaux rouges » associés : une douleur, une diplopie, des troubles de la déglutition, une faiblesse musculaire ;
    • à l'examen : une anomalie pupillaire et/ou oculomotrice, une faiblesse des orbiculaires.
  • Les ptosis urgents surviennent dans le cadre d'un syndrome de Claude Bernard-Horner, d'une paralysie du nerf oculomoteur ou d'une myasthénie avec des signes de généralisation.

Présentation clinique
SYMPTOMATOLOGIE

Seuls les ptosis acquis récents ou qui se modifient brutalement sont potentiellement graves (demander des photos en cas de doute). L'interrogatoire précise la date de début du ptosis.

La variabilité avec aggravation lors d'efforts physiques est en faveur d'une myasthénie. Des troubles de la phonation ou de la déglutition, et/ou une fatigabilité musculaire associés à une variabilité du ptosis font craindre une myasthénie généralisée et demandent un transfert rapide en neurologie (score CIMU 3).

Une céphalée brutale (en coup de tonnerre) associée un ptosis est en faveur d'une hémorragie méningée liée à une fissuration anévrismale ou une apoplexie hypophysaire et doit faire rechercher une atteinte du III.

Une douleur centrée sur l'œil peut traduire une inflammation, une céphalée trigéminovasculaire (algie vasculaire de la face) ou une dissection carotidienne, en particulier s'il existe une irradiation vers l'angle de la mâchoire et le cou.

Une diplopie brutale associée à un ptosis signe une pathologie musculaire, une myasthénie ou une paralysie du III.

Une anomalie visuelle transitoire associée à un syndrome de Claude Bernard-Horner (CBH) est en faveur d'une dissection de la carotide interne avec bas débit d'aval. C'est une urgence neurologique, le patient doit être allongé et transféré en urgence en milieu neurologique chirurgical pour une imagerie carotidienne et une prise en charge.

TERRAIN

Chez un patient de plus de 55 ans avec altération de l'état général, douleurs des ceintures, claudication de la mâchoire, il faut évoquer la maladie de Horton.

ANTÉCÉDENTS

Des antécédents d'adénome hypophysaire ou de trouble endocrinien connu orientent vers une apoplexie pituitaire.

Une dysthyroïdie peut être en rapport avec un ptosis controlatéral à une rétraction palpébrale. Un diabète déséquilibré occasionne une atteinte du III extrinsèque.

Une myasthénie auto-immune connue est un élément d'orientation fort.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

On recherche les éléments qui peuvent entraîner une dissection carotidienne traumatique :

  • ±

    manipulation cervicale ;

  • ±

    accident de la voie publique récent ;

  • ±

    pose de cathéter sous-claviculaire ;

  • ±

    fracture de la clavicule ;

  • ±

    chirurgie de la thyroïde ;

  • ±

    sympathectomie pour hypersudation palmaire.

EXAMEN CLINIQUE SPÉCIFIQUE

L'examen est effectué en plus de l'examen ophtalmologique (réfraction, acuité visuelle, examen à la lampe à fente, fond d'œil).

EXAMENS DU PTOSIS STATIQUE ET DYNAMIQUE [1]
Examen statique

L'examen statique recherche une anomalie faciale ou des téguments, note la position des sourcils (sourcil haut par hyperaction des muscles frontaux). Il faut rechercher une éno- ou une exophtalmie, mesurer la hauteur de la fente palpébrale (normale 9 mm) et la position du pli palpébral par rapport à la marge cilaire (normale 10 mm).

Examen dynamique

L'examen dynamique mesure ou apprécie l'excursion du muscle releveur de la paupière supérieure (normale entre 12 et 15 mm). On apprécie la force des orbiculaires et recherche une variabilité du ptosis par des manœuvres répétées d'ouverture et de fermeture des paupières. La manœuvre de Cogan (demander au patient de regarder vers le bas, puis de revenir en position primaire) met en évidence la variabilité du ptosis. Le test au glaçon (posé une minutesur la paupière supérieure) confirme le diagnostic de myasthénie oculaire s'il améliore ou supprime le ptosis en position primaire.

EXAMEN DES PUPILLES À LA RECHERCHE D'UNE ANISOCORIE

Un myosis homolatéral au ptosis, avec majoration de l'anisocorie à l'obscurité (la petite pupille dilate moins et moins rapidement), évoque un CBH (fig. 5-3-18). Une mydriase peu ou pas réactive homolatérale au ptosis doit faire rechercher une diplopie (étude de la motilité oculaire et examen au verre rouge) et éliminer une atteinte du III. L'existence d'une paralysie du III doit faire explorer les autres paires crâniennes (II, IV, V et VI) pour localiser la lésion.

Fig. 5-3-18
Orientation diagnostique devant un ptosis unilatéral non traumatique acquis.
CBH : syndrome de Claude Bernard-Horner ; RPS : releveur de la paupière supérieure.

ÉTUDE DE LA MOTILITÉ OCULAIRE

On recherche une limitation des muscles innervés par le III. Une limitation du droit médial associée à un ptosis, surtout s'il est variable, évoque en premier lieu une myasthénie oculaire.

Examens paracliniques indispensables selon le tableau

  • ±

    Devant un CBH (douloureux) récent : il faut allonger le patient et pratiquer immédiatement une imagerie cérébrale et cervicale (IRM avec ARM ou scanner avec angio-scanner) à la recherche d'une dissection carotidienne. Le triage d'urgence répond à un score de prise en charge 1, score CIMU 2.

  • ±

    Devant un ptosis + mydriase hypo- ou aréactive + paralysie du III partielle ou totale : cette association impose également une imagerie cérébrale en urgence, IRM avec ARM ou scanner et angio-scanner, si possible en milieu neurologique, en raison du risque de fissuration anévrismale ou d'apoplexie hypophysaire. Le triage d'urgence répond à un score de prise en charge 1, score CIMU 2.

  • ±

    Devant une paralysie complète du III extrinsèque chez un patient de plus de 50 ans : cela doit faire rechercher des symptômes de la maladie de Horton. Il faut demander un dosage sanguin de la CRP et une thrombocytémie. L'imagerie et une biopsie d'artère temporale peuvent être pratiquées en aval dans un second temps.

  • ±

    En cas de suspicion de myasthénie oculaire : on pratique un dosage des anticorps antirécepteurs à l'acétylcholine et un bilan thyroïdien. On peut ensuite orienter le patient vers une consultation filiarisée complémentaire de neuro-ophtalmologie et de neurologie. En revanche, s'il existe des signes de généralisation, le patient doit être transféré immédiatement en neurologie. Le triage d'urgence répond à un score CIMU 3.

  • ±

    Devant un ptosis + exo- ou énophtalmie : l'association signe une pathologie orbitaire. On l'objective par une imagerie orbitaire.

Diagnostic étiologique

Les ptosis congénitaux représentent environ 75 % de la totalité des ptosis et sont éliminés à l'interrogatoire et à l'examen des photographies antérieures. Parmi les ptosis acquis, on distingue cinq origines différentes [2, 3].

PTOSIS NEUROGÈNE

Un ptosis neurogène peut correspondre à :

  • ±

    une paralysie du III (rechercher une anomalie pupillaire). Elle peut être d'origine ischémique (non artéritique ou liée à la maladie de Horton), compressive (par une tumeur ou un hématome), inflammatoire ou infectieuse, ou traumatique (voir plus haut et chapitre 4.2 ) ;

  • ±

    un syndrome de CBH acquis : vasculaire (dissection carotidienne), compressif (tumeur cervicale ou de l'apex pulmonaire), traumatique, ou dans le cadre d'une algie faciale (algie vasculaire de la face ou autre).

PTOSIS MYOGÈNE

Un ptosis myogène peut correspondre à :

  • ±

    une myasthénie oculaire ou généralisée. Le ptosis, majoré par les efforts physiques, est inaugural dans 50 % des cas. Cette maladie nécessite une prise en charge en milieu neurologique (avec scanner du thorax pour éliminer un thymome), immédiate en cas de signes extra-oculaires ;

  • ±

    une maladie des muscles oculomoteurs : myosites orbitaires spécifiques ou non avec parfois inflammation du releveur. Il existe souvent un œdème palpébral et des tissus mous péri-oculaires, une exophtalmie et une motilité douloureuse et limitée. Les myopathies héréditaires sont d'évolution lente et ne sont pas urgentes. Le ptosis peut être un signe précoce de botulisme, souvent bilatéral et accompagné d'hypotonie pupillaire et oculomotrice.

PTOSIS TRAUMATIQUE

Un ptosis traumatique est causé par une atteinte mécanique du releveur de la paupière supérieure, une paralysie du III ou une désinsertion de l'aponévrose.

PTOSIS MÉCANIQUE

Ce ptosis est lié à une inflammation, un tissu cicatriciel ou une tumeur palpébrale.

PTOSIS APONÉVROTIQUE

C'est la deuxième cause la plus fréquente de ptosis. Il ne nécessite pas de prise en charge urgente. Il peut être sénile, post-traumatique, post-chirurgie sur le globe ou lié à une entrave mécanique (dermatochalasis).

Diagnostics différentiels

Il s'agit d'un faux ptosis par :

  • ±

    hypotropie du côté du ptosis. Dans ce cas, la paupière se relève avec le globe hypotrope lorsque celui-ci reprend la fixation ;

  • ±

    énophtalmie, elle-même liée à un traumatisme ou une pathologie orbitaire rétractile (métastase orbitaire) ;

  • ±

    rétraction palpébrale controlatérale ;

  • ±

    blépharospasme : dans ce cas, le sourcil est abaissé par contraction de l'orbiculaire.

Prise en charge immédiate, surveillance, orientation

Le délai de prise en charge dépend du tableau clinique.

Les ptosis neurogènes – paralysie du III avec atteinte pupillaire et CBH récents –, surtout s'il existe une douleur, doivent être pris en charge immédiatement : le score de PEC est de 1 pour l'infirmier(ière) organisateur de l'accueil (IOA) et l'ophtalmologiste, avec un score CIMU 2 lié au risque d'atteinte vitale rapide. La demande d'imagerie doit être immédiate avec une surveillance du patient par l'infirmière et un transfert en milieu adéquate (neurologie, neuroradiologie interventionnelle, voire neurochirurgie).

Une maladie de Horton avec ptosis neurogène est triée en score de PEC de catégorie 2 en raison du risque de bilatéralisation ou d'occlusion artérielle additionnelle. La suspicion diagnostic et la confirmation d'un syndrome inflammatoire conduisent à l'administration parentérale immédiate d'un bolus de méthylprednisolone.

S'il existe une suspicion de myasthénie généralisée, le patient sera orienté en neurologie rapidement avec un score CIMU 3.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Pane A, Burdon M, Miller N. Ptosis. In : Pane A, Burdon M, Miller N. The neuro-ophthalmology survival guide. 2nd ed. London : Mosby Elsevier ; 2017, p. 293‑304.
[2] Miller N, Newman N, Biousse V, Kerrisson J. Normal and abnormal eyelid function. In : Miller N, Newman N, Biousse V, Kerrisson J. Eds. Walsh and Hoyt’s clinical neuro- ophthalmology : the essentials. Philadelphia : Lippincott Williams and Wilkins ; 2008. p. 285‑99.
[3] Caignard A, Leruez S, Milea D. Urgences en neuro-ophtalmologie. Journal Français d’Ophtalmologie 2016 ; 39 : 716‑28.

5.3.9 CONDUITE à TENIR DEVANT UNE OSCILLOPSIE

C. TILIKETE

Points forts

  • Une oscillopsie est une illusion d'instabilité du monde environnant [1]. Elle résulte le plus souvent soit d'un mouvement oculaire anormal acquis, soit d'une origine vestibulaire [2].

  • Dans le cadre de l'urgence, elle peut révéler :

    • une pathologie vasculaire (surtout hémorragique) du tronc cérébral ou du cervelet ;
    • une encéphalopathie de Gayet-Wernicke, une toxicité médicamenteuse ;
    • un processus tumoral, une sclérose en plaques ;
    • un processus infectieux, para-infectieux ou paranéoplasique.
  • Le type d'instabilité oculaire qui oriente le délai de prise en charge [3] peut correspondre à :

    • un nystagmus ;
    • des intrusions saccadiques ;
    • un tremblement paroxystique.

Présentation clinique
SIGNES FONCTIONNELS

Une oscillopsie est décrite par le patient comme une sensation de ressaut de l'environnement, de tremblement, qu'il faut chercher devant une perception mal définie de flou visuel. Elle peut être spontanée et témoigner d'un mouvement oculaire anormal [4]. Elle peut aussi ne survenir que lors des déplacements et témoigner d'un déficit du réflexe vestibulo-oculaire [5]. Ne seront abordées ici que les oscillopsies à caractère urgent, de survenue aiguë ou subaiguë, et étant la plainte fonctionnelle principale.

CONTEXTE

Dans le cadre de l'urgence, il est essentiel de déterminer le mode d'installation de l'oscillopsie, les circonstances de survenue, notamment traumatiques ou infectieuses, ainsi que son association à d'autres signes neurologiques et à des sensations vertigineuses. L'interrogatoire recherche spécifiquement les prises médicamenteuses (notamment lithium) et la consommation de toxique (notamment alcool), les facteurs de risque vasculaires, un amaigrissement important récent (carence en vitamine B1), la notion d'une affection neurologique connue (sclérose en plaques [SEP]), des antécédents carcinologiques (syndrome paranéoplasique, métastase).

Examen clinique

L'examen clinique doit s'évertuer à identifier une anomalie oculomotrice [6]. Si l'examen met en évidence une instabilité oculaire (nystagmus), il est déterminant de spécifier quel type d'instabilité est en cause (voir tableau 5-3-1 et fig. 5-3-19) [7].

Fig. 5-3-19
Représentation schématique de la position de l'œil en fonction du temps, pour les principaux types de mouvements oculaires anormaux.
Un nystagmus se définit par une alternance régulière de mouvements oculaires, comportant au moins une phase lente. Dans le cas du nystagmus à ressort, la phase lente est suivie d'une saccade de retour (phase rapide), cette dernière définissant par convention la direction du battement. Le nystagmus pendulaire comporte uniquement une alternance de phases lentes. Contrairement aux nystagmus, les intrusions saccadiques sont initiées par une phase rapide et ne comportent aucune phase lente [7]. Les ondes carrées sont des petites saccades (< 5°) horizontales de va-et-vient séparées par un intervalle de 200 msec. Les oscillations macrosaccadiques sont des oscillations de l'œil autour d'un point de fixation, correspondant à une forme sévère de dysmétrie saccadique. L'intervalle entre chaque saccade est aussi de 200 msec. Les oscillations saccadiques se manifestent par des bouffées de saccades sans intervalle intersaccadique. Quand les saccades sont purement horizontales, on parle de flutter, l'opsoclonus correspondant aux formes multidirectionnelles. La fréquence des oscillations est de 10 à 15 cycles par seconde.

Dans tous les cas d'instabilité oculaire, il faut l'évaluer dans toutes ses composantes (encadré 5-3-5).

Encadré 5-3-5
Composantes d'une instabilité oculaire aiguë à évaluer

Les composantes d'une instabilité oculaire sont :

  • sa direction (horizontale, verticale ou torsionnelle) ;

  • son sens de battement (horizontal, vertical, torsionnel, horaire ou antihoraire selon la direction du pôle supérieur de l'œil) ;

  • sa qualification de nystagmus à ressort ;

  • son caractère conjugué ou non conjugué ;

  • l'effet de la direction du regard, de la fixation visuelle et de différentes positions de la tête sur son déclenchement ;

  • sa vitesse ;

  • sa direction.

Si l'examen ne met pas en évidence de mouvement oculaire anormal, mais que le patient décrit une oscillopsie dans ses déplacements, il faut tester le réflexe vestibulo-oculaire par la manœuvre du head impulse test (fig. 5-3-20).

Fig. 5-3-20
Head impulse test.
a. Lors d'une rotation brève et rapide de la tête dans un sens, le regard du patient reste normalement stable et la fixation visuelle est maintenue. b. Si le système vestibulaire est déficitaire (croix rouge), les yeux ne compensent pas parfaitement le mouvement de la tête et doivent réaliser une saccade de refixation.

Le reste de l'examen clinique doit être complet sur le plan neurologique. Il recherche spécifiquement une paralysie oculomotrice, un syndrome cérébelleux, un signe de Claude Bernard-Horner, un syndrome vestibulaire, une atteinte de la sensibilité cutanée, etc. Il doit être complété par un examen ophtalmologique, testant la fonction visuelle, et un examen général recherchant notamment des signes d'imprégnation alcoolique ou un processus néoplasique.

Examens paracliniques indispensables

Les examens paracliniques dépendent du type de mouvement oculaire anormal retrouvé à l'examen.

EXAMEN BIOLOGIQUE

Outre le bilan standard recherchant notamment des facteurs thrombotiques et d'imprégnation alcoolique, le dosage de la vitamine B1 devrait être réalisé systématiquement. La lithémie doit être dosée en urgence chez un patient traité.

IRM ENCÉPHALIQUE

Une IRM encéphalique est le plus souvent nécessaire. Elle doit être orientée en urgence (à adapter aussi selon le contexte) essentiellement vers la recherche d'une pathologie vasculaire (ischémique, hémorragique) du tronc cérébral ou du cervelet, d'un syndrome de Gayet-Wernicke, d'une tumeur dans la fosse cérébrale postérieure, d'une SEP et d'une malformation de Chiari.

Le scanner cérébral n'a pas sa place dans le bilan en urgence devant une oscillopsie, en raison de sa faible sensibilité à détecter un accident vasculaire ischémique dans le territoire vertébrobasilaire, ainsi que des signes de Gayet-Wernicke ou de SEP.

Type d'urgence

Le délai de prise en charge dépend essentiellement du mode d'installation. Dans le cas d'une installation aiguë, les deux étiologies principales à évoquer sont vasculaires et métaboliques avec un score de PEC qui peut être estimé de 2, justifiant notamment une prise en charge en milieu neurologique dans les moins de 4 heures pour l'AVC, et une perfusion de vitamine B1 dans l'heure qui suit le diagnostic pour le syndrome de Gayet-Wernicke. Dans le cas d'une installation subaiguë, les étiologies tumorales, inflammatoires, infectieuses, para-infectieuses et paranéoplasiques doivent être évoquées avec un score PEC qui peut être estimé de 3 ou 4, dépendant des signes associés.

Signes cliniques et paracliniques spécifiques
INTOXICATION ÉTHYLIQUE

Tout signe clinique ou paraclinique d'imprégnation alcoolique chronique, tout signe de dénutrition et l'association à un syndrome confusionnel et une ataxie doivent faire évoquer un syndrome de Gayet-Wernicke et débuter une perfusion de vitamine B1 en urgence, dès le dosage biologique réalisé.

ORIENTATION CARDIOVASCULAIRE

Tout facteur de risque cardiovasculaire, toute céphalée et, pour le sujet jeune, toute suspicion de dissection vertébrale (traumatisme cervical, cervicalgie) doivent faire évoquer le diagnostic d'AVC justifiant une imagerie IRM et/ou un transfert en urgence en milieu neurovasculaire.

HYPERTENSION INTRACRÂNIENNE

Tout signe d'hypertension intracrânienne (HTIC) associé à l'oscillopsie doit évoquer une tumeur de la fosse cérébrale postérieure justifiant une imagerie IRM urgente et une prise en charge urgente en milieu neurochirurgical.

Diagnostic étiologique

Les étiologies les plus fréquentes à l'origine d'une oscillopsie aiguë ou subaiguë, se présentant comme manifestation principale, sont répertoriées ici.

PATHOLOGIE VASCULAIRE

Un AVC est exceptionnellement pourvoyeur d'une instabilité oculaire dominant le tableau clinique, mais doit être évoqué devant un nystagmus d'installation brutale, qu'elle que soit sa forme. Il s'agit plus souvent d'un AVC hémorragique du tronc cérébral ou du cervelet, conséquence d'une malformation vasculaire de type cavernome (fig. 5-3-21) [8] ou malformation artérioveineuse, que d'un AVC ischémique. Une oscillopsie en lien avec un nystagmus pendulaire fait partie du syndrome du tremblement oculopalatin qui s'installe généralement plusieurs semaines à plusieurs mois après un accident vasculaire du tronc cérébral [9].

Fig. 5-3-21
Patient ayant consulté pour une oscillopsie verticale, en lien avec un nystagmus vertical battant vers le haut. L'IRM (T2*) montre un cavernome bulbaire caudal paramédian expliquant le tableau clinique [8].

ENCÉPHALOPATHIE DE GAYET-WERNICKE ET AUTRES PATHOLOGIES MÉTABOLIQUES

L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke se manifeste par une triade associant syndrome confusionnel, ataxie posturale et troubles oculomoteurs. Ces derniers peuvent être au premier plan, sous la forme de nystagmus des regards excentré, horizontal, vertical ou de diverses paralysies oculomotrices. Néanmoins un syndrome de Gayet-Wernicke doit être systématiquement évoqué devant un nystagmus vertical battant vers le haut, même sans la triade au complet, puisqu'il représenterait 20 % des étiologies de ce nystagmus [2]. L'IRM peut être utile au diagnostic (fig. 5-3-22), mais elle peut également être normale. Le syndrome de démyélinisation osmotique (ex-myélinolyse centropontine) peut se manifester également par des troubles oculomoteurs à type de nystagmus battant vers le haut ou d'autres types de nystagmus centraux [10].

Fig. 5-3-22
Patient alcoolique chronique consultant pour un syndrome confusionnel et une oscillopsie verticale en lien avec un nystagmus vertical battant vers le haut, révélant un syndrome de Gayet-Wernicke [2].
L'IRM montre des hypersignaux typiques périaqueducaux (A) et diencéphaliques (B) en FLAIR et un rehaussement bilatéral des corps mamillaires par le gadolinium en T1 (C).

ÉTIOLOGIES MÉDICAMENTEUSES ET TOXIQUES

De nombreux médicaments ou toxiques peuvent être responsables d'une oscillopsie (voir encadré 5-3-1) [11]. De nombreux psychotropes peuvent induire une ataxie et un nystagmus du regard excentré (et moins fréquemment un nystagmus battant vers le bas) à des doses thérapeutiques. Dans ce cas, ces effets sont régressifs à l'arrêt du traitement. Une intoxication au lithium doit être suspectée assez systématiquement, notamment devant un nystagmus battant vers le bas, ce d'autant qu'elle peut conduire à des lésions définitives notamment bulbaires et cérébelleuses très invalidantes si le traitement n'est pas rapidement arrêté. Une aréflexie vestibulaire consécutive à une ototoxicité doit être évoquée devant tout patient présentant une oscillopsie lors de ses déplacements et une ataxie dans les suites d'une antibiothérapie par aminosides, même en l'absence de surdité.

SCLÉROSE EN PLAQUES

On peut observer des mouvements oculaires anormaux relativement fréquemment dans la SEP : nystagmus monoculaire en abduction accompagnant l'ophtalmoplégie internucléaire, nystagmus des regards excentrés, nystagmus pendulaire ou intrusions saccadiques dans les manifestations chroniques [12]. Les rares cas d'oscillopsie aiguë ou subaiguë observés dans cette maladie sont liés le plus souvent à un nystagmus vertical battant vers le haut survenant à l'occasion d'une poussée du tronc cérébral (fig. 5-3-23) [13]. Celle-ci peut être inaugurale et il s'agit d'une étiologie à évoquer devant un nystagmus vertical battant vers le haut.

Fig. 5-3-23
Patient consultant pour une oscillopsie verticale, en lien avec un nystagmus vertical battant vers le haut. Il présente également un vertige, une ataxie, une dysgueusie et une diplopie.
L'IRM T2 montre un hypersignal médiopontique, avec un bilan évocateur d'une SEP [13].

PROCESSUS INFECTIEUX OU PARA-INFECTIEUX

Un processus infectieux (cérébellite) ou para-infectieux doit être évoqué devant un flutter ou opsoclonus. Dans ce cas, il s'accompagne le plus souvent d'un syndrome cérébelleux et de myoclonies segmentaires : il prend le nom de syndrome opsoclonus-myoclonus. Il faut également évoquer la possibilité d'une méningoradiculite infectieuse chez un patient présentant un tableau d'aréflexie vestibulaire associé à des signes méningés et orienter la prise en charge de manière adaptée. La maladie de Creutzfeldt-Jacob peut se manifester par un nystagmus dominant un tableau de syndrome cérébelleux.

SYNDROME PARANÉOPLASIQUE

Le modèle de syndrome paranéoplasique est le syndrome opsoclonus-myoclonus, observé le plus souvent dans le cadre d'un neuroblastome chez l'enfant, et d'un cancer du sein et du poumon chez l'adulte. On peut également observer un nystagmus battant vers le bas, dans le cadre d'un syndrome cérébelleux paranéoplasique. Le tableau est souvent inaugural et justifie un bilan approfondi à la recherche du processus néoplasique.

TUMEUR DE LA FOSSE CÉRÉBRALE POSTÉRIEURE

Un processus tumoral de la fosse postérieure doit être évoqué systématiquement devant un tableau neurologique central dominé par un nystagmus ou des intrusions saccadiques, ce d'autant qu'il existe des signes d'HTIC.

PROCESSUS ANORGANIQUE

Un processus anorganique peut être responsable d'une instabilité oculaire à l'origine d'une oscillopsie, principalement le flutter anorganique (ou nystagmus volontaire) [14, 15] constitué de saccades rapidement alternantes de fréquence et d'amplitude variables. Il se différencie d'un flutter organique par un tremblement des paupières, une expression faciale crispée, un rétrécissement des fentes palpébrales et une tendance à converger. L'examen neurologique est par ailleurs normal sans ataxie ni myoclonie.

MYOKIMIE DE L'OBLIQUE SUPÉRIEUR

Ce diagnostic doit être évoqué devant une plainte d'oscillopsie monoculaire, parfois associée à une diplopie, même sans que ne soit mis en évidence le tremblement paroxystique d'un œil [16].

Diagnostic différentiel essentiel

Le diagnostic différentiel essentiel d'une oscillopsie est celui d'une diplopie. Il est important de faire préciser si le symptôme est supprimé à l'occlusion d'un œil.

Prise en charge immédiate

Une oscillopsie aiguë relève le plus souvent d'une instabilité oculaire acquise d'origine neurologique. Après la réalisation du bilan paraclinique indispensable en structure d'urgence, la priorité de la prise en charge est le transfert hospitalisé en milieu neurologique ou neurochirurgical.

Pronostic

Si elle persiste dans le temps (dépendant de l'étiologie sous-jacente), l'oscillopsie est très invalidante, qu'elle survienne dans le cadre d'un nystagmus [17] ou d'une aréflexie vestibulaire [5]. Dans le cadre de mouvements oculaires anormaux, certains agents pharmacologiques peuvent être parfois utiles pour réduire ou supprimer l'instabilité oculaire [18]. Dans le cas de l'aréflexie vestibulaire, le traitement repose sur la rééducation vestibulaire visant à renforcer une compensation par le biais des réflexes optocinétiques, cervico-oculaires ou de saccades [5].

BIBLIOGRAPHIE

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[18] Tilikete C, Vighetto A. Oscillopsia : causes and management. Curr Opin Neurol 2011 ; 24 : 38‑43.

5.3.10 CÉPHALÉES, ALGIES FACIALES, NEURO-OPHTALMOLOGIE ET URGENCE NEUROLOGIQUE

D. BIOTTI

Points forts

  • Indépendamment du point d'appel ophtalmologique associé, le patient vu aux urgences pour la première fois avec des céphalées inhabituelles doit bénéficier d'un interrogatoire rigoureux et systématique à la recherche de drapeaux rouges évidents.

  • Toute céphalée de début brutal voire en coup de tonnerre est vasculaire jusqu'à preuve du contraire. Un avis neurologique est nécessaire mais ne doit pas faire retarder la réalisation immédiate d'une imagerie cérébrale avec injection des troncs supra-aortiques.

  • Toute céphalée associée à une altération de l'état général, de la fièvre, un syndrome méningé ou survenant chez le sujet de plus de 55 ans doit faire rechercher des éléments pour une méningite ou une maladie de Horton.

  • Tout patient céphalalgique doit être méticuleusement examiné à la recherche d'une anomalie pupillaire ou d'un trouble oculomoteur. L'examen du fond d'œil est obligatoire.

  • Toute manifestation oculomotrice (en dehors de l'atteinte pupillaire) peut être liée à une myasthénie, même chez un patient céphalalgique pour une autre raison.

  • Une aura visuelle ne doit pas être monoculaire !

Introduction

La dernière classification internationale des céphalées dénombre plus de 170 céphalées distinctes [1]. Parmi elles, celles qui s'associent à des manifestations ophtalmologiques sont fréquentes. Les véritables urgences sont rares et dispersées au sein de céphalées bénignes et ne doivent pas être manquées.

Nous ne reprenons ici que les urgences dont le mode d'entrée peut impliquer une composante neuro-ophtalmologique, et effectuons un rappel sur l'aura visuelle migraineuse dont le diagnostic précis doit être fait afin de ne pas faussement évoquer une urgence neurologique.

Migraine avec aura visuelle

Cette migraine nécessite un diagnostic immédiat pour éliminer une urgence neurovasculaire.

SIGNES FONCTIONNELS

La céphalée migraineuse typique dure de 4 à 72 heures en l'absence de traitement, elle est unilatérale, pulsatile, d'intensité modérée à sévère, aggravée ou déclenchée par l'activité physique de routine et accompagnée de nausées ou vomissements, de photophobie et phonophobie [1].

Les auras visuelles associent des phénomènes positifs bilatéraux (allant du scintillement à l'hallucination complexe) et/ou négatifs (scotome), elles durent de 5 à 20 minutes (typiquement < 1 heure), et précédent le plus souvent la douleur :

  • ±

    la manifestation la plus fréquente est le scotome scintillant ;

  • ±

    l'aura visuelle ne s'exprime que sur un mode déficitaire, hémianopsique voire transitoirement cécitant ;

  • ±

    des hallucinations complexes sont rarement rapportées chez l'adulte, mais sont moins inhabituelles chez l'enfant (syndrome d'Alice au pays des merveilles, par exemple).

ORIENTATION D'URGENCE ET CONTEXTE

La migraine est la céphalée primaire la plus fréquente.

La migraine avec aura (MAA) est retrouvée chez un tiers à la moitié des patients migraineux. Les auras sont visuelles dans 90 % des cas.

Migraine sans aura (MSA) et MAA sont diagnostiquées sur la base de critères précis de l' International Classification of Headache Disorders (ICHD) [1].

EXAMEN CLINIQUE

L'examen clinique doit être normal.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Afin d'appliquer les critères diagnostiques établis [1], face à une première crise d'aura, même typique, le diagnostic est suspecté mais non encore validé (deux crises sont nécessaires). Le patient doit bénéficier de la réalisation d'une imagerie encéphalique, idéalement d'une IRM effectuée en aval de la consultation d'urgence initiale.

DIAGNOSTIC

Le diagnostic de MAA ne doit être porté que chez des patients présentant une aura typique et remplissant les critères diagnostiques [1].

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

  • ±

    Aura visuelle persistante : c'est une aura qui dure de plus de 1 heure à plusieurs jours en continu [1]. Un avis neurologique s'impose. Une IRM doit être effectuée en urgence à la recherche d'une souffrance occipitale.

  • ±

    Migraine rétinienne : c'est un diagnostic d'exclusion [1]. Le tableau clinique est monoculaire, précédant ou accompagnant la céphalée. Il s'agit de déficits visuels plus que de phénomènes positifs, stéréotypés, durant quelques minutes ; ils surviennent de plusieurs fois par an à plusieurs fois par semaine, ils sont isolés et sans séquelles entre les épisodes. Un bilan neurovasculaire exhaustif doit être réalisé.

  • ±

    Migraine ophtalmoplégique : elle ne doit plus être évoquée sous cette dénomination et ne fait plus partie des nouvelles classifications diagnostiques. Le terme de neuropathie ophtalmoplégique (récurrente) douloureuse doit être utilisé (voir le paragraphe « Céphalées et paralysie oculomotrice au premier plan ») [1].

  • ±

    Algie vasculaire de la face : voir plus loin.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE, SURVEILLANCE, ORIENTATION

L'anomalie visuelle et la douleur justifient la demande de soins non programmés. Cependant, la prise en charge de l'item de migraine avec aura est un triage PEC de catégorie 5 sur des signes typiques. En revanche, des signes atypiques ou neurologiques associés justifient un triage PEC de catégorie 2, score CIMU 3 pour éliminer un item neuro-ophtalmologique sévère. Les traitements des crises comprennent les antalgiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les triptans. Aucun traitement spécifique n'est efficace sur l'aura.

Céphalée et ptosis et/ou anomalie pupillaire au premier plan
SIGNES CLINIQUES OPHTALMOLOGIQUES ASSOCIÉS À LA CÉPHALÉE

Ce sont le ptosis, l'anisocorie, les anomalies oculomotrices.

ORIENTATION D'URGENCE ET CONTEXTE

Le syndrome de Claude Bernard-Horner (CBH) douloureux fait suspecter une dissection artérielle sous-jacente. Il y est associé dans 50 à 60 % des cas, et retrouvé isolé dans 10 % des cas.

Le III partiel avec atteinte intrinsèque, douloureux fait craindre une compression du III lors d'un syndrome de fissuration anévrismale. En cas de rupture de l'anévrisme, une céphalée en coup de tonnerre est le plus souvent rapportée. Le tableau clinique associe d'autres symptômes neurologiques allant du simple syndrome méningé au décès brutal. L'examen ophtalmologique peut se compléter d'une paralysie du ou des VI ou d'un syndrome de Terson. La mortalité des hémorragies méningées par rupture d'anévrisme avoisine 50 %.

EXAMENS CLINIQUES COMPLÉMENTAIRES

Il faut pratiquer un examen neurologique complet (voir chapitre 4.2 ).

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

On les envisage selon le tableau clinique :

  • ±

    devant un CBH douloureux : les tests aux collyres ne sont pas nécessaires en cas d'urgence. Dès le diagnostic suspecté, une imagerie cérébrale par IRM avec imagerie des troncs supra-aortiques (TSA) ou un scanner injecté avec angiographie des TSA doivent être effectués sans délai ;

  • ±

    devant un III douloureux : une imagerie cérébrale par IRM avec imagerie des TSA ou un scanner injecté doivent être effectués sans délai.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

L'algie vasculaire de la face est une céphalée primaire fréquemment associée à un CBH en cours de crise, et retrouvé dans 20 % des cas en dehors. Il s'agit d'une urgence thérapeutique en raison de son intensité douloureuse. Le tableau typique est celui d'un homme jeune, consultant pour un tableau récidivant de céphalées fronto-orbitaires très intenses, à type de broiement, durant 15 à 180 minutes, associées à une injection conjonctivale, un larmoiement, un écoulement nasal. Face à une première crise, le bilan est celui d'un CBH douloureux. L'urgence est de soulager le patient avec un traitement par oxygénothérapie et/ou par sumatriptan.

D'autres pathologies urgentes peuvent se rencontrer via le mode d'entrée du ptosis et/ou de l'anomalie pupillaire dans un contexte de céphalées, même si généralement d'autres signes sont accompagnateurs. On se méfiera en particulier des items suivants :

  • ±

    la maladie de Horton (voir plus loin) ;

  • ±

    la myasthénie, d'une atteinte du sinus caverneux ;

  • ±

    une atteinte ophtalmologique pure (glaucome aigu par fermeture de l'angle).

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE, SURVEILLANCE ET ORIENTATION

Un CBH ou un III douloureux doivent être pris en charge sans délai, avec un score de PEC de catégorie 1 et un score CIMU 2, en milieu neurovasculaire interventionnel.

Céphalées et paralysie oculomotrice au premier plan
SIGNES CLINIQUES OPHTALMOLOGIQUES ASSOCIÉS À LA CÉPHALÉE

On observe une atteinte isolée ou combinée des nerfs III, IV ou VI.

ORIENTATION D'URGENCE ET CONTEXTE
PARALYSIE ISOLÉE D'UN NERF CRÂNIEN ET CÉPHALÉES PAR ATTEINTE DU III, IV OU VI [2]

Les paralysies oculomotrices d'origine microvasculaire ne doivent être évoquées que devant un tableau strictement isolé chez un patient de plus 60 ans présentant des facteurs de risque vasculaires. Des céphalées peuvent être présentes, généralement peu intenses et l'on éliminera nécessairement une maladie de Horton.

En cas d'atteinte intrinsèque du III, un bilan de III compressif doit être réalisé immédiatement.

De manière non localisatrice, la paralysie du VI peut révéler une HTIC.

PARALYSIES MULTIPLES UNILATÉRALES DE NERFS OCULOMOTEURS ET CÉPHALÉES

Elles traduisent une atteinte du sinus caverneux (III, IV, V1, V2, VI et branche sympathique) ou de l'orbite (atteinte du nerf optique possible à l'apex). Les principales affections à considérer sont d'origine néoplasique, inflammatoire, infectieuse ou encore vasculaire.

