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Jürg Zünd : voir/faire voir l’espace - 01/05/24

Jürg Zünd: Seeing/showing space

Doi : 10.1016/j.evopsy.2024.03.005 
Philippe Veysset  : Professeur agrégé de philosophie
 Lycée Édouard-Heriot, 11, rue de la Maladière, 10300 Sainte-Savine, France 

Auteur correspondant.
Sous presse. Épreuves corrigées par l'auteur. Disponible en ligne depuis le Wednesday 01 May 2024

Résumé

Objectifs

En prolongeant l’analyse d’un cas recensé par Ludwig Binswanger, le cas Jürg Zünd, à l’aide d’une grille philosophique inspirée de la phénoménologie, on s’efforce de montrer que le patient – c’est ce qui donne sens à son trouble – tente d’afficher la pertinence (échec de la raison) autant que les limites (la raison reste opérative) d’une doctrine qui lui a été rendue familière par son psychiatre : l’analyse existentielle, notamment sa représentation de l’espace et du langage. Il s’agit ainsi d’illustrer les dangers que fait peser un dialogue trop insistant entre patient et soignant lorsque ce patient est associé au diagnostic et à la thérapie. Il s’agit enfin de mieux marquer l’écart subsistant entre le champ pratique et le champ expérientiel. Le malade a renoncé à la rationalité de son agir mais il continue de souscrire à celle de son expérience, seul moyen de « preuve » qui lui reste.

Méthode

Prolonger l’analyse du psychiatre en établissant une correspondance entre les symptômes de la maladie, d’une part, et les validations/réfutations de cette même analyse. Le principal danger de l’analyse ici menée est une hyper-rationalisation du trouble mental, mais si, dans le trouble mental, ne subsiste aucun élément de raison, aucune psychiatrie ne peut non plus voir le jour. Il est cependant clair que le simple échec de la raison ne peut suffire à relativiser l’exploitation scientifique du trouble mental. On ne peut donc que suivre l’auteur dans ses références fréquentes, parfois implicites, aux textes fondamentaux de la phénoménologie. On pourrait dire que notre analyse revêt un caractère expérimental.

Résultats

Une analyse approfondie du cas montre qu’il existe en effet un lien entre le système d’attitude et de comportement du patient et une volonté de tester la pertinence de l’analyse phénoménologique appliquée par le soignant au malade.

Discussion

Dans la troisième Critique, dite de la Faculté de Juger, Kant s’efforce de restituer à une raison invalidée dans son usage pur une voie, un champ d’expression sensible qui, enjambant entendement et langage, permette à cette raison de se « dire ». Mais cette conduite est à son tour frappée d’impuissance, du fait de sa structure antinomique. Seul le corps, laissé pour compte de l’analyse kantienne, permet à la raison de trouver son équilibre car il est déjà en lui-même pénétré, corseté, pétri de raison, mais aussi, par-là même, broyé par cette raison, une raison qui, en accablant le seul moyen d’expression qui lui reste, surinvestit ce corps et se rend de nouveau inaudible. Il faudra donc rendre le corps à lui-même, le libérer de l’emprise de la raison, le réifier et laisser, du même coup, reparaître ce qui, peut-être, reste en l’homme de raison : la folie, raison faible habitant un corps affaibli. Contredire la raison, c’est la dire à claire-voie, dans l’expérience de sa perte quasi définitive, jamais tout à fait définitive pourtant, suspendue qu’elle est à son propre souvenir. D’objet d’une clinique, la folie en devient ainsi le critère. Elle instaure son propre régime de preuve, une preuve qui, bien sûr, ne peut être administrée par le moyen d’un langage désormais disqualifié.

Conclusion

La folie a son mot à dire dans l’échec de la raison, un échec déjà contrarié par l’examen invalidant auquel l’a soumise la doctrine critique d’inspiration kantienne, laquelle s’efforce de « raisonner » une raison qui outrepasse ses droits.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Abstract

Goals

By extending the analysis of a case identified by Ludwig Binswanger, the Jürg Zünd case, using a philosophical reading inspired by phenomenology, we strive to show that the patient – this is what gives meaning to his disorder – attempts to display the relevance (failure of reason) as well as the limits (reason remains operative) of a doctrine that was made familiar to him by his psychiatrist: existential analysis, notably its representation of space and language. This aims to illustrate the dangers posed by too insistent a dialogue between patient and caregiver when this patient is associated with diagnosis and therapy. Finally, it is a question of better marking the remaining gap between the practical field and the experiential field. The patient has renounced the rationality of her actions but continues to subscribe to that of her experience, the only means of “proof” remaining to her.

Method

Extend the psychiatrist's analysis by establishing a correspondence between the symptoms of the illness and the validations/refutations of this same analysis. The main danger of the analysis carried out here is a hyper-rationalization of mental disorder, but if, in the mental disorder, no element of reason remains, no psychiatry can see the light of day either. It is, however, clear that the simple failure of reason cannot be enough to put the scientific exploitation of mental disorder into perspective. We can therefore only follow the author in his frequent references to the fundamental texts of phenomenology. We could say that our analysis is experimental in nature.

Results

An in-depth analysis of the case shows that there is indeed a link between the patient's system of attitude and behavior and a desire to test the relevance of the phenomenological analysis applied by the caregiver to the patient.

Discussion

In the third Critique, known as the Faculty of Judgment, Kant strives to restore to a reason invalidated in its pure use a path, a field of sensitive expression that, spanning understanding and language, allows this reason to “say itself”, but this behavior is in turn struck by impotence, due to its antinomic structure. Only the body, left out of Kantian analysis, allows reason to find its balance because it is already in itself penetrated, corseted, steeped in reason, but also, by the same token, crushed by this reason, a reason which, by overwhelming the only means of expression that remains to it, overinvests this body and makes itself inaudible again. It will therefore be necessary to return the body to itself, free it from the influence of reason, reify it and, at the same time, allow to reappear what, perhaps, remains in the man of reason: madness, weak reason inhabiting a weakened body. To contradict reason is to speak it out loud, in the experience of its almost although never quite definitive loss, suspended as it is on its own memory. From being the object of clinical inquiry, madness thus becomes its criterion. It establishes its own regime of proof, proof, which, of course, cannot be administered by means of language that is now disqualified.

Conclusion

Madness has its say in the failure of reason, a failure already thwarted by the disabling examination to which it has been subjected by the Kantian-inspired critical doctrine, which strives to “reason” a reason that exceeds its rights.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Mots clés : Raison, Posture critique, Schizophrénie, Daseinsanalyse, Analyse existentielle, Phénoménologie, Langage, Binswanger Ludwig, Corps

Keywords : Reason, Critical posture, Schizophrenia, Daseinsanalyse, Existential analysis, Phenomenology, Language, Binswanger Ludwig, Body


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