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Les nouvelles recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) sur l’embolie pulmonaire - 03/09/15

Doi : 10.1016/j.jmv.2015.07.021 
N. Meneveau
 Pôle cœur-poumon, CHU Jean-Minjoz, 25000 Besançon, France 

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Résumé

Les nouvelles recommandations de la Société européenne de cardiologie sur la prise en charge de l’embolie pulmonaire (EP), présentées cette année au congrès de l’ESC font état d’un certain nombre d’avancées. Si la stratégie diagnostique est peu modifiée, des changements sont apparus dans la stratification du risque et la prise en charge thérapeutique à la lumière des résultats de l’étude PEITHO et des études pivots conduites avec les anticoagulants directs.

Éléments diagnostiques

Les signes cliniques et la symptomatologie fonctionnelle de l’EP étant peu sensibles et peu spécifiques, il convient de prendre en compte la probabilité clinique pré-test qui correspond à la prévalence observée d’EP en cas de suspicion de ce diagnostic. Cette évaluation a priori de la probabilité clinique reste un prérequis indispensable à la stratégie diagnostique et peut être empirique ou faire appel aux règles de prédiction bien définies de Wells ou de Genève. Le recours aux scores simplifiés de Wells et de Genève, validés par ces nouvelles recommandations, devrait faciliter leur adoption en pratique clinique courante. La valeur prédictive négative élevée des D-dimères justifie leur dosage systématique en cas de probabilité clinique faible ou modérée. Dans cette situation, un dosage négatif permet d’exclure le diagnostic d’EP chez 30 % des patients aux urgences. La valeur seuil des D-dimères peut être à présent ajustée sur l’âge des patients selon la formule (âge×10), pour les patients âgés de plus de 50ans. Cet ajustement permet d’augmenter la spécificité des D-dimères, et d’exclure le diagnostic d’embolie pulmonaire chez 30 % des patients âgés de plus de 75ans (contre 6,4 % avec la valeur seuil standard de 500μg/L). La place prépondérante de l’angioscanner constitue l’évolution marquante de la démarche diagnostique de ces recommandations. Un scanner normal permet d’exclure le diagnostic d’embolie chez les patients avec probabilité clinique faible ou modérée et D-dimères élevés (grade IA). Chez les patients avec probabilité clinique élevée, l’angioscanner est l’examen de première intention pour affirmer le diagnostic d’embolie pulmonaire (les D-dimères ne doivent pas être dosés dans ce contexte) (grade IB). Le recours à l’IRM n’est pas justifié en raison d’une sensibilité médiocre, d’un taux élevé d’examens non concluants et de sa faible disponibilité dans le cadre de l’urgence (grade IIIA). La scintigraphie pulmonaire permet d’affirmer (examen de haute probabilité) (grade IIa B) ou d’infirmer le diagnostic (examen normal) (grade IA) dans un cas sur deux. Le taux élevé d’examens non diagnostiques de probabilité intermédiaire reste problématique. En pareille situation, l’absence de thrombose veineuse à l’écho-Doppler associée à une probabilité clinique pré-test faible ou improbable permet sans doute d’écarter le diagnostic d’EP (grade IIa B). La scintigraphie est préférentiellement utilisée chez les patients ambulatoires, avec probabilité clinique faible et radiographie pulmonaire normale (sujet jeune). La grossesse, un contexte allergique, une insuffisance rénale sévère ou un myélome sont autant de situations dans lesquelles elle peut être envisagée comme un examen de 1re intention. Enfin, l’écho-Doppler veineux des membres inférieurs qui a une bonne sensibilité et une bonne spécificité permet de mettre en évidence une thrombose veineuse profonde dans 70 % des cas d’EP documentée, et ainsi de s’affranchir d’un examen irradiant. L’échocardiographie trans-thoracique ne fait pas partie du bilan diagnostique des patients avec EP « non à haut-risque », c’est-à-dire en l’absence d’instabilité hémodynamique. À l’inverse, l’absence de signes de dysfonction ventriculaire droite permet d’exclure le diagnostic d’EP chez les patients en état de choc, alors que la présence d’une surcharge ventriculaire droite aiguë ou d’un thrombus intra-cardiaque peuvent justifier l’instauration d’un traitement de reperfusion en urgence dans ce contexte.

