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Conclusion : la douleur rebelle de l’extrémité céphalique ? - 04/08/15

Doi : 10.1016/B978-2-294-74462-4.09985-3 
J.-M. Prades, M.-L. Navez

PLAN DU CHAPITRE
Le premier diagnostic est erroné Le premier diagnostic est erroné
Facteurs aggravants sous-estimés Facteurs aggravants sous-estimés
Le traitement médicamenteux est inadapté Le traitement médicamenteux est inadapté
Le traitement non médicamenteux est négligé Le traitement non médicamenteux est négligé
Des comorbidités sont ignorées Des comorbidités sont ignorées

Certaines douleurs de l’extrémité céphalique peuvent être de traitement difficile, notamment les douleurs chroniques et quotidiennes : les patients découragés annoncent d’emblée que «tout a été essayé, et rien ne marche!». Il est important pour le clinicien d’identifier les raisons de cet échec. Plusieurs explications peuvent être proposées : le premier diagnostic est erroné; des facteurs de sensibilisation aggravants voire iatrogènes sont sous-estimés; le traitement médicamenteux est inadapté; la prise en charge non médicamenteuse est absente; des conditions associées ou des comorbidités ont été ignorées [1].

Le premier diagnostic est erroné

Il s’agit probablement de la cause la plus fréquente d’échec thérapeutique. Une céphalée secondaire est non diagnostiquée ou une céphalée primaire sous-estimée. Plusieurs mécanismes céphalalgiques peuvent être combinés, primaires ou secondaires, et la recherche de «red flags» est primordiale par l’interrogatoire et l’examen clinique.

Une céphalée secondaire n’est pas diagnostiquée

Une céphalée de rebond, secondaire à un abus médicamenteux, est une des causes les plus fréquentes de douleur céphalique rebelle chronique dans le cadre des céphalées primaires [2].
Une céphalée d’apparition brutale suggère une hémorragie méningée, une dissection carotidienne ou un autre problème vasculaire cérébral ignoré dans un contexte de migraine habituelle; les causes vasculaires vues en urgence sont néanmoins rarement à l’origine de douleurs chroniques.
Une sinusite sphénoïdale peut être à l’origine de douleur d’apparition subaiguë ou chronique, difficile à diagnostiquer là encore dans un contexte migraineux. L’endoscopie et l’imagerie par tomodensitométrie vont faire le diagnostic [2].
Une douleur temporo-frontale après 50 ans doit faire évoquer une cause organique comme une tumeur endocrânienne ou une artérite à cellules géantes (maladie de Horton).
Une céphalée du post-partum peut correspondre à une thrombose veineuse corticale ou d’un sinus dural volontiers associée à une hypertension intracrânienne.
Une céphalée déclenchée ou aggravée par l’orthostatisme peut être en rapport avec une baisse de pression du liquide cérébrospinal : fuite spontanée ou provoquée par une précédente ponction lombaire ou bloc péridural, une chirurgie endocrânienne ou rachidienne [3].
Une céphalée déclenchée par un effort, un éternuement ou une toux suggère une malformation de la charnière occipito-vertébrale ou une élévation anormale de la pression du liquide cérébrospinal [4]. Beaucoup plus rarement, une céphalée lors d’un exercice physique peut révéler une ischémie myocardique correspondant à la «céphalalgie cardiaque» [1].
Une céphalée au réveil doit faire rechercher une apnée du sommeil, une élévation anormale de pression du liquide cérébrospinal ou une céphalée de «rebond» par abus médicamenteux d’antalgiques ou de drogues toxiques [3].
Les céphalées associées à des lésions cutanées doivent suggérer une maladie de Lyme intracrânienne, un zona, une sarcoïdose ou une vascularite «systémique» [5].
Une céphalée rebelle après des soins dentaires ou une infection oropharyngée fait craindre le développement d’un abcès intracrânien.
Une obstruction nasale et une rhinorrhée mucopurulente orientent facilement vers une pathologie sinusienne. En revanche, le carcinome du nasopharynx peut être à l’origine de céphalalgies rebelles à projection faciale de diagnostic difficile imposant une endoscopie parfois peu informative et surtout une neuro-imagerie précise [6, 7].
Un examen clinique simple peut orienter vers d’autres causes : une douleur occipitocervicale à la mobilisation ou la palpation du cou, une douleur temporomandibulaire, une douleur inframandibulaire mettant en évidence des adénopathies, une masse carotidienne sensible, un processus styloïde précisément douloureux.
Les imageries réalisées lors de ces douleurs chroniques rebelles d’origine secondaire sont souvent multiples et redondantes… Certaines régions anatomiques doivent néanmoins être analysées, notamment la charnière occipitocervicale, la selle turcique, le sinus sphénoïdal et le nasopharynx [1].
La ponction lombaire peut être parfois proposée avec mesure pressionnelle à la recherche d’une méningite chronique ou aseptique en rapport par exemple avec une maladie de Lyme séronégative ou une hypertension intracrânienne idiopathique, notamment chez le sujet obèse.