PARALYSIES MULTIPLES BILATÉRALES DE NERFS OCULOMOTEURS ET CÉPHALÉES

Toutes les causes d'atteintes unilatérales multiples peuvent être retrouvées ici (sinus caverneux, orbite).

Les accidents vasculaires ischémiques ou hémorragiques affectant la fosse postérieure sont à considérer (début brutal).

L'apoplexie pituitaire [3] correspond à la transformation hémorragique ou ischémique d'un adénome hypophysaire. Le tableau est brutal associant céphalée intense (95 %), signes d'HTIC, atteinte du champ visuel (64 %) et ophtalmoplégie (78 %). Des troubles de la conscience sont retrouvés dans 30 % des cas.

Le syndrome de Miller-Fisher peut être associé à des céphalées (2 à 7 % des cas), parfois intenses. Les patients présentent une aréflexie ostéotendineuse et une ataxie. Le tableau fait suite à un épisode infectieux.

EXAMENS CLINIQUES COMPLÉMENTAIRES

Les examens cliniques complémentaires recherchent des signes de localisation (orbite, apex, sinus caverneux, tronc cérébral), d'HTIC, des fluctuations en faveur d'une myasthénie, d'une altération de l'état général en faveur d'une maladie de Horton.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES SELON LE TABLEAU

  • ±

    Atteinte microvasculaire d'un nerf crânien : voir chapitre 5.3.8 , « Ptosis ».

  • ±

    Paralysie du VI et suspicion d'HTIC : imagerie encéphalique en urgence à la recherche d'un processus intracrânien expansif, d'une thrombose veineuse cérébrale.

  • ±

    Apoplexie pituitaire : IRM centrée sur l'hypophyse en urgence. Les pronostics fonctionnel et vital sont engagés. Discussion de prise en charge médicale voire chirurgicale, urgente et adaptée [3].

  • ±

    Processus expansif intra-orbitaire, myosite orbitaire : scanner orbitaire et surtout IRM.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

  • ±

    Ophtalmoplégie récurrente douloureuse (ex-migraine ophtalmoplégique) : le bilan doit être orienté selon la sémiologie de l'atteinte oculomotrice observée (voir plus haut). C'est un diagnostic d'exclusion qui peut être proposé si les critères de l'ICHD sont remplis [1].

  • ±

    Maladie de Horton : elle doit systématiquement être évoquée et recherchée chez le patient de plus de 55 ans. La myasthénie, classiquement indolore, est toujours à garder à l'esprit.

Céphalées et exophtalmie au premier plan

La démarche diagnostique et de prise en charge est celle d'une exophtaimie, elle est exposée dans les chapitres 4.2 et 5.3.5.

On citera simplement comme items d'urgence principaux les fistules carotidocaverneuses, la thrombophlébite du sinus caverneux [4] et la cellulite orbitaire.

Céphalées et « œil rouge » au premier plan
SIGNE CLINIQUE OPHTALMOLOGIQUE ASSOCIÉ À LA CÉPHALÉE

L'œil rouge est l'unique signe clinique ophtalmologique associé à la céphalée.

CONTEXTE ET ORIENTATION

Mode d'entrée fréquent en milieu ophtalmologique d'urgence (1 item/5), l'œil rouge est rarement un symptôme associé à une urgence neurologique. Il s'agit alors de cas d'inflammation intra-orbitaire ou d'une fistule (voir plus haut). Rarement, une kératite est le seul mode de révélation d'une paralysie faciale. Il convient donc d'exclure cette dernière.

Nous ne détaillons pas ici les items associant des douleurs céphalalgiques et un œil rouge qui ne seraient pas neuro-ophtalmologiques, comme certaines formes de kératites (herpétiques +), uvéites ou encore le glaucome aigu par fermeture de l'angle.

Céphalées et anomalie visuelle au premier plan
SIGNES CLINIQUES OPHTALMOLOGIQUES À RECHERCHER

  • ±

    Œdème papillaire associé à une neuropathie optique ischémique ou inflammatoire ou plus rarement un œdème papillaire de stase.

  • ±

    Déficit pupillaire afférent relatif s'il est unilatéral.

ORIENTATION D'URGENCE ET CONTEXTE
MALADIE DE HORTON

Une baisse de vision monoculaire ou binoculaire transitoire récidivante ou constituée, qui survient dans un contexte de céphalées, est une maladie de Horton jusqu'à preuve du contraire, d'autant plus qu'elle affecte un sujet de plus de 50-60 ans. La moitié des patients présente des manifestations ophtalmologiques ; la plus fréquente d'entre elles (70 à 80 % des cas) est la neuropathie optique ischémique antérieure artéritique (NOIAA) [5], précédées d'anomalies visuelles transitoires [5] dans 30 % des cas. L'atteinte d'emblée bilatérale ou se bilatéralisant dans les 2 semaines en l'absence de traitement survient dans près de la moitié des cas [5]. On recherche une altération de l'état général (mais NOIAA isolée dans 25 % des cas) [2], des céphalées à prédominance bitemporale (avec induration des artères temporales), une claudication de la mâchoire, une hypersensibilité du scalp. Des signes de pseudopolyarthrite rhizomélique sont fréquents.

NEUROPATHIES OPTIQUES INFLAMMATOIRES OU NÉVRITES OPTIQUES

Le plus souvent, le contexte est celui d'une anomalie visuelle unilatérale, avec baisse de l'acuité visuelle (BAV) non améliorable, modérée à sévère, constituée en quelques heures à moins de 2 semaines, survenant chez une femme caucasienne âgée de 20 à 40 ans [6]. On recherchera d'autres signes de focalisation neurologique (tels des épisodes anciens).

HYPERTENSION INTRACRÂNIENNE, SECONDAIRE ET « IDIOPATHIQUE »

Une HTIC doit systématiquement être évoquée en cas de céphalées associées à un œdème papillaire de stase. Cependant, l'anomalie visuelle est rare et tardive [6].

HYPERTENSION ARTÉRIELLE MALIGNE ET URGENCE HYPERTENSIVE

Rare mais sévère, une HTA maligne met en jeu le pronostic vital. L'urgence hypertensive est définie par une pression artérielle systolique supérieure à 180 mmHg ou diastolique supérieure à 120 mmHg associée à une souffrance d'organe (œil, cœur, cerveau, rein, autres). L'atteinte ophtalmologique (rétinopathie hypertensive) est présente dans un à deux tiers des cas. Le risque évolutif est la complication par encéphalopathie HTA ou défaillance cardiaque. Les céphalées sont présentes dans 60 % des cas environ.

EXAMENS PARACLINIQUES INDISPENSABLES

Les examens paracliniques s'envisagent selon le tableau clinique.

MALADIE DE HORTON

  • ±

    Aucun examen ne doit retarder sa prise en charge.

  • ±

    Biologie avec résultats en urgence : VS, CRP, plaquettes.

  • ±

    Autres en aval : angiographie rétinienne. La biopsie d'artère temporale apporte la preuve formelle, mais sa normalité n'exclut pas le diagnostic.

NEUROPATHIES OPTIQUES INFLAMMATOIRES

Une IRM cérébrale est réalisée sans et avec injection avec des séquences d'exploration orbitaire et des nerfs optiques, puis prise en charge d'aval est faite en neurologie.

HYPERTENSION INTRACRÂNIENNE

Une imagerie cérébrale est systématique : une IRM avec séquences veineuses recherche un processus expansif ou une thrombose veineuse cérébrale.

La prise en charge d'aval ultérieure est organisée en milieu neurologique.

HYPERTENSION ARTÉRIELLE MALIGNE ET URGENCE HYPERTENSIVE

Les deux explorations sont la mesure de la pression artérielle et l'analyse de la fonction rénale.

Des examens biologiques sont effectués avec résultats en urgence : ionogramme sanguin, urée, créatinine et sa clairance.

Le bilan étiologique d'aval s'organise en consultation filiarisée spécialisée, après l'épisode aigu.

PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE, SURVEILLANCE, ORIENTATION
MALADIE DE HORTON

Il faut instaurer une corticothérapie efficace immédiatement, dès le diagnostic évoqué, généralement à haute dose par voies intraveineuses initiales (1 g/jour) puis en relais 1 mg/kg/jour [5]. Certains associent de petites doses d'aspirine. L'effet est spectaculaire et rapide sur la symptomatologie systémique, sur la prévention des complications, mais peu efficaces sur la fonction visuelle.

NEUROPATHIES OPTIQUES INFLAMMATOIRES

L'urgence de la prise en charge est de catégorie 4. Le traitement repose sur la corticothérapie intraveineuse à raison de 1 g/jour pendant 3 à 5 jours.

HYPERTENSION INTRACRÂNIENNE SECONDAIRE (TUMEUR, ABCÈS, HÉMATOME, THROMBOPHLÉBITE)

L'urgence de la prise en charge dépend de l'étiologie de l'item. L'HTIC secondaire impose le transfert en milieu spécialisé (voir plus haut).

HYPERTENSION INTRACRÂNIENNE IDIOPATHIQUE

L'urgence de la prise en charge est seulement de catégorie 5. Le traitement est fondé sur un objectif de perte de poids, l'acétalozamide et un régime hyposodé [7].

HYPERTENSION ARTÉRIELLE MALIGNE ET URGENCE HYPERTENSIVE

L'urgence de la prise en charge est de catégorie 2 (CIMU 2). L'orientation d'urgence se fait vers une structure de soins intensifs vasculaires. Un traitement par antihypertenseur intraveineux est mis en place (idéalement en milieu spécialisé, avec pour objectif une baisse de la pression artérielle de 25 % la première heure).

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5.3.11 PARTICULARITÉS DES URGENCES NEURO-OPHTALMOLOGIQUES DE L'ENFANT

M. ROBERT

Points forts

  • Le raisonnement étiologique devant un signe d'appel neuro-ophtalmologique chez l'enfant est souvent similaire à celui adopté chez l'adulte, mais l'urgence n'est bien souvent pas là où on l'attendrait chez l'adulte.

  • Ainsi, un syndrome de Claude Bernard-Horner est bien une urgence, mais à cause de la possibilité d'un neuroblastome et non d'une dissection carotidienne ; une parésie du III est, elle, aussi une urgence, mais la compression n'est quasiment jamais de nature anévrismale.

Arguments pour une urgence devant un nystagmus chez l'enfant
INTERROGATOIRE

On recherche les éléments suivants en faveur d'un item d'urgence :

  • ±

    le caractère acquis après l'âge de 4 mois ;

  • ±

    l'association à une altération des courbes de croissance.

EXAMEN

Les éléments suivants sont en faveur d'une prise en charge urgente :

  • ±

    une composante verticale ou rotatoire prédominante du nystagmus ;

  • ±

    un caractère dissocié (amplitude différente entre les deux yeux ; à l'extrême, monoculaire) ;

  • ±

    un caractère dysconjugué (direction différente entre les deux yeux) ;

  • ±

    un caractère intermittent (critère d'urgence uniquement au-delà de 5 mois, tout nystagmus débutant peut être initialement intermittent) ;

  • ±

    une présence d'un déficit pupillaire afférent relatif ;

  • ±

    une pâleur papillaire pathologique.

CONDUITE À TENIR
EXPLORATIONS

  • ±

    En cas de mouvements oculaires intermittents, il est essentiel de revoir rapidement les parents afin d'effectuer une vidéo des mouvements pour pouvoir les qualifier.

  • ±

    En cas d'arguments pour une urgence (situation rare pour un nystagmus de l'enfant), on réalise une IRM encéphalique dans un délai de 1 semaine.

  • ±

    En l'absence d'argument pour une urgence, l'aval consiste en une consultation spécialisée en nystagmus dans le mois.

TRAITEMENT

Voir chapitre 5.5.16.

Arguments pour une urgence devant un flutter ou un opsoclonus chez l'enfant

L'opsoclonus (succession de saccades oculaires multidirectionnelles conjuguées sans intervalle libre) peut être considéré comme toujours pathologique et urgent, qu'il soit permanent ou intermittent.

Le flutter (succession de saccades oculaires horizontales conjuguées sans intervalle libre) est dans la grande majorité des cas « idiopathique », familial, et ne requiert alors aucun examen complémentaire. Dans les autres cas au contraire, il impose une prise en charge agressive en urgence.

INTERROGATOIRE

On recherche les éléments suivants en faveur d'un item d'urgence :

  • ±

    un caractère évolutif, sur plusieurs jours ou semaines, avec augmentation de la fréquence de survenue et de la durée des épisodes ;

  • ±

    une association à une altération de l'état général ;

  • ±

    une modification du comportement, de l'humeur, de la motricité ;

  • ±

    la présence de myoclonies.

EXAMEN

On cherche à objectiver les signes d'une urgence :

  • ±

    humeur labile de l'enfant ;

  • ±

    présence de saccades verticales (début de transformation du flutter en opsoclonus) ;

  • ±

    syndrome cérébelleux.

CONDUITE À TENIR
EXPLORATIONS

Ne rien entreprendre en dehors d'un centre spécialisé ayant l'habitude de prendre en charge les syndromes opso-myocloniques de l'enfant. En présence d'arguments pour une urgence, il faut transférer l'enfant dans un tel centre le jour même.

TRAITEMENT

Le traitement est double et doublement urgent :

  • ±

    dans la moitié des cas environ, il correspond à la prise en charge d'un éventuel neuroblastome associé ;

  • ±

    dans tous les cas, il prend en charge le syndrome opso-myoclonique afin d'en limiter les séquelles.

Arguments pour une urgence devant une paralysie oculomotrice chez l'enfant
INTERROGATOIRE

On recherche les éléments suivants en faveur d'un item d'urgence :

  • ±

    céphalées d'HTIC ;

  • ±

    acouphènes pulsatiles ;

  • ±

    photopsies positionnelles ;

  • ±

    troubles de l'équilibre ;

  • ±

    autres symptômes neurologiques.

EXAMEN

On cherche à objectiver les signes d'une urgence : atteinte de plusieurs paires crâniennes adjacentes, œdème papillaire de stase, syndrome cérébelleux.

Faire attention au diagnostic différentiel d'un syndrome soudain de rétraction (par exemple, syndrome de Stilling-Tùrk-Duane) constaté par un proche ou un médecin, qui ne requiert aucune investigation en urgence.

CONDUITE À TENIR
EXPLORATIONS

En cas de paralysie oculomotrice vraie acquise, dans tous les cas, on demande une imagerie cérébrale le jour même. En cas de normalité de l'IRM et de paralysie/parésie d'un ou des deux VI et en l'absence de contre-indication (malformation de Chiari ou trouble de l'hémostase), on pratique une ponction lombaire avec mesure de la pression d'ouverture et analyse biologique et cytologique du liquide cérébrospinal.

TRAITEMENT

Le traitement s'oriente, selon l'examen, vers une prise en charge :

  • ±

    neuro-onco-pédiatrique d'une tumeur du système nerveux central, responsable d'une paralysie oculomotrice par compression, infiltration, hydrocéphalie ;

  • ±

    d'une HTIC ;

  • ±

    d'une atteinte inflammatoire de nerfs crâniens.

Arguments pour une urgence devant un aspect d'œdème papillaire chez l'enfant
INTERROGATOIRE

On recherche les éléments suivants en faveur d'un item d'urgence :

  • ±

    céphalées d'HTIC ;

  • ±

    acouphènes pulsatiles ;

  • ±

    photopsies positionnelles ;

  • ±

    diplopie transitoire ou permanente ;

  • ±

    troubles de l'équilibre ;

  • ±

    autres symptômes neurologiques.

EXAMEN

L'examen a pour but de distinguer la cause de l'œdème papillaire (fig. 5-3-24). Il est essentiel, après avoir étudié les réflexes pupillaires et recherché la présence d'un déficit pupillaire afférent relatif, d'examiner le pôle postérieur après dilatation pupillaire : seul l'examen du vitré antérieur en fente fine oblique sans lentille permet de s'assurer de l'absence de hyalite significative. Un œdème papillaire de stase est certain ou quasi certain en cas d'œdème important, de présence d'hémorragies en flammèches ou d'exsudats, de parésie du VI ou de symptômes d'HTIC associés. Dans l'œdème papillaire de stase, la fonction visuelle est longtemps préservée, contrairement à la majorité des autres causes d'œdème papillaire (fig. 5-3-24).

Fig. 5-3-24
Orientation diagnostique devant un aspect d'œdème papillaire chez l'enfant.

CONDUITE À TENIR
EXPLORATIONS

  • ±

    En cas d'œdème infiltratif : transfert sans délai en établissement spécialisé où l'exploration spécifique sera conduite.

  • ±

    En cas d'uvéite : voir chapitre 5.5.11.

  • ±

    En cas de névrite optique : voir ci-après.

  • ±

    En cas d'œdème papillaire de stase vrai certain ou quasi certain : imagerie cérébrale le jour même avec scanner cérébral sans et avec injection, ou IRM cérébrale sans et avec injection de gadolinium, triage PEC de catégorie 3.

  • ±

    En cas de troubles associés, de la conscience ou de la vigilance, imagerie immédiate, triage PEC de catégorie 1.

  • ±

    En cas de normalité de l'imagerie et en l'absence de contre-indication (malformation de Chiari ou trouble de l'hémostase), on pratique une ponction lombaire avec mesure de la pression d'ouverture et analyse biologique et cytologique du liquide cérébrospinal. La ponction lombaire ici n'est généralement pas une urgence absolue : mieux vaut une ponction lombaire réalisée le lendemain dans de bonnes conditions, avec mesure de la pression d'ouverture, que le contraire.

  • ±

    En cas d'aspect d'œdème papillaire minime sans argument pour une HTIC, correspondant probablement à un aspect de pseudo-œdème papillaire (situation très fréquente), une consultation spécialisée d'aval dans un délai de 3 mois environ est justifiée. La réalisation d'un scanner cérébral sans injection afin d'éliminer une hydrocéphalie, dans l'attente de la consultation, n'est pas à exclure en cas de doute. Le diagnostic, souvent difficile, repose alors sur un faisceau d'arguments dont aucun n'est ni très sensible ni très spécifique (aspect des fibres ganglionnaires péri-papillaires en ophtalmoscopie directe ; architecture des vaisseaux rétiniens ; aspect de la papille optique en échographie B, en auto-fluorescence, en OCT ; parfois comportement angiographique, etc.) De façon non exceptionnelle, le diagnostic posé n'est pas un diagnostic de certitude. L'évolution permet alors de trancher.

TRAITEMENT

Le traitement est spécifique de l'étiologie et s'effectue après transfert d'aval en milieu spécialisé.

Arguments pour une urgence devant un tableau de névrite optique chez l'enfant

Contrairement à une notion répandue, toute névrite optique de l'enfant est une urgence vraie requérant une prise en charge « agressive », à l'exception des névrites typiques de la jeune fille après la puberté, dont la prise en charge est similaire à celle de l'adulte.

Les classiques névrites optiques post-infectieuses sévères et de bon pronostic sont certes l'apanage du petit enfant, elles sont cependant loin de constituer la majorité des névrites optiques de l'enfant : tandis que la proportion de SEP est moindre chez l'enfant que chez l'adulte, les autres causes de névrite optique atypique (neurosarcoïdose, tuberculose, maladie de Devic, névrites optiques auto-immunes à anticorps anti-myelin-oligodendrocyte glycoprotein ou anti-MOG) sont vues à tout âge. Pour certaines d'entre elles, seule la mise en place d'un traitement immunosuppresseur en relais d'une corticothérapie précoce à fortes doses permettra d'éviter récidives et séquelles visuelles, sensorielles et motrices définitives.

Arguments pour une urgence devant une anisocorie du nourrisson et de l'enfant

Voir chapitre 5.5.

Devant une anisocorie chez l'enfant, la démarche s'apparente à celle adoptée chez l'adulte. On doit déterminer la pupille atteinte en examinant les pupilles dans l'ombre et dans la lumière. On élimine une malformation, une déformation secondaire ou une cause pharmacologique.

En revanche, les causes pédiatriques diffèrent de l'adulte : devant un syndrome de Claude Bernard-Horner, on redoutera essentiellement un neuroblastome. Devant un myosis isolé, les attitudes varient entre surveillance clinique ou test à la cocaïne (apraclonidine contre-indiquée).

5.4
Endoscopie oculaire en urgence

L. BAZIN, G. L'HELGOUALC'H, B. COCHENER

5.4.1 INTRODUCTION

L'endoscopie oculaire, encore peu répandue dans la pratique ophtalmologique, présente un très grand intérêt dans les situations chirurgicales compliquées. La chirurgie assistée par caméra est couramment utilisée par nos confrères d'autres spécialités chirurgicales.

L'accès endoscopique permet d'obtenir une visualisation intra-oculaire inégalable et de s'affranchir des troubles du segment antérieur. De plus, elle permet d'atteindre des structures oculaires non visualisables avec les lentilles actuelles : la région de l'ora serrata-pars plana, le sulcus cristallinien et la face postérieure irienne.

Nous montrerons, dans ce sous-chapitre, l'intérêt majeur de ce mode opératoire utilisé en chirurgie d'urgence en cas de traumatisme oculaire, d'endophtalmie ou de décollement compliqué de rétine.

5.4.2 HISTOIRE DE L'ENDOSCOPIE

La première utilisation décrite d'un endoscope oculaire remonte à près de 80 ans, quand aux États-Unis, Thorpe rapporte, en 1934, l'exploration d'un œil traumatisé avec retrait d'un corps étranger intra-oculaire non métallique [1]. Cette technique d'approche astucieuse est reprise en République fédérale d'Allemagne par Leydhecker en 1940, puis Neubauer en 1966. Les limites techniques de l'époque ne permettent d'explorer la cavité oculaire qu'à l'aide d'un tube creux de 6,5 mm couplé à une lunette de Galilée, le tout éclairé à l'aide d'une ampoule électrique.

En 1978, Norris et Cleasby développent un endoscope rigide de 1,7 mm de diamètre (soit 13 G) [2–5]. Mais il faut attendre le début des années 1990 pour voir apparaître le premier endoscope flexible proposé par Volkov et al. [6, 7]. Eguchi et al. [8] sont les premiers à le coupler à une caméra numérique souple de 20 G. La vidéo-endoscopie, dont l'image est projetée sur un écran, est née. Puis en 1992, Uram décrit le couplage d'une sonde d'endocoagulation à l'endoscope 20 G permettant de traiter des cas de rétinopathie proliférante, de déchirure rétinienne antérieure [9], ainsi que de glaucome néovasculaire [10].

Boscher est la première à rapporter en France, au début des années 1990, cette technique opératoire. Avec plus de 2000 opérations du décollement de la rétine, elle décrit parfaitement l'intérêt d'une vitrectomie complète de la base vitréenne [11, 12].

5.4.3 MATÉRIEL ENDOSCOPIQUE

Le développement des technologies n'a cessé ces vingt dernières années. L'amélioration de la résolution des caméras, leur miniaturisation, l'augmentation de leur sensibilité, le perfectionnement des logiciels d'intégration de vidéos et de traitement d'images contribuent à l'optimisation du support vidéo. La partie optique est toujours actuellement représentée par un bundle de fibres optiques de 2,50 m, lié à une optique grand angle d'un côté, connecté à la caméra à l'autre extrémité. La technologie est limitée à une résolution de 17 000 pixels pour un diamètre extérieur de 20 G. L'angle d'ouverture de ce fibroscope est de 130°.

Les limites de cette technologie sont une pixellisation de l'image due à la structure de cet ensemble de fibres qui autorise simplement 6000 pixels au diamètre de 23 G, l'angle d'ouverture étant réduit à 90°. Cet endoscope est commercialisé depuis 2011 [13].

Il existe deux types de terminaison de fibre endoscopique : les sondes droites utilisées dans la plupart des chirurgies vitréorétiniennes ; les sondes incurvées préférées en chirurgie du glaucome et pour certaines procédures du segment antérieur.

Le matériel nécessaire comprend (fig. 5-4-1 et 5-4-2) :

  • ±

    un boîtier intégrant une caméra, une source de lumière et les connecteurs permettant l'installation du système ;

  • ±

    une fibre endoscopique fabriquée par Endo Optiks ® (Littles Silver, États-Unis) et distribuée par Beaver Visitec International en Europe. Elle comporte trois canaux, les fibres optiques du bundle de silice étant partagées en trois contingents :

    • la partie la plus importante transmet l'image de la lentille frontale ;

    • un faible contingent transmet la lumière de la source de lumière froide ;

    • le reste permet de véhiculer la source laser quelle qu'en soit la longueur d'onde.

  • ±

    un moniteur relié au boîtier d'acquisition par un câble vidéo pour la vidéo-endoscopie. Il est également possible de projeter l'image dans les oculaires du microscope, cette technique est appelée endomicroscopie et a été principalement décrite par les frères Léon au début des années 1990 (fig. 5-4-3) [14, 15] ;

    Fig. 5-4-3
    Installation de l'endoscope et du moniteur.

  • ±

    une source laser externe facultative de longueur d'onde adaptée à la procédure chirurgicale.

Fig. 5-4-1
Fibre endoscopique 20 G Endo Optiks ® : sonde endoscopique.
(Source : Beaver Visitec International [BVI]. Reproduction autorisée.)
Fig. 5-4-2
Fibre endoscopique 20 G Endo Optiks ® : module.
(Source : Beaver Visitec International [BVI]. Reproduction autorisée.)

5.4.4 PLACE DE L'ENDOSCOPIE EN TRAUMATOLOGIE

Les traumatismes oculaires sont une cause majeure de perte fonctionnelle, voire anatomique du globe. Les remaniements vitréorétiniens, secondaires à une perforation oculaire à globe ouvert ou fermé, nécessitent un bilan lésionnel indispensable à l'élaboration d'une stratégie chirurgicale adaptée.

En première intention, l'endoscope est un outil de visualisation. Il est possible de réaliser un rapide état des lieux peropératoires dans une situation clinique non évaluable de manière classique. Ainsi, dans certaines situations gravissimes, par exemple une désinsertion voire une atrophie du nerf optique ou une hémorragie expulsive, un bilan lésionnel exhaustif rendra plus acceptable le choix d'interrompre l'intervention.

Un traitement chirurgical rapide et optimal, de ces yeux traumatisés, est souvent compromis par : la présence de saignements intra-oculaires, de lésions iriennes avec absence de dilatation pupillaire, ou la perte de transparence cornéenne. Le délai de prise en charge chirurgical dans ce contexte traumatique est pourtant essentiel au pronostic visuel. Par exemple, le retrait d'un corps étranger intra-oculaire doit être précoce, afin de limiter le risque d'endophtalmie, ou le traitement d'un décollement de la rétine limitera l'apparition d'une prolifération vitréorétinienne.

Peu d'articles scientifiques proposent l'utilisation d'un endoscope oculaire en traumatologie. Pourtant, son intérêt, dans les situations d'urgence, n'est plus à démontrer, en particulier en cas d'opacité du segment antérieur [16–20]. Une série de 50 patients a été publiée par l'équipe de Sabti et al. [16] avec ré-application de 91 % des décollements de rétine et amélioration visuelle dans 81 % des cas. Une stratégie combinée, rapportée par Chun et al. [21], a été proposée pour opérer des corps étrangers intra-oculaires, incluant une kératoplastie temporaire, mais elle reste une technique trop complexe, plus longue avec de moins bons résultats visuels postopératoires que ceux ayant bénéficié d'une prise en charge endoscopique. Comme certains articles le rapportent [20, 22–24], la visualisation de la base vitréenne assure un traitement plus facile des lésions du corps ciliaire ou des déchirures antérieures.

Les chirurgies cristalliniennes avec implantations sont rapportées par l'équipe de Khalid [25] et les frères Léons [26]. Les sutures d'implants intra- ou trans-scléraux doivent être rétro-iriennes. Cette localisation anatomique rend aléatoire et dangereuse toute suture à l'aveugle. Sous contrôle endoscopique, l'implantation secondaire est sécurisée puisque visualisée.

5.4.5 DÉCOLLEMENT DE LA RÉTINE ET ENDOSCOPIE

L'examen endoscopique de la base vitréenne est anatomique et évite ainsi toute exposition du corps ciliaire par indentation sclé-rale. Il est alors aisé d'observer et de relâcher un loop vitréen antérieur ou une incarcération vitréenne [27]. Boscher et Kuhn ont décrit l'intérêt d'une vitrectomie complète jusqu'à sa base, dans le traitement des décollements de rétine avec loop antérieur vitréen, afin de limiter le développement d'une prolifération vitréorétinienne antérieure [11, 12].

En basculant les instruments ou en inversant leurs positions à travers les diverses sclérotomies, il est possible d'observer la partie supérieure rétinienne de 10 heures à 2 heures.

À fort grossissement (fig. 5-4-4), obtenu par effet de zoom en réduisant la distance entre la lentille frontale et la cible, des microdéchirures, passées inaperçues au décours des précédentes chirurgies, peuvent être découvertes. Kita et al. [28] rapportent une étude relevant 2 à 4 % de déchirures non identifiées chez les patients phaques, 5 à 23 % chez les patients pseudo-phaques et 7 à 16 % chez les patients aphaques.

Fig. 5-4-4
Visualisation microscopique endoscopique.

Il est également possible d'explorer l'espace sous-rétinien à travers une déchirure rétinienne [29]. On peut réaliser un drainage du liquide sous-rétinien, retirer un corps étranger, un perfluorocarbone ectopique ou des proliférations sous-rétiniennes (fig. 5-4-5 à 5-4-7).

Fig. 5-4-5
Drainage du liquide sous-rétinien dans un décollement de rétine.

La sonde endoscopique permet l'accès visuel à travers tous les liquides et gaz utilisés.

L'image est la même quel que soit le milieu ambiant. Ainsi, les échanges peropératoires sont largement facilités en assurant une bonne visualisation rétinienne pendant ces manœuvres.

Enfin, la réalisation d'un endolaser est simplifiée par la visualisation coaxiale directe du spot laser et des déchirures à la base rétinienne (fig. 5-4-8).

Fig. 5-4-8
Laser coaxial endoscopique autour d'une déchirure.

Fig. 5-4-6
Visualisation endoscopique de l'espace sous-rétinien permettant un pelage des proliférations sous-rétiniennes.
Fig. 5-4-7
Pelage de proliférations sous-rétiniennes vu en endoscopie.

5.4.6 ENDOPHTALMIE ET ENDOSCOPIE

Les endophtalmies font partie des rares situations cliniques dont le pronostic fonctionnel à moyen terme est dépendant du délai d'intervention. Malheureusement, les remaniements du segment antérieur, de l'hypopion, des membranes cyclitiques, de l'opacité cornéenne et des myosis, ne permettent pas la réalisation d'une vitrectomie standard optimale et sécurisée. L'endoscopie a ici une place majeure. Avec de bons résultats postopératoires, De Smet et al. [30] ont rapporté 15 cas d'endophtalmie traitée par endoscopie. Cette voie d'abord est également recommandée par Ren et al. [22] sur 19 patients opérés pour endophtalmie et décollement de la rétine. Mais de nombreuses autres équipes présentent les mêmes conclusions [20] : il est préférable de réaliser une vitrectomie dans des conditions visuelles optimales seulement possibles avec l'endoscopie (fig. 5-4-9). Cette dernière permet de s'affranchir de la nécessité de transparence des milieux. La visualisation microscopique (fig. 5-4-4) permet une vitrectomie complète et améliore le pronostic.

Fig. 5-4-9
Vitrectomie endoscopique centrale au décours d'une endophtalmie.

Au cours de l'intervention, l'observation du corps ciliaire (fig. 5-4-10) et son traitement [18] limitent les risques d'hypotonie postopératoire.

Fig. 5-4-10
Réalisation endoscopique du décollement postérieur du vitré.

Dans ces yeux inflammatoires avec une rétine généralement ischémique, la vitrectomie antérieure doit être prudente pour prévenir la survenue de déchirures iatrogènes (fig. 5-4-11). L'association à un décollement choroïdien annulaire antérieur est souvent observée.

Fig. 5-4-11
Pelage des engainements fibreux adhérents au corps ciliaire au cours d'une endophtalmie.

Au décours de la chirurgie, des prélèvements vitréens sont envoyés aux laboratoires, avant de débuter une antibiothérapie et afin d'augmenter les chances d'identifier un germe (fig. 5-4-12).

Fig. 5-4-12
Vitrectomie antérieure endoscopique au cours d'une endophtalmie.

Nous avons mené une étude rétrospective au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Brest, en attente de publication, d'une période de 2 ans, sur 18 yeux présentant une endophtalmie. Nous avons obtenu grâce à l'aide de l'endoscopie 81 % d'amélioration visuelle, 72 % de germe identifiés, et 100 % de contrôle inflammatoire dans les 15 jours.

5.4.7 ENDOSCOPIE EN PÉDIATRIE

Les publications de chirurgie endoscopique pédiatrique sont très rares. La réalisation d'une vitrectomie complète et le décollement postérieur du vitré, chez ces jeunes patients, sont très difficiles. Or les réactions inflammatoires de ces yeux fragiles augmentent considérablement les risques de prolifération vitréorétinienne sévère et rapide. En facilitant l'accès visuel, l'endoscopie accompagne la réalisation d'une vitrectomie douce et non iatrogène, en particulier dans les situations de traumatisme (fig. 5-4-13) [31] . Des études sont nécessaires afin de développer ce domaine.

Fig. 5-4-13
Réalisation du décollement postérieur du vitré chez un enfant par voie endoscopique.

5.4.8 PIÈGES ENDOSCOPIQUES

L'orientation de l'endoscope doit être assurée tout au long de l'intervention. À l'introduction de la caméra, on s'assurera de voir le corps ciliaire en haut de l'écran et de suivre le vitréotome de manière synchrone de droite à gauche sur un écran vidéo.

L'absence de vision stéréoscopique nécessite une courbe d'apprentissage courte d'une dizaine d'interventions, avant d'intervenir dans des procédures plus complexes. Le chirurgien doit, en particulier, s'accoutumer à guider son geste à partir de la visualisation sur écran et non plus dans l'oculaire du microscope, ce qui lui impose un nouveau schéma corporel de sa gestuelle.

Les informations visuelles apportées par les détails de structure, d'ombrage, mais surtout leurs modifications lors des mouvements intra-oculaires permettent d'établir une pseudo-stéréoscopie utilisée pendant la chirurgie. Les déplacements du vitréotome et les jeux d'ombre des instruments permettent de recréer les profondeurs et d'assurer des manœuvres intra-oculaires en toute sécurité.

5.4.9 LIMITES DE L'ENDOSCOPE

Les limites de l'endoscopie sont le coût actuel des instruments, la courbe d'apprentissage imaginée plus longue qu'en réalité, le manque de stéréoscopie. Ces trois raisons principales expliquent la place actuelle de cette technique chirurgicale. Les difficultés pour effectuer les procédures bimanuelles sont parfois évoquées, mais plusieurs équipes chinoises aguerries ont déjà proposé que l'endoscope soit maintenu par l'aide opératoire ou une aide robotisée.

5.4.10 AUTRES INDICATIONS ENDOSCOPIQUES

La cyclophotocoagulation endoscopique ou coagulation endoscopique du corps ciliaire est actuellement la principale indication. Pratiquée seule ou en complément d'une chirurgie filtrante, elle peut être réalisée au décours d'une phacoémulsification (fig. 5-4-14) [32–34]. En situation d'urgence, une hypertonie oculaire compliquant un glaucome néovasculaire, résistant aux traitements médicamenteux habituels, est accessible à un cyclo-affaiblissement endoscopique du corps ciliaire par voie transcornéenne couplé à une source laser infrarouge. Dans le même temps opératoire, une vitrectomie postérieure endoscopique permet de traiter la maladie ischémique causale, en réalisant une photocoagulation panrétinienne.

Fig. 5-4-14
Cyclo-affaiblissement du corps ciliaire par voie endoscopique.

L'exploration des voies lacrymales (ou endoscopie endolacrymale) rend possible la visualisation directe de l'intérieur des canalicules, du canal d'union, du sac lacrymal et de sa face médiale, ainsi que du canal lacrymonasal. Cette exploration non invasive trouve un intérêt certain dans les traumatismes lacrymaux avec reconstruction ou dans les situations d'obstacles lacrymaux [35–37].

L'exploration de la cavité orbitaire (ou orbitoscopie) par voie supéronasale évite la branche sus-orbitaire de la veine angulaire, entre le muscle droit supérieur et droit interne ; elle peut être utilisée dans des cas de décompression orbitaire.

5.4.11 CONCLUSION

Imaginée depuis plus de 80 ans, l'exploration intra-oculaire, à l'aide d'une caméra miniature, est aujourd'hui à notre portée. Malheureusement, cette technique opératoire est trop peu employée. Parmi ses nombreux avantages, l'endoscopie permet de contourner les opacités du segment antérieur et donne accès à des structures anatomiques rétro-iriennes non observables autrement. Sans remplacer la chirurgie vitréorétinienne classique, elle est un outil précieux dans des situations chirurgicales complexes et urgentes.