Stratégies diagnostiques

La stratégie diagnostique diffère en fonction de la présence ou non de signes de choc ou d’une hypotension systémique. La présence d’une instabilité hémodynamique qui définit les EP « à haut risque » peut être un obstacle à la réalisation d’un angioscanner et justifier la réalisation d’une échographie trans-thoracique au lit du patient à la recherche d’une dysfonction ventriculaire droite ou d’une hypertension artérielle pulmonaire aiguë (grade IC). Une échographie œsophagienne ou un écho-Doppler veineux des membres inférieurs peuvent également être utiles pour étayer le diagnostic d’EP et permettre au besoin d’instaurer sans délai un traitement de reperfusion (grade IIb C). Dans la mesure du possible, il est toutefois souhaitable de réaliser un angioscanner de confirmation après stabilisation du patient. En l’absence d’instabilité hémodynamique, la stratégie diagnostique est basée sur l’angioscanner pulmonaire. L’évaluation de la probabilité clinique combinée au dosage des D-dimères constitue la première étape de cette stratégie, permettant d’écarter le diagnostic d’EP chez 30 % des patients (grade IA). Le dosage des D-dimères ne doit toutefois pas être réalisé en cas de probabilité clinique élevée, en raison d’une faible valeur prédictive négative dans ce contexte (grade IIIB). L’angioscanner est donc réalisé en deuxième intention chez les patients ayant un taux de D-dimères élevés et en première intention chez ceux ayant une probabilité clinique élevée.

Évaluation pronostique et stratification du risque

Outre l’instabilité hémodynamique, un certain nombre de paramètres cliniques sont associés à un risque accru d’évolution défavorable. Le score Pulmonary Embolism Severity Index (PESI) et sa version simplifiée (sPESI) permettent d’identifier avec au moins autant d’exactitude les patients à bas risque que la combinaison de paramètres échographiques et biologiques. Pour les patients stables sur le plan hémodynamique (patients « non à haut risque »), on distingue les embolies à risque intermédiaire (PESI ≥ III ou sPESI ≥ 1), des embolies à bas risque (PESI ≤ II ou sPESI=0) (grade IIa B). Approximativement un tiers des patients avec EP ont un score PESI ≤ II ou un score sPESI de 0 qui les identifient comme étant à bas risque. À l’inverse, la mortalité à 1 mois est de 24,5 % chez les patients ayant un score PESI ≥ III, et de 11 % chez ceux ayant un score sPESI ≥ 1, définissant le groupe des patients à risque intermédiaire. Le dosage des biomarqueurs (troponine, BNP, NT-proBNP) ou l’évaluation de la dilatation ventriculaire droite (par échocardiographie ou scanner), ne se justifient que pour les embolies à risque intermédiaire (grade IIa B). On distingue ainsi les embolies à risque intermédiaire élevées définies par l’association d’une dysfonction ventriculaire droite et d’une élévation de la troponine, des embolies à risque intermédiaire bas définies par la présence de l’un ou l’autre de ces critères.

