Avant-Propos - 23/09/11
Le professeur Tardieu a commencé à s’intéresser à l’infirmité motrice cérébrale en 1952 ou 1953. Médecin des hôpitaux, avec une consultation à l’ancien hôpital Boileau, il fut pressenti par l’Assistance publique de Paris pour ouvrir un service spécialisé destiné à assurer la prise en charge des enfants infirmes moteurs cérébraux. Un service lui fut attribué à l’hôpital Bicêtre, qui accueillait des « arriérés profonds ». Charge à lui de partager la surface du service pour y installer un service de jour, consultations et rééducation pour infirmes moteurs cérébraux. Sa première tâche fut d’aller chercher ailleurs, notamment auprès de Phelps et Perstein, les informations qui lui manquaient, mais qu’il sut juger immédiatement avec beaucoup d’esprit critique.
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans un petit groupe de neurologues, dirigé par le professeur Hagueneau, lorsque j’étais interne dans le service du professeur Grossiord. J’ai tout de suite perçu l’intérêt, dans une formation spécialisée en neuropsychiatrie infantile, qu’il y aurait pour moi à passer un semestre d’internat « chez Tardieu », et j’ai débuté ce semestre en mai 1956. Ce fut l’accrochage immédiat, et monsieur Tardieu me proposa très vite de faire carrière avec lui, ce que j’acceptais immédiatement.
Pourquoi un tel accord, si fort et si rapide ? Lors des funérailles du professeur Tardieu, j’ai répondu en citant Montaigne : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Il y a sûrement du vrai dans cette vague déclaration, mais il n’y avait pas que cela. Plus profondément, nous avons été réunis par notre désir commun d’aller au fond des choses, « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie qu’on ne la connusse évidemment comme telle ». C’est ainsi que peu après mon arrivée dans le service, nous sommes allés ensemble rendre visite au professeur Mincowsky pour savoir ce qu’il y avait d’important dans le concept de maturation par myélinisation, et découvrir qu’il n’y avait rien.
Si j’ai été orienté vers l’étude de l’adaptation en longueur des fibres musculaires, c’est parce que monsieur Tardieu avait demandé depuis longtemps aux chirurgiens d’apprécier les raideurs sous anesthésie générale, et fait pratiquer des biopsies musculaires qui révélaient un tissu normal.
Mais plus encore, nous nous sommes rencontrés sur le plan de la psychologie. Débutant mon internat et pour la raison exposée plus haut, je n’ai jamais pensé qu’il était possible de dissocier la neurologie, la psychiatrie et la psychologie. De ce fait, comme c’était également le point de vue de monsieur Tardieu, j’ai pu apporter un point original qui était celui de l’analyse factorielle, largement utilisée en psychologie, bien avant son application dans l’IMC. Cattell avait montré l’inanité d’une description des variances de personnalité par type, et qu’il fallait la remplacer par l’isolement de différentes dimensions auxquelles confronter un individu pour l’évaluer. Monsieur Tardieu ne connaissait pas le mot, mais il pratiquait depuis longtemps la chose, refusant toute classification clinique globale, et isolant à la place des dimensions d’évaluation comme notamment la spasticité, les raideurs passives, l’athétose, l’astéréognosie, et les différentes dimensions du langage et de l’intelligence, indispensables pour caractériser correctement chaque enfant IMC particulier.
Il avait découvert bien avant notre rencontre la méthode des tests, et l’avait largement étendue au travers de la notion d’âge fonctionnel, indispensable pour un diagnostic, un pronostic et un suivi de la prise en charge rééducative.
Il avait observé que l’incapacité motrice de parler ne perturbait en rien la compréhension du langage et son évolution sur le plan phonétique et linguistique, ce que beaucoup d’orthophonistes de l’époque n’acceptaient pas.
C’est ensemble que nous avons montré que les capacités stéréognosiques d’espace relevaient de façon dissociée des capacités proprioceptives de la main et du développement de la géométrie spontanée.
C’est encore une réflexion commune qui m’a conduit à analyser l’origine visuelle des difficultés de motricité fine.
Monsieur Tardieu nous a été enlevé par une imprudence stupide, alors qu’en retraite, il continuait à travailler pour l’IMC.
Danielle Trucelli a voulu, et je l’en félicite, dresser un bilan de la prise en charge des IMC aujourd’hui, derrière lequel se projette, pour ceux qui l’ont connu, l’ombre de monsieur Tardieu. Mais que reste-t-il d’une œuvre de trente ans ?
Tout pour ceux de ses élèves qui avaient appris auprès de lui, un esprit ouvert sur toutes choses.
Rien, pour tous ceux, malheureusement beaucoup plus nombreux, qui recherchent simplement les recettes faciles et payantes, sans se soucier de savoir d’où sont venues ces recettes. Je laisse au lecteur, après avoir analyser ce beau livre, le soin d’estimer dans laquelle de ces deux catégories il devra se placer.
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