Avant-propos - 28/06/11
«Rendre la lumière suppose d’ombre une morne moitié.»
Paul Valéry
L’expert, instruit par l’expérience, est une personne que l’on charge de donner son avis sur un point contesté et qui concerne l’art qu’elle connaît.
Dans la France des temps modernes, une lettre patente du 14 mars 1601, puis un édit de janvier 1606 que l’on doit à Henri IV instituent pour la première fois des experts judiciaires en discipline chirurgicale «pour assister aux visites et rapports qui se feraient par ordonnance de justice et autrement». Deux ordonnances de Louis XIV mettent fin à la prééminence des juridictions corporatives : en avril 1667 en matière civile et en août 1670 en matière pénale. Un édit de février 1692 crée les offices de «Médecins et chirurgiens jurés». Leur pouvoir fut codifié pour la première fois en 1699 : «Ad quaestionem facti respondent juratores, ad quaestionem juris respondent judices» (Ph. Bornier, Conférences des Nouvelles Ordonnances de Louis XIV, MDCXCIX Paris, tome Ier, art. XVI, tit. XXI, p.169). La procédure de désignation des experts est alors assez proche de la «Common law» actuelle. Au décours de la Révolution, la procédure française flotte un temps entre l’accusatoire anglo-saxon et l’inquisitoire de la «Continental Law» qui prend le pas. La forme procédurale actuelle de l’expertise judiciaire a été fixée par la loi du 29 juin 1971 modifiée par la loi du 11 février 2004 et par le décret du 23 décembre 2004. Elle est codifiée dans le CPC. L’ensemble de ces textes constitue ce que d’aucuns auraient tendance à appeler le «statut» de l’expert de justice.
Toutes les qualités exigées de l’expert sont résumées dans cet ensemble de textes : compétence théorique et pratique, objectivité, impartialité, indépendance, disponibilité. Auxiliaire du magistrat qui le désigne, l’expert participe aux activités juridictionnelles durant le temps de sa mission. À ce titre, il est soumis à quelques grands principes procéduraux dont l’obligation de réserve, équivalent au civil du secret de l’instruction pénale, et le respect du caractère contradictoire des opérations. Ce dernier principe, intangible, a été brutalement rappelé à l’État français et aux experts par l’arrêt Mantovanelli, Cour européenne des droits de l’Homme, du 18 mars 1997. Cette exigence de la procédure est un élément de convergence entre la «Common law» et la «Continental law». C’est un des éléments d’ouverture sur un espace expertal européen en attendant la création à plus long terme d’un espace judiciaire européen.
L’expertise en règlement des conflits s’ouvre au contentieux extrajudiciaire et aux modes alternatifs de règlement des conflits sous réserve d’une déontologie aussi exigeante que celle des experts judiciaires. La France, dans ce domaine, reste timide. Le juge ne peut donner au technicien mission de concilier les parties. Pourtant la loi du 8 février 1995 a bien assoupli certaines dispositions de procédure civile. Son décret d’application du 22 juillet 1996 ne précise toutefois pas si le médiateur institué est juriste ou expert. Les conditions de son intervention paraissent voisines de celles de l’expert. Dans le domaine particulier des procédures d’indemnisation des victimes d’accident de la circulation terrestre, la loi du 5 juillet 1985 a profondément modifié le cours des règlements. À peine 5 % des litiges atteignent le stade du contentieux judiciaire. Il pourrait en être de même dans l’indemnisation des préjudices liés à l’aléa médical, mais le problème de la responsabilité médicale reste plus complexe. La loi du 4 mars 2002 et plus particulièrement son titre IV, complétée par la loi du 30 décembre 2002, a profondément bouleversé le paysage des contentieux médicaux. Elle a atteint son but : l’indemnisation des préjudices les plus graves lorsque le dommage est la conséquence d’un aléa médical.
Toutes ces évolutions justifiaient déjà en 1998 un nouvel ouvrage sur l’expertise en discipline médicale, domaine où, durant les dernières années, tant de compétences s’étaient exercées. Nous écrivions à cette date : «Les lecteurs en jugeront. Ce sera l’heure de vérité des auteurs.» Le succès de la première édition a incité notre éditeur à une deuxième édition corrigée, revue et augmentée au gré de l’évolution du droit médical et de la réglementation intervenue de 1998 à fin 2004.