Traitement de la phase aiguë

– L’anticoagulation : à la phase aiguë de l’EP, elle a pour objectifs de prévenir le décès et la survenue d’une récidive d’évènement thrombo-embolique veineux. L’initiation immédiate d’un traitement anticoagulant est recommandée dans les embolies à haut risque ou à risque intermédiaire en attendant la confirmation du diagnostic (grade IA). Le traitement conventionnel initial consiste à administrer une anticoagulation parentérale par héparines de bas poids moléculaire ou fondaparinux pendant au moins 5jours. L’héparine non fractionnée est justifiée en cas d’insuffisance rénale sévère. Cette anticoagulation parentérale se superpose à l’instauration d’un traitement par antivitamine K, dabigatran ou édoxaban. Si le choix d’un anticoagulant direct se porte sur le rivaroxaban ou l’apixaban, l’association initiale à un traitement parentéral n’est pas nécessaire ou limitée à 24–48h. Il convient alors de majorer la posologie du rivaroxaban pendant les 3 premières semaines et celle de l’apixaban pendant les 7 premiers jours de traitement. La nouveauté la plus marquante de ces recommandations sur le plan thérapeutique est sans nul doute l’avènement des anticoagulants oraux directs comme une alternative aux antivitamines K dans le traitement de l’EP. Les molécules actuellement disponibles évaluées dans 4 études pivot (RECOVER I et II pour le dabigatran, EINSTEIN PE pour le rivaroxaban, AMPLIFY pour l’apixaban et HOKUSAÏ pour l’edoxaban), se sont montrées aussi efficaces que l’association HBPM-antivitamines K avec un risque d’hémorragies majeures réduit. Elles font ainsi l’objet d’une recommandation de grade IB ;

– la reperfusion : le traitement thrombolytique est l’option à privilégier dans le cadre des EP à haut risque (grade IB), en association à l’héparine non fractionnée (grade IC), la plupart des contre-indications étant relatives dans ce contexte. L’efficacité de la fibrinolyse est maximale lorsqu’elle est instaurée dans les 48heures du début des symptômes, mais elle peut être efficace jusqu’à 2 semaines après leur apparition. Les embolies à risque intermédiaire élevé ne justifient pas d’un traitement thrombolytique en routine (grade IIIB). Dans l’étude PEITHO, l’administration de tenecteplase était associée à une réduction de 56 % du critère combiné décès ou détérioration hémodynamique à 7jours. Ce bénéfice était toutefois grevé par une majoration significative du risque d’hémorragies sévères et du risque d’hémorragies cérébrales. Une surveillance continue « armée » de ces patients est recommandée (grade IB) afin de permettre une stratégie de reperfusion en cas de dégradation hémodynamique (grade IIa B). Les EP à risque intermédiaire bas ne justifient que d’un traitement anticoagulant. Parallèlement, les indications d’embolectomie chirurgicale ou de thrombectomie percutanée se limitent aux contre-indications ou aux échecs de la thrombolyse. Elles se conçoivent dans un environnement approprié, doivent faire l’objet d’une décision pluridisciplinaire et être réalisées par des équipes expérimentées ;

– le traitement ambulatoire de l’EP : enfin, les patients avec EP à bas risque, identifiés par un score PESI ≤ II ou un score sPESI de 0, pourraient faire l’objet d’une sortie précoce voire d’un traitement ambulatoire, après s’être assuré de la compréhension et de la compliance du patient vis-à-vis des contraintes inhérentes au traitement (grade IIa B) et à condition qu’un parcours de soin ait été préalablement défini.

Durée de l’anticoagulation

Les recommandations concernant la durée du traitement anticoagulant oral n’ont pas évolué. L’objectif de ce traitement est de prévenir les récidives d’évènements thrombo-emboliques. Les antivitamines K sont privilégiés dans la majorité des cas, à l’exception des contextes néoplasiques qui justifient le recours aux HBPM. La durée du traitement doit être de 3 mois en présence d’un facteur de risque réversible (chirurgie, traumatisme, immobilisation, grossesse, contraception…) (grade IB) et être supérieure à 3 mois en cas d’EP idiopathique (en règle générale de 6 à 12 mois) (grade IA). Le maintien d’un traitement au long cours doit systématiquement être envisagé dans ce cadre, si le risque hémorragique est faible et que cette option recueille l’assentiment du patient (grade IIa B). Un traitement à vie est recommandé en cas de récidives d’évènements thrombo-emboliques idiopathiques (grade IB). L’aspirine peut être une alternative au traitement anticoagulant au long cours chez les patients intolérant à ce traitement (grade IIb B). Les nouveaux anticoagulants oraux directs ont été évalués dans le cadre d’une extension du traitement anticoagulant, au-delà de 6 à 12 mois, avec des résultats encourageants, justifiant qu’ils puissent être une alternative aux antivitamines K (grade IIa B).