Les avancées technologiques qui nous entourent nous permettent d'imaginer un transfert d'images non pixellisées, de quelques centimètres, directement connectées à une microcaméra qui ressemblerait à une tête de vitréotome. Elle pourrait être recyclable ou à usage unique.

Cette technique opératoire, qui a déjà conquis toutes les spécialités chirurgicales, passe par l'amélioration de la résolution et la miniaturisation des sondes, ainsi elle trouvera sa place dans chaque bloc opératoire.

La commercialisation de sondes à usage unique, à haute résolution, et à faible coût d'exploitation, devrait démocratiser cette technique opératoire incontournable, tout particulièrement dans la gestion de l'urgence ophtalmologique chirurgicale dont elle permet la prise en charge immédiate, offrant un geste contrôlé et a minima invasif, autant d'avantages garants d'un gain de chance pour l'œil à sauver !

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5.5
Urgences ophtalmopédiatriques

CoordinatriCe : C. SPEEG-SCHATZ

S’intéresser aux urgences ophtalmologiques chez l’enfant, c’est se donner les chances de dépister les signes pouvant compromettre son développement visuel. Connaître ces signes permettra au lecteur de prendre en charge les enfants dans les meilleures conditions, le plus rapidement possible. En effet, l’enfant présente une période ininterrompue de maturation visuelle qui est associée à de nombreuses vulnérabilités. La poursuite de la vulnérabilité, liée au développement, doit conduire à rester vigilant sur la surveillance et les dépistages.

De l’importance est à accorder aux « signes d’alerte ». Ils sont transmis soit par l’environnement familial ou scolaire, soit par des plaintes exprimées par l’enfant lui-même, selon la maturation de sa capacité d’expression. Remarquer ces signes d’alerte permet un diagnostic suffisamment précoce puis une orientation spécialisée, à une phase d’intervention encore efficace, lorsque les plasticités adaptatives ne sont pas interrompues.

Les urgences principales et les plus fréquentes ont été sélectionnées. Leur liste ne peut être exhaustive. Nous invitons donc le lecteur à chercher d’éventuels sujets non abordés dans le rapport 2017 de la Société française d’ophtalmologie consacré à l’ophtalmologie pédiatrique dirigé par le Pr D. Denis.

5.5.1 CONSULTATION D’URGENCE OPHTALMOPÉDIATRIQUE

C. SPEEG-SCHATZ

Particularités de la consultation ophtalmopédiatrique en urgence

Les enfants sont à prioriser, comme les traumatisés ou les diabétiques. Parmi les enfants, le triage privilégie les nourrissons, les infections, les traumatismes et les leucocories.

L’enfant arrivé aux urgences est accompagné en règle de ses deux parents. Il génère un stress inhabituel, tant pour ce trio que pour l’équipe soignante : enfant en pleurs, agité, refusant qu’on l’approche, difficultés d’examen, parents inquiets, parfois coupables et souvent impatients de connaître le verdict médical.

Simultanément, l’examen clinique requiert l’utilisation de techniques propres à l’enfant, au jeune âge d’un bébé, ou à la non-coopération d’un enfant plus grand. Dans le même temps, il faut l’adapter à l’inexpérience de l’enfant, à l’inquiétude des parents, en les prévenant des différentes étapes d’exploration (au besoin sous anesthésie générale), tout en étant le plus transparent possible. Ce faisant, l’abord de l’enfant est essentiel, afin qu’il se sente rassuré. Il faut se mettre à son niveau, en l’appelant par son prénom et en utilisant des mots compréhensibles pour lui, éventuellement de façon ludique.

Lorsqu’il s’agit d’une pathologie courante ou banale, l’urgentiste peut prendre en charge facilement l’enfant. En revanche, il ne doit pas hésiter à faire appel à un référent senior ophtalmopédiatrique lors de difficultés d’examen, de diagnostic, ou pour lever un doute (l’enfant simule-t-il ? nous dit-il la vérité ? les parents sont-ils clairs ? etc.).

Interrogatoire en urgence

L’anamnèse permet d’interroger sur le signe qui a amené les parents à consulter, la date d’apparition, son évolution dans le temps et les circonstances d’apparition. Le plus souvent, il s’agit d’une anomalie du globe ou des paupières, d’un strabisme ou d’un trouble du comportement visuel. L’interrogatoire étant souvent difficile voire impossible chez le jeune enfant, sa précision en est plus importante.

Le premier contact de l’examinateur avec l’enfant et ses parents est visuel. Une anomalie de la taille du globe, de la pupille, un strabisme, un port de tête, une hypotonie, toute anomalie visible ou tout trouble du comportement visuel orientent souvent d’emblée l’ophtalmologiste (voir chapitre 5.5.5). Il en est de même d’une pathologie héréditaire.

L’interrogatoire oriente en portant particulièrement sur les points suivants :

  • ±

    le contexte d’apparition ;

  • ±

    les antécédents néonataux et périnataux (encadré 5-5-1) ;

    Encadré 5-5-1

    Antécédents néonataux et périnataux à rechercher

    • Terme de la naissance et poids de naissance (prématurité)

    • Conditions de la grossesse en particulier au cours du premier trimestre de gestation, de l’accouchement (durée, forceps, ventouse, etc.)

    • Notion de souffrance néonatale ( American Pediatric Groos Assesment Record [APGAR]), apnée à la naissance, notion d’oxygénation

    • Cause de déclenchement de l’accouchement (pré-éclampsie, hypertension artérielle gravidique, bradycardie chez l’enfant)

    • Anomalie cérébrale dépistée à la naissance : hémorragies, anomalies ventriculaires, agénésie, hydrocéphalie, autres

    • Contexte infectieux (toxoplasmose-oreillons-rubéole-rougeole-syphilis-cytomégalovirus-herpès [TORSCH]) ou toxique (tabac, alcool, drogues, irradiations, etc.)

  • ±

    les antécédents familiaux : nystagmus familial ou autres signes associés, maladies rétiniennes connues dans la famille, antécédents d’amétropie (myopie forte, hypermétropie) ou de strabisme, de cataracte précoce ou infantile, de dyschromatopsie, de consanguinité, etc. Ces antécédents peuvent toucher les ascendants et la fratrie ;

  • ±

    le développement général et visuel de l’enfant (encadré 5-5-2) ;

    Encadré 5-5-2

    Questions d’anamnèse précisant le développement visuel de l’enfant

    Strabisme

    • Le strabisme est-il constant ou intermittent ?

    • Est-ce toujours le même œil qui dévie ou alterne-t-il ?

    • Est-il limité au niveau de sa motilité ?

    • A-t-il une position anormale de la tête ou un nystagmus associé ?

    • Ferme-t-il un œil au soleil ?

    • Quand s’est installé ce strabisme (fig. 5-5-1) ?

    Anomalie visuelle

    • Plisse-t-il les paupières ?

    • Se frotte-t-il beaucoup les yeux ?

    • Tombe-t-il, rate-t-il souvent une marche d’escalier ?

    • A-t-il des céphalées ?

    • Se fait-il des stimulations digito-oculaires ?

    • Est-il photophobe, nyctalope, héméralope ?

    • A-t-il des troubles de la vision des couleurs ?

    Symptôme spécifique

    • À quel âge s’est installée/a été découverte la leucocorie (fig. 5-5-2) ?

    • A-t-il un strabisme ou un nystagmus associé ?

    • Ouvre-t-il autant l’œil des deux côtés ?

    • Le larmoiement est-il clair ou associé à des sécrétions (fig. 5-5-3), une photophobie, une rougeur des bords libres, un ou plusieurs chalazions ?

  • ±

    les plaintes éventuelles alléguées par l’enfant.

La consultation du carnet de santé est indispensable et utile (fig. 5-5-4). L’interrogatoire permet de faire le point sur le carnet de santé. Il recherche des anomalies prénatales visibles à l’échographie. Il renseigne sur les examens complémentaires déjà effectués : échographie transfontanellaire, échographie cardiaque ou abdominorénale, caryotype, explorations de neuro-imagerie.

Fig. 5-5-1
Strabisme ésotropique.
L’anamnèse précise quand l’anomalie oculomotrice de cet enfant s’est installée.

À l’issue de l’interrogatoire bien mené, une hypothèse diagnostique peut être établie. Elle sera guidée ensuite par le comportement visuel, la réfraction, l’examen clinique et les résultats des examens complémentaires éventuels.

Évaluation du comportement visuel

Chez l’enfant d’âge préverbal, on explore la motilité oculaire, la poursuite, la fixation. Un nystagmus, un plafonnement ou une errance du regard sont des signes inquiétants.

Chez l’enfant d’âge verbal, l’acuité visuelle œil par œil est la règle, utilisant les optotypes en lettres, en E ou en dessins selon l’âge.

Examen clinique en urgence

L’examen clinique doit être rapide en contexte de douleurs ou d’angoisse des parents.

L’examen externe permet de repérer immédiatement un signe d’appel, une rougeur oculaire, un trouble du comportement ou une instabilité oculaire :

  • ±

    un strabisme fait rechercher une limitation de la motilité oculaire ;

  • ±

    une malvoyance fait rechercher une photophobie, une héméralopie, un nystagmus, un torticolis ;

  • ±

    un larmoiement fait analyser de manière absolue et comparative la taille des globes oculaires et des cornées (mégalocornée ou au contraire microphtalmie ; fig. 5-5-5 et 5-5-6), ainsi qu’une perte de transparence cornéenne. Ces signes orientent d’emblée vers l’urgence ;

    Fig. 5-5-5
    Larmoiement clair, œdème de cornée, mégalocornée chez un enfant atteint de glaucome congénital unilatéral.
    On note la mégalocornée droite soupçonnée à l’inspection (a) et confirmée à la mesure objective (b).
    Fig. 5-5-6
    Microphtalmie gauche (a) et mesure échographique en mode B d’une longueur axiale inférieure à 16 mm à la naissance (b).
    (Source fig. b : Pr S. Milazzo.)

  • ±

    une leucocorie fait rechercher immédiatement une formation tumorale intra-oculaire ou une microphtalmie associée. Un examen inaugural de la lueur pupillaire à l’ophtalmoscope oriente sur la conduite à tenir (fig. 5-5-7) ;

    Fig. 5-5-7
    Orientation diagnostique devant une leucocorie.
    IRM : imagerie par résonance magnétique ; PHPV : persistance hyperplasique du vitré primitif ; RP : rétinite pigmentaire ; TDM : tomodensitométrie.

  • ±

    une anisocorie fait rechercher un ptosis et une énophtalmie associés.

L’examen à la lampe à fente est plus ou moins facile selon l’âge et la coopération de l’enfant (technique d’examen du flying baby chez le nourrisson ; fig. 5-5-8). Il permet l’examen précis de la conjonctive, la cornée et le cristallin. Il nécessite l’aide de personnels ou des parents. On peut examiner un bébé allongé avec une loupe grossissante (20 ou 30 D) associée à un ophtalmoscope direct ou indirect. Parfois un blépharostat est nécessaire en raison de la photophobie ou du blépharospasme volontaire de l’enfant. On peut aussi l’entourer d’un drap afin de l’immobiliser.

Fig. 5-5-8
Examen ophtalmopédiatrique à la lampe à fente avec la technique du flying baby.

La mesure de la tension intra-oculaire pose de nombreux problèmes, en particulier les méthodes de mesure, les valeurs normales pour l’âge et la réticence de l’enfant. La mesure peut se faire à l’air pulsé chez l’enfant après 5 ans, mais la mesure idéale se fait au tonomètre de Perkins. Il existe une augmentation progressive de la tension, entre la naissance où elle doit être inférieure à 10 mmHg et l’âge de 12 ans. Les valeurs mesurées sont identiques à celles de l’adulte à partir de 12 ans. Il n’y a pas chez l’enfant de corrélation exacte entre la pression intra-oculaire (PIO) mesurée et l’épaisseur cornéenne centrale.

Pour le fond d’œil (FO), une dilatation au tropicamide est utilisée. Lorsqu’il est accessible, il peut s’examiner au verre de Leyden chez le bébé, par ophtalmoscopie directe ou indirecte à l’aide d’une lentille de Volk. Au besoin, un fond d’œil non mydriatique peut être réalisé.

Le plus souvent, cet examen clinique est difficile. Un examen sous anesthésie générale (AG) est alors requis pour poser ou confirmer un diagnostic, et le cas échéant prendre en charge chirurgicalement l’enfant.

Quantification de l’urgence

Le délai d’urgence d’un item d’ophtalmopédiatrie ne peut pas être quantifié très précisément. Il est cependant possible de l’estimer, parfois aidé des explorations complémentaires (encadré 5-5-3), en quatre catégories : urgence vitale ; urgence fonctionnelle immédiate ; urgence fonctionnelle différable ou consultation à programmer (tableau 5-5-1).

Encadré 5-5-3

Recours en urgence aux examens complémentaires

  • Réfraction objective sous cycloplégie en urgence : elle utilise le cyclopentolate, 3 gouttes à 5 minutes d’intervalle, 1 heure avant les mesures. En aval, elle utilise l’atropine (0,3 % avant 2 ans, 0,5 % entre 2 et 12 ans puis 1 % après).

  • Pachymétrie : elle se pratique en règle sous AG, sauf chez le grand enfant, chez le suspect de glaucome ou dans le suivi d’un abcès cornéen.

  • Echographie : dans les bilans malformatifs (microphtalmie, colobome, cataracte ± persistance hyperplasique du vitré primitif) et les tumeurs.

  • OCT papille et macula : dans les neuropathies optiques, les nystagmus, les schisis maculaires.

  • Topographie cornéenne et OCT du segment antérieur : en aval, dans les suspicions de maladies cornéennes ou de dysgénésies du segment antérieur.

  • Photographies en couleurs du fond d’œil, rétinophotographies, RetCam™ chez l’enfant photophobe. Elles facilitent l’examen du FO en cas, par exemple, de maladie de Coats, maladie de Best, rétinopathie du prématuré, rétinopathie pigmentaire, malformation.

  • Angiographie : dans les pathologies vasculaires rétiniennes, les dystrophies rétiniennes.

  • Vision des couleurs : dans les dystrophies rétiniennes à la recherche d’une dyschromatopsie, dans les neuropathies optiques.

  • Électrophysiologie : en aval, elle recherche un dysfonctionnement rétinien ou des voies visuelles lors d’une suspicion de malvoyance ou de mouvements oculaires anormaux.

  • TDM, IRM : en principe sous sédation avant 4 ans. Scanner dans les ethmoïdites ou les traumatismes, mais irradiant. IRM selon la pathologie, par exemple oculaire, orbitaire, des voies optiques ou voies oculomotrices, vasculaire, tumorale, malformative.

Tableau 5-5-1
Évaluation du délai d'urgence des principaux items ophtalmopédiatriques.
Urgence fonctionnelle immédiate Urgence vitale Urgence fonctionnelle à différer dans les semaines à venir Consultation à programmer
Glaucome congénital Rétinoblastome Leucocorie (sauf rétinoblastome) Baisse d'acuité visuelle
Uvéite Tumeur intracrânienne Ptosis complet Amétropie
Abcès de cornée Neuroblastome (spasmus nutans) Conjonctivites, pathologies des voies lacrymales Strabisme
Colobome palpébral Œdème papillaire (stase) Angiome Chalazion
Traumatologie

Intérêt des protocoles et arbres décisionnels selon le signe d’appel

Devant la difficulté de l’examen clinique du petit enfant, il est important de suivre une conduite à tenir bien codifiée et protocolisée (voir chapitre 2.5.5) en fonction des signes d’appel rencontrés. Cela poursuit deux buts : identifier des problèmes graves mettant en jeu la santé de l’enfant et repérer des pathologies ophtalmologiques potentiellement curables dont le retard de prise en charge retentirait sur le développement visuel.

5.5.2 TICS DE L’ENFANT

M. ROBERT

Définition et clinique

Les tics sont des mouvements involontaires, brusques et répétitifs. Environ 4 % des garçons et 1 % des filles présenteraient des tics à un moment de leur vie entre l’âge de 5 et 16 ans. Il peut s’agir de mouvements du visage et/ou des yeux : spasmes du réflexe de convergence, flutter oculaire, élévation conjuguée des yeux, mouvements amples et conjugués des yeux, clignements des paupières. Ce dernier serait le plus fréquent des tics. La grande majorité des tics sont simples et non spectaculaires. Les tics augmentent en situation de stress, de fatigue ou d’ennui (ils sont souvent très présents devant la télévision) ; ils diminuent avec la concentration, l’exercice et la distraction ; ils disparaissent généralement pendant le sommeil. Ils sont involontaires, mais correspondent toujours à des mouvements pouvant être produits physiologiquement, à l’inverse d’un nystagmus vrai ou d’un opsoclonus vrai. Ils peuvent être contrôlés sous l’effet de la volonté, pendant une période de temps variable. Ce contrôle s’associe cependant à un état de tension psychique et l’on observe souvent un « effet rebond » après la période de suppression volontaire. La physiopathologie des tics n’est pas consensuelle ; ils résulteraient d’une hyperactivité du système dopaminergique au niveau des noyaux gris centraux.

Degré d’urgence

La problématique des tics chez l’enfant est triple :

  • ±

    ils sont le diagnostic différentiel de certaines urgences oculomotrices vraies ;

  • ±

    dans certains cas rares, les tics requièrent une prise en charge pédopsychiatrique urgente ;

  • ±

    dans la majorité des cas, ils ne constituent pas une urgence, mais il importe d’aboutir rapidement à une conclusion afin d’éviter des examens inutiles, une errance diagnostique et une chronicisation du symptôme.

Généralement, un interrogatoire et l’analyse séméiologique des mouvements, soit lors de la consultation, soit sur un film fourni par les parents, suffisent à confirmer le diagnostic. Dans les rares autres cas, une surveillance clinique permet de trancher.

Prise en charge et pronostic

La majorité des tics sont d’excellent pronostic et ne requièrent pas d’autre prise en charge que des conseils avisés du médecin consulté. Certains tics sont la porte d’entrée dans le syndrome de Gilles de la Tourette.

Conduite à tenir
ÉLIMINER LES DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

Les principaux diagnostics différentiels oculomoteurs sont graves et urgents. Ce sont l’opsoclonus et les révulsions oculaires. Ils sont plus rares après 5 ans. Ils ne partagent pas les caractéristiques énoncées plus haut des tics.

IDENTIFIER LES CRITÈRES DE GRAVITÉ DES TICS

Les critères de gravité sont l’association des tics à :

  • ±

    une écholalie (répétition de mots entendus), une coprolalie (prononciation de mots orduriers), des tics complexes, évocateurs d’une maladie de Gilles de la Tourette ;

  • ±

    des troubles de l’attention, une hyperactivité ;

  • ±

    des symptômes obsessionnels ou compulsifs ;

  • ±

    des automutilations ;

  • ±

    des troubles de l’humeur, une anxiété, ou une altération des performances scolaires, du sommeil, ou du développement psychomoteur ;

  • ±

    un contexte familial préoccupant.

Ils justifient d’une prise en charge spécialisée en pédopsychiatrie.

PRENDRE EN CHARGE DES TICS SANS CRITÈRE DE GRAVITÉ

II convient :

  • ±

    de dédramatiser la situation : expliquer aux parents qu’il s’agit de mouvements involontaires et leur demander de ne pas prêter attention aux tics, de faire cesser à la maison et à l’école les reproches, les injonctions à se retenir, les remarques, les punitions, etc. ;

  • ±

    d’éviter le cercle vicieux (ou d’en sortir) : dramatisation, culpabilité, retenue, efflorescence du tic, etc. ;

  • ±

    de fixer une consultation de contrôle pour refaire le point et s’assurer de la bonne évolution et de l’absence de retentissement péjoratif ;

  • ±

    de savoir adresser au pédopsychiatre ni par excès ni par défaut.

5.5.3 TROUBLE VISUEL ANORGANIQUE DE L’ENFANT

M. ROBERT

Définitions

Les troubles visuels anorganiques désignent deux entités distinctes :

  • ±

    les simulations : l’enfant produit consciemment le trouble. Elles sont exceptionnelles ;

  • ±

    les troubles « conversifs » : l’enfant ne produit pas volontairement le trouble visuel. Ceux-ci sont extrêmement fréquents et ils se distinguent des conversions chez l’adulte par leur bénignité dans la grande majorité des cas.

Il s’agit toujours d’une urgence.

Présentation

Le plus souvent, il s’agit d’une baisse d’acuité visuelle, uni- ou bilatérale. Plus rarement, il peut s’agir d’un trouble campimétrique, d’une diplopie ou de phénomènes visuels positifs. Habituellement, l’enfant se présente avec une acuité visuelle fluctuante, tandis que l’examen anatomique de débrouillage paraît strictement normal.

Fréquemment, ces troubles se « greffent » sur un antécédent d’affection ophtalmologique organique, faisant craindre une rechute. C’est un vrai piège. La dissociation entre la stabilité ou l’absence de signe de rechute de l’affection initiale et les signes fonctionnels permet de suspecter, puis de confirmer le diagnostic.

Ces troubles constituent toujours une « alerte », traduisant le plus souvent un désir d’attention que la seule visite chez l’ophtalmologiste, la prescription d’une paire de lunettes, le choix de la monture, etc. peuvent combler. Plus rarement, ils témoignent de conflits psychiques plus sévères, pouvant s’inscrire dans un contexte de troubles de la personnalité ou de maltraitance.

Conduite à tenir immédiate de première intention

II faut s’assurer de l’absence de déficit pupillaire afférent relatif si le trouble est unilatéral ou asymétrique.

On évoque systématiquement la possible nécessité d’une correction optique, en conservant une attitude confiante (fig. 5-5-9). On réalise immédiatement une réfraction sous cyclopentolate. En effet, l’immense majorité de ces troubles ne résistent pas à une réfraction subjective sous cyclopentolate. Cela permet d’obtenir la réfraction objective. Elle est suivie d’une réfraction subjective avec brouillard, en encourageant l’enfant. Dans la très grande majorité des cas, l’acuité visuelle remonte alors au-delà du seuil qu’une amétropie (parfois minime) aurait pu expliquer, et elle se normalise complètement (tableau 5-5-2). On prescrit ensuite une correction optique totale ou subtotale. La correction totale correspond aux valeurs de correction subjective sous cyclopentolate. Il s’agit quasiment de l’unique indication chez l’enfant de corrections optiques parfois négligeables. On profite de cette consultation pour recueillir à l’interrogatoire d’éventuels signes de gravité associés. On fixe un rendez-vous de contrôle d’aval systématique avec un ophtalmologiste, afin de s’assurer que tout demeure normal. Cette situation est très fréquente et doit être connue. Une attitude différente, comportant des propos inquiétants, des examens complémentaires d’emblée, une prise de rendez-vous spécialisés, n’est pas justifiée car elle risque d’entraîner un « enkystement », une aggravation et/ou une chronicisation du symptôme. Elle le rendra plus difficile à traiter.

Fig. 5-5-9
Conduite à tenir devant une anomalie visuelle possiblement anorganique.
Tableau 5-5-2
Développement de l'acuité visuelle chez l'enfant.
Âge Acuité visuelle
Naissance 0,5/10
3 mois 1/10
1 an 3/10
4 ans 10/10
(Source:Speeg-Schatz C. Le développement des fonctions visuelles chez l'enfant. Soins Pediatr Pueric 2011; 261:16-8.)

Beaucoup plus rarement, la réfraction subjective sous cyclopentolate ne permet pas d’améliorer l’acuité visuelle, tandis que l’examen clinique est normal. On pratique alors une imagerie rétinienne de première intention, comportant au minimum une tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) maculaire et de papille. Si l’imagerie est normale, il existe une suspicion de baisse d’acuité visuelle anorganique. Plus rarement, il s’agit d’un trouble visuel autre qu’une baisse d’acuité visuelle uni- ou bilatérale. Dans tous les cas, c’est une double urgence, car certains diagnostics différentiels doivent être éliminés rapidement et il est très probable qu’un long délai avant de parvenir au diagnostic, avec de multiples rendez-vous, de nombreux examens, constitue un facteur de risque de mauvais pronostic évolutif.

Conduite à tenir immédiate de deuxième intention

La conduite à tenir s’impose devant une forme ayant résisté à la première étape du diagnostic-traitement décrite ci-dessus. À ce stade, il s’agit théoriquement d’une forme relativement sévère, puisque les autres formes ont été éliminées précédemment. Seules ces formes relativement sévères justifient un bilan complémentaire.

On réalise donc une imagerie multimodale de la rétine et du nerf optique, un bilan électrophysiologique adapté au cas par cas et éventuellement une imagerie cérébrale (IRM cérébrale sans et avec injection de gadolinium avec des séquences en saturation de graisse).

On pratique l’ensemble des examens requis soit lors d’une hospitalisation qui sera la plus brève possible (idéalement ambulatoire), soit en externe. La priorité absolue est d’obtenir tous les examens dans un délai bref, n’excédant pas quelques jours. Ces examens ont pour but d’éliminer formellement les diagnostics différentiels. Dans les formes unilatérales, on évoque toujours le diagnostic de neuropathie optique de Leber, d’autant qu’il peut ne pas y avoir de déficit pupillaire afférent relatif. Il reste assez improbable en l’absence de toute modification de l’aspect du nerf optique. Dans les formes bilatérales, on évoque classiquement les dystrophies des cônes, les maculopathies (type Stargardt), les neuropathies optiques, les affections des voies visuelles pré- ou rétro-chiasmatiques.

Au terme de ce bilan, s’il est normal, le diagnostic de trouble visuel anorganique peut être posé.

Il n’existe pas d’attitude consensuelle quant à la conduite à tenir. Les « traitements » placebo, par perfusion de sérum, accompagnée de suggestion, en hospitalisation, sont de moins en moins employés. Ils permettent sans doute de lever certains symptômes, mais non accompagnés d’une prise en charge psychiatrique adaptée, ils font courir le risque d’une récidive de trouble anorganique souvent sous une autre forme. Les entretiens avec les parents, en l’absence de l’enfant, ont été préconisés. Notre attitude est d’expliquer la situation à l’enfant en même temps qu’à ses parents, avec des mots simples : « Parfois le corps exprime à sa manière des conflits psychiques. Cela se traduit chez certains par des maladies cutanées, chez d’autres par des troubles visuels. Il ne s’agit pas d’une simulation. L’enfant ne voit pas normalement, tandis que l’appareil visuel est sain et peut fonctionner normalement. Tout va donc rentrer dans l’ordre. » Nous justifions le rendez-vous en pédopsychiatrie ainsi : « Il est important de se poser la question de conflits psychiques associés et le fait de mal voir également retentit sur le psychisme. Il est donc important que vous puissiez rencontrer un pédopsychiatre. » Il est essentiel d’avoir des correspondants pédopsychiatres spécialisés dans ce domaine pour assurer la prise en charge de ces enfants en urgence. La prise en charge d’aval est donc multidisciplinaire.

Critères de gravité

Les critères de gravité sont liés :

  • ±

    au terrain : antécédents de troubles visuels anorganiques ou de troubles autres (souvent neurologiques) anorganiques ; antécédent d’affection psychiatrique ;

  • ±

    à la présentation clinique : long délai entre le début des troubles et la consultation spécialisée ; troubles neurologiques anorganiques associés.

5.5.4. SÉDATION ET ANESTHÉSIE EN CONTEXTE D’URGENCE OPHTALMOLOGIQUE PÉDIATRIQUE

E. CALACHE , C. SPEEG-SCHATZ

Points forts

  • La sédation chez l’enfant permet de mieux vivre le soin présent et les soins futurs.

  • L’hypnosédation est associée aux techniques inhalatoires (mélange gazeux de type mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote [MEOPA]).

L’humanisation de la médecine impose de nouvelles règles de prise en charge des examens en ophtalmologique pédiatrique. Ainsi, le confort ou le soulagement sont exigibles au même titre que la sécurité lors de la réalisation d’actes diagnostiques ou thérapeutiques.

La Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) définit la sédation comme « l’ensemble des moyens, médicamenteux ou non, destinés à assurer le confort physique et psychique du patient et à faciliter les techniques de soins ».

Par ailleurs, le terme sédation est aussi utilisé dans les domaines de la médecine d’urgence.

Sédation pour examens en ophtalmologie pédiatrique aux urgences
OBJECTIFS

La nécessité d’une sédation repose sur le soulagement indispensable du vécu des gestes traumatisants ou pour en faciliter la réalisation, sans toutefois requérir une abolition totale de la conscience et un soutien de la fonction respiratoire par une ventilation assistée.

CONFORT PHYSIQUE ET PSYCHIQUE

La sédation de confort chez l’enfant permet de mieux vivre une situation anxiogène. En effet, certains stimuli auditifs ou visuels (écrans, examens à la lampe à fente, tonométrie, etc.) persistent et sont souvent source de malaise.

La sédation permet le détachement de cet environnement traumatisant. L’analgésie est son complément idéal, en assurant le confort physique de l’enfant admis aux urgences en ophtalmologie pédiatrique.

Les actes en dehors du bloc opératoire sont estimés à 20 % de l’activité globale.

SURVEILLANCE DE LA SÉDATION

La surveillance concerne la profondeur de la sédation, mais aussi ses effets secondaires.

La surveillance des effets secondaires repose sur la surveillance continue de la saturation en oxygène ainsi que la mesure du pouls et de la fréquence respiratoire.

Le niveau de sédation est évalué à l’aide d’échelles cliniques, les plus répandues étant l’échelle de Ramsay (encadré 5-5-4) et l’échelle Observer's Assessment of Alertness/Sedation (OAA/S ; tableau 5-5-3).

Encadré 5-5-4

Score de Ramsay

  • Niveau 1 : malade anxieux et agité

  • Niveau 2 : malade coopérant, orienté et tranquille

  • Niveau 3 : réponse seulement à la commande

  • Niveau 4 : vive réponse à la stimulation de la glabelle

  • Niveau 5 : faible réponse à la stimulation de la glabelle

  • Niveau 6 : aucune réponse à la stimulation de la glabelle

Tableau 5-5-3
Échelle de sédation OAA/S.
Réponse Expression verbale Expression du visage Yeux Score
Réponse aisée à l'appel du nom Normale Normale Ouverts, regard clair 5 (éveillé)
Réponse lente à l'appel du nom Moyennement ralentie Moyennement détendue Léger ptosis ou regard vitreux 4
Réponse à l'appel du nom à haute voix et/ou répétée Mauvaise articulation ou expression très lente Très détendue avec mâchoire relâchée Ptosis marqué et regard vitreux 3
Réponse uniquement après stimulation tactile Quelques mots reconnaissables 2
Aucune réponse 1 (endormi)

RÉALISATION PRATIQUE

Pour réaliser la sédation en ophtalmologie pédiatrique, plusieurs moyens existent.

TECHNIQUES NON MÉDICAMENTEUSES

L’hypnosédation est le complément idéal d’une sédation médicamenteuse et participe à la diminution de l’anxiété de l’enfant lors d’un acte diagnostique.

TECHNIQUES INHALATOIRES

L’inhalation d’un mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (MEOPA) sur prescription médicale peut être réalisée par des soignants – médecins anesthésistes, infirmier(ière) anesthésiste diplômé(e) d’État, médecins urgentistes, infirmier(ière) diplômé(e) d’État – sous réserve qu’ils aient été spécifiquement formés à cette technique (encadré 5-5-5). La grande diffusibilité du protoxyde d’azote assure une efficacité en 3 minutes environ. Les effets secondaires sont rares et tout aussi rapidement réversibles.

Encadré 5-5-5

Équipement et étapes pour l’administration de MEOPA

Matériel

  • Bouteille avec détendeur pour régler le débit entre 1 et 15 L/min.

  • Ballon anesthésique souple d’inhalation.

  • Système de tuyauterie flexible.

  • Filtre antibactérien parfumé pour l’usage pédiatrique.

Manipulation

  • Ouverture lente et complète −1/4 de tour du manomètre.

  • Débit adapté au remplissage du ballon anesthésique selon la ventilation de l’enfant.

  • Donner la consigne d’appliquer le masque sur le visage et de respirer en soufflant pour « gonfler le ballon le plus possible ».

  • Dès le début de l’effet, assurer l’étanchéité du masque sur le visage de l’enfant.

  • La procédure de soin peut être débutée après 3 à 5 minutes d’exposition respiratoire au MEOPA.

Cette technique permet une sédation consciente et une bonne anxiolyse.

Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote [MEOPA]

Le MEOPA est un mélange gazeux associant le protoxyde d’azote (50 %) et l’oxygène (50 %). Ce mélange diffuse et s’élimine rapidement sans hypoxie, dépression respiratoire, lacunes mnésiques résiduelles ou altération de la déglutition. Il agit en 3 minutes et cesse d’agir en 5 minutes. Il possède des effets relaxants, anxiolytiques, d’augmentation du seuil des stimuli des fonctions sensorielles et induit une amnésie le temps de sa période d’effet qui ne dure que tant que dure l’inhalation. Il peut provoquer une euphorie, voire une agitation, parfois des nausées, une paresthésie buccale. L’effet bradycardisant est exceptionnel mais possible, de même qu’une apnée qui doit être surveillée.

Le MEOPA ne doit pas être utilisé en cas de traumatisme crânien, d’hypertension intracrânienne (HTIC) ou d’hypovigilance neurologique.

Anesthésie générale au bloc opératoire

(Voir sous-chapitre 5-5-4.)

Les produits utilisés en anesthésie pédiatrique pour l’urgence ophtalmologique sont :

  • ±

    en prémédication : midazolam 0,3 mg/kg, per os ou intrarectal, ou hydroxysine 1 mg/kg per os ;

  • ±

    en induction et entretien :

    • ±

      le sévoflurane qui permet une induction inhalatoire rapide ;

    • ±

      le propofol comme hypnotique ;

    • ±

      les morphiniques : sufentanyl ou alfentanyl selon la durée prévisible de l’acte ;

    • ±

      les curares dépolarisants en urgence vitale (estomac plein) mais qui risquent d’augmenter la PIO ;

    • ±

      les curares non dépolarisants : atracurium 0,4-0,5 mg/kg. Le jeûne préopératoire s’organise selon l’âge du patient :

      • ±

        chez le nourrisson, le dernier biberon (d’eau sucrée) est généralement donné 3 heures avant l’anesthésie ;

      • ±

        chez l’enfant de moins de 2 ans, le jeûne alimentaire préconisé est habituellement de 6 heures, avec autorisation de liquides clairs 4 heures avant la procédure chirurgicale (eau sucrée ou non) ;

      • ±

        chez l’enfant de plus de 2 ans, le jeûne alimentaire préconisé est de 8 heures, avec suspension des liquides clairs 4 heures avant la procédure chirurgicale.

Cas spécifique des traumatismes oculaires et orbitaires

L’examen puis le cas échéant le traitement d’un traumatisme oculaire/orbitaire requièrent une anesthésie générale chez l’enfant. Même s’il existe un délai de prise en charge, il faut considérer de principe que l’enfant n’est pas à jeun. De plus, lorsqu’il existe un contexte de plaie du globe, la PIO doit être contrôlée afin de limiter le risque expulsif et d’éviscération. Pour cette même raison, une vidange gastrique est exclue. Hormis la kétamine et la célocurine, les drogues utilisées en anesthésie sont sans effet sur la PIO ou la diminuent.

Le choix du curare pèse le risque vital et le risque fonctionnel oculaire. La préférence va en règle générale vers celui qui permet l’intubation la plus sûre.

Le pronostic fonctionnel de l’œil est un paramètre influant sur le choix de la technique anesthésique. S’il est nul ou extrêmement péjoratif, il est raisonnable de procéder à une anesthésie générale en estomac vide, en retardant la procédure de manière adaptée. À l’inverse, un pronostic fonctionnel secourable fait indiquer une anesthésie en condition d’estomac plein, d’autant que le risque infectieux s’accroît au-delà de 6 heures post-traumatiques et le pronostic infectieux bascule au-delà de 36 heures de plaie non suturée. De fait, une antibioprophylaxie systémique est automatiquement prescrite, dont la nature et le spectre sont adaptés au mécanisme vulnérant et à la tolérance de l’enfant (allergies éventuelles à dépister). De même, les plaies de paupières et voies lacrymales à haut potentiel septique doivent être parées et réparées au mieux dans les 6 heures suivant la blessure. En revanche, si la charge septique n’est pas évidente, un délai de vacuité gastrique est recommandé pour pratiquer le geste anesthésique qui permet l’exploration et l’éventuelle réparation des tissus.

L’âge, la coopération de l’enfant, l’invasivité et la durée du geste à réaliser sont aussi des éléments majeurs qui modulent le choix de la technique anesthésique : topique simple, prémédication, type d’induction et anesthésie générale.

