ATS9-2 Prurit douleur et dépression - 14/04/08
Résumé |
Introduction sous forme de questions |
La douleur chronique peut-elle être un étayage psychique ? Comment le repérer ? Dans ce cadre, peut-on tout de même traiter la douleur ou ne faut-il rien toucher à cet équilibre ?
Version médicale |
Mr M. F., 45 ans, père de deux enfants, tuyauteur de sa profession est depuis son retour de mission professionnelle en Arabie Saoudite, il y a un an, atteint d’un prurit tenace invalidant. Il m’est adressé par le médecin du travail alarmé par les cicatrices violacées de grattage qui couvrent son corps. Un bilan approfondi dermatologique au CHU est négatif. Le recours au neurologue est alors décidé…
Version histoire de vie |
Mohammed est un soudeur tuyauteur ; vous savez ces hommes en tenue de cosmonaute qui soudent à l’arc dans toutes les positions et sont indispensables dans les usines.
Lui, il est le français arrivé enfant du Maroc pour rejoindre son père, ouvrier à Marseille dans les usines sucrières. Il a fait du chemin. Ses capacités techniques lui ont permis de travailler à l’étranger, d’amasser de quoi faire vivre sa famille et surtout de s’acheter un toit. Ce père de famille à l’ancienne, pater familias à la mode musulmane a donc bien tenu son rôle de chef de famille et de protecteur.
Brutalement, au retour d’une dernière mission en Arabie Saoudite, alors qu’il lui faut se résoudre à reprendre son travail de simple ouvrier d’usine en France, se déclenche un prurit cad des démangeaisons diffuses, violentes, intolérables. Il ne dort plus la nuit et son corps est le vivant stigmate de sa souffrance. Il est strié de ses griffures bleues, violettes, presque noires par endroits.
Toutes les recherches d’une cause sont négatives et il m’est alors adressé par son médecin du travail désemparé. Je vois alors arriver un homme mince voûté au beau visage sémite un peu figé. Son histoire c’est celle de son corps martyrisé par ses ongles. Il se gratte au sang et cela depuis des mois. Il vient m’exposer l’impuissance de la médecine.
Il n’arrive plus à travailler pas plus qu’à dormir et sa hantise c’est la maladie d’un de ses frères. Ce frère aîné avec lequel il est venu très jeune en France rejoindre son père. Ce frère est en invalidité car il est incapable de travailler ; cette perte de l’emploi a signifié la perte de sa famille. Sa femme l’a quitté, ses enfants ne le reconnaissent plus. Il est déchu de ses fonctions de père et de chef de famille.
Par comparaison, il me décrit sa gentille femme, ses trois enfants, sa belle maison dans la campagne Aixoise. Fier, il l’est, de sa famille et de cette maison qu’il a construit à la sueur de son front.
Puis nous revenons sur ce grattage incessant qui oblitère sa vie. Intelligent, il raisonne bien et cherche la guérison, il veut reprendre le cours interrompu de son existence.
Mais la peur est là. Jeune thérapeute, je ne l’entends pas. Je tente de le rassurer et lui explique les gouttes miracles que je vais lui donner. Il s’agit d’amitryptylline, un des premiers psychotropes découverts par hasard dans les années 50. Il agit à faible dose sur les douleurs générées par le système nerveux, troncs nerveux, moelle ou cerveau.
Ce produit miraculeux est efficace comme prévu sur Mohammed. Il abandonne le grattage, mais le malheur qui l’accable est toujours là, tapi au fond de lui. À 50 ans, il s’est autorisé à manifester son désarroi par une auto-aggression permanente, obstinée, incompréhensible de l’enveloppe corporelle. Abandonner le symptôme comme je l’y ai encouragé, c’est se retrouver seul face à cette souffrance jamais nommée depuis son départ du Maroc.
Un long cheminement commence, car il m’a choisi pour être la dépositaire et le témoin de sa dépression. Je ne le découvrirais que plusieurs années après.
Sa traversée a été longue : cinq ans environ. Il a tout remis en cause mais a réussi à tout maintenir solidement autour de lui.
D’abord il a gardé le respect de ses enfants, chahuté un moment par le fils aîné, son rival dans le cœur de sa femme. Sa femme, ébranlée par la nouvelle personnalité de son mari défensif, immobile, et lucide, alors qu’avant il était actif et généreux, est restée. La maison, grâce aux assurances, est restée à lui.
Dans cette traversée, il ne refusait qu’une chose, que je le confie à un autre praticien. Il y eu même l’épisode étrange mais révélateur d’un psychothérapeute expérimenté connu pour ses prises en charge de patients ancrés dans la souffrance chronicisée qui me renvoya Mohammed car il ne pouvait pas le prendre en thérapie ; son cas était désespéré.
Son deuil, c’était la déchirure de son enfance. Il a été élevé par sa mère au Maroc où son père l’a conçu. À quatre ans, quand son frère en avait six, ils durent rejoindre ce père inconnu à Marseille, laissant là une enfance choyée de petit roi dans un village de l’Atlas. Sa mère, il ne l’a jamais revu. Elle avait été répudiée par son père qui avait fondé un deuxième foyer à Marseille. Arraché sans explication à sa mère qui mourut de honte et de misère quelques années après, il eut l’éducation qu’avait voulue son père pour lui. Mais caché aux tréfonds, il gardait cette honte, cette colère, cette brisure qui avait failli faire de lui un écorché vif avec ses démangeaisons, et dont il n’a été capable de faire le deuil que cinquante ans après.
Conclusion |
Qu’en pensez-vous ? Jusqu’où aller ?
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Vol 8 - N° S1
P. 55 - février 2007 Retour au numéroBienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.