Situations spécifiques

– Cœur pulmonaire chronique post-embolique : l’incidence de survenue d’un cœur pulmonaire chronique (CPC) post-embolique varie selon les études entre 0,1 et 9,1 % au cours des 2 années qui suivent l’épisode embolique. Un screening systématique à la recherche d’un CPC n’est pas justifié dans ce contexte (grade IIIC). La prise en charge thérapeutique doit être faite par une équipe pluridisciplinaire expérimentée. Elle repose idéalement sur l’endartérectomie chirurgicale qui améliore symptômes et hémodynamique lorsqu’elle est réalisable (grade IC). Le recours au Riociguat (stimulateur de la guanylate cyclase) est recommandé en cas d’hypertension artérielle pulmonaire résiduelle après endartérectomie ou chez les patients inopérables (grade IB) ;

– grossesse : le risque d’EP est majoré au cours de la grossesse et plus encore en post-partum, particulièrement après une césarienne. Un diagnostic de certitude est requis qui fait appel aux stratégies diagnostiques validées en dehors de la grossesse. La valeur seuil acceptée pour le fœtus est de 50mSv (50 000μGy) et autorise en effet n’importe quel examen radiologique. La scintigraphie doit toutefois être privilégiée compte tenu de la majoration du risque de cancer du sein avec l’angioscanner. Les D-dimères, bien qu’augmentés de façon physiologique pendant la grossesse, permettent d’écarter le diagnostic d’EP dans 55 % des cas de suspicion et ont une place dans la stratégie diagnostique, au même titre qu’un écho-Doppler veineux des membres inférieurs. Le traitement anticoagulant repose sur les héparines de bas poids moléculaire plutôt que sur l’héparine non fractionnée qui justifie un monitoring. Le traitement pas HBPM doit être interrompu 12h avant la délivrance et repris 12 à 24h après. Un traitement par AVK doit être maintenu pendant au moins 6 semaines en post-partum (pour une durée totale de 3 mois au moins de traitement anticoagulant), et peut être administré en cas d’allaitement ;

– cancer : le risque d’évènement thrombo-embolique est multiplié par 4 en cas de pathologie cancéreuse évolutive, par 6 en cas de chimiothérapie associée et par 12 en cas de chirurgie carcinologique. Les D-dimères peuvent être utilisés et ont la même valeur diagnostique que chez les non-cancéreux. Le traitement repose sur l’administration d’HBPM pendant 6 mois, associé à une réduction des récidives de 50 % par rapport aux AVK. Au-delà, une anticoagulation au long cours est nécessaire (AVK ou HBPM) jusqu’à ce que la pathologie cancéreuse soit considérée comme guérie.

Qu’est ce qui a vraiment changé ?

L’ajustement des D-dimères sur l’âge et la place incontournable de l’angioscanner constituent les avancées les plus marquantes de la démarche diagnostique de ces recommandations. La stratification du risque repose aujourd’hui essentiellement sur des éléments cliniques : la présence ou non d’une instabilité hémodynamique et l’évaluation du score PESI, qui permettent de distinguer les EP à haut risque, des EP à risque intermédiaire ou à bas risque. C’est cette stratification, ajustée sur la présence ou non d’une dysfonction ventriculaire droite et d’une élévation de la troponine, qui va guider la stratégie thérapeutique. L’avènement des anticoagulants oraux directs, comme une alternative aux AVK, est sans doute l’évolution la plus marquante du traitement de l’EP, attendue depuis près de 50ans. Les EP à bas risque pourraient quant à elles faire l’objet d’une prise en charge en ambulatoire, sous réserve d’études complémentaires et à condition qu’un parcours de soin ait été préalablement défini. Le texte intégral accompagné des tableaux et figures sont accessibles sur le site de la SFMV à l’onglet recommandations rubrique MTEV « Recos EP 2014 figures et tableaux annexes communication N. Meneveau – session recos congrès 2015 ».

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Mots clés : Recommandations, Embolie pulmonaire


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