POUR EN SAVOIR PLUS

AFSSAPS. Recommandations de bonne pratique 2009 : prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant.
Circulaire no DHOS/E2/2002/266 du 30 avril 2002, relative à la mise en oeuvre du programme national de lutte contre la douleur 2002–2005 dans les établissements de santé.
Code de déontologie médicale abrogé par décret 2004‑802 du 29 juillet 2004, article 5. Debaene B. Applications cliniques de la pharmacologie des agents anesthésiques inhalés. Conférences d’actualisation. Elsevier ; 2002, p. 113‑24.
Décret no 2004‑802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V du Code de la santé publique – livre III – titre I : profession d’infirmier ou d’infirmière, article R. 4311‑2, alinéa 5.
Décret professionnel kinésithérapie décret n° 96‑879 du 8 octobre 1996 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute.
Décret professionnel technicien en radiologie référence, titre V du Code de la santé publique, article L. 4351‑1.
Duvaldestin P. Pharmacologie en pratique anesthésique. Paris : Masson ; 1989.
Résumé des caractéristiques produits (RCP) des MEOPA médicaments octroyés avec l’AMM par l’AFSSAPS en octobre 2001 (N2O pur) puis novembre 2001 et novembre 2009 pour la sortie de réserve hospitalière.
SFAR, Modalités de la sédation et/ou de l’analgésie en situation extra-hospitalière. Conférence d’experts 1999.
Site Internet de l’Institut national de la recherche agronomique : http://www.inra.fr/ Vidéo de formation à l’utilisation du MEOPA. En ligne : https://www.youtube.com/ watch?v=zXmUCkIvylQ

5.5.5 LEUCOCORIE : RÉTINOBLASTOME ET AUTRES CAUSES

L. DESJARDINS , P. DUREAU

La leucocorie est un motif fréquent de consultation en urgence chez le nourrisson et le jeune enfant. Elle doit toujours être prise en considération, même si le reflet blanc a été observé de façon fugace et incertaine. La plupart des étiologies sont des pathologies sévères nécessitant une prise en charge rapide (fig. 5-5-7 et 5-5-10, tableau 5-5-4).

Fig. 5-5-10
Leucocorie de l’enfant.
La « leucocorie » est l’anomalie du reflet pupillaire rouge-orangé. Elle n’est pas nécessairement blanche. Elle apparaît en noir sur les photographies, sur l’œil gauche de cet enfant.
Tableau 5-5-4
Étiologies des leucocories [5].
Étiologie Point clé
Rétinoblastome À éliminer de principe, pronostic vital
Cataracte congénitale Argument de fréquence, formes métaboliques
Décollement de rétine
  • Maladie de Coats

  • Décollement de rétine rhegmatogène

  • Dysplasies vitréorétiniennes

  • Vitréorétinopathie exsudative familiale

  • Rétinopathie des prématurés

  • Maladie de Sturge-Weber

Maladie de Coats Mime un rétinoblastome
Fibres à myéline Formes étendues
Persistance de la vascularisation fœtale Associée à:athalamie, hypertonie, cataracte
Colobome choriorétinien Forme étendue
Toxocarose Contact canin

Le rétinoblastome est une urgence diagnostique et thérapeutique du nourrisson et du jeune enfant.

Une fois que le signe a été repéré, le praticien qui adresse l’enfant et/ou les parents renseignés par Internet demandent, à juste titre, un diagnostic et une prise en charge rapides. Le rétinoblastome doit être recherché par tous les moyens possibles et, seulement après qu’il a été éliminé, les autres diagnostics sont à envisager.

L’interrogatoire (voir chapitre 5.5.1) précise l’ancienneté des signes, les antécédents personnels et familiaux. Souvent, l’examen de la famille peut apporter des éléments utiles au diagnostic.

L’examen clinique oriente souvent les choses mais, chaque fois qu’il est difficile (enfant non coopérant) ou doit être prolongé par des examens complémentaires, un examen sous anesthésie générale doit être réalisé le plus rapidement possible.

Les examens complémentaires utiles selon la pathologie peuvent être :

  • ±

    l’échographie, souvent couplée au Doppler : c’est un examen essentiel, nécessitant un opérateur expérimenté. Elle montre les calcifications caractéristiques du rétinoblastome et, dans les autres cas, analyse le segment postérieur s’il n’est pas visible ;

  • ±

    la tomodensitométrie : elle objective facilement les calcifications mais doit être évitée en cas de suspicion de rétinoblastome en raison du risque de tumeur osseuse secondaire favorisée par l’irradiation dans cette tumeur génétiquement déterminée ;

  • ±

    l’IRM : elle nécessite souvent une anesthésie générale chez l’enfant, elle est utile en cas de tumeur pour le diagnostic et le bilan d’extension.

Toutes les pathologies évoquées dans ce sous-chapitre sont également détaillées dans le rapport 2017 de la Société française d’ophtalmologie consacré à l’ophtalmologie pédiatrique [1].

Rétinoblastome

Le signe le plus précoce du rétinoblastome est le strabisme : la règle est l’examen du fond d’œil chez tout enfant strabique

En cas d’antécédent familial quel qu’il soit, une consultation de génétique est essentielle et le dépistage doit être soigneux.

Les indications thérapeutiques ne peuvent se poser que dans des centres experts par des équipes pluridisciplinaires.

Les traitements conservateurs progressent mais l’énucléation garde des indications en première intention ou en traitement de recours.

Le diagnostic précoce du rétinoblastome est capital, car c’est une tumeur maligne à croissance rapide qui met en jeu le pronostic visuel, la conservation oculaire et le pronostic vital. C’est une urgence thérapeutique car cette tumeur intra-oculaire a une croissance rapide voire parfois très rapide.

Le rétinoblastome est une tumeur rétinienne maligne intra-oculaire, touchant essentiellement le nourrisson et le jeune enfant. C’est une tumeur d’origine génétique.
Au niveau cellulaire, deux mutations du gène Rb sont nécessaires au développement du rétinoblastome. Dans les formes héréditaires, il existe une mutation constitutionnelle sur le bras long du chromosome 13. Les formes bilatérales et 15 % des formes unilatérales sont héréditaires, transmissibles à la descendance selon un mode autosomique dominant. Les patients porteurs de cette mutation constitutionnelle ont un risque accru de développer aussi d’autres cancers, notamment les sarcomes secondaires aux radiations [2]. Pour 85 % des formes unilatérales, les deux mutations nécessaires se produisent dans les cellules rétiniennes, donnant alors une forme unilatérale unifocale, non transmissible à la descendance.

La moyenne d’âge au diagnostic est de 1 an pour les retinoblastomas bilatéraux et 2 ans pour ceux unilatéraux.

SIGNES FONCTIONNELS

Le strabisme est le signe le plus précoce. Au cours des 6 premiers mois de vie, le rétinoblastome s’il se développe est localisé au niveau du pôle postérieur de l’œil, souvent sur le centre de la rétine ou macula. Ainsi, une tumeur de seulement 2 à 3 mm de diamètre peut provoquer un strabisme d’origine organique. Il faut bien distinguer ce strabisme, qui est en général permanent et unilatéral, du strabisme accommodatif du nourrisson, qui est bilatéral et intermittent. Il faut, bien sûr, que les pédiatres et les généralistes évitent de dire aux parents que le strabisme est normal avant l’âge de 6 mois sans faire cette distinction essentielle. Quoi qu’il en soit, il est très important de faire un examen quel que soit le type de strabisme, et l’ophtalmologiste pourra – même chez un nourrisson – vérifier la vision et surtout pratiquer un examen du fond d’œil s’il constate effectivement un strabisme ou une mauvaise vision d’un œil. La règle est l’examen du fond d’œil chez tout enfant strabique. Grâce à cet examen précoce du fond d’œil, on peut parfois diagnostiquer des tumeurs de petite taille qui sont accessibles à un traitement conservateur de l’œil.

En l’absence de prise en charge efficace apparaît ensuite une leucocorie (fig. 5-5-2 et 5-5-10), ou reflet blanc, dans la pupille qui est déjà un signe plus tardif témoignant d’une tumeur plus évoluée. Elle peut être visible sur les photographies au flash lorsque l’on n’utilise pas le système anti-yeux rouges. Dans ce cas, quand il existe un rétinoblastome unilatéral, il existe une pupille blanche sur l’œil malade alors que sur l’œil sain la pupille est orangée. On peut maintenant télécharger sur les téléphones portables une application White Eye Detector qui permet de détecter facilement une leucocorie. Au début la leucocorie peut ne pas être constante, visible avec certains éclairages et seulement dans certaines directions du regard. Il faut savoir écouter les parents ou l’entourage qui décrivent ce symptôme, ne pas le banaliser et pratiquer rapidement un examen du fond d’œil.

Fig. 5-5-2
Leucocorie droite chez un nourrisson.

En cas de leucocorie chez un enfant de moins de 4 ans, il faut programmer rapidement un examen sous anesthésie générale. Dans tous les cas, il faut avant tout penser au diagnostic de rétinoblastome et éliminer ce diagnostic avant de s’orienter vers d’autres pathologies.

Si le rétinoblastome n’est pas diagnostiqué, la maladie continue à évoluer et des formes plus sévères peuvent être observées notamment les formes avec inflammation péri-oculaire voire cellulite orbitaire ou buphtalmie.

INTERROGATOIRE

L’anamnèse des parents recherche des antécédents familiaux de rétinoblastome. On se renseigne aussi sur la fratrie : Y a-t-il des frères et sœurs ? Quel âge ont-ils ? Ont-ils eu des problèmes ophtalmologiques ? Le poids de naissance est précisé car une prématurité importante pourrait orienter vers une rétinopathie des prématurés. L’histoire de la maladie est soigneusement retracée : Les parents avaient-ils remarqué un strabisme avant l’apparition de la leucocorie ? Depuis combien de temps la leucocorie a-t-elle été constatée ? Quels médecins ont été consultés et quel a été leur diagnostic ? Dans le rétinoblastome, la leucocorie est rarement constatée à la naissance. Elle est souvent précédée d’un strabisme et surtout elle s’aggrave rapidement. Une leucocorie présente dès la naissance et qui reste stable correspond plutôt le plus souvent à une malformation congénitale, mais cela doit toujours être confirmé par l’examen détaillé du fond d’œil.

L’examen clinique doit être rigoureux. Il se fait au mieux dans un centre spécialisé et sous anesthésie générale. Il comporte une mesure des diamètres cornéens et de la pression oculaire et un examen détaillé du fond d’œil. Celui-ci est complété pendant la même anesthésie par des photographies de type RetCam™ et une échographie des yeux qui montre la ou les tumeurs avec des calcifications. Une OCT est parfois rajoutée si nécessaire.

Dans tous les cas, l’examen clinique et échographique est suivi d’une IRM sous anesthésie générale programmée en urgence qui permet de confirmer le diagnostic et de préciser l’extension de la maladie en particulier au niveau du nerf optique mais aussi parfois à l’orbite. Cette IRM est essentielle pour rechercher une tumeur de la glande pinéale qui réaliserait alors avec un rétinoblastome bilatéral, un rétinoblastome trilatéral qui est exceptionnel [3].

FORMES CLINIQUES

Les formes cliniques comportent les formes exophytiques qui ont tendance à essaimer dans la cavité vitréenne (fig. 5-5-11) et les formes endophytiques (fig. 5-5-12) avec infiltration sous-rétinienne et apparition d’un décollement de rétine. Cet essaimage peut prendre des aspects variés allant d’une fine poussière de cellules isolées jusqu’à de volumineux amas de cellules ressemblant à des flocons de neige. Mais il existe également une forme clinique rare qu’il faut connaître c’est la forme infiltrante diffuse. Cette forme de rétinoblastome correspond le plus souvent à une tumeur indifférenciée d’évolution rapide survenant le plus souvent chez des enfants plus âgés parfois de plus de 5 ans. Le tableau clinique généralement observé est une pseudo-hyalite [4] avec des nodules blanchâtres parfois visibles sur la rétine et un décollement de rétine. La vitrectomie est contre-indiquée. En l’absence de diagnostic, l’évolution se fait vers l’envahissement de la chambre antérieure avec apparition d’un hypopion. Les images radiologiques en échographie et IRM sont assez caractéristiques pour les radiologues habitués au diagnostic du rétinoblastome car la rétine est non seulement décollée mais aussi anormalement épaissie (fig. 5-5-13) [5].

Fig. 5-5-11
Rétinoblastome exophytique.
Rétinoblastome exophytique.
Fig. 5-5-12
Rétinoblastome endophytique.
Fig. 5-5-13
Rétinoblastome infiltrant : échographie montrant une rétine décollée et épaissie.

Les formes cliniques survenant chez des enfants plus âgés (parfois ayant plus de 10 ans) sont exceptionnelles. Les formes associées à une délétion du chromosome 13 doivent être recherchées systématiquement.

Les formes se présentant avec exophtalmie au diagnostic sont exceptionnelles dans les pays développés mais sont très fréquentes dans les pays en voie de développement où la mortalité reste élevée. Les formes atteignant le système nerveux central ou métastatique sont exceptionnelles en France.

La prise en charge thérapeutique du rétinoblastome est une urgence et ne se conçoit que dans un centre spécialisé.

TRAITEMENTS DU RÉTINOBLASTOME

Ce sont l’énucléation ou un traitement conservateur.

Le choix thérapeutique dépend du caractère uni- ou bilatéral de l’atteinte, de l’âge de l’enfant et du stade de la maladie au diagnostic (encadré 5-5-6) [6, 7].

Encadré 5-5-6

Classification internationale des rétinoblastomes

  • Groupe A – tumeurs < 3 mm, situées à plus de 3 mm de la fovéa et 1,5 mm de la tête du nerf optique, sans essaimage.

  • Groupe B – tumeurs ≥ 3 mm, décollement séreux rétinien < 5 mm autour de la tumeur, pas d’essaimage dans le vitré ou en sous-rétinien.

  • Groupe C – essaimage vitréen ou sous-rétinien localisé et/ou décollement séreux rétinien > 5 mm de la base tumorale jusqu’à un quadrant.

  • Groupe D – essaimage vitréen massif (boules de neige) et/ou sous-rétinien diffus et massif, décollement de rétine supérieur à un quadrant.

  • Groupe E – globes sans potentiel visuel avec présence d’un ou de plusieurs des signes suivants : hémorragie intravitréenne massive, rétinoblastome infiltrant diffus, glaucome néovasculaire, tumeur touchant le cristallin, tumeur en avant de la hyaloïde antérieure, phtise du globe.

L’énucléation doit être pratiquée par un chirurgien expérimenté.

Il faut éviter de perforer ou de rompre le globe oculaire et obtenir un long fragment de nerf optique. La mise en place d’un implant, le plus souvent en hydroxyapatite, permet d’obtenir un aspect esthétique satisfaisant [8]. L’intervention doit être suivie d’un examen anatomopathologique soigneux qui conditionne les traitements postopératoires. Un prélèvement tumoral pour étude moléculaire est en règle réalisé par le pathologiste. Une chimiothérapie adjuvante peut être décidée en cas d’envahissement choroïdien profond ou d’envahissement rétrolaminaire du nerf optique. En cas d’exérèse microscopiquement incomplète ou d’envahissement de la tranche de section du nerf optique, le risque de rechute est majeur et il faut faire une chimiothérapie intensive et une radiothérapie. Si la prise en charge est optimale, le taux de guérison est très élevé, proche de 100 % [9].
Les traitements conservateurs ont beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. La radiothérapie qui était autrefois le traitement de référence n’est quasiment plus utilisée en raison de ses effets secondaires possibles (cataracte, sécheresse oculaire, déformation du massif facial et surtout cancer secondaire dans le champ d’irradiation) Ainsi la radiothérapie a progressivement été remplacée par la chimiothérapie associée à des traitements oculaires locaux. Les traitements oculaires locaux sont la thermothérapie transpupillaire au laser diode, qui potentialise l’action du carboplatine injecté par voie intraveineuse et peut être utilisée seule pour les petites tumeurs, la cryothérapie qui est utile pour les petites tumeurs périphériques et la curiethérapie à l’iode 125.
Plus récemment, de nouvelles voies d’administration de la chimiothérapie ont vu le jour comme la voie intra-artérielle [10] et la voie intravitréenne [11] avec du melphalan qui permettent d’élargir les indications de traitement conservateur et d’augmenter le taux de conservation oculaire

Schématiquement, les indications thérapeutiques sont les suivantes.

  • ±Les groupes E doivent bénéficier d’une énucléation après IRM dans les plus brefs délais.
    Les enfants qui ont une buphtalmie ou un envahissement du nerf optique visible en IRM de plus de 5 mm de long doivent bénéficier d’une chimiothérapie première et parfois d’un abord neurochirurgical en cas d’envahissement étendu du nerf optique [12]. Certains enfants se présentent avec un tableau de douleurs, hypertonie et inflammation qui nécessitent là encore une prise en charge en urgence. On réalise le plus souvent dans ce cas une chimiothérapie néoadjuvante.

  • ±Pour tous les autres stades, on essaye le plus possible de conserver l’œil et la vision.
    L’énucléation est encore utilisée en première intention pour 60 % des groupes D unilatéraux.
    Pour 40 % des groupes D unilatéraux, et pour les groupes B et C unilatéraux, une tentative de traitement conservateur est faite par chimiothérapie intra-artérielle par melphalan commencée très rapidement (environ quatre cycles associés à des traitements locaux).
    Les groupes D bilatéraux et les formes bilatérales avec des tumeurs proches de la macula doivent bénéficier d’une chimiothérapie intraveineuse par six cures de trois drogues avec des traitements oculaires locaux commencés dès la troisième cure : laser diode sur chaque tumeur postérieure et cryoapplication des lésions les plus périphériques. La première cure de chimiothérapie est débutée en urgence le jour du diagnostic avec une voie veineuse mise en place lors de l’examen sous anesthésie générale, remplacée en général ensuite par un cathéter central.
    Les groupes ABC bilatéraux peuvent en général être pris en charge par une chimiothérapie néoadjuvante par deux cures de VP16 carboplatine par voie intraveineuse, suivie de thermochimiothérapie (carboplatine par voie intraveineuse associé à une thermothérapie transpupillaire sur la tumeur) et de traitements oculaires locaux [13].
    La surveillance après traitement doit être soigneuse, mensuelle sous anesthésie générale pendant 1 an après arrêt de la chimiothérapie, puis progressivement espacée si tout va bien.
    Les enfants peuvent avoir de nouvelles tumeurs jusqu’à l’âge de 18 à 24 mois et elles sont localisées en périphérie après 1 an. La surveillance est également multidisciplinaire.

Le pronostic visuel et de conservation oculaire est lié au stade de la tumeur au moment du diagnostic. Les tumeurs endophytiques qui ont essaimé dans toute la cavité vitréenne et les tumeurs exophytiques au stade de décollement de rétine constituent des groupes D qui sont des maladies diffuses dont le traitement est difficile. C’est pourquoi le diagnostic précoce est essentiel.

CONCLUSION

Le rétinoblastome est un cancer grave rapidement évolutif qui nécessite une prise en charge rapide.
L’Institut Curie, centre de référence pour le rétinoblastome, accueille et traite les enfants en urgence au sein d’une équipe pluridisciplinaire.
Le diagnostic précoce du rétinoblastome est un enjeu essentiel. Il permet de guérir les enfants mais aussi de préserver les yeux et la vision avec des traitements beaucoup moins lourds.
Le nouveau carnet de santé attire l’attention sur le strabisme et la leucocorie. L’association RETINOSTOP, association française de parents et anciens malades atteints de rétinoblastome, développe aussi toute son énergie dans ce but comme en témoignent la réalisation d’un DVD destiné aux médecins généralistes et aux pédiatres et plus récemment la diffusion d’un spot télévisé.

Maladie de Coats

Le diagnostic différentiel du rétinoblastome le plus ambigu est la maladie de Coats. Dans notre étude publiée en 2008 [14] et dans celle plus récente de Shields et Shields [15], c’est le problème le plus fréquent. La maladie de Coats est une maladie idiopathique caractérisée par l’apparition de télangiectasies rétiniennes, habituellement unilatérales chez de jeunes enfants, plus souvent des garçons. Ces télangiectasies sont responsables d’exsudation intra- et sous-rétiniennes et de décollement de rétine. Dans les formes précoces, la maladie de Coats est facile à diagnostiquer du fait de la présence de ces télangiectasies caractéristiques (fig. 5-5-14). Dans les formes tardives en revanche, en cas de décollement total de la rétine, il peut être difficile de différencier une maladie de Coats d’un rétinoblastome infiltrant diffus. L’exsudation sous-rétinienne de la maladie de Coats a en principe une coloration jaunâtre caractéristique, mais les cristaux de cholestérol présents dans ces exsudats peuvent donner des images échographiques suspectes. Les vaisseaux rétiniens ont tendance à rester en surface du décollement de rétine, alors que dans le rétinoblastome ils pénètrent dans la tumeur [16]. Il faut savoir rechercher les télangiectasies périphériques caractéristiques, au besoin par angiographie, et demander une IRM par un radiologue expérimenté. Les yeux présentant des maladies de Coats évoluées sont de toute façon non voyants avec un risque élevé de glaucome néovasculaire et, dans le doute, il vaut mieux énucléer un œil avec un Coats évolué plutôt que de laisser évoluer un rétinoblastome infiltrant.

Fig. 5-5-14
Maladie de Coats : télangiectasies périphériques.

Cataractes de l’enfant

Les cataractes constituent la cause la plus fréquente de leucocorie chez l’enfant [16]. Ce mode de révélation en urgence correspond généralement aux cataractes dont le retentissement visuel est le plus important. Il s’agit le plus souvent de cataractes blanches totales (fig. 5-5-15). Elles peuvent être présentes dès la naissance avec une opacité occupant toute l’aire pupillaire (mais pas obligatoirement tout le cristallin) ou être la conséquence de l’aggravation progressive d’une cataracte préexistante. Une forme particulière est la cataracte polaire antérieure, parfois pyramidale. Les parents la remarquent dès la naissance et consultent en urgence en raison de ce « point blanc » (fig. 5-5-16). Ces opacités posées à la surface d’un cristallin clair, tant qu’il existe une zone non atteinte entre la cataracte et le rebord pupillaire, ne sont pas responsables de baisse de vision et ne doivent par conséquent pas être opérées. Une autre forme particulière est la cataracte traumatique avec apparition d’une leucocorie dans les suites du traumatisme. Cela peut être à la phase aiguë (grande plaie de la capsule antérieure et/ou postérieure), subaiguë (quelques jours après une contusion ou une plaie du globe), ou plus à distance.

Fig. 5-5-15
Cataracte congénitale obturante.
Fig. 5-5-16
Cataracte congénitale polaire antérieure, non amblyogène.

La recherche étiologique est limitée en l’absence d’antécédents généraux (pathologie métabolique, malformation, etc.). Un examen clinique pédiatrique peut fournir des arguments pour une pathologie générale. Les formes bilatérales sont le plus souvent génétiques, autosomiques dominantes. L’enfant peut être le premier à avoir eu la mutation responsable de la cataracte. Les cataractes unilatérales répondent plutôt à des causes locales : malformations (en particulier persistance de la vascularisation fœtale, voir plus loin), uvéites, corticothérapie, irradiation, traumatismes.

L’examen complémentaire essentiel est l ’échographie, souvent pratiquée juste avant l’intervention. Elle permet de vérifier l’absence d’anomalie associée du segment postérieur (décollement de rétine, tumeur, etc.) et de pratiquer une biométrie pour le calcul d’implant. Quand cela est possible, une échographie haute fréquence, ou ultrasound biomicroscopy (UBM), peut donner des détails sur la structure du segment antérieur.

Le traitement des cataractes obturantes est une urgence chez les enfants les plus petits en raison du risque d’amblyopie. On considère que les cataractes congénitales obturantes doivent être opérées avant l’âge de 6 semaines pour les formes unilatérales et 8 semaines pour les formes bilatérales [16]. Ce délai est bref compte tenu des contraintes d’accès à une équipe chirurgicale et anesthésique habituée à prendre ces enfants en charge. La technique chirurgicale se rapproche beaucoup de celle utilisée chez l’adulte, à l’exception de l’ouverture systématique de la capsule postérieure avec vitrectomie antérieure. La majorité des enfants sont implantés d’emblée, et il est habituel de diminuer la puissance de l’implant posé par rapport au calcul théorique afin d’anticiper sur la croissance du globe. Le suivi anatomique, optique et orthoptique est essentiel et prolongé.

En cas de cataracte traumatique, on observe l’une des trois situations suivantes :

  • ±

    plaie du globe avec large plaie de la capsule antérieure et issue de masses : il faut essayer de vider le contenu cristallinien (irrigation-aspiration ou vitréotome) au moment de la suture de la plaie, en laissant les capsules, pour éviter une inflammation majeure ;

  • ±

    ouverture capsulaire limitée avec peu d’inflammation : la cataracte peut être opérée dans les jours qui suivent la plaie du globe. Les masses sont aspirées en se méfiant d’une plaie de la capsule postérieure. L’implantation est à considérer selon les conditions peropératoires ;

  • ±

    contusion du cristallin avec cataracte apparaissant parfois longtemps après le traumatisme : les principes de la chirurgie se rapprochent de ceux d’une cataracte congénitale.

Persistance de la vascularisation fœtale

Les circonstances de diagnostic, souvent en urgence dans les premières semaines de vie, s’apparentent à celles d’une cataracte. Cette malformation unilatérale dans un œil généralement microphtalme se caractérise par la présence d’une opacité blanche vascularisée située derrière le cristallin, avec souvent étirement des procès ciliaires [16]. Il persiste une artère hyaloïde plus ou moins perméable qui vient de la papille vers le cristallin. La malformation peut être évolutive et, secondairement, la traction sur les procès ciliaires repousse vers l’avant le plan iridocristallinien avec athalamie et hypertonie. Une cataracte vient souvent compliquer cette évolution. L’échographie peut objectiver l’artère hyaloïde et/ou une anomalie associée du segment postérieur (pli rétinien, décollement de rétine). Le traitement s’apparente à celui d’une cataracte unilatérale, sauf dans les formes sévères où l’implantation est impossible d’emblée et où l’aphaquie devra être corrigée par une lentille de contact.

Décollements de rétine

Un décollement de rétine total peut se révéler par une leucocorie en raison de la présence de la rétine derrière le cristallin. Après élimination d’un rétinoblastome et pratique des examens complémentaires (principalement échographie et examen sous anesthésie générale), différents diagnostics sont possibles :

  • ±

    maladie de Coats (voir fig. 5-5-14) ;

  • ±

    décollement rhegmatogène : post-traumatique (cause la plus fréquente, parfois longtemps après le traumatisme), postopératoire, sur myopie forte, etc. [1] ;

  • ±

    dysplasies vitréorétiniennes : ce sont des malformations congénitales bilatérales de la rétine et du vitré correspondant à une anomalie de développement dans laquelle la rétine neurosensorielle n’est pas localisée au contact de l’épithélium pigmentaire mais regroupée au centre de la cavité oculaire, comme dans un décollement de rétine total ancien en « Y » ou en « T » [16]. Il existe comme dans la persistance de la vascularisation fœtale une opacité rétrocristallinienne blanc jaunâtre vascularisée correspondant à la rétine (fig. 5-5-17 et 5-5-18). La maladie est également évolutive avec le plus souvent apparition d’une cataracte et d’une athalamie. Cette malformation peut s’intégrer dans le cadre d’un syndrome (Norrie, Waarburg, ostéoporose-pseudo-gliome, etc.). Une intervention, quand elle est possible, vise surtout à éviter les complications (ablation du cristallin, vitrectomie, dissection). Le pronostic visuel est médiocre à l’exception des formes modérées ;

    Fig. 5-5-17
    Dysplasie rétinienne vascularisée.
    Fig. 5-5-18
    Dysplasie rétinienne avec persistance de l’artère hyaloïdienne.

  • ±

    vitréorétinopathie exsudative familiale : elle s’apparente cliniquement à la maladie de Coats et à la rétinopathie des prématurés avec des zones de non-perfusion rétinienne périphériques, des exsudats, une néovascularisation pouvant aboutir à un décollement de rétine tractionnel [16] ;

  • ±

    rétinopathie des prématurés : les stades 4 et 5 comportent un décollement de rétine total, souvent secondairement compliqué de cataracte et d’athalamie. Le contexte rend le diagnostic évident ;

  • ±

    maladie de Sturge-Weber : cette phacomatose comporte un angiome cutané dans le territoire du V, un angiome méningé responsable d’épilepsie, un angiome épiscléral responsable de glaucome et un angiome choroïdien diffus. Ce dernier peut être responsable d’une exsudation avec décollement de rétine total (fig. 5-5-19).

    Fig. 5-5-19
    Maladie de Sturge-Weber : hémangiome cutané (a) et choroïdien (b).

Pathologies du vitré

Une opacité dense du vitré peut parfois conduire à un aspect de leucocorie. Après élimination d’un rétinoblastome, les examens complémentaires peuvent révéler :

  • ±

    une toxocarose : infection transmise par les déjections canines, elle se révèle souvent tardivement au stade de granulome vitréen blanc pouvant s’associer à un décollement de rétine. Le diagnostic est clinique et sérologique ;

  • ±

    une hyalite, en rapport avec une affection plus générale (uvéite, leucémie, etc.) ;

  • ±

    une hémorragie intravitréenne qui, en vieillissant, prend un aspect fibrineux blanchâtre. Les causes sont diverses (traumatisme, malformation vasculaire, néovaisseau, postopératoire, etc.). À noter que, chez l’enfant, le vitré n’est pas liquéfié ni décollé et les hémorragies intravitréennes ne se résorbent que lentement. Leur persistance peut entraîner des tractions et un décollement de rétine. Une vitrectomie rapide (après 1 à 2 semaines) est généralement nécessaire.

Colobomes

Un colobome choriorétinien étendu à tout le pôle postérieur peut être responsable d’un aspect de leucocorie (fig. 5-5-20).

Fig. 5-5-20
Colobome choriorétinien (et irien) étendu responsable d’une leucocorie.

Fibres à myéline

Certaines formes très étendues entraînent un reflet blanc.