Il semble, à écouter ce qui en est dit, que l’un des intérêts de ce livre soit la richesse de la documentation à laquelle les auteurs se sont attachés. Aussi, dans une matière encore en constant renouvellement, suivant en cela le rythme des nouveautés en médecine, n’est-on pas étonné que de 2005 à 2009 la nécessité d’une troisième édition se soit imposée aussi bien à l’éditeur qu’aux auteurs. Tous ont revu leur copie pour mettre à jour les chapitres qu’ils avaient pris en charge.
Nous nous sommes tous efforcés, tant dans les éditions précédentes que dans cette importante remise à jour, de traiter de façon la plus impartiale possible le concept de responsabilité médicale. Il est souhaitable, pour que le tableau des relations entre soignants et soignés n’apparaisse pas exagérément noir, de rappeler quelques chiffres concernant l’activité médicale et le contentieux en responsabilité médicale en France. Il y a chaque année :
• | 400 millions d’actes médicaux pratiqués; | ||||||
• | 13 à 14 millions de malades hospitalisés dans les établissements de soins; | ||||||
• | 20 000 déclarations «d’insatisfaction» auprès des assureurs :
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Il y a encore une grande majorité de malades satisfaits qui doivent leur retour à la santé, voire leur survie, aux soins reçus, en dépit des contraintes budgétaires qui pèsent sur les dépenses de santé en milieu hospitalier. Merci à l’ensemble du corps des soignants dont nous serons tous un jour les clients.
La vindicte contre la médecine et les médecins à laquelle nous assistons depuis quelques années traduit la déception des malades qui, instruits des prouesses de la chirurgie et du merveilleux de la biologie médicale, n’acceptent plus l’imperfection ou l’échec. L’humanisme médical a fait place au consumérisme de la société. La médecine est réputée totipotente. Le médecin qui échoue ne peut qu’être coupable.
C’est là qu’intervient l’expert médecin avec toutes les qualités exigées de lui. Il lui faudra, avec tact et souvent beaucoup d’humilité, faire comprendre au demandeur que l’utopique droit à la santé n’est qu’un prosaïque droit à des soins de qualité, et au défendeur qu’il doit ces soins de qualité même si, face à une véritable demande d’immortalité, il ne peut apporter que le meilleur de nos connaissances au moment des faits. Faute de cette éthique, l’expert lui-même sera l’objet de l’incompréhension des deux parties.
C’est l’un des buts de cet ouvrage que de tenter de remettre à leur juste place la responsabilité médicale et son évaluation par l’expert, auxiliaire indispensable du juge, en dépit des dérives dont notre société fait trop souvent preuve.
Ce livre est né, à l’origine, de la volonté de l’un de nous de rassembler, sur le thème de l’expertise en orthopédie et traumatologie, un groupe de juristes et de médecins qui tous y ont acquis des savoirs particuliers. Le moment était venu de ne pas laisser se perdre leur expérience.
Très vite, la matière a pris du volume. De simple rédacteur de quelques chapitres spécifiques, un deuxième coauteur s’est vu solliciter pour étoffer le thème de la responsabilité médicale. Rien n’est exhaustif dans cette somme, mais, actualité et évolution de la Société aidant, mises au point et réflexions générales ont trouvé leur place. Compassionnelle puis humaniste, la médecine est atteinte par le consumérisme. Cette réalité de fait, l’expert ne peut que la constater. Ses états d’âme transparaîtront. Un dialogue était devenu nécessaire entre juristes et médecins. Patients potentiels et justiciables en sursis se sont parlés. Cela aussi il fallait l’écrire.
