L'analyse épidémiologique représente aujourd'hui le mode privilégié d'administration de la preuve dans le domaine de la santé publique, qu'il s'agisse de reconnaître l'existence d'un problème, d'en interpréter les causes ou d'en évaluer les solutions. La sophistication des méthodes et des dispositifs d'enquête tend du reste à renforcer la légitimité de l'épidémiologie comme démarche d'attestation scientifique. Au[shy]delà cependant des milieux savants spécialisés, la discipline a essaimé dans des cercles plus larges, en particulier dans les collectivités territoriales et les mouvements associatifs où sa pratique procède souvent à la fois de l'artisanat sanitaire et du militantisme social. Cette épidémiologie locale, si elle n'obéit pas aux canons académiques, n'en a pas moins une efficacité politique réelle. C'est ce que montre l'histoire de l'épidémie de saturnisme infantile en France, à partir de 1985.

Les acteurs de la santé publique locale, parisienne, puis séquano[shy]dionysienne, ont en effet su s'emparer de ces instruments relativement nouveaux pour eux afin d'établir la réalité des contaminations, leur extension et leur étiologie, et ceci contre l'incrédulité des gestionnaires de l'habitat et même des autorités sanitaires nationales. Nous présenterons les étapes du raisonnement, des enquêtes et de leur utilisation dans l'espace public. Résultat d'un bricolage épidémiologique que nous nous efforcerons de faire apparaître, ce travail engagé, qui a associé des institutions et des métiers différents dans une même mobilisation, n'en a pas moins permis, en un peu plus d'une décennie, de faire de cette pathologie ignorée une priorité de santé publique. À ce titre, ces artisans[shy]militants de l'épidémiologie ne doivent pas être considérés comme les découvreurs, mais bien comme les inventeurs du saturnisme infantile.

Cette étude de cas peut ainsi servir à illustrer la contribution des sciences sociales à la compréhension de l'épidémiologie comme science en pratique.