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5.5.6 MICROPHTALMIE

S. MILAZZO , M. GRENOT

Les microphtalmies (voir fig. 5-5-6) et anophtalmies congénitales sont des anomalies rares de développement de la vésicule optique primaire. L’anophtalmie est définie par l’absence de reliquat oculaire visible, alors que les annexes oculaires sont en place ; l’échographie peut cependant révéler un reliquat ou un kyste microphtalmique profond. La microphtalmie est définie par un œil de volume réduit, souvent aux dépens du segment postérieur [1]. Il faut la distinguer des microsegments antérieurs qui présentent une longueur axiale conservée. Les microphtalmies et anophtalmies congénitales ne sont pas des urgences en soi, même si pour les parents la découverte d’une malformation oculaire représente une demande d’avis en urgence. En revanche, les pathologies qui peuvent leur être associées dans un cadre syndromique, par exemple avec des anomalies malformatives, sont parfois de prise en charge urgente mais dépassent le cadre ophtalmologique.
Les microphtalmies et les anophtalmies peuvent toutes deux être uni- ou bilatérales.
L’anophtalmie a une incidence de 0,18 à 0,4/10 000 naissances, la microphtalmie est plus fréquente avec 1,5 à 19/10 000 naissances [2] avec un sex-ratio de 1,08 en faveur des garçons [3]. Il n’existe pas de prédominance ethnique.
Elles sont souvent associées à d’autres anomalies oculaires telles que le colobome ou le kyste orbitaire, résultant de l’absence de fermeture de la fente foetale par différenciation prématurée [4]. Les tableaux unilatéraux peuvent s’accompagner d’anomalies de l’oeil adelphe (colobome, anomalies du cristallin ou du nerf optique).
Elles peuvent également s’inscrire dans un syndrome plus généralisé comme le CHARGE (Coloboma, Heart defect, Atresia choanae, Retarded growth, Genital anomalies, Ear anomalies) syndrome. Ce sont des perturbations des voies de développement oculaire qui sont à l’origine de ces anomalies, que ce soit dans le cadre d’une anomalie génétique primaire ou secondaire à des facteurs externes tels que les infections (rubéole, toxoplasmose, varicelle, cytomégalovirus et virus du groupe Herpesviridae), le déficit en vitamine A, l’hyperthermie, l’exposition aux rayons X ou encore l’exposition à des médicaments (thalidomide, warfarine) et le syndrome d’alcoolisation foetale [5, 6], qui peuvent influencer la morphogenèse. D’autres facteurs de risque ont été mis en évidence tels que l’âge maternel de plus de 40 ans, les grossesses multiples, le faible âge gestationnel avec petit poids de naissance.
L’ophtalmologiste est souvent l’un des premiers intervenants face aux enfants présentant une microphtalmie ou une anophtalmie découverte en période néonatale par le pédiatre, mais il doit s’inscrire dans une démarche multidisciplinaire afin d’offrir une prise en charge optimale sur le potentiel visuel ainsi que sur l’aspect esthétique et psychosocial par le recours à l’oculoplasticien et le prothésiste qui vont permettre une expansion orbitaire. De plus, une prise en charge pédiatrique est nécessaire pour traiter toute pathologie associée. Le conseil génétique est également indiqué et proposé.
La première étape de la prise en charge doit consister en un entretien avec la famille pour expliquer la pathologie et le traitement. Cette rencontre peut provoquer un réel traumatisme chez les parents surtout en l’absence de diagnostic prénatal.
La prise en charge pédiatrique consiste en un examen somatique complet pour rechercher toute anomalie systémique et traiter toute pathologie associée car un tiers des cas sont syndromiques. Une attention particulière doit être portée à l’extrémité céphalique (oreilles, palais, puis dents), au coeur, aux organes génitaux, aux difficultés alimentaires (anomalie oesophagienne) et aux troubles métaboliques (hypopituitarisme). Une prise en charge globale peut ainsi être proposée.
L’examen ophtalmologique doit être aussi précoce que possible, dans les deux premières semaines de vie en cas d’anomalie sévère. L’interrogatoire a pour but de rechercher toute autre particularité oculaire ou systémique, ainsi que les facteurs étiologiques, en particulier les pathologies gestationnelles ou les antécédents familiaux d’anomalies oculaires ou systémiques. L’examen clinique confirme l’anophtalmie, la microphtalmie, un colobome ou un kyste orbitaire. Il se pratique toujours de manière bilatérale car en cas de microphtalmie unilatérale, l’oeil adelphe peut présenter des anomalies plus discrètes : colobome, hypoplasie du nerf optique, dysplasie rétinienne de Reese, cataracte, sclérocornée ou microcornée, anomalie de Peters, persistance de la vascularisation foetale. Un sondage des voieslacrymales peut être justifié devant l’incidence élevée des sténoses des voies lacrymales.
Il peut être utile de réaliser une échographie oculaire et orbitaire pour observer la structure interne du globe, rechercher la présence d’un reliquat oculaire ou d’un kyste quand il n’est pas évident, et pour mesurer la longueur axiale. Une longueur axiale inférieure à −2 DS de la moyenne pour l’âge permet de définir une microphtalmie (< 16 mm à la naissance ; < 19 mm à 1 an) [7]. La microphtalmie est définie comme sévère si le diamètre cornéen est inférieur à 4 mm (pour une norme de 9 à 10,5 chez le nouveau-né) et la longueur axiale inférieure à 10 mm à la naissance et inférieure à 12 mm à l’âge de 1 an.
La TDM et l’IRM peuvent également étayer le diagnostic.
L’acuité visuelle est estimée par des tests visuels pédiatriques, et des explorations électrophysiologiques si nécessaire. Les potentiels évoqués visuels (PEV) flashs pourront déterminer si une vision existe dans les cas d’anophtalmie apparente ou de microphtalmie sévère. Les PEV patterns estiment le degré d’acuité visuelle et détectent également une dysfonction du nerf optique. L’électrorétinogramme (ERG) recherche une dysfonction rétinienne.
Même dans les cas de microphtalmie sévère, il peut exister une vision utile, il est donc très important de l’évaluer précocement, d’autant plus dans les cas bilatéraux, car cela guide l’indication d’expansion de cavité.
Les diagnostics différentiels sont :
––la cryptophtalmie : elle correspond à une fusion des paupières sans cils, elle peut être associée à une microphtalmie ou une microcornée. Elle est souvent bilatérale et peut être syndromique (syndrome de Fraser) ;
––la cyclopie (complète) ou la synophtalmie (partielle) : elles correspondent à une fusion des vésicules optiques. Ces malformations ne sont pas compatibles avec la vie.
Sur le plan général, les examens vont comporter [8] :
––une IRM cérébrale : les anomalies de développement oculaire affectent également le développement cérébral, il faut rechercher des anomalies de la ligne médiane (agénésie du corps calleux), de l’hippocampe et des structures périventriculaires. Elle est à préférer au scanner car elle n’expose pas l’enfant aux radiations ionisantes (important dans le syndrome de Gorlin) et présente une meilleure résolution spatiale ;
––une échographie rénale : elle est recommandée devant l’association fréquente des anomalies oculaires et rénales ;
––un bilan des infections maternofoetales : la rubéole congénitale est connue pour être associée à la microphtalmie, d’autres infections comme la varicelle, la toxoplasmose, le virus herpès simplex et le cytomégalovirus sont à rechercher ;
––un bilan auditif à réaliser précocement.
L’examen des membres de la famille doit rechercher une anophtalmie/microphtalmie, une malformation du segment antérieur, un glaucome, un colobome, une dystrophie rétinienne et une hypoplasie du nerf optique. Cela peut donner des indications sur l’étiologie ou le mode de transmission.
L’analyse génétique comporte un caryotype haute résolution à la recherche d’une aneuploïdie (trisomies 13 et 18) ou de réarrangements chromosomiques, et une biologie moléculaire sur des gènes ciblés.
La prise en charge doit s’attacher à optimiser le potentiel visuel, il faut corriger toute erreur réfractive significative par la prescription d’une correction optique quand il n’existe qu’un seul oeil fonctionnel.
Une expansion de cavité doit être réalisée précocement pour minimiser la déformation faciale. Elle peut être débutée très tôt après la naissance en cas de microphtalmie sévère. La taille d’un oeil à la naissance représente 70 % de sa taille adulte. En revanche, la face connaît une croissance rapide : 40 % de sa taille à l’âge de 3 mois, 70 % à 2 ans et 90 % à 5 ans et demi.
La croissance faciale normale et le développement orbitaire sont affectés par la réduction du volume oculaire : sous-développement de l’orbite osseuse, des paupières et des culs-de-sac conjonctivaux. En l’absence d’intervention, la cavité est hypoplasique et la possibilité de réhabilitation par prothèse dans l’avenir est ainsi compromise. Dans les cas unilatéraux, l’asymétrie faciale se majore avec la croissance de l’enfant, pouvant entraîner des difficultés sociales. Le pronostic cosmétique est nettement amélioré par une prise en charge adaptée.
La croissance orbitaire peut être progressivement stimulée par l’addition de volume dans la cavité par des expanseurs dans les cas d’anophtalmie. Traditionnellement, celle-ci était réalisée par une prise en charge médicale séquentielle utilisant des conformateurs en acrylique de taille progressive, réalisés avec ou sans moulage de la cavité sous anesthésie générale. C’est un traitement chronique qui nécessite une adhésion parfaite des parents, car les bénéfices sont perdus dès lors que le conformateur n’est pas porté assidûment. Ils peuvent être utilisés sur une cavité avec ou sans implant, ou sur un oeil microphtalme.
La prise en charge chirurgicale séquentielle par des implants de taille croissante expose l’enfant à de nombreuses interventions.
Une prise en charge « dynamique » peut donc pallier ces multiples interventions. La greffe dermograisseuse constitue un implant dynamique idéal : biocompatible et à croissance lente. Cependant il s’accompagne d’une cicatrice au site donneur, et la croissance du greffon n’est pas prédictible (parfois atrophie ou hypertrophie nécessitant une ré-intervention). Par ailleurs la cicatrisation est lente.
Les autres procédures dynamiques sont les expanseurs à remplissage progressif au sérum physiologique, et les matériaux synthétiques auto-expansifs.
Les expanseurs au sérum physiologique sont composés d’une vessie placée dans l’espace orbitaire sous-périosté, reliée à un cathéter de remplissage en position sous-cutanée dans la fosse temporale. Ce dispositif est remplacé par un implant définitif dès le volume cible obtenu.
L’usage, plus récent, d’expanseurs hydrophiles permet une initiation moins invasive du processus d’expansion avec un nombre de visites inférieur à l’usage dermograisseuse ou d’implants de taille croissante et une expansion satisfaisante. Ils sont constitués de méthylméthacrylate ou de N-vinylpyrrolidone. Ceux-ci sont disponibles en plusieurs tailles (0,4, 0,9 et 1,5 ml pour l’expansion conjonctivale puis 2, 3 ou 4 ml pour l’expansion orbitaire proprement dite) et sont placés ou suturés dans la cavité, avec un traitement topique par antibiotique sans conservateur. Les paupières sont fermées sur l’expanseur par une tarsorraphie temporaire par suture ou colle cyanoacrylate. Enfin une prothèse peinte est intégrée. La taille est augmentée à intervalles réguliers jusqu’à obtention d’une symétrie ou d’une stagnation de l’expansion. Dans certains cas, une reconstruction complémentaire peut être nécessaire par implant orbitaire. Cette technique permet d’utiliser des prothèses peintes plus fines et plus faciles à insérer et retirer.
Une dernière modalité de traitement est représentée par les pastilles injectables en hydrogel de 0,2 cm3, pouvant être injectés par un trocart de petit diamètre par voie transcutanée, dans l’orbite profonde. Cette technique ne nécessite pas de suture, et il est possible de réaliser une titration du volume à travers le temps. Les inconvénients sont le risque d’extrusion et la douleuren cas d’injection de plus de 1 ml à la fois. Ces pastilles peuvent être utilisées en cas d’anophtalmie ou de microphtalmie sur un oeil non voyant, en revanche il ne faut pas les utiliser sur un oeil voyant.
En dernière intention, sur une hypoplasie orbitaire réfractaire ou prise en charge tardivement, on peut réaliser des techniques de reconstruction orbitocrânienne par ostéotomies et greffes osseuses.
Quelle que soit la technique choisie, les parents et l’enfant doivent être éduqués sur la manipulation de la prothèse et les contrôles réguliers par le prothésiste sont de rigueur.
Dans les yeux microphtalmes voyants, la situation est un peu différente et la prise en charge n’est pas uniforme. Quand la longueur axiale est inférieure à 16 mm, il est peu probable d’obtenir une croissance orbitaire normale, il faut donc augmenter le volume de la cavité rapidement pour prévenir l’asymétrie qui va s’accentuer avec la croissance de l’enfant. Dans ce cas, un conformateur fait sur mesure peut venir couvrir l’oeil microphtalme [9] ou le reliquat oculaire pour promouvoir la croissance orbitaire. Il sera translucide dans les cas où les PEV sont positifs, ou bien si l’oeil est de taille suffisante avec une cornée. Dans les cas bilatéraux, il faudra poursuivre cette prise en charge à long terme.
Certains centres retirent les yeux non voyants pour reconstruire par implant dermograisseux ou bille dès le plus jeune âge. Il est cependant préférable de préserver un oeil microphtalme même en l’absence de potentiel visuel car il procure des stimuli à l’ouverture palpébrale et à la croissance de la cavité, surtout si la microphtalmie est légère ou qu’il existe un kyste orbitaire, tout en évitant les complications de la chirurgie. Un conformateur clair est créé et inséré, permettant la surveillance de l’oeil sous-jacent. Quand la forme est satisfaisante, on peut secondairement créer une prothèse peinte. Dans les cas de microphtalmie légère ou modérée, la transparence en regard de la cornée doit être correcte. La date de switch entre une prothèse transparente sur une microphtalmie unilatérale avec une perception lumineuse et une prothèse peinte est difficile à déterminer. La prothèse translucide permet d’optimiser le potentiel visuel de l’oeil microphtalme et de surveiller l’oeil sous-jacent. Mais quand une vision stable est atteinte, il est peu probable de la perdre secondairement à la couverture par la prothèse peinte, et cela permet un meilleur résultat cosmétique.
Quand la longueur axiale est de plus de 16 mm, ou s’il existe un large kyste, la croissance orbitaire sera plus favorable, et l’usage de prothèse est une option, bien que cette approche nécessite une surveillance régulière. La séquence de traitement sera plutôt guidée par les besoins sociaux et esthétiques, le bon moment pour introduire la prothèse pouvant correspondre à l’entrée à l’école.
Dans les cas d’anophtalmie ou de microphtalmie avec présence d’un large kyste orbitaire, celui-ci peut jouer naturellement le rôle d’expanseur orbitaire. Si sa croissance est trop rapide, il peut nécessiter un drainage, mais avec prudence car il existe souvent une connexion directe entre l’oeil et le kyste et il peut ainsi se reformer. La croissance de la cavité est souvent suffisante à l’âge de 4 ans, ce qui autorise l’exérèse du kyste. Il faut réaliser une IRM orbitaire pour mesurer la taille du kyste et étudier ses rapports avec le cerveau. Après l’exérèse, il peut être nécessaire d’utiliser un implant orbitaire, et les patients sont adaptés par une prothèse oculaire appropriée.
Après les cinq premières années de prise en charge qui correspondent à la phase d’expansion, il faudra poursuivre une surveillance annuelle de la prothèse et de la cavité. Les yeux microphtalmes sont à risque de glaucome par fermeture de l’angle, ce qui peut engendrer une perte de la vision existante et également des douleurs. Les enfants présentant un colobome choriorétinien doivent être informés, ainsi que leurs parents, du risque majoré de décollement de rétine et de la nécessité de consulter rapidementen cas de signes fonctionnels. Une correction optique adaptée est prescrite, elle permet également la protection du globe, et parfois elle permet de compenser un aspect inesthétique (verre convexe pour augmenter la taille de l’oeil microphtalme ; prismes pour compenser une hauteur).
Les anomalies systémiques associées ont un impact majeur sur le développement de l’enfant et nécessitent une prise en charge spécialisée et adaptée. Dans les cas d’anophtalmie bilatérale sévère ou de microphtalmie sévère sans perception lumineuse, il peut exister une inversion des cycles du sommeil. Dans ces cas, il faut prescrire une supplémentation en mélatonine le soir afin de retrouver des cycles réguliers. La surveillance du développement staturopondéral est primordiale, car il peut exister des anomalies hypophysaires. Le développement psychomoteur doit également être évalué car il existe un décalage statistique entre les enfants voyants et ceux non voyants. Il est important que chaque enfant handicapé reçoive des aides financières et des services adaptés. Il existe également un réseau associatif qui offre un soutien précieux aux familles.
Les parents sont en droit de souhaiter un conseil génétique d’autant plus qu’une autre grossesse est envisagée, mais cela ne peut pas être imposé. La haute incidence des mutations de novo et du mosaïcisme, la pénétrance variable, ceci combiné avec un large éventail phénotypique même pour une mutation identifiée, rendent le conseil génétique très complexe. On considère que la moitié des cas est héréditaire et l’autre moitié est sporadique.
Un diagnostic anténatal est possible sur ponction de villosités choriales (10‑12 semaines d’aménorrhée) ou sur amniocentèse (après 14 semaines d’aménorrhée). À partir du début du deuxième trimestre, il est possible de détecter une anophtalmie/microphtalmie à l’échographie, les globes et l’orbite peuvent être mesurés et reportés sur des courbes en fonction de l’âge [10]. L’IRM prénatale peut apporter une aide au diagnostic [11].
Le développement de l’oeil est très complexe. Il est déterminé par l’expression séquentielle et coordonnée de gènes au sein des tissus en développement. Certains individus anophtalmes ou microphtalmes ont des proches présentant des malformations oculaires, mais l’absence de vraie transmission mendélienne de ces pathologies rend l’identification des gènes impliqués très difficile. Certains ont été identifiés [12] :
––CHX10 : développement des structures intra-oculaires ;
––SOX2 (chromosome 3, en cause dans la majorité des anophtalmies bilatérales ou des microphtalmies sévères) [13, 14], OTX2, PAX6 : développement oculaire et cérébral ;
––CHD7 : impliqué dans le syndrome CHARGE ;
––PTCH : impliqué dans le syndrome de Gorlin ;
––SMOC1 : syndrome ophtalmo-acromégalique (anopthalmie de Waardenburg) ;
––PAX2 : syndrome papillorénal.
La prise en charge de la microphtalmie repose donc sur une stratégie multidisciplinaire et précoce permettant une séquence de traitements rapprochés pendant les premières années de vie afin d’optimiser le potentiel fonctionnel et cosmétique.

BIBLIOGRAPHIE

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[4] Jaja Z, Belhassan S. Microphtalmie colobomateuse. Pan Afr Med J 2014 ; 17 : 308.
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5.5.7 ÉNOPHTALMIE CHEZ UN ENFANT

M. ROBERT

Définition

L’énophtalmie désigne une position anormale du globe dans l’orbite : en arrière de sa position normale. Cliniquement, l’énophtalmie apparaît avant tout comme une asymétrie entre les deux yeux.

Arguments pour évoquer un item d’urgence

Il s’agit d’une urgence qui nécessite d’être prise en charge dans un délai fonction de l’item identifié associé au caractère pédiatrique. Ce délai va du triage de prise en charge (PEC) de catégorie 4 (traumatisme avec fracture orbitaire), avec aval sur-spécialisé, à celui de catégorie 6 en milieu surpécialisé (plagiocéphalies).

Terrain

Le terrain est le suivant :

  • ±

    jeune âge (nouveau-né ou nourrisson) ;

  • ±

    contexte post-traumatique ;

  • ±

    évolutivité récente.

Examen clinique

Une urgence est suspectée devant des signes d’amblyopie et une limitation des ductions (fig. 5-5-21).

Fig. 5-5-21
Conduite à tenir devant une énophtalmie.

L’observation du visage de l’enfant permet d’analyser les rapports des pupilles, des sourcils, des arcades sourcilières, de face mais aussi du dessus, afin de comparer les positions relatives des orbites et des yeux dans les plans frontal et axial. Il est souvent difficile cependant de distinguer cliniquement une dystopie orbitaire vers l’arrière d’une énophtalmie.

L’examen évalue la fonction visuelle de chaque œil, réalise un bilan oculomoteur complet. Il permet de ne pas manquer les items dont la prise en charge doit être organisée en urgence (encadré 5-5-7).

Encadré 5-5-7

Items d’urgence de l’énophtalmie de l’enfant

Devant une énophtalmie chez un enfant, il ne faut pas manquer :

  • l’ensemble des diagnostics différentiels ;

  • les plagiocéphalies antérieures dont le diagnostic doit être aussi précoce que possible et dont la prise en charge est une urgence craniofaciale ;

  • les fractures en trappe du plancher de l’orbite dont la présentation clinique est souvent très fruste, pouvant se limiter en position primaire à une discrète énophtalmie, et dont le traitement est une urgence chirurgicale ;

  • les syndromes de rétraction, où l’énophtalmie est positionnelle et qui peuvent, rarement, s’accompagner d’amblyopie fonctionnelle.

Examens paracliniques

On peut avoir recours au cordimètre, au scanner orbitaire et/ou à l’IRM cérébrale en fonction des situations et items suspectés.

Traitement

Les prises en charge à organiser sans délai sont le transfert en milieu surspécialisé des items oncologiques des tumeurs orbitaires de l’enfant (exceptionnelles), la chirurgie du plancher de l’orbite d’une fracture en trappe. Les chirurgies de remodelage osseux ou de lipostructure dans certains cas sont urgentes.

5.5.8 ŒIL TROP GROS

D. DENIS , M. BEYLERIAN

Points forts

  • L’examen clinique d’un œil trop gros comporte une inspection de la cornée, une skiascopie, un fond d’œil sous anesthésie générale.

  • Les différentes étiologies sont le glaucome congénital, la mégalocornée congénitale, la myopie forte de l’enfant et les craniosténoses syndromiques.

  • Le glaucome congénital et les craniosténoses syndromiques sont des items d’urgence.

  • La myopie forte est un item de semi-urgence.

  • La mégalocornée n’est pas une urgence mais est le principal diagnostic différentiel de la buphtalmie glaucomateuse congénitale.

Examen clinique

Face à un œil trop gros (encadré 5-5-8), dès la première consultation en urgence, le bilan doit être complet comprenant :

  • ±

    un interrogatoire rigoureux (antécédents familiaux, personnels) ;

  • ±

    une inspection craniofaciale ;

  • ±

    une réfraction sous cycloplégique ;

  • ±

    un examen ophtalmologique sensoriel et oculomoteur ;

  • ±

    une prise en charge multidisciplinaire avec les pédiatres.

Encadré 5-5-8
Évolution normale de la taille du globe oculaire

Le développement de l’oeil de l’enfant est soumis à un ordre méticuleusement séquencé pour aboutir à l’oeil adulte. Les paramètres biométriques, qui témoignent de ce développement aux différents âges, permettent de préjuger du caractère physiologique ou pathologique de ce développement.
En conséquence, les valeurs normatives de la biométrie oculaire sont à apprécier en fonction de l’âge de l’enfant et sont un prérequis indispensable à la prise en charge des pathologies ophtalmopédiatriques [1].
Les paramètres biométriques sont :

  • le volume du globe : multiplié par 3 de la naissance à l’âge adulte, il est chez le nouveau-né de 2,43 mm3 et chez l’adulte (20 à 30 ans) de 6,93 mm3, soit presque 3 fois plus (exactement 2,86 fois plus). Le volume de la cavité vitréenne passe de 1,4662 à 4,5854 mm3 soit 3,13 fois plus ;

  • le diamètre cornéen est 9,5-10 mm à la naissance pour atteindre 12-12,5 mm à l’âge de 2 à 3 ans ;

  • la longueur axiale moyenne du globe chez le foetus (et chez le prématuré) est : à 6 mois de 12 mm, à 7 mois de 14,4 mm, à 8 mois de 16,8 mm. À la naissance, cette longueur varie selon les auteurs de 16,5 à 18 mm, puis la croissance est : très rapide la première année, augmentant de 3,5 mm environ dans les 18 premiers mois ; rapide jusqu’à 3 ou 4 ans (1 mm par an) ; lente (0,1 mm par an) jusqu’à 14 ou 15 ans où la longueur définitive est atteinte. La moyenne de la longueur axiale adulte est de 23,30 à 23,50 mm, les valeurs extrêmes étant de 22 à 25 mm. Il existe une dispersion normale des valeurs individuelles [2].

Différentes étiologies

Devant un œil trop gros chez l’enfant, on évoque dans le cadre de l’urgence les items suivants :

  • ±

    glaucome congénital et mégalocornée ;

  • ±

    myopie forte ;

  • ±

    craniosténoses (syndromiques, plagiocéphalie, pseudo-exophtalmie).

GLAUCOME CONGÉNITAL

Face à un œil trop gros, il faut suspecter un glaucome congénital. On recherche l’existence :

  • ±

    de signes associés témoignant d’une pression élevée : larmoiement, cornée trouble, gêne à la lumière, etc. ;

  • ±

    d’un contexte familial de glaucome pédiatrique.

Les signes témoignant de l’hypertonie et de ses conséquences peuvent se manifester différemment selon l’âge de l’enfant et la sévérité du blocage de la résorption de l’humeur aqueuse [3].

SIGNES FONCTIONNELS

Chez le nouveau-né et le nourrisson, la triade classique larmoiement-blépharospasme-photophobie est évocatrice. Ces signes, souvent associés entre eux, apparaissent avant la buphtalmie et doivent être recherchés ; ils sont liés à l’œdème épithélial par souffrance cornéenne. La photophobie peut s’observer même à l’intérieur de l’habitat, être associée à un frottement et une fermeture des yeux en pleine journée.

Chez l’enfant entre 1 et 3 ans, l’œil rouge, larmoyant simule une conjonctivite. On observe une vision floue (troubles de la réfraction à type de myopie, anisométropie), des troubles de l’oculomotricité, conséquence d’une acuité visuelle basse (strabisme et nystagmus), des céphalées.

SIGNES D’EXAMEN

Les signes d’examen traduisent l’élargissement du globe oculaire avec répercussions sur le nerf optique. Buphtalmie, mégalocornée (voir fig. 5-5-5), augmentation de la longueur axiale et excavation papillaire sont les principaux signes qui témoignent de l’élargissement de l’œil dû à l’hypertonie. La buphtalmie traduit l’augmentation du volume du globe oculaire, la mégalocornée l’augmentation des dimensions de la cornée, l’excavation papillaire verticale et supérieure à 3/10 l’écrasement des fibres optiques. Lorsque l’élargissement est asymétrique (fig. 5-5-22), il est plus visible et le diagnostic est facilité. En revanche, lorsque l’atteinte est bilatérale et symétrique, le diagnostic peut être retardé, « ces grands beaux yeux » étant considérés comme la normalité. L’élargissement oculaire disparaît vers l’âge de 3 ans pour la cornée et vers l’âge de 10 ans pour la sclère. Trois ans est l’âge retenu pour différencier les glaucomes congénitaux des glaucomes juvéniles.

Fig. 5-5-22
Rétinophotographies de la papille d’un enfant glaucomateux congénital montrant un rapport d’excavation papillaire supérieur à 0,3 et asymétrique (a, b) en comparaison avec une papille normale (c).

L’ élargissement cornéen est mieux toléré par l’épithélium et le stroma par rapport à l’endothélio-descemet qui, lorsque l’étirement cornéen progresse, se rompt avec apparition de stries de Haab. Ces dernières sont parallèles au limbe ou horizontales transversales entraînant une amblyopie par astigmatisme irrégulier, mais aussi par perte de transparence due à une organisation séquellaire kératocytaire. Ces stries peuvent être mises en évidence au biomicroscope (fig. 5-5-23) mais aussi à l’OCT du segment antérieur. Elles sont à distinguer des vergetures de la Descemet par extraction instrumentale (forceps) per partum qui sont verticales et linéaires.

Fig. 5-5-23
Strie de Haab centrales traversant la largeur cornéenne (a et b, têtes de flèche).
Elles se traduisent par des enroulements descemétiques cicatriciels ( b, flèches).

L’ œdème cornéen se manifeste par un larmoiement et une photophobie. Il est irritant, douloureux, produit une diffusion de la lumière qui a un effet d’éblouissement. Il est plus fréquent chez les nourrissons atteints de la forme la plus sévère de glaucome congénital (prénatal à 2 mois de vie) et sa fréquence diminue à mesure que l’enfant grandit et que la fonction de barrière de l’endothélium devient mature. Deux mécanismes sont à l’origine de l’œdème cornéen, la combinaison immaturité endothéliale/augmentation du gradient de pression oculaire et la rupture de la membrane de Descemet. Cette rupture par distension rapide du globe est prédictive d’une amblyopie organique future.

L’ augmentation de la longueur axiale est liée à l’hypertonie, elle se manifeste par une myopie axile qui peut diminuer après normalisation de la PIO.

L ’atteinte du nerf optique est un paramètre majeur du diagnostic et du suivi et évalué par un rapport cup /disc (C/D) pathologique s’il est supérieur à 0,3 (fig. 5-5-24). L’asymétrie papillaire est également très suspecte car présente dans 88 % des glaucomes congénitaux, alors que seulement 3 % des enfants normaux ont des disques optiques asymétriques.

Fig. 5-5-24
Visualisation de la papille sous anesthésie générale avec un C/D vertical profond et blanc.

La conséquence réfractive est l’élargissement oculaire. Ce dernier génère des anomalies réfractives à type d’astigmatisme irrégulier, de myopie et d’anisométropie qui conduiront à une amblyopie si elles ne sont pas précocement corrigées.

CONDUITE À TENIR

Face à un œil trop gros chez un nouveau-né, le diagnostic est confirmé par un examen sous anesthésie générale qui permet lorsque la PIO est élevée et la cornée trouble, élargie avec excavation papillaire, de confirmer le diagnostic facilement. En revanche devant une cornée élargie, sans œdème ni photophobie avec une excavation papillaire verticale supérieure à 3/10, toute la difficulté de l’examen consiste à dépister la moindre aggravation des paramètres surveillés afin de poser l’indication chirurgicale. Les parents devront y participer en recherchant l’apparition du moindre signe.

MÉGALOCORNÉE CONGÉNITALE

Face à un œil trop gros, il faut suspecter une mégalocornée congénitale.

La mégalocornée congénitale n’est pas une urgence en soi mais elle est le diagnostic différentiel du glaucome congénital. Les principaux éléments qui la différencient d’un glaucome congénital sont l’absence de dégradation de la fonction visuelle, d’apparition de troubles cornéens, de stries de Haab, d’excavation et d’hypertonie.

La mégalocornée congénitale, ou mégalophtalmie antérieure congénitale, peut elle aussi donner un aspect d’œil « trop gros » désignant une augmentation de taille du segment antérieur, bilatérale, symétrique et isolée. Dans 90 % des cas, ce sont les garçons (transmission liée à l’X) qui sont atteints [4].

SIGNES FONCTIONNELS

La mégalocornée congénitale isolée est asymptomatique.

SIGNES CLINIQUES

Le diamètre cornéen peut atteindre 15 à 16 mm sans autre signe évocateur de glaucome congénital avec possible diminution de l’épaisseur cornéenne. La réfraction sous cycloplégiques aura mesuré d’éventuels myopie ou astigmatisme direct.
L’examen à la lampe à fente du segment antérieur met une évidence une transparence cornéenne et une membrane de Descemet normales. La cornée peut présenter une dystrophie en mosaïque et un embryotoxon postérieur.
La tension oculaire est normale. La gonioscopie peut être normale ou montrer des procès iriens proéminents, une vaste zone de pigmentation trabéculaire.
Dans la forme liée à l’X, la pupille est le plus souvent discrètement ovale et la dilatation pupillaire est de mauvaise qualité dans environ 60 % des cas par altération du dilatateur. La transillumination irienne met en évidence un stroma irien antérieur souvent hypoplasique et un iridodonésis. Il s’y associe une dispersion pigmentaire secondaire à un frottement anormal de l’iris contre la capsule antérieure du cristallin.
Une cataracte peut aussi être présente par subluxation cristallinienne.
Le plus souvent, la mégalocornée congénitale est isolée, rarement elle peut être associée à des anomalies systémiques :
– syndromes polymalformatifs : maladie de Marfan, sclérose tubéreuse de Bourneville, SHORT (Short stature, inguinal Hernia, Ocular depression, Rieger anomaly, delay in eruption of Teeth) syndrome ;
– anomalies dermatologiques : syndrome de Weil-Marschesani.
– anomalies neurologiques : syndrome de Soto, syndrome de Neuhauser ou syndrome MMR (megalocornea mental retardation), syndrome MMMM (megalocornea, macrocephaly, mental and motor retardation), syndrome de Marshall-Smith ;
– anomalies métaboliques : comme les mucolipidoses type I ou II ;
– anomalies génétiques ou chromosomiques : syndrome faciodigito- génital qui est lié à l’X et dont le gène responsable est localisé à proximité du gène de la mégalocornée. Tous les casdécrits présentaient une cornée de diamètre compris entre 12 et 13 mm ;
– anomalies du squelette : syndrome d’Apert ou syndrome de Crouzon.

CONDUITE À TENIR

La prise en charge des mégalocornées consiste à exclure le diagnostic de glaucome congénital, rechercher une association à des maladies systémiques et effectuer une surveillance étroite afin de dépister la survenue secondaire d’une hypertonie oculaire (20 % des cas).
On organise une surveillance à vie, tous les 4 à 6 mois jusqu’à 2 ans puis tous les 6 mois chez l’enfant, enfin tous les ans chez le sujet adulte avec contrôle régulier du champ visuel et de l’OCT (retinal nerve fiber layer [RNFL]).
Le traitement d’un glaucome ultérieur est à adapter en fonction de la gravité et de l’âge de survenue.
Les patients plus âgés peuvent bénéficier de l’extraction d’une cataracte, dont la chirurgie sera compliquée par la grande fragilité zonulaire.

MYOPIE FORTE DE L’ENFANT

Face à un œil trop gros, il faut aussi suspecter une myopie forte. L’urgence est relative. Il s’agit de prendre rapidement en charge l’anomalie visuelle pour prévenir l’amblyopie, compenser le handicap et limiter la progression.
La myopie forte se définit par une longueur axiale supérieure à 26 mm diagnostiquée par une biométrie. La prévalence de la myopie forte est d’environ 4,5 % aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, mais elle atteint 20 % dans certaines populations asiatiques. La myopie forte est parmi les cinq premières causes de cécité légale du fait de ses complications cécitantes. Elle est détectée précocement souvent au cours des premières années de vie ; elle peut être isolée ou syndromique. L’interrogatoire précise les antécédents familiaux, l’éventualité de désordres pré- et périnataux ainsi que d’affections connues pour s’accompagner de retentissement oculaire. L’enfant présente un faciès harmonieux, avec une protrusion d’un ou des deux globes oculaires selon l’uni- ou la bilatéralité de la myopie avec exophtalmie variable, plus ou moins accentuée selon la configuration du visage (fig. 5-5-25).
L’acuité visuelle dépend :
– du degré de myopie : entre −4 et −8 D selon la kératométrie ;
––de la présence d’un staphylome myopique englobant ou non la macula ;
––de l’étendue d’une choroïdose myopique ;
––du type de correction optique (verres ou lentille).

Fig. 5-5-25
Myopie forte
Correction optique portée de face (a) et de trois quarts (b) et absence de correction optique (c). On note l’importance de la sphère correctrice (a, b) et la protrusion des globes oculaires sur un faciès harmonieux par ailleurs (c).
Conduite à tenir

Face à ces globes oculaires exophtalmes, le bilan ophtalmologique doit être régulier afin de corriger la moindre évolution de la myopie et de dépister une hypertonie oculaire associée.

CRANIOSTÉNOSES

Les craniosténoses sont des déformations crâniennes dues à la fermeture prématurée (synostose) d’une ou de plusieurs sutures crâniennes qui surviennent approximativement dans 1/2500 naissances [1]. La malformation osseuse congénitale s’oppose au développement cérébral et ce conflit a deux conséquences l’une osseuse, anatomique et morphologique et l’autre cérébrale et/ou ophtalmologique. Les conséquences des craniosténoses sont neurologiques (hypertension intracrânienne, retard mental) et ophtalmologiques (neuropathie optique, troubles réfractifs, strabisme, exophtalmie, exorbitisme, souffrance cornéenne). Elles menacent le pronostic cérébral et visuel.

L’exophtalmie, appelée aussi pseudo-exophtalmie, donnant un aspect d’œil trop gros est l’apanage des craniosténoses syndromiques (syndromes de Crouzon, d’Apert, de Pfeiffer, de Sarthre-Chotzen). Elle est due à un rapport anormal entre la cavité orbitaire et son contenu par limitation de la profondeur des orbites. Elle est variable selon le type de la craniosténose syndromique (plus marquée dans le syndrome de Crouzon) ; dans les formes sévères, elle peut se compliquer d’exorbitisme et peut s’aggraver jusqu’à la luxation du globe oculaire spontanément, par manipulation de la paupière ou par collyre à base de néosynéphrine. Le bilan d’imagerie par tomodensitométrie cérébrale et craniofaciale permet de quantifier la sévérité de l’exophtalmie.

SYNDROME DE CROUZON

Les signes cliniques de ce syndrome sont caractérisés par la triade : orbites courtes, craniosténose (type brachycéphalie ou oxycéphalie), hypoplasie maxillaire supérieure. Ce syndrome peut se compléter progressivement de la naissance jusqu’à l’âge de 2 à 3 ans environ. La complication redoutée de ce syndrome est l’hypertension intracrânienne et ses conséquences avec en particulier un œdème papillaire (fig. 5-5-26).

Fig. 5-5-26
Œdème papillaire bilatéral d’hypertension intracrânienne (a : œil droit ; b : œil gauche).

CONDUITE À TENIR

On analyse le fond d’œil impérativement à la recherche d’un œdème papillaire. Sa présence associée ou non à des atteintes cornéennes d’exposition conduit à une cranioplastie en urgence (expansion orbitaire), qui dans la plupart des cas permet de soulager les symptômes à type d’exophtalmie, d’érosion de la cornée, de conjonctivite et d’éviter le risque de cécité.

BIBLIOGRAPHIE

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[2] Denis D, Wary P. Examen de l’enfant. In : Denis D. Ophtalmologie pédiatrique. Rapport de la Société française d’ophtalmologie 2017. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2017, p. 29‑42.
[3] Denis D, Aziz A. Glaucomes de l’enfant. In : Denis D. Ophtalmologie pédiatrique. Rapport de la Société française d’ophtalmologie 2017. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2017, p. 289‑323.
[4] Roche O, Dureau P, Uteza Y, Dufier JL. La mégalocornée congénitale. J Fr Ophtalmol 2002 ; 25 : 312‑8.

5.5.9 ŒIL QUI LARMOIE CHEZ L’ENFANT

D. BREMOND-GIGNAC

Points forts

  • Le larmoiement clair de l’enfant constitue rarement une urgence.

  • Devant tout larmoiement clair de l’enfant, il faut éliminer en premier lieu un glaucome congénital, item d’urgence de type 4. Il est provoqué soit par une obstruction des voies de drainage lacrymal, soit par une hypersécrétion lacrymale.

  • La dacryocystocèle congénitale constitue un item d’urgence de type 4, responsable d’un larmoiement clair de l’enfant par obstruction des voies lacrymales.

  • Le larmoiement clair par hypersécrétion est dû à une anomalie de la surface oculaire, cependant il s’accompagne habituellement d’un œil rouge.

  • Parmi les anomalies de la surface oculaire, bien que rarement s’accompagnant d’un œil blanc, les ulcères inflammatoires non infectieux constituent une urgence de type 4.

Présentation clinique

Le larmoiement clair se traduit par un épiphora, débordement des larmes qui coulent spontanément sur la joue de l’enfant.

TERRAIN

Le contexte est essentiel pour constituer le diagnostic urgent. II faut rechercher des antécédents de pathologie de surface, de terrain atopique avec des antécédents familiaux d’allergie, un asthme, un eczéma, une dermatite atopique ou une rhinite allergique. Il est aussi utile de rechercher des antécédents de malformations craniofaciales éventuellement traitées chirurgicalement.

L’âge est un élément essentiel d’orientation du diagnostic. Le caractère congénital doit faire évoquer une obstruction malformative au niveau du système lacrymal (fig. 5-5-27). Si le larmoiement clair est acquis et survient chez l’enfant plus âgé, l’urgence est moindre car le larmoiement deviendra purulent avant de se compliquer d’une dacryocystite.

Fig. 5-5-27
Orientation diagnostique devant un larmoiement de l’enfant de moins de 3 mois.

CIRCONSTANCES DE SURVENUE

Les circonstances de survenue établissent s’il s’agit d’un obstacle sur les voies lacrymales ou s’il s’agit d’une hypersécrétion. L’interrogatoire recherche si le larmoiement est :

  • ±

    uni- ou bilatéral ;

  • ±

    permanent ou intermittent ;

  • ±

    douloureux ou non ;

  • ±

    avec prurit ou non ;

  • ±

    occasionnellement purulent ou sanglant (oriente vers une cause tumorale maligne) ;

  • ±

    avec des périodes d’accalmie ou chronique ;

  • ±

    traité médicalement ou chirurgicalement (procédure endonasale) ;

  • ±

    associé à une inflammation du sac lacrymal.

Examen clinique

Le larmoiement clair coule habituellement sur la joue de l’enfant et l’épaisseur du lac lacrymal est augmentée. L’examen clinique observe la hauteur du ménisque lacrymal, les orifices lacrymaux à la recherche d’une obstruction, d’une malformation ou d’une plaie palpébrale et des voies lacrymales. Il analyse le break-up time (BUT). L’examen complet du segment antérieur élimine une pathologie de la surface oculaire. Un examen de la face recherche une voussure de la région canthale. Cette voussure peut correspondre à une dacryocystocèle ou une dacryocystite.

Type d’urgence

La dacryocystocèle congénitale bilatérale avec une mucocèle nasale bilatérale constitue une urgence majeure du fait du risque de détresse respiratoire du nouveau-né et du nourrisson par obstruction nasale avec un risque vital [1, 2]. La prise en charge (PEC) doit être effectuée dans un délai de moins de 24 heures, à adapter de façon plus rapide selon l’état respiratoire du nourrisson.

Diagnostic étiologique

Le larmoiement clair est provoqué soit par une obstruction des voies de drainage lacrymal, soit par une hypersécrétion lacrymale [3]. Devant tout larmoiement clair de l’enfant, il faut éliminer en premier lieu un glaucome congénital, véritable urgence, et une plaie des voies lacrymale habituellement diagnostiquée selon le contexte traumatique. Dans le cadre d’une obstruction des voies de drainage lacrymal, la dacryocystocèle congénitale constitue la seule urgence du larmoiement clair de l’enfant par obstruction des voies lacrymales (fig. 5-5-28), hormis le glaucome congénital qui est un diagnostic différentiel. Celle-ci est une urgence majeure quand elle est bilatérale à cause du risque vital de détresse respiratoire du nourrisson par obstruction respiratoire au niveau nasal. Le larmoiement clair par hypersécrétion est dû à une anomalie de la surface oculaire, il s’accompagne habituellement d’un œil rouge. Parmi les anomalies de la surface oculaire, les ulcères inflammatoires non infectieux constituent une urgence. La figure 5-5-28 résume les situations d’urgence devant un œil qui présente un larmoiement clair.

Fig. 5-5-28
Orientation diagnostique et conduite à tenir devant un larmoiement clair de l’enfant.
PEC : prise en charge ; MGD : meibomian gland dysfunction (dysfonction meibomienne) ; VL : voies lacrymales.

