Les notions théoriques de schème, de schéma conceptuel et de chaîne opératoire sont au fondement de l’analyse des productions matérielles des sociétés préhistoriques. Largement utilisées afin de mettre en évidence les intentions techniques intervenues dans les processus de fabrication des outils, ces notions conduisent à discuter l’Étant de la Technique par l’analyse du comportement technique qui apparaît à travers la manufacture et l’utilisation d’outils. L’article explore ces notions, employées en Préhistoire, dans leur complémentarité fondamentale, tout en rendant compte des différents niveaux d’analyse impliqués. Déclinées à partir de deux cas d’étude attribués à une phase récente de la préhistoire européenne (VIIIe-VIe millénaires calBC), ces notions sont appliquées à des séries d’outils en os issues du site de Skipshelleren (Norvège) et des dragages de la Rivière Bann (Irlande). D’après l’analyse de ces outils de même utilité – c’est à dire pour l’acquisition de la ressource halieutique, le matériau utilisé – généralement des os longs et plats de grands mammifères – offre et, dans le même temps, conditionne les possibilités techniques régissant la confection et l’utilisation de ces équipements. À contraintes techniques comparables, l’étude des récurrences techniques et morphologiques indique la manière dont les artisans préhistoriques ont tiré parti de la configuration anatomique de ces matériaux et révèle des stratégies productionnelles et fonctionnelles distinctes, qui répondent à des objectifs précis. Afin de cerner l’intention technique au fondement de ces stratégies, les notions théoriques de schème, schéma conceptuel et chaîne opératoire sont appliquées comme de puissants outils conceptuels. Les inférences obtenues par leur application croisée permettent de discuter, en partant du matériel archéologique, de la manière dont les contraintes matérielles et les traditions techniques s’entrecroisent et structurent la Technique qui, sur le temps long, suit les trajectoires propres dans des milieux spécifiques. L’article témoigne ainsi de la manière dont il est possible, à partir de l’observation des manifestations techniques – chaîne opératoire –, de comprendre l’organisation de la pratique technique – schéma conceptuel –, et réfléchir aux logiques techniques sous-jacentes – schèmes –, que l’on interprète à la lumière des contraintes matérielles.

The theoretical notions of scheme, conceptual schema and chaîne opératoire are at the foundation of the technical analysis of prehistoric material productions. Widely used to highlight technical intentions involved in the tool manufacturing processes, these notions lead to discussing the Being of Technology through the technical behaviour analysis, which appears through the manufacture and use of tools. The article explores these notions, used in Prehistory, in their fundamental complementarity, while taking into account the different levels of analysis involved. Based on two case studies attributed to recent phases of European prehistory (8th-6th millennia calBC), these notions are applied to two bone tools assemblages, one from the site of Skipshelleren (Norway) and the other one from dredging of the River Bann (Ireland). According to the analysis of these tools of the same utility – i.e. the acquisition of the fishery resource –, the raw material used – generally long and flat bones of large mammals – offered and, at the same time, conditioned the technical possibilities governing the making and use of this equipment. With comparable technical constraints, the study of technical and morphological recurrences indicates the way in which prehistoric artisans took advantage of the anatomical configuration of these raw materials and these results reveal distinct production and functional strategies, which meet specific objectives. In order to identify the technical intention underlying these strategies, the theoretical notions of schemes, schema and chaîne opératoire are applied as powerful conceptual tools. Starting from archaeological material, the inferences obtained by their cross-application make it possible to discuss the way in which material constraints and technical traditions intersect and structure the Technique which, over the long term, follows its own trajectories in specific environments. The article thus demonstrates the way in which we can, from the observation of technical manifestations – chaîne opératoire – understand the organization of technical practice – conceptual schema – and reflect on the underlying technical logic – schemes –, which are interpreted in the light of material constraints.