Une céphalée primaire est sous-estimée

Certaines céphalées primaires, moins communes que la migraine ou la céphalée de tension, sont de diagnostic parfois difficile. L’hemicrania continua est souvent confondue avec la migraine chronique. La douleur de l’hemicrania continua disparaît rarement, contrairement à la migraine, même chronique, et les exacerbations douloureuses s’accompagnent souvent de signes dysautonomiques comme une rougeur conjonctivale, un larmoiement ou un ptosis. Ces patients n’ont pas habituellement d’antécédent de douleur hémicrânienne pulsatile épisodique avec nausées, photophobie ou phonophobie de la migraine classique. Un traitement d’épreuve à l’indométacine peut être proposé [8]. L’hémicrânie paroxystique est volontiers confondue avec une algie vasculaire de la face ou «cluster headache». Ces deux affections sont des céphalées hémicrâniennes trigéminales dysautonomiques. Le «cluster» touche volontiers l’homme jeune, dure 30 à 90 minutes, et survient une à cinq fois par jour. L’hémicrânie paroxystique touche plutôt la femme, est plus brève, de 2 à 30 minutes, et survient plus de cinq fois par jour. Une réponse rapide à l’indométacine (dose moyenne de 150mg/j) durant une quinzaine de jours pour l’hémicrânie et au sumatriptan pour l’algie vasculaire de la face confirme le diagnostic [1, 5].

La «céphalée hypnique» est une céphalée rare du sujet de plus de 60 ans avec des accès de courte durée (30 minutes), nocturnes, qui réveillent le patient («alarm clock») par des douleurs lancinantes, diffuses ou unilatérales. Cette céphalée n’a pas les caractéristiques du coup de poignard péri-orbitaire ni les signes dysautonomiques de l’algie vasculaire de la face. Elle est calmée habituellement par le carbonate de lithium sinon la mélatonine, la caféine ou le vérapamil peuvent être proposés [9].

Plusieurs types de céphalées peuvent être associés

Chez un migraineux habituel, une douleur cervicocéphalique, dentaire ou sinusienne peut déclencher des accès migraineux [1, 7] expliqués par le phénomène de «convergence» des influx nociceptifs sur le noyau trigéminé. Des accès hyperalgiques chez un migraineux habituel peuvent être en rapport avec une méningite aseptique, une hémorragie intracérébrale ou sous-arachnoïdienne, voire une tumeur cérébrale; une migraine sévère peut prédisposer à un abus médicamenteux et à des céphalées secondaires par rebond. Dans tous les cas, un patient céphalalgique habituel qui décrit une modification de ses douleurs doit bénéficier d’une nouvelle évaluation diagnostique.

En cancérologie, le problème diagnostique traditionnel est la distinction des douleurs séquellaires neuropathiques ou myofasciales et celles en rapport avec une récidive ou une poursuite évolutive progressive.