Diagnostics différentiels essentiels

Devant tout larmoiement clair de l’enfant, il faut éliminer en premier lieu un glaucome congénital, seule véritable urgence, triage PEC de catégorie 4 (voir fig. 5-5-5, 5-5-22 et 5-5-23). Il faut aussi éliminer une plaie des voies lacrymales mais le contexte pose habituellement le diagnostic de façon simple [4]. Une plaie du canalicule inférieur nécessite une PEC urgente avec chirurgie dans les 24 heures. Concernant la dacryocystocèle congénitale qui se développe en général sous le canthus médial, il faut éliminer une tumeur comprimant les voies lacrymales comme un hémangiome par exemple. L’imagerie type IRM permettra de réaliser un bilan précis afin de préciser le diagnostic.

Prise en charge immédiate

Une obstruction lacrymonasale congénitale peut se compliquer de mucocèle extériorisée au niveau canthal et nasal. La dacryocystocèle (ou mucocèle canthale) congénitale peut se présenter de façon bilatérale avec une mucocèle nasale bilatérale, elle constitue alors une urgence extrême (voir dans le chapitre 5.2.1 le paragraphe « Urgences lacrymales et nasales »). En effet, la dacryocystocèle peut s’étendre au niveau nasal avec formation d’un kyste pouvant entraîner une détresse respiratoire du nouveau-né et du nourrisson. Ce risque vital fait trier l’item d’urgence en catégorie 1 pour l’examen et l’organisation sans délai de la prise en charge d’aval immédiate. La chirurgie marsupialise le sac lacrymal par voie endonasale avec contrôle endoscopique et sonde les voies lacrymales du nourrisson [2]. Ainsi l’ouverture des voies lacrymales permet le désencombrement nasal par l’écoulement des larmes de façon naturelle.

La complication peut aussi être infectieuse avec une évolution vers une dacryocystite [5].

Pronostic

Si le traitement est pris dans des délais adéquats, le pronostic est bon grâce à une désobstruction des voies lacrymales consécutive au traitement.

Conclusion

Le larmoiement clair de l’enfant constitue rarement le symptôme d’un item d’urgence. Cependant des situations rares méritent d’être identifiées du fait de risque oculaire ou même vital. La dacryocystocèle congénitale peut présenter un risque vital pour le nourrisson par obstruction nasale méritant une prise en charge sans délai.

BIBLIOGRAPHIE

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5.5.10 CONJONCTIVITES ET KÉRATOCONJONCTIVITES DU NOUVEAU-NÉ ET DE L’ENFANT

A. SAUER , C. SPEEG-SCHATZ

Introduction

Le larmoiement de l’enfant est un motif de consultation fréquent en ophtalmopédiatrie. La conduite à tenir dépend de la durée d’évolution et du type de larmoiement. En cas de larmoiement sale et aigu (moins de quelques jours), le diagnostic s’oriente principalement vers les conjonctivites, compliquées ou non par une kératite.

Parmi les conjonctivites de l’enfant, deux entités cliniques doivent être différenciées :

  • ±

    les conjonctivites du nouveau-né (moins de 1 mois), principalement secondaires aux pathogènes responsables des maladies sexuellement transmissibles comme Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae ou le virus herpès simplex, qui sont rares mais potentiellement très sévères ;

  • ±

    les conjonctivites du nourrisson et du grand enfant, fréquentes et bénignes dans la plupart des cas.

Épidémiologie

La conjonctivite de l’enfant représente plus de la moitié des actes ophtalmologiques réalisés par les médecins généralistes, son incidence annuelle varie entre 10 et 50 cas pour 1 000 habitants. Les streptocoques et Haemophilus influenzae sont les bactéries les plus fréquemment en cause, à l’origine de 40 à 80 % des conjonctivites selon les séries [1].

Au contraire, les conjonctivites néonatales secondaires aux micro-organismes responsables des infections sexuellement transmissibles (IST) – Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae ou virus herpès simplex – sont plus rares mais pourvoyeuses de complications redoutables, notamment des kératites. Ces pathogènes sont en général rencontrés lors du passage dans la voie génitale au décours de l’accouchement. À côté de ces formes particulières de conjonctivites, le nouveau-né peut aussi présenter une atteinte secondaire à des bactéries plus « classiques », souvent dans le cadre d’une infection nosocomiale, comme le staphylocoque, le pneumocoque ou Haemophilus influenzae [2].

Formes cliniques
CONJONCTIVITES DE L’ENFANT (2 À 10 ANS)
CONJONCTIVITES BACTÉRIENNES

La conjonctivite bactérienne de l’enfant est très fréquente et le plus souvent d’évolution favorable. Sa présentation la plus courante est une sensation de grains de sable dans les yeux avec un œil rouge et des sécrétions purulentes sans baisse d’acuité visuelle.

En cas d’atteinte bactérienne, les streptocoques et Haemophilus influenzae sont le plus souvent en cause. Le diagnostic de conjonctivite bactérienne est suspecté sur la présence de sécrétions purulentes abondantes (voir fig. 5-5-3), le plus souvent unilatérales parfois accompagnées d’un chémosis. La présence concomitante d’une otite ou d’une angine n’est pas rare chez le petit enfant. Il n’y a pas d’indication à la réalisation d’un examen bactériologique en première intention. Un frottis conjonctival peut se discuter en cas d’évolution péjorative sous traitement. Le traitement des conjonctivites bactériennes doit comprendre avant tout un lavage oculaire au sérum physiologique associé à un antiseptique. La prescription d’antibiotiques devrait être très limitée.

Fig. 5-5-3
Conjonctivite néonatale.

Selon les recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM ; anciennement Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [Afssaps]) émises en 2004, un traitement antibiotique n’est indiqué qu’en cas de critères de gravité ou de situations à risque [3]. Les critères de gravité d’une conjonctivite bactérienne, définis par l’ANSM, sont : la présence de sécrétions purulentes importantes, un chémosis, un œdème palpébral, un larmoiement important, une photophobie ou une baisse de l’acuité visuelle, même modérée. Parmi les situations à risque sont colligés le patient monophtalme, le porteur de lentilles de contact, une chirurgie oculaire récente et le nouveau-né.

Le traitement repose sur une antibiothérapie topique probabiliste souvent associée à une antibiothérapie par voie générale chez l’enfant. Quelques études ont montré l’intérêt des gels et des pommades antibiotiques chez l’enfant afin d’éviter des phénomènes de dilution par clignements ou larmoiements excessifs. Sur le plan local, la rifamycine est l’antibiotique de choix chez l’enfant, cependant sa durée d’utilisation ne doit pas être prolongée du fait de la sélection rapide de mutants résistants lorsqu’elle est utilisée en monothérapie. L’utilisation des aminosides (tobramycine) est souvent indiquée en première intention. Les aminosides ou la rifamycine sont en général prescrits à raison de 1 goutte 4 fois par jour pour une durée de 7 à 10 jours. L’azithromycine permet d’étoffer l’arsenal thérapeutique en diminuant les contraintes d’instillation, notamment pour les enfants en collectivités (1 goutte matin et soir pendant 3 jours) [1–3].

CONJONCTIVITES ET KÉRATOCONJONCTIVITES VIRALES DE L’ENFANT

Le diagnostic différentiel des conjonctivites bactériennes de l’enfant est les conjonctivites virales. Les causes virales sont les plus fréquentes et se manifestent en général de manière bilatérale. Un ganglion prétragien est généralement retrouvé. Dans les jours précédents, on retrouve souvent la notion d’un contage viral. Elles sont dominées par l’adénovirus, mais toutes les maladies virales de l’enfant peuvent potentiellement se compliquer d’une kératoconjonctivite. La principale crainte face à une conjonctivite virale est son extrême contagiosité, durant de 3 à 14 jours, nécessitant des mesures d’éviction. Le traitement est surtout préventif par respect des règles d’hygiène, lavage des mains, linge personnel et instillation pluriquotidienne de sérum physiologique, d’antiseptiques locaux à la phase aiguë [2].

La kératite herpétique peut survenir en période néonatale ou plus fréquemment dans la petite enfance. L’infection herpétique survient plus souvent chez le petit enfant scolaire. Dans les meilleurs des cas, la primo-infection peut donner lieu à une blépharite avec ulcération du bord libre et/ou une conjonctivite folliculaire dans un contexte fébrile, une adénopathie du côté de l’infection et des complications cornéennes à type de kératite dendritique ou plus souvent stromale d’emblée à l’origine d’une photophobie, d’un larmoiement et d’une vision trouble. Il s’y associe une baisse de la sensibilité cornéenne. L’atteinte bilatérale n’est pas rare. Elle induit souvent chez l’enfant une amblyopie et pose toujours la question de la prophylaxie des rechutes. Le traitement des kératites herpétiques passe par un débridement et un antiviral local à type d’aciclovir pommade (Zovirax ®), ganciclovir pommade (Virgan ®) ou trifluorotinidine (Virophta ®) ou encore par voie générale avec de l’aciclovir (Zovirax ®) ou du valaciclovir (Zelitrex ®). Selon la gravité, l’aciclovir est administré chez le petit enfant par voie intraveineuse ou par voie orale à une posologie de 5 à 15 mg/kg/j, 3 fois/jour.

ROSACÉE DE L’ENFANT

La rosacée de l’enfant est à l’origine d’une rougeur oculaire uni- ou bilatérale, d’une photophobie, d’un larmoiement, de chalazions à répétition, d’une kératite inférieure avec appel néovasculaire et d’une conjonctivite phlycténulaire (fig. 5-5-29). L’efficacité des corticoïdes, souvent prescrits, est de courte durée. L’atteinte oculaire est rare chez le nouveau-né mais peut exister au cours des 18 premiers mois avec hyperhémie conjonctivale inférieure, blépharite, souvent une atteinte cornéenne inférieure avec pannus néovascularisé, infiltrats nodulaires sous- ou intra-épithéliaux. Le traitement comprend des soins de paupières suivi de lubrifiants de surface oculaire, de l’azythromycine en collyre. L’érythromycine 30 à 50 mg/kg/j par voie orale pendant 15 à 30 jours est parfois indiquée. Dans les formes sévères, la ciclosporine locale à 2 % peut être utilisée face à une menace visuelle.

Fig. 5-5-29
Rosacée de l’enfant.

CONJONCTIVITES DU NOURRISSON (1 MOIS À 2 ANS)

Chez le nourrisson, la conjonctivite aiguë se manifeste aussi par un œil rouge, larmoyant et des sécrétions importantes. Le problème clinique posé par les conjonctivites du nourrisson est la récidive, souvent en rapport avec une sténose des voies lacrymales [4]. Ces sténoses des voies lacrymales peuvent aussi se compliquer de dacryocystite aiguë.

KÉRATOCONJONCTIVITES DU NOUVEAU-NÉ (DE LA NAISSANCE À 1 MOIS)

Les conjonctivites du nouveau-né diffèrent radicalement des conjonctivites du plus grand enfant par leurs étiologies, en rapport avec les infections sexuellement transmissibles ou une transmission nosocomiale, et leur gravité potentielle.

KÉRATOCONJONCTIVITE GONOCOCCIQUE

Les infections gonococciques représentent les formes les plus graves des conjonctivites néonatales exposant le nouveau-né à une cécité. Ces conjonctivites surviennent entre le 3 e et le 13 e jour après la naissance, elles sont hyperaiguës en général au 4 e ou 5 e jour post-natal. Les signes cliniques sont un œdème palpébral important associé à des sécrétions purulentes à l’origine de membranes exposant au risque d’ulcération voire de perforation cornéenne. La prophylaxie classiquement réalisée par instillation de nitrate d’argent chez tous les nouveau-nés a été abandonnée au profit de l’usage des quinolones ou de rifamycine dans les formes à risque (IST suspectée ou prouvée lors de la grossesse, défaut de suivi de la grossesse). Le traitement local repose sur les lavages fréquents, les quinolones et des larmes artificielles. Le traitement systémique doit être instauré en urgence et repose sur les céphalosporines de troisième génération par voie systémique. Les parents doivent être dépistés et traités pour toutes les éventuelles infections sexuellement transmissibles [5].

KÉRATOCONJONCTIVITES À CHLAMYDIA TRACHOMATIS

Les symptômes commencent un peu plus tardivement que la conjonctivite gonococcique souvent au cours du premier mois de vie (5 à 15 jours d’incubation). La conjonctivite apparaît sous forme d’une conjonctivite pseudo-membraneuse ou papillaire intense associée à un écoulement muqueux voire sanglant. Les atteintes cornéennes sont fréquentes et les séquelles sont des taies ou un micro-pannus. Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence de Chlamydia par polymerase chain reaction (PCR) sur des cellules épithéliales conjonctivales obtenues par grattage. Une antibiothérapie par voie générale (macrolides : érythromycine) ou céphalosporines de 3 e génération (ceftriaxone) est toujours prescrite car un portage nasopharyngé est retrouvé chez 50 % de ces enfants et une pneumopathie chez 10 à 30 % de ces enfants. La contamination s’étant faite par passage par la voie génitale maternelle, le traitement des parents est toujours indiqué. Le traitement local fait appel aux macrolides (azithromycine) ou aux quinolones [6].

« AUTRES » CONJONCTIVITES ET KÉRATOCONJONCTIVITES

L’herpès néonatal est secondaire à une contamination lors du passage par les voies génitales infectées. Son incidence diminue fortement du fait des stratégies de prise en charge préventives : traitement prophylactique par aciclovir, césarienne, etc. L’infection se manifeste toujours initialement par une éruption cutanée diffuse. Les signes ophtalmologiques suivent l’atteinte cutanée et s’associent souvent à une atteinte méningée. Le traitement de l’herpès du nouveau-né fait appel à l’aciclovir par voie intraveineuse. Le pronostic des herpès néonataux est grevé d’une très lourde morbidité (retard de développement, épilepsie, paralysie, etc.) et d’une mortalité supérieure à 50 % du fait d’une méningo-encéphalite quasi constante.

Les bactéries responsables des autres conjonctivites du nouveau-né sont dominées par les coccis à Gram positif (staphylocoques ou streptocoques) et les bacilles à Gram négatif dont Pseudomonas aeruginosa de transmission nosocomiale. Les infections par streptocoque du groupe B sont devenues rares du fait du dépistage systématique en fin de grossesse. Le traitement chez le nourrisson repose sur l’antibiothérapie locale systématique, comme exposé précédemment. Leur présentation clinique diffère peu des formes de l’adulte.

Conclusion

Les kératoconjonctivites du nouveau-né sont rares mais potentiellement très sévères, principalement secondaires aux pathogènes responsables des maladies sexuellement transmissibles. Chez le grand enfant, les conjonctivites sont fréquentes et d’évolution favorable dans la plupart des cas. L’usage des antibiotiques n’est pas systématique après 2 ans. La survenue de récidives infectieuses fera rechercher une imperforation des voies lacrymales.

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5.5.11 ŒIL ROUGE DE L’ENFANT

A. SAUER , C. SPEEG-SCHATZ

Points forts

  • L’œil rouge de l’enfant est un motif de consultation fréquent.

  • Bénin dans la grande majorité des cas, il peut révéler une atteinte menaçant le pronostic visuel comme des infections, des maladies de système ou des urgences pressionnelles.

  • Le pronostic de ces affections demeure très variable, nécessitant une certitude diagnostique et un traitement adapté, afin de ne pas perturber le développement visuel de l’enfant.

  • L’examen clinique n’est pas toujours aisé, notamment devant un enfant non compliant.

Introduction

L’œil rouge chez l’enfant est un motif de consultation fréquent [1]. Correspondant le plus souvent à des pathologies bénignes, ce symptôme peut parfois traduire une atteinte menaçant le pronostic visuel voire vital. Trois types de rougeur sont décrits : la rougeur diffuse, la rougeur localisée et le cercle périkératique. Un interrogatoire précis ainsi qu’un examen clinique simple sont dans la plupart des cas suffisants afin d’orienter la démarche diagnostique initiale. Notamment, l’association à une douleur est un symptôme qui doit alerter le praticien. L’examen doit permettre de différencier les véritables urgences – kératites, uvéites, glaucomes aigu ou secondaire notamment à une tumeur, pathologies infectieuses de contiguïté – des simples conjonctivites (fig. 5-5-30).

Fig. 5-5-30
Orientation diagnostique devant un œil rouge chez l’enfant.

Pathologies conjonctivales

Les conjonctivites constituent de loin les causes les plus fréquentes d’œil rouge chez l’enfant. La symptomatologie fonctionnelle est dominée par une irritation oculaire (ressentie comme des « grains de sable » chez l’enfant en âge de verbaliser, des picotements, des brûlures ou un prurit), accompagnée d’une hyperhémie conjonctivale diffuse, d’intensité très variable pouvant aller jusqu’au chémosis (œdème sous-conjonctival). Un œdème palpébral est fréquemment associé. Une conjonctivite ne s’accompagne jamais de douleurs intenses ni de baisse d’acuité visuelle. Si tel est le cas, il convient d’éliminer une kératite par un test à la fluorescéine. Les étiologies des conjonctivites de l’enfant sont infectieuses (sécrétions oculaires associées), allergiques (prurit), traumatiques, toxiques ou plus rarement liées à un syndrome sec (contexte évocateur). Parmi les conjonctivites infectieuses, il convient de distinguer les conjonctivites du nouveau-né de celles de l’enfant, dont le pronostic et la prise en charge sont totalement différents.

Sclérites et épisclérites

Parmi les diagnostics différentiels des conjonctivites, il convient d’évoquer les sclérites et les épisclérites. Elles se manifestent par une rougeur, localisée dans le secteur de la paroi du globe oculaire, et une gêne (épisclérite) voire une douleur (sclérite). Leur incidence est très faible chez l’enfant. Les conjonctives traînantes et récidivantes doivent faire réaliser un examen de la réfraction sous cycloplégique (collyre atropine ou cyclopentolate) à la recherche d’une amétropie latente et pratiquer un examen des voies lacrymales afin de dépister une éventuelle sténose sous-jacente.

Pathologies cornéennes

L’examen d’un œil rouge s’attache à vérifier l’absence d’atteinte cornéenne. Une telle atteinte peut être suspectée devant l’existence d’une photophobie, d’une douleur importante, d’un larmoiement et d’une baisse d’acuité visuelle variable. Elle doit être confirmée par le test à la fluorescéine. Un examen à la lampe à fente est ainsi indispensable devant toute suspicion de kératite. Si nécessaire, chez un enfant peu compliant, le recours à un examen sous anesthésie est parfois indiqué.

Les causes virales peuvent se rencontrer dans un contexte épidémique (adénovirus notamment) avec notion de contage et associations à une symptomatologie ORL (rhinopharyngite, fièvre, ganglion prétragien). L’herpès cornéen ou des atteintes liées au virus varicelle-zona ou varicella-zoster virus (VZV) ne sont pas exceptionnels chez l’enfant. Un grattage cornéen avec amplification génomique (PCR) est indiqué pour confirmer le diagnostic.

Les causes traumatiques sont fréquentes et de diagnostic aisé à l’interrogatoire. Un examen ophtalmologique s’impose dans tous les cas pour éliminer une contusion grave ou une perforation du globe.

Les kératites allergiques sont aussi fréquentes et les vernales plus rares (fig. 5-5-31). Le contexte est le même que lors d’une conjonctivite allergique (atopie, rythme saisonnier, prurit, rhinite, etc.). Le recours aux corticoïdes topiques est bien souvent nécessaire dans l’urgence, afin d’éviter les séquelles visuelles dues à une perte de transparence cornéenne [2]. Au long cours, la ciclosporine permet une épargne cortisonique.

Fig. 5-5-31
Kératoconjonctivite vernale avec plaque vernale cornéenne (a) et papilles géantes (b).

Les sécheresses oculaires sont rares chez l’enfant et sont le plus souvent liées à des inocclusions palpébrales, des paralysies congénitales des nerfs facial ou trijumeau ou du système nerveux autonome, des chimiothérapies ou greffes de moelle (syndrome du greffon contre l’hôte), ou encore à des malformations des glandes lacrymales. La confirmation sera apportée par le test de Schirmer qui pourra être réalisé de manière fiable dès l’âge de 4-5 ans. Ces enfants doivent bénéficier au minimum de traitements substitutifs lacrymaux.

Les abcès de cornée bactériens ou fongiques sont rares chez l’enfant. Leur prise en charge ne diffère pas de celle de l’adulte.

Blépharites

Des atteintes palpébrales peuvent aussi être responsables d’un œil rouge chez l’enfant. Le chalazion est très fréquent. Le traitement prescrit est l’application de corticoïdes en pommade associée à des compresses d’eau tiède. L’exérèse chirurgicale est parfois nécessaire à distance de l’épisode aigu.

Le principal diagnostic différentiel du chalazion est l’orgelet (furoncle de la racine d’un cil). L’orgelet est traité par ablation du cil et pommade antibiotique active sur le staphylocoque (acide fucidique, Fucithalmic ® ).

Enfin, les blépharites de l’enfant peuvent s’intégrer dans une dysfonction des glandes de Meibomius ou une rosacée de l’enfant. Un suivi régulier et approfondi est alors nécessaire devant les risques de complications cornéennes. Le traitement associe des soins de paupières, des larmes artificielles et des anti-inflammatoires locaux. Les macrolides par voie topique (azithromycine) ou systémique (érythromycine) sont indiqués. La ciclosporine en collyre est nécessaire en cas de menace cornéenne.

Uvéites

Les uvéites sont peu fréquentes chez l’enfant, mais imposent un bilan étiologique détaillé et une bonne coopération interdisciplinaire. Les uvéites antérieures et mixtes sont responsables d’un œil rouge (avec cercle périkératique) et douloureux s’accompagnant d’une baisse d’acuité variable. La pupille est préférentiellement enmyosis. Les uvéites se compliquent volontiers de synéchies iridocristalliniennes, de glaucomes, de cataractes ou d’œdèmes maculaires. Le diagnostic est souvent difficile chez l’enfant avec des plaintes fonctionnelles relativement peu marquées. Leurs étiologies sont multiples, mais dominées par les causes inflammatoires d’une part et les causes infectieuses d’autre part [3].

Chez l’enfant, parmi les causes inflammatoires, il convient notamment de rechercher, en collaboration avec les rhumatopédiatres, une arthrite juvénile idiopathique (70 % des uvéites antérieures) ou une arthrite systémique (maladie de Still), une maladie inflammatoire chronique des intestins ou MICI (maladie de Crohn, rectocolite ulcéro-hémorragique) ou une uvéite hétérochromique de Fuchs (hétérochromie irienne). De nombreuses uvéites restent cependant sans étiologie malgré un bilan exhaustif [4].

Les panuvéites doivent faire rechercher une cause infectieuse notamment la toxoplasmose, la tuberculose, la maladie de Lyme ou certains virus ( herpes simplex virus, varicella-zoster virus, Epstein-Barr virus, rougeole, virus de l’immunodéficience humaine, cytomégalovirus) qui nécessitent tous un traitement anti-infectieux spécifique et un maniement extrêmement prudent des corticoïdes collyres ou des autres immunosuppresseurs.

En outre, une panuvéite peut s’intégrer dans une maladie de système (maladie de Behçet, sarcoïdose). Les uvéites postérieures isolées, sans participation antérieure (vascularites rétiniennes, rétinochoroïdopathies), ne s’accompagnent pas d’œil rouge.

Certaines tumeurs primitives ou secondaires de l’uvée peuvent être révélées par un œil rouge ( masquerade syndrome) : le rétinoblastome, le mélanome, mais surtout les leucémies dont les atteintes oculaires ne sont pas rares et qui représentent un facteur pronostic très péjoratif.

Conclusion

L’œil rouge est un signe d’appel dans de très nombreuses pathologies. Le pronostic de ces affections est très variable, nécessitant une certitude diagnostique et un traitement adapté, afin de ne pas perturber le développement visuel de l’enfant. En cas de doute, de pathologies récidivantes ou résistantes au traitement, d’affections graves, un examen sous anesthésie peut être indiqué.

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5.5.12 TRAUMATISME OCULAIRE DE L’ENFANT

C. ORSSAUD

Comment évoquer un traumatisme ?

Un enfant est capable de commettre, sans avoir conscience des risques, des activités pouvant potentiellement aboutir à un traumatisme oculaire ou de la région orbitaire. De plus, son interrogatoire est volontiers peu informatif. Il est alors difficile de connaître le contexte dans lequel est apparue une hyperhémie conjonctivale. Il faut mettre à part les cas de maltraitance à enfant au cours desquelles le traumatisme est nié.

Il faut donc toujours garder à l’esprit qu’une hyperhémie conjonctivale puisse être secondaire à un traumatisme afin de mettre en route la prise en charge adaptée, celle-ci pouvant être chirurgicale. C’est pourquoi, l’examen ophtalmologique doit être mené de façon à pouvoir écarter une telle éventualité. Lorsque l’examen s’avère impossible ou non fiable en consultation, il ne faut pas hésiter à adresser l’enfant vers une structure dans laquelle pourront être discutées, le cas échéant, une sédatlon ou une anesthésie générale (AG). Ce geste, qui doit être réservé à quelques cas, permet d’effectuer un bilan complet des lésions et d’affirmer ou d’infirmer le diagnostic de traumatisme. Un retard diagnostique face à une plaie oculaire perforante peut être cause d’endophtalmie, stade auquel il n’est pas exceptionnel de recevoir l’enfant. Mais les conséquences de contusions non signalées peuvent également être responsables de séquelles.

Enfin, il ne faut pas oublier qu’un traumatisme oculaire peut s’accompagner d’autres atteintes au niveau craniofacial qu’il faut savoir rechercher. Signalons en particulier les fractures du plancher de l’orbite qui peuvent passer inaperçues. Il faut accorder de la valeur à la rhinorrhée.

Nous n’aborderons pas les scores développés pour prédire le pronostic visuel dans le cadre des traumatismes car ceux-ci n’ont pas d’intérêt dans l’arbre décisionnel face à une suspicion de traumatisme oculaire [1, 2].

Interrogatoire de l’enfant ou de ses parents

L’anamnèse reste un temps important lorsqu’elle permet de retrouver la nature et les circonstances de l’accident ainsi que son horaire. Mais celle-ci peut être retardée de plusieurs heures ou jours rendant difficile la reconstitution. Néanmoins, elle n’apporte pas toujours toutes les informations souhaitées et l’éventualité d’un traumatisme ne doit pas être écartée, y compris lorsque celui-ci n’est pas avoué quelles qu’en soient les raisons (méconnaissance de la notion de traumatisme, peur de se faire gronder, etc.). Cette absence de signalement de l’accident peut constituer une cause de retard de prise en charge. Enfin, l’anamnèse ne doit pas faire écarter la présence d’une contusion ou d’une plaie perforante parfois minime.

Le contexte dans lequel le traumatisme pourrait avoir eu lieu peut aider à différencier les traumatismes à globe ouvert des contusions. Ces dernières représentent plus de la moitié des traumatismes oculaires de l’enfant [3]. Les traumatismes à globe ouvert sont généralement secondaires à des traumatismes avec des objets pointus en France où les verres de lunettes sont obligatoirement en matière organique donc incassables.

La plupart des études confirment que la majorité des accidents oculaires surviennent au domicile de l’enfant, en fin de journée, pendant le week-end ou les vacances chez des enfants de 6 ans en moyenne [4–7]. Les accidents dus au sport surviennent chez des enfants sensiblement plus âgés [8]. Les accidents liés aux armes sans poudre (type paintball ) sont en constante augmentation dans certains pays [9].

Examen ophtalmologique

Plusieurs éléments doivent être recherchés quelle que soit la coopération de l’enfant.

MESURE DE L’ACUITÉ VISUELLE

Cette mesure a peu d’intérêt car elle est volontiers difficile à réaliser chez un enfant choqué par un traumatisme ou une gêne fonctionnelle. Lorsqu’elle peut être obtenue, une acuité visuelle « normale » ou plutôt symétrique ne permet d’éliminer une contusion mais renseigne sur la transparence des milieux.

LUEUR PUPILLAIRE

La lueur pupillaire doit être systématiquement recherchée. Il est possible de la retrouver sans avoir besoin de s’approcher trop près de l’enfant et de l’effrayer. Son intérêt est de mettre en évidence une anomalie de transparence des milieux, même peu importante quand il est possible d’être comparatif.

Une altération de la lueur pupillaire signe la présence d’une perte de transparence des milieux quel qu’en soit le mécanisme : hyphéma, facilement confirmé à l’examen en lampe à fente voire à l’œil nu, hémorragie du vitré, opacification cornéenne ou surtout cristallinienne, voire déjà un décollement de rétine [10]. C’est pourquoi dans un contexte d’hyperhémie potentiellement due à un traumatisme oculaire, cette altération de la lueur pupillaire doit faire évoquer une contusion oculaire ou un traumatisme perforant. Ce dernier doit être recherché avec minutie et sa suspicion impose un examen sous AG. En présence d’une contusion, la prise en charge dépend de l’importance des anomalies.

En revanche, la normalité de la lueur pupillaire ne permet pas d’éliminer formellement un traumatisme responsable d’hémorragies limitées, notamment prérétiniennes.

Lors de l’examen de la lueur pupillaire, il faut tester le réflexe photomoteur dont l’abolition signe une atteinte sévère oculaire (et/ou neurologique selon le contexte) [11].

EXAMEN DES PAUPIÈRES, DES VOIES LACRYMALES, DE LA CONJONCTIVE ET DU SEGMENT ANTÉRIEUR

Cet examen est parfois difficile lorsque l’enfant refuse d’être installé et examiné à la lampe à fente. L’idéal serait alors de disposer d’une lampe à fente portable. Il faut rappeler la règle de ne pas exercer de pression sur les globes pour ouvrir les paupières tant que l’état de ceux-ci n’est pas connu, car il existe un risque d’aggraver des lésions préexistantes. L’examen des paupières et des voies lacrymales vérifie leur intégrité, en particulier du bord libre et des canalicules (fig. 5-5-32).

Fig. 5-5-32
Plaie du bord libre palpébral inférieur sans atteinte des voies lacrymales.

L’examen du segment antérieur doit être rapide et vérifie l’intégrité des différentes structures. Certaines sont évidentes : brèche cornéenne, déchirure irienne ou iridodialyse, luxation cristallinienne, etc. Il faut en revanche rechercher attentivement une plaie de la conjonctive ou une plaie cornéenne auto-étanche qui pourrait avoir été causée par un objet pointu. Parfois évidente sous forme d’hyphéma, la présence de Tyndall hématique est généralement d’autant plus difficile à affirmer que l’enfant est peu coopérant. Il en est de même de la présence d’une inflammation intra-oculaire signant généralement un traumatisme plus ancien et parfois un début d’endophtalmie devant une plaie méconnue. En effet, celle-ci survient dans les 48 heures après le traumatisme [12].

Comme chez l’adulte, l’exploration chirurgicale de ces lésions, notamment d’une plaie de conjonctive, n’est pas systématique. Il en est de même ici de la réalisation d’un examen sous AG. La décision d’une telle intervention ou exploration sous anesthésie dépend moins du contexte, parfois imprécis, que de la capacité à pouvoir réaliser un examen oculaire fiable du segment antérieur, y compris du tonus oculaire et de la rétine. Si aucun examen sous anesthésie n’est effectué, une surveillance rapprochée s’impose et l’enfant doit être revu à 24 heures pour vérifier l’absence de survenue d’une complication : endophtalmie ou majoration d’un hyphéma et hypertonie oculaire.

En revanche, dès lors que l’examen oculaire n’est pas suffisamment précis, ou, a fortiori, s’il existe une plaie de globe évident, un examen sous AG et/ou une exploration chirurgicale s’impose dans un milieu habitué à une telle prise en charge chez l’enfant.

MESURE DU TONUS OCULAIRE

Certains tonomètres à jet d’air ou mieux avec microcapteurs permettent bien souvent d’obtenir une valeur comparative du tonus oculaire entre les deux yeux. C’est en effet une asymétrie de cette valeur du tonus oculaire qui est recherchée en cas de traumatisme unilatéral. Une hypotonie du côté traumatisé constitue un argument supplémentaire en faveur d’une plaie de globe.

En cas d’hyphéma, ces appareils permettent de vérifier que le traitement topique ou général contrôle le tonus et d’éviter des pics d’hypertonie par blocage de l’angle.

EXAMEN DU FOND D’ŒIL

Ce temps ne diffère pas de l’examen pratiqué chez l’adulte et les mêmes anomalies peuvent être retrouvées : hémorragies du vitré ou hémorragies rétiniennes, décollement de rétine plus ou moins étendu. Seule la technique peut différer et son choix dépend de la coopération de l’enfant.

Examens complémentaires

Dans le contexte de l’urgence, ceux-ci sont réduits.

ÉCHOGRAPHIE EN MODE B

L’échographie en mode B garde son intérêt pour vérifier l’état du segment postérieur en cas d’hyphéma total et éliminer un corps étranger. Cet examen peut être réalisé lors d’un bilan sous AG et/ou une exploration chirurgicale.

BILAN RADIOLOGIQUE

Le bilan radiologique permet d’éliminer moins un corps étranger radio-opaque qu’une association à une fracture du cadre orbitaire, notamment d’un placher de l’orbite, dépendante de la nature du traumatisme.

Il est rare d’avoir besoin d’un scanner orbitaire/cérébral hormis dans un contexte de traumatisme craniofacial grave. Des différences de signal intra-oculaire peuvent signer une hémorragie intra-oculaire. Rappelons qu’une IRM est contre-indiquée tant que la présence d’un corps étranger ferromagnétique n’a pas été formellement éliminée.

PRÉLÈVEMENTS À VISÉE BACTÉRIOLOGIQUE

Les prélèvements ne s’imposent qu’en présence d’éléments orientant vers une endophtalmie secondaire à une plaie négligée. Ils doivent être réalisés au bloc opératoire. Certains germes tels que Bacillus cereus sont fréquemment retrouvés [12]. Mais, dans un nombre non négligeable de cas, ces énophtalmies post-traumatiques sont d’origine fongique et imposent une recherche adaptée et une prise en charge spécifique [11].

Prise en charge
EXAMEN SOUS ANESTHÉSIE GÉNÉRALE ET/OU EXPLORATION CHIRURGICALE D’UNE LÉSION OCULAIRE

La place d’un examen sous AG a déjà été évoquée. Il doit être envisagé dès lors que l’examen est rendu difficile et peu informatif du fait du manque de coopération de l’enfant ou qu’il existe une forte suspicion de plaie du globe, en mettant en balance le risque d’une AG et celui de méconnaître une plaie du globe ou une lésion contusive grave. Il peut être converti en exploration chirurgicale et traitement de cette dernière.

PLAIE DE CONJONCTIVE OU DE CORNÉE

L’attitude face à de telles lésions ne diffère pas chez l’enfant et chez l’adulte. Néanmoins, toute plaie de conjonctive doit être explorée dès lors qu’il n’a pas été possible d’évaluer le tonus oculaire ou de vérifier l’état rétinien.

HYPHÉMA

Un traitement topique hypotonisant est généralement suffisant pour passer le cap aigu et éviter des complications liées à l’hypertonie associée à la présence de sang dans l’angle iridocornéen [6]. Il faut y associer du repos et éviter la déshydratation. Cet hyphéma se résorbe généralement en moins de 3 jours et les récidives sont rares [13]. Signalons le risque de glaucome secondaire selon les étiologies de cet hyphéma, qui justifie de prévenir les parents et d’organiser une surveillance ultérieure [14].

Il est exceptionnel qu’un geste chirurgical soit nécessaire en cas d’hypertonie majeure pour laver le sang et injecter du gaz (air stérile) afin d’éviter la récidive.

CORPS ÉTRANGER INTRA-OCULAIRE ET LÉSIONS RÉTINIENNES

Il est généralement admis que, dans le contexte de l’urgence, il ne faut que refermer la plaie oculaire. L’ablation du corps étranger peut se discuter s’il est facilement accessible et que son ablation ne risque pas d’aggraver les dégâts rétiniens. La prise en charge chirurgicale des lésions rétiniennes est effectuée dans un second temps [15, 16].

ENDOPHTALMIE

Un traitement intravitréen antibiotique associant quinolone et glycopeptide doit être initié précocement et une vitrectomie doit être rapidement envisagée [17]. Il ne faut pas non plus oublier la possibilité d’étiologie fongique.

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5.5.13 MALTRAITANCE À ENFANTS

C. ORSSAUD

Les maltraitances à enfants occupent une place à part au sein des traumatismes oculaires, tant du fait du caractère spécifique de certaines lésions observées qu’en raison des conséquences médico-judiciaires qui en résultent. Il faut se méfier des circonstances « de l’accident » rapportées par les parents qui peuvent vouloir minimiser ou nier leur responsabilité. Mais tout item d’urgence traumatique crânien et/ou oculaire de l’enfant n’est pas nécessairement la conséquence d’une maltraitance. L’examen d’urgence doit rechercher des arguments en faveur ou contre cette hypothèse diagnostique.

