Présence de métaux lourds dans le kratom : une neurotoxicité par-delà l’addiction ? - 29/04/23

Résumé |
Objectifs |
Le kratom est une plante arborescente d’Asie du Sud-Est, initialement consommée par les peuples autochtones à la recherche d’un double effet stimulant et opioïde-like. Ainsi, de façon traditionnelle, le kratom était utilisé comme stimulant léger ou pour traiter certains maux courants (fièvre, diarrhées et douleurs). Au cours des 30 dernières années, son usage sous forme de feuilles broyées, poudre, liquides ou résine s’est répandu, initialement aux États-Unis, puis en Europe. Il est consommé pour ses bienfaits réputés dans la douleur, la dépression ou comme auto-substitution aux opiacés avec une dose moyenne de 10g/j par voie orale (VO). Cette plante renferme des alcaloïdes aux propriétés opioïdergiques, associés à une action noradrénergique et sérotoninergique, et les principes actifs principaux sont la mitragynine et la 7-hydroxymitraginine. Ces produits sont largement disponibles sur Internet, alors même que coma et convulsions peuvent survenir. Depuis le 23/12/2019, le kratom et ses composés sont inscrits sur la liste des psychotropes compte tenu des risques pour la santé rapportés par l’addictovigilance. Par ailleurs, la Food and Drug Administration qui surveille les compléments alimentaires alerte sur des problèmes supplémentaires de sécurité : contamination possible des produits de kratom à la fois par des métaux toxiques (Pb et Ni), mais également par d’autres substances psychoactives (opioïdes ou benzodiazépines). Ces contaminations sont-elles retrouvées dans les échantillons circulant en France ?
Méthode |
Le Centre d’addictovigilance de Paris a récupéré 15 échantillons de kratom achetés sur Internet (2018–2019) par deux usagers pour répondre à cette question. L’analyse d’un panel de métaux (19 éléments), le dosage du principal alcaloïde psychoactif (mitragynine) et une analyse non ciblée à la recherche de potentiels xénobiotiques sont réalisés par le Laboratoire de toxicologie du CHU de Lille.
Résultats |
La totalité des échantillons (n=15) contiennent bien de la mitragynine, sans autre produit de coupe psychoactif, et les taux varient de 0,2 % à 1,7 % (médiane de 0,8 %, soit 8mg/g), niveaux comparables à ceux retrouvés dans le commerce aux États-Unis (de 3,35 à 11,33mg de mitragynine/g). Les échantillons ont des couleurs différentes, certainement du fait de l’état de maturation de la plante. Ainsi, un lien peut être fait entre teneurs en mitragynine et couleur de l’échantillon : pour les échantillons marrons (n=2) le taux moyen est de 0,4 %, pour les échantillons verts (n=4), il est de 0,8 % et pour les échantillons rouges (n=7), il atteint 1,0 %. Huit échantillons (8/15 ; 53 %) montrent des niveaux significatifs de Pb de 0,63 à 0,85μg/g, supérieurs à l’exposition journalière admissible (5μg/j) à partir de 5,9g de kratom ingéré. De même, une teneur en manganèse élevée s’observe pour la totalité des échantillons : le taux moyen de manganèse est de 2890μg/g, supérieur à l’exposition journalière admissible définie par l’OMS de 60μg/kg/j à partir de 1,4g de kratom ingéré. La consommation de kratom par voie respiratoire serait d’autant plus à risque en raison de la meilleure biodisponibilité du manganèse par inhalation. Un surdosage chronique en manganèse pourrait conduire au « parkinsonisme ».
Conclusion |
Les niveaux variables de mitragynine en fonction du niveau de maturation de la plante sont à mettre en perspective avec les arguments de marketing : « plus euphorisants/énergisants pour le White Kratom » et « plus antalgiques/sédatifs du Red Kratom ». Tous les produits de kratom contiennent des niveaux importants de manganèse (certains de Pb) et présentent un risque pour la santé des usagers. La littérature ne rapporte pas de cas clinique sur la toxicité propre des métaux du kratom. Le kratom bénéficiant d’une image positive et naturelle doit bien être identifié comme une substance addictive et éventuellement pourvoyeuse de complications neurotoxiques.
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Vol 35 - N° 2S
P. S33 - mai 2023 Retour au numéroBienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.