Facteurs aggravants sous-estimés

Un abus médicamenteux peut être la cause d’une céphalée secondaire dite céphalée de rebond, facteur aggravant une céphalée primaire comme la migraine. L’usage excessif, c’est-à-dire journalier, d’agents contenant de la caféine, de l’aspartam, des opioïdes, de l’ergotamine ou des triptans augmente la fréquence des céphalées et diminue l’efficacité des traitements à la fois curatifs et préventifs des crises. De même, l’abus de vitamine A et de vitamine D peut être responsable de céphalées chroniques. La prise de certains médicaments, sans abus, peut contribuer à l’installation de céphalées chroniques, comme les inhibiteurs du canal calcique, l’indométacine, la L-dopa, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les théophyllines ou les tétracyclines [10].
Des facteurs hormonaux peuvent intervenir : une baisse du taux d’œstrogènes est un facteur déclenchant classique de la migraine, notamment durant les cycles menstruels et la période pré-ménauposique. De même, une hormonothérapie contraceptive ou de substitution peut avoir des effets aggravants sur les céphalées mais avec une grande variabilité interindividuelle [1].
Des facteurs psychologiques peuvent jouer un rôle important : des céphalées chroniques journalières sont favorisées par l’anticipation anxieuse, des conditions de stress (séparation, décès, problèmes éducatifs des enfants, etc.) un état anxiodépressif mal contrôlé ou un abus d’alcool.
Des facteurs environnementaux doivent être analysés, comme l’exposition chronique au monoxyde de carbone (chauffage) ou à la nitroglycérine (fabrication de munitions).

Le traitement médicamenteux est inadapté

Le traitement médicamenteux peut être inadapté dans sa posologie, sa galénique (libération immédiate ou prolongée) et surtout son type.

La stratégie du traitement médical doit répondre au soulagement rapide de l’accès douloureux aigu comme la crise migraineuse ou un accès douloureux paroxystique en cancérologie, à la prévention à court terme d’un accès douloureux prévisible (douleur occasionnée par des soins en cancérologie), et à la prévention vraie si la douleur est quotidienne. Une pharmacothérapie inadaptée peut être en rapport avec une mauvaise analyse stratégique combinant un problème d’association médicamenteuse, de dose et/ou de durée de traitement. L’observance thérapeutique doit être également considérée.

La modification de la voie d’administration peut être envisagée : voie injectable, voie transmuqueuse nasale ou buccale, etc., dans certaines circonstances (nausées, vomissements, etc.), peuvent permettre une meilleure tolérance, efficacité et observance.

Le traitement doit toujours être adapté au type de douleur. Les douleurs neuropathiques répondent à des traitements spécifiques (carbamazépine, antidépresseurs, topiques locaux d’anesthésiques de capsaïcine).

La combinaison thérapeutique peut être une option d’efficacité supérieure; l’association triptan et anti-inflammatoire non stéroïdien offre une efficacité accrue lors d’une crise migraineuse; l’association anti-inflammatoire non stéroïdien ou corticothérapie et antalgique de palier 3 est volontiers conseillée en cancérologie. De même, un traitement antidépresseur et anxiolytique peut être associé aux antalgiques proprement dits.

En règle, un traitement préventif de la douleur doit être débuté à doses faibles et augmenté progressivement jusqu’à l’efficacité escomptée et les effets secondaires acceptables et corrigés.

Le traitement non médicamenteux est négligé

Les patients avec des céphalées ou des névralgies faciales rebelles sont parfois soulagés par un bloc nerveux (nerf occipital par exemple) ou l’injection locale de «trigger zone» utilisant une association d’anesthésique local et de corticoïde retard [11]. Une kinésithérapie peut également être une thérapeutique adjuvante efficace.

Des comorbidités sont ignorées

Un traitement antérieur, chirurgical et/ou radiothérapique, peut être à l’origine de douleurs neuropathiques ou myofasciales sous-estimées qui répondent à des traitements spécifiques.

Certaines comorbidités rendent le traitement antalgique d’une douleur chronique plus difficile, notamment le contexte anxiodépressif ou un désordre psychiatrique sévère imposant l’aide d’un psychiatre.

Enfin, une douleur rebelle dans un contexte ambulatoire peut conduire à une hospitalisation pour la mise en route de thérapeutique parentérale, d’une surveillance continue et d’une prise en charge pluridisciplinaire.

Au total, l’analyse d’une douleur dite rebelle ne doit pas conduire le clinicien à un aveu rapide d’impuissance mais demande une hiérarchie de stratégies diagnostique et thérapeutique. La majorité de ces patients difficiles ont un problème biologiquement déterminé souvent plurifactoriel à l’origine d’errements diagnostiques, de nomadisme médical, de traitement inadapté, voire de iatrogénie. Une expertise pluridisciplinaire est souvent nécessaire.



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