Shaken baby syndrome

Ce syndrome est parfois secondaire à une maltraitance involontaire. Il s’observe chez des enfants de moins de 2 ans. La physiopathogénie du shaken baby syndrome (SBS) reste mal comprise. Les phénomènes d’accélération/décélération du cerveau immature dans la boîte crânienne sont responsables des lésions sous-durales et vitréorétiniennes. L’hypoxie associée à l’augmentation de la pression veineuse centrale par compression abdominale et thoracique interviendrait également dans la survenue des lésions observées.

CONTEXTE GÉNÉRAL

Le SBS est responsable de lésions cérébrales aiguës à type d’hématomes sous-duraux pouvant mettre en jeu le pronostic vital à court et moyen terme dans près d’un tiers des cas. La répétition dans le temps, parfois sous une forme minime, de ce SBS entraîne la survenue de lésions de leucomalacie kystique et de lésion de la substance grise. Ces différentes lésions cérébrales laissent des déficits cognitifs sévères irréversibles chez un tiers des enfants.

L’indication du bilan neuroradiologique et/ou l’avis (neuro-) pédiatrique doivent être larges devant tout enfant victime d’un traumatique crânien et/ou oculaire dans le cadre d’une suspicion de maltraitance, surtout si son comportement a changé et qu’il est endormi, peu réactif ou au contraire grognon.

AU NIVEAU OPHTALMOLOGIQUE

Le SBS est responsable d’hémorragies au niveau des gaines du nerf optique, péripapillaires, mais aussi intravitréennes, sous-, intra- ou prérétiniennes, prenant parfois alors un aspect en perles ou gouttes hémorragiques sous-hyaloïdiennes. Ces hémorragies sont volontiers étendues jusqu’à l’ora serrata et généralement bilatérales.

La présence de multiples hémorragies intrarétiniennes signe un accident récent puisque ces dernières disparaissent rapidement. Elles peuvent s’accompagner d’autres manifestations intra-oculaires, d’apparition retardée par rapport à l’accident initial : anneau périmaculaire, trou maculaire, rétinoschisis et membrane épirétinienne. Ces manifestations permettent de confirmer le caractère répétitif de ces accidents.

Outre le fond d’œil, l’OCT reste un examen indispensable pour objectiver ces lésions séquellaires quand la transparence des milieux le permet.

CONCLUSION

L’association d’hémorragies rétiniennes multiples et d’un hématome sous-dural est très évocatrice de SBS à cet âge. Mais elle n’est pas pathognomonique et ne permet pas de distinguer formellement une maltraitance volontaire, d’un traumatisme crânien accidentel ou d’une cause médicale rare, notamment une hémopathie, une coagulopathie ou certains syndromes rares. S’il existe une obligation médico-légale de déclarer les cas de maltraitance à enfant, une certaine prudence s’impose, notamment dans le cadre de l’urgence.

Autres formes de maltraitance à enfants

D’autres formes de maltraitance s’observent à tout âge et peuvent également s’accompagner d’atteinte oculaire en cas de traumatismes crâniens.

Les hémorragies rétiniennes, quel que soit leur aspect, sont plus rares, même en cas de traumatisme crânien même violent. Elles ne seraient retrouvées qu’en présence d’anomalies neuroradiologiques associées. Comme précédemment, l’indication d’un bilan neuroradiologique doit être large dans un tel contexte dont les circonstances de l’accident sont difficiles à préciser.

L’affirmation de la maltraitance peut reposer sur la notion de traumatismes répétés.

Les hémorragies intrarétiniennes multiples s’observent lors d’un traumatisme récent mais régressent en quelques jours. En revanche, des hémorragies prérétiniennes isolées sont en faveur d’un traumatisme crânien ancien datant de plusieurs jours ou semaines.

Il a été rapporté la présence de lacunes de l’épithélium pigmenté en moyenne périphérie d’apparition retardée chez des enfants victimes de maltraitance. Ces lésions non pathognomoniques sont néanmoins très en faveur de ce diagnostic lorsqu’elles s’accompagnent de lésions périmaculaires.

Enfin, on souligne l’importance de l’examen général chez l’enfant recherchant notamment la présence d’hématomes cutanés d’âges différents ou de fractures anciennes des os longs.

5.5.14 ANOMALIE PUPILLAIRE DE L’ENFANT

M. ROBERT

Définitions

  • ±

    Anisocorie : différence de taille entre les deux pupilles. Elle n’est significative que lorsqu’elle excède 0,4 à 1 mm en fonction des auteurs.

  • ±

    Corectopie : anomalie de position de la pupille.

Arguments pour évoquer un item d’urgence

  • ±

    Terrain : les arguments évoquant une urgence sont le jeune âge (nouveau-né ou nourrisson), le contexte post-traumatique (fig. 5-5-33), l’évolutivité récente.

    Fig. 5-5-33
    Corectopie inférieure post-contusive (a) associée à une cataracte polaire postérieure traumatique (b)./i>

  • ±

    Clinique : les signes d’alerte associés sont l’hyphéma, l’hypothalamie, la buphtalmie, une masse de l’angle associées, des signes neurologiques associés.

Conduite à tenir

La conduite à tenir varie selon qu’il s’agit d’une anomalie de taille ou de forme pupillaire (fig. 5-5-34).

Fig. 5-5-34
Orientation diagnostique et conduite à tenir initiale devant une anomalie pupillaire de taille (a) ou de forme (b) chez l’enfant.
IRM : imagerie par résonance magnétique ; WAGR : Wilms tumor, aniridia, genital anomalies, mental retardation.

EXAMENS CLINIQUE ET PARACLINIQUE

Les anomalies de forme de la pupille, lorsqu’elles sont congénitales, s’intègrent le plus souvent dans un contexte de dysgénésie du segment antérieur ou de colobome. L’urgence découle alors des complications des malformations oculaires ou systémiques associées. En cas de suspicion de glaucome associé, le nouveau-né doit être examiné le jour même par un ophtalmopédiatre (triage PEC de catégorie 4). Dans tous les autres cas, la consultation peut être organisée dans la semaine suivant le diagnostic.

Les déformations secondaires de la pupille chez l’enfant sont de cause traumatique (triage PEC de catégorie 2) ou tumorale (triage PEC de catégorie 5).

Devant une anisocorie, on examine l’enfant dans la pénombre puis en pleine lumière pour déterminer s’il s’agit d’une mydriase (situation rare ; triage PEC de catégorie 4) ou d’un myosis (situation très fréquente). Devant un myosis, soit il existe des signes associés, souvent dans le cadre d’un syndrome de Claude Bernard-Horner (imagerie cérébrale et cervicale descendant jusqu’aux apex pulmonaires en urgence à la recherche d’une petite métastase de neuroblastome ; triage PEC de catégorie 4), soit le myosis est isolé (surveillance clinique simple ou test au collyre à la cocaïne).

TRAITEMENT

Le traitement renvoie à la prise en charge :

  • ±

    chirurgicale en urgence des glaucomes congénitaux dysgénésiques, des plaies pénétrantes du globe oculaire,

  • ±

    des tumeurs de l’iris et du corps ciliaire ;

  • ±

    pédiatrique des malformations systémiques associées ;

  • ±

    oncologique des neuroblastomes (prise en charge des lésions sur le trajet du III).

Devant une anomalie pupillaire chez un enfant

  • Toujours penser à la possibilité d’un traumatisme, parfois occulté par l’enfant ou son entourage.

  • Toujours penser à la possibilité d’un contact avec une substance mydriatique.

  • Toujours considérer l’enfant dans son ensemble : le signe d’entrée est souvent ophtalmologique tandis que l’urgence peut être pédiatrique, extra-ophtalmologique.

5.5.15 STRABISME AIGU DE L’ENFANT

S. MILAZZO

Introduction

Le strabisme aigu est caractérisé par l’apparition brutale d’un strabisme convergent avec diplopie. Il apparaît après l’âge de 8 mois, donc après l’installation des liens binoculaires normaux et n’est pas amélioré par le port de la correction optique de l’hypermétropie. Toutefois, avant 2 ans et demi, la binocularité est encore fragile et l’apparition d’un strabisme aigu peut entraîner rapidement une neutralisation et des anomalies de correspondance rétinienne. Après 3 ans, la binocularité reste normale.

Clinique

La clinique est marquée par un début en général entre 2 et 8 ans d’une ésotropie aiguë ou progressive, d’abord intermittente sans signe neurologique associé par définition.

Une diplopie peut être décrite chez les plus grands. La motilité est normale, il n’y a pas d’amblyopie. Il n’y a pas de composante accommodative. Le fond d’œil est normal, éliminant une cause organique ophtalmologique ou neuro-ophtalmologique par l’absence d’atrophie optique ou d’œdème papillaire. Un facteur déclenchant peut être retrouvé, comme un traumatisme physique ou psychologique, ou encore comme l’utilisation excessive de téléphones portables [1].

Classification

Burian et Miller [2] ont élaboré, à partir de la description des trois auteurs cités ci-dessous, une classification :

  • ±

    type 1 : ésotropie aiguë, décrite par Swan [3] en 1947, survenant dans les suites d’une occlusion monoculaire ou d’une amblyopie organique ;

  • ±

    type 2 : ésotropie aiguë, décrite par Franceschetti [4] en 1952, parfois intermittente puis rapidement constante chez des enfants faiblement hypermétropes, déclenchée généralement par un choc physique ou psychique ;

  • ±

    type 3 : ésotropie aiguë, décrite par Bielchowsky [5] en 1892, chez des myopes sous-corrigés, de −5 D ou plus, également dans les suites présumées d’un stress physique ou psychologique. Elle est plus importante en vision de loin qu’en vision de près.

Diagnostics différentiels

Le principal diagnostic différentiel est l’affection neurologique marquée par l’apparition d’une ésotropie acquise avec souvent des signes associés tels que [6] :

  • ±

    nausées, vertiges, altération de l’état général ;

  • ±

    nystagmus ;

  • ±

    impossibilité à restaurer une bonne fusion ;

  • ±

    paralysie internucléaire ;

  • ±

    œdème papillaire ;

  • ±

    strabisme brutal avec diplopie persistante.

Ces signes peuvent être associés entre eux, renforçant la suspicion d’affection neurologique sous-jacente, ou au contraire absents.

Les causes rapportées sont la malformation de la charnière d’Arnold Chiari de type I [7], l’hydrocéphalie [8–10], l’association des deux [11] ou les processus tumoraux. La littérature évoque souvent l’association entre tumeur cérébrale et strabisme aigu [12–18]. La présentation clinique des cas d’ésotropie acquise décrits est hétérogène et ne permet pas d’orienter vers une pathologie intracrânienne spécifique. Chen et al. rapportent 47 cas d’ésotropies acquises, deux présentaient une tumeur de l’angle pontocérebelleux [19]. Buch rapporte des résultats similaires avec trois cas d’ésotropie acquise sur 46 présentant une étiologie intracrânienne [20]. II tire de son observation quatre principaux facteurs de risque de pathologie intracrânienne associés : une ésodéviation importante de loin, une forme récidivante, des signes neurologiques associés (œdème papillaire), l’âge tardif d’apparition (> 6 ans). En cas de suspicion d’affection neurologique ou en l’absence d’élément déclencheur particulier, comme un traitement par occlusion unilatérale, le bilan étiologique comporte la réalisation d’une imagerie cérébrale, idéalement par IRM.

Les autres diagnostics différentiels sont :

  • ±

    l’ésotropie accommodative, corrigée totalement par la correction optique totale ;

  • ±

    la microtropie décompensée, évoquée en présence d’une correspondance rétinienne anormale, d’une amblyopie et sans signe fonctionnel.

Évolution

L’évolution au niveau sensoriel après traitement est classiquement excellente. Une atteinte tardive, après 2 ans et demi permet une binocularité solide, les possibilités de vision stéréoscopique n’étant pas altérées. La potentialité d’une vision binoculaire normale est même un élément diagnostique important. La récupération d’une bonne vision binoculaire avec test de Lang positif peut toutefois nécessiter plusieurs mois de suivi après la prise en charge thérapeutique [21]. La durée du temps écoulé entre l’apparition du strabisme et la prise en charge ne semble pas être un facteur déterminant pour la restauration de la vision binoculaire [22], un adulte pouvant récupérer après traitement même lors d’un strabisme apparu pendant l’enfance.

Traitement
TRAITEMENT MÉDICAL

Le premier temps correspond à la prescription de la correction optique totale, qui ne modifiera pas la déviation, et qui pourra éventuellement l’aggraver en cas de myopie. En présence d’une diplopie avec une déviation modérée, des prismes peuvent être indiqués. Ils sont aussi une solution d’attente en cas de déviation importante avant une prise en charge chirurgicale [22].

L’injection de toxine botulique A dans les deux droits médiaux permet dans certains cas de ne pas avoir recours à la chirurgie [23].

TRAITEMENT CHIRURGICAL

La chirurgie est souvent indispensable avec pour objectif de rétablir l’orthophorie avec vision stéréoscopique parfaite. Elle doit être rapide chez les enfants de moins de 4 ans pour éviter le risque de suppression et d’altérations sensorielles secondaires. Après cet âge, la chirurgie n’est plus une urgence.

Conclusion

Le strabisme aigu est un diagnostic d’élimination après le port de la correction optique totale. Une IRM cérébrale est prescrite en urgence en cas de signe neurologique associé ou en l’absence de facteur déclenchant, comme un traitement d’amblyopie par occlusion unilatérale. Le traitement médico-chirurgical a toujours pour but de rétablir une vision stéréoscopique et une orthophorie.

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5.5.16 NYSTAGMUS ET AUTRES MOUVEMENTS OCULAIRES ANORMAUX

C. SPEEG-SCHATZ

Points forts

  • Les enfants avec flutter et opsoclonus sont à voir en urgence, ces derniers pouvant traduire un syndrome paranéoplasique (neuroblastome), une encéphalite infectieuse ou toxique.

  • L’installation rapide des signes suivants impose un transfert en urgence en milieu spécialisé :

    • intrusions saccadiques, myoclonies, syndrome cérébelleux, troubles de l’humeur : syndrome « opsoclonus-myoclonus » ;

    • flutter permanent : oscillations saccadiques horizontales ;

    • opsomyoclonies : oscillations saccadiques multidirectionnelles ;

Définitions

Le nystagmus est un trouble de la statique oculaire caractérisé par un tremblement des yeux. Il est composé d’une succession de mouvements conjugués changeant alternativement de sens, rythmés, involontaires et habituellement synchrones. Il est vraisemblable qu’une information visuelle insuffisante ne permette pas au cerveau d’apprendre à fixer avec stabilité entraînant une anomalie de la fixation, une anomalie du contrôle des mouvements oculaires et des saccades correctrices pour tenter d’augmenter la fovéation [1]. Un spasmus nutans est un nystagmus de haute fréquence et de faible amplitude, multidirectionnel et souvent asymétrique, parfois monoculaire avec parfois dodelinement de la tête. Un see-saw est un nystagmus à bascule, pendulaire, avec élévation-intorsion d’un œil et extorsion-abaissement de l’autre.

L’apraxie oculomotrice se caractérise par la lenteur d’initiation et l’hypométrie des saccades oculaires avec des mouvements de poursuite normaux. Ce retard de l’initiation des saccades s’observe volontiers par la rotation de la tête plutôt que par la déviation du regard.

L’opsomyoclonie se caractérise par des oscillations oculaires conjuguées très irrégulières intéressant les deux yeux, de façon incessante, variable en amplitude et en fréquence telles des saccades multidirectionnelles d’amplitude variée se succédant sans pause. Elles sont toujours considérées comme pathologiques, sauf chez le nouveau-né où on parlera de l’opsoclonus néonatal bénin.

Le flutter oculaire se caractérise par une succession de saccades purement horizontales. S’il est physiologique, il s’accompagne alors d’accommodation-convergence-myosis (10 %).

Les déviations du regard comprennent les révulsions oculaires, le regard en « coucher de soleil », la déviation tonique du regard vers le haut, la tête lancée de côté pour regarder une cible de côté. Les révulsions oculaires sont des mouvements des yeux vers le haut pendant quelques secondes puis retour lent à la position primaire. On parle de tonic upgaze ou tonic downgaze en cas de déviation persistante. Le regard en « coucher de soleil » est une déviation tonique du regard vers le bas.

Différentes formes de nystagmus

Il existe différentes formes cliniques de nystagmus : horizontal, vertical, pendulaire, à ressort, mixte. Le nystagmus est le plus souvent horizontal, de type pendulaire ou à ressort. Le nystagmus pendulaire est concordant, horizontal, binoculaire non influencé par l’occlusion unilatérale, souvent sans strabisme associé, calmé par la convergence, le sommeil et l’obscurité et augmenté par les efforts de fixation et la concentration. Les deux phases sont égales. Il rentre le plus souvent dans les nystagmus de cause organique, sensoriel, avec amblyopie bilatérale.
Le nystagmus à ressort comporte deux phases asymétriques. La phase rapide donne le sens. Il est latent ou discret, les deux yeux ouverts. Il est manifeste en vision monoculaire, s’inversant au changement de l’oeil fixateur (discordant), quand il est associé à une suppression profonde (vision binoculaire absente) et le plus souvent à un déséquilibre oculomoteur. Ce nystagmus est calmé par un torticolis d’adduction.
Le nystagmus vertical est plus rare mais doit faire rechercher une pathologie de la fosse postérieure.
Il existe des formes mixtes pendulaire et à ressort.

Différents types de nystagmus [2, 3]
NYSTAGMUS NEUROLOGIQUES, OTOLOGIQUES

Les nystagmus neurologiques sont à début précoce (sensoriels ou essentiels moteurs idiopathiques), patent (existe les deux yeux ouverts) ou latent (trouvé à l’occlusion d’un œil).

Les nystagmus neurologiques sont :

  • ±

    en règle acquis ;

  • ±

    de type upbeat, downbeat, rotatoire, see-saw, retractorius. Ils nécessitent une IRM cérébrale.

NYSTAGMUS ORL

Ce sont principalement les nystagmus vestibulaires périphériques acquis. Visibles dans le regard excentré, leur amplitude augmente dans la direction de la phase rapide. Leur cause est généralement post-virale ou très rarement paranéoplasique.

NYSTAGMUS SENSORIEL

Le nystagmus sensoriel implique un déficit visuel. C’est le classique nystagmus congénital essentiel patent (albinisme, hérédo-dégénérescence rétinienne, etc.).

NYSTAGMUS MOTEUR

C’est la forme motrice à ressort ou nystagmus manifeste latent parmi lesquels on distingue le nystagmus congénital associé à un strabisme dominant (nystagmus manifeste latent des ésotropies précoces) et le nystagmus dominant associé à un strabisme (classique tropie nystagmique).

NYSTAGMUS ACQUIS

Selon leur origine, les nystagmus acquis peuvent traduire une souffrance neurologique accessible à un traitement. Identifier l’étiologie est donc urgent, même si tous ne traduisent pas un item d’urgence proprement dit. Il s’agit des nystagmus pendulaires, nystagmus à ressort (paralysie du regard, pathologie vestibulaire) et autres types de nystagmus : vestibulaire vertical, see-saw, périodique alternant, spasmus nutans, d’origines ORL ou vestibulaire.

Un nystagmus vertical évoque une affection de la fosse postérieure.

Examen clinique en urgence d’un enfant atteint d’un nystagmus

Il convient d’éliminer les causes organiques nécessitant une prise en charge adaptée urgente ou fonctionnelle par un examen détaillé du segment antérieur (lampe à fente : éliminer une cataracte, un albinisme, etc.) et du segment postérieur (fond d’œil : éliminer une visualisation anormale des vaisseaux choroïdiens, un colobome, un foyer rétinochoroïdien, une malformation papillaire).

Il est impératif de rechercher les formes particulières de nystagmus nécessitant une IRM cérébrale en urgence (voir ci-dessous).

Les causes neurologiques (hydrocéphalie, hypoplasie du corps calleux, kyste arachnoïdien isolé, désordres encéphaliques périnataux, toxoplasmose cérébrale, tumeur cérébrale, hérédo-dégénérescence cérébrale) représentent environ 20 % des causes reconnues. L’apparition brutale d’un nystagmus doit faire systématiquement rechercher une tumeur par des explorations neuroradiologiques (TDM, IRM et clichés centrés sur les voies visuelles, la fosse postérieure ou la ligne médiane selon le tableau clinique).

L’acuité visuelle en âge verbal doit se prendre en binoculaire éventuellement dans la position de torticolis et en monoculaire, complété d’une cycloplégie, selon les règles habituelles au Skiacol ® ou à l’atropine, et de la prescription de la correction optique totale en particulier de l’astigmatisme.

Les nystagmus rentrant dans le cadre d’un strabisme associé ne sont pas des items d’urgence.
Une consultation adaptée (cycloplégie, prise en charge de l’amblyopie) peut être organisée de manière différée pour prendre en charge les nystagmus rentrant dans le cadre d’un strabisme associé. Nous rappelons les deux formes associées. Lorsque le strabisme domine, il s’agit d’une ésotropie précoce avec nystagmus latent ou manifeste latent de bon pronostic au niveau de l’acuité visuelle si la rééducation de l’amblyopie est faite préventivement et de façon prolongée. Si le nystagmus domine, il est important de rechercher l’oeil fixant dominant car c’est sur cet oeil que domine le nystagmus et que devra porter la chirurgie du nystagmus afin de traiter le torticolis. La chirurgie du strabisme sera réalisée sur l’oeil non fixateur.

Les signes d’appel tels qu’une malvoyance, une photophobie, une incoordination oculocéphalique, un signe digito-oculaire, devront faire pratiquer des explorations électrophysiologiques (PEV, ERG). Les causes ORL ou vestibulaires nécessitent une consultation spécialisée adaptée.

L’analyse détaillée du nystagmus avec la recherche des positions de blocage n’a aucun caractère d’urgence et se fait au cours des consultations ultérieures. Le blocage peut s’effectuer en convergence, ou dans le regard vers le bas, ou tête penchée en arrière ou en avant, ou tête penchée sur le côté avec blocage en latéroversion. Le nystagmus diminue d’intensité dans ces positions. La recherche de ces positions permet d’orienter la stratégie chirurgicale non urgente.

Prise en charge en urgence

Les nystagmus qui sont à considérer comme des items d’urgence sont les nystagmus d’origine neurologique acquis. Ils nécessitent d’être explorés, car ils peuvent traduire par exemple un hypopituitarisme, des tumeurs suprasellaires du chiasma ou de la fosse postérieure, une hydrocéphalie (fig. 5-5-35).

Fig. 5-5-35
Les nystagmus peuvent traduire des tumeurs.

Il faut être certain du diagnostic et différencier le nystagmus des autres mouvements oculaires anormaux comme les flutters, les opsoclonus et les déviations du regard qui, eux aussi, peuvent constituer une urgence diagnostique et thérapeutique.

NYSTAGMUS ASSOCIÉ À UNE HYPOPLASIE PAPILLAIRE

L’IRM cérébrale et de l’axe hypothalamo-hypophysaire recherche une anomalie de la tige pituitaire, des hémisphères cérébraux, du septum pellucidum, du corps calleux, et parfois une anomalie des voies visuelles. Une hypoplasie papillaire et des déficits de la ligne médiane évoquent un syndrome de Morsier avec le risque d’hypopituitarisme par déficit en hormone de croissance.

NYSTAGMUS ASSOCIÉ À UNE ATROPHIE OPTIQUE

L’IRM cérébrale, avec clichés centrés sur l’hypophyse, voire une TDM des canaux optiques, recherche une tumeur suprasellaire, une hydrocéphalie ou un rétrécissement des canaux optiques.

SPASMUS NUTANS

Il faut réaliser en urgence une IRM cérébrale et des voies visuelles (ou une TDM) car le gliome du chiasma est à éliminer en premier lieu. Il peut aussi s’agir d’une maladie neurodégénérative (maladie de Pelizaeus-Merzbacher ou syndrome de Leigh) ou d’une dystrophie rétinienne.

SEE-SAW

Il faut demander une IRM cérébrale avec clichés sur les voies visuelles et rechercher une achiasmie.

NYSTAGMUS VERTICAL OU TORSIONNEL

Il faut demander une IRM cérébrale et de la fosse postérieure à la recherche d’une anomalie structurelle ou acquise de la fosse.

FLUTTER OCULAIRE ET SYNDROME « OPSOCLONUS-MYOCLONUS »

Hormis en accommodation-convergence-myosis, le flutter oculaire et le syndrome « opsoclonus-myoclonus » doivent être considérés comme une urgence de prise en charge, en hospitalisation [4]. Ils peuvent traduire un neuroblastome, une intoxication, une encéphalite (± syndrome auto-inflammatoire). Les explorations nécessaires sont :

  • ±

    IRM cérébrale : elle recherche un processus occupant l’espace en fosse postérieure et des causes de syndrome cérébelleux ;

  • ±

    scintigraphie au méta-iodo-benzyl-guanidine et IRM cérébro-cervico-thoraco-abdomino-pelvienne : ils recherchent un neuroblastome ou une tumeur solide ;

  • ±

    bilan biologique : il associe ponction lombaire, dosage des toxiques, des catécholamines urinaires, il recherche des anticorps antineuronaux.

Le délai d’instauration d’une corticothérapie, possiblement associée à un traitement immunosuppresseur, conditionne le pronostic moteur et les séquelles comportementales et cognitives.

DÉVIATIONS DE REGARD

Les révulsions oculaires font rechercher un syndrome de West avec régression du comportement, spasmes en flexion et révulsions oculaires. Leur présence doit faire réaliser un électro-encéphalogramme (EEG) en urgence.

La déviation tonique du regard vers le bas, ou regard en « coucher de soleil », doit faire rechercher une paralysie supranucléaire par compression de la partie supérieure du mésencéphale au cours du 3e trimestre de la grossesse ou d’un 4e ventricule dilaté lors d’une hydrocéphalie congénitale.

La déviation tonique du regard vers le haut peut s’observer lors d’une crise épileptique oculogyre nécessitant une IRM cérébrale et un EEG. En principe normaux, ils éliminent une autre cause organique.

Lorsque l’enfant lance sa tête de côté pour regarder une cible de côté, il faut rechercher une apraxie oculomotrice de Cogan, ou anomalie de l’initiation des saccades. Elle peut s’observer dans des séquelles de lésions périnatales, dans une malformation cérébrale (syndrome de Joubert, agénésie du corps calleux, etc.) ou dans une atteinte neurodégénérative. Ces enfants nécessitent de fait une IRM cérébrale comprenant l’examen de la fosse postérieure. La forme idiopathique n’est qu’un diagnostic d’élimination.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Larmande A, Godde-Jolly D. Les nystagmus. In : Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Paris : Masson ; 1973.
[2] Roth A, Speeg-Schatz C. Operative techniques surgical strategy. In : Roth A, Speeg- Schatz C. Eds. Eye muscle surgery : basic data. Steenwijk : Taylor & Francis ; 2001. p. 406.
[3] Cogan H. Strabismus. In : Berke RN, Haik GM, Ophthalmology NOAo. Eds. Strabismus : symposium of the New Orleans Academy of Ophthalmology. Mosby ; 1962.
[4] Pike M. Opsoclonus-myoclonus syndrome. Handb Clin Neurol 2013 ; 112 : 1209‑11.

5.5.17 ANOMALIE DE LA VISION CHEZ L’ENFANT

A. SAUER

Introduction

En général, une consultation en ophtalmologie pour baisse de vision concerne les grands enfants, en âge d’exprimer verbalement une plainte et de comprendre que leur plainte reflète une situation anormale, gênante dans les activités de la vie quotidienne. Aucune plainte ne sera exprimée si l’enfant n’a jamais eu de vision normale ou si la baisse de vision est chronique. Chez l’enfant préverbal, la baisse de vision est suspectée devant une information fournie par les parents, un enseignant, une personne en charge de l’enfant (nourrice, crèche, etc.) corrélée à un examen ophtalmologique pathologique. Ainsi le mode de présentation de la baisse de vision dépend de l’âge de l’enfant, de la vitesse d’installation de la baisse de vision et de la corrélation entre la baisse de vision et les besoins quotidiens de l’enfant. Certains signes cliniques associés doivent orienter vers une baisse de vision.

Signes d’appel

Au cours de la première année, le diagnostic de baisse de vison pourra être suspecté devant la présence d’un nystagmus, d’une errance du regard ou de malformations évidentes du globe oculaire. Des signes plus fins, comme un contact visuel limité ou une fixation au-dessus du visage de la cible (signes aussi retrouvés dans l’autisme), la présence d’un larmoiement ou d’une photophobie doivent aussi alerter. Enfin, la présence d’une maladie neurologique ou métabolique doit faire rechercher une baisse de vision.

Entre 1 et 5 ans, les enfants sont en pleine phase d’apprentissage qui repose souvent sur la copie. Les baisses de vision modérée passent en général inaperçues car elles ne perturbent pas les interactions sociales et les activités quotidiennes de l’enfant. En cas de baisse de vision importante, il pourra être constaté un retard des acquisitions ou des interactions par l’entourage, sans la moindre plainte de l’enfant lui-même. Les symptômes relevés sont multiples : pauvreté du sourire-réponse, difficulté à la marche, préférence pour les objets sonores, etc. Une plainte commune est la position collée à la télévision, mais cette position est aussi retrouvée chez les enfants normaux, car une image occupant l’ensemble du champ visuel est plus simple à fixer et à suivre. Les signes d’examen suivants doivent mener à un examen ophtalmologique : strabisme, œil rouge, larmoiement et photophobie.

Chez l’enfant scolaire, la baisse de vision peut être exprimée spontanément. La probabilité de voir survenir une plainte de baisse d’acuité visuelle augmente avec l’âge, du fait de la maturation et de la difficulté des tâches qui croissent avec le temps.

Diagnostic

L’interrogatoire recherche une notion de traumatisme. Cette notion peut être particulièrement délicate à mettre en évidence dans le cadre d’une maltraitance ou d’un traumatisme lié à une « bêtise infantile » pour laquelle l’enfant aura des difficultés à se confier. Il convient de rechercher la soudaineté d’une modification du comportement ou l’apparition de difficulté. La recherche d’une héméralopie est un élément important du diagnostic.

L’examen clinique commence par un examen comportemental, recherchant des difficultés de déplacement ou de contact visuel. Dès que cela est possible, la mesure de l’acuité visuelle avec correction optique permet de confirmer le diagnostic de baisse d’acuité visuelle. Un examen ophtalmologique complet est ensuite réalisé. Un examen neurologique est toujours nécessaire devant une baisse d’acuité visuelle avec retard des acquisitions. Les examens complémentaires sont discutés en fonction des différentes suspicions étiologiques (fig. 5-5-36).

Fig. 5-5-36
Orientation exploratoire face à une anomalie visuelle de l’enfant.
EOG : électro-oculogramme ; ERG : électrorétinogramme ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; OCT : optical coherence tomography ; PEV : potentiel évoqué visuel.

Principales causes et prise en charge (fig. 5-5-37)
ERREURS RÉFRACTIVES ET PATHOLOGIES DE L’ACCOMMODATION-CONVERGENCE

Les erreurs réfractives doivent toujours être éliminées en premier lieu par la réalisation d’une bonne réfraction subjective et si besoin d’une mesure de la réfraction objective sous cycloplégiques.

Fig. 5-5-37
Orientation diagnostique devant une anomalie visuelle de l’enfant.
HIV : hémorragie intravitréenne.

Les troubles de l’accommodation, voire un strabisme, doivent aussi être recherchés et pris en charge. Leur urgence dépend de leur étiologie (voir plus haut).

PATHOLOGIE DE LA TRANSPARENCE DES MILIEUX

Toute anomalie de la transparence des milieux peut conduire à une baisse de vision. Les anomalies palpébrales (ptosis, angiome) peuvent créer une privation ou un astigmatisme responsable de la baisse de vision. Les anomalies cornéennes (dystrophies congénitales, taies post-traumatiques) sont potentiellement pourvoyeuses de baisse de vision. Une uvéite antérieure devra être recherchée. Une cataracte ou une luxation cristallinienne sont des causes fréquentes de baisse de vision. Des anomalies vitréennes (syndrome de Stickler, rétinoschisis, hémorragie, hyalite) peuvent être retrouvées.

ANOMALIES RÉTINIENNES

Les anomalies rétiniennes à l’origine de baisse de vision ne sont pas rares : rétinopathie du prématuré, rétinoblastome, désordres vasculaires congénitaux (maladie de Coats, maladie de Von Hippel-Lindau), dystrophies rétiniennes.

NEUROPATHIES OPTIQUES

C. ORSSAUD

Une neuropathie optique (NO) peut être responsable d’une baisse d’acuité visuelle brutale et/ou rapidement progressive.

Devant une baisse d’acuité visuelle, il faut évoquer la présence d’une NO afin de rechercher les quelques diagnostics imposant une prise en charge spécifique urgente. Rappelons que le terme de neuropathie optique désigne toutes atteintes du nerf optique, quelle qu’en soit l’étiologie, alors que celui de « névrite optique » est réservé aux atteintes d’origine inflammatoire.

La présentation clinique des NO n’est pas univoque dans sa vitesse d’installation ou dans la profondeur de l’altération de la fonction visuelle. C’est tout l’intérêt d’examens complémentaires réalisables en urgence et permettant d’éliminer les autres causes de baisse d’acuité visuelle. La recherche étiologique s’appuie sur le contexte et la présentation clinique de cette NO, ainsi que sur des examens cliniques et paracliniques pédiatriques et ophtalmologiques. Mais quelle que soit l’étiologie suspectée, un bilan neuroradiologique doit être réalisé en urgence.

EXAMEN CLINIQUE

Le principal signe d’appel reste la baisse d’acuité visuelle dont la profondeur est extrêmement variable. La survenue de douleurs à la mobilisation des globes quelques heures avant l’altération de la fonction visuelle oriente vers un diagnostic de névrite optique. Mais ces douleurs sont souvent négligées chez l’enfant [1].

Baisse d’acuité visuelle

La baisse d’acuité visuelle est constante mais peut passer inaperçue si elle est unilatérale et/ou modérée chez les jeunes enfants. Sa découverte peut être fortuite (lors d’un examen systématique), accidentelle (après un traumatisme) ou survenir lors de l’atteinte de l’œil controlatéral. Il est donc parfois impossible de préciser la date de survenue de cette NO.

La baisse d’acuité visuelle de loin est parallèle à celle de près. Mais il est possible d’améliorer artificiellement l’acuité visuelle de près en rapprochant la planche de lecture à 5 ou 10 cm. L’ex-centration du regard permet également d’améliorer la vision en regardant au bord du scotome central. L’utilisation de ce mode de compensation par l’enfant doit faire évoquer une atteinte relativement ancienne. La profondeur de la baisse d’acuité visuelle a un intérêt d’orientation étiologique. Peu importante dans les atteintes compressives, au moins au stade initial, elle est sévère, proche de 1/10, en cas de névrite optique, d’atteinte infectieuse ou lors des rares formes d’origine vasculaire. Elle est également très altérée au stade d’atrophie optique.

Étude du jeu pupillaire

On recherche un « déficit pupillaire afférent relatif » ou une dilatation pupillaire paradoxale par échappement pupillaire lorsque l’éclairement est maintenu (signe de Marcus Gunn). Cette anomalie du jeu pupillaire n’est pas pathognomonique d’une NO et n’est pas retrouvée en cas d’atteinte bilatérale. Néanmoins, son absence constitue un argument contre le diagnostic de NO [2, 3].

Examen du fond d’œil

C’est notamment celui de la papille. Il peut aider à confirmer le diagnostic de NO ou à évoquer une autre étiologie [4].

La normalité de la papille optique oriente vers une NO « rétrobulbaire », qu’elle soit toxique, iatrogène ou inflammatoire. La présence de quelques cellules dans le vitré en regard de la papille n’élimine pas le diagnostic.

Lorsque la papille est saillante, l’analyse de cette turgescence et de la rétine adjacente permet de préciser les caractéristiques de cet œdème et d’orienter le diagnostic étiologique :

  • ±

    une importante hyperhémie papillaire et de nombreuses hémorragies péripapillaires orientent vers une cause vasculaire (rare chez l’enfant) ou infectieuse ;

  • ±

    l’hyperhémie papillaire et les hémorragies sont moindres lors des formes de stase ;

  • ±

    une papille surélevée mais non hyperhémiée et sans masquage des vaisseaux rétiniens par un flou au niveau de ses bords signe un pseudo-œdème papillaire, diagnostic différentiel orientant vers des causes non urgentes ;

  • ±

    la présence de télangiectasies papillaires et péripapillaires oriente vers une NO de Leber ;

  • ±

    enfin, une atrophie optique, avec une pâleur plus ou moins marquée de la papille, évoque une pathologie évoluant depuis plusieurs semaines. Le diagnostic étiologique urgent reste de mise.