Comment faire l’assemblage de tous les thèmes évoqués? Le lecteur s’y perdrait s’il n’y avait, dans le courant de la pensée, un fil conducteur et un souci de synthèse sous-tendu par une déjà longue pratique de l’expertise judiciaire en discipline médicale. L’ouvrage est divisé en trois grandes parties conservées dans cette troisième édition corrigée, mise à jour et augmentée :
1. | les bases juridiques et l’organisation générale de l’expertise médicale permettent d’exposer quelques grands principes généraux de droit, de rappeler qu’ils sont appliqués à et par des médecins, que l’activité expertale s’est fortement structurée depuis l’édit du bon Roi Henri IV; ainsi sont successivement traités :
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2. | la responsabilité médicale a pris bien du corps depuis qu’un certain arrêt du 18 juin 1835 a fait disparaître la quasi-immunité juridique du médecin. Mais pouvait-on, auparavant, lui reprocher ses insuccès? La jurisprudence, longtemps seule base du droit médical, a bien évolué depuis. Elle est doublée et étayée dans bien des domaines par une réglementation de plus en plus contraignante. Les médecins, de plus en plus efficaces au prix d’une agressivité croissante, se voient reprocher les défauts de leurs résultats; il fallait :
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3. | l’objet de leurs soins, l’Homme, est en soi matière périssable et à tout le moins fragile. Est-il l’objet d’une agression, ildemande réparation de ses préjudices, ceux du corps et ceux de l’âme. Les sévices nosocomiaux comme ceux de l’accidentologie ont depuis longtemps alerté les juristes, les magistrats et les assureurs. Là encore le rôle de l’expert-médecin, technicien du corps humain, est indispensable à un juste règlement des conflits, que la procédure soit juridictionnelle ou non. C’est ce domaine devenu très complexe qui est abordé dans la dernière partie du travail; la réparation des préjudices liés à un dommage corporel passe par deux phases :
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Cet ouvrage doit beaucoup à monsieur le Président Pierre Sargos qui nous a tant instruits sur la jurisprudence, son interprétation et sa portée dans le milieu très fermé de la médecine que nous nous sommes efforcés de lui faire connaître. Il a accepté de préfacer à nouveau cette troisième édition profondément remaniée. Nous l’en remercions en toute reconnaissance et amitié.
Nous tenons à remercier également tous nos coauteurs pour l’aide compétente qu’ils ont accepté de nous apporter dans les domaines les plus divers. Cette mise à jour fut pour beaucoup une lourde tâche.
Nos remerciements vont à toute l’équipe des éditions Elsevier-Masson qui a sollicité cette troisième édition et l’a menée à bien, et tout particulièrement à Madame Harbulot-Blondeau et Madame Agnès Aubert, nos éditrices fidèles et attentives, qui nous ont suivis, ainsi que Monsieur Tarik Oulehri directeur éditorial, dans toutes nos suggestions et exigences d’auteurs.
Enfin, je tiens à exprimer à Madame Claude Sambourg Hureau, mon épouse, toute l’admiration que j’ai pour l’aide constante qu’elle m’a apportée depuis si longtemps et sans laquelle aucun de mes travaux n’aurait pu être mené à bien, en particulier cette troisième édition d’un si gros ouvrage dont elle a assuré, comme à l’habitude, outre le secrétariat, le contrôle de la syntaxe et de la forme grammaticale.
Présomption ou conscience de la nécessaire humilité de notre rôle, ne s’agissait-il pas de faire laisser par chacun le témoignage de son expérience de juriste ou de médecin? Nous souhaitons que ce livre trouve un auditoire attentif auprès de tous ceux qui, acteurs, témoins ou spectateurs du drame des conflits, n’y voient pas seulement un «jeu de rôles» mais des réponses concrètes ou plus philosophiques aux questions qu’ils se posent. Les sujets ne sont pas pour autant épuisés.
André Chamson n’écrit-il pas, dans un essai intitulé Devenir ce qu’on est, à propos du destin des œuvres dans le monde : «Le meilleur? C’est ce que chacun de nous peut donner et qui ne peut être donné par un autre.»
En bon protestant cévenol, André Chamson, fin connaisseur des écritures, ne traduit-il pas là, consciemment ou non, l’Apocalyspe de Jean (14 -13) : «Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Oui, dit l’Esprit, que dès à présent ils se reposent de leurs travaux car leurs œuvres les suivent». Johannes Brahms en a fait le 7e et dernier verset de son magnifique requiem.
– mars 2009
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