Os de verre, foie multinodulaire, ascite réfractaire : la clé du diagnostic était vasculaire… et moléculaire - 08/06/24
Résumé |
Introduction |
En médecine interne, les enquêtes diagnostiques complexes nécessitent souvent une collaboration interdisciplinaire, au niveau local et parfois national. Nous présentons le cas d’une patiente chez qui a été posé le diagnostic d’une forme multiviscérale exceptionnelle de tumeur vasculaire épithélioïde par réarrangement ESWR1::NFACT2. La confrontation anatomoclinique et le recours à une expertise moléculaire ont été les deux éléments clés d’un processus diagnostic intensément collaboratif.
Observation |
Une patiente de 39ans, asthmatique traitée et tabagique sevrée, s’était vu découvrir en 2020 à l’occasion d’une cholécystectomie de multiples lésions ostéocondensantes et ostéolytiques du squelette axial et périphérique proximal, de multiples nodules hépatiques d’allure vasculaire, ainsi qu’une atteinte péritonéale. Les prélèvements opératoires n’avaient pas apporté de diagnostic. La patiente, asymptomatique, fut perdue de vue. À l’été 2022, la patiente développait une ascite récidivante exsudative nécessitant des ponctions évacuatrices itératives. L’état général était conservé et la biologie usuelle normale, sans dysfonction hépatique ni hypoalbuminémie. L’imagerie (TDM, IRM, TEP) objectivait les mêmes lésions nodulaires sus-décrites, peu hypermétaboliques et peu évolutives en nombre et en taille, sans orientation étiologique. La biopsie hépatique trans-jugulaire révélait un foie d’architecture normale, sans néoplasie ni granulome, mais avec un aspect de dilatation sinusoïdale centro-lobulaire. Le cathétérisme hépatique objectivait une hypertension portale. Après discussion pluridisciplinaire, il a été conclu à une hypertension portale non cirrhotique avec un bloc sus-hépatique en lien avec un pseudo Budd-Chiari sur compression extrinsèque des veines sus-hépatiques (nodules hépatiques et engainement par le péritoine). L’ensemble des explorations et prélèvements à visée infectieuse et immuno-hématologique était négatif. En cœlioscopie le péritoine était d’aspect inflammatoire et multinodulaire. Les biopsies décrivaient des plages de remaniements fibreux peu inflammatoires et associés à une hyperplasie capillaire étiquetée réactionnelle. Une relecture nationale arrivait à la même conclusion. Pourtant, la présentation clinique, radiologique et la macroscopie cœlioscopique suggéraient un processus multiviscéral primitivement vasculaire. Plusieurs biopsies osseuses sous contrôle TDM étaient non contributives (artéfacts d’écrasement). Finalement une simple biopsie ostéo-médullaire à l’aveugle en iliaque postéro-supérieur révélait des lésions vasculaires atypiques avec réaction ossifiante périphérique. Le dossier était de nouveau discuté en RCP nationale (tumeur osseuse rare). Les anomalies histologiques osseuses étaient compatibles avec un angiosarcome mais l’évolution clinicoradiologique de la patiente était discordante. Une étude moléculaire de la biopsie péritonéale était préconisée (Centre Léon-Bernard, Lyon). Celle-ci permis de mettre évidence un réarrangement EWSR1::NFATC2 responsable d’une forme exceptionnelle de tumeur vasculaire épithélioïde.
Discussion |
Cette patiente présentait une atteinte hépatique, péritonéale et osseuse indolente étendue et qui restait non étiquetée malgré de multiples explorations, en particulier, histologiques. Les discussions anatomoclinique avec hépatologues, radiologues et anatomopathologiste, ainsi que l’acharnement biopsique aboutirent finalement à orienter l’enquête vers une prolifération vasculaire. Le recours au réseau national et à un laboratoire de biologie moléculaire spécialisé permis finalement de confirmer cette hypothèse par la mise en évidence d’une anomalie moléculaire rare. Les tumeurs présentant des fusions de gènes EWSR1::NFATC2 ont un large spectre de morphologie et de comportement biologique, et incluent des malformations vasculaires, des hémangiomes, des tumeurs vasculaires épithélioïdes, des kystes osseux, et des sarcomes à cellules rondes. Les analyses en biologie moléculaire sont routinières en oncologie pédiatrique. En médecine interne, elles ont bouleversé l’approche de certaines proliférations cellulaires atypiques (histiocytose, etc). Pour les patients mettant en défaut les cadres diagnostics usuels, le recours au séquençage haut débit (e.g. Plateforme Sequoia) pourrait peut-être permettre d’améliorer la prise en charge, voire d’identifier de nouvelles entités, comme ce fut le cas pour le syndrome VEXAS.
Conclusion |
Notre cas est une bonne illustration de la complexité de certaines situations diagnostiques et du caractère essentiel de la collaboration pluridisciplinaire, notamment avec l’anatomo-pathologiste et le « moléculariste » orienté. La démocratisation des approches de biologie moléculaire permettra peut-être de limiter l’errance diagnostique de patients souffrant de proliférations cellulaires inclassables.
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Vol 45 - N° S1
P. A139 - juin 2024 Retour au numéroBienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
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