EXAMENS PARACLINIQUES
OCT, autofluorescence et échographie

L’OCT est indispensable dans le diagnostic des NO et permet également d’éliminer une atteinte maculaire [5, 6]. Au stade aigu, elle peut retrouver un œdème papillaire infraclinique généralement associé à un œdème de la couche des fibres optiques péri-papillaires. Au stade d’atrophie optique, il existe une atrophie de la couche des fibres optiques péripapillaires par perte de fibres.

L’autofluorescence permet d’objectiver des lésions rétiniennes ou papillaires hypo- ou hyperfluorescentes. Les caractéristiques de ces lésions orientent vers des diagnostics étiologiques particuliers [7, 8].

L’échographie pourrait également être intéressante dans l’analyse des œdèmes papillaires [9].

Champ visuel

Chez l’enfant, dès l’âge de 6 ou 7 ans, et avant 12 ans, il est possible de réaliser un champ visuel avec un appareil de Goldmann. Le champ visuel automatisé est peu fiable avant 10 ou 12 ans. Lorsque la réalisation d’un champ visuel n’est pas possible, l’étude des 20° centraux du champ visuel (10° de part et d’autre du point de fixation) à l’aide d’une grille d’Amsler peut être réalisée chez les enfants les plus grands [10].

Cet examen retrouve habituellement un scotome central ou paracentral dont la localisation traduit une atteinte préférentielle des faisceaux maculaires. La profondeur de ce scotome, sa taille et sa localisation sont corrélées à la sévérité de la baisse d’acuité visuelle. Un scotome peu profond et/ou paracentral est compatible avec une acuité visuelle abaissée mais non effondrée. Au contraire, un scotome central absolu entraîne une baisse d’acuité visuelle à 1/10 ou en dessous. Il faut qu’un scotome absolu ne soit pas trop étendu pour que le patient puisse correctement excentrer son regard.

D’autres altérations du champ visuel sont parfois retrouvées, en particulier des scotomes sectoriels, arciformes ou cunéiformes. Ils traduisent l’atteinte isolée de certains faisceaux de fibres optiques. Dans les formes les plus évoluées, il peut ne persister qu’une raquette de vision temporale.

Étude du sens chromatique

Cette étude est intéressante moins pour confirmer le diagnostic de NO qu’en cas de doute diagnostique avec une autre étiologie, telle une maculopathie débutante. Rappelons qu’une dyschromatopsie acquise secondaire à une NO est de type « bleu-jaune » à un stade précoce et « rouge-vert » de type II au stade d’état.

DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Le diagnostic étiologique est essentiel pour réaliser une prise en charge rapide et adaptée. Il repose sur l’anamnèse et les caractéristiques cliniques ainsi que sur des examens complémentaires évoqués précédemment. Dans un contexte de NO possible, il est impératif de réaliser un bilan neuroradiologique, au mieux une IRM cérébrale injectée avec des temps veineux tardifs [11, 12]. La prise d’un avis (neuro-)pédiatrique peut être utile.

En dehors des causes traumatiques survenant dans un contexte particulier, les principales causes de NO sont toxiques, compressives et tumorales, inflammatoires/infectieuses et héréditaires. Les causes vasculaires sont rares chez l’enfant.

Neuropathies optiques compressives

Les neuropathies optiques compressives peuvent être secondaires à des causes tumorales ou à des infiltrations du nerf optique. Il peut être difficile de différencier ces deux mécanismes puisque les infiltrations du nerf optiques s’associent volontiers à des compressions, directes ou non, par atteinte de la base du crâne ou par hypertension intracrânienne (HTIC). C’est la raison pour laquelle un bilan neuroradiologique s’impose devant toute NO, quel que soit le contexte. Si l’IRM cérébrale permet de bien mettre en évidence les anomalies des nerfs optiques, le scanner cérébral étudie précisément les structures osseuses de cette région. Un examen neuroradiologique normal n’élimine pas le diagnostic et devra être répété à distance. En l’absence de processus expansif intracrânien, le bilan peut être complété par une étude de la pression intracrânienne et de la composition du liquide céphalo-rachidien (LCR).

Le contexte permet parfois d’orienter le diagnostic :

  • ±

    la leucémie est à évoquer chez un enfant déjà traité pour cette pathologie ;

  • ±

    les gliomes du nerf optique sont souvent, mais inconstamment, associés à cet âge à une neurofibromatose de type I. Le bilan neuroradiologique en fait facilement le diagnostic [13] ;

  • ±

    l’ostéopétrose entraîne une compression des nerfs optiques au niveau du canal optique.

Il faut rapprocher de ces NO compressives, les œdèmes papillaires de stase secondaires à une HTIC. Chez l’enfant, ceux-ci sont généralement bilatéraux et s’accompagnent de céphalées ou de somnolence (voir fig. 5-5-26). Leur évolution se fait rapidement vers une atrophie optique (AO).

Un syndrome de Foster-Kennedy, associant un œdème papillaire à une AO controlatérale, doit faire rechercher en premier lieu chez l’enfant un craniopharygiome [14].

La découverte d’une tumeur lors du bilan neuroradiologique permet d’expliquer le mécanisme de l’HTIC. Un avis neurochirurgical s’impose pour éviter les complications.

Lorsque le bilan neuroradiologique est normal, il faut rechercher :

  • ±

    une thrombophlébite cérébrale qui s’observe à tout âge. Elle est confirmée par la mise en évidence sur des temps veineux tardifs de l’angiographie par résonance magnétique (ARM) ou d’une IRM avec contraste de sténoses des sinus cérébraux [12] ;

  • ±

    une HTIC idiopathique : elle peut être suspectée, mais est difficile à confirmer dans le cadre de l’urgence. Outre une pression d’ouverture du LCR supérieure à 28 mmHg, ce diagnostic impose d’avoir éliminé toute lésion tumorale, y compris rachidienne [15]. Un complément de bilan neuroradiologique doit donc être pratiqué à distance.

Névrites optiques inflammatoires de l’enfant

Les névrites optiques inflammatoires de l’enfant (NOIE) surviendraient à tout âge, dès 24 mois avec un pic de fréquence entre 10 et 12 ans et une très légère prédominance féminine [16, 17]. Les formes unilatérales représentent 60 % des cas environ, mais les filles ont plus volontiers des atteintes bilatérales [16]. La baisse d’acuité visuelle, précédée de douleurs rétrobulbaires à la mobilisation du globe, est souvent brutale et peut être sévère. L’acuité visuelle est inférieure à 4 ou 5/10 dans plus 70 % des cas et inférieure à 1/10 pour près de la moitié des patients [18]. Du côté pathologique, il est retrouvé un œdème papillaire avec des hémorragies en flammèches [16]. Les formes rétrobulbaires, sont plus rares, de même que les formes découvertes au stade d’AO.

L’existence de signes neurologiques associés doit faire rechercher des affections spécifiques, généralement évoquées ou suspectées sur l’IRM cérébrale : neurosarcoïdose, maladie de Devic, sclérose en plaques (SEP) ou leuco-encéphalite multifocale aiguë disséminée (LMAD) [19]. La présence d’hypersignaux du nerf optique ou de la substance blanche encéphalique serait en faveur d’un risque d’évolution vers une SEP [18–20]. En revanche, l’existence d’anomalies de signal du nerf optique doit remettre en cause le diagnostic de LMAD. Une prise en charge en neuropédiatrie doit être organisée pour confirmer le diagnostic et mettre en route le traitement. Celui-ci repose sur des bolus de corticothérapie à doses adaptées qui ne sont pas sans risque [21]. Ils accélèrent la récupération visuelle mais ne modifieraient pas le pronostic fonctionnel. La place des biothérapies reste à déterminer chez l’enfant.

Les NOIE post-infectieuses ou post-vaccinales ont toujours été considérées comme les NOIE les plus fréquentes, alors que leur fréquence ne dépasserait pas 25 à 30 % des cas [16]. Tous les virus ont été incriminés ainsi que tous les vaccins vivants de l’enfant [22–24]. La NOIE apparaîtrait jusqu’à 12 semaines après la date de l’injection.

Des NOIE s’observent également dans les suites d’une sinusite, d’ethmoïdite ou d’otite négligées.

Causes vasculaires

Rares chez l’enfant, les causes vasculaires peuvent être la conséquence de malformations vasculaires congénitales ou sont secondaires à des pathologies vasculaires héréditaires ou des troubles congénitaux de la coagulation [25–28]. Ces causes justifient de vérifier l’état cardiovasculaire et de demander un bilan de coagulation en l’absence d’autre étiologie.

Neuropathies optiques toxiques

Les neuropathies optiques toxiques n’ont pas de caractère clinique spécifique chez l’enfant. La baisse d’acuité visuelle est classiquement bilatérale, indolore, d’apparition lentement progressive, d’intensité variable [29]. Le fond d’œil retrouve volontiers une « NO antérieure » non spécifique avec un œdème papillaire et quelques hémorragies péripapillaires ou une papille normale en cas de NO rétrobulbaire. L’AO est tardive et de mauvais pronostic [30]. Le champ visuel retrouve le plus souvent un scotome cœcocentral bilatéral et symétrique, parfois associé à un rétrécissement concentrique des isoptères ou un élargissement de la tache aveugle en cas d’œdème papillaire.

Chez l’enfant, les NO toxiques sont le plus souvent iatrogènes : vigabatrin, antituberculeux, anti-oncogènes, etc. [31, 32]. Les intoxications par ingestion surviennent le plus souvent au domicile.

Causes carentielles

Les causes carentielles font évoquer une maltraitance à enfants. Lorsque la NO est installée, un traitement par vitamines des groupes B et PP et anti-oxydants permet parfois d’obtenir une récupération visuelle [30].

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Les diagnostics différentiels sont principalement les maculopathies héréditaires, telles que la maladie de Stargardt (fond d’œil avec remaniements de la région maculaire et imagerie multimodale typique) ou les anomalies papillaires (congénitales tels les colobomes papillaires, ou acquises tels les drusen de la papille). Ils peuvent faire évoquer une NO devant une baisse d’acuité visuelle non expliquée.

MALADIES SYSTÉMIQUES

Les atteintes du système nerveux central sont parfois responsables de baisse de vision. De même, certaines maladies comme les atteintes vasculaires, les infections et les hémopathies peuvent être à l’origine d’une baisse d’acuité visuelle.

DÉSORDRES VISUELS NON ORGANIQUES

La simulation est une cause régulièrement retrouvée de baisse d’acuité visuelle chez l’adolescent ou le grand enfant.

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5.5.18 MALVOYANCE ET URGENCE

S. DEFOORT-DHELLEMMES

Examen clinique

Les signes cliniques sont :

  • ±

    chez l’enfant de moins de 4 mois : un comportement de malvoyance voire de cécité (absence de fixation, de poursuite visuelle des gros objets ou de la lumière, errance du regard) ;

  • ±

    chez l’enfant d’âge préverbal : une stagnation ou une régression du développement visuel avec ou sans nystagmus ;

  • ±

    à l’âge verbal : une baisse d’acuité visuelle ;

  • ±

    et/ou à tout âge : des troubles évoquant une amputation majeure du champ visuel.

Ces symptômes peuvent être révélateurs d’une urgence dont le diagnostic étiologique peut soit être évident à l’examen clinique, soit nécessiter des examens fonctionnels visuels, un examen pédiatrique et un bilan paraclinique (IRM, EEG, biologie ; fig. 5-5-38).

Fig. 5-5-38
Orientation diagnostique devant une malvoyance avec (a) ou sans anomalie (b) à l’examen.
AF : angiographie à la fluorescéine ; BAV : baisse d’acuité visuelle ; CV : champ visuel ; EEG : électro-encéphalogramme ; ERG : électrorétinogramme ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; OCT : optical coherence tomography ; PEV : potentiel évoqué visuel ; VO : voies optiques.

Lorsque l’examen clinique est normal ou ne retrouve pas de cause évidente, la cause de malvoyance est :

  • ±

    rétinienne et alors exceptionnellement urgente ;

  • ±

    ou neurologique et a priori urgente. La stratégie diagnostique dépend de l’existence ou non d’un nystagmus, de l’âge de l’enfant et de l’accessibilité des examens paracliniques.

Chez l’enfant de moins de 3-4 mois aveugle ou malvoyant, sans nystagmus, le premier examen à réaliser est l’étude des PEV. Si les PEV par flash sont altérés, il y a une atteinte organique des voies visuelles. L’IRM peut retrouver une atteinte cérébrale (dysmyélogenèse, infectieuse, vasculaire, etc.), exceptionnellement tumorale.

Chez l’enfant d’âge préverbal qui est malvoyant et a un nystagmus congénital (apparu avant 4 mois) isolé sans trouble neurologique ou systémique, l’ERG par flash est l’examen essentiel. Il permet, associé à l’OCT (si possible) et aux PEV, le diagnostic des dystrophies rétiniennes héréditaires (amaurose de Leber) et des dysfonctions rétiniennes (syndrome de dysfonction des cônes, héméralopie congénitale, albinisme) qui ne sont pas des urgences mais doivent pour certaines être prises en charge rapidement par des services médico-sociaux, afin de permettre le meilleur développement visuel et psychomoteur possible.

Si le nystagmus est vertical, rotatoire, monoculaire et/ou de type spasmus nutans (peu ample, rapide, en « aile d’abeille » multidirectionnel, souvent asymétrique), c’est l’IRM qui sera demandée en urgence, avant l’ERG, à la recherche d’une tumeur des voies visuelles.

Le nystagmus, lorsqu’il est acquis (après l’âge de 6 mois), est jusqu’à preuve du contraire neurologique quel que soit l’âge auquel il survient.

Quand le nystagmus est en salves associé à une « absence », il faut penser à l’épilepsie, l’EEG est alors l’examen de première intention.

Chez l’enfant d’âge verbal qui consulte pour une baisse d’acuité visuelle bilatérale importante isolée, l’OCT et si possible les clichés en autofluorescence sont les premiers examens à réaliser. Une IRM sera demandée en urgence, quand l’imagerie oculaire est normale ou retrouve une atteinte des fibres ganglionnaires ou d’emblée s’il existe des signes neurologiques (HTIC), endocriniens (petite taille, obésité) et/ou des troubles du champ visuel.

Diagnostic étiologique urgent de malvoyance sans nystagmus
CATARACTE BILATÉRALE

Une cataracte bilatérale nécessite une intervention chirurgicale rapide chez le bébé avant l’apparition d’un nystagmus qui grèvera le pronostic fonctionnel.

GLAUCOME CONGÉNITAL OU JUVÉNILE ÉVOLUÉ

C’est une urgence chirurgicale dont le diagnostic devrait être fait avant le stade de malvoyance, au mieux in utero (voir chapitre 5.5.8).

DÉCOLLEMENTS DE RÉTINE BILATÉRAUX

Les décollements de rétine bilatéraux peuvent représenter jusqu’à 20 % des décollements de rétine de l’enfant [1]. Les causes sont variées, allant du traumatisme aux étiologies syndromiques ou aux maladies de système. Leur pronostic est sombre.

ŒDÈME PAPILLAIRE

Un œdème papillaire impose une imagerie cérébrale en urgence. Lorsqu’il est associé à une malvoyance, l’IRM peut mettre en évidence : une tumeur comprimant les voies visuelles, un gliome opto-chiasmato-ventriculaire ou un craniopharyngiome, des signes de névrite optique bilatérale (hypersignal des deux nerfs optiques prenant le gadolinium, bien visible sur les coupes orbitaires avec suppression de graisse) ou d’HTIC idiopathique (la malvoyance n’apparaît que lorsque l’œdème papillaire est chronique évoluant vers l’atrophie). Si le périmètre crânien est diminué et les sutures crâniennes forment un bourrelet, un scanner 3D sera préféré à l’IRM, révélant une craniosténose multisuturaire (oxycéphalie, brachycéphalie).

ATROPHIE OPTIQUE

Ses causes sont les mêmes que l’œdème papillaire mais à un stade plus tardif, à l’exception des névrites où l’acuité visuelle a en général récupéré quand apparaît l’atrophie.

HYPOPLASIE PAPILLAIRE

L’urgence est dans ce cas liée à la possible atteinte hypophysaire, anatomique et biologique, associée. Il faut rapidement compenser le déficit hormonal. Si la papille hypoplasique est atrophique et le PEV flash altéré, le pronostic visuel est mauvais, une prise en charge médico-sociale « basse vision » doit être mise en place rapidement.

Diagnostic étiologique urgent de malvoyance avec nystagmus
SYNDROME DE WEST

C’est un syndrome épileptique débutant entre 3 et 7 mois. L’ophtalmologiste peut voir l’enfant pour régression visuelle ou cécité corticale. Il peut constater des spasmes musculaires surtout en flexion, à ne surtout pas prendre pour des « coliques ».

MALADIES MÉTABOLIQUES

On les évoque devant une stagnation ou régression des acquis. La malvoyance peut être due à une atteinte rétinienne (par exemple céroïdes lipofuscinoses) et/ou des nerfs optiques ou des voies visuelles (rétrochiasmatique : adrénoleucodystrophie).

GLIOME OPTO-CHIASMATO-VENTRICULAIRE (TYPE 3)

Le FO peut être normal chez le tout-petit. Le diagnostic est à évoquer d’emblée en cas de nystagmus vertical et/ou monoculaire ou de spamus nutans avec anomalie des réflexes photomoteurs et si l’enfant est cachectique. Il sera rapidement traité par chimiothérapie s’il menace le pronostic vital et/ou visuel.

CRANIOPHARYNGIOME

Il faut évoquer un craniopharyngiome devant toute malvoyance non expliquée ou avec œdème papillaire, obésité, petite taille. C’est une urgence neurochirurgicale et endocrinologique.

Dans les tumeurs des voies visuelles, la malvoyance est due à une baisse d’acuité visuelle bilatérale ou unilatérale associée à un déficit hémianopsique important de l’autre œil.

SYNDROME DES ENFANTS SECOUÉS OU SHAKEN BABY SYNDROME (SBS)

La malvoyance est exceptionnellement révélatrice. Des hémorragies rétiniennes ou rétinovitréennes bilatérales chez l’enfant de moins de 2 ans doivent faire suspecter ce syndrome, surtout si le bébé a fait un malaise grave et a un hématome sous-dural (voir chapitre 5-5-13). Les hémorragies rétiniennes sont cependant exceptionnellement le premier signe retrouvé.

BIBLIOGRAPHIE

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5.5.19 TORTICOLIS D’ORIGINE OCULAIRE

D. DENIS , M. BEYLERIAN

Le torticolis est une position anormale de la tête et du cou qui nécessite un bilan étiologique urgent dont dépendra une conduite thérapeutique.

Les étiologies extra-ophtalmologiques sont multiples : orthopédique (muscle, vertèbre), vestibulaire, neurologique, médicamenteuse et oculaire [1]. Nous évoquons seulement les torticolis oculaires. Les causes de torticolis oculaires sont très variées, allant d’un simple trouble réfractif à un tableau évolutif de paralysie oculomotrice mettant en jeu le pronostic vital.

Le torticolis oculaire s’explique par la recherche d’une amélioration visuelle qui peut être :

  • ±

    sensorielle : monoculaire recherchant une augmentation de l’acuité visuelle ; binoculaire développant ou recherchant une stéréoscopie ;

  • ±

    motrice : c’est la moindre déviation résultant d’un compromis entre l’amélioration visuelle et l’inconfort de la position cervicale (dépendant elle-même de l’anatomie des vertèbres cervicales).

Ainsi, le torticolis oculaire vise à l’obtention d’une meilleure vision, d’une meilleure stéréoscopie, d’un meilleur champ binoculaire utilisable. Il a des conséquences sur la statique vertébrale. Sa prise en charge ne se limite donc pas au versant ophtalmologique, mais doit lutter contre ses conséquences vertébrales.

Examiner le torticolis

L’examen clinique permet lors de la première consultation d’orienter le diagnostic étiologique.

ANTÉCÉDENTS

Les antécédents sont :

  • ±

    personnels : accouchement, période néonatale, pathologie déjà connue, torticolis (apparition, caractère constant ou intermittent, circonstance déclenchante, aspect douloureux, etc.) ;

  • ±

    familiaux : strabisme, trouble de la réfraction, etc.

INSPECTION

L’inspection permet de décrire le torticolis qui peut être horizontal, vertical ou torsionnel. Elle évalue son degré qui peut être minime (5 à 10°), modéré (10 à 15°), sévère (15 à 30°), très sévère (> 30°). Quel que soit son degré, le torticolis est néfaste pour le rachis cervical et le développement de la face.

EXAMEN MORPHOLOGIQUE

L’examen morphologique comprend :

  • ±

    l’inspection de la tête et du cou de face, de profil et de dos ;

  • ±

    la palpation du muscle sterno-cléido-mastoïdien à la recherche de contractures et de points douloureux pouvant orienter vers un avis orthopédique ;

  • ±

    la recherche de l’ancienneté et de la variabilité du torticolis (anciennes photographies à récupérer) ;

  • ±

    l’examen de l’enfant dans la position inverse du torticolis.

BILAN CLINIQUE

Le bilan clinique doit être conduit méthodiquement et comprend une étude de l’acuité visuelle, de la réfraction, de la sensorimotricité [2], un examen du globe oculaire, un fond œil (rétinophotographies pour le suivi) et des photographies du torticolis.

MESURE DU TORTICOLIS

Actuellement, bien que des systèmes de mesures reproductibles permettent d’évaluer la position de la tête dans les trois dimensions [3], le plus souvent cette mesure reste subjective, même si elle est moins reproductible et moins fiable dans le temps. Ces mesures ne sont pas urgentes.

AU TERME DE L’EXAMEN CLINIQUE

Le torticolis est d’origine soit réfractive, strabique, paralytique, nystagmique ou orbitaire (tableau 5-5-5) [4]. Sa gravité et ses conséquences sur la statique vertébrale expliquent l’importance de la collaboration avec les kinésithérapeutes et les ostéopathes pour obtenir la meilleure prise en charge thérapeutique possible.

Tableau 5-5-5
Étiologies des torticolis oculaires.
Torticolis d'origine réfractive
  • Astigmatisme

  • Correction optique

Torticolis et strabisme
  • Strabisme précoce

  • Syndrome du monophtalme congénital

  • Déviation alphabétique

Torticolis et impotence musculaire
  • Paralysies oculomotrices neurogènes

  • Paralysie monoculaire des deux élévateurs

  • Atteintes oculomotrices myogènes et fibroses

Torticolis et nystagmus
  • Nystagmus congénital

  • Nystagmus acquis

Torticolis et cause orbitaire
  • Malformation orbitaire mineure

  • Malformation orbitaire majeure

(Source:Péchereau A, Denis D, Speeg-Schatz C, Eds. Strabisme. Rapport de la Société française d'ophtalmologie 2013. Issy-les-Moulineaux:Elsevier Masson; 2013.)

EXAMENS PARACLINIQUES

Ce sont les radiographies. Elles sont à programmer en aval. L’examen clinique est indissociable d’un bilan radiologique simple : radiographie simple du rachis cervicodorsal (face et profil), du crâne et de la face. Les explorations radiologiques orientent le cas échéant vers une consultation d’aval filiarisée d’orthopédie.

Classer le torticolis

Les torticolis sont associés à : une anomalie de réfraction, un stabisme, une importance musculaire, un nystagmus ou une cause orbitaire. La cause réfractive, certaines impotences musculaires, le spasmus nutans et quelques plagiocéphalies peuvent être des items d’urgence. Les autres étiologies sont parfois examinées en urgence sans être urgents.

TORTICOLIS D’ORIGINE RÉFRACTIVE

Lorsque la cause est réfractive, il s’agit d’un astigmatisme non ou mal corrigé, ou plus globalement d’une mauvaise correction optique. Un cadre de lunettes mal adapté peut également obliger l’enfant à regarder par-dessus ses lunettes et être responsable d’un torticolis [5]. C’est une cause « urgente » en triage PEC de catégorie 5 chez l’enfant en âge amblyogène.

TORTICOLIS ET STRABISME

Dans le cadre du strabisme, le torticolis peut s’observer lors des syndromes du strabisme précoce ou du monophtalme congénital. Il est alors en rapport avec la dérive nasale qui génère une attraction en adduction.

Il peut également être dû à une déviation alphabétique ou le sujet se met dans la position du regard qui diminue ou annule la déviation. Ainsi, il récupère une zone de vision stéréoscopique.

TORTICOLIS ET IMPOTENCE MUSCULAIRE

L’impotence musculaire à l’origine d’un torticolis peut être :

  • ±

    neurogène : paralysies oculomotrices périphériques des III, IV, VI [6], impliquant deux élévateurs ;

  • ±

    myogène : dysthyroïdie, myasthénie, myopathies (pathologies mitochondriales), fractures du plancher de l’orbite ;

  • ±

    neurogène-myogène : syndrome de Stilling-Duane, syndrome de Brown, fibrose généralisée des muscles oculomoteurs.

Le torticolis permet de fuir le champ où le mouvement oculaire est limité, dans lequel il existe une diplopie et une position binoculaire impossible. Le bilan consiste à analyser le désordre oculomoteur et à rechercher sa cause qui peut aller d’une simple paralysie oculomotrice virale à une tumeur cérébrale mettant en jeu le pronostic vital. Le traitement médico-chirugical ultérieur permet le plus souvent une diminution voire une disparition de ce torticolis.

TORTICOLIS ET NYSTAGMUS

La démarche diagnostique repose sur un examen du nystagmus clinique soigneux. Le plus souvent, le nystagmus est en rapport avec le syndrome du nystagmus précoce, le nystagmus de type latent, le nystagmus de type spasmus nutans.

Le spasmus nutans est à traiter en urgence : il se définit par la triade nystagmus, torticolis, dodelinement de la tête. Il est classé dans les nystagmus acquis, car il apparaît généralement entre 5 et 6 mois de vie. Le bilan étiologique doit être effectué en urgence à la recherche de trois grands groupes de maladies : gliome du chiasma, dystrophie rétinienne précoce et maladie démyélinisante. Un bilan urgent consiste en une IRM cérébrale et une électrophysiologie. La normalité de ce bilan permet de poser le diagnostic d’élimination de spasmus nutans idiopathique qui régresse sans séquelle après 1 à 3 ans d’évolution.

Les autres causes permettent d’orienter l’enfant vers une consultation sur-spécialisée sans urgence. Il s’agit du :

  • ±

    syndrome du nystagmus précoce (infantile nystagmus syndrome) : celui-ci est de loin la variété la plus fréquente parmi les nystagmus à début précoce ; le torticolis est un torticolis compensateur correspondant à la zone de calme. Il est parfois associé à un dodelinement de la tête. Les affections associées à ce nystagmus sont rétiniennes et/ou concernent les voies visuelles prégéniculées. Le diagnostic est clinique et électrophysiologique, les étiologies vont de l’amaurose congénitale de Leber à l’albinisme oculocutané ;

  • ±

    nystagmus de type latent : il est associé à un torticolis dans 70 % des cas lors de la fixation en adduction ; c’est un torticolis alternant en fonction de l’œil fixateur. Il n’est pas urgent.

TORTICOLIS ET CAUSE ORBITAIRE
PTOSIS CONGÉNITAL

La sévérité du torticolis dépend de l’importance du ptosis. La répercussion sur la statique vertébrale et sur l’acuité visuelle (amblyopie) conditionne l’indication chirurgicale. La seule urgence est la forme complète car elle est très amblyogène.

CRANIOSTÉNOSES

Le torticolis est surtout l’apanage de la plagiocéphalie.

La plagiocéphalie antérieure synostotique vraie est due à la soudure d’une hémisuture coronale. Le torticolis est en rapport avec un strabisme vertical simulant une pseudo-paralysie de l’oblique supérieur du côté atteint avec asymétrie faciale et torticolis tête penchée du côté sain. L’examen tomodensitométrique est indispensable pour la prise en charge neurochirurgicale qui sera effectuée avant le traitement de la paralysie oculomotrice.

Dans la déformation posturale postérieure, communément appelée « plagiocéphalie postérieure », le torticolis est dû à une atteinte du muscle sterno-cléido-mastoïdien qui accompagne la déformation crânienne. Le bilan ophtalmologique est normal.

Dans la craniosténose syndromique, le torticolis est le plus souvent en rapport avec un syndrome alphabétique en V, le plus fréquemment associé à une exotropie dans le regard en haut. Une échographie en 3D et une IRM des muscles oculomoteurs aideront au plan chirurgical.

Traiter le torticolis

Tout enfant atteint d’un torticolis doit bénéficier dès le plus jeune âge d’une prise en charge oculomotrice et orthopédique. La correction optique est urgente mais pourra être organisée lors d’une consultation de réfraction et suivie d’une prise en charge éventuelle de traitement d’amblyopie. Une étiologie spécifique doit être prise en charge en milieu sur-spécialisé (ex. : tumeur de la fosse postérieure et spasmus nutans).

TRAITEMENT MÉDICAL

Face à un trouble oculomoteur associé ou non à une amétropie forte, le traitement est classique à savoir correction optique totale et traitement rééducatif de l’amblyopie par occlusion. Il vise à prévenir et à traiter la part fonctionnelle de l’amblyopie qui peut s’associer au torticolis. La correction optique doit être adaptée et régulièrement contrôlée afin d’obtenir la meilleure acuité visuelle possible tout au long de la maturation visuelle de l’enfant.

TRAITEMENT CHIRURGICAL

Le traitement dépend de l’étiologie, de la sévérité du torticolis et de ses conséquences vertébrales. Il n’est pas urgent.

Si le torticolis est minime (≤ 5°) et sans conséquence vertébrale, aucune chirurgie n’est envisagée. Dans les autres cas (> 5°), lorsque le torticolis s’aggrave avec le temps, lorsque la diplopie devient gênante ou que la forme est sévère d’emblée, une intervention chirurgicale est indiquée en fonction de l’étiologie.

Généralement, les résultats thérapeutiques améliorent le torticolis, même si la chirurgie ne permet pas toujours un retour ad integrum, qui est fonction de l’anomalie innervationnelle ou musculaire initiale. Il persiste souvent une impotence avec un certain degré de torticolis résiduel.

RÉÉDUCATION PAR KINÉSITHÉRAPIE ET OSTÉOPATHIE

C’est une aide précieuse dans la prise en charge à long terme du torticolis résiduel.

Conclusion

Le torticolis est une attitude anormale de la tête et du cou qui impose un bilan clinique méthodique, rigoureux et urgent afin d’en déterminer l’étiologie. Les différentes causes chez l’enfant sont réfractives, oculomotrices (neurogène, myogène), nystagmiques ou orbitaires.

C’est un signe de gravité nécessitant un traitement rapide qui lui est propre, car ses répercussions délétères sur la statique vertébrale d’un enfant en pleine croissance imposent une prise en charge spécifique et pluridisciplinaire.

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5.5.20 PHOTOPHOBIE DE L’ENFANT

S. DEFOORT-DHELLEMMES

La photophobie ou « crainte de la lumière » est une gêne ressentie de façon anormalement forte parfois jusqu’à la douleur (allodynie).

Lorsqu’elle est le symptôme d’une urgence, elle est acquise et aiguë. Elle en est exceptionnellement révélatrice ou le signe principal mais peut être évocatrice d’une affection urgente de présentation atypique ou fruste.

Syndrome méningé

La photophobie (voir fig. 5-5-39) est un des signes caractéristiques d’une urgence vitale.

Fig. 5-5-39
Orientation diagnostique devant une photophobie de l’enfant associée à un blépharospasme, améliorée ou cédant sous anesthésie locale topique.
EER : érosion épithéliale récidivante.

Le syndrome méningé associe typiquement une photophobie à des céphalées, des vomissements et une raideur de nuque. Son diagnostic est difficile chez le petit enfant, qui est hypotone et somnolent et qui a la nuque souple mais qui est couché en chien de fusil et se détourne de la lumière.

Les premiers examens à faire en urgence sont :

  • ±

    une ponction lombaire à la recherche d’une méningite si l’enfant est fébrile et n’a pas de troubles neurologiques ;

  • ±

    un scanner cérébral s’il est apyrétique et/ou à des troubles neurologiques ou de conscience. Il peut mettre en évidence une hémorragie méningée et sa cause (angiome ou anévrisme) ou un abcès ou un empyème cérébral.

Urgence fonctionnelle ophtalmologique

La photophobie est plus souvent révélatrice d’une urgence fonctionnelle ophtalmologique. Elle peut être monoculaire.

Lorsqu’elle est associée à une douleur oculaire avec blépharospasme et/ou larmoiement, cédant à l’instillation d’anesthésique topique, une cause cornéenne est à évoquer (fig. 5-5-39) : Il faut en premier lieu évoquer la présence d’un corps étranger ou d’une érosion épithéliale cornéenne traumatique (fig. 5-5-40) avant d’envisager une kératite ou un ulcère.

Fig. 5-5-40
Érosion cornéenne post-traumatique (a).
On observe que la prise linéaire de fluorescéine s’étend de part et d’autre du limbe (b), ce qui est un argument en faveur d’un traumatisme inavoué. La recherche d’un corps étranger sous-palpébral est impérative.

Lorsqu’elle est associée à un larmoiement clair avec ou sans blépharospasme chez le nouveau-né ou le nourrisson, elle doit faire évoquer en premier lieu un glaucome congénital, urgence chirurgicale ophtalmologique. Le diagnostic sera confirmé parfois par la mise en évidence en lampe à fente d’un œdème cornéen ou de stries de Haab, une augmentation de la longueur du globe en échographie, mais surtout par la prise de tension oculaire sous anesthésie générale.

5.5.21 PRINCIPALES INDICATIONS DES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES D’OPHTALMOPÉDIATRIE EN URGENCE

M. ROBERT

L’une des particularités des examens complémentaires en ophtalmopédiatrie est la difficulté de leur réalisation sans sédation voire anesthésie générale à certains âges (en particulier entre 14 mois et 3 ans). Au contexte stressant de l’urgence s’ajoutent le manque de compréhension, l’appréhension et le stress de l’entourage et parfois la douleur de l’enfant. Pour cette raison, lorsqu’une exploration est indiquée chez l’enfant à l’issue de l’examen initial d’urgence (tableau 5-5-6), il est habituel d’adresser ou de transférer, selon l’urgence, le jeune patient en milieu sur-spécialisé. Là, les blocs opératoires d’ophtalmologie pédiatrique sont équipés idéalement de l’ensemble du matériel nécessaire, permettant une appréciation rapide et précise non seulement des lésions anatomiques mais aussi de leurs répercussions fonctionnelles.

Tableau 5-5-6
Explorations complémentaires d'ophtalmopédiatrie en urgence et leurs principales indications
Type d'exploration pédiatrique Indication privilégiée en urgence
Champ visuel
  • Toute suspicion de lésion sur les voies visuelles

  • Altération aiguë de la fonction visuelle

Examens de la vision des couleurs Altération aiguë de la fonction visuelle
Potentiels évoqués visuels et ERG pattern Baisse d'acuité visuelle non expliquée ni par la clinique ni par l'imagerie
OCT
  • Altération aiguë de la fonction visuelle

  • Œdème papillaire

  • Rétinite

  • Uvéite postérieure

Rétinophotographie
  • Suspicion de traumatisme non accidentel (« bébé secoué »)

  • Altération aiguë de la fonction visuelle

  • Œdème papillaire

  • Rétinite

  • Uvéite postérieure

  • Tumeurs

Angiographie à la fluorescéine Ischémie rétinienne de cause connue (rétinopathie du prématuré, drépanocytose, incontinentia pigmenti, etc.)
Angiographies à la fluorescéine et au vert d'indocyanine
  • Rétinite

  • Uvéite postérieure

Tonométrie à rebond; tonométrie par aplanation (type Perkins) Suspicion de glaucome congénital
Échographie mode A Suspicion de glaucome congénital
Échographie mode B
  • Hémorragie intravitréenne

  • Uvéite ne permettant pas l'accès au fond d'œil

  • Rétinoblastome

  • Tumeurs

Échographie UBM
  • Opacité cornéenne ne permettant pas l'accès à l'angle iridocornéen

  • Lésion cornéenne

Scanner orbitaire
  • Traumatisme orbitaire

  • Suspicion de tumeurs de l'orbite

IRM cérébrale
  • Altération de la fonction visuelle organique sans cause oculaire

  • Atrophie optique

  • Œdème papillaire de stase

  • Nystagmus pendulaire pur et/ou de type spasmus nutans

  • Syndrome de Claude Bernard-Horner

  • Tumeurs

IRM cervicale et thoracique haute
  • Syndrome de Claude Bernard-Horner

  • Tumeurs

Imagerie abdominale Syndrome de Hutchison
Tests de vision stéréoscopique Altération unilatérale profonde de la fonction visuelle possiblement non organique
Coordimètre Fracture orbitaire avec incarcération musculaire
Enregistrements oculomoteurs Nystagmus atypique
ERG:électrorétinogramme; IRM:imagerie par résonance magnétique; OCT: optical coherence tomography ; UBM: ultrasound biomicroscopy.